N° 365

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 juillet 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information (1) sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle,

Par M. Bernard SEILLIER,

Sénateur.

Tome II : Annexes

(1) Cette mission est composée de : M. Jean-Claude Carle, président ; MM. Serge Dassault, Jean-François Humbert, Mme Gisèle Printz, vice-présidents ; Mmes Annie David, Sylvie Desmarescaux, secrétaires ; M. Bernard Seillier, rapporteur ; Mmes Christiane Demontès, Muguette Dini, rapporteurs-adjoints ; MM. Bertrand Auban, Auguste Cazalet, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Pierre Demerliat, Jean-Léonce Dupont, Yann Gaillard, Paul Girod, Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Serge Lagauche, Jacques Legendre, Mme Valérie Létard, M. Jean-Luc Mélenchon, Mmes Colette Mélot, Janine Rozier, Esther Sittler, MM. Louis Souvet, Robert Tropéano.

PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS

Présidence de M. Jean-Claude CARLE, président

Audition de MM. Michel QUÉRÉ, directeur, Michel THÉRY, responsable du département formation continue, et de Mme Martine MÖBUS, chargée d'études au département formation continue, du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), (31 janvier 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Je souhaite remercier Michel Quéré, directeur du CEREQ, et les personnes qui l'accompagnent de se présenter devant la commission. Le rôle de cette commission, bien sûr, fait partie des prérogatives du Parlement, dans le cadre de son devoir de contrôle des dépenses de la nation. La formation professionnelle représente en effet une dépense très importante. En l'occurrence, cette dépense est un investissement, dont il s'agit de vérifier s'il existe un véritable retour, et que les bénéficiaires de ces investissements sont ceux qui en ont besoin. Certains rapports récents laissent entendre que ce n'est pas toujours le cas.

Je vous propose, monsieur Quéré, de commencer par présenter brièvement le CEREQ, puis de nous donner votre sentiment à l'égard de la formation professionnelle, avant de répondre aux questions de notre rapporteur.

M. Michel Queré - Le CEREQ est un petit établissement public national, qui regroupe 160 personnes dans des locaux situés à Marseille. Les travaux de notre structure sont principalement concentrés sur la relation entre la formation et les emplois. En conséquence, ce dispositif est attaché à la fois au ministère de l'emploi et au ministère de l'éducation nationale. Parmi les travaux les plus importants, certains portent sur la problématique de l'insertion des primo entrants sur le marché du travail. Ces travaux prennent la forme d'« enquêtes génération », qui consistent à interroger des cohortes de personnes qui ont quitté l'éducation nationale trois ans plus tôt, afin de mieux connaître leur parcours d'entrée dans la vie active.

Un deuxième grand thème de réflexion est celui de la formation professionnelle. Le département consacré à ces travaux est dirigé par Michel Théry. Martine Möbus y est chargée de recherches. Ils ont donc acquis une connaissance importante de l'ensemble des systèmes de formations, y compris au niveau européen, ce qui nous permettra de comparer le système français avec celui de ses voisins. Les travaux sur la formation continue nous permettent de traiter d'une autre facette de la relation entre la formation et l'emploi, c'est-à-dire de mieux connaître la logique que suivent les parcours, et de savoir comment les individus s'ajustent à l'évolution des activités des entreprises.

Le CEREQ travaille également à mieux connaître les mécanismes de régulation du marché du travail pour certains secteurs d'activités, et étudie en outre les mécanismes de transformation du travail dans les entreprises.

Je vous propose de rendre compte des travaux existant au sein de l'établissement qui sont liés au thème que nous abordons aujourd'hui. Je m'efforcerai de commencer en abordant les aspects historiques concernant la formation professionnelle continue. Il s'agira ensuite de décrire les effets de structure de ce système. Mon exposé se poursuivra par l'évocation de quatre questionnements fondamentaux et s'achèvera en envisageant les moyens de transformer ce système.

Il convient déjà de constater que les différents dispositifs réglementaires qui ont été mis en place, en 1971 et 1984 par exemple, étaient consécutifs à des accords interprofessionnels. Autrement dit, la négociation guide le législateur dans ces choix, et non l'inverse.

Nous remarquons également que la succession des dispositifs laisse apparaître un glissement des objectifs poursuivis. La loi de 1971, par exemple, visait à favoriser la promotion sociale. Il est ensuite davantage question de mettre en place des outils de lutte contre le chômage.

Parmi les effets de structure du système, mentionnons la particularité française de stricte séparation de la formation diplômante, qui dépend de l'Etat, et la formation professionnelle à vocation qualifiante, qui dépend des partenaires sociaux, et surtout des branches. Cette situation implique que les entreprises doivent surtout financer le système, avant de réfléchir aux moyens de former leurs salariés. L'implication des entreprises a augmenté progressivement, en fonction de leur taille. Les plus grandes entreprises sont celles qui investissent le plus dans la formation. A partir de 1993, intervient d'ailleurs une professionnalisation du système dans les plus grandes entreprises.

Ce système fait que l'individu se trouve devant une césure entre l'État et l'entreprise, et entre la formation des salariés, et celle des chômeurs qui, en relation avec les dispositifs de formation, deviennent des stagiaires de formation professionnelle. Cette division est en partie résorbée par l'alternance. Cependant, il convient d'insister sur cette répartition stricte entre les salariés et les chômeurs, dont le statut est très différent à l'égard de la formation professionnelle.

L'évolution du système a par ailleurs engendré une atomisation des intermédiaires, et des prestataires d'offres de formation. Ils sont aujourd'hui 12 000, pour une centaine d'OPCA chargés de gérer l'ensemble du dispositif. Il est indispensable de réfléchir à l'harmonisation des pratiques de cette infrastructure intermédiaire de formation. Il existe en effet entre 245 et 250 accords de branches différenciés, ce qui pose problème pour élaborer des pratiques et des règles de fonctionnement harmonisées.

Par ailleurs, la montée en charge des dispositifs mis en place par la loi de 2004, le DIF et la VAE en particulier, est relativement lente.

La constitution de ces dispositifs nous conduit à nous interroger sur les enjeux auxquels ils sont censés répondre : s'agit-il d'un enjeu de formation ou de négociation ? Cette formulation peut sembler provocatrice. Il s'agit de souligner le fait que l'efficacité du système de formation professionnelle doit être appréciée à l'aune d'une problématique de négociation, et non seulement en fonction de son efficacité économique.

L'importance de cette question des négociations peut être illustrée par la baisse des durées moyennes des formations, et l'augmentation des taux d'accès des individus à ces formations. Nous pouvons interpréter ces données de différentes façons. Il est cependant possible d'y voir le résultat d'une politique d'achat de la paix sociale dans l'entreprise. Il s'agit de construire une politique de négociation en intégrant au système un maximum de salariés. Nous remarquons donc comment la problématique de la négociation s'exprime dans ce système de formation professionnelle.

Par ailleurs, les inégalités d'accès aux formations se réduisent à mesure que la taille des entreprises s'accroît. Le document qui vous a été remis compare la situation des différentes catégories socioprofessionnelles en fonction de leur formation, en particulier les techniciens et agents de maîtrise avec les ouvriers non qualifiés. Le ratio de ces chiffres diminue à mesure que la taille de l'entreprise augmente. Cette donnée peut se lire comme le résultat de l'exercice d'un certain pouvoir de négociation, qui s'accroît à mesure que l'entreprise devient plus importante, les dispositifs de négociations étant mieux structurés. Ces chiffres tendent à montrer qu'en même temps que nous considérons les problématiques d'efficacité économique, il est nécessaire d'observer les termes de la politique de négociation et les garanties de sa subsistance dans l'élaboration du système de formation continue.

Les mêmes distorsions dans l'accès à la formation peuvent être repérées dans l'ensemble des pays européens ; les plus formés sont ceux qui accèdent le plus aux formations. Ces données nous poussent à nous demander si ce système de formation professionnelle continue a vocation à être égalitaire. Comment mesure-t-on, en outre, l'égalité ? Devons-nous considérer la durée des formations, ou leur coût ? Il serait logique d'observer des distorsions en fonction des catégories de salariés, et des besoins exprimés par les entreprises à leur sujet. L'égalité peut-elle figurer parmi les finalités du système ? Est-ce un principe régulant ?

Ces questions nous conduisent à nous interroger sur les finalités de la formation. S'agit-il d'améliorer son parcours, sa carrière, ou l'accès à un poste supérieur, ou la formation sert-elle principalement à rationaliser une évolution d'emploi et une promotion ? L'ordre de causalité, en cette matière, n'est pas évident.

Nous pourrions notamment nous demander le rôle du CIF à ce sujet. Il ne renforce cependant par l'égalité du système ; les mêmes inégalités d'accès sont en effet repérables au niveau de l'initiative individuelle, comme au niveau de l'initiative de l'entreprise.

Nous devons également prendre en compte l'évolution des demandes en qualification, c'est-à-dire le point de vue de l'entreprise. Ces évolutions visent à augmenter le rôle de l'initiative du salarié dans le processus de formation. Le DIF, par exemple, devait être un dispositif permettant d'introduire de nouveau l'individu dans le système de décision de formation. Nous pouvons également faire un lien entre ces transformations et les questions des parcours et des mobilités. Comment considérer la porosité relative entre le système de formation initiale diplômant et le système de formation professionnel qualifiant ? En France, la situation est telle que les deux aspects se trouvent isolés. Il sera indispensable de favoriser une plus grande porosité des deux systèmes, ce qui nécessite de se préoccuper des dispositifs d'orientation et de l'insertion, notamment pour les personnes qui n'ont pas obtenu de diplôme en sortant du système scolaire.

Ces caractéristiques sont le résultat du paritarisme à la française. Les choix des partenaires sociaux privilégient la branche, plutôt que l'entreprise, comme le lieu privilégié du débat social. Les régions sont désormais les acteurs prescripteurs de ce système. Cependant, l'État conserve un rôle tutélaire et régalien, puisque le système reste dans un registre de l'obligation et de la prescription, par le moyen de la distribution d'un pourcentage de la masse salariale, entre le plan de formation en alternance et le DIF.

Tous ces éléments révèlent un problème de gouvernance du système, qui n'est pas suffisamment coordonné, au sein de la puissance publique et entre les différents acteurs, publics ou privés. Les autre pays européens ne suivent pas la même logique. Il s'agira pour la France de mettre en place un système tripartite, qui implique davantage l'entreprise dans ce dispositif de formation.

A ce titre, il n'est pas certain que le nouvel outillage législatif permette une évolution suffisante du système de formation professionnelle pour absorber les données de la réflexion portant sur les transformations des entreprises, et notamment intégrer la notion de « flexisécurité » des parcours, qui vise à davantage protéger le salarié que l'emploi. Les dispositifs réglementaires ne semblent pas suffisants pour accompagner ces transformations, qui concernent les entreprises ou le parcours des individus.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie pour cette présentation très pédagogique, portant sur un domaine extrêmement complexe. Je souhaite toutefois vous demander si la séparation entre la formation initiale et diplômante, d'une part, et la formation continue qualifiante, d'autre part, est toujours aussi pertinente, ou s'il est nécessaire de permettre une meilleure porosité entre les deux dimensions.

Mme Isabelle Debré - Je souhaiterais par ailleurs que vous limitiez l'usage des sigles, qui ne sont pas compréhensibles par tous.

M. Michel Queré - Je peux revenir sur certains que j'ai pu employer précédemment. L'ANI, notamment, l'accord national interprofessionnel. Il s'agit d'un processus de concertation entre des partenaires sociaux et des prescripteurs publics. Cet accord a toujours constitué un préalable à l'identification des dispositions réglementaires qui le suivaient.

Le DIF est le droit individuel à la formation.

Le CIF est le congé individuel à la formation.

Le CP est le contrat de professionnalisation. Il s'agit d'une disposition réglementaire issue de la loi de 2004, suivant l'accord national interprofessionnel de 2003. Cet accord introduit des dispositions nouvelles, parmi lesquels le contrat de professionnalisation, le droit individuel à la formation et la validation des acquis de l'expérience et la période de professionnalisation.

M. Jean-Claude Carle, président - Il serait utile de constituer un glossaire regroupant ces termes.

M. Michel Queré - Un glossaire a été élaboré et intégré à la documentation que nous vous transmettons.

M. Jacques Legendre - Je souhaite apporter une précision à l'énumération des textes portant sur la formation professionnelle. La première loi sur l'alternance avait en effet été adoptée en 1980.

M. Michel Queré - La brièveté de mon intervention m'a contraint à occulter ce texte.

La frontière entre la formation initiale et la formation continue a sensiblement évolué. Cependant, la prégnance historique du rôle de l'éducation nationale, et du poids du diplôme dans la problématique de l'insertion, est si forte que l'évolution reste relativement lente.

Il apparaît cependant que les dispositifs tels que l'apprentissage post-initial et les contrats de qualifications s'adressent avant tout aux personnes qui ne sont pas qualifiées. A partir d'une formation de bac+2, les problèmes sont bien moindres. Les non-diplômés se tournent en fait vers des formations post-initiales afin de s'insérer dans la vie active. Ces populations sont de plus en plus importantes. Une certaine porosité existe donc, en particulier pour les dispositifs visant à favoriser l'insertion, mais la prégnance historique du système français fait que les marges de progrès restent considérables.

M. Michel Théry - Les comparaisons avec les autres pays européens montrent que la France est le pays où les adultes de plus de vingt-cinq ans, quel que soit leur niveau de qualification, suivent le moins de formation formelle, c'est-à-dire qu'ils sont ceux qui reprennent le moins des études diplômantes.

