Rapport d'information n° 400 (2005-2006) de M. Serge VINÇON , Mme Hélène LUC , MM. André BOYER , Jean-Guy BRANGER , Philippe NOGRIX et Jean-Pierre PLANCADE , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 15 juin 2006

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N° 400

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 juin 2006

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 19 au 28 mai 2006 en Chine,

Par M. Serge VINÇON, Mme Hélène LUC, MM. André BOYER, Jean-Guy BRANGER, Philippe NOGRIX et Jean-Pierre PLANCADE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

Asie centrale.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Du 19 au 28 mai 2006, une délégation de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s'est rendue en Chine, à Pékin et Shanghaï.

La délégation était conduite par M. Serge Vinçon, Président de la commission, et composée de MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, de Mme Hélène Luc, et de MM. André Boyer et Jean-Guy Branger.

L'objet de la mission était moins d'analyser la seule performance économique de la Chine que d'apprécier le rôle que ce pays entend jouer sur la scène mondiale.

Sa croissance économique exceptionnelle est évidemment un élément majeur de la stratégie diplomatique de la République populaire, ne serait-ce que pour l'accès aux matières premières ou l'approvisionnement énergétique dont cette croissance a précisément besoin pour se pérenniser.

Ressort économique donc, mais ressort politique aussi : dans son environnement régional, dans ses relations avec les Etats-Unis, dans son implication croissante dans le continent africain, à quelles motivations politiques et stratégiques correspond l'action internationale de la Chine ? Est-il légitime de percevoir la République populaire comme une menace autre que commerciale ou, au contraire, la pérennisation de son développement économique n'est-il pas la meilleure garantie que la Chine veille, partout où elle peut agir, à assurer une stabilité qui sert ses intérêts dans tous les domaines ?

Dès lors, à quoi correspond l'effort substantiel consenti par la Chine pour moderniser son armée, se doter d'équipements de haute technologie, donner à ses forces une capacité de projection dont elle est aujourd'hui dépourvue ?

Cette démarche donne-t-elle du poids à la thèse de la « menace chinoise » ou n'est-elle que le corollaire de cette volonté de reconnaissance que souhaitent les responsables chinois pour leur pays, du statut de grande puissance, responsable et respectable, qu'exprime la notion d'« émergence pacifique » supposée caractériser le rôle international de la Chine aujourd'hui ?

C'est à ces différentes interrogations que votre délégation a souhaité trouver des éléments de réponse auprès des nombreux interlocuteurs qu'elle a pu rencontrer.

La délégation tient à remercier l'ensemble des interlocuteurs rencontrés pour la qualité de leur accueil, ainsi que les services de l'Ambassade de France, pour la contribution apportée à la qualité du programme de travail et au bon déroulement de ce déplacement, tout particulièrement Son Exc. M. Jinjun Zhao, Ambassadeur de Chine en France, S. Exc. M. Philippe Guelluy, Ambassadeur de France en Chine, et M. Jean-Marin Schuh, Consul général à Shanghaï.

I. LES DÉTERMINANTS DE LA DIPLOMATIE D' « ÉMERGENCE PACIFIQUE » DE LA CHINE

A. ASSURER LA NÉCESSAIRE PÉRENNISATION D'UNE CROISSANCE ÉCONOMIQUE EXCEPTIONNELLE

1. Les besoins générés par la croissance chinoise...

La Chine avance à pas de géant dans de multiples secteurs économiques. Elle abrite 45 métropoles de plus d'un million d'habitants. Elle s'attaque à des projets d'infrastructures de grande ampleur : ponts, ports, barrages. Elle accueille des investisseurs internationaux dans les domaines de la distribution commerciale des produits et services et dans les projets concernant l'environnement, l'eau, les infrastructures ; parallèlement, les entreprises chinoises réalisent des progrès techniques considérables et exportent leur savoir-faire, notamment dans les pays émergents ou en développement.

La croissance économique chinoise, depuis la fin des années 1980, a reposé sur les exportations et les investissements liés aux exportations pour compenser une consommation intérieure insuffisante. L'accroissement rapide des capacités de production chinoises dans de nombreux secteurs a fait naître des déséquilibres internationaux générant destructions d'emplois et déficits commerciaux en Europe, au Japon, aux Etats-Unis. La Chine est désormais le quatrième exportateur mondial (derrière les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon) et ses secteurs exportateurs se sont diversifiés (des domaines des textiles et jouets à ceux des matériels électriques et de l'électronique).

Les conséquences de cette expansion sur les échanges internationaux inquiètent. Ainsi, sur un déficit extérieur américain de 725 milliards de dollars en 2005, le déficit bilatéral avec la Chine a dépassé 200 milliards de dollars.

Malgré la réévaluation du renmibi 1 ( * ) (+ 2,1 %) en juillet 2005, l'excédent global commercial chinois s'est envolé pour atteindre approximativement 7 % du PNB ; les réserves de change chinoises atteignent désormais des proportions gigantesques (plus de 10 % du PNB) et leur montant est supérieur à celles du Japon.

L'exceptionnelle croissance chinoise ne se fonde plus seulement, désormais, sur un commerce extérieur florissant. L'excédent commercial demeure mais ne repose plus sur la faiblesse de la demande intérieure. Au contraire, au premier semestre 2006, les importations de matières premières, d'énergie et de biens d'équipement étaient toutes orientées à la hausse, mais cette augmentation a été compensée par un accroissement encore plus marqué des exportations.

De plus, la croissance chinoise est basée sur un taux d'investissement qui atteindra sans doute cette année un nouveau record, de l'ordre de 45 % du PIB.

Sachant que, pour favoriser en Chine l'avènement d'une « société de petite prospérité », l'objectif de Pékin est de doubler le PIB national d'ici à 2020, on comprend que la croissance économique chinoise suscite des inquiétudes.

Toutefois, selon les interlocuteurs de votre délégation, ces craintes doivent être relativisées :

- les données chiffrées doivent être rapportées au nombre d'habitants (1,3 milliard), soit 21 % de la population mondiale. De plus, le produit intérieur brut national, même s'il a connu une très forte augmentation, ne constitue que 4 % du PIB mondial. Quand bien même le produit intérieur brut chinois doublerait d'ici dix ou quinze ans, compte tenu du développement dans le même temps du PIB mondial, il ne représentera toujours que 5 % du total. Pour certains interlocuteurs de votre délégation : « la Chine sera toujours un pays en développement en 2020 » ;

- les niveaux de développement économique sont extrêmement inégaux d'une région à l'autre : « Pékin et Shanghai ont un fort niveau de développement, mais les villes et les villages de l'Est ressemblent à ceux de l'Afrique ». Cette inégale répartition des richesses fragilise considérablement la Chine d'un point de vue tant économique que politique. Ce problème a d'ailleurs été évoqué lors de la dernière réunion de l'Assemblée nationale populaire en mars 2006.

Seul le développement économique pourra réduire ces inégalités qui sont source potentielle d'instabilité.

La Chine doit, en effet, en priorité, préserver son développement économique. Les mécontentements liés aux inégalités de développement ne peuvent être contenus que dans un contexte de croissance économique ininterrompue, dont chacun espère profiter, même à un faible niveau. Une pause de la croissance pourrait conduire le pays vers une grave crise sociale.

La Chine doit également sécuriser et étendre ses accès aux marchés extérieurs et aux sources de matières premières. L'exemple de l'énergie est particulièrement frappant. La croissance chinoise s'accompagne en effet d'une forte augmentation de la demande d'énergie. Les industries de base composent l'essentiel de l'activité industrielle (ciment, sidérurgie, industries chimiques et métallurgiques, bâtiment, travaux publics, infrastructures de transport) et sont très consommatrices d'énergie. De plus, avec l'élévation du niveau de vie moyen, la Chine connaît une urbanisation croissante : en conséquence, les besoins énergétiques augmentent fortement (consommation des ménages, secteur des transports) et se tournent essentiellement vers les produits pétroliers et l'électricité.

Depuis 1993, les importations chinoises de pétrole et de produits raffinés vont croissant. En 2003, la consommation s'est élevée à 275 millions de tonnes, couverte à hauteur de 175 millions de tonnes par la production locale et de 100 millions de tonnes par l'importation, qui représente plus de 5 % des échanges internationaux de pétrole. Les réserves pétrolières du pays sont faibles (2,5 milliards de tonnes, soit 1,7 % des réserves mondiales).

Les importations pétrolières chinoises proviennent aujourd'hui, à 60 %, du Moyen-Orient. L'Arabie saoudite et l'Iran sont respectivement ses premier et deuxième fournisseurs en pétrole brut. Le souci de la Chine de diversifier ses sources d'approvisionnement constitue aujourd'hui un des principaux moteurs de rapprochement en direction de la Russie, de l'Asie centrale, et tout particulièrement de l'Afrique (Soudan, Nigeria, Angola, Gabon, Congo) ainsi que de l'Amérique latine (Venezuela). La stabilité de l'approvisionnement énergétique constitue donc une priorité de la diplomatie chinoise.

La dépendance énergétique de la Chine va également croître pour le gaz naturel que le Gouvernement privilégie par rapport au charbon (si la consommation de charbon doublait pendant la période 2001-2025, la Chine serait à l'origine d'un quart des émissions de gaz carbonique produites dans le monde...). Le Gouvernement chinois multiplie les efforts et les investissements pour les explorations de gaz naturel et son transport vers les métropoles du Sud et de la côte Est (construction d'un pipeline de 4 000 km de Xinjiang à Shanghaï). Mais au-delà de 2010, il ne sera sans doute plus possible de couvrir le besoin en recourant à la seule production nationale. De nombreux terminaux d'importation de gaz naturel liquéfié vont être construits. Les importations proviendront en premier lieu de la région asiatique et du Pacifique (Australie, Indonésie, Malaisie, Brunei, Timor-Oriental). La Chine aura vraisemblablement ensuite recours à la région du Golfe persique (Qatar, Iran, Oman) et à la Sibérie orientale.

Il apparaît clairement que les dirigeants chinois jugent indispensable d'assurer à terme la sécurité de leurs approvisionnements énergétiques dont l'interruption aurait des conséquences très perturbatrices sur l'économie, mais également sur la stabilité sociale et politique.

Cette contrainte énergétique qui ne peut que croître, n'est pas sans lien avec l'inquiétude suscitée par l'économie chinoise pour l'environnement : pays sans doute le plus pollué au monde, la Chine a vu ses émissions de dioxyde de souffre augmenter de 26 % en 5 ans ; la moitié des nappes phréatiques sont polluées ; 70 % des villes ne correspondent pas aux standards définis par l'OMS 2 ( * ) ... L'engagement international de la Chine sur les thèmes environnementaux sera vite l'une des grilles d'analyse de la capacité du pays à assumer ou non son ambition de puissance globale responsable.

2. ... expliquent l'ancrage stratégique de la Chine en Afrique et, dans une moindre mesure, en Amérique latine.

- une politique africaine volontariste

La politique chinoise en Afrique illustre cette quête de stabilité économique et énergétique.

Les interlocuteurs de votre délégation ont rappelé l'ancienneté des liens de la Chine avec les pays en développement. Ils ont fait valoir qu'en des temps moins prospères, il y a trente ou quarante ans, la Chine entretenait déjà de bonnes relations avec « ses amis pauvres d'Afrique ». Elle serait donc, aujourd'hui, plus apte que d'autres puissances à comprendre les aspirations des pays en développement dans le cadre d'une coopération sud-sud.

Cette coopération sert ses intérêts économiques en lui fournissant des matières premières et un marché pour ses exportations. La Chine achète et investit sur le continent africain dans les secteurs minier (premier acheteur de cuivre, notamment en Zambie), pétrolier (22 % des importations chinoises, essentiellement en provenance du Soudan, de l'Angola et du Nigeria) et gazier.

Le voyage du Président Hu Jintao en Afrique (Egypte, Gabon, puis Algérie), en janvier 2004, s'est inscrit dans cette volonté de diversification des fournisseurs en hydrocarbures. Pékin est désormais le troisième acheteur du pétrole gabonais. Le gisement de Zarzaïtine en Algérie devrait offrir à la Chine entre 1,3 et 2,5 millions de tonnes de pétrole par an. De plus, la China National Oil and Gas Exploration doit construire une raffinerie, dans le désert algérien, près d'Adrar (marché remporté au détriment de la société américaine Petrofac). La Chine est également présente au Congo Brazzaville (gisements offshore), a entrepris des recherches en Mauritanie et au Niger et envisage de débuter, en 2008, l'extraction de pétrole au Mali. En Libye, la Chine construit 528 km d'oléoducs et gazoducs et a pu, en contrepartie, importer 1,3 million de tonnes de pétrole en 2004.

Enfin, trois pays suscitent l'intérêt particulier de Pékin : le Soudan, le Nigeria et l'Angola.

Au Soudan, les Chinois ont construit un oléoduc de 1 500 km qui aboutit au terminal portuaire de Marsa-el-Bashair au bord de la Mer Rouge. En avril 2005, les Présidents chinois et nigérian ont signé un partenariat stratégique prévoyant plusieurs domaines de coopération économique et stratégiques.

