CONCLUSION

Le Pakistan inquiète. On lui reproche son instabilité politique, ses « madrasas », véritables couveuses de talibans, la prolifération nucléaire aggravée dont il s'est rendu coupable, ses démêlés incessants avec l'Inde, les rébellions tribales au Béloutchistan et dans la province du Nord Ouest, qu'il ne parvient pas à résorber.

La mauvaise image dont il est affligé n'est pas usurpée, mais elle ne prend pas en compte la réorientation dont le Général Moucharraf, Chef d'État Major et Président de la République depuis 1999, est l'artisan. Trois aspects de son action méritent l'attention.

Sa politique économique d'abord. Avec une croissance de 8,4 % en 2005, un important afflux de capitaux émanant de la diasporah Pakistanaise et d'investisseurs étrangers, un endettement en diminution et une monnaie stable, le Pakistan a rejoint les pays d'Asie du Sud dans leur rapide expansion. Seul point noir : l'extrême pauvreté de 35 % de la population qui ne bénéficie en rien des fruits de la croissance.

Le Président Moucharraf a normalisé ses relations avec l'Inde en acceptant que la revendication du Pakistan sur le Cachemire, maintenue dans son principe, cesse d'être un préalable à la détente avec New Delhi, qui a, désormais, toutes chances d'être durable.

Comment, enfin, ne pas inscrire à l'actif du Général Moucharraf la décision prise, après les attentats du 11 septembre 2001, d'engager son pays dans la lutte contre les Talibans que le Pakistan n'avait cessé, depuis l'invasion soviétique, de former, de soutenir et d'armer. L'exercice était hasardeux mais a globalement réussi. Si, malgré le déploiement de 80 000 soldats, l'armée pakistanaise ne parvient pas à fermer la frontière Afghane, ce n'est pas parce que le Général Moucharraf joue double jeu, mais parce qu'il se heurte à la résistance coriace des tribus pachtounes installées des deux côtés de la frontière, qui donnent asile et aide aux rebelles afghans ainsi, sans doute, qu'à Ben Laden et à son adjoint A. Zawahiri.

Ces orientations ne pouvaient que susciter l'ire des fondamentalistes. L'islam pakistanais, syncrétique et soufi, n'est pourtant pas naturellement porté à l'intégrisme. Mais l'armée, pour contrer les partis politiques, a systématiquement soufflé sur les braises de l'islamisme et découvre aujourd'hui que ceux qu'elle croyait instrumentaliser commencent à lui échapper. Le Président Moucharraf, qui s'en inquiète, a remplacé les officiers supérieurs intégristes et la fidélité de l'armée, solidement installée au coeur de la vie politique, administrative et économique du pays, lui est acquise et protègera le régime si nécessaire.

Le défi auquel il est confronté est autre. Il vient des changements qui affectent l'environnement international du Pakistan et mettent en cause les bases de sa politique étrangère  : l'alliance avec les Etats-Unis, l'hostilité envers l'Inde et l'influence exercée en Afghanistan.

Le Président Bush a choisi de faire de l'Inde et non du Pakistan, son partenaire privilégié en Asie du Sud. Islamabad conserve le bénéfice de l'aide américaine de trois milliards de dollars, mais ne cache pas son amertume.

La spectaculaire montée en puissance économique, militaire et diplomatique de l'Inde et la présence à Kaboul d'un gouvernement indépendant, issu d'élections libres et soutenu par l'Occident mis à mal les deux autres piliers de la stratégie pakistanaise et contraignent le pays à redéfinir son positionnement international. Deux voies s'offrent à lui, heureusement complémentaires.

L'une est politique. Elle consiste à jouer la carte « d'un islamisme éclairé », face aux dérives extrémistes du Moyen-Orient. C'est le choix fait publiquement par le général Moucharraf. Mais il exige, à l'intérieur comme à l'extérieur, des actions concrètes qui tardent à venir.

L'autre est économique. Il s'agit de faire du pays la plaque tournant pétrolière de l'Asie du Sud en reliant, à travers le Pakistan, l'Iran et les monarchies du Golfe Persique à l'Inde. La construction d'un oléoduc reliant les champs pétroliers d'Asie centrale au Pakistan reste, en revanche, subordonnée à la pacification préalable de l'Afghanistan.

Situé à un des carrefours stratégiques de la planète, doté d'un armement nucléaire, peuplé de 160 millions de musulmans qui seront 250 millions en 2025, le Pakistan est un pays qui compte. L'intérêt de l'Europe est de soutenir le Général Moucharraf dans sa démarche. L'approche des élections législatives de 2007 va l'obliger à démocratiser et à élargir la base politique de son régime en renouant avec les partis politiques traditionnels, notamment avec celui qu'anime à distance Benazir Bhutto dont l'audience reste importante. L'Occident peut l'y aider.

S'intéresser au Pakistan aurait d'autant plus de sens qu'il s'agirait, de la part de l'Europe, d'une politique d'ensemble tendant à faire émerger au Moyen-Orient et en Asie du Sud un Islam modéré, opposé aux intégrismes comme au choc des civilisations.

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