5. Bilan des moyens utilisés par les autorités administratives indépendantes pour rendre compte de leur activité

19.1.6. La réaction des parties prenantes. Le premier phénomène souvent visé pour soutenir qu'existe, par une sorte d'effet de nature, une reddition des comptes imposée aux Autorités administratives indépendantes, tient dans la réaction des parties prenantes. Pour prendre un exemple, le régulateur des télécommunications souligne fréquemment la satisfaction et des nouveaux opérateurs et des consommateurs de son action, ce qui constitue la meilleure des évaluations. Cette sorte d'indice de satisfaction comme mode d'évaluation des

Autorités administratives indépendantes est certainement utile, mais, à supposer cette satisfaction mesurable 381 ( * ) , elle exige des conditions rarement réunies.

19.1.7. Les trois conditions, rarement réunies, pour que la satisfaction des parties prenantes constitue une évaluation utile. En premier lieu, il doit être possible de corréler l'action de l'Autorité et l'évolution de la situation soumise à l'action de l'Autorité, lien de causalité dont la reconstitution est techniquement périlleuse. En deuxième lieu, il faut qu'existent des consommateurs dont la satisfaction peut être mesurée. Cela est rarement le cas : les enfants ne peuvent refléter la satisfaction que l'on peut avoir de l'action du Défenseur des enfants ... En troisième lieu, cela suppose que l'ensemble des parties prenantes soit actif dans cette évaluation spontanée, notamment non seulement les entreprises mais encore les consommateurs et sans doute des parties prenantes plus larges encore, telles que la société civile et l'Etat lui-même. Or, l'observation montre que ce sont souvent les entreprises, et parfois une seule catégorie parmi la diversité des entreprises impliquées, qui expriment une satisfaction. Cela peut être pertinent si l'on peut observer que celles-ci appliquent spontanément les décisions de l'Autorité 382 ( * ) , mais il demeure que cette sorte d'évaluation est partielle. Elle peut donner une vision inexacte, parfois inversée, de l'action du régulateur. Il a été souligné qu'une approbation du régulateur par les entreprises peut parfois faire douter de l'efficacité de celui-ci, lorsque la mission de l'Autorité consiste à brider, à contrôler, à donner des injonctions aux entreprises. Ces évaluations spontanées sont donc à manier avec précaution, et après vérification de l'existence des trois conditions précitées.

19.1.8. La transparence, fusion de l'usage du pouvoir et du compte qui en est rendu. L' accountability peut prendre une forme plus quotidienne et moins hasardeuse à travers la procédure 383 ( * ) . En effet, lorsque les Autorités administratives indépendantes s'astreignent à fonctionner d'une façon transparente, non pas nécessairement concertée, cela accroît à la fois leur légitimité et le compte qu'elles rendent sur l'usage de leurs pouvoirs, reddition que l'on pourrait désigner comme étant « en direct », c'est-à-dire en même temps qu'ils s'exercent. Il y a fusion entre l'usage et la reddition, ce qui constitue une supériorité nette par rapport à des redditions des comptes, par exemple devant la Cour des comptes, qui oblige à cheminer plusieurs années afin qu'une évaluation soit disponible.

19.1.9. La motivation des décisions, mode juridictionnel de la reddition des comptes. Ce n'est pas seulement par le mouvement général de juridictionnalisation des Autorités administratives indépendantes 384 ( * ) que le principe de motivation a pris pied dans l'usage que les Autorités administratives indépendantes font de leur pouvoir. Cela tient au fait que la motivation, explicitant les raisons, les preuves et le lien entre les premières et les secondes, lien qui constitue le raisonnement même, constitue en elle-même une limite rationnelle à l'usage des pouvoirs. En outre, par cette obligation de raisonnement explicite, l'Autorité donne à voir sa compétence technique à saisir correctement une question, et l'adéquation de la compétence (juridique, économique, industrielle, etc.) avec le type de décision à prendre.

19.1.10. L'obligation de motivation, au-delà de la référence à l'activité juridictionnelle. Dès lors, le principe de motivation ne doit pas être pris dans un sens étroitement juridictionnel, c'est-à-dire comme socle d'un possible recours devant un juge, mais bien plutôt comme un mode de reddition des comptes. Dès lors, des décisions qui ne constituent pas par ailleurs une activité de type juridictionnel, ou même qui ne sont pas substantiellement soumises à un recours devant un juge, doivent pourtant être motivées. Par un tel renversement de perspective, ce sont les décisions générales plus encore que les décisions particulières qui doivent être motivées : c'est l'exercice du pouvoir normatif qui mérite le plus une motivation, façon forte de mieux fonder l'usage du pouvoir normatif par les Autorités administratives indépendantes. Il devrait en être ainsi en matière de tarification, d'édiction de règlements généraux, etc.