En Angola, la compétition réunit la Chine, les Etats-Unis et l'Inde. Les sociétés américaines y sont présentes depuis plus de deux décennies et, aujourd'hui, 40 % du pétrole est exporté d'Angola aux Etats-Unis. Entre temps, la Chine est devenue un acteur majeur puisqu'elle achète le tiers de la production du pays. En octobre 2004, elle a obtenu le droit d'acquérir une participation de 50 % dans le gisement détenu auparavant par Shell, en échange d'une importante aide financière. A ce jour, une vingtaine de projets d'infrastructures sont en cours, dont la reconstruction de la ligne de chemin de fer reliant le port de Lobito à la frontière orientale du pays. En Angola, les préoccupations chinoises sont aussi d'obtenir des facilités navales. Des négociations avec Luanda ont pour but de permettre une escale régulière des bâtiments chinois à Benguela et Lobito.

En contrepartie, 60 % des exportations africaines de bois sont destinées à la Chine. Celle-ci, pour sa part, vend en Afrique des produits à des prix défiant toute concurrence, même si leur qualité demeure médiocre. Elle est ainsi devenue le deuxième exportateur en Afrique occidentale, juste derrière la France et devant les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

Le sommet Chine-Afrique, tenu à Pékin en novembre 2006, a couronné cette démarche volontariste de la Chine à l'égard du continent. Cette démarche, justifiée prioritairement par des considérations économiques et énergétiques, ne s'y limite cependant pas. La relation que la Chine propose à l'Afrique est celle d'un pays du « Sud » à d'autres nations du « Sud », marquant ainsi sa spécificité par rapport à l'assistance américaine ou européenne. Les pays concernés du Sud y voient symétriquement un argument politique et un « levier » utile dans leurs rapports avec les donateurs du Nord.

Cette stratégie économique se double aussi de motivations politiques.

Ainsi, l'aide apportée aux pays africains pour développer leurs infrastructures et les travaux financés, par des prêts très avantageux ou des dons, ont souvent pour contrepartie que les pays bénéficiaires reconnaissent la République populaire de Chine comme seul représentante du peuple chinois. Aucune aide n'est ainsi accordée aux pays qui maintiennent des relations diplomatiques avec Taïwan (Burkina Faso, Gambie, Malawi, Sao Tome et Principe, Swaziland).

Par ailleurs, Pékin n'hésite pas à développer des relations économiques et politiques avec des pays soumis à des sanctions internationales (cas du Soudan, du Zimbabwe). Elle propose ainsi une alternative à des aides occidentales soumises à une conditionnalité démocratique qu'elle n'invoque nulle part pour ce qui la concerne, et dont elle s'affranchit même ostensiblement.

- Une présence croissante en Amérique latine

Les efforts déployés pour développer ses relations politiques avec l'Amérique latine ont promu sensiblement les échanges économiques et commerciaux entre les deux parties. Le volume commercial bilatéral a atteint 26,806 milliards de USD en 2003, presque 20 % de plus qu'en 2002. La structure de l'import-export a été profondément modifiée, la proportion de produits finis industriels importés, comme machines-outils, machinerie lourde, camions et avions, ayant sensiblement augmenté. Les principaux produits d'Amérique latine exportés vers la Chine sont des produits miniers, le guano de poisson, du sucre brut, de la laine, la pâte à papier.

La Chine a signé des accords sur la coopération économique et technologique ou de coopération économique avec seize pays latino-américain, sur l'encouragement et la protection mutuelle de l'investissement avec onze pays et, en matière de double imposition, avec cinq pays. Elle a aussi établi un comité mixte scientifique et technologique avec le Brésil, le Mexique, le Chili, l'Argentine et Cuba.

Le champ de la coopération économique et technologique s'élargit des échanges commerciaux purs à l'assistance économique et à la coentreprise, dans les secteurs privilégiés que sont l'énergie, l'exploitation minière, la sylviculture, la pêche, le textile, la confection, le bâtiment et la transformation de produits alimentaires. Les projets d'investissement d'envergure de la Chine en Amérique latine sont ceux de minerai de fer au Pérou, d'extraction de pétrole au Venezuela et en Équateur, d'exploitation de minerai de fer et de production d'acier au Brésil et celui de textile au Mexique. L'Amérique latine a effectué des investissements dans de nombreux projets en Chine, dont le nombre total a atteint 9 000  en 2002, pour un montant total supérieur à 30 milliards de dollars.

3. ... et conduisent le pays à renforcer ses liens avec d'autres puissances d'Asie du Sud et avec la Russie

• La fonction stratégique, pour la Chine, de l'Inde et du Pakistan

La Chine et l'Inde sont des nations « émergentes jumelles ».

Les relations sino-indiennes illustrent bien le triple ressort de l'action internationale de la Chine : stabilité géopolitique, liens économiques, recherche de ressources nouvelles.

Les relations entre la Chine et l'Inde bénéficient d'une relative embellie. La Chine a entrepris un rapprochement « pragmatique » avec Delhi, favorisé par le retour aux affaires du parti du Congrès en Inde à la suite des élections législatives du printemps 2004. La visite du Premier ministre chinois, en avril 2005, a confirmé ce rapprochement, matérialisé par l'établissement d'un dialogue stratégique dont la deuxième session s'est tenue à Pékin en janvier 2006. Ce « partenariat stratégique pour la paix » a pour but de « refaçonner l'ordre mondial ».

La Chine et l'Inde procèdent également à une normalisation de leurs relations militaires. Des manoeuvres navales conjointes ont eu lieu dans l'Océan indien.

Sur le plan économique, les échanges commerciaux sino-indiens sont en forte croissance (+ 70 % en 2003, + 45 % en 2004). Leur volume a dépassé les 18 milliards de dollars en 2005. Un accord de libre échange et un accord de coopération économique sont en négociation. La complémentarité des deux économies a été maintes fois souligné par les deux parties (en Chine, le secteur industrie représentant 52,3 % du PIB et, en Inde, le secteur tertiaire représentant 50,8 % du PIB).

Dans le domaine énergétique, les deux pays se sont trouvés en compétition en Afrique, en Birmanie et au Kazakhstan. Mais lors de la visite à Pékin, en janvier 2006, du ministre de l'énergie indien, les deux pays ont signé un mémorandum d'entente portant sur un échange d'informations systématique entre sociétés chinoises et indiennes lors d'appels d'offres internationaux. La Chine n'a pas l'intention de chercher la confrontation avec l'Inde et estime plus productif d'adopter, face à Washington, une stratégie de coopération avec Delhi. Les deux pays pourraient ainsi investir conjointement en Asie et ailleurs dans le monde, en Afrique notamment. Les projets de gazoducs (Iran-Pakistan-Inde et/ou Turkménistan-Pakistan-Inde), en impliquant la Chine, pourraient également constituer un espace de coopération, mais l'Inde et la Chine ont des besoins si considérables en termes d'approvisionnement énergétique qu'elles seront encore longtemps concurrentes dans les principaux pays producteurs.

Certes, les deux nations sont politiquement rivales. Sur le plan régional, l'Inde a accepté avec réticence, en novembre 2005, l'attribution à la Chine du statut d'observateur à la SAARC ( South Asian Association for Regional Cooperation ) et a alors demandé que le Japon bénéficie du même statut. Cette attitude de l'Inde, qui obtenait en parallèle un statut d'observateur au sein de l'Organisation de Coopération de Shanghai, traduit une évidente méfiance à l'égard de l'influence croissante de la Chine en Asie du Sud.

Au plan international, le soutien de la Chine à la candidature de l'Inde à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies a été assez ambigu : Pékin avait alors marqué sa « compréhension » plutôt que son « soutien » à la demande indienne (déclaration conjointe d'avril 2005).

Enfin, la viabilité des rapprochements économiques sino-indiens est obérée par les incertitudes politiques. Le conflit indo-pakistanais et la présence en Inde du « Gouvernement tibétain en exil » demeurent deux pommes de discorde latentes.

Il semble toutefois que Pékin appelle de ses voeux une normalisation des relations avec l'Inde, comme d'ailleurs avec le Pakistan, qui permettrait, à ses yeux, de réduire le rôle des Etats-Unis dans ces deux pays, rôle que la Chine interprète comme une menace américaine d'encerclement.

• Avec le Pakistan, un partenariat particulièrement fort

Pour Islamabad, la Chine est une grande puissance à laquelle l'unit une forte proximité politique. Par ailleurs, le Pakistan peut tirer parti de sa situation stratégique, au carrefour de l'Asie du Sud, de l'Asie Centrale et du Moyen-Orient. Selon le Premier ministre Shaukat Aziz, des « corridors de coopération » seront instaurés à brève échéance.

Enfin la Chine est, là comme ailleurs, à la recherche de ressources énergétiques assurées et viables. Bien que le pipe-line Kazakhstan-Chine ait commencé à produire 60 % des provisions d'énergie de la Chine proviennent du Moyen-Orient et presque 80 % de son pétrole passe par le détroit de Malacca.

Le détroit de Malacca, l'une des plus importantes voies de navigation au monde, connaît un trafic équivalent à celui du canal de Suez. Il constitue l'une des principales voies de passage entre l'océan Indien et l'océan Pacifique, reliant quatre des pays les plus peuplés au monde : l'Inde, l'Indonésie, le Japon et la Chine. Plus de 50 000 navires l'empruntent chaque année et entre 20 et 25 % du transport maritime mondial y transite. La moitié du commerce maritime de pétrole utilise cette voie et le trafic est en constante augmentation, au rythme de la croissance économique chinoise.

Cette importante activité en a fait une zone privilégiée pour la piraterie et une cible potentielle du terrorisme. La piraterie y est devenue un problème majeur depuis une décennie. Les marines malaise, indonésienne et singapourienne ont augmenté leurs patrouilles à partir de juillet 2004. Un attentat terroriste pourrait, en coulant un navire de fort tonnage dans les hauts-fonds (seulement 25 m de profondeur au point le moins profond), bloquer le trafic. Un tel attentat aurait des conséquences catastrophiques sur le commerce mondial, en général, et les approvisionnements chinois, en particulier.

Il est donc vital pour la Chine de diversifier ses voies d'accès au trafic maritime. Elle a par conséquent impérativement besoin que le Pakistan lui fournisse des facilités de traversée pour ses importations et ses exportations, via les ports de Gwadar et Karachi et qu'il offre des facilités navales sur la côte du Baloutchistan pour se projeter dans la mer d'Oman à proximité du détroit d'Ormuz.

Afin de faciliter les approvisionnements énergétiques de la Chine, notamment en provenance du Moyen-Orient, il est prévu de restaurer et d'élargir l'axe routier du Karakorum qui relie la Chine de l'Ouest à Gwadar et de construire des pipelines reliant la Chine occidentale à ce port pakistanais. Pékin a entièrement pris à sa charge la réalisation de la première phase de construction du port en eau profonde de Gwadar et projette d'y édifier une très grande raffinerie. Ces infrastructures offriront à la Chine et à l'Asie centrale un accès précieux à la mer.

La Chine et le Pakistan envisagent de développer un partenariat de coopération stratégique resserrée, conformément aux stipulations du « Traité sino-pakistanais sur le Bon voisinage, l'Amitié et la Coopération », signé en avril 2005.

• La Russie

En renouvelant ses relations avec ce pays, la Chine entend préserver et élargir ses voies d'accès aux ressources énergétiques mais aussi de contenir l'influence américaine.

Les relations sino-russes se fondent sur le « partenariat stratégique pour le XXIè siècle » conclu en 1996, et sur le traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération signé en 2001.

Le contentieux frontalier a été apuré en 2004. Le partenariat a été renforcé par une déclaration conjointe sur « l'ordre international au XXIè siècle », adoptée lors de la visite en Russie du Président chinois en juillet 2005, et confirmé à l'occasion de la visite du Président Poutine à Pékin en mars 2006. Les relations entre les deux nations sont étroites et leurs points de vue sur les grands problèmes internationaux souvent convergents (Irak, Iran, Corée du nord).

Les deux pays s'accordent également pour essayer de limiter l'influence américaine en Asie centrale.

Par ailleurs, ils ont développé, dans le domaine militaire, un partenariat indispensable à la Chine, qui importe de Russie 80 % de son armement. Les deux pays ont mené des manoeuvres conjointes en 2005 et devraient renouveler cette opération en 2007 en y associant davantage les pays membres de l'Organisation de Shanghai.

Pour autant, le partenariat économique ne donne pas toute satisfaction aux deux pays.

Malgré une augmentation assez rapide du commerce bilatéral au cours des dernières années, le volume des échanges reste assez faible (avec 20 milliards de dollars en 2004, il est dix fois moins élevé que le total des échanges entre la Chine et les Etats-Unis), ce qui satisfait peu les Chinois.

Quant aux Russes, ils dénoncent le déséquilibre croissant dont souffrent ces relations économiques. La Russie n'entend pas voir son économie « colonisée » par un partenaire qui pillerait ses richesses naturelles et l'inonderait de ses marchandises. Cette réaction est typique de pays qui s'estiment aujourd'hui victimes de la « voracité » chinoise.

En revanche, le volet énergie est un élément très structurant de la relation sino-russe. La Russie a fortement augmenté ses livraisons de pétrole par voie ferrée (7,5 millions de tonnes en 2004, 15 millions en 2006). Afin d'accroître et de sécuriser ses approvisionnements en pétrole, la Chine souhaiterait, bien sûr, que l'oléoduc transsibérien aboutisse sur son territoire, ce que le Japon, pour des raisons identiques, refuse. Les Russes semblent s'orienter vers la solution d'un embranchement vers la Chine (Daqing) et d'une prolongation vers la côte pour le Japon.