Mme Martine Möbus - Il convient de prendre garde à ne pas limiter les comparaisons entre les pays aux formations professionnelles continues. Il est important de bien saisir l'articulation des segments de formation, et leur rôle sur le marché du travail. En Allemagne, par exemple, les acteurs ne sont pas les mêmes qu'en France. En France, 20 % des dépenses des entreprises pour la formation sont consacrées à la formation initiale, et 80 % à la formation continue. En Allemagne, 60 % des dépenses des entreprises sont consacrées à la formation initiale, et 40 % à la formation continue.

Par ailleurs, le système français se caractérise par un certain flou sémantique autour de la notion de formation professionnelle. Cette situation risque d'engendrer certains malentendus. Lorsqu'on considère que 24 milliards d'euros sont dépensés pour la formation continue, il convient de remarquer que cette somme comprend les formations des jeunes en alternance, qui sont intégrés aux données concernant la formation continue, mais également l'apprentissage. D'autres statistiques considèrent que l'apprentissage relève de la formation initiale. Ces dépenses, destinées à la formation des jeunes, représentent 23 % du total de 24 milliards d'euros.

Cependant, dès lors que nous nous limitons au système de formation continue au sens strict, qui concerne donc des adultes présents sur le marché du travail, nous nous apercevons que le système français est bien plus lisible que les autres, puisqu'il repose sur un cadre juridique datant de 1971 qui reste sans équivalent dans les autres pays. De sorte qu'il existe des dispositifs, des responsabilités et un financement qui sont bien mieux identifiés en France que dans les autres pays.

Le système français de formation continue repose sur les mots clés suivants : l'adaptation à l'emploi, les compétences, et la compétitivité des entreprises. Les acteurs principaux de ce système sont les entreprises et les partenaires sociaux. Les dispositifs sont les stages de formation, ceux qui dépendent du plan de formation des entreprises et ceux qui s'appuient sur le congé individuel de formation.

La situation française se caractérise par la dominance de la formation continue, par rapport aux questions de la promotion sociale et de l'éducation permanente. Dans les autres pays européens, ces objectifs sont davantage confondus. Le système français se caractérise également par le peu de place accordée à l'initiative individuelle dans l'ensemble du système de formation continue.

Le taux d'accès aux stages, en France, est important par rapport aux autres pays européens. De même, les chiffres de l'espérance de formation des salariés semblent satisfaisants.

M. Jean-Claude Carle, président - Comment est-il possible d'évaluer les effets de ces formations pour les salariés ?

Mme Martine Möbus - C'est un défaut de ces données, de ne s'occuper que de l'accès aux formations, et trop peu de leurs effets.

La France est bien placée, parmi les pays européens, en termes de durée de formation ; chaque salarié peut espérer suivre une formation de 17 heures, alors que la moyenne européenne atteint 12 heures.

Cependant, dès lors que nous considérons les chiffres concernant la poursuite d'études longues, la France se trouve dans les toutes dernières places.

La France se caractérise également par un certain retrait de l'Etat. En effet, les adultes, dans les autres pays et en particulier les pays du nord, peuvent reprendre des études dès lors qu'ils sont soutenus par les structures d'accueil spécifiques qui y sont bien plus développées.

Le système français de formation professionnelle continue est cohérent. Notre système de mobilité sociale repose presque exclusivement sur la formation initiale et le diplôme qu'elle permet d'obtenir, et le modèle de poursuite de carrière répond à un modèle de parcours à l'intérieur d'une même entreprise. De ce point de vue donc, le système français qui combine l'acquisition d'un diplôme en formation initiale et les stages courts en entreprise est relativement cohérent.

Il est difficile de comparer les inégalités qui interviennent dans les différents pays. Il est en effet d'abord nécessaire de disposer de l'instrument de mesure adéquat. En outre, le constat que les personnes les moins qualifiées accèdent le moins à la formation est général en Europe.

Notre système reposant sur la formation à l'initiative de l'entreprise, il apparaît que les disparités entre les secteurs, et selon la taille des entreprises, sont renforcées par rapport aux autres pays.

En outre, il semble que le congé individuel de formation ne permet nullement de résorber les inégalités, puisqu'il apparaît que les personnes les moins formées sont celles qui utilisent le moins ce dispositif. Ce congé se caractérise d'ailleurs en France par le fait qu'il est ouvert à l'ensemble des salariés. Dans d'autres pays, ces dispositifs sont réservés aux salariés dont le niveau de formation est le moins élevé.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - La philosophie inspiratrice des dispositions prises pour la formation continue a-t-elle évolué entre 1971 et 2004 ? Si tel est bien le cas, comment a-t-elle évolué, avec quelles conséquences, et quelles alternatives ont été écartées ?

M. Michel Théry - Il est possible de distinguer plusieurs périodes, qui correspondent à des contextes différents. En 1970, au moment des négociations entre les partenaires sociaux, la France se trouve dans une situation proche du plein emploi. Les débats concernant la formation professionnelle porte avant tout sur les questions de promotion sociale.

Le système va se transformer sous la pression du chômage. En 1983, les partenaires sociaux, afin de lutter contre le chômage des jeunes, négocient un accord qui va déboucher sur un texte de loi créant les contrats de qualification et d'adaptation, et les stages d'initiation à la vie professionnelle. Il est remarquable que les partenaires sociaux aient décidé de créer ces dispositifs grâce à une contribution des entreprises. Celles-ci doivent en effet verser 0,4 % de leur masse salariale pour lutter contre le chômage des jeunes, à un moment où il est trois fois plus important que celui des adultes.

L'accord national interprofessionnel de septembre 2003 répond lui aussi à un changement de contexte. Par cet accord, les partenaires sociaux établissent un partage de responsabilités au sein de l'entreprise, puisque les négociations visant à déterminer le parcours des salariés pourront avoir lieu entre l'employeur et le salarié. Jusqu'alors, les négociations se déroulaient exclusivement au niveau de la branche, ou au niveau interprofessionnel. Il est important de noter que les négociations se tiennent désormais directement entre le salarié et son supérieur hiérarchique. Cette évolution correspond à une évolution du contenu du travail, qui fait que le salarié ne peut plus être considéré comme un automate qui n'a qu'à obéir. L'article premier de l'accord est d'ailleurs consacré à l'entretien professionnel, qui doit être organisé au moins une fois tous les deux ans dans les entreprises.

Le contexte a donc fortement évolué entre les années soixante-dix et aujourd'hui.

Mme Martine Möbus - Ces évolutions sont également le signe de l'influence de la stratégie européenne, qui vise à favoriser la responsabilité individuelle dans la détermination du parcours professionnel.

M. Jean-Claude Carle, président - Les chiffres que vous nous avez présentés montrent que les mêmes types d'inégalités d'accès aux formations sont repérables dans l'ensemble des pays européens. Comment ces inégalités sont-elles gérées dans les autres pays ? Les dispositifs sont-ils, comme en France, gérés de façon paritaire ?

Mme Martine Möbus - En Allemagne par exemple, il n'existe aucun cadre réglementaire comparable à celui qui existe en France. Les syndicats allemands sont d'ailleurs très curieux de notre système de mutualisation des dépenses. Une partie d'entre eux souhaiteraient même adopter un système comparable. Cependant, des facteurs historiques expliquent que les Allemands ne tiennent pas à adopter un cadre réglementaire aussi important. D'ailleurs, les Allemands n'ont pas l'habitude des négociations interprofessionnelles. Les négociations s'y déroulent avant tout au niveau des branches. Par ailleurs, l'employeur allemand n'est soumis à aucune obligation de financer la formation ou de former ses salariés. Le plus souvent, les initiatives en la matière sont mixtes, et reviennent à l'individu, à l'entreprise et à l'Etat, qui soutiendront les individus, par le moyen de prêts ou de bourses.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Quel jugement portez-vous sur le cloisonnement des circuits de la formation professionnelle en fonction des publics ? Quels sont les avantages et inconvénients d'une telle situation ?

M. Michel Théry - Les cloisonnements sont nombreux et s'expliquent avant tout par des raisons statutaires. La vision française distingue les formations dont dépendent les individus selon leur situation, s'ils sont salariés en activité, chômeurs, étudiants ou élèves. Cette vision statutaire est construite comme une périodisation de la vie des personnes, qui veut que la jeunesse soit le temps de la formation, sous l'autorité de l'Etat, et que l'âge adulte soit celui de la seule dépendance à l'égard de l'entreprise pour laquelle on travaille. Les accidents sont gérés, épisodiquement, par l'assurance chômage, l'argent que les conseils régionaux investissent sur ces questions, voire par l'État qui intervient pour les chômeurs qui ne sont pas pris en charge par l'ASSEDIC.

L'avantage d'un tel mode de fonctionnement est qu'il est relativement clair. L'inconvénient majeur est qu'il ne permet nullement la réalisation d'un guichet unique.

M. Michel Queré - Je partage tout à fait l'analyse de Michel Théry sur ce point. Il convient aussi de souligner que ce modèle statutaire empêche également la porosité entre la formation initiale et la formation professionnelle, et remet en cause la possibilité de se former tout au long de la vie. A ce titre, les mesures prises lors des dernières années constituent les premiers épisodes de l'influence européenne sur les notions de parcours et de formation continue.

Mme Christiane Demontès, rapporteur-adjoint - Comme vous l'avez fait remarquer, la nette séparation entre, d'une part, la formation initiale diplômante, par la voie scolaire ou par l'apprentissage, d'autre part, le système de formation continue est une particularité française. Le problème de ce mode de fonctionnement est criant pour les 150 000 jeunes qui sortent du système de formation initiale sans diplôme. Il convient d'ailleurs de noter la différence entre ne pas obtenir de diplôme et n'avoir aucune qualification ; nombreuses sont les personnes qui ont suivi leur formation jusqu'au bout, avant d'échouer au moment d'acquérir leur diplôme.

La formation continue doit prendre en charge l'ensemble des jeunes qui sortent des établissements scolaires sans aucun diplôme.

Ne pensez-vous pas qu'il faudrait mettre en place un dispositif spécifique pour ces 150 000 jeunes sans diplôme, sans les faire entrer dans les dispositifs de formation professionnelle continue ?

Il me semble que nous avons assisté, entre 1977 et les années 2000, à un désengagement des entreprises sur la question des formations, au prétexte que le marché du travail comprenait de nombreux jeunes diplômés. Les entreprises estimaient en effet que le risque de surqualification sur les postes de travail n'était pas un problème majeur. Ce désengagement peut également être interprété comme le résultat de l'écart entre l'analyse des branches professionnelles et l'analyse des entreprises.

Par ailleurs, le système appliqué en France fait que les personnes qui ne réussissent pas dans le cadre de la formation initiale craignent de demander à bénéficier des dispositifs de formation continue. C'est pourquoi les personnes les plus formées sont celles qui bénéficient le plus des formations continues, dans les entreprises, ou dans le cadre d'un DIF. Les marges de progrès en cette matière sont importantes.

M. Jean-Claude Carle, président - Il semble que les personnes les moins formées sont celles qui demandent le moins de formation continue, mais ces personnes ne sont-elles pas également celles qui sont les moins informées ?

M. Michel Théry - Cette question met également en avant des problèmes de type statutaire. Un jeune qui a quitté l'école n'a pas le droit au RMI, à moins d'être chargé de famille ou d'avoir dépassé l'âge de vingt-six ans. De sorte que les problèmes qui se posent à lui, à moins d'être issu d'une famille aisée, sont ceux de la subsistance quotidienne. C'est pourquoi l'entrée en stage, et la rémunération qui accompagne l'accession à ce nouveau statut, est favorisée par des jeunes sans ressources pour leur rémunération, et non pour la qualification qu'ils pourraient en retirer.

Le statut de stagiaire a d'ailleurs été institué à cette fin. Par exemple, le contrat de transition professionnelle donne un statut de stagiaire. En fait, lorsqu'il est difficile de fournir un contrat de travail, on accorde un statut de stagiaire.

Revenons sur la question du désengagement supposé des entreprises. Le système français fait que l'entreprise paie tout, dans le domaine de la formation professionnelle : les coûts pédagogiques, le temps passé en stage ou les frais de déplacement. C'est aussi l'entreprise qui retire tous les bénéfices de la formation organisée pour ses salariés. Les gains de productivité profitent à l'entreprise, et ne sont pas toujours synonymes d'augmentations de salaires pour les salariés. Les études économiques et une enquête menée en 2000 montrent que les salariés entrés en formation attendant un gain salarial étaient de 15 %. Ceux qui pensent avoir obtenu une augmentation de leur salaire représentent le tiers de ces 15 %. Le système de formation apparaît donc comme l'investissement des entreprises, et ce sont elles qui le rentabilisent.

La conception française du marché du travail supposait que l'ancienneté était le principe de progression des salariés. Ce système était symétrique à celui de l'administration. Ce modèle des marchés internes a fonctionné largement. Il est sans doute remis en cause aujourd'hui. Il est cependant difficile de parler d'un désengagement des entreprises. Il est vrai que la part du financement des entreprises, en fonction de leur masse salariale, a effectivement tendance à diminuer pour les formations admissibles au sens fiscal. Pour le reste, les données nous manquent.

Sans doute la présence de nombreux jeunes diplômés sur le marché du travail explique la tendance que vous avez évoquée, qui fait qu'ils ne peuvent obtenir les emplois auxquels ils pouvaient espérer prétendre. La plupart d'entre eux réduisent cet écart dans le temps, mais ce n'est pas le cas de tous. Nous pouvons cependant nous demander pourquoi il faudrait donner à l'entreprise une vocation qui n'est pas la sienne, laquelle se limite à former les salariés dans l'intérêt de l'entreprise. En principe, la formation continue devait répondre à l'intérêt de l'entreprise comme à celui des salariés, puisqu'ils progressaient au sein de l'entreprise, selon le système du marché interne.

Ce système est en partie en crise, en même temps que la politique de formation initiale et le système d'organisation du marché du travail. Il ne semble par conséquent pas possible de considérer qu'un seul système est responsable de la crise d'ensemble.

