4. Les revers attachés à la personnalité morale

4.1.7. Personnalité morale, médaille à deux faces : la difficulté de reddition des comptes. Mais la personnalité morale n'est pas un jouet et si elle est grandement objet de discussion en raison de la symbolique d'indépendance qu'elle porte, révélant aussi la rupture avec la structure hiérarchisée de l'Etat 142 ( * ) , intérêt sans doute disproportionné par rapport aux enjeux techniques, il ne faut pas négliger les effets juridiques de cette attribution. Tout est affaire de revers de médaille. En effet, dès l'instant que la personnalité morale permet aisément l'attribution de budget affecté, légitime l'absence de contrôle a priori sur les dépenses engagées ou envisagées, la question de la reddition des comptes (au sens d' accountability ) que les Autorités administratives indépendantes doivent faire de leur action devient une béance : on ne peut aller aussi loin dans l'indépendance qu'en échange d'une reddition effective des comptes. Cela n'est pas pour l'instant le cas 143 ( * ) .

4.1.8. La personnalité morale, médaille à deux faces : la responsabilité autonome des Autorités administratives indépendantes. En outre, si la thèse civiliste de la « réalité de la personne morale » a été inventée par la jurisprudence, alors même que la loi n'attribue pas expressément cette personnalité, ce ne fut pas tant pour donner des pouvoirs d'agir à l'organisation en cause mais pour la rendre apte à être responsable. Cette aptitude à être responsable est elle aussi synonyme de personnalité, dans son lien avec la liberté et la rationalité. Techniquement, les Autorités administratives indépendantes auront vocation à être responsables directement de leurs agissements, pourront être assignées par les personnes qui estiment avoir subi un dommage en raison d'un comportement lourdement fautif de l'autorité 144 ( * ) . Est-on prêt à de telles conséquences ? Techniquement, elles supposent que les Autorités dotées de la personnalité morale trouvent des assureurs pour envisager de telles perspectives, cette assurance incitant d'ailleurs les juridictions à estimer plus facilement que les conditions de la responsabilité sont remplies. Le Conseil d'Etat, dans un avis du 8 septembre 2005, CCAMIP 145 ( * ) , a souligné que cette responsabilité serait entière, l'Etat ne venant contribuer à l'indemnisation qu'en cas de défaillance de l'Autorité, laquelle devra avoir souci de s'assurer, si elle le peut. Ainsi, si le législateur répand la personnalité morale sur les Autorités administratives indépendantes, les conséquences systémiques, symboliques et économiques en seront importantes.

SECTION 5 : LA PERSPECTIVE DE RECONSTRUCTION DE LA NOTION D'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE INDÉPENDANTE : EXERCICE DE SUMMA DIVISIO

* 142 V. supra.

* 143 V. infra.

* 144 Ainsi, l'Autorité des Marchés Financiers souligne dans sa réponse au questionnaire que grâce à la personnalité morale, « elle dispose ainsi d'une souplesse de fonctionnement accrue par ce statut particulier qui clarifie la séparation de l'Autorité d'avec l'Etat et doit faire face, par voie de conséquence, à un renforcement de sa responsabilité en devenant juridiquement pleinement responsable de ses actes ».

* 145 Lettre des juridictions administratives, janvier 2006.

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