CHAPITRE VIII - LES MOYENS FINANCIERS ET LA PLACE DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES DANS L'ARCHITECTURE BUDGÉTAIRE DE L'ÉTAT

16.0.1. L'importance et la pratique des budgets. Le budget n'est pas de l'intendance. Il est l'expression de la politique même, puisqu'il consiste à mettre en masse des moyens en fonction de buts, concrétisation donc d'une volonté d'action. De la même façon, la maîtrise d'un budget, en amont dans sa constitution à travers les ressources, puis dans son architecture qui suppose l'affectation dans ces ressources de montants disponibles pour tel ou tel usage, enfin en aval dans sa dépense effective, est le signe le plus tangible de la puissance d'action et de l'autonomie de décision.

16.0.2. Le paradoxe budgétaire des Autorités administratives indépendantes. Le budget est donc un mode de gouvernement, à ce titre la LOLF est indissociable de la réforme de l'Etat. En effet, la LOLF consiste à concevoir l'action de l'Etat en missions, elles-mêmes décomposées en programmes, dotées de moyens financiers, répartis dans un certain nombre d'actions. Le changement vient dans l'association d'une part du pouvoir des directeurs de missions et de programmes de réallouer les sommes en fonction des besoins en cours d'exercice budgétaire, et d'autre part de leur obligation de rendre compte de l'usage fait de ces moyens, à travers des indicateurs de performance dessinés en fonction des buts poursuivis. Ce n'est pas que reprendre des outils de saine gestion, déjà utilisés

en interne par de nombreuses Autorités administratives indépendantes 345 ( * ) . Ainsi la liberté, la responsabilité et la reddition des comptes sont fortement liées, ce qui renvoie à une conception politique de l'exercice du pouvoir. On pourrait penser que les Autorités administratives indépendantes fonctionnant selon le même mode de gouvernement, il devrait y avoir rencontre aisée. Mais c'est le contraire, précisément parc que les Autorités administratives indépendantes tiennent de leur nature ce pouvoir d'autonomie budgétaire ... mais qu'elles ne constituent pas dans la LOLF un programme. Dès cet instant et du fait même de cette identité, la LOLF se retourne contre les Autorités administratives indépendantes, par leur insertion dans des programmes, c'est-à-dire en les soumettant à un pouvoir de décision budgétaire en cours d'exercice 346 ( * ) , diminution apparente de leur propre maîtrise, c'est-à-dire de leur apparente autonomie 347 ( * ) .

16.0.3. Les trois dimensions de l'indépendance budgétaire. Il faut distinguer trois types d'autonomie, qui ne sont pas nécessairement alignées entre elles. Tout d'abord, l'indépendance financière, figure la plus radicale, concerne les modes de financement même de l'Autorité. Ensuite, l'indépendance de programmation et d'exécution budgétaire qui permet à l'Autorité de concevoir et de conduire les dépenses qui lui paraissent les unes par rapport aux autres nécessaires à l'exécution de sa mission. Enfin, l'autonomie de gestion budgétaire permet à l'Autorité d'opérer concrètement les achats, de signer les baux, d'opérer les paies, etc. Sans doute, l'enjeu le plus symbolique réside dans l'indépendance financière, mais l'enjeu le plus concret, dès l'instant que les Autorités administratives indépendantes ne sont pas dotées de budgets misérables, est dans l'autonomie de programmation et de gestion financière.

SECTION 16 : L'ADAPTATION DES MOYENS FINANCIERS À L'INDÉPENDANCE DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES

1. Autonomie de gestion financière dont disposent les autorités administratives indépendantes

16.1.1. L'autonomie budgétaire des Autorités administratives indépendantes. Les Autorités administratives indépendantes disposent en général d'une autonomie budgétaire, c'est-à-dire qu'à l'inverse des Établissements publics administratifs, elles élaborent librement et exécutent selon leur volonté leur budget. Elles revendiquent hautement ce pouvoir, jugé indispensable à leur indépendance 348 ( * ) . Certes, cette liberté est limitée par la dimension même de leur budget, dans l'attribution duquel elles ne sont généralement pas maîtresses 349 ( * ) . Certains estiment que la LOLF a changé les moeurs, y compris à ce propos, du fait de l'insertion dans un programme 350 ( * ) . L'autonomie de gestion devrait s'en suivre, mais les Autorités administratives indépendantes ne revendiquent pas nécessairement cette autonomie là, dans la mesure où il s'agit souvent de petites structures, dont l'efficacité serait handicapée par une trop forte mobilisation autour de ces tâches de gestion. C'est ainsi que des Autorités administratives indépendantes peuvent conclure des conventions de gestion avec leur ministère de rattachement, comme le fait le Conseil de la concurrence à l'égard du Ministère de Économie et des Finances.

