CHAPITRE I - CONDITIONS DE CRÉATION ET COEXISTENCE DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

Un panorama des Autorités administratives indépendantes donne une première impression de grande dispersion, d'une diversité sans raison profonde. Cette présentation péjorative, dès l'instant qu'on veut bien lier législation, volonté générale et raison, tient précisément au manque d'intelligibilité du mouvement général de créations successives de multiples Autorités administratives indépendantes en France depuis une trentaine d'années. L'intelligibilité n'est pas qu'une satisfaction personnelle pour qui veut comprendre et pour qui veut être compris, elle constitue désormais un droit des personnes, à la charge du législateur. Cet objectif à valeur constitutionnelle 13 ( * ) veut que l'on cherche à mieux comprendre pourquoi les Autorités administratives indépendantes ont été créées en France, intelligibilité en amont. Il convient également d'améliorer l'intelligibilité en aval, par l'évocation d'un éventuel cadre général pour les Autorités administratives indépendantes, et par des regroupements au sein de cette catégorie que certains considèrent encore comme hasardeuse.

SECTION 1 : LES CONDITIONS DE CRÉATION DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

Par truisme, les Autorités administratives indépendantes sont créées en France par le législateur. La difficulté peut venir du fait qu'en créant une telle Autorité, le législateur ne prend pas nécessairement la précaution de la qualifier expressément de telle 14 ( * ) . Cette catégorie des Autorités administratives indépendantes est d'ailleurs elle-même formelle, puisque l'objet sur lequel porte la mission confiée à l'Autorité ou bien les pouvoirs conférés ne sont pas présents dans la définition : littéralement, appartient à la catégorie toute personne ou organisme qui appartient à la sphère administrative mais qui n'est pas inséré dans la hiérarchie administrative, le ministre ne pouvant lui adresser des ordres 15 ( * ) . Il est souvent relevé que dans ce cadre formel, le législateur a agi souvent au coup par coup et si ce n'est sans raison à tout le moins avec des raisons si diverses et si circonstancielles que la rationalité générale n'en est pas satisfaite. La perspective de construire aujourd'hui un cadre général qui ferait ressortir ex post la rationalité de la création des Autorités administratives indépendantes, voire en la reconstruisant, doit être de ce fait sérieusement examinée.

1. Raisons et circonstances de création des autorités administratives indépendantes

1.0. Les circonstances visent le contexte qui a suffisamment contraint le législateur pour adopter la forme d'Autorité administrative indépendante plutôt qu'une autre forme, par exemple service d'administration centrale. Il y a de la passivité dans la perspective. Les circonstances peuvent suffire comme raisons, la raison est alors d'obtempérer, raison forte parce que les circonstances sont donc très puissantes, mais raison faible parce qu'il s'agit de suivre. Mais il peut y avoir des raisons autres que les circonstances, elles sont en cela plus fortes.

1.1.1. Justification d'une réflexion sur les circonstances et les raisons de créer des Autorités administratives indépendantes. Il est essentiel de réfléchir sur ce qui a amené à créer des Autorités administratives indépendantes. Tout d'abord, suivant l'enracinement plus ou moins fort dans des raisons plus ou moins solides, le mouvement de création en série d'Autorités administratives indépendantes apparaît plus ou moins réversible : si les raisons étaient faibles, alors le pouvoir politique pourrait revenir en arrière 16 ( * ) . Par ailleurs, la distinction des différentes raisons permettait l'esquisse d'une mise en catégorie des différentes Autorités administratives indépendantes. Par exemple, la raison de l'ouverture à la concurrence est fortement différente de la raison d'une expertise indépendante ou d'un besoin de médiation sociale, de sorte qu'il apparaît que la Commission de Régulation de l'Énergie, le Comité Consultatif National d'Éthique ou le Médiateur de la République, autorités qui reflètent respectivement ces trois fortes raisons, n'appartiennent pas forcément à la même sorte d'Autorité. La réflexion sur les raisons est le prélude à la construction de la catégorie 17 ( * ) . De la même façon, les raisons d'instituer telle ou telle Autorité influent sur les contours des pouvoirs qui doivent leur être conférés. Ainsi, s'il s'agit d'une raison d'expertise indépendante, alors des pouvoirs de contrainte ne sont pas justifiés, alors que s'il s'agit d'une raison de surveillance rapprochée, ceux-ci s'imposent. Là encore, les raisons décident un tableau des pouvoirs et fondent leur diversité en raison des missions des diverses Autorités administratives indépendantes, missions qui sont elles-mêmes le reflet des raisons que le Parlement a eues de les instituer les unes après les autres.

