3. ... et conduisent le pays à renforcer ses liens avec d'autres puissances d'Asie du Sud et avec la Russie

• La fonction stratégique, pour la Chine, de l'Inde et du Pakistan

La Chine et l'Inde sont des nations « émergentes jumelles ».

Les relations sino-indiennes illustrent bien le triple ressort de l'action internationale de la Chine : stabilité géopolitique, liens économiques, recherche de ressources nouvelles.

Les relations entre la Chine et l'Inde bénéficient d'une relative embellie. La Chine a entrepris un rapprochement « pragmatique » avec Delhi, favorisé par le retour aux affaires du parti du Congrès en Inde à la suite des élections législatives du printemps 2004. La visite du Premier ministre chinois, en avril 2005, a confirmé ce rapprochement, matérialisé par l'établissement d'un dialogue stratégique dont la deuxième session s'est tenue à Pékin en janvier 2006. Ce « partenariat stratégique pour la paix » a pour but de « refaçonner l'ordre mondial ».

La Chine et l'Inde procèdent également à une normalisation de leurs relations militaires. Des manoeuvres navales conjointes ont eu lieu dans l'Océan indien.

Sur le plan économique, les échanges commerciaux sino-indiens sont en forte croissance (+ 70 % en 2003, + 45 % en 2004). Leur volume a dépassé les 18 milliards de dollars en 2005. Un accord de libre échange et un accord de coopération économique sont en négociation. La complémentarité des deux économies a été maintes fois souligné par les deux parties (en Chine, le secteur industrie représentant 52,3 % du PIB et, en Inde, le secteur tertiaire représentant 50,8 % du PIB).

Dans le domaine énergétique, les deux pays se sont trouvés en compétition en Afrique, en Birmanie et au Kazakhstan. Mais lors de la visite à Pékin, en janvier 2006, du ministre de l'énergie indien, les deux pays ont signé un mémorandum d'entente portant sur un échange d'informations systématique entre sociétés chinoises et indiennes lors d'appels d'offres internationaux. La Chine n'a pas l'intention de chercher la confrontation avec l'Inde et estime plus productif d'adopter, face à Washington, une stratégie de coopération avec Delhi. Les deux pays pourraient ainsi investir conjointement en Asie et ailleurs dans le monde, en Afrique notamment. Les projets de gazoducs (Iran-Pakistan-Inde et/ou Turkménistan-Pakistan-Inde), en impliquant la Chine, pourraient également constituer un espace de coopération, mais l'Inde et la Chine ont des besoins si considérables en termes d'approvisionnement énergétique qu'elles seront encore longtemps concurrentes dans les principaux pays producteurs.

Certes, les deux nations sont politiquement rivales. Sur le plan régional, l'Inde a accepté avec réticence, en novembre 2005, l'attribution à la Chine du statut d'observateur à la SAARC ( South Asian Association for Regional Cooperation ) et a alors demandé que le Japon bénéficie du même statut. Cette attitude de l'Inde, qui obtenait en parallèle un statut d'observateur au sein de l'Organisation de Coopération de Shanghai, traduit une évidente méfiance à l'égard de l'influence croissante de la Chine en Asie du Sud.

Au plan international, le soutien de la Chine à la candidature de l'Inde à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies a été assez ambigu : Pékin avait alors marqué sa « compréhension » plutôt que son « soutien » à la demande indienne (déclaration conjointe d'avril 2005).

Enfin, la viabilité des rapprochements économiques sino-indiens est obérée par les incertitudes politiques. Le conflit indo-pakistanais et la présence en Inde du « Gouvernement tibétain en exil » demeurent deux pommes de discorde latentes.

Il semble toutefois que Pékin appelle de ses voeux une normalisation des relations avec l'Inde, comme d'ailleurs avec le Pakistan, qui permettrait, à ses yeux, de réduire le rôle des Etats-Unis dans ces deux pays, rôle que la Chine interprète comme une menace américaine d'encerclement.