16.1.2. Contrôle financier et indépendance des autorités administratives indépendantes. La très grande majorité des Autorités administratives indépendantes sont dispensées du contrôle financier, le Médiateur de la République disposant même d'un compte bancaire auprès de la paierie générale du Trésor,

tandis que certaines en supportent encore 351 ( * ) . Certes, et ce fut une cause d'inquiétude pour certaines, les procédures informatiques, conçues pour l'ensemble des organes de l'Etat, avaient prévu le visa du contrôle financier et mécaniquement refusaient de poursuivre le processus si la case n'était pas cochée, ce qui a conduit à restaurer un semblant de contrôle financier pour éviter tout blocage des dépenses afin que la souplesse requise ne soit pas techniquement mise dans le programme informatique. Le mécontentement qui a été manifesté à ce propos montre que la spécificité des Autorités administratives indépendantes a du mal à être prise en considération techniquement, du fait même qu'il s'agit de petites structures. Certes, l'absence de contrôle financier n'a pas que des avantages et il a pu être souligné que cela prive l'Autorité d'une sécurité dans sa gestion et d'un confort par rapport à sa responsabilité. Cela montre que s'il convient de prévoir, là aussi une loi-cadre sur les Autorités administratives indépendantes en serait le lieu, qu'elles sont dispensées du contrôle financier, cela doit être mis en balance avec l'organisation de leur reddition des comptes.

* 345 Ainsi, l'Autorité des Marchés Financiers précise dans sa réponse au questionnaire que « L'évaluation de l'efficacité et de la qualité est assurée pour chaque grand domaine d'activité par le suivi d'indicateurs opérationnels spécifiques dont une large place est laissée à la mesure de délais de traitement moyens, de flux quantitatifs d'instruction, de moyennes de charge par agent lorsque cela est jugé pertinent, de suites données aux contrôles ou enquêtes. ... Ces indicateurs font l'objet d'une analyse trimestrielle des écarts par rapport aux objectifs par les responsables opérationnels et la direction générale, à partir de laquelle sont arrêtés des plans d'action appropriés ».

L'ARCEP précise, dans sa réponse au questionnaire, que « si l'on se réfère à la comptabilité analytique des charges de l'Autorité, l'attribution des ressources représente de l'ordre d'un tiers de l'activité de l'Autorité, la mise en oeuvre des analyses de marché en représente une part équivalente et la mise en oeuvre des dispositions relatives au service public de l'ordre de 10% ».

De la même façon, le Défenseur des enfants expose, dans sa réponse au questionnaire, le système de saisine informatisée dans une base de données, d'une vingtaine de critères descriptifs de chaque situation dont l'Autorité est saisie.

* 346 Par exemple, la Commission de Régulation de l'Energie estime, dans sa réponse au questionnaire, que « La spécificité du statut de la CRE, autorité administrative indépendante, n'est pas prise en compte dans la nouvelle nomenclature budgétaire. En effet, lors de la mise en oeuvre de la LOLF, l'activité de la CRE a été définie comme une action au sein du programme « Régulation et sécurisation des échanges de biens et services » de la mission ministérielle « Développement et régulation économiques ». Les autres actions de ce programme financent, notamment, la DGCCRF ou la Direction générale des douanes et droits indirects. Ainsi, la CRE est traitée dans le cadre de la LOLF comme un service d'une administration centrale, les crédits de chaque programme étant fongibles, le chef de programme peut, au moins en droit, affecter les crédits accordés à la CRE à d'autres actions au sein du même programme. Cette possibilité est contradictoire avec le statut d'AAI et l'autonomie de gestion conférée à la CRE. ».

* 347 La référence faite ici à l'apparence renvoie à une qualité qui se donne à voir. V. supra.

* 348 On peut prendre l'exemple du Médiateur de la République qui, dans sa réponse au questionnaire, « met l'accent sur les éléments suivants d'autonomie de gestion : - il doit pouvoir continuer à négocier lui-même le niveau de sa dotation lors des conférences budgétaires ; - il doit demeurer libre, dans le cadre du droit budgétaire, de définir les objectifs et les indicateurs de performance caractérisant son action au sein du programme dans lequel il est inséré ; - il doit être en mesure de justifier lui-même l'exécution de son budget relativement aux objectifs prévus et aux moyens attribués au programme ; - il doit continuer à rester maître du choix de ses collaborateurs ; - il doit être ordonnateur des dépenses tant en ce qui concerne les actes de gestion budgétaire que pour la passation des marchés publics. ».

* 349 V. infra.

* 350 Ainsi, le CSA, dans sa réponse au questionnaire, expose que : « dans le nouveau cadre budgétaire instauré par la LOLF, le CSA étant une action du programme « Coordination du travail gouvernemental », il est intégré dans la négociation et la détermination des crédits au niveau du programme. Son autonomie en matière de négociation s'en trouve considérablement affaiblie, et le niveau de ses crédits dépend de celui d'autres instances gouvernementales et des arbitrages effectués entre celles-ci par le Secrétariat général du gouvernement qui est décisionnaire du programme. ».

* 351 Il faut prendre en compte que d'une façon très générale, le mécanisme du contrôle financier appliqué d'ordinaire est en train de s'alléger, ce qui rend la question moins cruciale pour les Autorités administratives indépendantes. Cela est souligné en entretien par Pierre-Mathieu Duhamel, directeur du budget, qui répond à l'observation selon laquelle la LOLF donne d'une façon générale une souplesse que les Autorités s'étaient déjà arrogées en pratique, en ces termes : « Il est vrai que le recentrage du contrôle financier exercé sur la mission budgétaire rejoint ce qui était en vigueur pour les AAI, c'est-à-dire un système d'avis et de contrôle a posteriori. Par conséquence, les AAI devraient facilement s'adapter à ces règles ».

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