B. MARDI 11 AVRIL 2006

1. Relations entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne

Les chefs d'État et de gouvernement, réunis à Varsovie les 16 et 17 mai 2005 pour le Troisième Sommet de l'Organisation, avaient confié à M. Jean-Claude Juncker, Premier ministre du Luxembourg, la préparation d'un rapport afin de présenter, « à titre personnel », des propositions à propos des relations entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.

Après avoir présenté ses réflexions devant la Commission politique du Conseil de l'Europe, c'est cette fois-ci devant l'Assemblée plénière que M. Jean-Claude Juncker a présenté un certain nombre de propositions très précises :

- l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme ;

- la reconnaissance du Conseil de l'Europe comme étant la référence pour le continent européen en matière de droits de l'Homme, l'Union le consulterait en amont sur tout projet de directive ou règlement dans ce domaine ;

- le recours possible et institutionnalisé de l'Union européenne aux services du Commissaire aux droits de l'Homme ;

- la définition stricte du rôle de la future Agence des droits fondamentaux de l'Union limitée au contrôle du respect des droits fondamentaux dans la mise en oeuvre du droit communautaire ;

- une plus grande coopération de l'Union avec la Commission de Venise ;

- un recentrage des compétences du Conseil de l'Europe sur les droits de l'Homme, la culture l'éducation;

- une répartition des rôles en matière de dialogue interculturel :

le Conseil de l'Europe veillerait au dialogue au sein des 46 pays,

l'Union se consacrerait au dialogue avec les autres pays du monde ;

- un Secrétaire général du Conseil de l'Europe, choisi parmi les anciens chefs d'État des pays membres à l'image du Président de la Commission européenne ;

- enfin, une adhésion à l'horizon 2010 de l'Union européenne au Conseil de l'Europe et l'ouverture d'une représentation permanente de l'Union auprès du Conseil de l'Europe et réciproquement.

Les propositions de M. Jean-Claude Juncker ont été accueillies avec un enthousiasme certain, plus marqué chez les délégués des pays membres des deux organisations que chez ceux membres uniquement du Conseil de l'Europe.

M. Cãlin Popescu-Tãriceanu, Premier ministre de Roumanie, en sa qualité de Président du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, et M. Schüssel, Chancelier fédéral d'Autriche, en sa qualité de Président du Conseil de l'Union européenne, sans marquer le même enthousiasme, ont approuvé les orientations du rapport de M. Jean-Claude Juncker.

MM. Philippe Nachbar (Meurthe-et-Moselle - UMP), Bernard Schreiner (Bas-Rhin - UMP) et Jean-Marie Bockel (Haut-Rhin - Soc) se sont exprimés.

M. Philippe Nachbar, sénateur :

« Je félicite d'abord M. Jean-Claude Juncker pour le remarquable discours qu'il a prononcé en début de séance. C'est à lui que s'adressera la question que j'ai l'intention de poser. Je souhaiterais connaître sa position au sujet des intentions de l'Union européenne dans le domaine des droits de l'Homme. Je voudrais en effet souligner - nous y sommes tous sensibles mais, étant avocat de métier, je le suis peut-être plus que d'autres - combien la pluralité et la concurrence, à la fois des normes et des juridictions, affaiblissent en réalité le droit puisque les procédures deviennent à la fois incompréhensibles et incertaines et qu'elles sont de surcroît sensiblement allongées.

Je souhaiterais donc que vous puissiez confirmer au Conseil de l'Europe les orientations que vous avez présentées devant sa commission permanente le 17 mars dernier, s'agissant de la création au sein de l'Union européenne d'une agence des droits de l'Homme. Comment envisagez-vous que cette agence puisse se cantonner à l'application du droit communautaire, qui serait la norme, et résister à la tentation de faire concurrence aux organes du Conseil de l'Europe dans un double domaine, le contrôle des manquements des États en matière de droits de l'Homme, d'une part, et le contrôle sur les États candidats à l'Union dans le même domaine, d'autre part, sans oublier le respect de ces règles.

Croyez-vous enfin qu'il soit toujours possible que l'Union européenne puisse adhérer à la Convention européenne des droits de l'Homme et quelle procédure envisagez-vous en ce sens ? ».

M. Bernard Schreiner, député :

« Je tiens d'abord, M. le Premier ministre, à vous remercier d'être devant notre assemblée pour nous présenter le fruit de votre travail, après vous être entretenu avec nous au sein de la Commission permanente, à Paris, le 17 mars dernier.

Le Conseil de l'Europe et l'Union européenne sont deux institutions qui ne sont pas redondantes, qui ne doivent pas développer une concurrence stérile mais, comme vous l'avez dit, qui doivent être complémentaires et se respecter mutuellement. Ces objectifs peuvent facilement être atteints, pour peu que l'on apprenne à mieux se connaître et à vouloir travailler ensemble dans le cadre de domaines clairement définis, avec des moyens correspondant aux missions de chacun.