• Avec le Pakistan, un partenariat particulièrement fort

Pour Islamabad, la Chine est une grande puissance à laquelle l'unit une forte proximité politique. Par ailleurs, le Pakistan peut tirer parti de sa situation stratégique, au carrefour de l'Asie du Sud, de l'Asie Centrale et du Moyen-Orient. Selon le Premier ministre Shaukat Aziz, des « corridors de coopération » seront instaurés à brève échéance.

Enfin la Chine est, là comme ailleurs, à la recherche de ressources énergétiques assurées et viables. Bien que le pipe-line Kazakhstan-Chine ait commencé à produire 60 % des provisions d'énergie de la Chine proviennent du Moyen-Orient et presque 80 % de son pétrole passe par le détroit de Malacca.

Le détroit de Malacca, l'une des plus importantes voies de navigation au monde, connaît un trafic équivalent à celui du canal de Suez. Il constitue l'une des principales voies de passage entre l'océan Indien et l'océan Pacifique, reliant quatre des pays les plus peuplés au monde : l'Inde, l'Indonésie, le Japon et la Chine. Plus de 50 000 navires l'empruntent chaque année et entre 20 et 25 % du transport maritime mondial y transite. La moitié du commerce maritime de pétrole utilise cette voie et le trafic est en constante augmentation, au rythme de la croissance économique chinoise.

Cette importante activité en a fait une zone privilégiée pour la piraterie et une cible potentielle du terrorisme. La piraterie y est devenue un problème majeur depuis une décennie. Les marines malaise, indonésienne et singapourienne ont augmenté leurs patrouilles à partir de juillet 2004. Un attentat terroriste pourrait, en coulant un navire de fort tonnage dans les hauts-fonds (seulement 25 m de profondeur au point le moins profond), bloquer le trafic. Un tel attentat aurait des conséquences catastrophiques sur le commerce mondial, en général, et les approvisionnements chinois, en particulier.

Il est donc vital pour la Chine de diversifier ses voies d'accès au trafic maritime. Elle a par conséquent impérativement besoin que le Pakistan lui fournisse des facilités de traversée pour ses importations et ses exportations, via les ports de Gwadar et Karachi et qu'il offre des facilités navales sur la côte du Baloutchistan pour se projeter dans la mer d'Oman à proximité du détroit d'Ormuz.

Afin de faciliter les approvisionnements énergétiques de la Chine, notamment en provenance du Moyen-Orient, il est prévu de restaurer et d'élargir l'axe routier du Karakorum qui relie la Chine de l'Ouest à Gwadar et de construire des pipelines reliant la Chine occidentale à ce port pakistanais. Pékin a entièrement pris à sa charge la réalisation de la première phase de construction du port en eau profonde de Gwadar et projette d'y édifier une très grande raffinerie. Ces infrastructures offriront à la Chine et à l'Asie centrale un accès précieux à la mer.

La Chine et le Pakistan envisagent de développer un partenariat de coopération stratégique resserrée, conformément aux stipulations du « Traité sino-pakistanais sur le Bon voisinage, l'Amitié et la Coopération », signé en avril 2005.

• La Russie

En renouvelant ses relations avec ce pays, la Chine entend préserver et élargir ses voies d'accès aux ressources énergétiques mais aussi de contenir l'influence américaine.

Les relations sino-russes se fondent sur le « partenariat stratégique pour le XXIè siècle » conclu en 1996, et sur le traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération signé en 2001.

Le contentieux frontalier a été apuré en 2004. Le partenariat a été renforcé par une déclaration conjointe sur « l'ordre international au XXIè siècle », adoptée lors de la visite en Russie du Président chinois en juillet 2005, et confirmé à l'occasion de la visite du Président Poutine à Pékin en mars 2006. Les relations entre les deux nations sont étroites et leurs points de vue sur les grands problèmes internationaux souvent convergents (Irak, Iran, Corée du nord).

