2- Pour une application homogène de la législation anticorruption qui ne doit pas devenir un « désavantage compétitif »

L'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) et cinq pays non membres (l'Argentine, le Brésil, la Bulgarie, le Chili et la République slovaque) ont adopté, le 21 novembre 1997, une convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales . L'ensemble des signataires ont ratifié ce texte ambitieux et l'ont transposé dans leur droit interne

Extraits de la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption

Article 1 - L'infraction de corruption d'agents publics étrangers

1. Chaque partie prend les mesures nécessaires pour que constitue une infraction pénale en vertu de sa loi le fait intentionnel, pour toute personne, d'offrir, de promettre ou d'octroyer un avantage indu pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d'un tiers, pour que cet agent agisse ou s'abstienne d'agir dans l'exécution de fonctions officielles, en vue d'obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international.

Article 2 - Responsabilité des personnes morales

Chaque partie prend les mesures nécessaires, conformément à ses principes juridiques, pour établir la responsabilité des personnes morales en cas de corruption d'un agent public étranger.

Article 3 - Sanctions

1. La corruption d'un agent public étranger doit être passible de sanctions pénales efficaces, proportionnées et dissuasives. L'éventail des sanctions applicables doit être comparable à celui des sanctions applicable à la corruption des agents publics de la partie en question et doit, dans le cas des personnes physiques, inclure des peines privatives de liberté suffisantes pour permettre une entraide judiciaire efficace et l'extradition.

Article 4 - Compétence

1. Chaque partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l'égard de la corruption d'un agent public étranger lorsque l'infraction est commise en tout ou partie sur son territoire.

2. Chaque partie ayant compétence pour poursuivre ses ressortissants à raison d'infractions commises à l'étranger prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l'égard de la corruption d'un agent public étranger selon les mêmes principes.

La France a traduit ladite convention dans son droit de façon très stricte et très fidèle aux dispositions d'origine , par la loi n° 2000-595 du 30 juin 2000 modifiant le code pénal et le code de procédure pénale relative à la lutte contre la corruption. Cette loi pénalise, en particulier, la corruption de fonctionnaires étrangers au même titre que la corruption de fonctionnaires français. Ne prévoyant aucune dérogation pour quelque motif que ce soit, elle fait encourir aux personnes reconnues coupables de tels agissements des peines allant jusqu'à 10 ans de prison et 150.000 euros d'amende.

Or, s'il y a tout lieu de se féliciter d'une telle évolution du droit international, la mission commune d'information a été alertée par plusieurs personnalités auditionnées du manque d'uniformité quant à la transposition de la Convention dans le droit interne des Etats membres .

Ainsi, M. Denis Ranque, président-directeur général de Thales, a observé que la loi allemande de transposition, qui repose sur les mêmes principes que la loi française, a prévu une entorse à ces mêmes principes si les poursuites pouvaient être dommageables aux intérêts de la République fédérale d'Allemagne, ce qui, dans le cadre de nombreux marchés internationaux, est susceptible de vider le texte de sa substance. Il a également fortement regretté la jurisprudence britannique, l' attorney general (l'équivalent du ministre de la justice), qui s'appuyait sur l'article 6.5 du « Code for Crown prosecutors » 420 ( * ) , ayant récemment demandé au Serious fraud office (le parquet) d'abandonner les poursuites contre la société BAE Systems sur une affaire de corruption en Arabie saoudite, officiellement pour préserver les relations diplomatiques entre les deux pays. En conséquence, il apparaît clairement qu'au Royaume-Uni, l'intérêt national prime sur l'application de la Convention de l'OCDE . M. Christophe de Margerie, directeur général de Total, s'est exprimé exactement dans le même sens, craignant l'introduction d'une distorsion de concurrence en défaveur des entreprises françaises.

Pour sa part, la mission commune d'information considère que la Convention représente un réel progrès pour la moralisation du commerce international et se félicite tant de la force de ce texte que de la rigueur de sa transposition par la France. Pour autant , elle ne saurait se satisfaire que des pays partenaires, moins stricts dans leur droit ou dans leur pratique, se voient récompensés de leur manque de vertu .

Elle relève cependant que la position britannique a suscité des réactions. Ainsi, le groupe de travail de l'OCDE a exprimé sa préoccupation à plusieurs reprises, notamment le 18 janvier 2007, où il a exprimé « ses graves inquiétudes » sur la volonté réelle du Royaume-Uni de lutter contre la corruption et le 14 mars, où il a souligné « les lacunes persistantes de la législation britannique anticorruption ». Ce groupe a, en conséquence, décidé d'envoyer une équipe à Londres, au plus tard d'ici à un an, pour faire le point sur les efforts britanniques accomplis dans la lutte anticorruption, tout comme il l'a déjà fait pour le Japon et tout comme il pourrait le faire bientôt pour un autre pays membre.

D'autre part, la mission commune d'information note que le ministère américain de la justice a entrepris des démarches pouvant aboutir au déclenchement d'une enquête officielle sur les accusations de corruption précitée. L'ensemble de ces éléments pourrait faire évoluer la position britannique.

En tout état de cause, la mission commune d'information juge indispensable que la Convention de l'OCDE soit appliquée de façon uniforme dans l'ensemble des pays signataires , faute de quoi les entreprises françaises de plusieurs secteurs stratégiques risqueraient de subir une forte distorsion de concurrence pouvant, à terme, les affaiblir de façon notable.

Elle recommande donc au Gouvernement français de prendre toutes les mesures diplomatiques nécessaires pour s'assurer du respect de la lettre et de l'esprit de la Convention par tous les membres de l'OCDE , ne souhaitant pas que la solution extrême de la révision de la loi du 30 juin 2000 précitée puisse être envisagée.

En cas d'insuccès de ces mesures, il faudrait pourtant se résoudre à la révision de cette loi.

* 420 Cet article permet à l' attorney general de classer une affaire si des poursuites de corruption d'un agent public étranger sont de nature à « entraîner la révélation d'informations portant préjudice à des sources d'information, aux relations internationales ou à la sécurité ».

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