3. Incidence de l'insertion des autorités administratives indépendantes à la LOLF

17.1.1. Rappel des principes de la LOLF. Nous avons vu que la LOLF préserve certes le principe d'une attribution des budgets selon les mécanismes traditionnels des négociations entre les ministères et administrations et l'administration du budget, avant d'être soumis au débat budgétaire au Parlement. L'innovation est donc dans l'établissement de programmes au sein desquels une flexibilité en cours d'exercice budgétaire est offerte au directeur du programme.

17.1.2. L'indépendance confrontée aux modes d'attribution du budget. S'il est vrai que la véritable indépendance budgétaire, par l'attribution de ressources propres, permet de préserver les Autorités administratives indépendantes d'une pression a priori exercée par le Gouvernement, il demeure que dans les faits celle-ci s'exerce peu. Au regard de l'indépendance, l'attribution de ressources propres a donc pour premier avantage de soustraire les Autorités de la diète générale à laquelle est soumis l'Etat, ce qui peut être plus ou moins justifié dans son principe, et leur donner une indépendance apparente, c'est-à-dire qui se donne à voir, asseyant ainsi davantage leur autorité, leur prestige, leur crédit. Cela serait ultimement la meilleure raison d'attribuer ces ressources propres aux Autorités administratives indépendantes, lorsque cela est techniquement possible 361 ( * ) . Mais des ressources propres ne sont envisageables dans le cadre de la LOLF que si l'activité de l'Autorité permet d'envisager une redevance. Cette possibilité doit non seulement exister de droit, c'est-à-dire en présence de personnes aptes à payer une telle redevance en corrélation avec l'activité de l'Autorité, ce qui est relativement peu souvent le cas. Elle doit encore exister en fait, c'est-à-dire que la collecte de la redevance soit concrètement aisée, soit qu'il s'agisse d'une redevance liée à l'acte (comme en partie pour l'AMF), soit qu'il s'agisse d'une somme prélevée sur peu d'opérateurs. Cette dernière observation vaut aussi pour les taxes, cette condition étant par exemple satisfaite au bénéfice de la Commission de Contrôle des Assurances, des Mutuelles et des Institutions de Prévoyance.

17.1.3. Retour sur l'interférence avec l'attribution de la personnalité morale et la perspective de prélèvement direct : la sortie de la LOLF. La personnalité morale prend ici une nouvelle importance. En effet, en raison de la contrainte que peut exercer directement tout directeur de programme, si l'Autorité est tout à la fois dotée d'une personnalité juridique et de ressources propres, elle peut n'être plus concernée par la LOLF  ! C'est ici un arbitrage politique qui doit

être fait 362 ( * ) . Est-ce que l'indépendance des Autorités administratives indépendantes, en tant qu'elle se donne à voir, car dans les faits leur indépendance n'est guère écornée mais l'on doit bien comprendre l'importance de l'apparence en la matière, justifie que les règles fondatrices de l'Etat, c'est-à-dire dans la tradition française l'Unité, soient écartées ! On peut considérer que dans leur existence même, les Autorités administratives indépendantes constituent déjà cette atteinte, que l'on peut concevoir l'Etat sur un mode plural, se rapprochant des conceptions politiques des pays nordiques ou anglo-nord-américains, et qu'il faut en tirer les conséquences dans l'organisation et le fonctionnement du budget de l'Etat. Le Parlement est le lieu le plus légitime pour en décider.

17.1.4. L'indépendance confrontée au pouvoir de régulation des crédits et au principe de leur fongibilité entre les mains du directeur du programme. La LOLF met en masse les moyens budgétaires au regard de missions globales. Par nécessité, parce que la LOLF est également un instrument de lisibilité du budget général de l'Etat, les masses budgétaires concernées sont nécessairement de grande ampleur. Cela explique qu'en l'état les Autorités administratives indépendantes sont dispersées dans divers programmes, par exemple la CNIL dans la mission du ministère de la justice, le Conseil de la concurrence dans la mission de régulation économique du ministère de l'économie, ou le CSA dans la mission des services du Premier Ministre. Or, par nature, le directeur du programme peut exercer son pouvoir de régulation budgétaire en cours d'exercice au détriment d'une Autorité indépendante au profit d'un autre organisme inséré dans le même programme. Ici encore, il faut avoir conscience de la distance entre le fait et le droit. De droit, cette insertion dans des programmes et ce mélange avec des administrations dépendantes, cette soumission à une règle commune permettant au directeur du programme de dépouiller l'Autorité administrative indépendante au profit d'une administration dépendante (par exemple le Conseil de la concurrence au profit de la DGCCRF, puisqu'ils appartiennent au même programme budgétaire) est préoccupante, voire choquante. De nombreuses Autorités protestent contre le principe même de cette fongibilité 363 ( * ) . Mais de fait, d'autres Autorités administratives indépendantes ne craignent pas cette perspective, estimant qu'elles ne présentent pas, en raison de la faiblesse relative de leur budget, des cibles intéressantes pour une telle régulation. Il demeure que si l'on s'en tient au fait que l'indépendance doit non seulement exister mais encore se donner à voir, il faut réfléchir à une meilleure articulation entre la LOFL et le principe d'indépendance.

* 361 V. supra.

* 362 Pierre-Mathieu Duhamel, directeur du budget, souligne que le lien entre attribution de la personnalité morale et sortie de la LOLF n'est pas automatique, mais résulte lui-même d'une volonté politique. A la question posée de savoir si l'on pourrait pu intégrer l'AMF dans la LOLF alors même qu'elle accédait à la personnalité morale : « oui, c'est concevable. Toutefois, il y avait une volonté de ne pas intégrer l'AMF dans la LOLF, comme conséquence de l'octroi de la personnalité morale. Il est possible d'avoir une personne morale astreinte aux règles fixées par la LOLF (comme par exemple les opérateurs de l'Etat). Le mécanisme de la LOLF peut tout à fait être étendu en dehors de l'Etat ».

* 363 Ainsi, Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, estime, dans un entretien : « Nous sommes à mon avis une des AAI les mieux préparées pour s'insérer dans la LOLF sans dommages. Sous une réserve : que le principe de fongibilité ne s'applique pas à nous.

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