3. La saisine intéressée

10.1.6. La saisine par les victimes. La saisine devient intéressée lorsque le demandeur le fait pour satisfaire son intérêt particulier, par exemple pour obtenir une indemnisation, ou obtenir la sanction d'un concurrent, ou l'exclusion d'une personne aux intérêts contraires aux siens, ou l'adoption d'une injonction contre un tiers et en sa faveur. Certes, l'on peut considérer que favoriser les saisines par les victimes est une confusion entre la poursuite de l'intérêt individuel et la défense de l'intérêt général.

10.1.7. Corrélation entre la saisine par les victimes et la protection des personnes par les Autorités administratives indépendantes. Mais en premier lieu, lorsque les Autorités administratives indépendantes ont en charge la protection des personnes 273 ( * ) , il est logique que celles qu'il s'agit de protéger puissent saisir l'Autorité. C'est notamment le cas de la CADA. Mais il peut arriver que les victimes soient trop faibles pour accéder à l'Autorité, c'est pourquoi l'action doit prendre une voie médiate, celle précitée des associations ou, par exemple, des services sociaux (par exemple pour le défenseur des enfants) ou des services administratifs (par exemple le ministre de l'Économie au regard du Conseil de la concurrence).

10.1.8. Saisine intéressée et restauration de la légalité. Pour relativiser encore cette opposition souvent faite entre l'intérêt général et l'intérêt particulier, et pour considérer la question au regard de l'efficacité de l'action des Autorités administratives indépendantes, l'action des victimes pourrait être favorisée y compris auprès des Autorités administratives indépendantes n'ayant pas pour fonction directe la protection des personnes (comme le Conseil de la concurrence, qui protège la concurrence et non les concurrents, ou l'AMF qui protège l'épargne). En effet, cela fournit aux Autorités de l'information, élément vital pour leur action 274 ( * ) , et lorsque cela mène à une sanction pour violation des normes de comportement, cela restaure la légalité.

SECTION 11 : LES PERSPECTIVES D'ÉLARGISSEMENT DE LA SAISINE

4. L'hypothèse de saisine universelle

11.1.1. Les avantages d'une saisine universelle. C'est pourquoi le législateur pourrait prévoir, par exemple dans l'éventuelle loi-cadre, un pouvoir universel de saisir les Autorités administratives indépendantes, à l'instar d'un droit général d'action en justice qui permet à toute personne y ayant un intérêt personnel de saisir les juridictions 275 ( * ) . Cela permettrait non seulement la restauration de la légalité lorsque celle-ci a été méconnue, mais encore une participation plus grande des personnes ordinaires à l'action des Autorités administratives indépendantes. Cette possibilité est notamment vivement souhaitée par le Médiateur de la République, qui pour l'instant ne peut être saisi par les citoyens sans le filtre d'un parlementaire. Cette situation est opposée à celle que connaît pour le Défenseur des enfants, puisqu'il peut examiner des situations présentées pour des personnes irrecevables à le faire, dès l'instant que des droits ou que la sécurité des enfants est en cause. Cette opposition est difficile à comprendre dans la mesure où ces deux Autorités sont analogues. D'une façon plus générale, dans la mesure où la création des Autorités administratives indépendantes résulte souvent d'une défiance à l'égard de l'Etat 276 ( * ) , cette association plus étroite permettrait d'établir un lien de confiance plus solide entre les citoyens et les Autorités administratives indépendantes, dont il demeure acquis qu'elles émanent de l'Etat, même si le lien avec le Gouvernement a été rompu. En outre, comme il a été souligné, l'asymétrie d'information en sera diminuée au profit des Autorités. La saisine universelle produit assez mécaniquement un accroissement des demandes, le succès même de l'action de l'autorité y incitant 277 ( * ) .

11.1.2. L'établissement d'une saisine universelle et les incitations requises pour son exercice effectif. Si l'évolution du droit conduit, soit loi par loi, soit par une loi-cadre qui, à ce titre, viendrait compléter le silence des lois antérieures et servir de guide pour les lois postérieures qui pourraient expressément y déroger en explicitant de bonnes raisons spécifiques pour cela, encore faut-il que cela soit effectif. Pour cela, il faut que les personnes intéressées, principalement les victimes, puissent obtenir un avantage particulier, car il demeure acquis qu'elles agissent pour défendre leur intérêt particulier, même si une telle action intéressée sert en ricochet l'intérêt général dont les Autorités administratives indépendantes ont la charge.

11.1.3. La perspective d'un pouvoir d'indemnisation. Pour cela, il conviendrait que les Autorités puissent attribuer des dommages et intérêts. Pour l'instant, cela est exclu. Il est vrai que les victimes peuvent se tourner vers les juridictions, au besoin en s'appuyant sur des preuves établies grâce à l'action des Autorités administratives indépendantes, et qu'un tel pouvoir contribuerait à accroître le mouvement de juridictionnalisation des Autorités administratives indépendantes, sur lequel des réserves peuvent être faites 278 ( * ) . Mais ce mouvement a également des avantages 279 ( * ) et cela contribuerait puissamment à des saisines effectives d'Autorités.