Les deux pays s'accordent également pour essayer de limiter l'influence américaine en Asie centrale.

Par ailleurs, ils ont développé, dans le domaine militaire, un partenariat indispensable à la Chine, qui importe de Russie 80 % de son armement. Les deux pays ont mené des manoeuvres conjointes en 2005 et devraient renouveler cette opération en 2007 en y associant davantage les pays membres de l'Organisation de Shanghai.

Pour autant, le partenariat économique ne donne pas toute satisfaction aux deux pays.

Malgré une augmentation assez rapide du commerce bilatéral au cours des dernières années, le volume des échanges reste assez faible (avec 20 milliards de dollars en 2004, il est dix fois moins élevé que le total des échanges entre la Chine et les Etats-Unis), ce qui satisfait peu les Chinois.

Quant aux Russes, ils dénoncent le déséquilibre croissant dont souffrent ces relations économiques. La Russie n'entend pas voir son économie « colonisée » par un partenaire qui pillerait ses richesses naturelles et l'inonderait de ses marchandises. Cette réaction est typique de pays qui s'estiment aujourd'hui victimes de la « voracité » chinoise.

En revanche, le volet énergie est un élément très structurant de la relation sino-russe. La Russie a fortement augmenté ses livraisons de pétrole par voie ferrée (7,5 millions de tonnes en 2004, 15 millions en 2006). Afin d'accroître et de sécuriser ses approvisionnements en pétrole, la Chine souhaiterait, bien sûr, que l'oléoduc transsibérien aboutisse sur son territoire, ce que le Japon, pour des raisons identiques, refuse. Les Russes semblent s'orienter vers la solution d'un embranchement vers la Chine (Daqing) et d'une prolongation vers la côte pour le Japon.

En ce qui concerne la fourniture de gaz naturel, un M.O.U. (mémorandum d'entente), signé à l'occasion de la dernière visite du Président Poutine prévoit la construction de deux gazoducs d'une capacité de 30 à 40 milliards de m 3 . Toutefois, les Chinois souhaitent que le gaz leur soit facturé à un niveau bien inférieur à celui du marché, ce qui pose problème.

Enfin la relation sino-russe démontre aussi une forte proximité de positions sur les principaux dossiers traités au Conseil de sécurité. Il est ainsi notable de voir la Russie très « alignée » sur la Chine sur la question nord-coréenne, l'inverse étant perceptible pour le dossier du nucléaire iranien...

• Prévenir la déstabilisation en Asie centrale

Le problème initial de la Chine, avec les cinq ex-républiques soviétiques, à l'issue de la guerre froide, était essentiellement frontalier.

Aujourd'hui, la stratégie chinoise est animée à la fois par la volonté de prévenir une déstabilisation, liée à la montée de l'islamisme dans cette région, et à sa propagation éventuelle en Chine (Xinjiang), ainsi qu'au besoin de sécuriser et de développer ses approvisionnements énergétiques. C'est dans ce contexte que s'inscrit l'ouverture, en mai dernier, du pipeline Kazakhstan (Atasu)-Chine (Dushanzi), dont la capacité à pleine charge (à partir de 2011) sera de 20 millions de tonnes de brut par an, soit 15% des importations de pétrole chinois en 2005. D'ores et déjà, cet oléoduc permettra, dès cette année, une forte augmentation des approvisionnements chinois en pétrole en provenance du Kazakhstan (2005 : 1,3 million de tonnes, 2006 : 4,8 millions de tonnes). Si le plan de montée en charge est respecté, Almaty fournira environ 8 millions de tonnes de brut à la Chine en 2007 et en deviendra le 6 ème fournisseur. Ce développement intervient après une série de prises d'intérêt chinois dans le secteur pétrolier et gazier kazakhstanais (rachat de Petrokazakhstan, d'Aktobemunaigaz, gisement de North Buzachi). Par ailleurs, la Chine et l'Ouzbékistan coopèrent pour l'exploitation des champs pétrolifères de la vallée du Ferghana. Des projets communs d'hydroélectricité sont en cours au Tadjikistan et au Kirghizstan. Enfin, la visite du Président Niyazov, en avril dernier en Chine, a conduit à la conclusion d'un accord-cadre en matière de coopération gazière entre le Turkménistan et la Chine. Ce pays a exprimé sa volonté de vendre 3 milliards de m 3 de gaz par an à Pékin (la mise en oeuvre de ce projet prendra cependant sûrement plusieurs années, compte tenu de l'absence de structures de transport).