1.1.2. De la circonstance européenne à la Raison européenne. Il est souvent affirmé que la création des Autorités administratives indépendantes en France résulte d'une obligation formulée par le droit communautaire en ce sens. On peut trouver des exemples en ce sens, notamment la création de l'Autorité de Régulation des Télécommunications (ART) en 1996 18 ( * ) , ou celle de la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE) en 2000 19 ( * ) , ou encore celle de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Égalité en 2004. Ce fait est souvent corrélé avec l'idée que les Autorités administratives indépendantes ne correspondent pas à la culture politique française, qu'elles ont été dictées par un système européen pénétré d'idées politiques anglo-américaines renvoyant à une culture politique dans laquelle l'idée d'agence est familière. En outre, s'il en est simplement ainsi, alors les difficultés de la construction européenne doivent conduire à refluer avec elle ces raisons étrangères de concevoir des Autorités qui ne répondent pas de leur activité devant un ministre responsable politiquement 20 ( * ) . Mais cet ordre venu d'en haut, venu d'ailleurs, ne correspond en toutes hypothèses qu'à un petit nombre d'Autorités administratives indépendantes. Ainsi, la Commission des Opérations de Bourse (COB) a été créée dès 1967, sans aucune contrainte européenne. De la même façon la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) a été créée en 1978 sans qu'on puisse relever l'existence de contraintes européennes. Dans ces deux exemples, les affirmations communautaires dans le sens d'une autorité nationale indépendantes sont venues ultérieurement. L'Europe n'est donc pas une simple circonstance, elle exprime une raison, relayée, voire devancée, par le législateur français. Dès lors, la création des Autorités administratives indépendantes est souvent déconnectée de l'évolution du droit européen dans sa relation hiérarchique avec les Etats-membres.

1.1.3. De l'influence à l'importation de mécanismes étrangers. Il s'agit ici d'un phénomène d'influence et non de contrainte, la France s'étant inspirée d'institutions nord-américaines (notamment par la création en 1967 de la Commission des Opérations de Bourse -COB- sur le modèle de la Securities and Exchange Commission -SEC- ) ou d'institutions anglaises (par exemple par la création en 1996 de l'Autorité de Régulation des Télécommunications -ART- sur le modèle de l' Office of Telecommunications -OFTEL 21 ( * ) ).

L'observation vaut particulièrement pour les régulateurs économiques, pour lesquels les organismes internationaux, soit spécialisés comme l'Organisation internationale des Commissions de valeurs mobilières (OICV), soit plus généraux, comme l'OCDE ou la Banque Mondiale, prônent l'adoption de ce type d'institution.

C'est notamment à cette aune que l'OCDE apprécie dans les rapports sur différents pays la maturité des institutions économiques dans les secteurs régulés. Il ne faut d'ailleurs pas opposer contrainte et influence car le modèle dit anglo-saxon peut circuler à travers les textes de droit européen, notamment dans les modèles évoqués par la soft Law communautaire (livres verts, communications, etc.). En outre, lorsque les Autorités françaises sont fortement insérées dans des réseaux internationaux 22 ( * ) , cela présuppose quasiment l'adoption d'un tel statut 23 ( * ) . La question essentielle est de se demander si cela implique une importation du système politique complet ou non.

1.1.4. De l'importation de mécanismes à l'implantation de systèmes politiques étrangers. En effet, les régulateurs nord-américains d'une part fonctionnent dans un système dans lequel les juridictions ont une grande part et d'autre part s'insèrent dans le système de Check and Balance . L'on peut soutenir que si on importe les uns sans importer les autres, les Autorités administratives indépendantes sont en décalage dans un système politique au sein duquel les juridictions ne constituent pas même un pouvoir et où les pouvoirs ne se tiennent pas les uns les autres. Cela peut conduire à une efficacité moindre que celle atteinte dans le système d'origine et un manque de légitimité ici qui ne manquait pas là. Certes, l'on peut considérer que par le fait d'Autorités administratives indépendantes, un pouvoir accru est donné aux juges qui désormais contrôlent leurs décisions 24 ( * ) , de la même façon que leur présence entre le Gouvernement et le Parlement établit de fait une prise des uns sur les autres. Se produit alors un effet de ciseau : soit on ne transforme pas la société politique française pour la transformer en société sur le modèle des Etats-Unis, ce qui enraye le bon fonctionnement des Autorités administratives indépendantes, soit on importe le contact qui les fait vivre, ce qui entraîne un bouleversement politique fondamental, bien que rampant et mécanique.