11.1.4. L'opportunité d'associer droit d'accès et pouvoir de filtrage. Mais si le législateur s'oriente vers un accès universel des Autorités administratives indépendantes, notamment de la part des victimes pour obtenir des réparations, ce qui n'est pour l'instant pas le cas, mais pourrait constituer une alternative au pouvoir de sanction dans une perspective de civilisation de la régulation 280 ( * ) , il conviendrait que les Autorités disposent d'un pouvoir de filtrer de telles demandes. Cela serait justifié tout d'abord par l'observation triviale que la plupart des Autorités administratives indépendantes n'ont pas les moyens matériels de répondre à une multitude de demandes, et ensuite par le fait qu'elles ne sont pas par nature des juridictions, ce qui conduit à limiter le fondement de ce qui serait un droit général d'action à une perspective de contribution à la concrétisation de l'intérêt général, ce qui fonderait le pouvoir des Autorités à désigner de plano les actions particulières qui y contribuent vraisemblablement et celles qui n'y contribuent pas. Ainsi, si le législateur décidait d'ouvrir à chacun le droit de saisir une Autorité administrative indépendante, avec l'incitation corrélative pour l'instant manquante d'obtenir une décision ayant un effet direct sur la situation particulière, notamment par l'attribution de dommages et intérêts, il faudrait l'assortir d'un pouvoir de filtrage.

* 273 Sur cette summa divisio, v. supra.

* 274 Sur l'asymétrie d'information, v. supra.

* 275 Lors d'un entretien, Alain Bazot, président de l'UFC - Que Choisir, souligne : « il faudrait que cette possibilité de saisine soit plus large, mais surtout que la procédure soit plus réglementée ». Cédric Musot, chargé des relations institutionnelles, poursuit : « La procédure judiciaire est formelle, et donc très claire. En revanche, pour les AAI, nous avons par exemple récemment eu un problème avec le CSA, que nous avons saisi au sujet de la TNT. Le CSA nous a seulement répondu que le collège étudierait la saisine, mais il n'y a pas eu ni audition, ni demande de mémoire, ni transmission d'information sur la décision prise ».

* 276 V . supra.

* 277 Ainsi, La CNIL, dans sa réponse au questionnaire, souligne qu'« en 2004, la CNIL a reçu 22,4% de saisines en plus par rapport à 2003. ».Elle précise que « à titre d'illustration, depuis sa création la CNIL a reçu 10 656 demandes de droit d'accès indirect, c'est-à-dire des demandes d'accès à des fichiers de police et de gendarmerie que la CNIL réalise au nom des citoyens. Ces demandes ont donné lieu à plus de 17 000 investigations. Or, depuis plusieurs années la CNIL est confrontée à des hausses spectaculaires de ces demandes ; en 2004, il s'est agi d'une hausse de 70% en un an. ».

De la même façon, la HALDE, benjamine pourtant des Autorités administratives indépendantes, indique dans sa réponse au questionnaire : « Sur les cinq premiers mois d'activité, la Haute Autorité a été saisie d'un peu plus de 700 réclamations. La notoriété grandissante de la Haute Autorité devrait conduire à l'accueil de plus de 3 000 réclamations en 2006. ». On observe que l'importance des Autorités administratives indépendantes dépend beaucoup de la connaissance que les parties prenantes en ont. Cette connaissance va souvent de soi pour les régulateurs économiques, mais elle est moins spontanée pour les régulateurs qui protègent les libertés publiques. On observera que ceux-ci, aussi bien la HALDE que la CNIL ou le Défenseur des enfants, estiment souffrir d'un déficit de notoriété et réclament fortement des moyens budgétaires de communication et d'information, ce que ne réclament précisément pas les régulateurs de secteurs économiques. La HALDE précise dans sa réponse au questionnaire qu'elle veut implanter un « réflexe HALDE » dans la population, pour que toute victime d'une discrimination se tourne vers elle. A l'inverse, le Conseil de la concurrence estime, dans sa réponse au questionnaire, qu'il n'est pas nécessairement très connu du grand public, et cela ne constitue pas un obstacle à l'accomplissement de sa mission. Cette question apparaît donc comme opposant régulateurs économiques et médiateurs sociaux. Il ne faut pourtant pas exagérer l'effet de la distinction car, par exemple lorsque l'épargne populaire est concernée, le besoin de communication renaît. Il en est ainsi aussi bien de l'AMF que du Haut Conseil au commissariat aux comptes.

* 278 V. supra.

* 279 V. supra.

* 280 V. supra.

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