D. LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION ET LA GESTION RESPONSABLE DU RISQUE

La session s'est achevée par l'étude d'un rapport traitant du principe de précaution et de la gestion responsable des risques . Si l'incertitude ne justifie pas l'inaction, elle se doit d'être raisonnée et inspirée par l'éthique. Sans nuire à la liberté d'innovation des chercheurs, les délégués ont appelé à une grande transparence et une large information du public sur les avancées scientifiques, à une évaluation des risques et à l'interdisciplinarité dans la recherche.

M. André Schneider (Bas-Rhin - UMP) s'est exprimé dans ce débat.

M. André Schneider, député :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, concept relativement nouveau dans notre histoire juridique, le principe de précaution s'est affirmé en même temps que la notion de développement durable s'imposait dans nos ordres juridiques nationaux et internationaux.

Durant les années 90, il a été l'expression d'une volonté collective internationale d'aller de l'avant afin d'éviter des évolutions dangereuses pour l'environnement. L'inclusion dans le Traité de Maastricht et les avancées réalisées par le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, en 1992, en témoignent. Les textes issus de ce sommet ont affirmé l'idée selon laquelle il ne faut pas attendre le stade des certitudes scientifiques pour commencer à prévenir des risques menaçant l'environnement planétaire. Les efforts pour contenir les gaz à effet de serre ou atténuer le rythme d'érosion de la biodiversité trouvent là leur origine.

Pourtant, ce principe, peu discuté au début, s'est trouvé rapidement contesté. Pourquoi ? Pour prendre le cas de la France, on peut dire que les problèmes ont commencé lorsqu'il s'est trouvé mobilisé pour des questions de santé publique et de sécurité alimentaire, qui plus est, en contexte de crise. Il a fait alors l'objet de tentatives d'instrumentalisation.

D'un côté, des associations militantes engagées dans la protection de la nature et des associations de victimes ont voulu en faire une sorte de droit au risque zéro, pour bloquer des innovations qui leur déplaisaient ou faire reconnaître leur état de victimes et la faute des responsables supposés. A l'inverse, se sont développés dans les milieux scientifiques et industriels des groupes de pression brandissant l'autorité de la science pour donner à croire que ce principe serait antagoniste du progrès des connaissances et de l'innovation technologique.

Le résultat de ces débats, d'ailleurs non dénués d'arrière-pensées économiques ou politiques, a été d'aboutir à une confusion entre deux notions qui doivent être bien distinguées : d'une part, ce que l'on pourrait appeler le principe de précaution «raisonnable», tel qu'il a été défini en France dès 1995, notamment dans la loi dite «loi Barnier», et, d'autre part, une interprétation maximaliste de ce principe qui voudrait qu'une activité, un produit ou une technique ne puissent être autorisés que lorsque la preuve scientifique préalable de leur innocuité à long terme a été apportée.

Cette dernière interprétation, dépourvue d'ailleurs de base juridique sérieuse, est, comme le souligne à juste titre le rapport de notre collègue M. Randegger, irrecevable, mais elle a malheureusement contribué à brouiller le débat, étant utilisée comme un épouvantail par tous ceux qui refusent les conséquences de l'application du principe de précaution.

La France s'est positionnée clairement dans ce débat en adoptant, en 2005, un texte à valeur constitutionnelle, la Charte de l'environnement qui, dans son article 5, définit ainsi le principe de précaution: «Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage».

Comme on peut le constater, cette définition, dont tous les termes ont été soigneusement pesés afin d'éviter toute interprétation abusive, s'éloignent des premières définitions données, notamment celles qui ont fait suite au Sommet de Rio. J'ai la faiblesse de penser qu'elle pourrait constituer un point de rencontre pour les extrémistes de tous bords qui s'affrontent sur ce sujet, au risque de mettre en danger un principe novateur, adapté à l'évolution de notre monde.

De fait, le principe de précaution est un instrument précieux qu'il serait dommage d'affaiblir, soit en le caricaturant, soit en le défendant avec un zèle excessif. En ce domaine, nous avons à trouver une voie médiane, raisonnable et acceptable par tous. Il faut être conscient du fait que ce principe est, notamment en France, pris en compte par notre ordre juridique. Le Conseil constitutionnel s'y est ainsi référé en 2005. Le Conseil d'État et la Cour de cassation sont en train d'en apprécier les conséquences. Nous devons donc être prudents, écouter et comprendre les arguments des uns et des autres avant toute décision.

Le rapport de notre collègue M. Randegger représente une contribution utile au débat qui doit avoir lieu et, dans cette mesure, je le soutiens.

Je conclurai mon intervention en soulignant un danger bien réel : à force de vouloir être réaliste, il ne faut pas aboutir à ne pas multiplier les précautions à la mise en oeuvre du principe de précaution. Faute de quoi, il perdra toute utilité. Mes chers collègues, le mieux est trop souvent l'ennemi du bien. Nous devons avoir cette règle simple en tête lorsque nous délibérons sur des sujets de cette nature dont les implications économico-scientifiques sont énormes. »

À l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Recommandation (n° 1787) .

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