19.1.11. La publication d'un rapport annuel. Il est fréquent d'insister sur le fait que la publication d'un rapport annuel, publication à laquelle procède la quasi-totalité des Autorités administratives indépendantes, est certes le moyen pour celles-ci de faire connaître leur action, voire par le choix de tel ou tel thème d'attirer l'attention des autorités publiques et de l'opinion sur un enjeu particulier 385 ( * ) , mais participe également de la reddition des comptes 386 ( * ) . Celles-ci sont les premières

à y voir une forme d' accountabilily 387 ( * ) . Le rapport annuel en est effectivement la forme la plus directe, puisque l'Autorité donne à voir toute son action, voire exprime sa doctrine, rendant par ce moyen plus prévisible et plus sécure son action future. Peut-on s'autoriser à rappeler une réalité triviale, qui requiert un lecteur pour que le rôle d' accountability puisse jouer ? Or, les lecteurs peuvent manquer, dans le désir de lire ses rapports annuels, dans la compétence requise pour le faire. Le plus souvent, et cela nous ramène à une difficulté précitée 388 ( * ) , les lecteurs les plus assidus sont souvent les entreprises du secteur, ce qui suppose donc la fiabilité et l'exhaustivité de leurs appréciations. Dès lors, nul ne songerait à soutenir que ces rapports annuels, mine d'information, lieu d'expression de doctrine pour l'avenir, motivation d'une façon plus continue que décision par décision de l'action passée, sont inutiles. Ils sont une forme de reddition des comptes, mais ils ne peuvent suffire, notamment du fait de l'inertie des autorités politiques auxquelles ils sont fréquemment remis.

19.1.12. La remise du rapport annuel devant les autorités politiques adéquates. Il arrive fréquemment que les rapports annuels ne soient pas seulement publiés mais encore remis à des autorités politiques. Il n'est pas rare que cette remise se fasse à un ministre, bien que cela contredise le principe d'absence de lien entre les Autorités administratives indépendantes et le pouvoir exécutif 389 ( * ) . La remise se fait le plus souvent soit au Président de la République, soit au Gouvernement, soit au Parlement. On retrouve ici que la légitimité et le prestige politique du destinataire contribue grandement à la légitimité de l'Autorité concernée. Cela est certes exact, mais il faut que cela soit associé à des lectures effectives et des discussions qui s'ensuivent avec l'Autorité.

19.1.13. La confrontation avec les autorités légitimes de la République. En effet, l'indépendance ne signifie pas le droit à un superbe isolement. Ce serait l'affaiblir que d'adopter cette conception là. Dès lors, les Autorités administratives indépendantes doivent être confrontées aux autorités légitimes de la République, au-delà de cette sorte de confrontation avec les autorités juridictionnelles que cristallisent les recours possibles contre leurs décisions soit devant le juge judiciaire, soit devant le juge administratif 390 ( * ) .

* 381 Comme le fait remarquer l'ARCEP, dans sa réponse au questionnaire : « L'Autorité ne dispose pas d'une forme de mesure objective sur la « satisfaction » des personnes ou organismes concernés par son activité. Toutefois, il convient de souligner que la Commission [Européenne] réalise tous les ans un rapport sur la mise en oeuvre des directives dites ONP et désormais sur celle du cadre européen de 2002. A l'occasion de ce rapport, la Commission n'hésite pas à signaler les lacunes ou les actions satisfaisantes des régulateurs. ».

* 382 Par exemple, le Bureau Central de Tarification explicite, dans sa réponse au questionnaire que « Il n'y a jamais eu de cas de refus d'appliquer les décision du Bureau central de tarification par une entreprise d'assurance (même s'il a pu arriver ponctuellement que certaines entreprises mettent du temps à établir le contrat suite à la décision). La légitimité du BCT n'est donc pas contestée. ».

* 383 Sur la perspective générale de la conception processuelle de l'exercice des pouvoirs, v. supra. Sur la perspective procédurale technique, v. supra.

* 384 V. supra.

* 385 Les rapports annuels sont presque tous construits de la même façon, entre des informations statistiques, des informations systématiques sur l'activité, et le traitement d'un thème plus particulier rattaché à la mission de l'Autorité. Cela fut dernièrement la question de la gestion pour compte de tiers pour l'Autorité des marchés Financiers, et les relations entre les enfants et la justice pour le Défenseur des enfants.

* 386 Pour prendre quelques exemples de rapports annuels et pour montrer la diversité des destinataires, lesquels ne sont d'ailleurs que des relais puisque les rapports sont par ailleurs rendus publics, l'ARCEP remet un rapport au Parlement et au Premier ministre. ; le Comité d'éthique remet un rapport au Président de la République et au Parlement. ; le Comité national d'évaluation remet un rapport au Ministre de l'éducation nationale.; la Commission de sécurité des consommateurs adresse un rapport au Président de la République et au Parlement ; la CNIL remet un rapport annuel au Président de la République, au Premier ministre et au Parlement ; la CRE remet un rapport au Gouvernement, au Parlement et au Conseil supérieur de l'électricité ; le Défenseur des enfants remet un rapport au Président de la République ; le Médiateur de la République remet un rapport au Président de la République ; le Conseil de la concurrence remet un rapport au Ministre de l'économie. Parmi les autorités n'étant pas soumises à l'obligation de rédiger un rapport, on mentionnera, la Commission consultative du secret de la défense nationale, la Commission des infractions fiscales et la Commission des sondages.

* 387 C'est ainsi que, dans sa réponse au questionnaire, la Commission de Régulation de l'Energie, fait expressément le lien : « Le principe d'indépendance garantit l'absence de conflits d'intérêts entre l'autorité administrative chargée d'ouvrir les marchés de l'électricité et du gaz à la concurrence, les entreprises publiques qui détiennent une position dominante sur ces marchés et les organes de l'Etat chargés de la protection des intérêts de l'Etat, actionnaire de ces entreprises. Toutefois, la CRE est soumise au contrôle du Parlement. Elle établit chaque année, avant le 30 juin, un rapport ... ».

* 388 V. supra.

* 389 Il est donc étonnant que le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes remette son rapport annuel au garde des Sceaux ou que le rapport du Conseil de la concurrence soit remis au Ministre de l'économie.

* 390 V. supra.

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