2. Des effets à long terme insuffisants

Dès 2005, le bilan de la réforme de 2003 a été cependant fortement nuancé, car ses effets sur le long terme ne paraissaient pas de nature à assurer à eux seuls la viabilité du régime d'assurance maladie. Trois motifs d'inquiétude subsistent :

La réforme n'a pas infléchi le rythme de progression des dépenses hospitalières, tandis que les dépenses de médicament ont clairement dérapé en 2005.

Représentant 34 % du total des charges, les dépenses liées à l'hôpital ont progressé à un rythme plus soutenu en 2005 (+ 2,9 % pour les dépenses totales, + 3,3 % pour les dépenses par assuré) qu'en 2004 (+ 1,7 % pour les dépenses totales, + 1,5 % en dépenses par assuré). Le relèvement du forfait hospitalier semble ainsi avoir eu un impact limité, le recours aux soins hospitaliers ayant probablement un caractère moins facilement compressible que les soins de ville. Le rythme d'évolution des dépenses d'hôpital reste toutefois dans la moyenne constatée en 2005 pour les dépenses totales d'assurance maladie et représente une progression en volume relativement limitée.

Pour leur part, les dépenses de médicament (près de 18 % du total) ont subi une forte hausse en 2005 , augmentant de 16,3 % par rapport à 2004 (+ 3,5 milliards d'euros), et de 16,8 % pour les dépenses par assuré. Elles ont ainsi dépassé en 2005 leur niveau de 2003, après une baisse de près de 10 % en 2004.

Certes, une partie de la hausse résulte d'effets statistiques 26 ( * ) et de la fin, au 1 er janvier 2005, du moratoire sur les prix de certains médicaments non soumis au prix de référence (Festbetrag) . Le dérapage est néanmoins manifeste : les représentants des médecins et des caisses avaient en effet anticipé une croissance des dépenses de médicaments de seulement 5,8 % pour 2005.

Compte tenu de l'évolution constatée, les médecins et les caisses ont signé à l'automne 2005 un accord en vue d'une mise en oeuvre plus contraignante de leur convention en 2006, avec notamment la régionalisation de l'objectif de dépenses pour trois groupes de médicaments particulièrement utilisés. Le Parlement allemand a cependant accepté, sur proposition du Gouvernement, d'aller plus loin et d'adopter une loi, entrée en vigueur le 1 er mai 2006, qui prévoit, notamment, le gel pendant deux ans du prix de tous les médicaments et l'instauration d'un dispositif de bonus-malus sur la base d'une convention passée entre les caisses et les médecins concernant les dépenses de médicament (voir annexe) .

Le maintien d'un excédent en 2005 est dû avant tout à la montée en puissance, prévue par la réforme de fin 2003, de la subvention du budget fédéral censée couvrir les « charges indues ».

Les caisses d'assurance maladie ont certes enregistré une progression importante de leurs recettes globales sur l'année 2005 (+ 3,3 milliards d'euros, soit + 2,3 %). Néanmoins, l'essentiel de cette progression provient de la montée en puissance, prévue par la réforme de fin 2003, de la subvention forfaitaire de l'Etat fédéral destinée à couvrir les « charges indues » de l'assurance maladie.

Cette subvention a représenté 2,5 milliards d'euros en 2005 contre 1 milliard d'euros en 2004. L'augmentation de la subvention, soit 1,5 milliard d'euros, représente ainsi près de la moitié de l'accroissement des recettes. Les recettes de cotisations n'ont pour leur part augmenté que de 0,9 %, reflétant la modération salariale et le niveau élevé du chômage 27 ( * ) .

En l'absence de subvention en provenance du budget fédéral, les caisses seraient revenues dès 2005 vers des soldes proches de l'équilibre et donc du déficit.

Enfin, les caisses n'ont pas abaissé leurs taux de cotisation.

Comme en 2004, les caisses n'ont pas consacré en 2005 les marges dégagées par la réforme pour abaisser leurs taux de cotisation, optant prioritairement pour un effort de désendettement et de reconstitution de leurs réserves. Le taux reste en moyenne à 14,18 % contre 14,31 % avant la réforme, alors que celle-ci prévoyait un taux moyen de l'ordre de 12,7 % en 2006 (13,6 % fin 2004 et 13 % fin 2005). La différence, soit 1,5 point de cotisation, représente 15 milliards d'euros.

L'objectif initial d'une baisse des taux de cotisation de 1,5 point à fin 2005 et de plus de 2 points à l'horizon 2007 n'a donc pu être réalisé en pratique. Tout au plus peut-on observer que, sans la réforme, les cotisations auraient certainement recommencé à augmenter.