1.1.5. Autorité administrative indépendante et ouverture à la concurrence. Une première raison de créer une Autorité administrative indépendante est l'ouverture à la concurrence d'un secteur naguère monopolistique. L'idée est alors que la déclaration d'une possible concurrence ne suffit pas à faire naître celle-ci, qu'il faut une sorte de forçage de l'organisation économique pour favoriser les nouveaux entrants. Cela correspond aux hypothèses des télécommunications, énergie, poste, transport ferroviaire. La concurrence étant à construire et non seulement à surveiller, on estime que les autorités de concurrence ne peuvent suffire, un régulateur est construit tout exprès sous la forme d'une Autorité administrative indépendante 25 ( * ) .

1.1.6. Autorité administrative indépendante et défiance politique à l'égard du Gouvernement. Si cela éclaire la raison pour laquelle on préfère un régulateur à l'autorité générale de concurrence, cela n'explique pas pourquoi les services des ministères techniquement concernés ne suffisent pas, par exemple le Ministère de l'Économie et des Finances pour les marchés financiers, le Ministère de l'Industrie pour l'énergie et les télécommunications, le Ministère des Affaires sociales pour la lutte contre les discriminations, le Ministère des Sports pour la lutte contre le dopage, le Ministère de la justice pour la protection des enfants, etc. La raison alors avancée, raison que non seulement l'on évoque souvent mais encore que l'on évoque pour toutes les sortes d'Autorités administratives indépendantes, tient dans une défiance à l'égard de l'Etat traditionnel, jugé incapable d'opérer les missions dont il s'agit, aussi bien la construction de la concurrence que la protection des enfants 26 ( * ) . La défiance s'exprime tout d'abord à l'égard du Gouvernement, soit parce que les services centraux des Ministères sont trop éloignés des réalités qu'il faut directement saisir, soit parce que le Gouvernement est mis en conflit d'intérêts parce qu'il existe une entreprise publique dans un secteur ouvert à la concurrence. La défiance peut être plus particulière, lorsque l'Etat a créé, par la loi du 29 juillet 1982, la Haute Autorité de l'Audiovisuel pour nommer les présidents des sociétés de radio et de télévision, fonction que le CSA conserve en héritage. Mais la défiance peut être aussi plus générale, lorsqu'elle s'exprime notamment à l'égard des juridictions ou du Ministère public auxquelles on retire la protection des valeurs fondamentales et des personnes 27 ( * ) . La création des Autorités administratives indépendantes est alors un acte politique du législateur de défiance à l'égard des autres pouvoirs ou autorités.

1.1.7. Autorité administrative indépendante et médiation sociale . Bien qu'il ne soit pas usuel de rapprocher des Autorités administratives indépendantes comme celles qui ont en charge de concrétiser une ouverture à la concurrence au détriment d'une entreprise publique naguère monopolistique, comme l'ARCEP ou la CRE, et celles qui ont en charge de sauvegarder ou de restaurer la qualité des relations sociales, comme le Médiateur de la République, les deux types d'Autorités administratives indépendantes relèvent d'un même mécanisme de défiance à l'égard d'un Etat centralisé et hiérarchisé. En effet, traditionnellement l'Etat, ses organismes et ses politiques publiques, ont pour mission de veiller à la cohésion sociale et à la qualité des relations entre les parties prenantes de la société. Le fait qu'il faille un médiateur dans la République, ou une Commission d'Accès aux Documents Administratifs, illustre la conviction du Parlement que les outils traditionnels de l'Etat ne réussissent plus à assurer une telle fonction de paix sociale. Cela peut être vrai alors même que les moyens nécessaires sont peu élevés, parce que l'Etat ne peut pas produire une doctrine unifiée, comme on peut l'observer à propos du Haut Conseil à l'intégration 28 ( * ) .