Dans cette perspective, il est absolument nécessaire que les compétences de la future agence des droits fondamentaux soient strictement limitées au droit communautaire, comme vous le suggérez, et que la Cour européenne des Droits de l'Homme continue à exercer sa mission avec l'autorité et l'indépendance qui lui sont unanimement reconnues.

Toutefois, je persiste à penser que l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des Droits de l'Homme est une nécessité et constitue un projet qu'il faudra reprendre dès que le cadre institutionnel de l'Union européenne sera clarifié.

S'agissant à présent des moyens reconnus aux deux institutions, vous savez, monsieur le Premier Ministre, que sans moyens suffisants, le Conseil de l'Europe ne pourra pas remplir ses missions et ne saurait résister à la très puissante Union européenne. Je sais qu'il s'agit là d'un problème relevant de nos gouvernements. J'ai d'ailleurs saisi le gouvernement de mon pays à ce sujet afin de le rendre à l'urgence de trouver des solutions, mais cette réalité doit être connue et admise par l'ensemble des États membres.

L'Union européenne et le Conseil de l'Europe sont deux institutions aux dimensions, à l'histoire et aux compétences différentes, mais qui doivent se compléter pour assurer la paix et la prospérité sur notre continent. Vous vous y êtes engagé, Monsieur le Premier ministre, ce qui constitue un élément essentiel dans cette perspective. Je vous félicite encore une fois d'être venu aujourd'hui à Strasbourg, capitale européenne, capitale de cette Europe que nous voulons construire. Et je vous remercie également de vous être engagé à y revenir ».

M. Jean-Marie Bockel, sénateur :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, je ne souhaite pas faire un plaidoyer pro domo mais seulement, à la suite de nos Rapporteurs, mettre un peu de clarté et de logique dans la répartition des compétences entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.

Il ne s'agit ni d'une concurrence d'antériorité ni d'une querelle de bornage mais de la recherche d'une articulation des deux organisations en vue de parvenir à plus d'efficacité et de lisibilité pour nos concitoyens.

Qui peut mesurer, parmi bien d'autres causes, évidemment, le désenchantement de nos opinions publiques, en particulier en France et aux Pays-Bas, devant une construction européenne devenue peu à peu illisible avec une polysynodie et la prolifération d'agences que chacun devine coûteuses ?

Aussi, n'est-il que temps de mettre un peu d'ordre dans la maison européenne.

L'Union européenne aurait tort de croire que cette rationalisation peut se faire par absorption plus ou moins directe des compétences du Conseil de l'Europe, en espérant priver l'organisation de toute légitimité.

Les deux espaces, quarante-six États pour le Conseil de l'Europe, vingt-cinq, et peut-être demain, vingt-sept ou vingt-huit pour l'Union européenne, ne sont pas près de coïncider.

Aussi, une clarification s'impose entre les deux Organisations. Au Conseil de l'Europe, la promotion des Droits de l'Homme. Il est à cet égard plus que souhaitable de ne pas ouvrir un risque de duplication institutionnelle entre les organes compétents du Conseil de l'Europe et une « Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne » au rôle mal défini. Les seuls actes qui sont encore insusceptibles d'un contrôle de leur conformité avec les Droits de l'Homme sont les règlements, directives et décisions des organes communautaires.

Une solution s'impose, l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des Droits de l'Homme, le cas échéant avec la création d'une chambre composée des seuls juges nationaux de l'Union européenne.

Ainsi, tous les actes, qu'ils émanent d'une autorité nationale déjà soumise à la Convention européenne des Droits de l'Homme ou qu'ils aient été édictés par l'Union européenne, désormais passibles du même contrôle, seraient examinés conformément à la même liste de droits et par la même Cour européenne des Droits de l'Homme.

Cette solution s'impose pour éviter les dénis comme les conflits de droit et les enchevêtrements de procédures, précisément ce que refusent désormais les citoyens européens, percevant ces risques de dérive comme une «usine à gaz» bureaucratique et dispendieuse.

Cette unification de droit et de juridiction doit s'accompagner de la promotion d'un « modèle européen » commun à la grande Europe.

Nombre d'États adhérant au Conseil de l'Europe ne seront pas membres avant longtemps de l'Union européenne.

Est-ce à dire que notre continent s'accommode de deux espaces juridiques ?

C'est bien le rôle éminent du Conseil de l'Europe de favoriser les progrès de l'État de droit parmi les 46 membres de notre organisation.

L'Union européenne se fragilise elle-même lorsqu'elle dispute au Conseil de l'Europe son rôle spécifique et refuse de lui reconnaître son expertise en matière de libertés fondamentales et de Droits de l'Homme.

Il est souhaitable que nos gouvernements, et en particulier ceux des Vingt-cinq, consacrent une répartition rationnelle des compétences, comme le suggère d'ailleurs le Rapport de M. Jean-Claude Juncker.

Dès lors, la mise en oeuvre de cette rationalisation requiert un engagement de tous les États du Conseil de l'Europe et, en particulier, des contributions budgétaires suffisantes pour qu'il puisse exercer pleinement ses compétences au profit de tous ».

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