2. Les incertitudes qui pèsent sur l'avenir du Parti-Etat

Depuis le lancement des réformes par Den Xiao-ping en 1978, le Parti communiste chinois ne tire plus sa légitimité de l'imposition de l'idéologie communiste mais de sa capacité à améliorer le niveau de vie de la population. C'est la raison pour laquelle tout choix politique est conditionné par l'impératif du développement économique assorti d'un taux de croissance suffisant pour permettre un enrichissement général, même s'il est inégalitaire.

Ainsi, selon le critère appliqué à la Chine, le nombre de chinois très pauvres, disposant d'un revenu inférieur à 0,66 dollar par jour est passé « officiellement » 11 ( * ) de 250 millions en 1978 à 26 millions en 2004. L'espérance de vie a fortement augmenté et le rationnement des biens de consommation a totalement disparu.

Pour le PCC, il s'agit également de préserver la stabilité sociale, menacée par les conséquences négatives des réformes. Celles-ci ont notamment induit une augmentation du chômage urbain ainsi que la disparition du système de prestations sociales assuré autrefois par les entreprises d'Etat.

La restructuration du secteur industriel public met ainsi un terme au fameux statut de la « danwei » ou « unité de travail », structure de base de l'économie planifiée qui rassemblait la classe ouvrière chinoise, des grands conglomérats industriels nationaux aux unités de production les plus modestes. Ce système assurait « le bol de riz en fer », soit la sécurité de l'emploi à vie, « la grande marmite », soit l'égalité des salaires, le tout assorti d'un certain nombre de garanties pourvoyant aux logements, aux soins médicaux gratuits, à l'éducation des enfants et à la prise en charge des retraités. 120 millions de travailleurs actifs dépendaient de ce système qui assurait une modeste mais certaine sécurité matérielle.

La prééminence du Parti peut se justifier aussi par la nature de la transition que connaît la Chine. Celle-ci apparaît si périlleuse tant sur le plan interne que sur le plan international, qu'il est souhaitable de conserver une puissante organisation politique pour la maîtriser.

Il convient notamment de relever qu'une large partie de l'opinion publique est « obsédée » par la nécessité de préserver la « stabilité sociale et politique ». Il s'agit d'une attitude finalement compréhensible, si on garde en mémoire la succession de conflits sanglants et meurtriers que la Chine a connus au cours de son histoire contemporaine : conflits opposant le régime chinois aux puissances étrangères mais également au sein même du régime communiste, en ne citant que l'échec du Grand bond en avant et les conséquences de la Révolution culturelle.

Les observateurs politiques soulignent ainsi que l'arrivée de la « quatrième génération de dirigeants » menée par M. Hu Jintao et conduite par le XVI e congrès du PCC de 2002 à 2004 s'est déroulée, pour la première fois depuis 1949, dans le respect de la Constitution du Parti et de l'Etat, ce qui témoigne de l'institutionnalisation du régime.

Outre cette aversion pour toute forme d'anarchie, dans la pensée chinoise, stabilité signifie recherche d'un équilibre, ce qui laisse entendre de possibles évolutions, même de faible ampleur.

Néanmoins, la vie politique est gangrenée par la corruption qui se généralise à tous les niveaux . Ce phénomène est sans doute lié à cette période de transition économique, où la propriété privée est encore mal définie et les règles de droit ne sont pas fixées de manière suffisamment précise. Surtout, ces dernières dépendent, pour leur application, du bon vouloir d'une administration et de juges, qui restent pour le moment mal payés, insuffisamment formés et très interdépendants les uns des autres. Ce phénomène de corruption, qui est sans doute plus important dans les campagnes, devient d'autant plus insupportable que les inégalités sociales s'accroissent.

Les accusations de corruption pèsent d'autant plus lourdement sur le PCC que la libéralisation rapide des structures économiques, au cours des années 1990, et notamment la transformation des entreprises d'Etat en structures privées, ont souvent favorisé un transfert de capital vers les fonctionnaires du Parti-Etat à l'origine de ces évolutions. Selon les estimations, le montant de la corruption oscille de 5 à 15 % du PIB.

Les dirigeants ne sont pas restés inactifs et nombre de campagnes réprimant sévèrement des faits de corruption ont été initiées par le Parti lui-même, allant même jusqu'à mettre en cause des responsables très haut placés. Elles n'ont néanmoins pas convaincu l'opinion publique, car elles sont considérées comme ayant un caractère très sélectif.