En ce qui concerne la fourniture de gaz naturel, un M.O.U. (mémorandum d'entente), signé à l'occasion de la dernière visite du Président Poutine prévoit la construction de deux gazoducs d'une capacité de 30 à 40 milliards de m 3 . Toutefois, les Chinois souhaitent que le gaz leur soit facturé à un niveau bien inférieur à celui du marché, ce qui pose problème.

Enfin la relation sino-russe démontre aussi une forte proximité de positions sur les principaux dossiers traités au Conseil de sécurité. Il est ainsi notable de voir la Russie très « alignée » sur la Chine sur la question nord-coréenne, l'inverse étant perceptible pour le dossier du nucléaire iranien...

• Prévenir la déstabilisation en Asie centrale

Le problème initial de la Chine, avec les cinq ex-républiques soviétiques, à l'issue de la guerre froide, était essentiellement frontalier.

Aujourd'hui, la stratégie chinoise est animée à la fois par la volonté de prévenir une déstabilisation, liée à la montée de l'islamisme dans cette région, et à sa propagation éventuelle en Chine (Xinjiang), ainsi qu'au besoin de sécuriser et de développer ses approvisionnements énergétiques. C'est dans ce contexte que s'inscrit l'ouverture, en mai dernier, du pipeline Kazakhstan (Atasu)-Chine (Dushanzi), dont la capacité à pleine charge (à partir de 2011) sera de 20 millions de tonnes de brut par an, soit 15% des importations de pétrole chinois en 2005. D'ores et déjà, cet oléoduc permettra, dès cette année, une forte augmentation des approvisionnements chinois en pétrole en provenance du Kazakhstan (2005 : 1,3 million de tonnes, 2006 : 4,8 millions de tonnes). Si le plan de montée en charge est respecté, Almaty fournira environ 8 millions de tonnes de brut à la Chine en 2007 et en deviendra le 6 ème fournisseur. Ce développement intervient après une série de prises d'intérêt chinois dans le secteur pétrolier et gazier kazakhstanais (rachat de Petrokazakhstan, d'Aktobemunaigaz, gisement de North Buzachi). Par ailleurs, la Chine et l'Ouzbékistan coopèrent pour l'exploitation des champs pétrolifères de la vallée du Ferghana. Des projets communs d'hydroélectricité sont en cours au Tadjikistan et au Kirghizstan. Enfin, la visite du Président Niyazov, en avril dernier en Chine, a conduit à la conclusion d'un accord-cadre en matière de coopération gazière entre le Turkménistan et la Chine. Ce pays a exprimé sa volonté de vendre 3 milliards de m 3 de gaz par an à Pékin (la mise en oeuvre de ce projet prendra cependant sûrement plusieurs années, compte tenu de l'absence de structures de transport).

Cette coopération stratégico-économique s'inscrit dans le cadre de l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) dans laquelle l'implication chinoise va croissant. Cette organisation regroupe aujourd'hui la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. Son secrétariat permanent a été ouvert à Pékin en 2004, confirmant le poids de la Chine au sein de l'OCS. Aux yeux des dirigeants chinois, cette organisation joue un rôle essentiel dans la lutte contre une instabilité en Asie centrale qui ne pourrait que lui nuire, économiquement et politiquement, et qui se caractérise par quatre phénomènes :

- la concentration des trois maux -terrorisme, séparatisme, extrémisme-, susceptible d'alimenter les irrédentismes en Chine même (Xinjiang) ;

- le sous-développement économique de l'Asie centrale et des zones frontalières chinoises, source de déséquilibre, compte tenu des écarts de niveaux de vie avec la « Chine développée » ;

- la situation géographique de l'Asie centrale à la charnière des pays européens et du continent asiatique ;

- enfin les efforts d'infiltration de puissances extérieures à la région.

La Chine développe donc avec l'OCS une coopération militaire (manoeuvres conjointes en 2003), mais l'organisation a vu son rôle s'élargir au cours des dernières années, passant des questions de sécurité à une coopération en faveur du développement économique, « meilleure arme contre les menaces de terrorisme dans la région », selon les interlocuteurs de la délégation. Ainsi, si son commerce bilatéral avec cette zone reste modeste, la Chine a proposé, en 2003, la mise en place d'un espace de libre-échange entre les Etats membres. Toutefois, les obstacles persistent, du fait du manque d'infrastructures de transport et surtout, comme ailleurs, de la crainte des Etats d'Asie centrale de voir déferler les marchandises chinoises.

L'OCS est l'outil clé dont les Chinois entendent se servir pour leur politique en Asie centrale. A l'origine de la création du groupe de Shanghai, puis de sa transformation en OCS en juin 2001, la Chine a cherché, avec succès, à orienter les travaux de cette organisation vers les sujets qui comptent pour elle : coopération en matière de sécurité et questions économiques et commerciales. S'y ajoute depuis le sommet de juin 2006 à Shanghai une inflexion vers la constitution d'un bloc de nature politique, appuyé sur des « valeurs » communes.

En coopérant avec les pays d'Asie centrale, la Chine souhaite également contrer ce qu'elle perçoit comme un encerclement américain : en plus des traditionnelles places-fortes américaines en Asie de l'Est (Corée du Sud, Japon, Taïwan), la présence militaire américaine en Afghanistan et dans plusieurs pays d'Asie centrale (base au Kirghizstan, base de Karchi-Khanabad en Ouzbékistan jusqu'en 2005, droits de survol au Tadjikistan), ainsi que le rapprochement américain avec l'Inde, ont réveillé à Pékin la crainte de l'encerclement. Aussi la Chine cherche-t-elle aujourd'hui à desserrer cette emprise à ses frontières occidentales en tentant d'y renforcer ses propres positions politiques.

L'Asie centrale est devenue aujourd'hui « l'arrière-cour » de la diplomatie chinoise, qui va tenter d'y accroître son influence dans les années à venir, quitte à devoir affronter plus directement les intérêts américains et japonais. Le fait que Washington ait pris l'initiative de développer un dialogue spécifique avec la Chine sur l'Asie centrale confirme l'influence de Pékin dans cette région.

4. ... et à stabiliser son voisinage immédiat

Le souci de stabilité, économique et politique, qui sous-tend la stratégie chinoise s'exprime au niveau international mais aussi au niveau régional.

La quête de stabilité à ses frontières est une politique constante depuis que la Chine est entrée dans une phase de développement accéléré. Dans cette perspective, la Chine souhaite être perçue par les pays voisins comme une opportunité d'échanges et de développement, et non comme une menace. Enfin, cette stabilité est la base indispensable du développement des relations économiques régionales.

• Une relation particulière avec la Corée du Nord

Les relations entre Pékin et Pyongyang sont complexes et ne peuvent être réduites au rôle de médiateur de la Chine au sein du Groupe des Six dans la crise internationale déclenchée par le programme de missiles nucléaires nord-coréen.

Il existe en effet une paradoxale interdépendance géopolitique entre une Chine superpuissance et un petit pays isolé, et à l'économie exsangue, que la Chine contribue à maintenir « sous perfusion » par son aide économique. Certes, une alliance militaire unit les deux pays, (le traité d'amitié sino-nord-coréen de 1961 comporte une clause d'assistance en cas d'invasion), mais le principal souci de Pékin est d'éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la stabilité régionale, garante de la poursuite de son expansion économique. L'effondrement du régime de Pyongyang comporterait un risque considérable pour Pékin : afflux de réfugiés et surtout instabilité dans la région frontalière où vivent deux millions de Chinois d'origine coréenne, qui ne serait pas sans affecter l'essor économique des provinces du Nord-Est. Un tel évènement aurait aussi, aux yeux des responsables chinois, des répercussions géopolitiques plus larges encore.

Comme l'a relevé un expert : « le vide créé par l'effondrement du régime pourrait conduire la Chine à une confrontation avec les Etats-Unis : une Corée réunifiée signifierait en effet la présence à sa frontière des troupes américaines. La Chine souhaite établir un régime moins « erratique » à Pyongyang, mais elle sait que la crise nucléaire ne peut être résolue sans la prise en compte des demandes légitimes de sécurité de la République populaire démocratique de Chine. Pour Pékin, la stabilisation des réformes économiques lancées en 2002 suppose le maintien du régime pour gérer la transition 3 ( * ) ».

• Vers un apaisement de la difficile relation avec le Japon ?

Les interlocuteurs de la délégation sénatoriale ont évoqué leur préoccupation face à la dégradation des relations politiques avec le gouvernement japonais. « Nous ne souhaitons pas cette situation car on ne choisit pas ses voisins ». Or le Japon, troisième partenaire commercial de la Chine, est le plus stratégique. « L'amitié sino-japonaise n'est pas le plus important, les relations d'intérêt commun le sont, en revanche, et si les relations politiques étaient meilleures, les relations économiques seraient encore meilleures ».

Les responsables chinois font des tensions avec Tokyo une question de principe et de symbole. La Chine, avec plus de 35 millions de morts liées à l'invasion japonaise, a été la première victime de la Seconde guerre mondiale et la population chinoise a été profondément blessée par les visites de l'ancien Premier ministre japonais, M. Junichiro Koizumi, au sanctuaire de Yasukuni, où sont enterrés certains criminels de guerre. Quelques phrases peuvent être relevées : « Comment le Japon pourrait-il prétendre à jouer un rôle croissant sur la scène internationale s'il ne reconnaît pas les erreurs de son passé ? », « Toutes les politiques sont régionales et le Japon l'oublie, qui devrait d'abord se réconcilier avec ses voisins asiatiques, avec lesquels ses relations sont tendues ». « Un pays qui ne sait pas distinguer le juste de l'injuste n'a rien à faire au Conseil de Sécurité ».

Toutefois, selon les chercheurs de l'Université de Fudan rencontrés par votre délégation, les relations sino-japonaises sont « historiquement émotionnelles, politiquement froides, économiquement intenses ». De plus, les difficultés des relations politiques ne nuisent pas aux liens culturels et universitaires.

Certes, les relations sino-japonaises sont difficiles. La montée en puissance de la Chine inquiète la population japonaise. Inversement, les Chinois redoutent de voir le Japon acquérir une stature diplomatique à la mesure de sa puissance économique et n'acceptent pas que le Japon puisse accéder au statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.

La Chine et le Japon s'opposent sur plusieurs sujets : en premier lieu, sur la question nord-coréenne, où le Japon est strictement aligné sur l'intransigeance américaine.

La querelle sur la mémoire et l'interprétation de l'Histoire ensuite, qui s'envenime dans une région qui est loin d'avoir pansé les plaies ouvertes par la Seconde guerre mondiale. Elle est alimentée, par exemple, par l'agrément donné à un manuel japonais d'histoire, qualifié en Chine de « révisionniste » et par les visites régulières de l'ancien Premier ministre, M. Koizumi, au sanctuaire de Yasukuni.

Les extrémistes des deux pays tentent également de faire monter la tension en revendiquant la souveraineté sur les îles Diaoyu (en chinois) ou Senkaku (en japonais) ; les enjeux énergétiques aggravent enfin les conflits territoriaux (exploitations pétrolières concurrentes en mer de Chine orientale).

Certains éléments tempèrent cependant cette atmosphère de rivalité :

- d'une part, il est de l'intérêt de la Chine de rester disponible à une évolution même minimale de la position japonaise sur certains sujets sensibles afin de compenser l'alliance nippo-américaine. Cette attitude lui permettrait de contrebalancer l'influence des États-Unis tout en préservant la stabilité régionale ;

- d'autre part, les milieux d'affaires japonais qui, par exemple, plaident pour une exploitation conjointe des ressources énergétiques en mer de Chine orientale acceptent mal la dégradation des relations de leur pays avec la Chine. Les économies chinoise et japonaise sont de plus en plus interdépendantes. Ainsi, les exportations japonaises vers la Chine continentale se sont élevées à 73,8 milliards de dollars en 2004 et les importations en provenance de ce même pays (hors Hong Kong) ont atteint 94,2 milliards de dollars. Le Japon est le troisième partenaire commercial de la Chine.

Enfin, la nomination du nouveau Premier ministre japonais, M. Shinzo Abe, pourrait faire évoluer positivement les relations sino-japonaises. Certes, M. Abe a indiqué qu'il était erroné d'associer les visites de M. Koizumi à une légitimation du passé et n'a pas annoncé qu'il renoncerait à ses visites au sanctuaire. Toutefois, il a affirmé à plusieurs reprises que la porte du dialogue avec la Chine était ouverte, à condition que chacune des parties accepte de faire un effort. Il a souligné l'intérêt mutuel d'un approfondissement des échanges et déploré la suspension des rencontres à haut niveau « à cause d'un seul problème » en insistant sur la nécessité du dialogue pour dissiper les malentendus et expliquer les « vraies intentions du Japon ».

La Chine laisse pour sa part fréquemment entendre son souhait d'améliorer ses relations avec le Japon. Un changement d'attitude était perceptible depuis le printemps dernier : visite à Pékin de l'ancien Premier ministre Hashimoto et de sept groupes de la Diète japonaise ; modération relative de la réaction officielle chinoise à la suite de la dernière visite de M. Koizumi à Yasukuni, le 15 août 2006.

Leurs intérêts économiques incitent les deux pays à dépasser leur inimitié. La Chine a besoin des technologies japonaises et les Japonais souhaitent une coopération renforcée avec la Chine dans certains domaines (économies d'énergie, environnement...).