Néanmoins, le précédent gouvernement a procédé en juillet 2005 à un abaissement ciblé de 0,45 point sur les cotisations employeurs compensé par un relèvement de 0,45 point des cotisations salariales. Concrètement, depuis le 1 er juillet 2005, une cotisation spécifique de 0,9 point pèse, en application de la loi, sur les seuls salariés. Les caisses disposent ainsi désormais de deux cotisations :

- une cotisation « générale », partagée à parts égales entre employeurs et salariés et qui, toutes choses égales par ailleurs, est inférieure de 0,9 point à ce qu'elle était avant le 1 er juillet 2005 ;

- une cotisation spécifique de 0,9 point pesant sur les seuls salariés.

Cette réforme s'est donc traduite par un basculement de 0,45 point de cotisations (4,5 milliards d'euros) des employeurs vers les salariés.

Evolution du solde et du taux de cotisation
des différentes caisses d'assurance maladie publiques

Caisses relevant de

Toutes

caisses

AOK

BKK

IKK

LKK

SKK

BKN

EAR

EKA

Solde en millions € * (2005)

+ 152

+ 923

+ 251

- 53

- 5

- 105

+ 1

+ 423

+1.776

Taux de cotisation en 2003 (%)

14,47

13,66

14,32

-

12,90

12,90

13,96

14,68

14,31

Taux de cotisation en 2004 (%)

14,39

13,90

14,18

-

12,90

12,55

13,83

14,41

14,23

Taux de cotisation au S1 2005 (%)

14,36

13,90

14,02

-

12,90

12,40

13,72

14,35

14,19

Taux de cotisation au 1/07/05 (%) **

14,35

13,88

13,91

-

12,90

12,40

13,71

14,34

14,16

Taux de cotisation 1/01/06 (%) **

14,42

13,91

13,85

-

13,40

12,40

13,70

14,34

14,18

Source : Ministère fédéral de la santé

*: données provisoires (le solde définitif des caisses s'établit en réalité à 2,53 milliards d'euros en 2005)

** : y compris cotisation spécifique de 0,9 % introduite au 1 er juillet 2005 et pesant uniquement sur les salariés

Plus globalement, au terme de plus d'une décennie de mise en oeuvre, le bilan de la mise en concurrence des caisses d'assurance maladie (mise en concurrence à l'intérieur du champ des assurances légales et mise en concurrence avec le secteur privé pour les salariés au-delà du plafond) apparaît d'autant plus nuancé que, parallèlement, ses effets en termes de « gouvernance » de la branche maladie ne sont eux-mêmes apparus que partiellement convaincants aux yeux des interlocuteurs rencontrés par la mission :

- certes, le nombre des caisses s'est fortement réduit , passant de 1.150 en 1994 à seulement un peu plus de 250 aujourd'hui 28 ( * ) , dans un paysage qui était et reste marqué par un important morcellement des prestataires, facteur de surcoûts non négligeables ;

- toutefois, entre 1997 et 2003, près de cinq millions d'assurés ont changé de caisse, principalement en faveur des caisses d'entreprise 29 ( * ) ; certaines caisses locales (AOK) bien implantées ont subi des fuites de clientèles à « faible coût » (jeunes diplômés en particulier) qui peuvent les fragiliser, alors qu'elles conservaient parallèlement une clientèle plus âgée ; la caisse AOK de Berlin ainsi indiqué à la mission que le nombre de ses cotisants était passé de 1,2 million au début des années 1990 à 700.000 aujourd'hui, soit une chute de plus de 40 % ; or, la compensation existant entre caisses n'inclut pas pour l'instant de critères reflétant le taux de prévalence des pathologies par classe d'âge, même si le sujet reste débattu ;

- enfin, il n'est pas sûr que la clientèle jeune qui s'oriente aujourd'hui vers les assurances privées soit gagnante sur le long terme : dans une logique assurantielle, les primes augmentent avec l'âge et la situation familiale de l'intéressé ; or, il n'est en principe pas possible de revenir dans le giron des assurances légales une fois que l'assuré les a quittées, sauf s'il est resté salarié, remplit les conditions de plafond (environ 4.000 euros de revenu mensuel) fixées pour relever du régime légal et s'il a moins de cinquante-cinq ans.

* 26 Les dépenses de médicament avaient été particulièrement faibles sur les deux premiers mois de 2004 en raison d'un effet d'anticipation, fin 2003, de l'entrée en vigueur de la réforme au 1 er janvier 2004.

* 27 Bien que les cotisations d'assurance maladie des chômeurs soient prises en charge par l'Office fédéral du travail, la perte d'emploi a un impact sur le niveau des cotisations à travers l'abaissement de la base des cotisations.

* 28 Les caisses locales (Allgemeine Ortskrankenkassen, AOK) ont notamment été progressivement transformées en caisses régionales, leur nombre passant de 264 à 17.

* 29 Patrick Hassenteufel - « Le modèle social allemand en mutation » - page 126. Les déperditions d'assurés des caisses publiques vers les caisses privées seraient en outre de 170.000 à 230.000 par an (données communiquées par l'ambassade de France à Berlin).

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