Par ailleurs, il semble que la politique négociée au niveau des branches influe peu sur la politique des entreprises. De même, du côté des salariés, l'influence des confédérations syndicales sur les fédérations est minime. Elle est même dérisoire dans les négociations d'entreprise. Il apparaît donc qu'un véritable déficit de représentativité existe, tant du côté des salariés que du côté patronal.

M. Michel Queré - Nous pouvons être inquiets de la stagnation du nombre des jeunes, 130 000, qui sortent des établissements scolaires sans avoir obtenu de diplôme. Il est vrai qu'il convient d'abord de distinguer les jeunes qui n'ont pas de diplôme des jeunes sans qualification.

Le fait que de nombreuses personnes soient intégrées dans les dispositifs d'apprentissage est un progrès. Ce dispositif apparaît comme une deuxième chance au sein de la formation initiale. Cet élément gagne en importance, même s'il ne suffira sans doute pas à résoudre tous les problèmes qui ont été soulevés.

Par ailleurs, il faut souligner le renforcement de la place de l'entreprise comme lieu où se tient le débat social. Cet aspect est sensible dans le cas du DIF, qui répondait au besoin de former des salariés qui n'exprimaient pas ce besoin jusqu'alors. La formation doit devenir un véritable enjeu de management dans les entreprises. Ce dispositif est récent, et il est encore tôt pour en mesurer l'efficacité. Il n'est pas encore possible de disposer des éléments comptables permettant de mesurer l'intérêt effectif de la loi de 2004.

Mme Gisèle Printz - Les statistiques dont vous disposez comprennent-elles des données sur la place des femmes dans la formation professionnelle ?

M. Michel Théry - Les femmes suivent davantage de formation que les hommes. Les femmes de plus de vingt-cinq ans, en Europe, se forment légèrement plus que leurs collègues masculins. Notre statistique 2483, qui correspond à la déclaration obligatoire que les entreprises effectuent en même temps que leur déclaration fiscale pour informer sur leurs dépenses de formation, ne laisse pas apparaître ces données ; mais si le taux d'accès des femmes à la formation est moindre que celui des hommes, c'est en raison des secteurs d'activités. Certains secteurs qui emploient majoritairement des femmes sont faiblement formateurs, pour les hommes comme pour les femmes. En tout état de cause, il ne semble pas que les dispositifs de formation continue donnent lieu à une discrimination au sens défini par les institutions européennes. Autrement dit, il ne semble pas qu'existe un système discriminatoire à l'encontre des femmes.

Mme Martine Möbus - Dans le cas français, le fait que l'employeur occupe une place centrale pour l'accès à la formation professionnelle continue explique que les disparités intersectorielles y soient particulièrement manifestes, notamment sur la question de l'accès des femmes à la formation.

M. Michel Queré - Entre les problématiques de la formation continue et celles de la formation initiale se trouve celle de l'insertion dans le monde du travail.

Les études montrent que les femmes sans diplôme sont les moins bien stabilisées dans leur emploi. Si la situation des hommes sans diplôme est moins stable que celle des autres, l'écart entre les situations est cependant moins marqué. Les différences entre les genres sont donc particulièrement sensibles pour cette population.

M. Jean-Claude Carle, président - Le système paritaire français devrait être incitatif, puisqu'il devrait être favorable aux entreprises et aux salariés. Cependant, ce système n'est-il pas un frein parce que les partenaires sont constamment préoccupés par la gestion financière des sommes récoltées ou allouées ?

M. Michel Théry - Cette critique est déjà apparue auparavant. La multiplicité des collecteurs de fonds paritaires a obligé l'État à déroger au principe qui veut que la loi soit précédée d'une négociation collective. La loi quinquennale a donc été élaborée sans l'accord des partenaires sociaux. Elle a eu pour effet de réduire le nombre des collecteurs en décidant qu'il était impossible de devenir un collecteur agréé sans percevoir au moins 100 millions de francs de cotisations. Le nombre des organismes paritaires collecteurs s'est alors réduit à une centaine. Sans doute, ces éléments nous conduisent-ils à nous poser certaines questions sur la capacité des partenaires sociaux à concevoir un système économe.

La situation s'explique en outre par le principe « qui gère décide ». Le comportement de l'Etat, des régions et des autres collectivités publiques à cet égard n'est pas différent de celui des partenaires sociaux.

M. Jean-Claude Carle, président - Ces éléments posent manifestement un problème de gouvernance.

M. Michel Théry - Dans d'autres pays d'Europe, la question de la gouvernance se pose différemment, du fait de la distinction entre la gouvernance et la gestion. Il existe des exemples, dans les pays du Nord en particulier, de passages d'un système géré par les partenaires sociaux à un système de gouvernance dans lequel ils étaient associés sans occuper de responsabilités de gestionnaire.

Par exemple, en Hollande, un tel changement a été opéré sur la question des personnes handicapées. Le Gouvernement a souhaité, du fait de l'augmentation des dépenses permises par un système paritaire, récupérer les responsabilités de gestion.

Mme Gisèle Printz - Quel est le rôle de la région pour la formation professionnelle. Ne lui revient-il pas de gérer ces questions ?

M. Michel Théry - Les crédits accordés par la région pour la formation professionnelle reste minoritaire. Les régions sont chargées d'un pouvoir de coordination, qu'elles ont du mal à assumer du fait du manque de volonté des différents acteurs de coopérer.

Le financement par les entreprises représente 42  % de la dépense totale de formation continue. Ensuite, l'UNEDIC et la région jouent un rôle croissant, du fait de la décentralisation.

Il est en outre parfois difficile de trouver un accord entre des partenaires qui n'ont pas de dimension territoriale. La discussion qui intervient au niveau des branches professionnelles semble peu efficace dans les régions. Il est difficile de suivre l'application d'accords signés par des entreprises peu présentes dans les régions concernées.

De même, la région devrait jouer un rôle prépondérant pour l'apprentissage. Cependant, son rôle, par rapport aux grands collecteurs, reste réduit.

M. Michel Queré - Il est pertinent de s'interroger sur la question de l'articulation entre la logique de branche et la logique territoriale.

Ensuite, il semble intéressant de dissocier gouvernance et financement. Il serait sans doute pertinent de distinguer, parmi les fonctions des dispositifs de collecte, ce qui relève de la gestion de ce qui relève du financement des formations. Il semblerait tout à fait possible de réaliser des économies d'échelles pour la gestion des sommes collectées, indépendamment de la configuration du système des formations.

Nous pouvons nous interroger sur l'intérêt, pour le prescripteur, de s'engager dans cette mutualisation. Le maintien de l'obligation de financement d'un pourcentage de la masse salariale est-il pertinent ? Cette question est complexe car elle ne renvoie pas nécessairement aux mêmes problématiques, autrement dit ce qui relève du plan de formation n'est pas la même chose que ce qui se joue dans le cadre de l'alternance, ou dans une logique d'implication du salarié par le DIF.

Plutôt qu'adopter une position de principe sur ces questions, il convient, semble-t-il, d'en évaluer les différents aspects.

M. Michel Théry - Les partenaires sociaux, dans l'accord de 2003, ont souhaité revenir sur le principe de l'obligation fiscale. Ils se sont fixé des rendez-vous, qui n'ont pas été tenus. Cet élément est une indication de la difficulté du système à fonctionner. Depuis une vingtaine d'années les partenaires sociaux font savoir qu'ils se débarrasseraient volontiers d'une obligation fiscale née, en 1970, de l'impuissance des acteurs à s'entendre.

M. Jean-Claude Carle, président - Je tiens à vous remercier pour vos interventions. Nous ferons de nouveau appel à vos services. En outre, nous allons effectuer un déplacement à Marseille, le 14 mars 2007. Je vous invite à nous faire savoir s'il existe, dans cette région, des expériences innovantes. Notre visite devra permettre d'aborder la question du contexte régional, notamment démographique, qui fait que la population de la région peut rencontrer davantage de difficultés pour accéder à la formation.

Audition de M. Paul SANTELMANN, chef du service prospective de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), (31 janvier 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Je remercie Paul Santelmann d'avoir répondu à notre invitation, afin d'éclairer un système complexe. Je rappelle que l'objectif de notre mission d'information est de s'assurer de la destination des 24 milliards d'euros dépensés pour la formation professionnelle en France. Nous souhaitons savoir si cet investissement est fructueux et s'adresse à ceux qui en ont le plus besoin.

M. Paul Santelmann - Je tiens à préciser que je n'interviens pas au nom de l'AFPA, mais pour faire part de l'expérience d'acteur de la formation professionnelle que j'ai acquise au cours des vingt-cinq dernières années.

Je m'efforcerai d'abord de décrire l'évolution du système, depuis 1971. Il convient d'ailleurs de souligner que la loi de 1971 n'a pas tout inventé, mais était une tentative de généraliser l'utilisation d'un système de formation qui préexistait. Il existait déjà des dispositifs et des textes qui configuraient l'espace de la formation professionnelle. Cependant, cet espace était exclusivement occupé par l'État. La loi de 1971 a visé à associer et responsabiliser les partenaires sociaux à ce dossier. Il n'est pas évident, aujourd'hui, que cette tentative ait vraiment conduit à créer les conditions de la responsabilisation des partenaires sociaux ou de la coopération de ces acteurs avec l'Etat. La situation s'est d'ailleurs encore complexifiée en 1983, avec l'entrée en jeu des conseils régionaux, qui détiennent une compétence de droit commun sur la question de la formation. Il est apparu que cette évolution a conduit à une complexification progressive du système, plutôt qu'à son amélioration globale.

Afin de tenter de remédier à ces problèmes, déjà signalés dans plusieurs rapports parlementaires, essayons d'en identifier les causes. Il apparaît qu'il a été particulièrement difficile de coordonner les services de l'État avant la loi de 1971. Les trois ministères concernés par la formation professionnelle, l'éducation nationale, l'industrie et le travail n'ont jamais réussi, après la guerre, à travailler ensemble. La volonté de les faire collaborer, exprimée dans les années soixante, n'a pas abouti.

La loi de 1971 avait vocation à favoriser le développement des compétences de la population active, et de lier les questions de formation professionnelle aux enjeux économiques et aux mutations en cours. Ces objectifs n'ont pu être atteints de façon satisfaisante du fait de la difficulté des ministères à se mobiliser sur ces questions, mais aussi à cause de la crise économique. Cette crise, en effet, a rendu particulièrement difficile la coopération entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics.

Les pays où existe un système de formation continue efficace sont ceux où la confiance entre les différents protagonistes est suffisante. Il est indispensable que le compromis entre les différentes institutions et acteurs soit possible. La situation française n'a pas permis d'établir un tel compromis. Le mouvement syndical ouvrier n'a pas estimé que la formation des adultes constituait un enjeu important, et ne s'en est pas particulièrement préoccupé. Le milieu patronal, de son côté, a eu tendance à considérer que l'obligation légale constituait une nouvelle taxe, puisqu'il ne s'agissait pas d'une obligation de former ses salariés, mais de financer un système dont le fonctionnement échappait aux PME comme aux grandes entreprises. Le système de mutualisation et de collecte des fonds de la formation professionnelle est inadapté aux petites et moyennes entreprises. Les entreprises versent aux collecteurs les sommes qu'ils doivent, mais ne récupèrent pas nécessairement leur investissement. Les grandes entreprises, elles, n'ont pas besoin de structures externes pour gérer leur stratégie de formation de leurs salariés. Elles ne versent donc que ce qu'elles doivent dans le cadre du congé de formation et de l'alternance, mais se dédouanent d'accords de branches ou d'accords interprofessionnels, puisqu'elles se trouvent souvent en avance sur eux.

La dynamique de mutualisation et de collecte, en tout état de cause, ne constitue pas plus une incitation pour les PME que pour les grandes firmes.

Il s'agit d'une contradiction, dans un système qui aurait besoin d'une cohérence entre les petites et les grandes entreprises.

Par ailleurs, il semble parfois difficile de distinguer les prérogatives des différents acteurs. L'ensemble des collectivités locales ont été mobilisées sur la question de la formation. Par exemple, lorsqu'en 1982 a été lancé le programme de formation pour les jeunes de 16-18 et 18-25 ans, les municipalités ont été encouragées à créer des missions locales, des structures d'accueil pour les jeunes. Cette structure avait vocation à évaluer les besoins de formation des jeunes, afin de les orienter vers l'appareil de formation. Cet outil apparaissait nécessaire du fait de la multiplication des organismes ; il existait 1 500 organismes de formation en 1971, ils sont 9 000 aujourd'hui, dépendant de 45 000 prestataires de formation. Le fait que tout le monde peut proposer des formations explique cette fragmentation de l'appareil de formation, qui complexifie considérablement l'orientation.

La décentralisation a ensuite permis aux conseils régionaux, à partir de 1982, de mettre en place tout type de programme, pour les salariés, les chômeurs ou les jeunes. Cependant, alors que les lois de décentralisation étaient votées, l'État a développé des programmes lourds et structurants, ceux destinés aux 16-18 et 18-25 ans en particulier. En 1984, l'État a par ailleurs développé des programmes importants destinés aux chômeurs de longue durée. Ces programmes ont été mis en oeuvre par les directions départementales du travail et l'ANPE.

Il apparaît donc que l'ensemble des institutions ont souhaité développer des programmes aux objectifs similaires.