1.1.8. La question centrale d'une défiance dont le principe est combattu ou dont les conséquences sont tirées. Cette raison que l'on prête au législateur, et que l'on retrouve souvent exprimée dans les travaux préparatoires, raison qui ne trouve pas sa source dans une injonction extérieure issue du droit communautaire ou international, doit conduire le Parlement à la réflexion suivante. Faut-il prendre acte de cette défiance, soit parce qu'elle serait fondée (le Gouvernement ne pourrait s'empêcher de jouer de son pouvoir de régulation pour favoriser l'opérateur public, ce qui lui permet de résoudre des difficultés budgétaires plus générales), soit, alors même qu'elle serait injustifiée, parce qu'elle est exprimée par l'opinion publique ou par la catégorie de personnes concernées (les parents pour la protection des enfants, les investisseurs pour le fonctionnement du marché financier, etc.). Ce faisant, la création des Autorités administratives indépendantes à la fois restaure la confiance, à l'égard d'un organisme « tout neuf » et sans lien avec un système mal-aimé, mais elle achève en même temps d'accréditer l'idée que ce dernier ne mérite plus considération. L'autre attitude peut consister à dire que le système ordinaire, par exemple celui des juridictions et du Ministère public pour protéger le citoyen, devrait être renforcé et soutenu, plutôt qu'affaibli encore 29 ( * ) .

En la matière, la prédiction que le Parlement fait de l'affaiblissement de l'Etat traditionnel centralisé et hiérarchisé est auto réalisatrice 30 ( * ) . La raison et la volonté politique se mêlent alors, et c'est politiquement que le Parlement doit prendre une direction.

1.1.9. Autorité administrative indépendante et qualité de constance. Sur un autre terrain, moins politique, une raison profonde est apparue, souvent mise en lumière à propos des banques centrales indépendantes mais qui vaut pour beaucoup d'Autorités administratives indépendantes. Certaines actions de l'Etat doivent s'inscrire dans la durée, ce qui suppose une constance de l'action politique, soit parce que les politiques publiques en cause ne peuvent porter leurs fruits que sur plusieurs années, par exemple en matière de discrimination, soit parce que les investissements ou les positionnements pris par les opérateurs supposent une règle constante. Or, les Gouvernements, et peut-être les Parlements, sont soumis à des contraintes politiques, électorales notamment, qui ne leur permettent pas cette constante. Une Autorité administrative indépendante, parce qu'elle n'est pas rattachée au mécanisme électif, échappe à cet aléa, à ces « incohérences temporelles », ces revirements budgétaires, ces modifications inattendues de statut ou de règles. Cette raison est donc très forte dès l'instant que l'action s'inscrit dans le temps et requiert une participation à long terme des personnes. La confiance et la stabilité sont ainsi pourvues.

1.1.10. Autorité administrative indépendante et régulation sectorielle. Une autre raison est le lien très fort entre les Autorités administratives indépendantes et les régulations sectorielles. L'idée est alors qu'il faut « gouverner » un secteur particulier, particulier économiquement, industriellement, techniquement, souvent doté de professions propres - par exemple en matière bancaire. La technicité du secteur, par exemple le secteur énergétique ou le secteur financier, crée une asymétrie d'information entre les entreprises régulées et l'autorité publique qui les supervise ou les régule, ce qui justifie alors une Autorité plus mobile, proche des entreprises concernées. Si l'Autorité se détache des services centralisés de l'Etat, c'est pour se rapprocher des entreprises, qu'ils s'agissent de mieux les surveiller, de mieux les sanctionner ou de mieux coopérer avec elles. Cette considération de la régulation du secteur est le plus souvent admise. En revanche, les Autorités administratives indépendantes qui ne sont pas cantonnées dans un secteur voient leur existence plus difficilement admise, car elles se réfèrent moins à un secteur et à une technique, empiétant donc plus nettement sur la représentation même de l'Etat traditionnel, en ce que celui-ci renvoie à une action générale. Ainsi, le projet de loi sur une autorité indépendante en matière ferroviaire 31 ( * ) , autorité qui exerce ses pouvoirs sur un secteur particulier, donne moins de prise à la discussion, voire à la polémique, que la création en 2004 de la HALDE, celle-ci ayant pour objet l'ensemble de la société.