- Taïwan

La Chine, ainsi que l'ont rappelé à plusieurs reprises les interlocuteurs de la délégation, ne « veut pas la guerre dans le Détroit », où elle entend privilégier une situation de stabilité qui se résumerait dans la formule : « ni sécession, ni réunification ».

Le statu quo établi depuis plusieurs décennies entre Pékin et Taipei se résume ainsi : pour les Chinois, Taïwan, bien qu'autonome, n'est qu'une province de la Chine, pays unique et indivisible.

Les deux régions entretiennent une étroite coopération économique grâce au rapprochement de leurs populations des deux côtés du Détroit ; la République populaire de Chine fonde son rapport avec Taïwan sur la formule permettant au sein d'un même Etat, la cohabitation de deux systèmes politiques, l'un « communiste » et l'autre « libéral » (« Un pays, deux systèmes »).

Il ne faut pas négliger la relative fragilité de cet équilibre. Le dirigeant de Taïwan, Chen Shui-Bian, représentant d'un courant indépendantiste taïwanais, considère son pays comme une nation à part entière et estime qu'en cas de réunification, la Chine communiste ne garantirait pas le régime politique de l'île.

De leur côté, les dirigeants chinois ont clairement fait savoir qu'ils s'opposeraient, par tous les moyens, à une séparation officielle de Taïwan. L'Assemblée nationale populaire a d'ailleurs adopté, en mars 2005, une loi dite « anti-sécession » permettant de recourir à des « moyens non pacifiques » pour empêcher tout séparatisme. En réponse, Taipei a obtenu que soit révisé le Taïwan Relations Act afin de donner un cadre légal à une intervention américaine en cas d'attaque de l'île.

Un scénario d'affrontement armé est cependant improbable.

Structurellement, les populations du continent et de l'île progressent sur la voie du rapprochement social et économique. Des deux côtés du Détroit vivent fréquemment des membres d'une même famille. Des vols directs leur permettent depuis peu de se retrouver pour le nouvel an lunaire. Ces vols ont maintenant été étendus pour trois autres fêtes traditionnelles chinoises, extension qui a été très bien accueillie.

Près de 10 000 hommes d'affaires Taïwanais ont par ailleurs investi sur l'autre rive du détroit et ils constituent l'un des plus puissants lobbies en faveur d'un rapprochement avec Pékin. Des relations stables avec leur puissant voisin sécuriseraient leurs investissements, estimés à près de 100 milliards de dollars. Par ailleurs, la Chine continentale, premier client de Taïwan, absorbe près des trois quarts de ses exportations. C'est un lien dont Taïwan ne peut s'affranchir, sous peine de ruiner son économie.

La Chine a moins besoin d'une réunification politique difficile à réaliser que d'une stabilisation de ses liens économiques et sociaux et d'une préservation d'une « victoire sans combat » déjà considérée comme acquise.

• Une coopération régionale en plein essor

Ayant adapté son rôle politique à son poids économique, la Chine s'affirme désormais comme un partenaire politique central pour le développement de la coopération régionale.

Bien que toujours réticente pour aborder les questions de sécurité traditionnelle en dehors du cadre de ses relations bilatérales, la Chine est consciente de la nécessité de confirmer son rôle régional et ainsi contrer la rhétorique de la « menace » chinoise souvent mise en avant par les Etats-Unis ou le Japon, et contrebalancer leur influence dans cette zone.

Les objectifs de la politique étrangère chinoise dans la région sont aussi de prévenir un isolement par encerclement diplomatique. Pékin multiplie en conséquence les initiatives qui permettent d'instaurer un climat de confiance dans les enceintes multilatérales régionales, auxquelles elle s'est progressivement intégrée au cours des quinze dernières années : ASEAN + 1 (la Chine) ; le Forum sur la coopération économique en Asie-Pacifique (APEC), en 1991 ; le Forum régional de l'ASEAN, en 1994 ; l'ASEAN + 3 (Chine, Japon, Corée du sud), en 2000.

Plus récemment, la Chine a proposé la constitution d'une zone de libre-échange Chine-ASEAN à l'horizon 2010-2015. Des négociations ont été annoncées lors du sommet de l'ASEAN + 3 à Vientiane (novembre 2004) et soulignent l'imbrication des intérêts économiques et politiques de la Chine dans cette zone où elle tend à supplanter commercialement les Etats-Unis.

La Chine est désormais considérée dans la région asiatique comme une opportunité d'échanges et de développement alors qu'elle inquiétait encore, à la fin de la dernière décennie, notamment du fait de ses avancées stratégiques en mer de Chine méridionale. Mais en fondant leur démarche sur les trois principales clés de la stabilité, la croissance et la réforme, les dirigeants chinois ont offert à leurs interlocuteurs des éléments rassurants.

B. AGIR ET PESER DE PLUS EN PLUS DANS LE CADRE DU SYSTÈME MULTILATÉRAL DE GESTION DES PRINCIPALES CRISES INTERNATIONALES

La Chine place au premier rang de ses priorités la reconnaissance de son intégrité nationale et de sa souveraineté. Ayant longtemps subi la domination des puissances étrangères sur son sol, qui s'est prolongée jusqu'à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, elle est donc particulièrement sensible à la reconnaissance, par la communauté internationale, de son statut de puissance indépendante.

C'est aussi ce besoin de reconnaissance qui explique les demandes répétées de levée de l'embargo européen sur les armes à destination de la Chine. La levée de cet embargo n'aurait pas de facto de conséquence notable dans le domaine des ventes de matériel militaire. La contrainte de l'embargo n'est pas très forte, car ce dispositif n'interdit pas de vendre des armes non létales et autorise donc la vente de composites technologiques très performants. Toutefois, la Chine accorde une importance symbolique majeure à la levée de cet embargo qui la consacrerait comme puissance internationale responsable à part entière.

Cela explique enfin le souci de la Chine de s'affirmer comme une puissance globale et comme un interlocuteur incontournable. Sans rompre avec la ligne fixée par Deng Xiaoping à la fin des années 80, « cacher ses talents en attendant son heure », elle fait de plus en plus entendre sa voix pour promouvoir sa propre vision des relations internationales.

C'est dans ce souci de reconnaissance de son statut de puissance mondiale, de puissance responsable, que la Chine s'attache à s'impliquer activement dans la gestion des crises internationales, en particulier par son action mesurée et responsable au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. Elle le démontre dans la gestion du nucléaire iranien ou du dossier nord-coréen, mais aussi par un engagement accru dans les opérations de maintien de la paix, en particulier en Afrique.

1. Une implication prudente dans la crise du nucléaire iranien

Selon les interlocuteurs de la délégation sénatoriale, la Chine préconise « sang-froid et attitude constructive », assortis de « persévérance et souplesse » dans la gestion d'un dossier où les efforts européens sont salués et encouragés. Il ne faudrait perdre « ni patience, ni confiance ». La Chine estime que l'Iran a le droit d'utiliser l'énergie nucléaire à des fins exclusivement pacifiques dans le cadre de ses obligations découlant du TNP ; elle accorde la plus grande importance au « maintien de l'efficacité de l'outil international de non-prolifération ».

La déclaration finale de la 6 ème rencontre entre l'Asie et l'Europe (ASEM, septembre 2006) presse l'Iran d'appliquer la résolution 1696 du Conseil de sécurité qui lui intime l'arrêt des opérations d'enrichissement.

La politique chinoise à l'égard de l'Iran et son attitude au sein du Conseil de sécurité des Nations unies illustrent toutefois l'ambiguïté de cette stratégie : la Chine ne peut se désolidariser des positions prises jusqu'à présent par le Conseil de sécurité, mais il lui serait toutefois difficile de participer à des « sanctions » qui ne seraient pas strictement ciblées, compte tenu notamment de ses liens énergétiques avec l'Iran, qui représente à peu près 15 % de ses importations de pétrole.

2. Un rôle de premier plan dans la crise nord-coréenne

La Chine joue une carte essentielle en qualité de principal acteur régional autour d'une question d'ampleur internationale : la politique nucléaire suivie par la Corée du Nord.

Depuis 1976, ce pays a conduit des programmes balistiques fondés sur la technologie des missiles Scud et a, depuis 1990, entrepris de coopérer avec l'Iran, le Pakistan et, dans une moindre mesure, la Syrie. Ces programmes ont abouti à l'apparition d'un nouveau missile dans l'arsenal nord-coréen, d'une portée de 2 500 à 3 000 km.

La politique de la Chine à l'égard de ce problème a évolué. En 1993, les dirigeants chinois souhaitaient explicitement éviter toute ingérence dans les « affaires intérieures » d'un autre Etat. Mais, dix ans plus tard, ils optaient, sur pression américaine, mais aussi par opportunisme régional, pour une stratégie nouvelle et plus exposée, en choisissant d'être les artisans du dialogue entre Washington et Pyongyang et de favoriser le cadre des réunions à six 4 ( * ) . La participation de la Chine à ces négociations se veut un gage de sa responsabilité internationale. Pékin, grâce à ses liens privilégiés avec le régime de Pyongyang joue un rôle central de médiateur dans les tentatives de règlement de la crise nucléaire nord coréenne, comme l'atteste la visite du Président Hu Jintao en République populaire de Chine, en octobre 2005, et la visite du président nord-coréen Kim Jong-Il en Chine en janvier 2006.

La déclaration conjointe du Groupe des Six du 19 septembre 2005 avait constitué un succès diplomatique pour la Chine : la Corée du Nord s'y engageait à renoncer à ses armes et programmes nucléaires existants et à rejoindre le traité de non-prolifération ainsi que le régime de garantie de l'AIEA. Ce texte contenait également des assurances de sécurité de la part des autorités américaines et des perspectives de coopération dans le domaine économique et énergétique.

Ainsi, la diplomatie chinoise, à l'origine du texte de la Déclaration conjointe, avait réussi à y faire figurer les « lignes rouges » des Etats-Unis comme celles de la Corée du Nord.

Toutefois, la Corée du Nord a annoncé qu'elle conditionnait la reprise des discussions à l'abandon des sanctions américaines prises à l'encontre des sociétés nord-coréennes, accusées de contrefaçon monétaire, de blanchiment d'argent et inscrites sur la liste des entités visées par l'executive order du 28 juin 2005 sur la répression du financement de la prolifération des armes de destruction massive.

La Chine n'a pas pu faire évoluer cette position lors de la visite de Kim Jong-Il à Pékin début 2006, consciente de ce que la reprise de pourparlers à Six se heurte à la méfiance réciproque profonde entre Washington et PyongYang, qui ne saurait se dissiper rapidement. Toutefois, elle reste patiente et déterminée, jugeant que le dialogue à Six constitue le seul cadre possible pour faire progresser durablement le dossier.

La Chine, membre permanent du Conseil de sécurité le plus proche de PyongYang, a condamné sans équivoque l'essai nucléaire du 9 octobre 2006 et la résolution 1718 du Conseil, en date du 14 octobre 2006, a imposé à PyongYang un embargo sur les matériels liés à la technologie nucléaire ou à celle des missiles, ainsi que sur les armes et matériels connexes. A la fin du mois d'octobre 2006, la Corée du Nord a finalement proposé de reprendre les négociations à six, traduisant malgré tout la forte influence de la Chine sur son turbulent voisin qu'elle n'avait pu empêcher d'effectuer cet essai et qu'elle a ressenti comme un échec et un affront.

3. La Chine et les opérations de maintien de la paix

Plus largement, la Chine développe son implication dans le système multilatéral de maintien de la paix et dans les opérations qui en résultent. Ainsi, au cours des dernières années, la Chine a participé, en Afrique, à 12 opérations de maintien de la paix et y a envoyé quelque 3.000 hommes. A partir de 2003, la Chine a envoyé des unités non militaires en République Démocratique du Congo, au Libéria et au Soudan. En 2006, c'étaient encore près de 1.280 militaires chinois qui étaient déployés dans les opérations de maintien de la paix en Afrique. Cette implication doit être saluée mais il est symptomatique des limites politiques que la Chine met à son action qu'elle se soit abstenue d'user de son influence pour faire évoluer l'opposition du président soudanais au déploiement d'une véritable force d'interposition humanitaire de l'ONU au Darfour.

La Chine ne limite pas cette participation à l'Afrique : elle a annoncé la participation de 1.000 hommes à la FINUL II au Liban et s'est aussi engagée en Haïti.

C. AVEC LES PUISSANCES OCCIDENTALES, ETATS-UNIS ET UNION EUROPÉENNE : CONCILIER COMPÉTITION ET COOPÉRATION

1. Le caractère central de la relation Chine-Etats-Unis détermine une grande part de la stratégie chinoise

Pour la Chine, les Etats-Unis sont pour l'heure la seule véritable puissance mondiale à prendre en compte. Les Etats-Unis accordent également de leur côté, une importance stratégique à leurs relations avec Pékin.

Les deux pays entretiennent des relations ambiguës caractérisées par la compétition et le pragmatisme.

Les Etats-Unis et la Chine sont les moteurs de la croissance mondiale. Leurs performances économiques, qui devraient vraisemblablement se confirmer, ont pour conséquence d'opposer deux géants économiques concurrents, mais aussi d'accroître leur imbrication commerciale et financière.