Cette coopération stratégico-économique s'inscrit dans le cadre de l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) dans laquelle l'implication chinoise va croissant. Cette organisation regroupe aujourd'hui la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. Son secrétariat permanent a été ouvert à Pékin en 2004, confirmant le poids de la Chine au sein de l'OCS. Aux yeux des dirigeants chinois, cette organisation joue un rôle essentiel dans la lutte contre une instabilité en Asie centrale qui ne pourrait que lui nuire, économiquement et politiquement, et qui se caractérise par quatre phénomènes :

- la concentration des trois maux -terrorisme, séparatisme, extrémisme-, susceptible d'alimenter les irrédentismes en Chine même (Xinjiang) ;

- le sous-développement économique de l'Asie centrale et des zones frontalières chinoises, source de déséquilibre, compte tenu des écarts de niveaux de vie avec la « Chine développée » ;

- la situation géographique de l'Asie centrale à la charnière des pays européens et du continent asiatique ;

- enfin les efforts d'infiltration de puissances extérieures à la région.

La Chine développe donc avec l'OCS une coopération militaire (manoeuvres conjointes en 2003), mais l'organisation a vu son rôle s'élargir au cours des dernières années, passant des questions de sécurité à une coopération en faveur du développement économique, « meilleure arme contre les menaces de terrorisme dans la région », selon les interlocuteurs de la délégation. Ainsi, si son commerce bilatéral avec cette zone reste modeste, la Chine a proposé, en 2003, la mise en place d'un espace de libre-échange entre les Etats membres. Toutefois, les obstacles persistent, du fait du manque d'infrastructures de transport et surtout, comme ailleurs, de la crainte des Etats d'Asie centrale de voir déferler les marchandises chinoises.

L'OCS est l'outil clé dont les Chinois entendent se servir pour leur politique en Asie centrale. A l'origine de la création du groupe de Shanghai, puis de sa transformation en OCS en juin 2001, la Chine a cherché, avec succès, à orienter les travaux de cette organisation vers les sujets qui comptent pour elle : coopération en matière de sécurité et questions économiques et commerciales. S'y ajoute depuis le sommet de juin 2006 à Shanghai une inflexion vers la constitution d'un bloc de nature politique, appuyé sur des « valeurs » communes.

En coopérant avec les pays d'Asie centrale, la Chine souhaite également contrer ce qu'elle perçoit comme un encerclement américain : en plus des traditionnelles places-fortes américaines en Asie de l'Est (Corée du Sud, Japon, Taïwan), la présence militaire américaine en Afghanistan et dans plusieurs pays d'Asie centrale (base au Kirghizstan, base de Karchi-Khanabad en Ouzbékistan jusqu'en 2005, droits de survol au Tadjikistan), ainsi que le rapprochement américain avec l'Inde, ont réveillé à Pékin la crainte de l'encerclement. Aussi la Chine cherche-t-elle aujourd'hui à desserrer cette emprise à ses frontières occidentales en tentant d'y renforcer ses propres positions politiques.

L'Asie centrale est devenue aujourd'hui « l'arrière-cour » de la diplomatie chinoise, qui va tenter d'y accroître son influence dans les années à venir, quitte à devoir affronter plus directement les intérêts américains et japonais. Le fait que Washington ait pris l'initiative de développer un dialogue spécifique avec la Chine sur l'Asie centrale confirme l'influence de Pékin dans cette région.

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