1.1.11. Autorité administrative indépendante et expertise crédible. Une autre raison de créer des Autorités administratives indépendantes répond au besoin de l'Etat de disposer d'un coeur permanent d'expertise et d'expression de sensibilités à propos de difficultés constantes ou récurrentes. L'exemple le plus net est le Comité National d'Éthique. Ce type d'autorité tout à la fois ne requiert pas l'attribution de pouvoirs, ce qui explique qu'avant que le législateur n'en dispose autrement en 2004 le Conseil d'Etat n'avait pas classé le Comité d'Éthique dans les Autorités administratives indépendantes, et l'autorité d'un tel organisme, établie par le croisement de son expertise, de la diversité des opinions des personnes que le composent et sa capacité à en faire la synthèse, de son magistère moral, peut dépasser l'influence exercée par d'autres Autorités. De la même façon, le Haut Conseil à l'intégration a tout d'abord été constitué pour rendre un rapport annuel sur l'intégration, avant de voir sa mission élargie, rendant des avis et animant le débat public. Cette dimension expertale est présente à divers degrés dans toutes les Autorités administratives indépendantes. Ainsi, le Conseil de la concurrence se plaint de son manque de moyens, essentiellement parce que cela le prive d'un outil interne d'expertise 32 ( * ) . Ce besoin d'expertise justifie que certaines Autorités, comme l'Autorité des Marchés Financiers, se soient spontanément dotées d'un « conseil scientifique », généralement composé d'universitaires. De la même façon, la HALDE dispose d'un conseil consultatif, qui a vocation à éclairer le collège 33 ( * ) . Cette expertise requise peut d'ailleurs tenir non pas à l'Autorité elle-même mais au bénéfice que les professionnels concernés peuvent eux-mêmes lui apporter. Cela concerne plus particulièrement les régulations des secteurs économiques, à propos desquels l'expertise est davantage dans les entreprises contrôlées que dans l'administration qui les supervise. Cette asymétrie d'information justifie que l'organisme de contrôle soit plus proche du secteur, l'établissement d'une agence indépendante spécialisée proche des entreprises réduisant cette asymétrie. Plus encore, ce besoin d'expertise crédible justifie que dans les Autorités les plus récentes, par exemple la Haute Autorité de la Santé, des exigences de compétence technique soient formulées par la loi concernant les membres du collègue.

1.1.12. Peut-on unifier ou hiérarchiser les raisons de créer des autorités administratives indépendantes ? La disparité des Autorités administratives indépendantes tient beaucoup dans la diversité des raisons de leur création et il paraît difficile de les réduire à une seule série de raisons. Mais il pourrait être utile pour le législateur de hiérarchiser ces raisons de créer de telles Autorités administratives indépendantes, pour avoir une meilleure idée des marges de choix politique dont il dispose pour décider d'en créer ou non, ou bien d'en faire fusionner parce qu'il apparaîtrait que deux Autorités administratives indépendantes répondent en réalité à une seule justification. Plus précisément, on peut considérer qu'il existe une « mauvaise raison » de créer une Autorité administrative indépendante, ou à tout le moins une « raison contingente » : le désir du Gouvernement de se défausser pour ne pas avoir à supporter des choix requis ou subir l'impopularité de certaines décisions nécessaires. C'est alors une délégation de responsabilité, dont le politique ne sort pas grandi. Au-delà, peut apparaître une raison plus solide, plus avouable aussi, tenant à la nécessité de proximité avec les acteurs ou les bénéficiaires. Le législateur peut alors estimer que la technique des Autorités administratives indépendantes est plus adéquate mais l'on pourrait aussi estimer qu'il convient mieux d'améliorer l'administration traditionnelle tout entière dans ses rapports avec les administrés 34 ( * ) . Au-dessus encore, figurent des raisons plus intrinsèques, comme l'ouverture à la concurrence, qui s'impose au regard des critères européens dès l'instant que demeurent dans le secteur des entreprises publiques. Se dérober à la création d'une Autorité administrative indépendante exposerait la France à une condamnation. Enfin, si l'on devait mettre dans cette hiérarchie des raisons la plus prégnante, il s'agirait de l'impératif de crédibilité : lorsque la création d'une Autorité administrative indépendante est le moyen le plus efficace d'offrir de la crédibilité à l'action publique, alors le législateur doit rationnellement y procéder, alors même qu'il n'aurait pas reçu un ordre extérieur d'y procéder.