Les Etats-Unis conçoivent quelques inquiétudes face à certaines données : en 2005, le déficit commercial bilatéral avec la Chine a dépassé les 200 milliards de dollars sur un total de 725 milliards de dollars. Par ailleurs, la Chine finance le tiers du déficit américain par le placement de ses réserves de changes en bons du Trésor américain. Les réserves de change chinoises ne cessent d'augmenter et ont représenté, en 2005, plus de 10 % du PNB.

Les autorités chinoises ont toutefois accepté, en 2005, de réévaluer le renmibi de + 2,1 % par rapport à la monnaie américaine, passant ainsi du système de parité fixe, établi en 1994, à un système de change administré.

Une autre source d'inquiétude américaine est la politique d'approvisionnement énergétique chinoise. En Afrique, la concurrence entre les Etats-Unis et la Chine (ainsi que l'Inde) est patente. Mais l'événement qui a provoqué la plus vive tension a été l'initiative chinoise visant à acquérir, par l'intermédiaire de la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), l'entreprise américaine Unocal Corporation. L'OPA chinoise a échoué mais son aspect symbolique a cristallisé les craintes américaines au sujet de la Chine.

Pour celle-ci, les relations avec ce qu'elle considère comme la « seule super puissance mondiale » revêtent une importance clé. Selon les interlocuteurs de la délégation, Pékin voudrait instaurer une relation de « coopération constructive à long terme avec les Etats-Unis, favorable au développement économique et à la réalisation des objectifs chinois ». Toutefois, ses efforts à l'égard de son principal partenaire se sont limités à une réévaluation monétaire et à un respect plus strict des obligations contractées au plan commercial, après son accession à l'Organisation Mondiale du Commerce.

Si, dans le domaine économique, le partenariat entre les Etats-Unis et la Chine est incontournable, il n'en va pas de même dans le domaine géostratégique où la concurrence, voire la rivalité, demeure.

Les Etats-Unis et la Chine se trouvent en effet en situation de rivalité en Asie de l'Est.

Comme l'indiquait l'adjoint de Mme Condoleeza Rice, M. Robert Zoellick : « les préoccupations américaines à l'égard de la Chine ne pourraient manquer de croître si la Chine manoeuvrait pour atteindre une position prééminente en Asie de l'Est . »

Dans cette partie du monde, les alliances et les rapports de forces évoluent. L'influence américaine y demeure sans doute prédominante mais se heurte à celle de la Chine, notamment au sujet de Taïwan et du Japon.

Taïwan, principal obstacle à la mise en place d'un partenariat stratégique entre les Etats-Unis et la Chine, a établi des relations particulières avec celle-ci (séparation des prises de position politiques et des rapprochements économiques et familiaux). L'île demeure néanmoins sous parapluie américain. En conséquence, tout en insistant pour que la question taïwanaise reste une affaire intérieure, Pékin a placé Washington au centre de sa stratégie de pression pour dissuader les dirigeants taïwanais de poursuivre une politique d'affirmation de l'indépendance de l'île par des moyens juridiques. Quant aux Etats-Unis, ils ont marqué leur opposition à l'indépendance de l'île, mais ont « regretté » l'adoption de la loi « anti-sécession » votée à Pékin le 14 mars 2006 et réaffirmé leur volonté de maintenir les capacités de défense de Taïwan dans le cadre du Taïwan Relation Act du Congrès. La situation est donc très ambiguë.

En ce qui concerne le Japon, le renforcement de l'axe Washington-Tokyo est perçu, à Pékin, comme un contre-feu préventif à l'encontre d'une influence régionale chinoise croissante. Cependant, la Chine et le Japon, malgré une rhétorique parfois agressive ou des manifestations de tension politique, privilégient l'intensité croissante de leurs liens économiques. Dans le cas du Japon comme dans celui de Taïwan, la Chine se satisfait d'un statu quo qui garantit ses progrès économiques.

Ces exemples illustrent le délicat équilibre auquel tend la politique extérieure chinoise en Asie de l'Est : pour se voir reconnaître son statut de grande puissance, la Chine doit pouvoir convaincre tous les pays, y compris les Etats-Unis, de sa capacité à soutenir un éventuel conflit régional, tout en donnant une image positive afin de créer un climat propice à son développement économique et commercial.

En ce qui concerne les rapports à plus long terme de la Chine et des Etats-Unis, les interlocuteurs de la délégation ont fait valoir que les deux puissances peuvent coexister et s'entendre. Du côté des analystes américains, comme l'avait écrit Henry Kissinger, conclure que l'émergence de la Chine aboutira inévitablement à une confrontation est une hypothèse « aussi dangereuse que fausse » 5 ( * ) . Toutefois, on peut s'inquiéter du manque de clarté de la position américaine qui évolue entre « Engagement or Containment »  à l'égard de la Chine.

En 2006, après la visite du président Hu Jintao à Washington et la reprise du dialogue de haut niveau, la relation Chine-Etats-Unis a démontré sa solidité. Les facteurs de tension demeurent -négociations commerciales, Taïwan, droits de l'homme- mais l'ambiguïté stratégique longtemps suivie par les Etats-Unis -que choisir entre l'endiguement de la Chine ou l'engagement vers un partenariat ?- semble mûrir sur cette dernière voie, plus constructive, en faveur des intérêts à long terme des deux partenaires et, plus généralement, au bénéfice de la stabilité mondiale.

2. Avec l'Union européenne : une relation en mode mineur

L'Union européenne et la Chine ont engagé un dialogue, sur les droits de l'homme, en 1995. Interrompu en 1996, seule année où la motion de non-action chinoise fut mise en échec, il a été repris en 1997, après que l'Union européenne, à l'initiative de la France et de quelques partenaires, eût renoncé à présenter un texte à la Commission des Droits de l'Homme.

Les priorités de l'Union européenne en ce domaine portent sur la ratification par la Chine de la Convention des Nations unies sur les droits civils et politiques ; sur la libération des prisonniers de 1989 toujours détenus ; sur la réforme du système de rééducation par le travail.

Le dialogue Union européenne-Chine sur les droits de l'homme s'organise de façon régulière à l'occasion de sessions biannuelles complétées par des programmes de coopération technique visant à améliorer la situation dans des domaines concrets.

La dernière session a eu pour thème la liberté d'expression en Chine en liaison avec la question de la ratification, par les autorités chinoise, de la Convention des Nations unies sur les droits civils et politiques.

Les évaluations régulières effectuées au sein de l'Union européenne font état de progrès dans certains domaines mais les résultats demeurent bien en deçà des attentes européennes.

Par ailleurs le dossier de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine progresse peu. Plusieurs facteurs empêchent de parvenir à un consensus européen : la pression croissante des Etats-Unis, notamment sur les nouveaux Etats membres ; l'adoption de la loi « anti-sécession » par la Chine ; l'absence, relevée par plusieurs Etats membres (conseils européens de juin 2005 et décembre 2005) de progrès notables en faveur des droits de l'homme en Chine.

Toutefois, lors du sommet Union européenne-Chine de septembre 2005, les Européens ont réaffirmé, à la demande des Chinois « leur volonté de continuer à oeuvrer en vue de la levée de l'embargo » . Le Conseil européen a établi un lien entre, d'une part, l'adoption du code de conduite européen et de la « boîte à outils » (dispositif spécifique pour les pays en sortie d'embargo) et, d'autre part, la levée de l'embargo à l'égard de la Chine.

La levée de cet embargo, soutenue par la France et par l'Italie, n'est pas acquise. Deux points ont été soulignés par les interlocuteurs de la délégation : d'abord cet embargo est plus symbolique que pratique. En effet, il concerne les armes létales, mais n'empêche pas l'exportation de dispositifs technologiques sophistiqués intégrables dans toutes sortes d'armement. Or, c'est précisément ce caractère symbolique qui préoccupe les autorités chinoises, ainsi que cela a été indiqué précédemment. Ce sujet s'inscrit dans le souci de reconnaissance internationale de leur pays. Pour les responsables chinois, la levée de l'embargo s'analyserait essentiellement comme la disparition d'une discrimination dont leur pays souffrirait.

• La reconnaissance du statut d'économie de marché

La France considère comme légitime la demande de la Chine de voir reconnaître ce statut à son système économique, compte tenu des progrès de la transition économique chinoise. La conclusion de ce dossier dépend toutefois des discussions engagées avec la Commission européenne, seule compétente en ce domaine. Celle-ci a fait valoir, lors de la réunion ministérielle Union européenne-Chine de février 2005, que la Chine ne remplissait pas toutes les conditions nécessaires à cette reconnaissance. Le groupe de haut niveau, créé lors du 8 ème sommet Union européenne-Chine, a tenu une première réunion exploratoire, à Pékin fin mars 2006 : le sujet n'a pas avancé et aucun calendrier n'a été fixé, ce que la Chine accepte mal.

La Chine conditionne implicitement la conclusion d'un nouvel accord-cadre de coopération et de partenariat avec l'Union européenne à la solution positive tant de la question de l'embargo que de celle de la reconnaissance de son statut d'économie de marché. Elle souhaiterait dans un premier temps réviser le seul accord commercial et de coopération de 1985, et remettre à plus tard un accord global.

L'Union européenne, quant à elle, refuse une négociation en deux temps sur les aspects d'abord commerciaux et, ensuite, politiques : pour elle, les deux sujets doivent être liés dans le cadre d'un accord global mixte.

Mais l'Union européenne n'est pas considérée par la Chine comme son partenaire essentiel. Les Etats-Unis restent, pour la Chine, le partenaire prioritaire et le partenariat Union européenne-Chine pâtit des difficultés inhérentes à l'élaboration d'une politique étrangère et de sécurité commune, notamment les divergences d'intérêts entre la Commission et les Etats membres. L'absence de politique étrangère européenne intégrée pose à Pékin le problème de la crédibilité d'un partenariat avec l'Union européenne.

Pourtant l'évolution de la relation euro-chinoise peut se fonder sur une base solide de relations politiques, économiques et scientifiques.

L'Union européenne et la Chine ont célébré le trentième anniversaire de l'établissement de leurs relations diplomatiques en mai 2005 ; « le partenariat global », établi entre l'Union européenne et la Chine en 1998, évolue vers un « partenariat stratégique » depuis 2003. Le 8 ème sommet Union européenne-Chine a eu lieu en septembre 2005 à Pékin et a permis d'engager des négociations concernant la signature d'un nouvel accord cadre contenant des clauses dites de « troisième génération » (droits de l'homme, terrorisme, migration).

En termes économiques, les difficultés ne doivent pas être sous-évaluées, au vu du déficit commercial de l'Union européenne ou des contentieux sur le textile et la chaussure, par exemple. Mais les liens demeurent toutefois solides : l'Union européenne est devenue, en 2004, le premier partenaire commercial de la Chine et le montant du commerce bilatéral s'est élevé, cette année-là, à 177,3 milliards d'euros. La Chine est, depuis 2002, le 2 ème partenaire commercial de l'Union européenne après les Etats-Unis.

Les relations scientifiques et technologiques progressent. Le sommet euro-chinois de septembre 2005 a été marqué par l'instauration d'un « partenariat » sur le changement climatique, avec l'adoption d'une déclaration conjointe dans ce domaine. Les deux parties se sont engagées à renforcer leur collaboration dans le domaine des sciences et de la technologie et leurs échanges dans le domaine de l'éducation (programme Erasmus-Mundus, forum Union européenne-Chine sur l'enseignement supérieur en 2005). Par ailleurs, l'appui de la Chine au projet européen Iter de réacteur à fusion thermonucléaire et les perspectives relatives à l'entrée de la Chine dans le programme Galiléo de positionnement et navigation par satellite soulignent l'intérêt de la Chine pour la coopération scientifique avec l'Europe. Dans le domaine spatial, les interlocuteurs de la délégation ont également souligné le manque de moyens du programme satellitaire chinois, lancé à très bas coût, ainsi que les impasses de la coopération avec les Etats-Unis. Ils ont salué la qualité de la coopération menée avec l'Agence spatiale européenne et ont souhaité qu'elle se renforce.

Les interlocuteurs de la délégation ont également souhaité voir se renforcer les liens de collaboration avec l'Union européenne dans le domaine de « l'environnement, des sciences et des technologies ».

Le 6 ème sommet du forum du dialogue entre l'Europe et l'Asie (ASEM) a réuni, les 9 et 10 septembre 2006, 13 pays asiatiques et les Etats membres de l'Union européenne. A cette occasion, Mme Ferrero-Waldner, commissaire européenne chargée des relations extérieures, a déclaré : « nous voulons un partenariat stratégique avec la Chine, nous voulons vraiment travailler avec la Chine, car nous sommes deux géants sur la scène internationale. La Chine est un partenaire très précieux pour nous et l'émergence de la Chine est absolument une grande opportunité pour l'Europe ».

Lors de cette rencontre, le Premier ministre chinois et le Président de la Commission européenne se sont engagés à approfondir le partenariat stratégique entre la Chine et l'Union européenne et décidé de lancer les négociations sur un nouvel accord de partenariat destiné à remplacer l'accord de 1985 tout en élargissant sa portée.

Toutefois, cet optimisme doit être nuancé. Du côté européen, en effet, la levée de l'embargo sur les ventes d'armes n'est toujours pas à l'ordre du jour ; quant à la reconnaissance du statut d'économie de marché à la Chine, la Commission européenne a indiqué qu'il s'agissait d'une question « technique » et que la « clé pour que Bruxelles reconnaisse ce statut » était de « répondre aux critères présentés par les Européens ».

