EXAMEN EN DÉLÉGATION

Lors de la réunion de la délégation du mercredi 24 janvier 2007, le débat suivant s'est engagé à l'issue de la communication faite par le rapporteur, M. Roland Ries.

M. Jean Bizet :

C'est un sujet important et sensible. Je considère qu'il est de bonne politique que nous ayons pu nous en saisir très en amont. Ce thème doit naturellement être remis en perspective avec les débats sur la directive « services ». Dès lors que les services de santé sont exclus du champ de cette directive, il devient logique de préparer une directive sectorielle. En la matière, c'est bien au pouvoir politique qu'il appartient de définir les modes de régulation souhaitables.

M. Hubert Haenel :

Je crois important que nous répondions directement à la Commission dans le cadre de cette consultation publique. Nous avons tout intérêt à faire connaître, au plus tôt dans la procédure décisionnelle, notre position ou tout au moins nos orientations sur un sujet susceptible de donner lieu à une initiative législative.

Sur le fond, la communication de Roland Ries nous permet de prendre date en rappelant quelques fondamentaux et en insistant sur des points d'équilibre.

M. Christian Cointat :

Je considère pour ma part que la disparité dans la prise en charge des soins de santé et la complexité à laquelle sont confrontés les patients souhaitant se faire soigner à l'étranger constituent l'une des principales entraves à la liberté de circulation en Europe. On ne peut tout à la fois se prétendre européen et ne pas vouloir lever les entraves pratiques qui font que l'Europe du quotidien n'est pas encore une réalité. En matière de santé, la Cour de justice ne fait qu'appliquer le traité. La jurisprudence constante va dans le bon sens. Ce sont les États membres qui, trop souvent, cherchent à bloquer toute évolution.

Si je rejoins le rapporteur dans bon nombre de ses analyses, il me semble que nous devrions modifier les conclusions sur deux points. D'abord, il ne me semble pas pertinent d'insister sur les conditions et limites pouvant encadrer la mobilité des patients. Cela n'ajoute rien et les États ont depuis trop longtemps tendance à les mettre en avant. Ensuite, je suggère de supprimer le dernier paragraphe qui, en insistant sur la nécessité de renforcer les coopérations entre États membres, s'inscrit dans une logique intergouvernementale qui ne peut constituer une solution crédible pour favoriser la mobilité des patients. Je prends l'exemple de la convention entre la France et la Belgique ; il existe bien une convention, mais elle ne vise que les personnes vivant dans une bande d'une longueur de 15 à 20 kilomètres de part et d'autre de la frontière.

Mme Monique Papon :

Vous avez évoqué la mobilité des professionnels de santé, en citant le cas des médecins polonais s'installant au Royaume-Uni. Cette mobilité, fondée sur la reconnaissance des qualifications professionnelles, vaut-elle pour tout le territoire de l'Union ?

M. Roland Ries :

Oui, et c'est bien parce que la liberté de circulation et l'installation des professionnels est une réalité qu'elle peut engendrer des flux importants susceptibles de déséquilibrer tant les pays d'accueil que les pays de départ.

M. Robert Bret :

Le sujet est d'importance. Et je me félicite que notre délégation puisse l'aborder très en amont. Nous ne devons pas nous tromper de débat. L'enjeu, en matière de santé, ce n'est pas seulement d'organiser les libertés de circulation. L'enjeu, c'est avant tout de voir comment garantir un système de soins accessibles à tous et de qualité, c'est de prévenir la « marchandisation » de la santé qui se dessine, c'est de renforcer la dimension sociale de l'Europe.

Je m'interroge sur une éventuelle directive sur les services de santé. Elle ne serait souhaitable que si elle contient tous les garde-fous pouvant prévenir une libéralisation des systèmes de santé.

J'ajoute que la question de la mobilité des patients dépasse le cadre européen. Dans mon département, on évoque ainsi de nombreux cas de personnes allant en Tunisie pour obtenir des prothèses dentaires.

M. Serge Lagauche :

Ces sujets sont extrêmement complexes. Je crois qu'il nous faut clarifier les choses. Doit-on se préoccuper de l'organisation des soins ou du remboursement des soins ?

Le système de santé, et principalement l'hôpital, doit prendre en charge non seulement les soins, mais aussi la recherche et l'enseignement. Partout, en Europe, les systèmes de santé rencontrent des difficultés pour se financer. Et parallèlement, tous les citoyens ne peuvent accéder aux soins, y compris dans leur pays d'origine.

Dans ce contexte, je ne pense pas que l'on puisse demander à l'Europe de résoudre des difficultés que les États membres n'ont pas réussi à régler à leur échelle. Je crois préférable de privilégier la voie des accords intergouvernementaux sur la prise en charge des services.