Bien que le pouvoir politique ne tolère aucune contestation ouverte, les mouvements de protestation urbains ou ruraux ont pris une très grande ampleur et sont désormais quasi quotidiens. Certains sont réprimés de façon très violente et on estime à 86.000 par an le nombre d'incidents graves survenant à l'occasion d'un de ces mouvements. Parmi ceux-ci, 600 conflits sont portés chaque jour à la connaissance de l'entourage du Premier ministre.

Les raisons de ces mouvements sont multiples : sont ainsi mises en cause les conditions de travail déplorables dans les zones économiques spéciales (ZES) créées à Shenzhen ou le long de la rivière des Perles dans la région de Canton pour développer les usines de fabrication de produits à faible valeur ajoutée. Il peut s'agir également, en cas de restructuration des entreprises publiques, de mouvements initiés par des ouvriers licenciés ou mis à la retraite, en raison du non versement ou du versement irrégulier de leurs indemnités. Le non paiement des salaires est une cause également fréquente de déclenchement de manifestations.

Dans le monde rural, la montée des mouvements de protestation est très directement liée à l'aggravation des inégalités, aux abus en matière de pression fiscale et à la spéculation immobilière, qui est souvent le fait d'une action coordonnée entre l'administration locale et les promoteurs. Il peut s'agir également de réactions à des mesures d'expropriation forcées ayant donné lieu à une très faible indemnisation.

Face à cette « remise en cause », les dirigeants du PCC, conscients de la vulnérabilité croissante des éléments qui fondent la légitimité du Parti, cherchent à apporter des réponses pragmatiques.

- Il s'est agi tout d'abord de montrer que le PCC restait un Parti de « mobilisation » pas seulement en matière de civilisation matérielle mais pour relancer le rayonnement de la civilisation spirituelle chinoise. La question du rattachement de Taïwan, l'obtention des Jeux Olympiques, la conquête de l'espace illustrent l'implication du PCC pour entretenir le « supplément » d'âme de la croissance économique.

- Sous l'impulsion de Jiang Zemin, le Parti a changé de rôle à partir de 1992, pour mieux accompagner les réformes économiques de la Chine. Selon la théorie « des trois représentations », le PCC doit désormais représenter « les forces productives (l'ancienne classe ouvrière), les représentants de l'avant-garde culturelle et le peuple au sens large ». Il s'agit de donner aux entrepreneurs et aux intellectuels toute leur place dans le Parti et de prendre en compte les aspirations des classes moyennes à la prospérité et à la modernité.

- De nouvelles orientations ont été adoptées à l'occasion du IV e Plénum en octobre 2004 afin de « renforcer la capacité du Parti à gouverner » par l'amélioration de la sélection et de la formation des cadres et le renforcement de la lutte contre la corruption.

Après avoir plaidé en 2005 pour le concept de « société harmonieuse », les cadres dirigeants du Parti ont présenté le XI e Plan (2006-2010), validé par l'Assemblée populaire nationale en mars 2006, qui traduit également une certaine inflexion à travers la « préservation des grands équilibres ». Est ainsi affichée la volonté de remédier aux inégalités de développement entre les provinces de l'Est et les régions du Centre et de l'Ouest et entre les urbains et les ruraux.

Mais les réformes politiques ne sont pas encore réellement à l'ordre du jour. Ainsi si la démocratie locale commence à être reconnue au niveau des villages, avec l'acceptation de candidatures indépendantes aux élections, ce mouvement se diffuse très lentement mais n'est pas reconnu à l'échelon supérieur.

La situation politique s'avère ainsi de plus et plus contrastée entre l'évolution de la société civile qui a acquis une autonomie croissante dans le domaine de la sphère privée, alors même que le régime politique reste du domaine exclusif du PCC qui ne tolère aucune expression de dissidence ou de contestation.

L'avenir dira si le développement de l'économie privée, l'accès à Internet, les facilités progressives en matière de voyages internationaux ou d'études à l'étranger compensent et pallient durablement l'absence totale de liberté d'expression et de conscience en matière politique, notamment s'agissant des droits de l'homme ou des minorités ou si, au contraire, le PCC n'arrivant plus à justifier ce paradoxe de la vie politique chinoise sera acculé à accepter une évolution des institutions politiques.

* 11 Selon la Banque mondiale, en 2002, la Chine comptait encore 88 millions de personnes disposant de moins d'un dollar de revenus par jour (en parité de pouvoir d'achat)

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