Par ailleurs, en même temps que l'État élaborait des programmes importants, les partenaires sociaux ont été incités à mettre en place les contrats de qualification. Ces contrats vont servir à structurer une autre partie de l'offre de formation ; 100 000 contrats de qualifications ont été signés à la fin des années quatre-vingt. Puis l'apprentissage a été réorganisé, à l'initiative de l'État, en ouvrant les dispositifs d'apprentissage à tous les niveaux de formation. Cette mesure pouvait être perçue comme une tentative d'améliorer l'image de ces formations, mais l'offre de formation elle-même, celle des CFA a peu évolué. En outre, l'ouverture de l'apprentissage à l'ensemble des niveaux de formation imposait sans doute une révision de l'enseignement professionnel scolaire, afin de le réadapter à cette nouvelle situation.

Parmi la multiplicité des initiatives, nous pouvons mentionner le crédit à la formation individualisée, lancé en 1990, qui a restructuré l'organisation territoriale de l'intervention de l'État, par la création de zones de formation et des coordonnateurs de zones, placés sous la responsabilité des sous-préfets.

Peu à peu, les objectifs du système de formation sont devenus flous.

Il me semble que le système de formation ressemble au système de la santé. Dans le cas qui nous occupe, en effet, il nous faut d'abord diagnostiquer des besoins. Les médecins généralistes sont comme les orienteurs dans le domaine de la formation. Les opérateurs, qui fournissent les formations, interviennent pour réaliser les opérations plus lourdes. Ces opérateurs, comme les hôpitaux, ne peuvent être financés de la même façon que la médecine générale. Pour les formations qualifiantes de reconversion par exemple, il faut mettre en place des dispositifs spécifiques. Ces opérations restent relativement rares ; les reconversions concernent seulement quelques milliers de personnes par an, en France. Il n'est pas nécessaire de disposer d'un nombre considérable d'opérateurs pour ces sujets, mais il est nécessaire de pouvoir faire appel à des opérateurs compétents, capables de s'adresser à une population peu qualifiée qui, en milieu de vie professionnelle, souhaite bénéficier d'une formation. Leur cas n'est pas assimilable à celui des jeunes en insertion ou pour le technicien qui suit les cours du CNAM pour devenir ingénieur. L'appareil de formation doit être spécialisé.

Il est en outre nécessaire de comprendre les flux. Nous comptabilisons 15 millions d'entrées, chaque année, dans le système de formation professionnelle, dans toutes ses composantes, de la formation de quelques heures à la formation de reconversion. Il est nécessaire de réguler les cas les plus rares par des canaux différents de ceux qui concernent les flux les plus importants.

Il est nécessaire de s'interroger sur le fait que 95 % des financements de la formation dépendent des prélèvements obligatoires. Cette situation ne semble pas contribuer à l'efficacité globale du système. En cotisant à l'ASSEDIC, une entreprise finance les formations de cette structure. De même, en versant la taxe professionnelle et les autres impôts, l'entreprise finance certaines formations mises en place par les pouvoirs publics. L'entreprise alimente donc l'ensemble du système par différents canaux, sans que ces apports soient régulés ou que leurs effets soient évalués. Le manque d'évaluation de l'efficacité et de la performance est souvent dénoncé. Les critères d'évaluation du système n'existent pas encore.

En 1971, l'accès à la formation était le principal critère de la performance et de l'efficacité. Le système était réputé efficace dès lors qu'un grand nombre de personnes y étaient intégrées. Il est sans doute indispensable de compléter cette approche par une évaluation des conséquences réelles de la formation.

De toute évidence, un bon système de formation professionnelle continue est un système qui permet à ceux qui ont le moins réussi dans le cadre scolaire et occupent les emplois les moins qualifiés de bénéficier d'une seconde chance. Le système doit permettre à ces personnes d'accéder à une qualification supérieure à celle qui était la leur au départ, ou de se reconvertir. De ce point de vue, le système est peu efficace. Son impact sur la population active est négligeable. Le niveau de formation moyen de la population active dépend presque exclusivement de la formation initiale. Après trente ans, l'accès à des formations qualifiantes est rare. L'AFPA accueille 70 000 demandeurs d'emplois dans des cursus qualifiants, et entre 5 et 6 000 salariés dans le cadre du projet de formation ou dans le cadre d'un contrat de professionnalisation. Ces formations bénéficient peu aux personnes de plus de trente ans. A partir de cet âge, pas plus de 50 000 personnes accèdent à une qualification professionnelle, qu'elles soient salariées ou demandeurs d'emplois. Les deux tiers de ces personnes suivent des formations qualifiantes de même niveau que leur niveau de départ. Les ouvriers et employés, en France, sont environ 12 millions. Parmi eux, seulement 15 000, après trente ans, accèdent à un niveau de qualification supérieur à celui qui était le leur au départ. L'enseignement professionnel, en revanche, compte 350 000 élèves. Si nous ajoutons les 200 000 apprentis, les 100 000 jeunes en contrat de qualification et l'ensemble des jeunes inscrits dans d'autres dispositifs, près d'un million de personnes de moins de trente ans sont concernées par les formations qualifiantes. Elles ne sont plus que 15 000 après trente ans.

Une telle différence entre les générations n'existe dans aucun autre pays d'Europe.

Ce problème structurel est d'autant plus préoccupant que notre société vieillit, et que l'effort de formation devra suivre cette évolution. En outre, il faudra sans doute que les salariés travaillent plus longtemps. Il sera par conséquent sans doute nécessaire de permettre aux personnes de quarante ans les moins qualifiées de se reconvertir.

Il est indispensable de revoir l'appréciation de l'appareil de formation, surtout qu'il est impensable de procéder de la même façon avec des professionnels de quarante ans et avec des jeunes. Or les opérateurs de formation ont plutôt l'habitude de travailler avec des jeunes. Certains jeunes, entre vingt et trente ans, peuvent suivre pendant sept ans des formations professionnelles. Si la possibilité de suivre une formation qualifiante entre quarante et cinquante ans est réduite, l'appareil de formation n'est pas pour autant incité à mettre en oeuvre une stratégie qui s'adresse aux seniors.

D'une manière générale, il est plus simple de s'adresser aux jeunes, et la société est concentrée sur le sort qui leur est fait. Il n'est bien sûr pas question de réduire l'effort de formation pour les jeunes, mais il est indispensable de réfléchir à la mise en place de systèmes de formations qui ne soient pas régulés avec les mêmes moyens que ceux dont nous disposons aujourd'hui. Il n'existe pas, par exemple, de dispositif d'orientation commun aux lycées professionnels, à l'apprentissage, au contrat de professionnalisation et à l'AFPA. Or ces quatre systèmes sont les principaux systèmes qualifiants.

Les jeunes qui se trouvent en difficulté dans les lycées professionnels rencontrent de nombreux obstacles pour entrer en apprentissage. Ils ont également du mal à entrer dans le cadre du contrat de professionnalisation, puisque dans les deux cas les organismes de formation, qui travaillent avec les entreprises, ne souhaitent pas prendre le risque d'engager un jeune en difficulté pour qu'il travaille en alternance. L'employeur qui engagerait ce jeune en difficulté prendrait un risque, mais si un entrepreneur acceptait de prendre ce risque, il ne trouverait pas nécessairement l'opérateur de formation capable d'accompagner cette démarche. Dans ces cas-là, en effet, il est indispensable que les formateurs se rendent dans les entreprises avec le jeune à former. Il est donc nécessaire d'adapter la pratique pédagogique à la hauteur de l'enjeu.

La mise en place d'une logistique lourde, nécessaire dans ces conditions, n'avantage ni l'entreprise ni l'organisme de formation. Il est en tout cas indispensable de réfléchir à ce problème des jeunes en difficulté, qui se pose depuis plus de vingt-cinq ans, puisque 170 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme. Il semble pourtant que les organismes post-scolaires qui existent devraient être capables de prendre en charge ces jeunes, puisque plus de 200 000 jeunes entrent en apprentissage, et plus de 100 000 signent des contrats de professionnalisation. L'AFPA pourrait, quant à elle, prendre en charge entre 10 et 20 000 jeunes.

Les moyens de traiter cette population existent, mais nous n'y parvenons cependant pas. Une partie de ces jeunes ne peuvent entrer dans les dispositifs qualifiants classiques, ni entrer dans l'entreprise. Ils se trouvent dans une situation de décrochage à l'égard du travail. Malgré l'existence de l'alternance et de l'apprentissage, le système de formation s'est éloigné du monde du travail et de ses valeurs.

Une enquête conduite par une association a cherché à mieux connaître les projets professionnels d'élèves de première, générale, technologique ou professionnelle. Or il est apparu qu'une grande majorité de ces jeunes, 98 %, ne souhaitaient travailler ni dans le bâtiment, ni dans l'industrie ou les services. Le fait que l'ensemble des jeunes, dès la première, possède une vision négative d'une partie du monde du travail, est le signe d'une grave difficulté qu'il faudra traiter en amont.

Par ailleurs, si ces jeunes sont déjà réticents à engager leur vie professionnelle dans ces secteurs, et qu'en outre il est difficile de se reconvertir en cours de carrière, ils ne voudront pas y travailler. Les systèmes de formation doivent montrer qu'il est possible d'évoluer professionnellement en partant du bas de l'échelle sociale. La situation actuelle limite la portée de l'action de formation professionnelle et continue.

Cet élément n'a pas été suffisamment bien perçu par les personnels politiques.

M. Jean-Claude Carle, président - Les chiffres dont vous nous avez parlé montrent que 95 % des formations sont financées par les cotisations obligatoires. Cette donnée signifie que les entreprises n'y participent que parce qu'elles y sont obligées.

M. Paul Santelmann - Certaines entreprises financent plus la formation que la loi ne le prévoit. Elles sont obligées de consacrer 0,6 % de leur masse salariale à la formation. Certaines d'entre elles consacrent entre 5 et 7 % de leur masse salariale à la formation. Cependant, ce mécanisme qui oblige à faire un plan de formation qui représente le même investissement que l'année précédente est sans équivalent en Europe.

Je me suis rendu au Québec pour participer à des travaux sur les problématiques liées à l'alternance. Un responsable de formation d'une grande entreprise québécoise expliquait que la stratégie de formation était élaborée en anticipant les évolutions des métiers représentés au sein de l'entreprise. Cette stratégie varie nécessairement d'une année sur l'autre. Parfois l'investissement en formation devra être important, à l'occasion d'innovations importantes par exemple, alors que l'année suivante ne nécessitera pas tant de dépenses sur ce poste. La politique de formation de l'entreprise est alors parfaitement intégrée à la politique d'investissement, de modernisation, de réorganisation et d'accompagnement des promotions internes. La stratégie doit donc être mise en oeuvre avec une certaine souplesse.

Cette souplesse est rendue difficile par l'obligation, chaque année, de négocier avec les partenaires sociaux la reconduction du plan de formation, ou la nécessité de dépenser davantage que l'année précédente. Les responsables d'entreprise choisissent d'ailleurs le plus souvent de simplement reconduire le plan de formation, en le considérant comme une régulation sociale plus que comme un investissement économique.

La situation n'est pas exactement la même pour les PME. Dans ces entreprises, le chef d'entreprise est contraint de réfléchir aux moyens de dépenser les sommes obligatoires. D'ailleurs, le code du travail est bien trop intrusif, en définissant bien trop précisément quelles sont les formations que doivent suivre les salariés, ou de quelle façon l'employeur doit fixer les objectifs de ces formations. Le code du travail n'est pas le seul à avoir déterminé une telle typologie des formations, puisque les partenaires sociaux eux-mêmes, dans le cadre de leurs négociations, ont suivi une voie similaire, en distinguant les formations d'adaptation, les formations de perfectionnement ou les formations promotionnelles. Ces mesures semblent omettre le fait que ces questions relèvent du métier des professionnels du système de formation. Le fait que les organisateurs sont devenus des prescripteurs constitue une dérive du système. Ils ne s'adressent plus aux professionnels de la formation comme à des professionnels, mais comme à des relais d'une vision administrative du monde.

Par ailleurs, il semble que de nombreux organismes de formation sont davantage préoccupés par le code des marchés publics et la réglementation appliquée à la formation que par l'efficacité de la pédagogie des adultes ou la performance de leurs formateurs.

Or il est indispensable de réfléchir à la qualité des formateurs. Il est nécessaire de savoir si le système d'ensemble conduit à améliorer la compétence et la performance des formateurs et des orienteurs. Si les orienteurs ne sont pas suffisamment compétents, certains stagiaires seront envoyés en formation alors qu'ils n'en ont pas nécessairement besoin, alors que d'autres devront attendre même si leur besoin est urgent.

Par exemple, il est indispensable de clairement choisir les personnes qui effectueront une VAE. Ce dispositif est tout à fait important, puisqu'il permet de valider une expérience en permettant à une personne d'acquérir un diplôme correspondant. Il est cependant indispensable de nous demander si les diplômes professionnels, élaborés après-guerre, sont adaptés à la démarche impliquée par la VAE. Former un débutant consiste à former quelqu'un qui doit acquérir un métier. L'éducation nationale ne forme pas intégralement les professionnels. Un métier s'apprend toujours en partie en travaillant. Les enseignants et les formateurs, d'ailleurs, savent parfaitement que tout ne se passe pas dans le cadre de la formation. Un des avantages de l'alternance et de l'apprentissage est d'ailleurs de permettre aux élèves de se confronter au travail réel. Reste que les diplômes aujourd'hui en place ont été construits dans les années cinquante ou soixante, alors que la main d'oeuvre manquait en France, et qu'il fallait former des ouvriers spécialisés. Il est aujourd'hui nécessaire de former des personnes qui ne soient pas seulement des spécialistes. La France doit d'ailleurs être le seul pays d'Europe à compter encore 220 certificats d'aptitude professionnelle.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Vos constats sont plutôt pessimistes. Pouvez-vous nous faire part de vos idées sur les moyens de résoudre les nombreux problèmes que vous avez évoqués ?