M. Roland Ries :

La perspective d'une organisation européenne des systèmes de santé n'est pas crédible à ce stade. Le souci immédiat est de clarifier les choses alors que les patients sont largement dans l'ignorance. Mais nous devons aussi apporter une réponse à la situation de malades, confrontés à l'insuffisance de leur système national de santé, qui souhaitent se faire soigner à l'étranger. Comment le faire sans déséquilibrer les systèmes en place ? Et l'on observe déjà la mise en place d'officines spécialisées dans le « tourisme médical ». Je crois que cela ne peut être résolu qu'au niveau européen.

Voilà pourquoi je crois nécessaire une directive pour clarifier et encadrer ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Voilà aussi pourquoi je considère que les coopérations renforcées, notamment en zone frontalière, peuvent apporter des réponses adaptées et immédiates dans l'intérêt de tous.

M. Hubert Haenel :

Il est normal que la régulation des services de santé repose avant tout sur une logique intergouvernementale. Il n'existe aucune base juridique dans les traités pour permettre à l'Union européenne d'aller au-delà de ce qu'évoque Roland Ries.

Pour ma part, j'estime que nos débats soulignent tout l'intérêt qu'il y a à se saisir très en amont des sujets sensibles. La communication de ce jour, et les conclusions qui nous sont proposées, permettent de remettre ce débat en perspective.

Aussi je vous propose que nous les adoptions sans modification, mais aussi que nous prolongions nos analyses au travers d'une question orale européenne avec débat que pourrait déposer Roland Ries au nom de la délégation.

M. Roland Ries :

Je vous rappelle que nous n'en sommes en effet encore qu'au stade préliminaire. Sur ces sujets, les positions des parties prenantes sont souvent très tranchées. Il est plus que probable que la Commission recueille, en réponse à sa consultation, des avis très nombreux, mais aussi largement contradictoires. La synthèse ne sera pas évidente. Il faudra faire des choix. C'est là la responsabilité des politiques.

M. Christian Cointat :

Je suis prêt à m'associer aux propositions du Président. J'observe simplement que les difficultés rencontrées en matière de santé se retrouvent dans beaucoup d'autres domaines. Nous sommes pourtant ici dans un cas d'école : veut-on vraiment offrir un meilleur service aux citoyens européens ? Je crains que tous les Etats membres n'y soient pas prêts.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Pour ma part, je crois en effet important de lever les entraves à la mobilité des citoyens européens. Mais, sur un sujet aussi sensible que celui de la santé, il nous faut être particulièrement vigilants et veiller à ce que les initiatives qui pourraient être prises n'en viennent à remettre en cause l'accès de tous aux soins.

*

À l'issue de ce débat, la délégation a adopté les conclusions suivantes et autorisé la publication de la communication sous la forme d'un rapport d'information.

Conclusions

La délégation pour l'Union européenne,

Vu la communication de la Commission européenne du 26 septembre 2006 « Consultation concernant une action communautaire dans le domaine des services de santé »,

Rappelle que, conformément aux traités et au principe de subsidiarité, l'organisation et le financement des systèmes de santé et des régimes de protection sociale relèvent pour l'essentiel de la compétence des États membres ;

Considère qu'il appartient au droit européen de garantir, dans les conditions et limites fixées par le législateur, la mobilité des patients et la libre circulation des professionnels et des services de santé ;

Observe toutefois que la mobilité des patients se heurte encore à certaines difficultés pratiques et à une insécurité juridique ;

Estime en conséquence que le cadre juridique communautaire doit être adapté et clarifié pour garantir la mobilité des patients dans le respect des compétences des États membres en matière d'organisation et de financement de leurs systèmes de santé ;

Considère qu'une telle évolution ne peut passer par une simple révision des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale et ne peut relever de la seule régulation jurisprudentielle de la Cour de justice ; nécessite en conséquence l'adoption d'une directive spécifique ;

Constate que la pleine effectivité d'une telle mobilité exige également une amélioration significative de l'information des patients et considère alors que ladite directive doit poser les premiers jalons d'une harmonisation des droits nationaux en la matière ;

Souhaite par ailleurs que le principe de libre circulation des services de santé se concilie avec la nécessaire maîtrise par les États membres de l'offre de soins et de la planification sanitaire ; estime en conséquence que la directive sur la santé devrait être l'occasion d'en préciser les modalités ;

Considère enfin que l'amélioration des systèmes européens de santé exige également le renforcement de la coopération entre États, en priorité par conventions bilatérales ou multilatérales, essentiellement dans des domaines comme la coopération transfrontalière ou la constitution de centres de référence.

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