1.1.13. L'avenir des circonstances et des raisons de créer des autorités administratives indépendantes . A partir de là, il est pertinent de mesurer dès maintenant la pérennité de ces raisons, et les mauvaises peuvent avoir parfois vocation à durer plus longtemps que les bonnes. Ainsi, pour prendre parmi les bonnes, lorsque l'ouverture à la concurrence des secteurs monopolistiques aura été accomplie, alors les Autorités administratives indépendantes créées pour la favoriser devront être supprimées par le législateur. De la même façon, si les conditions d'un certain courage politique reviennent, alors le Gouvernement pourra lui-même faire ce qu'il externalise pour l'instant dans des Autorités administratives indépendantes. Puisque dans le contexte français, le critère principal est celui de la crédibilité (car le critère de l'expertise peut être satisfait par l'administration traditionnelle), alors les Autorités administratives indépendantes continueront dans l'avenir à se développer tant qu'elles concentreront plus que d'autres formes d'organisation le crédit que les destinataires des décisions font à ceux qui les prennent.

* 13 Conseil constitutionnel, décision n°99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes, Rec., p. 136

* 14 C'est alors la jurisprudence qui y procède, voire le seul fait pour l'Autorité d'être classée ainsi, par exemple à travers le rapport précité du Conseil d'Etat. Ainsi, la Commission de Régulation de l'Energie n'a pas été qualifiée d'Autorité administrative indépendante par la loi, mais elle est visée dans ce rapport, et considérée comme telle par tous. Voilà la qualification par commune renommée. Cela se pose d'une façon plus particulière lorsque l'organisme en cause a été créé à une époque où la notion d'Autorité administrative indépendante n'existait pas. Ainsi, le Bureau Central de Tarification, expose, dans sa réponse au questionnaire, que « le Bureau central de tarification est un organisme ad hoc, créé en 1958, avant l'apparition de la notion d'AAI. ». Il ne prend pas position dans la suite de la réponse sur la nature juridique intrinsèque de l'organisme, notamment parce qu'il n'est pas acquis qu'il agisse au nom de l'Etat. Plus généralement, lorsque le député Léonce Deprez demande, dans la question écrite précitée du 24 mai 2005, au Premier Ministre la liste des Autorités administratives indépendantes, la réponse qui lui est faite débute par l'affirmation selon laquelle « la notion d'autorité administrative indépendante ne correspond pas à une catégorie juridique prévue par la Constitution ou par la loi. ... Certaines sont expressément qualifiées par la loi qui les institue ... D'autres se sont vu attribuer au cas par cas cette qualification par la jurisprudence. D'autres encore sont « reconnues » par la doctrine, au vu d'un ensemble de critères ... ».

* 15 Sur la notion même d'Autorité administrative indépendante, v. infra.

* 16 Sur cette idée comme quoi les choses se sont faites sans grande raison, v. entretien avec Cédric Musso, chargé des relations institutionnelles à l'UFC - Que Choisir, qui estime que : « Dans la pratique, l'AAI est un ovni parlementaire, lié à la qualification de la CNIL en AAI, repris ensuite dans d'autres lois et par la jurisprudence. Le juge pourra-t-il continuer à étendre indéfiniment la qualification d'AAI ? ».

* 17 V. infra.

* 18 Devenue l'Autorité de Régulation des Communications Electroniques et de la Poste (ARCEP) par la loi du 20 mai 2005, lui confiant également la régulation postale et accroissant ses compétences des télécommunications aux communications électroniques.

* 19 Tout d'abord par la loi du 10 février 2000 Commission de régulation de l'électricité, puis par la loi du 3 janvier 2003 lui confiant également la régulation du gaz. Elle devient alors Commission de régulation de l'énergie.

* 20 Sur la reddition que les Autorités administratives indépendantes doivent faire de leur activité, v. infra .

* 21 L'OFTEL est devenu OFCOM, Office of communication depuis l'entrée en vigueur du Communications Act de 2003.