Du côté chinois, le Premier ministre, M. Wen Jiabao, a évoqué la nécessité d'une coopération intensifiée pour un développement économique mondial équilibré et a principalement axé son intervention sur le besoin de sécurité et de stabilité énergétique, remarquant que les querelles géopolitiques ne devraient pas bloquer l'approvisionnement mondial en énergie.

Ce dialogue cordial ne débouche pas sur des avancées réellement satisfaisantes. Si l'Union européenne ne veut pas être évincée au profit des Etats-Unis, elle doit impérativement et unanimement privilégier une vision plus politique que technocratique de la relation euro-chinoise.

Si l'Union européenne n'exprime pas une vision politique commune et cohérente, elle y perdra en crédibilité à l'égard d'un pays, dont les liens avec elle ne pourront égaler ceux qui l'unissent à Washington car, vu de Pélin, ils n'apparaissent que comme la somme des relations bilatérales qui lient la Chine à chaque pays européen.

3. La relation franco-chinoise

La reconnaissance française de la Chine populaire, le 27 janvier 1964, a constitué le point de départ des relations officielles entre la République populaire de Chine et la France. Si les événements du printemps de Pékin et la décision de la France de vendre des équipements militaires à Taipei ont constitué, à la fin des années 80, un frein au dialogue entre les deux pays, le communiqué commun des deux Etats de janvier 1994 avait permis sa normalisation. Trois ans plus tard, la « déclaration conjointe pour un partenariat global », signée à Pékin le 16 mai 1997, a ouvert un nouveau chapitre des relations bilatérales. La visite d'Etat du Président Hu Jintao en janvier 2004, à l'occasion du 40 ème anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, et la signature d'une nouvelle déclaration conjointe ont confirmé la volonté de la France et la Chine de franchir une étape supplémentaire dans leur coopération. Reprenant les acquis de 1997, cette nouvelle déclaration a pour objectif d'« approfondir le partenariat global stratégique franco-chinois pour promouvoir un monde plus sûr, plus respectueux de sa diversité et plus solidaire ».

La France doit développer avec la Chine des relations bilatérales approfondies, capables de structurer le dialogue euro-chinois.

Le socle de ces relations bilatérales peut être technologique et économique, dans les secteurs aéronautique, spatial, ferroviaire, ainsi que dans le domaine de l'énergie nucléaire civile ou les télécommunications. Il peut également être culturel via les échanges universitaires, l'accueil d'étudiants, les manifestations dans les centres culturels, l'aide à l'apprentissage des langues, l'action de l'Alliance française...

Parallèlement, les relations franco-chinoises doivent continuer à se développer dans le cadre d'un dialogue stratégique franco-chinois établi depuis plusieurs années. Sa sixième session s'est tenue, les 15 et 16 mai 2006 et a confirmé l'intérêt de tels échanges dans le contexte international actuel (Iran, Corée du Nord, etc...) Elle a aussi souligné la nécessité d'avancées concrètes et opérationnelles : la coopération militaire (réunion annuelle d'état-major, approfondissement des liens de confiance à l'occasion d'échange de personnels notamment lors de séminaires de haut niveau, tels que ceux de l'IHEDN), la tenue de groupes thématiques (non prolifération, situation de l'Afrique).

Les interlocuteurs de la délégation sénatoriale ont indiqué que, sur les deux problèmes clés (statut d'économie de marché et maintien de l'embargo européen sur les armes), Pékin considérait Paris comme « son ami fiable » et espérait que la France continuerait à jouer son rôle d'impulsion.

Les relations franco-chinoises peuvent être le moteur du rapprochement sino-européen. Notre pays doit agir dans ce sens tout en invitant les Chinois à faire preuve de la souplesse nécessaire afin de ne pas donner d'arguments à ceux de nos partenaires européens qui se satisfont pleinement d'un statu quo de la relation bilatérale.

II. LES ATOUTS ET LES LIMITES INTERNES DE LA PUISSANCE INTERNATIONALE CHINOISE

A. UN OUTIL MILITAIRE EN MUTATION

1. L'armée populaire de libération (APL)

Issue de l'armée rouge destinée à lutter contre le Japon dans les années 30, l'APL est devenue une armée de guérilla pendant les années 40. Puis, pendant la guerre froide, est née l'idée que chaque Chinois devait savoir se défendre (« Le paysan-soldat »). Cette doctrine reposait sur le recours à de très nombreux effectifs, peu entraînés, et à une technologie assez rudimentaire (jusqu'à ce que la Chine se dote de l'arme nucléaire en 1964). Progressivement, le fossé technologique avec l'Occident comme le retard doctrinal et le manque de formation des troupes sont devenus évidents.

Aujourd'hui, la doctrine militaire chinoise repose sur des scénarios de guerres locales et limitées, sur l'utilisation de technologies de pointe et sur le développement de capacités de projection essentiellement aériennes et maritimes.

Le dernier livre blanc sur la défense nationale expose que « en tant que grand pays en développement, la Chine a devant elle une tâche ardue de modernisation qui demande de travailler avec ténacité dans la durée ».

Le but est de pouvoir compter sur des forces armées professionnalisées, bien formées, bien équipées et capables d'intervenir sur des théâtres extérieurs proches pour défendre les intérêts nationaux.

Aujourd'hui, l'APL, dont les effectifs sont passés de 5 500 000 à 2.300 000 6 ( * ) , repose sur quatre composants :

- l'armée de terre, pilier traditionnel des forces chinoises, compte 1,6 million d'hommes. Ses effectifs sont nombreux, mais sa formation et son équipement sont obsolètes. Elle a cependant développé ses capacités de projection et de combat aéroterrestre (création d'un corps de réaction rapide) ;

- l'armée de l'air a réduit ses effectifs et modernisé sa flotte. Sa mission est d'assurer la défense anti-aérienne au-dessus du territoire en liaison avec l'armée de terre, mais aussi de développer des capacités de projection sur un rayon d'action qui couvre Guam, l'Australie et l'Océan indien.

Elle s'oriente vers l'acquisition de drones et de systèmes de contre-mesure ;

- la marine compte entre 1 200 et 1 600 unités, mais ces chiffres doivent être relativisés compte tenu de la vétusté et du manque d'entraînement de la plupart des bâtiments.

Le plan de modernisation de l'APL bénéficie particulièrement à la marine et s'articule en trois phases :

• jusqu'en 2010, elle doit se mettre en mesure de faire face à un conflit avec Taïwan et en mer de Chine du sud ;

• de 2010 à 2020, elle doit développer ses capacités de projection pour pouvoir intervenir dans les îles proches (Kiuschi, Ryukyu, Taïwan, Philippines, Borneo) ;

• de 2020 à 2050, elle doit accéder au statut de puissance régionale dans toutes les mers du sud-est et le Pacifique Ouest.

A terme, la constitution d'une flotte de haute mer suppose l'acquisition de porte-avions.

- Le « second corps d'artillerie » est la composante nucléaire de l'APL. Il devrait acquérir vers 2010 des missiles d'une portée de 8 000 km et de 12 000 km. Il dispose de sous-marins nucléaires.

2. Un budget militaire dont l'ampleur croissante inquiète

Le budget officiel de l'APL pour 2004 est de 25 milliards de dollars pour 2004, de 30 milliards de dollars pour 2005 et s'élèverait à 35 milliards de dollars pour 2006. Sa progression constante a atteint 14,7 % en 2005.

Cette forte augmentation du budget chinois serait répartie en trois postes : les équipements militaires, les dépenses de formation et la revalorisation des soldes des militaires dont le niveau encore très bas (moins de 200 € mensuels par soldat dans le meilleur des cas) crée un phénomène de désaffection des diplômés de haut niveau envers l'APL.

Toutefois, selon le Pentagone, le budget chinois de la défense s'élèverait en fait à 70, voire 100 milliards de dollars. Ainsi que le déclarait Donald Rumsfeld, en juin 2005 : « les dépenses militaires chinoises sont bien plus élevées que ne le reconnaissent les autorités chinoises... Comme personne ne menace la Chine, on ne peut que s'interroger : pourquoi ces investissements massifs ? ».

Certes, outre la progression du budget en termes financiers, la Chine a annoncé en mai 2006 un plan destiné à doter son armée de ses propres armes de haute technologie « nouvelle génération » dans les quinze ans à venir afin d'éviter d'avoir recours aux armements étrangers et de pouvoir compter sur une armée mécanisée et fondée sur l'information . Au même moment, le Pentagone a transmis au Congrès américain son rapport annuel relatif à la politique de défense chinoise. Celui-ci indiquait que « le rythme et l'ampleur des forces chinoises et ses développements militaires pourraient se traduire par une menace sur le long terme. « Le développement militaire de la Chine est tel qu'il met déjà en question les équilibres militaires régionaux . » Le Pentagone note également que, « si la capacité de la Chine à intervenir militairement, loin de ses frontières, reste limitée, ce pays dispose du plus grand potentiel au monde pour lui permettre un jour de rivaliser avec les Etats-Unis. »

Tous ces éléments doivent être nuancés :

- un budget militaire chinois de 35 milliards de dollars correspondrait environ au quinzième du budget militaire américain et à 1,36 % seulement du produit intérieur brut chinois ;

- la différence d'évaluation de ce budget provient notamment de ce que les Etats-Unis y incluent des dépenses que les Chinois imputent à d'autres budgets (financement de la police militaire par exemple) ;

- la revalorisation des soldes tient une place importante dans le budget ;

- l'APL avait acquis un tel retard par rapport aux armées occidentales qu'il était indispensable d'améliorer le niveau de formation des militaires, d'acquérir des équipements de haute technologie et de renforcer les capacités de projection des forces ;

- cette modernisation reste limitée. Seules les unités modernes, constituées en groupes de réaction rapide (qui ne constituent pas plus de 15 % de l'effectif total) sont bien entraînées et équipées de matériel récent. Le gros des forces est sous-équipé ; son matériel est obsolète et sa mission essentielle est d'assurer la sécurité interne du pays ;

- la suprématie de l'armée de terre, parent pauvre de l'effort de modernisation, sur les autres composantes et la complexité des processus décisionnels liée à l'imbrication des chaînes de commandement opérationnelle et politique font de l'APL une armée peu apte à la projection de forces dans le cadre d'opérations militaires, ailleurs que sur ses abords immédiats.

3. La stratégie chinoise de modernisation militaire

L'objectif prioritaire de Pékin est d'être en mesure de maîtriser tout conflit armé dans le détroit de Taïwan. Concrètement, il s'agit de se donner les moyens de :

- neutraliser les forces armées taïwanaises et les centres politiques et économiques vitaux de l'île avant que les Etats-Unis ne puissent réagir (ce qui explique que plus de 600 missiles chinois sont déployés en face des côtes taïwanaises) ;

- atteindre les bases américaines au Japon et à Guam afin de ralentir toute intervention de Washington ;

- détruire ou d'endommager suffisamment de bâtiments de la marine américaine dans cette zone pour rendre le coût de toute intervention américaine politiquement prohibitif.

Pékin souhaite également renforcer le contrôle de ses frontières. La frontière continentale s'étend sur 20 000 km, la frontière maritime sur 10 000 km. 14 pays sont frontaliers terrestres de la Chine et les pays voisins au nombre de 25. Les risques de conflits aux frontières ne sont donc pas négligeables. De plus, les frontières sont par nature poreuses. La Chine ne peut plus construire une Grande Muraille... La drogue et le crime organisé s'introduisent massivement dans ce pays. Pour les responsables chinois, il est donc indispensable d'accroître les moyens de surveillance frontalière.

En termes de stratégie globale et dans le cadre d'une doctrine « défensive », la Chine entend être en état d'intervenir sur des théâtres extérieurs proches pour y défendre ses intérêts nationaux s'ils sont menacés. C'est cet objectif qui conduit la Chine à moderniser ses forces armées et en particulier à améliorer ses capacités de projection dans son voisinage immédiat.

B. LA TENTATION CHINOISE DE PROPOSER COMME « MODÈLE » SON SYSTÈME POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE À D'AUTRES PAYS DU SUD

1. Le « modèle » économique chinois

La Chine souhaite voir reconnaître l'originalité de son « modèle » économique. Elle n'est pas passée, stricto sensu, du communisme au capitalisme et les interlocuteurs de la délégation définissent ce « modèle » non comme un « capitalisme communiste », mais comme un « capitalisme chinois ». Ce modèle serait d'ailleurs suffisamment proche du libéralisme pour que l'Union européenne lui reconnaisse le statut d'économie de marché. Son efficacité, vue de Chine, ne s'explique pas seulement par l'ouverture d'un très grand marché intérieur, c'est ce mélange de libéralisme et d'un Etat traditionnellement fort qui a donné naissance à ce modèle atypique, qui pourrait séduire d'autres nations du Sud, à la recherche d'un modèle qui concilierait autoritarisme politique et efficacité économique.

2. Un système politique figé ?

Paradoxalement, la Chine s'est entièrement intégrée à la mondialisation économique tout en conservant un système politique inchangé. Un rappel historique peut aider à comprendre cette ambivalence.

