3. Propositions visant à conforter l'indépendance des membres des autorités administratives indépendantes

6.1.16. La saturation juridique des règles de garantie directe d'indépendance. Si l'on peut s'exprimer ainsi, toute la « panoplie » des garanties directes de l'indépendance est déjà complète, et l'on voit mal, à part le rappel de l'ensemble de ses règles d'incompatibilité de fonction et patrimoniale, d'irrévocabilité des mandats, et de protection contre la capture par anticipation, au sein d'une loi-cadre sur les Autorités administratives indépendantes, quelle règle directe pourrait encore être proposée. On se trouve ici face à une sorte d'aporie normative : la loi fait tout pour préserver grâce au droit l'indépendance, mais l'indépendance est avant tout une question de fait et d'état d'esprit. C'est dès lors vers cela, d'une façon nécessairement limitée donc, que l'action du législateur peut tout d'abord se tourner.

6.1.17. La contribution à l'impalpable de l'indépendance. Le législateur peut y contribuer d'une façon indirecte, à travers l'impalpable de l'autorité et du prestige. En effet, plus les Autorités administratives indépendantes auront de l'autorité et plus leurs membres seront enclins à y contribuer par leur indépendance. De la même façon, le prestige des Autorités administratives indépendantes est un élément d'indépendance et d'attractivité des compétences. Le législateur peut y contribuer d'une façon indirecte en contribuant au prestige des Autorités administratives indépendantes, notamment en ne modifiant pas ses règles d'une façon impromptue ou en ne la privant pas de pouvoirs. Plus encore, le Parlement pourrait offrir aux Autorités administratives indépendantes l'adossement de son propre prestige, à travers une innovation proposée plus loin dans l'optique principale de la reddition des comptes, qui peut aussi être évoquée ici : si les membres du collège pressentis par ceux qui ont le pouvoir de les désigner, sont reçus par le Parlement pour une discussion préalable à leur prise de fonction 174 ( * ) , alors les personnes désignées y gagneront en prestige.

6.1.18. L'enjeu de l'indépendance par la compétence et la technique des pré-requis. Nous avons vu que par ailleurs les compétences techniques des membres du collège sont un gage d'indépendance, car ceux-ci ne sont donc pas dépendants de ceux qui leur apportent de l'information, la compétence technique étant d'ailleurs aujourd'hui une source première de prestige, et donc d'autorité. Cela repose en principe sur la rationalité et la sagesse de ceux qui nomment que de désigner une personne présentant cette qualité technique, qualité qui varie d'ailleurs suivant le type de mission confiée à l'Autorité. Là aussi, le fait est plus rassurant que le droit. Mais si l'on cherche à améliorer en droit le système, peut-on concevoir que le législateur exige, au-delà de la catégorie des « personnalités qualifiées » 175 ( * ) ?

6.1.19. La forme que pourrait prendre cette considération des compétences. L'on pourrait aller plus loin en exigeant d'une façon générale une expérience en corrélation avec la mission de l'autorité. Cette règle pourrait prendre place dans la loi-cadre sur les Autorités administratives indépendantes. Certes, cela conduit à contraindre l'ampleur de la discrétion du pouvoir de nomination, ce qui, notamment lorsque les désignations émanent du président de la République ou des présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat, peut susciter des réticences. Si l'on estime que cela n'est pas nécessairement une faille dans la mesure où les Autorités administratives indépendantes sont insérées dans l'Etat mais sont détachées du politique, et à la condition que par ailleurs ces Autorités rendent des comptes de leur action au politique (par un rapport au politique passé de l' ex ante à l' ex post ), alors on peut concevoir d'opérer cette restriction au regard du pouvoir de nomination, puisqu'elle accroît l'autorité et l'indépendance de l'Autorité.

6.1.20. L'incitation à recourir à des règles semi-contraignantes. Cela est d'autant plus admissible si ces références à la compétence technique ne sont pas dotées d'une force juridique pleine. En effet, la compétence peut être mentionnée par la loi comme une qualité que celui qui désigne prendra en considération. La compétence technique peut être ainsi un objectif, un critère pris en considération, ce qui, si l'on associe à l'audience des personnes pressenties par le Parlement 176 ( * ) , peut permettre à ce critère, dont il faut rendre compte publiquement même s'il ne faut pas en rendre compte juridiquement, d'être pris en considération dans les faits.

6.1.21. La protection de l'indépendance et la structuration des Autorités autour d'un collège. En premier lieu, le législateur doit sans doute favoriser systématiquement la forme d'Autorités administratives indépendantes fonctionnant à partir d'un collège, structure qui permet le mieux les décisions en collégialité. Les textes qui organisent les Autorités administratives indépendantes adoptent généralement ce système du collège, qu'il s'agisse de l'Autorité des Marchés Financiers, de l'ARCEP, de la CRE, ou de la CNIL 177 ( * ) . Certes, le Médiateur de la République ne correspond à cette structure, ce qui permet l'avantage d'être très visible, et l'on ne cherche guère à revenir sur cette organisation qui lui est propre, pas plus que sur celle du Défenseur des enfants, autre Autorité dite « personnalisée », qui présente le même avantage notamment dans le contact avec les médias et l'opinion publique. Cette collégialité conduit mécaniquement à réduire la transparence. Mais l'on peut à la fois bénéficier de cette visibilité et cette responsabilité personnelle, à travers la personne du président de l'Autorité administrative indépendante, et de l'indépendance de la collégialité d'un collège.

SECTION 7 : PERTINENCE DES MOYENS HUMAINS DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

7.0. Dans une conception abstraite de l'art législatif, on ne se soucie guère des moyens dont disposent les organisations. Dans une conception plus concrète, dans laquelle les principes sont dans l'intendance, la question des moyens devient essentielle. Certes, la législation ne peut guère les organiser, notamment si l'on considère que la législation ne doit pas entrer dans les détails des organisations, mais c'est bien à elle de donner aux Autorités administratives indépendantes les marges de manoeuvres, de décision de gestion et de règles budgétaires, permettant à celles-ci d'ajuster les moyens humains à la mission confiée. C'est pourquoi avant d'exposer ces règles d'autonomie, il convient d'expliciter cette adéquation entre moyens humains et missions.

* 174 V. infra.

* 175 V. supra.

* 176 V. infra.

* 177 La CNIL se réunit en formation plénière, constituée de 17 membres trois fois par mois, et examine dans ce cadre les projets de loi et de décrets qui lui sont soumis pour avis par le Gouvernement, formule des avis et émet des autorisations sur des traitements ou des fichiers.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page