* 22 V. infra.

* 23 Ainsi, alors que d'autres estiment que le mouvement de création des Autorités administratives indépendantes est réversible (v. infra), le Haut Conseil du commissariat aux comptes, dans sa réponse au questionnaire, estime que « Dans le domaine de l'audit, le contexte tant national qu'international impose la création d'une structure de surveillance sous la forme d'une autorité administrative indépendante ». On retrouve le même argument sous la plume du CECEI, qui, dans sa réponse au questionnaire, estime que « Dans le secteur bancaire et financier, et sans préjudice de l'architecture choisie tant au plan national que communautaire, les évolutions européennes tendent à pérenniser l'existence d'autorités indépendantes en charge de la régulation du secteur. ».

* 24 V. infra.

* 25 Sur le fait qu'il s'agit alors d'une régulation à temps compté, qui doit s'éteindre en même temps que la plénitude concurrentielle est obtenue, v. infra.

* 26 Par exemple, Pierre-Mathieu Duhamel, directeur du Budget, souligne lors d'un entretien que l'émergence des AAI est « est une réponse politique au regard des difficultés parfois éprouvées par les pouvoirs publics à intervenir eux-mêmes dans certains secteurs ».

* 27 Renaud Chazal de Mauriac, premier président de la Cour d'appel de Paris, estime lors d'un entretien que «d'une part, la création de certaines AAI correspond à une défiance à l'égard du judiciaire. D'autre part, il peut y avoir une appréciation négative sur la capacité technique du judiciaire à intervenir dans certains secteurs. Si l'on prend l'AMF ou la HALDE, on constate des différences significatives. La HALDE est née d'un échec du judiciaire, tandis que l'AMF, comme l'ARCEP, sont liées au caractère très spécifique des matières traitées : il faut un dispositif extra judiciaire pour traiter celles-ci ».

* 28 Dans sa réponse au questionnaire, le Haut Conseil à l'intégration précise que son « rôle est d'élaborer la doctrine de la politique d'intégration, rôle qui ne [lui] est pas disputé par l'Etat. Paradoxalement, une telle tâche ne nécessite pas de moyens, mais l'Etat n'a pas les moyens d'élaborer lui-même cette doctrine ». Le Haut Conseil n'a d'ailleurs pas de souhaits concernant des pouvoirs qui devraient lui être conférés, puisqu'il exerce une influence et non pas des pouvoirs.

* 29 Par exemple, Renaud Chazal de Mauriac, premier président de la Cour d'appel de Paris, estime dans un entretien que la HALDE aura le bon effet d'aiguillonner les parquets mais estime qu' « il aurait fallu aiguillonner le Parquet plutôt que passer la main. Il aurait été préférable de cerner les juridictions en difficulté, et de les renforcer pour qu'elles puissent jouer pleinement leur rôle dans le domaine de la lutte contre les discriminations ».

* 30 Dans ce sens, l'Autorité des Marchés Financiers, dans sa réponse au questionnaire, souligne que c'est l'idée que s'en fait le corps social lui-même qui a justifié ce mouvement de création des Autorités administratives indépendantes : « Son développement éventuel continue de dépendre de la perception que les citoyens et le pouvoir politique auront de la capacité de l'Etat à traiter efficacement des problèmes complexes en toute indépendance et en dehors de tous conflits d'intérêts ».

* 31 Communiqué du Conseil des Ministres du 5 octobre 2005.

* 32 Il souligne, dans sa réponse au questionnaire que « Le manque de moyen pénalise le Conseil dans toutes ses missions transversales, l'essentiel des moyens étant absorbé par les procédures contentieuses. La priorité serait de créer, en interne et hors contentieux, une capacité d'analyse juridique et économique autonome et de disposer de crédits pour la commande d'études ou d'expertises. ». Sur la question, corrélée, liée au fait que le Conseil de la concurrence n'a pas de service d'enquête propre et son articulation avec la DGCCRF, v. infra.

* 33 La HALDE précise, dans sa réponse au questionnaire que « le Comité consultatif désigné par le collège apporte son expertise sur un ordre du jour fixé par le collège, à qui il doit rendre compte ».

* 34 Sur ce choix politique de méthode, v. infra.

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