Après le déclin de la dynastie des Ming, les Mandchous ont pris le pouvoir et installé à Pékin la dynastie des Qing (1644-1911). Une paupérisation croissante de l'Empire, des révoltes de populations Han orchestrées par des sociétés secrètes et des soulèvements de minorités ethniques ont affaibli un pouvoir central déstabilisé par les intrigues de palais et par les pressions exercées par les occidentaux désireux de conquérir le marché intérieur chinois. Ainsi, les Britanniques, qui achètent en quantité non négligeable les produits chinois, décident d'équilibrer leur commerce déficitaire en vendant en Chine l'opium qu'ils produisent, notamment en Inde. La première guerre de l'opium donne lieu au traité de Nankin (1842) qui contraint la Chine à ouvrir au commerce international, et donc à la drogue, cinq de ses ports. La dynastie mandchoue concède ensuite de nouveaux droits aux puissances occidentales qui l'ont aidée à maîtriser la révolte des Taiping.

La seconde guerre de l'opium aboutit, en 1860, au traité de Tianjin qui accroît encore la pénétration des occidentaux. Parallèlement, la Chine qui a perdu, en 1895, la guerre sino-japonaise, doit faire des concessions au Japon.

L'instabilité sociale croissante et le refus de l'impératrice douairière Tseu-Hi de mener une véritable politique de réforme conduisent à l'effondrement de la dynastie mandchoue.

La République de Chine est proclamée en octobre 1911 avec pour président le Dr Sun Yat Sen, remplacé à sa mort, en 1925, par le général Tchang Kai Shek qui prend la tête du parti nationaliste, le Kuomintang.

Le parti communiste chinois créé en 1921 s'oppose très vite au Kuomintang et la Chine est le théâtre d'une guerre civile, interrompue par la constitution d'un front uni contre l'invasion japonaise entre 1937 et 1945. Le parti communiste prend le pouvoir peu de temps après la défaite japonaise et la République populaire de Chine est proclamée par Mao Zedong le 14 octobre 1949 à Pékin, tandis que Tchang Kai-Shek se réfugie à Taïwan.

Il est essentiel, pour comprendre la pérennisation, au pouvoir, du parti communiste chinois, de prendre en compte une dimension moins idéologique que nationale et nationaliste qui a réussi, après les humiliations imposées par les Mandchous, les occidentaux et les Japonais, à rendre son unité et sa dignité au pays.

Le parti communiste chinois s'est donné cette légitimité en affichant un nationalisme musclé. Sa force, en dehors de sa capacité à assurer une croissance économique dans la stabilité, réside dans sa fonction de représentation de la puissance de l'Etat, de la « Chine éternelle ». Cette référence nationaliste constante résonne particulièrement auprès de la population, mal remise des « cent années d'humiliation » qui s'étendent du milieu du XIX ème siècle à celui du XX ème .

Outre cette légitimité historique, le parti a su engager le pays sur la voie de la réforme économique. Il a évolué et favorisé une coalition sociale (bureaucrates, intellectuels, entrepreneurs) qui a lancé la révolution économique.

Le parti s'efforce, aujourd'hui de réformer ses pratiques et de refonder sa légitimité afin de préserver son monopole politique. Son ambition est de bâtir un modèle politique chinois « opposable » à la démocratie pluraliste occidentale.

Dans le domaine des relations internationales, le parti entend proposer une alternative chinoise au modèle occidental, un modèle « sui generis » d'un Etat recouvrant à la fois la prospérité, la stabilité et une certaine forme (bien encadrée) de représentation populaire, l'ensemble reposant sur un système centralisé autour du parti unique. Un mélange quelque peu cynique, vu d'occident, d'autoritarisme et de libéralisme économique qui, à l'aune des seuls résultats quantitatifs, a permis jusque là d'associer une relative prospérité -au demeurant inégalement répartie- et une stabilité -qui n'est pas sans fragilité.

Une réforme politique profonde ne semble pas vraiment à l'ordre du jour, d'autant que les tensions économiques et sociales se multiplient, qui sont autant de défis lancés à l'impératif de stabilité : inégalités entre riches et pauvres, entre ruraux et citadins, exode rural massif concernant au moins 10 millions de personnes...

Pour relever ce défi, qui risque d'aviver la contestation, le Parti communiste chinois a ébauché l'idée, en 2006, d'un nouveau contrat social, fondé sur le concept confucéen de « société harmonieuse ». Le débat intègre la « démocratisation » du parti par une consultation accrue, la mise en avant des compétences des responsables du parti, la lutte contre la corruption à l'échelon local.

L'année 2007 sera l'année du congrès du Parti communiste, qui se réunit tous les cinq ans. Ce rendez-vous majeur de la vie politique chinoise devra poser les termes de la transition en cours et faire émerger les responsables politiques qui seront en charge de donner à la Chine sa capacité de gérer sa puissance nouvelle dans le monde et de préserver sa stabilité intérieure.

C. DES FRAGILITÉS INTERNES QUI PÈSENT SUR L'IMAGE INTERNATIONALE DE LA CHINE

1. La gestion par la Chine des tentations séparatistes et des minorités

- Le Tibet

Votre délégation a évoqué la question du Tibet avec plusieurs de ses interlocuteurs. Vu de Pékin, le Tibet ne peut être traité comme Macau ou Hong-Kong, qui furent occupés par les Portugais et les Britanniques. Pour les Chinois, le Tibet a toujours fait partie du territoire chinois, à l'exclusion d'une indépendance « de facto » entre 1911 et 1950. L'« autonomie » administrative du Tibet est donc certes prévue par la constitution chinoise, mais elle est limitée par le pouvoir du parti communiste local et par la mainmise des Chinois Han sur l'économie.

L'ouverture, en juillet 2006, de la ligne ferroviaire Qingzang, qui relie Golmud-province de Qinghai à Lhassa, en traversant le plateau tibétain à une altitude moyenne de 4 000 mètres permettra de désenclaver la région tibétaine, favorisera le développement de l'économie locale et l'accroissement des flux commerciaux mais elle accentuera aussi, inévitablement, la « sinisation » de cette région.

Le Dalaï-Lama, maître spirituel et leader politique, « ne revendique plus pour le Tibet l'indépendance, mais une autonomie véritable 7 ( * ) ». Le strict minimum, pour le Dalaï Lama serait que soit réellement préservée « l'identité culturelle » de son peuple.

Sur cette base, plusieurs rencontres informelles ont eu lieu entre les deux parties, qui n'ont abouti à aucun accord, ni aucune déclaration officielle.

Le rapprochement envisagé de part et d'autre reste une entreprise très difficile. La direction du parti communiste chinois s'oppose à tout compromis avec le Dalaï Lama, dont elle dénonce le séparatisme. Les dirigeants de la Région autonome du Tibet et le noyau de communistes tibétains qui s'y rattachent ne sont sans doute pas les derniers à faire obstacle à toute évolution. De son côté, le Dalaï Lama a aussi ses opposants religieux et politiques. Une partie de la jeunesse tibétaine considère que l'idée d'un arrangement avec Pékin est sans espoir et rejette le principe de non violence, dont le Dalaï Lama s'est fait le héraut depuis des années.

On ne peut que souhaiter que la réunion du Congrès d'un parti communiste chinois renouvelé, en 2007, permette aux éléments les plus modérés des deux camps de proposer une solution viable.

« La question tibétaine, avant d'être un problème de droits culturels ou de liberté religieuse, est d'abord une question politique au sens plein du terme », ainsi que l'a souligné la délégation sénatoriale auteur du rapport précité (« Le Tibet en exil : à l'école de la démocratie »).

La situation du Tibet, gérée comme une affaire interne par la Chine, n'est pas sans grave répercussion sur son image dans la communauté internationale.

- Le Xinjiang

Dépourvue d'un leader légitime et charismatique comme le Dalaï Lama, moins structurée, la mouvance indépendantiste ouïgoure est moins connue.

Le Xinjiang, « nouvelles frontières » en mandarin, est une terre de passage qui regroupe une vingtaine d'ethnies, musulmanes à 62 %. De 6 % en 1949, les Hans sont passés à plus de 42 % de la population, ce qui pose le même problème de « colonisation interne » qu'au Tibet.

L'indépendance des républiques musulmanes d'Asie centrale, unies par des forts liens culturels et ethniques au Xinjiang, a ravivé les revendications de sa population. A partir de 1990, attentats et assassinats se sont multipliés, et ont entraîné une répression du pouvoir central. L'écrasement de 1993, les émeutes de 1995 (Hotan) et Ghuldja (1997) ont provoqué des dizaines de morts et des centaines de blessés, ainsi que de nombreuses arrestations et exécutions.

Aujourd'hui, la situation semble toutefois stabilisée et les affrontements ont diminué.

2. Une inégalité sociale croissante et la situation dégradée des Droits de l'Homme

- Une inégalité qui pourrait peser sur la stabilité interne

Le développement économique s'inscrit dans un contexte de grave déséquilibre. Les populations du centre, du nord et de l'ouest du pays sont quasiment exclues du progrès économique, alors que la zone côtière de l'est concentre les activités industrielles et tertiaires et maîtrise difficilement l'urbanisation de long terme. Ce déséquilibre risque, dans le futur, de peser sur la progression économique chinoise et crée, d'ores et déjà, une situation sociale si inégalitaire qu'elle constitue peut-être le véritable défi auquel sera confrontée la Chine du XXI ème siècle. Seule une politique active tendant à rééquilibrer le développement économique pourra réduire ces inégalités qui sont un défi potentiel à la stabilité interne.

Les autorités devront tenir compte des aspirations d'une majorité de la population chinoise dont le revenu annuel moyen atteint à peine 1 000 dollars. Si la Chine comprend désormais des fortunes individuelles considérables et une classe moyenne consommatrice évaluée, suivant les critères, de 150 à 290 millions d'habitants, cette évolution est loin de résorber les poches de pauvreté et le fossé se creuse entre la Chine de l'intérieur et celle de la façade orientale : le coefficient d'inégalité est plus élevé en Chine que dans tous les autres pays asiatiques.

Par ailleurs, l'évolution démographique est un problème majeur. Le nombre de naissances par mois est évalué à un million et plus de 15 millions de personnes arrivent chaque année sur le marché du travail, qui ne peut les absorber malgré un taux de croissance économique élevé. Le chômage urbain est en augmentation constante. L'économie chinoise est loin d'atteindre un rythme de création d'emplois qui correspondrait à la croissance de son produit intérieur.

De plus, d'ici une vingtaine d'années, on estime à quelque 200 millions le nombre de paysans qui viendront travailler dans le secteur industriel, ce qui risque d'aggraver les problèmes sociaux.

Un autre problème lié à l'évolution démographique a été exposé à votre délégation. Compte tenu du strict contrôle des naissances, la Chine va connaître un problème de vieillissement accéléré à partir de 2025 : le rapport était de 8 actifs par retraité en 1978, il est de 5,3, aujourd'hui, et sera de 2,3 (estimation) en 2030. « La Chine risque de devenir vieille avant de devenir riche ».

Ainsi, le financement des retraites et celui d'une « sécurité sociale » naissante constituent de fortes hypothèques sur l'avenir de l'économie intérieure et accentuent le besoin d'une croissance économique soutenue.

- L'impact international de la question des Droits de l'Homme

La communauté internationale est légitimement préoccupée par la situation des droits de l'homme en Chine, notamment par le recours fréquent à la peine de mort (souvent en violation des normes minimales internationalement reconnues), à la torture et à la détention arbitraire, ainsi qu'à la « rééducation par le travail ». S'y ajoutent la non reconnaissance des droits civils, politiques ou syndicaux, du respect des libertés d'expression culturelle, politique et religieuse...

La Chine est en pleine contradiction, partagée entre le libéralisme économique et l'autoritarisme politique. Elle fait valoir son refus de voir s'appliquer sur son territoire une vision exclusivement « occidentale » de ces droits et revendique sa différence pour une vision « adaptée » des droits de l'homme. Pour elle, à une conception ethnocentriste des droits de l'homme devraient se substituer des approches diverses, respectant les spécificités culturelles et historiques.

On conçoit que, dans ces conditions, le dialogue entre l'Occident et la Chine sur ce point progresse lentement ; la prudence des engagements illustre la complexité du problème.

La déclaration conjointe franco-chinoise, adoptée le 26 octobre 2006 à l'issue du déplacement en Chine du Président de la République française, prévoit ainsi « d'intensifier le dialogue constructif sur les droits de l'homme ». Les deux pays soulignent « la nécessité de promouvoir et de protéger les droits de l'homme (...) en respectant l'universalité de ces droits et estiment que tout en tenant compte des spécificités de chacun (...) », les Etats se doivent « de promouvoir et de protéger tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales ».

CONCLUSION

Les autorités chinoises résument ainsi les principes directeurs de leur action diplomatique :

Il s'agit, en premier lieu, de coordonner la situation internationale et le développement intérieur du pays. La priorité restera longtemps la poursuite de la croissance économique et la politique étrangère doit, avant tout, faciliter la création d'un environnement favorable à la pérennisation de cette expansion économique.

Il s'agit donc aussi de poursuivre la démarche « d'émergence pacifique » de la Chine : elle entend promouvoir la paix et la stabilité, au travers de son propre développement.

Il convient donc ensuite de développer une stratégie « gagnant-gagnant » par la conclusion de partenariats économiques, scientifiques, techniques mais aussi culturels.

Enfin, la Chine est résolue à poursuivre la construction d'un « monde harmonieux » : les intentions pacifiques et la stratégie non agressive sont réitérées, mais la République populaire s'opposera toutefois, de façon déterminée, à toute action qui menacerait sa souveraineté, sa sécurité et ses intérêts de développement.