M. Paul Santelmann - Puisqu'il n'est pas possible de traiter tous les problèmes en même temps, il semble nécessaire de commencer par s'efforcer de résoudre ceux qui sont les plus complexes. Il faut donc réfléchir aux moyens de permettre aux personnes de plus de trente ans de bénéficier d'un système de formation plus efficace. Il est indispensable de retrouver une certaines cohérence entre les fonctions d'orientation, de formation et de certification professionnelle. Ce problème ne concerne peut-être, chaque année, que 300 ou 400 000 personnes, qui ont besoin de formations d'assez longue durée, entre 300 et 900 heures. Ces formations doivent en effet permettre de modifier le parcours de ces personnes. Il est indispensable d'être capable de prendre efficacement en charge ces personnes. Si le système fonctionnait correctement pour eux, l'ensemble de l'offre de formation s'en trouvera amélioré, puisqu'il disposera d'un modèle d'efficacité.

Pour ce faire, il est indispensable que les acteurs publics et les partenaires sociaux se mettent d'accord pour réguler le système. Si cet aspect est correctement mis en oeuvre, nous pourrons montrer aux plus jeunes qu'il est possible de rattraper une carrière commencée en bas de l'échelle. Aujourd'hui, personne ne croit que la formation continue permet de modifier une trajectoire professionnelle. Il est cependant indispensable de diffuser un message fort.

Il n'est pas possible de rassurer les jeunes sur ce point en affirmant qu'ils auront droit, chaque année, à trois jours de formation dans le cadre du DIF. Nous devons pouvoir désigner les opérateurs d'orientation, de formation et de certification qui vont apporter des réponses concrètes pour favoriser l'évolution professionnelle. Aujourd'hui, le fait qu'il existe 9 000 opérateurs est responsable du manque de clarté du système. Or il doit être possible de désigner un appareil de formation haut de gamme qui accompagne efficacement le développement économique. En d'autres termes, les opérateurs doivent être reconnus par les entreprises, et contribuer au développement économique local. Pour ce faire, l'appareil doit être attractif pour les populations et se trouver en osmose avec le monde de l'entreprise et ses évolutions techniques.

Il ne fait guère de doute que nous disposons de bons professionnels de la formation. Il convient cependant de veiller à ce que ces formateurs ne travaillent pas uniquement dans le domaine de la formation. Il est indispensable de renouveler le profil des formateurs disponibles. Il n'est possible de le faire qu'avec la collaboration des entreprises. Il est en effet nécessaire que nous disposions de professionnels, salariés d'entreprises, qui puissent intervenir dans les lycées professionnels, à l'AFPA ou dans les CFA. Nous pouvons cependant nous demander quelle entreprise laisserait un professionnel compétent intervenir pendant deux jours dans un lycée professionnel pour présenter son métier.

Tous les formateurs ont travaillé dans les métiers auxquels ils forment, mais ils ne travaillent plus sur le terrain, puisqu'ils sont formateurs.

Mme Christiane Demontès, rapporteur-adjoint - Aujourd'hui, les personnes les plus formées sont celles qui bénéficient le plus de la formation professionnelle continue.

Il nous faut nous demander quel est l'intérêt à se former d'une personne entrée dans une entreprise sans qualification, si cette formation n'aboutit pas à une reconnaissance, en termes de salaire ou de poste. Seule cette reconnaissance permettrait une véritable valorisation professionnelle, pour ces personnes qui ont acquis leurs compétences en travaillant, sans avoir nécessairement obtenu de diplôme.

A ce sujet, nous devons nous poser la question de la responsabilité de l'entreprise et de la branche professionnelle. Aujourd'hui, les entreprises, et en particulier les plus petites d'entre elles, ont du mal à évaluer quels seront, à l'avenir, leurs besoins de compétences. Elles ont tendance à ne chercher à résoudre qu'un besoin immédiat. Cependant, les personnes qui sortent du processus de formation initiale ne sont pas immédiatement adaptées au travail en entreprise. Les entreprises ne parviennent pas aujourd'hui, à imaginer un système qui leur permette d'engager des personnes qui, même si elles ne sont pas immédiatement compétentes, pourront acquérir une qualification en travaillant.

Que pouvons-nous faire pour résoudre ce problème ? Quelle pourrait être la place des pouvoirs publics, en particulier des conseils régionaux, et des partenaires sociaux pour traiter de ces questions ?

M. Paul Santelmann - La véritable reconnaissance de la qualification reste celle du salaire. La négociation salariale doit donc être relancée pour encourager à la formation.

Certains secteurs ont pu faire des efforts en ce domaine, ce qui leur permet de recruter plus facilement leurs salariés.

Cet aspect ne relève nullement des compétences des organismes de formation, mais exclusivement des prérogatives des partenaires sociaux. Il leur revient, pour valoriser les métiers et les formations qui y conduisent, de relancer la négociation salariale et de faciliter la mobilité professionnelle. De nombreux salariés souhaiteraient mettre en oeuvre un projet professionnel. Cependant, ils ne prennent pas le risque de démissionner d'une entreprise pour suivre une formation qualifiante, qui leur permettrait d'acquérir un métier qui leur convienne mieux. Ces personnes pourraient d'ailleurs être amenées à créer leur propre entreprise. Seulement, l'accompagnement des chômeurs qui souhaitent créer leur entreprise n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Le système de formation, notamment, n'est pas toujours mobilisé à bon escient dans ces cas.

D'une façon générale, la situation du marché de l'emploi n'encourage pas ces personnes à prendre le risque de démissionner d'un métier pour suivre une formation qualifiante.

Sans doute faudrait-il réfléchir, avec les responsables de l'assurance chômage, aux moyens qui permettraient aux ouvriers souhaitant mettre en oeuvre un véritable projet professionnel de démissionner de leur poste. Ils pourraient alors se reconvertir. Il est nécessaire d'adresser un message encourageant à ces personnes. En France, les personnes qui démissionnent ne bénéficient pas des prestations de l'assurance chômage. Ce n'est pas le cas dans tous les pays, ce qui contribue alors à la fluidité du marché du travail, en permettant la libération de certains postes. Ainsi, des personnes moins qualifiées peuvent entrer plus facilement dans les entreprises.

En résumé, après l'âge de trente ans, l'offre de formation se réduit, ainsi que la mobilité professionnelle. Le marché du travail s'en trouve rigidifié. Or en améliorant les mécanismes qui permettent aux salariés de réaliser des projets professionnels cohérents, nous faciliterions la fluidité du marché du travail. Le système d'assurance chômage pourrait sans doute jouer un rôle en ce domaine. Beaucoup de chômeurs estiment que personne ne leur a jusqu'alors laissé la possibilité de seulement envisager de changer de métier.

Mme Isabelle Debré - Les problèmes que pose le dispositif de la VAE ne viennent-ils pas du fait du manque de personnel compétent pour évaluer l'expérience ? Par exemple, dans le domaine de la petite enfance, il est difficile de trouver quelqu'un qui soit capable d'évaluer l'expérience acquise, et par conséquent de permettre à un salarié de passer à un niveau supérieur.

L'incitation fiscale est-elle une bonne chose pour le système de formation professionnelle ? Est-elle suffisante ?

M. Paul Santelmann - Il ne fait guère de doute qu'il existe une pénurie des personnels capables d'évaluer l'expérience des salariés. Cette question est complexe, et tous les ministères responsables de ces questions ne semblent pas s'être suffisamment concertés. Cependant, il faut prendre en compte le fait que les jurys doivent comprendre des professionnels. Il reviendrait donc aux entreprises de fournir des professionnels pour évaluer les compétences des personnes en cours de VAE. Or il est particulièrement difficile de trouver des professionnels pour ces jurys. L'entreprise ne perçoit pas toujours l'intérêt de libérer des salariés pour ces démarches.

Qu'entendez-vous par l'incitation fiscale ?

Mme Isabelle Debré - Les incitations à financer les formations sont-elles suffisantes, hors l'obligation légale ?

M. Paul Santelmann - L'important est de disposer de dispositifs qui permettent de peser sur l'appareil de formation, et non sur le mode de consommation. La consommation de formation est élevée. Il est nécessaire de mettre en place des outils qui structurent l'appareil de formation dans une logique de qualité. Nous devons être capables de dépenser moins tout en évaluant davantage la qualité des formations.

Mme Gisèle Printz - Vous avez montré qu'il existait 9 000 organismes de formation. Quels sont les critères permettant de dispenser des formations ?

M. Paul Santelmann - Il n'existe pas de contrôle de la qualité de la formation. Une disposition nouvelle fait qu'il est désormais nécessaire, pour être considéré comme un organisme de formation, de présenter une première convention de formation, c'est-à-dire montrer qu'on a décroché un marché. Auparavant, certains organismes de formation restaient sans activité. Il est toutefois toujours aussi difficile de savoir ce que l'on considère comme relevant de la formation.

Il me semble que les financeurs sont en grande partie responsables de la qualité des formations. Certains d'entre eux sont d'ailleurs particulièrement forts : la région, l'État, l'ASSEDIC ou les OPCA. Ils devraient pouvoir être considérés comme des régulateurs de la qualité de l'offre. Les financeurs peuvent parfaitement créer les conditions d'une véritable évaluation de la qualité des prestations.

Cependant, nous constatons une nouvelle dérive, du fait que le financeur croit que la multiplication des prescriptions pourra engendrer une offre de qualité. Les cahiers des charges sont aujourd'hui particulièrement chargés. Cependant, ces cahiers des charges sont sans effet sur la qualité des formations, qui est surtout influencée par la concurrence. Un organisme pourrait, par exemple, sans respecter le cahier des charges, parvenir à remplir l'objectif fixé à moindre coût et en gagnant du temps. Une telle situation serait en fait, en l'état actuel des choses, désavantageuse pour l'organisme le plus efficace.

Les organismes doivent être placés en concurrence, sans nécessairement leur imposer de méthodes ou de pratiques. Aujourd'hui, tous les organismes se contentent de respecter le cahier des charges. Il est nécessaire d'accorder aux opérateurs davantage de responsabilités, afin que leurs pratiques soient vraiment adéquates aux besoins.

Mme Christiane Demontès, rapporteur-adjoint - Il faudrait alors remettre en cause le code des marchés publics.

Mme Gisèle Printz - La situation semble dangereuse ; des sectes, par exemple, pourraient prétendent au statut d'organismes de formation.

M. Paul Santelmann - Des cas de ce genre se sont déjà présentés.

Il suffit parfois, sans évaluer la qualité de la formation, de vérifier comment les formations se déroulent. Certains organismes de formation ne parviennent même pas à expliquer comment ils travaillent.

Peut-être faudrait-il s'appuyer sur les clients et les usagers pour évaluer l'offre.

M. Paul Girod - Vous nous avez expliqué qu'une partie de notre système de formation correspondait à des idées datant des années soixante. Ensuite est advenue ce qu'il est convenu d'appeler la crise économique, qui a débuté en 1974. Lorsqu'une crise économique dure trente-trois ans et que les idées anciennes ne sont plus opératoires, il faut se demander s'il s'agit effectivement d'une crise économique ou plutôt d'une mutation. Les mesures que nous avons prises en début de crise visaient à répondre à une crise de courte durée.

Quelle est la part de la résistance des organismes de formation dans la résistance généralisée à l'évolution ?

M. Paul Santelmann - Le fait que le système dépende à hauteur de 95 % des cotisations obligatoires crée des phénomènes de rentes, pour les collecteurs, les orienteurs ou les organismes de formation. Il est nécessaire de conserver certains instruments de financement public, évalués en tant que tels, mais il est nécessaire de favoriser l'émulation et l'initiative au sein des organismes qui s'adressent aux même personnes depuis vingt ans et se fixent depuis aussi longtemps les mêmes objectifs.

Il me semble pourtant, par exemple, qu'un organisme de formation qui ne forme pas de salariés n'est pas compétent pour former des chômeurs. Il semble qu'il faille revenir à des fondamentaux. Un organisme de formation professionnelle, par définition, est lié au monde de l'entreprise et accompagne ses transformations.

M. Paul Girod - Quelle est la proportion des dispositifs qui ne sont pas adaptés ?

M. Paul Santelmann - Les organismes les plus performants sont ceux qui forment les ingénieurs et les cadres. Leur public les contraint à la performance, en formulant leurs critiques s'ils sont défaillants. Il faut savoir que ces organismes emploient des formateurs occasionnels, salariés d'entreprises.

En revanche, l'appareil de formation destiné aux moins qualifiés, qui constitue un enjeu majeur et complexe, se trouve dans une situation particulièrement difficile. Il ne parvient pas, notamment, à conserver des liens véritables avec les entreprises. Le travail d'adaptation aux évolutions aux transformations des métiers industriels est cependant important, et de nombreux organismes n'ont pas les moyens d'assumer ces tâches. Il faudrait pourtant que les organismes de formation soient experts des métiers et de leurs évolutions.

Mme Isabelle Debré - Ne pourriez-vous nous faire part d'un élément positif ou encourageant ?

M. Paul Santelmann - Je suis impressionné par les innovations et initiatives qui existent sur le terrain. Le système ne perdure que parce que certains parviennent à s'échapper quelque peu du cadre du système et à conduire des actions intelligentes. De telles mesures n'apparaissent cependant que localement.

Souvent, ces innovations sont peu connues, puisque leurs auteurs ont souvent dépassé les limites réglementaires et budgétaires normalement fixées.

Lorsque j'étais en charge, dans le Nord-Pas-de-Calais, du crédit de formation individualisée, un organisme de formation nous a montré comment il pouvait travailler sans locaux. Ses formateurs intervenaient directement dans les entreprises qui ne parvenaient pas à recruter. Les stagiaires étaient invités à se former dans plusieurs enseignes. Une opération de ce type était contraire au règlement. Nous l'avons cependant mise en place, ce qui a permis à la totalité des jeunes concernés de s'insérer dans ces entreprises.

