CHAPITRE VI - LES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES ET LES JURIDICTIONS

12.0.1. Juridictionnalisation des Autorités administratives indépendantes et influence juridictionnelle. Il a été montré que la nature même des pouvoirs exercés par les Autorités administratives indépendantes, lorsqu'ils prennent la forme d'un pouvoir de sanction ou de règlement des différends, entraînent nécessairement une juridictionnalisation de celles-ci 283 ( * ) . Cela n'est pas indifférent aux rapports que les Autorités administratives indépendantes entretiennent avec les juridictions, les juridictions contrôlant de plus en plus fortement les Autorités au fur et à mesure que leurs pouvoirs deviennent analogues. Mais le rapport n'est pas seulement de contrôle, il doit être avant tout un rapport de coopération, notamment parce que de nombreuses Autorités, y compris celles qui s'analysent elles-mêmes sans pouvoirs juridiques forts, par exemple le Médiateur de la République, sont dotées du pouvoir de saisir les juridictions et y attachent une grande importance, et d'une façon plus générale parce que les deux types d'institutions appartiennent à l'Etat.

12.0.2. L'impact sur le système politique français. Cette présence nécessaire des juridictions, du fait du type de pouvoirs attribués aux Autorités administratives indépendantes, a accru l'importance des juges dans l'action de l'Etat. Cette évolution, en décalage par rapport à l'organisation politique française traditionnelle, tend à établir les juridictions en pouvoir, et à rapprocher notre système politique du système anglo-nord-américain 284 ( * ) .

SECTION 12 : BILAN DE LA COOPÉRATION ENTRE LES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES ET LES JURIDICTIONS

1. La coopération horizontale entre les autorités administratives indépendantes et les juridictions

12.1.1. L'importance pour les Autorités administratives indépendantes du rapport avec les juridictions. Notamment parce que les Autorités ne sont pas elles-mêmes dotées du pouvoir de sanctionner ou de trancher les différents, mais qu'elles exercent plutôt un pouvoir d'expertise, d'information, de médiation et d'alerte, et surtout lorsque les Autorités ont une compétence horizontale et non pas sectorielle, la qualité et l'intensité du rapport avec les juridictions sont essentielles. Il en est ainsi par exemple de la HALDE, pour l'instant non encore dotée de sanction, du Haut Conseil au Commissariat aux comptes 285 ( * ) , ou du Défenseur des enfants 286 ( * ) .

12.1.2. Les Autorités administratives indépendantes, experts gracieux des juridictions . L'asymétrie d'information dont souffrent les Autorités administratives indépendantes 287 ( * ) , est démultipliée au détriment des juridictions, moins proches des situations générales, saisies uniquement de cas particulier, composées de magistrats formés au droit et relativement peu à d'autres disciplines, alors que les actions de toutes les Autorités administratives indépendantes ne donnent qu'une part relativement limitée au droit. En outre, les juridictions ne sont généralement pas spécialisées, ce qui accroît la difficulté de la tâche des magistrats. C'est pourquoi il est essentiel de prévoir que les Autorités administratives indépendantes peuvent, sans exception, fournir des avis à des juridictions, sans exception, ou interpréter le silence des textes dans ce sens. Le fait qu'il s'agisse d'avis techniques gratuits pour le service public de la justice n'est pas leur moindre qualité.

12.1.3. Discussion autour de la présence des Autorités administratives indépendantes à l'occasion des recours formés contre leurs décisions devant les juridictions . C'est souvent de cette façon que l'on justifie la présence des Autorités administratives indépendantes dans la procédure de recours formée contre leurs décisions devant une juridiction. Ce pouvoir est accordé par de nombreux textes, Autorité par Autorité. Il en est ainsi de l'AMF, de l'ARCEP, de la CRE ou du Conseil de concurrence. Cela correspond en outre à la règle classique du contentieux administratif qui estime logiquement que l'auteur d'une décision administrative participe au procès fait à l'acte.

12.1.4. Dès lors, si l'on s'en tient aux qualifications françaises, les Autorités en cause étaient de nature administrative, elles adoptent des décisions administratives dont elles défendent la légalité, voire l'opportunité, devant le juge qui doit l'apprécier. Mais si l'on se réfère aux qualifications européennes 288 ( * ) , les Autorités qui adoptent des décisions de sanction ou qui tranchent un litige opèrent « comme » des juridictions et doivent dès lors être traitées « comme » telles, c'est-à-dire en principe interdites de défendre leurs décisions, car les juridictions ne défendent pas leur jugement en appel.

Il en résulte que l'interprétation à faire des dispositions contraires que la souveraineté du législateur a insérées dans le système juridique, par le pouvoir de formuler des observations, doit être interprétée restrictivement. Cela fut fait par la Cour de cassation 289 ( * ) , mais la solution est contestée par des observateurs plus sensibles à la culture de droit public. Les qualifications juridiques sont ici fondamentalement une question de culture juridique, dommageable en ce que les Autorités administratives indépendantes, de la même façon qu'elles sont libérées de la tutelle de l'exécutif, gagnent à échapper à l'opposition traditionnelle entre le droit public et le droit privé.

* 283 V. supra.

* 284 V. supra.

* 285 Celui-ci peut saisir le parquet à toutes fins. Il est remarquable que, symétriquement, le procureur général près la Cour des comptes puisse saisir le Haut Conseil de toute question entrant dans sa compétence.

* 286 Pour prendre ce dernier exemple, une circulaire du Ministère de la justice organise ses relations avec les juridictions. Le Défenseur des enfants, dans sa réponse au questionnaire, souligne que « Une grande attention est accordée par les Procureurs généraux et les Procureurs de la République aux courriers de l'AAI, dans le respect de l'indépendance des décisions judiciaires. A chaque déplacement officiel de la Défenseure des Enfants dans les ressorts des Cours d'Appel, des réunions de travail sont tenues avec les Premiers Présidents et Procureur général. Par ailleurs, quelques correspondants territoriaux sont abrités par les Maisons de Justice et du Droit, en accord avec les Procureur et Président du TGI du lieu. ».

On soulignera encore la convention passée entre le Médiateur de la République et le Ministère de justice pour l'installation de délégués du Médiateur dans les prisons.

* 287 V. supra.

* 288 Sur cette superposition de deux espaces juridiques de qualification qui jouent en même temps, et la complexité nécessaire qui en résulte, v. supra.

* 289 Com., 22 février 2005, Sinerg.

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