Pékin a pleinement pris conscience de l'interdépendance entre la Chine et le reste du monde et le positionnement international de la Chine n'échappe pas aux mutations profondes que vit ce pays. Le Président Hu Jintao, pour « théoriser » l'approche chinoise des relations internationales, a étendu le concept de « société harmonieuse » à celui de « monde harmonieux », qui s'ajoute désormais à celui « d'émergence pacifique ».

Si la Chine s'implique activement dans le multilatéralisme, cet engagement reste très « raisonné » et prudent. Elle y prend encore en effet davantage en compte ses propres intérêts économiques et stratégiques que la promotion des valeurs universelles que ce multilatéralisme est censé promouvoir, en particulier à travers l'ONU. Son activisme croissant dans les pays du Sud, et singulièrement en Afrique, va de pair, avec une indifférence explicite à l'égard des règles de gouvernance dans ses partenariats bilatéraux avec certains Etats du continent, et vient compliquer les stratégies d'aide au développement fondées sur la « conditionnalité démocratique » mise en oeuvre par les puissances occidentales, en particulier l'Union européenne et la France.

Ainsi, au-delà de l'actuelle conjonction positive entre, d'une part, les intérêts et les besoins économiques de la Chine, et, d'autre part, la stabilité internationale, régionale et mondiale qui lui est donc indispensable, d'autre part, la lecture des objectifs ultimes de la diplomatie chinoise reste complexe et ambivalente.

Il reste que cette « émergence pacifique » de la Chine en fait le nouveau pôle de puissance mondiale, seul à même de rivaliser, dans tous les domaines, avec les Etats-Unis pour lesquels la relation avec la Chine restera durablement un élément essentiel de leur diplomatie. Cette bipolarité est d'ores et déjà une réalité ; elle est aussi un défi pour ce troisième pôle en puissance que représente l'Union européenne qui doit impérativement savoir démontrer sa crédibilité de façon à prendre toute sa place dans ce monde multipolaire dont la France a toujours considéré qu'il était une condition de la paix.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent rapport d'information lors de sa réunion du 14 juin 2006.

Un débat a suivi l'exposé de M. Serge Vinçon, président.

Mme Hélène Luc a d'abord fait part de sa crainte que, dans la Chine actuelle, l'homme soit sacrifié à l'économie comme l'illustrent les problèmes liés aux déplacements forcés de paysans. Elle a relevé toutefois que les interlocuteurs de la délégation avaient tous exprimé leur souci d'assurer progressivement un meilleur niveau de vie pour tous les habitants du pays, singulièrement ceux qui, aujourd'hui, sont à l'écart des bénéfices de la croissance.

Rappelant qu'elle était très préoccupée par l'impact de la croissance chinoise sur les risques de délocalisation, elle a souhaité que la mondialisation ne se transforme pas en guerre économique et que chaque partie du monde puisse préserver ses industries.

Elle a indiqué que la question des libertés avait été abordée avec franchise au cours de la mission. Les Chinois apparaissaient conscients des efforts considérables à consentir dans ce domaine.

Elle a souligné enfin le nouveau rôle diplomatique de la Chine, tant dans le cadre du dossier nucléaire iranien que dans l'aide apportée aux pays en développement, même si cette aide servait aussi l'intérêt bien compris des Chinois eux-mêmes. Il convenait également de renforcer les liens de la Chine avec l'Union européenne. La France, en particulier, avait toute sa place dans ces relations.

M. Philippe Nogrix a rappelé que les « think tanks » rencontrés par la délégation avaient tous insisté sur le souci de la Chine d'oeuvrer à un environnement international fondé sur la paix, la prospérité et le partenariat. Tout ce qui, aux yeux des responsables chinois, risque d'affecter la croissance constitue leur inquiétude principale. Les inégalités considérables entre les zones prospères et les régions démunies du pays apparaissent comme un danger majeur. Il a également souligné que, parmi les pays européens, la France était considérée comme un partenaire politique privilégié.

M. André Boyer a évoqué l'image d'un « colosse démographique » qui se perçoit souvent comme encerclé et qui n'a jamais exprimé de volonté hégémonique. La Chine est, dans sa région, confrontée à deux difficultés, ses relations avec le Japon (en particulier au sujet des îles Senkaku) et avec Taïwan. La Chine entend assurer sa stabilité interne, mais aussi la protection de ses frontières terrestres et maritimes. A cet égard, l'Armée de libération populaire manque de moyens : elle est pléthorique et les équipements souvent obsolètes.

La marine chinoise compte entre 1.200 et 1.600 unités, pour un tonnage d'environ 400.000 tonnes, et environ 260.000 marins, soit 11 % de l'armée populaire de libération. Ces chiffres doivent cependant être considérés avec prudence, étant donné la vétusté de la plupart des unités. La marine bénéficie du plan de modernisation de l'armée chinoise et reçoit environ un tiers de l'augmentation des ressources financières. Sa mise à niveau s'articule en trois phases : jusqu'en 2010, augmentation des capacités pour faire face à un éventuel conflit avec Taïwan ou en mer de Chine du sud ; de 2010 à 2020, augmentation des capacités de projection pour être en mesure d'intervenir dans la chaîne insulaire proche ; de 2020 à 2050, devenir la puissance régionale de pacification et d'équilibre dans les mers du Sud et le Pacifique Ouest. L'acquisition d'un porte-avions est un objectif reconnu, sans que le terme en soit défini.

M. André Boyer a conclu que la Chine, géant économique incontestable, restait alourdie par le handicap d'une population de 700 millions de personnes en situation d'extrême pauvreté et par un développement des droits de l'homme largement en décalage par rapport à la performance économique du pays.

M. Jean-Pierre Plancade a confirmé que la Chine avait surtout besoin de paix et de stabilité. Toutefois, la pauvreté de certaines régions et les inégalités de développement qui affectent la moitié de sa population vont inévitablement conduire à des revendications sociales fortes. La doctrine économique chinoise peut se définir comme un capitalisme triomphant, mais aussi autoritaire et dictatorial, qui souffre, à cet égard, de la comparaison avec l'Inde, puissance économique majeure comme la Chine mais assise sur une réelle démocratie.

M. Jean-Guy Branger a évoqué le problème que ne manqueraient pas de poser, à terme, les populations rurales pauvres. La Chine est un pays dont le développement économique est exceptionnel et qui, sur la scène internationale, joue le jeu du multilatéralisme et de la prévention des conflits. Les gouvernants chinois estiment, non sans raison, que le temps travaille pour eux. Le pays développe aussi une politique d'influence efficace en Afrique, où les enjeux de développement sont très liés à ses propres intérêts économiques.

Il s'est enfin dit frappé par l'intérêt exprimé par les interlocuteurs chinois envers l'Europe et la France, qui pouvait trouver un prolongement fructueux à travers, par exemple, la coopération spatiale.

M. Robert Del Picchia s'est inquiété de l'émigration massive des travailleurs chinois, problème que les responsables du pays prennent en compte.

M. Serge Vinçon, président, a confirmé que l'influence économique de la Chine, en Afrique, et même en Amérique latine, entraînait un transfert des travailleurs chinois et confortait l'importance politique et économique de leurs diasporas.

M. André Rouvière s'est interrogé sur les velléités indépendantistes affectant d'autres provinces chinoises que le Tibet. Il a souhaité savoir où en était la question de l'embargo européen sur les armes et s'est enfin enquis de la transparence du système bancaire chinois.

M. Serge Vinçon, président, a confirmé qu'officiellement les mauvaises créances représentaient 30 % du produit intérieur brut chinois. Les gouvernants chinois ont tendance à banaliser ce problème en regard de la masse des flux financiers liés au développement économique du pays. S'agissant de l'embargo européen sur les armements, il a confirmé que le problème tenait, avant tout, au souci de reconnaissance de la Chine comme puissance internationale à part entière. Il a enfin indiqué que les régions de confession musulmane étaient reconnues, acceptées mais socialement peu représentatives.

M. Jacques Blanc s'est interrogé sur la politique d'accueil de la France à l'égard des étudiants chinois désireux d'y parachever leur formation supérieure.

M. Serge Vinçon, président, a indiqué que, dans ce domaine, la France était moins attractive que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, mais qu'il convenait néanmoins de se préoccuper du niveau de formation réelle et de la validité des diplômes présentés par les étudiants chinois.

M. Didier Boulaud a souscrit à l'inquiétude concernant l'inégale répartition des richesses en Chine. Il a rappelé que le pays était, par ailleurs, un terrain de concurrence féroce pour l'aéronautique civile, notamment entre Airbus et Boeing.

Mme Josette Durrieu a évoqué la politique de l'enfant unique -en fait du « garçon » unique-, ses conséquences démographiques ainsi que son impact sur la déstructuration des familles.

M. Serge Vinçon, président, a répondu que la Chine faisait face à un réel défi démographique, qu'elle serait dépassée par l'Inde dans ce domaine et que le problème n'était pas seulement démographique, mais également social et culturel. M. Jean-Pierre Plancade a ajouté qu'à l'heure actuelle des millions d'enfants, en Chine, n'étaient pas déclarés, à cause de cette politique de l'enfant unique.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte au président de sa communication, dont elle a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

ANNEXE - PERSONNALITÉS RENCONTRÉES

1. PERSONNALITÉS RENCONTRÉES EN FRANCE

• S. Exc. Monsieur ZHAO Jinjun, Ambassadeur de Chine en France.

• Colonel Charles-Philippe GODARD, chef du bureau Asie à la sous-direction des questions régionales de la Délégation aux affaires stratégiques.

• M. Hervé LADSOUS, Directeur Asie-Océanie au ministère des Affaires étrangères.

• M. François GODEMENT, Professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales.

• M. Camille GRAND, Conseiller technique au Cabinet du ministre de la Défense.

2. PERSONNALITÉS RENCONTRÉES LORS DE LA MISSION EN CHINE (MAI 2006)

PEKIN (20-23 mai)

20 mai

- Accueil par M. WANG Changyi, membre de la Commission des Affaires étrangères de la CCPPC (Conférence consultative politique du peuple chinois, équivalent du Sénat français) et par Nathalie Broadhurst, Conseiller à l'Ambassade

- Dîner offert par l'Ambassadeur à la Résidence avec la communauté d'affaires de Pékin

21 mai

Visite de la Cité Interdite et de la Grande Muraille

22 mai

- Entretien avec M. WANG Yingfan, Vice-Président de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée Nationale Populaire (Grand Palais du Peuple)

- Rencontre à la Résidence avec les parlementaires chinois

- Entretien avec M. ZHANG Zhijun, Vice-Ministre du Département de liaison internationale du PPC (Parti communiste chinois)

- Entretien avec M. WANG Zhongyu, premier Vice-Président de la CCPPC

- Débat présidé par M. ZHAO Qizheng, Vice-Président de la Commission des Affaires étrangères de la CCPPC

- Banquet d'accueil présidé par M. ZHAO Qizheng en l'honneur de la délégation française avec les membres de la commission

23 mai

- Entretien avec M. ZHANG Yesui, Vice-ministre des Affaires étrangères

- Débat avec M. XING Hua et WANG Rong Yi, chercheurs au Centre des Etudes sur l'Union Européenne (CISS)

- Déjeuner en présence du Colonel Jacques BILLEBEAU

- Entretien avec M. LUO Yan, Directeur du Département de la Recherche de l'Académie des Sciences militaires et ses collègues

X'IAN (24 mai)

- Visite du Musée de l'Armée de soldats enterrés

- Débat présidé par M. ZHU Zhengyi, vice- président de la CCPPC de la province du Shaanxi et banquet offert par le vice-président et les parlementaires de la province

SHANGHAÏ (25 mai - 27 mai)

25 mai

- Rencontre avec M. YANG Jiemian, et d'autres chercheurs de l'Institut des Etudes Internationales de Shanghai

- Déjeuner à la Résidence du Consul Général avec la communauté d'affaires de Shanghaï

- Rencontres avec des chercheurs à l'Université Fudan: discussions animées par M. CHEN Zhimin

- Entretien avec M. JIANG Yiren, Président de la CCPPC de Shanghai, suivi d'un dîner d'accueil

26 mai

- Visite de la base navale de Wusong

- Visite de l'Alliance Française

- Visite de la Galerie d'Urbanisme

27 mai

- Visite du Maglev

- Visite de l'Opéra de Paul Andreu

- Visite du Musée des Sciences et Technologies

- Cocktail à la résidence du Consul Général avec la délégation ministérielle de M. Perben

* 1 Equivalent du Yuan

* 2 Dont d'ailleurs la Direction générale vient d'être confiée à une chinoise, Mme Margaret CHAN.

* 3 M. Paik Hak-Soon, Institut Séjong de Séoul, Le Monde du 29 juillet 2006

* 4 Le dialogue à six réunit les deux Corées, les Etats-Unis, le Japon, la Russie et la Chine.

* 5 H. Kissinger « China containment won't work » Washington Post - 13 juin 2005.

* 6 Le chiffre est toutefois difficile à estimer car une partie des effectifs est vraisemblablement passée dans les rangs des milices et forces de police.

* 7 Cf. « Le Tibet en exil : à l'école de la démocratie », documents de travail du Sénat. Délégation composée de MM. Louis de Broissia, Jean-François Humbert, Philippe Nogrix, Jean-Pierre Fourcade et Mme Elisabeth Lamure..

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