Ce genre d'initiatives permet de conserver notre optimisme. Nous pouvons cependant regretter qu'elles ne permettent pas une revitalisation véritable du système d'ensemble.

M. Jean-Claude Carle, président - La dérive du système ne s'expliquerait-elle pas également par sa gestion paritaire, qui fait que les partenaires sociaux sont davantage préoccupés par la gestion financière que par sa finalité ?

M. Paul Santelmann - La finalité du système est perdue de vue dès lors que les acteurs sont confrontés à des problèmes de gestion et de régulation de flux financier. Les OPCA, par exemple, doivent collecter les fonds provenant des entreprises, mais doivent également les redistribuer. Ils ne peuvent le faire que lorsque les entreprises achètent de la formation.

Les partenaires sociaux ont mis en place le contrat de professionnalisation. Cependant, ce contrat censé simplifier les procédures, est soumis aux accords signés au niveau des branches. Il existe 500 conventions collectives en France. 300 accords de branches définissent les termes des contrats de professionnalisation. Les organismes de formation et les OPCA doivent donc gérer plusieurs accords de branches, qui prévoient des préparations différentes aux mêmes métiers. Les modalités de remboursement de l'organisme de formations elles-mêmes sont différentes en fonction des accords. Cette complexité explique que la gestion financière soit responsable du fait que la finalité globale est perdue de vue.

M. Jean-François Humbert - Vous semble-t-il que l'action des conseils régionaux sur ces questions s'est améliorée, ou que des difficultés nouvelles sont apparues ? Les conseils régionaux accomplissent-ils correctement l'action qui leur a été confiée ?

M. Paul Santelmann - Il sera à l'avenir nécessaire que l'État se retire clairement de ce domaine, accorde les pleins pouvoirs à la région, et lui fournisse l'ensemble des commandes permettant de construire une politique publique. Il est aujourd'hui particulièrement compliqué pour un conseil régional de définir une politique et une stratégie dans le domaine de la formation professionnelle, à cause du cadrage du système.

Les conseils régionaux, par exemple, ne peuvent pas influer sur le système de validation de certification. Il n'existe pas de système d'orientation professionnelle permanent et unique, qui s'adresse à tous. La régulation du système d'orientation professionnelle ne doit pas uniquement dépendre de schémas nationaux. Une décentralisation peut cependant faire que soient élaborés vingt-deux systèmes d'orientation professionnelle différents. Il est sans doute nécessaire de réfléchir aux invariants et aux moyens de permettre des adaptations territoriales.

Un conseil régional doit pouvoir définir des priorités d'action, au niveau de chaque bassin d'emploi.

Il est également nécessaire de travailler à la professionnalisation des orienteurs. Ils pourraient disposer d'un même bagage sur l'ensemble du territoire français, voire européen. Ils pourraient ainsi utiliser le même langage dans l'ensemble des pays d'Europe. Pour ce faire, il faut définir des invariants forts, pour ensuite adapter les modes d'organisations aux besoins du terrain.

Par exemple, un formateur de l'AFPA situé à Marseille doit travailler de la même façon qu'un formateur situé dans le Nord-Pas-de-Calais. Non seulement les formations sont alors comparables, mais également les performances des formateurs.

M. Jean-Claude Carle, président - La logique de proximité n'est pas incompatible avec une vision globale. Les deux sont nécessaires. Les diplômes, par exemple, doivent être les même partout, mais il est indispensable, ensuite, de s'adapter aux spécificités de l'économie.

Il semble que la méthode adoptée aujourd'hui soit descendante. Ne serait-il pas nécessaire qu'elle soit davantage ascendante ?

M. Paul Santelmann - Au sein de l'AFPA, le secteur le plus dynamique est celui du BTP. C'est aussi dans ce domaine que les initiatives de terrain des formateurs remontent le mieux dans le département. C'est là que les échanges entre les innovations de terrain et la conception centrale s'effectuent le plus aisément. Cet exemple manifeste le besoin d'une ingénierie qui se ressource grâce aux pratiques de terrain.

Audition de MM. Jean-Pierre REVOIL, directeur général, et Jean-Paul DOMERGUE, directeur des affaires juridiques de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), (31 janvier 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation, et de nous présenter la position de l'organisme que vous représentez à l'égard de la formation professionnelle. Puisqu'il ne sera sans doute pas possible de traiter de l'ensemble des questions, vous pourrez nous faire part de vos réflexions par écrit. Le document que vous pourrez nous fournir sera joint au rapport final que nous rendrons avant la fin du mois de juillet.

M. Jean-Pierre Revoil - L'UNEDIC est chargée de gérer les ASSEDIC, ce qui ne fait pas de nous des professionnels de la formation professionnelle. Notre métier consiste en l'indemnisation des chômeurs. Cependant, les partenaires sociaux ont souhaité que l'UNEDIC remplisse, au-delà de l'assurance, c'est-à-dire de l'indemnisation en fonction des cotisations versées, les missions qui sont celles d'une assurance « intelligente », qui permette de prévenir et de guérir.

Par exemple, les salariés victimes d'un licenciement économique peuvent désormais être pris en charge rapidement, avant même qu'ils soient effectivement chômeurs. Un accompagnement pouvant conduire à un reclassement leur est fourni pendant les mois de préavis.

Ensuite, il est indispensable que le chômeur retrouve dans les meilleurs délais un emploi convenable. Sans doute la personne au chômage devra-t-elle bénéficier de formations d'adaptation au poste de travail, ou d'une autre formation courte. L'assurance chômage n'a pas pour mission de proposer des formations longues. Elle ne saurait, par exemple, mettre en place des formations d'infirmières, longues de trois ans. La personne qui suivrait une telle formation resterait en effet au chômage. Une telle situation ne serait pas budgétairement satisfaisante. L'UNEDIC cherche un reclassement rapide des chômeurs, car plus leur période de chômage est courte, moins les dépenses de l'assurance chômage sont élevées. L'indemnisation mensuelle d'un chômeur s'élève la plupart du temps à 1 000 euros.

L'assurance chômage cherche à fluidifier le marché du travail, en permettant l'adéquation des compétences des chômeurs indemnisés aux besoins des entreprises. Les critères du bureau international du travail permettent d'évaluer à 2,4 millions le nombre de chômeurs. Le nombre des offres d'emploi est de 300 000. Il ne devrait pas rester tant d'offres non pourvues. C'est pourquoi il est indispensable d'adapter la population au chômage aux besoins des entreprises. C'est pourquoi l'assurance chômage a mis en oeuvre un recensement des besoins en main d'oeuvre.

Chaque année, nous interrogeons les représentants de l'ensemble des entreprises de France, qui intègrent les 16,2 millions salariés du secteur privé qui cotisent à l'assurance chômage, sur leurs intentions d'embauches. Nous leur demandons s'ils rencontrent des difficultés pour effectuer leurs recrutements. Ces questionnaires permettent d'identifier les emplois qui se trouvent en tension et les emplois porteurs. Les emplois en tension sont ceux pour lesquels l'adéquation entre les travailleurs au chômage et les emplois est insuffisante : les corps de métiers du bâtiment, l'hôtellerie restauration, l'aide à la personne ou les transporteurs routiers par exemple.

Les données ainsi recueillies permettent d'avoir une vision de la situation des 450 bassins d'emplois.

Les métiers porteurs, actuellement, sont ceux de l'informatique, du commerce ou de la banque.

Ce recensement s'effectue au niveau local, par le moyen des trente ASSEDIC. Grâce à ce recensement, les ASSEDIC connaissent les besoins des entreprises locales à ce moment. Les partenaires sociaux ont attribué aux ASSEDIC une enveloppe pour qu'elles mettent en place des formations. Ainsi, en 2006, 287 millions d'euros ont été destinés à l'aide à la formation. 33 millions d'euros sont consacrés à l'aide à la mobilité, qui permet de financer, notamment, les frais de transports de certains chômeurs. En outre, 95 millions d'euros sont accordés aux employeurs qui embauchent des chômeurs allocataires qui sont au chômage depuis plus d'un an, ou qui sont âgés de plus de cinquante ans. Cette aide doit donc aider à insérer dans l'entreprise des chômeurs de longue durée ou des seniors. Cette aide aux entreprises est accordée pendant trois ans, à hauteur de 40, 30 puis 20 % du salaire.

Mme Isabelle Debré - A qui sont versés les 287 millions d'euros d'aides ?

M. Jean-Pierre Revoil - Cette somme correspond à une enveloppe dont disposent les ASSEDIC. Par exemple, sur cette enveloppe, l'ASSEDIC des Alpes a droit à 11 millions d'euros d'aide à la formation. Elle utilise le recensement qui permet de connaître les besoins des entreprises dans chaque bassin d'emplois. Les administrateurs de l'ASSEDIC, disposant en outre des annonces de l'ANPE et des maisons de l'emploi, peuvent décider en conséquence de mettre en place des formations adéquates. Ils réalisent donc un appel d'offres auprès des centres de formation locaux. Les formations ainsi proposées doivent être relativement courtes puisqu'elles ne peuvent excéder un an.

Les chômeurs concernés sont toujours indemnisés, et bénéficient en outre d'une formation financée par l'ASSEDIC. Les formations dans ce cadre sont appelées les formations « conventionnées ».

L'ASSEDIC met également en oeuvre des actions de formation préalable à l'embauche. Elles ne peuvent excéder trois mois. Ces formations sont mises en place lorsque l'employeur en exprime le besoin, lorsque le chômeur est déjà en contact avec son entreprise. Dès lors que les deux parties sont d'accord et que l'embauche est assurée, l'ASSEDIC finance cette formation.

Il convient par ailleurs de préciser que les stages de formation conventionnés doivent répondre à des besoins identifiés des employeurs, sans que ceux-ci aient garanti qu'ils allaient recruter les personnes concernées. Dans ces cas, l'UNEDIC est financeur et l'ANPE est l'opérateur. L'UNEDIC réalise l'appel d'offres, mais l'ANPE décide quelles personnes suivront les formations.

L'UNEDIC ne participe plus au financement des stages homologués. Ces actions étaient financées en partenariat avec les régions. Or les régions ont choisis de prendre en charge l'intégralité du financement de ces mesures, c'est pourquoi l'UNEDIC n'intervient plus que pour financer les frais divers, l'hébergement, la restauration et le transport des individus.

Toutes ces actions sont financées par l'enveloppe de 287 millions d'euros. A la fin 2006, cette enveloppe n'a été consommée qu'à hauteur de 62 %, soit 176 millions d'euros. Certaines ASSEDIC utilisent 95 % de leur enveloppe, d'autres consomment beaucoup moins.

M. Jean-Paul Domergue - Notre intervention dans le domaine de la formation est financièrement importante. Nous disposons d'autres enveloppes pour conduire des actions de VAE. Nous favorisons la signature de contrats de professionnalisation en attribuant deux types d'aides, une de 200 euros à l'entreprise qui recrute le chômeur, et une autre au salarié, d'un montant équivalent à la différence entre 120 % de l'allocation chômage dont il bénéficiait et la rémunération qui lui est versée.

Les partenaires sociaux ont par ailleurs souhaité que les personnes qui travaillent régulièrement en CDD accèdent au congé individuel de formation. Ils ont en ce sens prévu que ces personnes puissent bénéficier de l'allocation chômage et d'un complément versé par l'OPACIF, afin de percevoir 80 % de leur ancien salaire. Ce dispositif est récent, et son utilisation n'est pas encore généralisée.

M. Jean-Pierre Revoil - Ces financements complémentaires sont en phase de lancement.

Le problème est que notre métier est d'indemniser les chômeurs et de financer leur accompagnement. Il revient à l'ANPE de prescrire des formations. Nous encourageons l'ANPE à proposer des actions de VAE et des contrats de professionnalisation. Les partenaires sociaux, qui dirigent l'UNEDIC, se plaignent de la trop lente montée en charge de ces dispositifs. C'est pourquoi nous incitons les directeurs d'ASSEDIC à travailler avec les conseils régionaux pour la VAE, et les OPCA pour les contrats de professionnalisation.

Mme Isabelle Debré - L'ANPE est donc prescripteur des formations conventionnées, et l'UNEDIC les finance et réalise les appels d'offres.

M. Jean-Pierre Revoil - L'ANPE est en contact avec les chômeurs. Nous nous efforçons de repérer les emplois porteurs. Nous disposons d'enveloppes de financement et avons réalisé des appels d'offres auprès des centres de formation. L'ANPE doit décider quels sont les chômeurs qui suivront les formations en question.

Mme Isabelle Debré - L'UNEDIC réalise-t-elle un appel d'offres au cas par cas ou une fois pour toutes, pour une période donnée ?

M. Jean-Pierre Revoil - Les appels d'offres sont réalisés au cas par cas.

Mme Isabelle Debré - Il semble que cette façon de faire pose des problèmes de gestion.

M. Jean-Paul Domergue - Lorsque le besoin de main-d'oeuvre et de qualification est identifié, nous nous efforçons de répondre à ces besoins par des formations.

Mme Isabelle Debré - De quel niveau est l'aide apportée aux chômeurs de plus d'un an ou âgés de plus de cinquante ans ? Quelle est sa durée ?

M. Jean-Paul Domergue - Le montant de l'indemnisation du chômeur est déterminé en fonction des droits qui lui restent. Les sommes auxquelles le chômeur a droit et qu'il n'a pas encore perçues lui sont versées dans ce cadre.

M. Jean-Pierre Revoil - La plupart des chômeurs sont pris en charge pendant vingt-trois mois. Chaque mois, 70 000 chômeurs quittent le système de l'assurance chômage parce qu'ils n'ont pas trouvé d'emploi au moment où ils perdent leurs droits à l'indemnisation.

55 % des chômeurs ont droit à une indemnisation pendant vingt-trois mois. Les personnes de plus de cinquante-cinq ans ont droit, quant à elles, à trente-six mois d'indemnisation.

