b) Choisir d'instituer un forum numérique pour une co-régulation de l'Internet

En revanche, pour les contenus accessibles en ligne qui ne relèveraient pas de la régulation des services audiovisuels, un système de régulation classique paraît inadapté. Autant le CSA peut veiller au respect, par les éditeurs de services de télévision qu'il a autorisés en nombre limité, de leurs obligations, autant il ne saurait s'imposer comme autorité de régulation des échanges sur Internet, surtout à l'heure du Web participatif qui se traduit par une explosion du nombre de producteurs de contenus en ligne et qui rend inopérante une régulation traditionnelle.

Un organisme d'un type nouveau a été créé en 2001, avec le soutien des pouvoirs publics : le Forum des droits sur l'internet, qui a su, au fil des années, définir un régime original de gouvernance, adapté au monde numérique, espace où se rencontrent des acteurs aux statuts extrêmement variés (particulier, entreprise, Etat, ONG, ..), chacun d'entre eux ayant une capacité d'action, voire d'évasion importante.

Votre commission considère qu'il serait utile de confirmer la pertinence de cette nouvelle méthode consistant en une co-régulation, adaptée au monde évolutif, transnational et multi-acteurs d'Internet.

En effet, les questions que posent le monde numérique sont complexes : protection de l'enfance, téléchargement de musiques, fracture numérique... La plupart d'entre elles sont des sujets de responsabilités conjointes et partagées entre la puissance publique, les acteurs économiques et les utilisateurs. En outre, chacun de ces acteurs détient des instruments d'action en ligne et peut limiter, voire ruiner l'action des autres. Le téléchargement d'oeuvres musicales en apporte la preuve.

Il est donc essentiel de consacrer l'existence de structures de dialogue entre toutes ces parties prenantes. D'une part, une concertation multi-acteurs permet d'élaborer une norme pertinente, adossée à une réalité concrète ; d'autre part, cette concertation responsabilise les acteurs autour d'objectifs communs : associés à l'élaboration de la règle dans une fabrique continue du consensus, les acteurs publics et privés auront à coeur de l'appliquer et la faire respecter.

Cette démarche de concertation multi-acteurs est particulièrement efficace si elle est mise en oeuvre dans un lieu neutre, indépendant des pouvoirs publics. Ainsi, cette méthode permet d'offrir au gouvernement un lieu d'échange et de discussion sur les projets concernant l'internet, offrant aux acteurs une liberté de parole tout en garantissant la liberté de la décision publique qui reste seule à même d'avaliser ou de rejeter une position commune établie en concertation avec les acteurs, voire d'arbitrer des positions divergentes. Ce lieu ne doit pas se comprendre comme un « régulateur » centralisé des contenus et usages numériques, le régulateur naturel de l'internet restant le juge.

Si la démarche multi-acteurs est séduisante en tant que modèle théorique, elle a également montré sa parfaite adaptation à l'univers numérique en permettant au Forum des droits sur l'internet de publier, depuis 2001, 25 recommandations sur des sujets extrêmement variés : commerce électronique, classification des contenus multimédias mobiles, carte nationale d'identité électronique, vote électronique.... Ces 25 recommandations ont toutes été suivies d'effets, soit par le biais de modifications législatives ou règlementaires, soit à travers la jurisprudence, soit par l'adoption de bonnes pratiques par les acteurs.

En outre, le Forum a développé depuis 2004 une activité de médiation concernant les litiges entre un particulier et un acteur du net, qui affiche un taux d'efficacité de 89 % 155 ( * ) .

Au vu de l'efficacité du Forum, dont votre rapporteur a entendu la présidente, Mme Isabelle Falque-Pierrotin, il apparaît nécessaire à votre commission d'institutionnaliser le Forum, né de manière quasi officieuse, afin de marquer publiquement le choix d'une méthode nouvelle de co-régulation adaptée au monde numérique et de rendre identifiable par tous le lieu de cette co-régulation.

Cette institutionnalisation devrait aussi permettre de requalifier le Forum en « Forum du numérique », afin d'élargir son champ d'action pour tenir compte de la convergence. Notamment, le forum pourrait être qualifié pour traiter des problématiques de la télématique : les opérateurs de la télématique et de la téléphonie, qui disposaient d'outils dédiés avec le Conseil Supérieur de la Télématique (CST) et le Comité de la Télématique Anonyme (CTA), aujourd'hui inactifs, ont un besoin réel d'un organe leur permettant de gérer leurs contrats et outils déontologiques, voire de leur octroyer des labels. Dans un contexte de convergence forte, il paraît préférable d'utiliser à cette fin la structure existante du Forum 156 ( * ) .

Dans cette perspective, il faudrait envisager un renforcement du pôle « médiation » créé par le Forum, en ne le limitant pas à destination des particuliers mais en permettant aux professionnels d'y recourir. Du fait de la mise en veille du CST et du CTA, les opérateurs expriment le besoin de pouvoir se tourner vers un lieu susceptible de les aider à résoudre leurs différends, sinon par une décision arbitrale, au moins par une solution de médiation. Le Forum pourrait remplir ce rôle, fort de son succès en termes de médiation à destination des particuliers.

Le Conseil Supérieur de la Télématique (CST) et le Comité de la Télématique Anonyme (CTA) ont été crées par décret en date du 25 février 1993 et modifiés par décret du 20 février 2002 pour prendre en compte l'arrivée d'opérateurs autres que France Télécom sur le marché de la télématique.

Les rôles impartis respectivement au CST et au CTA sont d'une part d'établir des recommandations de nature déontologique, d'autre part de veiller au respect de ces règles. Leur compétence concerne la télématique anonyme, écrite ou vocale. Le CST est composé de 24 membres, nommés pour trois ans, tandis que le CTA comprend 7 membres choisis au sein du CST à l'exclusion, entre autres, de représentant des fournisseurs de moyens télématiques et des opérateurs et dont le renouvellement s'effectue à chaque renouvellement du CST.

Ces organismes n'ont qu'un rôle consultatif. Le CST peut être saisi :

- par chaque opérateur pour avis sur les projets de contrats types signés entre lui-même et les fournisseurs de services et entre opérateurs, pour ce qui concerne les clauses de nature déontologique ;

- par chacun de ses membres, de propositions de modification de ces mêmes contrats, et par tout intéressé de réclamations portant sur le respect des recommandations déontologiques.

* 155 Sur les 6.000 affaires reçues, le Forum en a rejeté la moitié et, sur les 3.000 traitées, 89 % ont trouvé leur solution grâce à la médiation du Forum.

* 156 Ce n'était pourtant pas l'option retenue par le projet de décret créant la commission nationale de déontologie des services de communication au public en ligne.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page