Si un chômeur commence à suivre une formation après quinze mois de chômage, il lui restait, en théorie, huit mois d'indemnisation. S'il est indemnisé à hauteur de 1 000 euros chaque mois, l'UNEDIC verse à l'employeur 40 % du salaire de la personne concernée au cours de la première année, puis 30 % pendant la deuxième année, et 20 % la troisième.

Le défaut de ce système est qu'il engendre des effets d'aubaine. Certains employeurs en bénéficient. Ce dispositif est cependant largement utilisé.

M. Jean-François Humbert - Comment évaluez-vous les formations prodiguées aux chômeurs ?

M. Jean-Pierre Revoil - Le dispositif a été mis en place en 2001. Notre objectif était alors de réduire la durée du chômage. La durée moyenne de chômage devait être ramenée à vingt et un jours. Cependant, cette durée varie en fonction de la conjoncture économique. Entre juillet 2000 et juillet 2001, la durée du chômage, grâce à une conjoncture favorable, avait diminué de vingt jours. Au moment où nous avons mis en place ce dispositif, la conjoncture s'est dégradée, et la durée de chômage a augmenté. Il était donc compliqué d'évaluer notre dispositif de cette façon. Nous avons par conséquent choisi de favoriser une évaluation par le taux de reclassement. Ce facteur varie également en fonction de la conjoncture, mais nous avons pu savoir un peu mieux si le taux de reclassement s'était amélioré grâce au dispositif.

Nous nous sommes aperçus que le taux de reclassement conventionné était effectivement meilleur que le taux de reclassement des dispositifs homologués, que nous les financions ou non.

Bien sûr, les formations préalables à l'embauche apparaissaient comme l'outil le plus efficace, même si nous avons été surpris que le taux de reclassement des chômeurs qui ont bénéficié de ce dispositif n'atteignait pas 100 %. Certains, malgré la formation, ne pouvaient s'adapter au poste, d'autres trouvaient un autre emploi entre temps. L'action de formation préalable à l'embauche permet tout de même d'atteindre des taux de reclassement proches de 85 %.

Il est cependant particulièrement difficile de calculer les taux de reclassement, du fait des flux constatés sur le marché du travail. Ce taux dépend de l'échelle choisie. Au cours d'une période longue, par exemple, un chômeur peut trouver du travail, puis de nouveau perdre son emploi, ce qui fausse les chiffres. En outre, 35 % des chômeurs allocataires travaillent en activité réduite. Ces personnes sont donc à la fois au chômage et titulaires d'un emploi.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Transmettez-vous les informations reçues lors de vos enquêtes sur les métiers porteurs et les métiers en tension aux représentants de l'éducation nationale ? Peut-être ces informations permettraient-elles à l'éducation nationale de créer des formations adaptées aux attentes des entreprises.

En outre, qui chargez-vous de réaliser les VAE ?

M. Jean-Pierre Revoil - Nous n'avons guère de relation avec l'éducation nationale. Le problème de l'adéquation des formations de l'éducation nationale aux besoins de l'entreprise n'est pas un sujet nouveau. Il n'existe cependant aucune relation entre l'assurance chômage et l'éducation nationale. Il est difficile de trouver un interlocuteur.

Nous avons dernièrement reçu des représentants d'entreprises dont le métier est le diagnostic immobilier. Une loi récente, en effet, oblige les propriétaires à informer les locataires sur plusieurs critères. 4 000 personnes exercent ce métier aujourd'hui en France. Il en faudrait quatre fois plus, et au moins deux fois plus dans les six mois à venir. Nous nous sommes demandé qui formait à ce métier. Il n'existe qu'une école, située à Saint-Nazaire. Les professionnels sont pourtant prêts à embaucher 5 000 personnes au cours des six prochains mois, et ont souhaité que l'UNEDIC leur apporte de l'aide pour ce faire. Il est étonnant que l'éducation nationale ne réagisse pas à ce genre de données.

Nous manquons depuis plusieurs années d'infirmières et de médecins, mais l'éducation nationale ne réagit pas. Nous n'entretenons pas de relations avec ses représentants.

Certes, les chefs d'entreprise n'anticipent que rarement leurs besoins au-delà de six mois. Cependant, nous savons que nous manquons de personnes capables d'exercer les métiers du bâtiment depuis plusieurs années. La même chose peut être dite pour la restauration par exemple.

M. Jean-François Humbert - Il n'est cependant pas possible d'obliger les jeunes à choisir ces filières.

Il existe un schéma prévisionnel des formations, élaboré par l'éducation nationale et les régions. Son objectif est de permettre l'adéquation des offres de formations et les offres d'emplois.

M. Jean-Pierre Revoil - Je souhaite vous faire part d'une anecdote à ce sujet. Il y a deux ans, il est apparu qu'il manquait 300 cuisiniers dans le Languedoc-Roussillon. Nous avons demandé à l'ANPE de repérer 300 chômeurs exerçant un métier proche. L'ANPE a convoqué ces personnes. Cent d'entre elles se sont présentées au rendez-vous. Après leur avoir décrit la formation, vingt d'entre eux acceptaient de la suivre. Cependant, une seule personne est venue le premier jour de la formation.

M. Jean-Paul Domergue - Les ASSEDIC ne font, pour les VAE, qu'apporter un financement. Les personnes susceptibles d'intégrer ce dispositif sont dirigées vers l'ANPE, qui a développé une compétence en ce domaine dans certaines régions, ou vers des prestataires capables d'assurer le parcours d'accompagnement de la VAE.

L'UNEDIC finance l'ensemble des frais qui ne sont pas pris en charge par ailleurs. 40 millions d'euros figurent au budget pour ce type d'action.

Il est apparu que ce système n'est pas adapté aux chômeurs. Les jurys de VAE, en effet, ne se réunissent qu'une fois par an. Or les parcours de VAE des chômeurs devraient pouvoir se dérouler tout au long de l'année.

Mme Gisèle Printz - Quels seraient les inconvénients et avantages de la fusion de l'UNEDIC et de l'ANPE ?

M. Jean-Pierre Revoil - Denis Gauthier-Sauvagnac répondrait à cette question en demandant si vous souhaitez nationaliser les ASSEDIC ou privatiser les ANPE.

Il est vrai que l'ANPE dépend du ministère du travail, alors que nous sommes une association loi 1901 gérée par les partenaires sociaux. Cette situation complique un rapprochement éventuel.

Par ailleurs, pour résoudre cette question, il faudrait avoir trouvé le moyen de mettre en place un tripartisme équilibré, entre les deux partenaires sociaux et les pouvoirs publics. Un tel mode de fonctionnement existe, par exemple, en Allemagne.

Dans des structures telles que la sécurité sociale ou l'ANPE, les partenaires sociaux peinent à faire entendre leur voix. Le fonctionnement est donc tout à fait déséquilibré. Les partenaires sociaux ne détiennent pas un pouvoir suffisant.

L'UNEDIC est un organisme paritaire. Cependant les administratifs, le directeur général de l'UNEDIC par exemple, ont parfaitement compris que la loi de cohésion sociale et la convention tripartite entre l'État, l'ANPE et l'UNEDIC fournissaient les moyens de trouver des synergies entre l'ANPE et les ASSEDIC. Ces textes ont le mérite de placer le chômeur au centre du dispositif, de sorte que chaque organisme exerce son propre métier ; les ASSEDIC inscrivent les chômeurs et les indemnisent, alors que l'ANPE apprécie le profil des chômeurs, ses besoins en formation et s'efforce de les reclasser.

Il est nécessaire d'observer le fonctionnement concret des ASSEDIC et ANPE, localement. Il arrive que nous réunissions les encadrements régionaux des deux organismes, pour savoir comment ils peuvent fonctionner ensemble, et s'ils ont pu mettre en place des guichets uniques. La convention tripartite du 5 mai 2006 imposait, en effet, qu'un guichet unique soit mis en place dans chaque région avant le 31 décembre 2006. Il faut noter qu'il existe 850 agences locales pour l'emploi, et 650 sites ASSEDIC. Il nous fallait donc réaliser vingt-deux guichets uniques avant la fin 2006. 180 ont été mis en place.

Les guichets uniques permettent aux chômeurs qui s'inscrivent à l'ASSEDIC de se rendre immédiatement aux agences de l'ANPE. Souvent, désormais, des agents de l'ANPE sont présents dans les locaux de l'ASSEDIC. La définition des guichets uniques veut que la totalité des personnes prises en charge rencontrent immédiatement des personnels de l'ANPE. Dans certains cas, le guichet unique est permis par un partage des surfaces. Dans ce cas, les deux organismes partagent la même entrée et la même salle d'attente, même si les équipes restent distinctes. En général, dans ces cas-là, l'ASSEDIC loue les locaux.

Les maisons de l'emploi sont un dispositif différent. Pour qu'il se généralise, il faudrait que l'ASSEDIC et l'ANPE déménagent dans ces maisons, où d'autres partenaires, représentant les pouvoirs publics par exemple, sont présents. Sur les 300 maisons de l'emploi prévues, 170 ont été homologuées et une cinquantaine d'entre elles fonctionne effectivement.

Plutôt que l'élaboration de maisons de l'emploi, nous privilégions le rapprochement des deux organismes, sans pour autant les faire fusionner. Dès qu'il est question de fusion, d'ailleurs, les partenaires sociaux réagissent négativement.

25 milliards d'euros sont versés chaque année aux chômeurs. Cependant, l'UNEDIC ne dispose pas d'un droit de contrôle sur le versement de ces sommes. Aucun gouvernement ne nous a jusqu'alors autorisés à effectuer ces contrôles. Les seuls contrôles sont effectués par les directions départementales du travail, qui manquent de personnels.

M. Jean-François Humbert - Si nous souhaitons obtenir des informations complémentaires sur certains des sujets qui ont été abordés aujourd'hui, nous n'hésiterons pas à vous contacter de nouveau.

Audition de Mme Élisabeth KAHN, chef de la mission du contrôle général économique et financier « emploi et formation professionnelle », et de M. Bernard GENTRIC, membre de la mission emploi et formation professionnelle, au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (7 février 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi Mme Élisabeth Kahn, chef de la mission du contrôle général économique et financier « emploi et formation professionnelle » au ministère des finances, et M. Bernard Gentric, contrôleur général et membre de la mission emploi et formation professionnelle, c'est-à-dire deux personnes extrêmement qualifiées pour nous entretenir du sujet qui nous préoccupe. Notre mission a été initiée il y a quelques semaines et nos auditions ont débuté la semaine dernière dans la perspective de dresser un bilan de la formation professionnelle.

24 milliards d'euros sont dépensés chaque année au titre de la formation professionnelle. A notre sens, il ne s'agit pas d'une dépense mais d'un investissement, et sans doute d'un des meilleurs qui puisse être réalisé, pour peu que nous constations de bons retours sur cet investissement. Pour bien agir, nous nous efforçons de nous adresser à celles et à ceux qui détiennent les compétences et de rechercher l'information là où elle se trouve. C'est la raison pour laquelle nous nous adressons à vous qui jouez un rôle important en matière de contrôle financier auprès d'organismes tels que l'AFPA, l'ANPE et l'AGEFIPH. Nous sommes très heureux de vous accueillir et nous vous remercions chaleureusement de votre présence. Je propose tout d'abord que nous vous écoutions, puis que vous répondiez aux questions de notre rapporteur et des sénateurs.

Mme Élisabeth Kahn - Merci de nous accueillir. Avant toute chose, je souhaite vous présenter rapidement le contrôle général économique et financier, dont le rôle n'est pas parfaitement connu de tous, à d'autant plus forte raison que ses modes opératoires ont été récemment modifiés. Il s'agit d'un corps de contrôle et d'inspection du ministère des finances dont les missions portent sur certains organismes, en fonction de leur degré de proximité avec l'État. Son texte fondateur est un décret du 26 mai 1955, modifié par le décret du 10 mai 2005. Nous contrôlons les organismes qui nous sont confiés par des arrêtés conjoints du ministère de l'économie et du ministère du budget, en l'occurrence pour la mission emploi et formation professionnelle, dont je suis responsable.

La mission emploi et formation professionnelle s'ordonne autour d'organismes dépositaires de la politique publique de lutte contre le chômage. Elle comporte trois volets principaux. Le premier est axé sur l'accès et le retour à l'emploi, autour de l'ANPE, de l'UNEDIC et des maisons de l'emploi. Le second volet porte sur la formation professionnelle, autour de l'AFPA et de quelques OPCA historiques percepteurs de taxes. Le troisième et dernier volet porte sur l'insertion de publics spécifiques par la formation et l'accès à l'emploi, autour de l'AGEFIPH et du FIPHFP pour les travailleurs handicapés, de l'ANT pour les travailleurs originaires d'outre-mer, et de l'ANAEM pour l'accueil des étrangers.

L'objectif de ce contrôle économique et financier porte sur la mesure de la qualité du pilotage des organismes, c'est-à-dire sur la mesure de leur performance et de leur efficience en termes d'utilisation des fonds publics dont ils sont dépositaires, en résonance partielle avec la LOLF lorsque les organismes sont financés sur crédits budgétaires. Notre tâche s'oriente notamment vers les questions de masse salariale et d'effectifs et vers la surveillance de la trésorerie. L'intensité de ce contrôle est évolutive, en fonction de la qualité de la gestion des organismes. Son principal mode d'effectivité réside dans sa participation aux organes de gouvernance et dans l'exercice d'un pouvoir de visa ou d'avis sur les principales décisions de l'organisme. Cette activité de visa évolue dans le sens d'une activité d'avis, c'est-à-dire d'une fonction de censure vers une fonction de conseil externe à la gestion des organismes. En raison de cette orientation en direction des organismes, j'ai souhaité consacrer mon propos d'introduction à deux sujets impliquant l'AFPA à savoir, d'une part, les implications de la régionalisation de la formation professionnelle sur la stratégie et sur le mode opératoire de l'association, d'autre part, les modes d'évaluation du contrat de progrès de l'AFPA. Je rappelle que l'opérateur historique que constitue l'AFPA a été mis en exergue dans le rapport Cahuc-Zylberberg.

Je souhaite tout d'abord vous parler de la régionalisation professionnelle, en vous priant de bien vouloir m'excuser de parfois répéter quelques évidences. Suite à la loi de modernisation sociale de 2002, qui a confié une compétence générale aux régions en matière de formation professionnelle, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales leur a confié la compétence de « définir et mettre en oeuvre la politique régionale d'apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d'un emploi et d'une nouvelle orientation professionnelle », ceci à compter du 1 er janvier 2009, ou plus tôt en cas de contractualisation tripartite entre l'AFPA, la région et l'État. En contrepartie de ce transfert, cette même loi organise le principe d'un transfert aux régions des financements que l'État consacrait auparavant à cette fonction, à charge pour les régions de transférer à leur tour les fonds correspondant à l'AFPA. Le transfert de cette capacité de décision et de financement de l'État aux régions implique pour l'AFPA une série de conséquences à la fois structurelles et structurantes. En effet, les compétences transférées, liées à la formation professionnelle des demandeurs d'emploi, constituent le coeur de métier de l'AFPA. Ce transfert de compétences et de financement suppose pour l'AFPA un changement d'interlocuteur, avec le passage d'un interlocuteur unique - l'État - à un interlocuteur multiple - les régions. Il suppose également de passer à un type très différent de dialogue de programmation, puisqu'au lieu de prendre en compte les priorités de l'État et les siennes propres, l'AFPA doit tenir compte des priorités des régions et de la nécessaire harmonisation de ces différentes priorités. Ce transfert de compétences et de financement présente également un impact sur le mode de détermination des interventions de l'AFPA, avec le passage progressif d'un mécanisme de subvention à un mécanisme de recours au marché et aux appels d'offres, c'est-à-dire à la nécessité de documenter et de paramétrer ses coûts dans le cadre d'une comptabilité analytique digne de ce nom.

Par ailleurs, en raison de ce transfert de compétences et de financement, l'AFPA se trouve dans une grande incertitude face à la demande qui lui est adressée. En effet, l'AFPA doit à la fois se situer sur son coeur de métier dans la perspective d'une concurrence avec d'autres opérateurs et, partant de l'hypothèse qu'elle perdra le monopole de ce marché, elle doit se mettre à la recherche de métiers alternatifs, notamment en direction des salariés en emploi, et non plus des seuls demandeurs d'emploi. Elle se trouvera donc en état de concurrence non seulement sur son coeur de métier mais aussi sur le métier d'autres opérateurs de la formation professionnelle. Ce changement représente un véritable bouleversement de l'opérateur. L'AFPA a fait preuve d'une attitude volontariste pour s'y préparer et s'est montrée proactive quant à la possibilité offerte par la loi de 2004 de réaliser un test grandeur nature de ce que serait le transfert de compétences en 2009. Dans de nombreux cas, l'AFPA a joué un rôle très actif dans la conclusion des conventions tripartites passées entre elle, l'État et les régions. Comme vous le savez, à l'heure actuelle, dix-huit des vingt-deux régions ont conclu une convention de ce type. Certes, au regard de la situation qui prévaudra en janvier 2009, un certain nombre de garde-fous existe encore. Les régions doivent adresser à l'AFPA leurs demandes en matière de formation des demandeurs d'emploi. Dans la mesure où l'AFPA a passé une convention avec les régions, elle connaît les demandes des régions et dispose donc encore de la possibilité d'orienter son offre en conséquence, tandis que si elle ne parvient pas à maintenir ce dialogue, elle se trouvera dans une situation de flou stratégique complet. C'est précisément dans la perspective du moment à partir duquel les conventions ne seront plus obligatoires que l'AFPA s'est efforcée de nouer ce dialogue avec les régions. Le fait de conclure des conventions constitue en effet un galop d'essai et une porte ouverte par rapport à la situation de concurrence avec d'autres opérateurs dans laquelle l'AFPA sera placée. La qualité du dialogue établi avec les régions permettra à l'AFPA de conserver une antériorité et de maintenir une qualité d'orientation stratégique réciproque.

Je souhaite également évoquer l'innovation apportée par le troisième contrat de progrès de l'AFPA, qui a été signé en février 2005. Le deuxième contrat de progrès est évoqué en des termes sévères dans le rapport Cahuc-Zylberberg. Ce rapport affirme que l'évaluation de la qualité de la formation est absente du contrat de progrès et que les indicateurs sont tournés vers l'activité propre de l'AFPA. Sur ces deux points, il est nécessaire de replacer le contrat de progrès dans le contexte de la logique d'un tel exercice. Les contrats de progrès des organismes financés sur fonds publics sont des documents de contractualisation avec le financeur. En toute logique, ils doivent donc se préoccuper de l'efficience des financements et de la qualité de l'utilisation des fonds publics en fonction des objectifs qui leur sont assignés, et non en fonction des seuls objectifs de la politique publique elle-même.

Rappelons à grands traits les principales caractéristiques du contrat de progrès. Ce contrat positionne l'AFPA en tant qu'organisme national, ce qui n'allait pas de soi dans le cadre de la loi de 2004. Le contrat de progrès demande à l'AFPA de négocier en termes de branches, ce qui représente une autre façon de lui demander de s'insérer dans le mécanisme global du financement de la formation professionnelle, dont la dimension de branche est naturellement l'axe principal d'organisation. Enfin, le contrat de progrès demande à l'AFPA d'articuler son action avec les autres partenaires du service public de l'emploi que sont l'ANPE, les maisons de l'emploi et l'UNEDIC. Ce contrat fixe à l'AFPA des objectifs pour la durée du contrat, c'est-à-dire de 2004 à 2008. Il s'agit d'objectifs de politique publique, puisqu'il est demandé à l'AFPA de se positionner prioritairement sur les métiers en tension, de renouveler les compétences des travailleurs en situation d'emploi, d'adapter son appareil de formation aux modifications du contenu technologique des emplois et de se tourner en priorité vers la conduite vers l'emploi des jeunes sortant du système éducatif sans qualification. Les objectifs fixés par le contrat de progrès ont également trait à l'efficience, à l'optimisation du coût des actions et à la réduction des effectifs liés à la gestion. Les indicateurs mis en place sont des indicateurs d'efficacité de l'action, des indicateurs de performance, mais aussi des indicateurs liés à la politique publique, puisque l'un d'eux vise à mesurer le taux de placement dans l'emploi six mois après la sortie de stage. MM. Cahuc et Zylberberg affirment qu'il conviendrait d'utiliser des groupes témoins. Je pense que cette proposition est pertinente et que certains services, notamment les services d'étude du ministère de l'emploi, mènent des actions en ce sens. Toutefois, en matière de formation, il serait difficile de mettre en place une telle étude dans la mesure où les cohortes devraient être totalement représentatives des effectifs des demandeurs d'emploi et où l'étude devrait neutraliser l'impact de la conjoncture. En effet, l'accès à l'emploi des personnes sortant de formation est certes tributaire de la qualité de l'enseignement qui leur a été dispensé, mais aussi de la conjoncture et des perspectives offertes par le marché à ce moment précis. En la matière, je plaide donc pour une relativisation des jugements. La dernière catégorie d'indicateurs mise en place dans le cadre du contrat de progrès porte sur l'articulation de l'AFPA avec les partenaires du service public de l'emploi ainsi que sur la réactivité de l'AFPA. Pour mesurer l'efficacité de l'opérateur, il est en effet important de mesurer la qualité de sa relation avec l'ANPE, en tant que principal prescripteur de formations pour les demandeurs d'emploi. Je souhaite souligner le fait que l'AFPA doit aujourd'hui faire le deuil de la situation de monopole historique dans laquelle elle se trouvait, à l'instar de plusieurs monopoles de certains secteurs d'industrie du service public fonctionnant en réseau. Il s'agit donc pour l'AFPA de conserver une place éminente sur le marché, tout en perdant son monopole et en s'insérant dans la concurrence. D'autres acteurs y sont parvenus, et il n'existe aucune raison pour que l'AFPA n'y parvienne pas à son tour.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie de cette présentation et de ces précisions concernant une situation qui a fortement évolué. La transition entre une situation de monopole et une situation concurrentielle suppose un certain temps d'adaptation et les expériences menées dans les régions permettent d'éclaircir la situation.

Je donne la parole à notre rapporteur, ainsi qu'à l'ensemble de mes collègues qui souhaiteront vous poser des questions.

Mme Élisabeth Kahn - Je souhaite vous indiquer que M. Bernard Gentric, qui est chargé en particulier du contrôle de l'AFPA, de l'AGEFIPH, du FIPHFP et du centre INFFO, m'aidera par sa compétence à apporter des réponses à un grand nombre de vos questions.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - En tant qu'institution, de quelle façon l'AFPA réagit-elle à cette mise en concurrence et à la perte de son monopole ?

M. Bernard Gentric - Comme vient de l'indiquer Mme Élisabeth Kahn, l'AFPA a anticipé cette situation très en amont et de deux façons. Elle a d'une part anticipé la date butoir du 31 décembre 2008, qui finalise le transfert aux régions, par l'élaboration et la signature de dix-huit conventions tripartites. Ces conventions comportent notamment un article particulièrement intéressant, qui demande la conduite d'une réflexion conjointe sur l'évolution de l'offre de services de l'AFPA en liaison avec les régions à partir de 2009, de façon à pouvoir anticiper le bouleversement que représente l'ouverture à la concurrence. Sur le plan interne, l'AFPA a lancé un vaste chantier en engageant le programme fonction support, qui consiste à revisiter tous les processus de l'AFPA, dans les domaines de la gestion, de la comptabilité, des achats et des ressources humaines, et d'adapter tous les systèmes d'information en relation avec ces fonctions support et ces processus. Il s'agit d'un chantier très important, qui a pour ambition d'être terminé à la fin de l'année 2007. Le programme vise notamment à simplifier et à rationaliser l'organisation de l'AFPA, à la doter de moyens de pilotage économique qui lui permettront de s'adapter à son nouvel environnement et de réduire ses coûts de 20 % d'ici à 2009, ce qui représente un objectif extrêmement ambitieux. Dans le cadre d'un accord négocié, l'objectif de réduction de ses effectifs est porté à 615 personnes, qui doivent être mises en regard des 11 250 employés de l'AFPA. Il est donc question d'une réduction de 6 à 7 % des effectifs à l'horizon 2009. A l'heure actuelle, le processus en cours est conforme à la poursuite de cet objectif.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Dans le cadre de la régionalisation, de quelle façon les publics spécifiques tels que les handicapés et les anciens détenus seront-ils pris en compte ?

M. Bernard Gentric - Je suis plus particulièrement en mesure de vous répondre sur le plan de la formation des travailleurs handicapés, puisque je suis chargé du contrôle de l'AGEFIPH. Je signale d'ailleurs en préambule que l'AGEFIPH constitue un exemple significatif de rassemblement de différents dispositifs et de mise en concertation de différents partenaires. En effet, depuis plusieurs années l'AGEFIPH a passé de nombreuses conventions au niveau régional, mais aussi au niveau national, avec l'ANPE. La dernière de ces conventions a été renouvelée avec l'ambition constante d'accroître le nombre de travailleurs handicapés accédant à la formation. Cette ambition se retrouve également dans le cadre de la convention entre l'AGEFIPH et l'AFPA, puisque le nombre de personnes handicapées représente 9,7 % du nombre total de stagiaires de l'AFPA, ce qui constitue un taux significatif.

Pour sa part, l'AGEFIPH consacre un budget très important à la formation, qui s'est élevé à 103 millions d'euros en 2006, soit près de 50 % de ses dépenses d'interventions. Dans le projet de budget 2007 de l'AGEFIPH, il est prévu de consacrer un montant de 135 millions d'euros à la formation des travailleurs handicapés. Par ailleurs, le budget de l'AGEFIPH est renforcé par un programme sur trois ans, intitulé Handicompétence. Ce programme a pour but de renforcer l'accès à la formation et à la qualification des travailleurs handicapés par le biais d'un certain nombre d'outils. Il s'agit notamment de la formation en entreprise préalable à l'embauche, mais aussi de formations courtes essentiellement ciblées sur des prérequis nécessaires à l'entrée en formation avant qualification, car l'AGEFIPH a constaté que de telles lacunes en termes de prérequis à l'entrée dans une formation qualifiante constituaient un frein à la formation des publics handicapés. Cette démarche Handicompétence s'inscrit dans un projet régional Handicompétence mis en place en concertation avec l'ensemble des acteurs du service public de l'emploi. L'AGEFIPH espère que ce programme, qui renforce les dispositifs de droit commun et qui complète les actions habituelles qu'elle mène dans le cadre de son budget d'intervention ordinaire, aura un effet de levier important. En effet, l'AGEFIPH envisage l'entrée en formation de 13 à 15 000 personnes handicapées supplémentaires chaque année. Ce programme représente 100 millions d'euros sur trois ans, pour les années 2006, 2007 et 2008. Le programme Handicompétence a en effet été initié en 2006 et plus de 20 millions d'euros lui ont été consacrés au cours de ce premier exercice.

Mme Sylvie Desmarescaux - Au risque de mécontenter certaines personnes, je considère que la disparition du monopole de l'AFPA est une bonne chose. En effet, une position de monopole n'est pas propice aux remises en question. Vous avez indiqué que le dialogue avait été rendu plus complexe, car il s'établira désormais avec vingt-deux régions et non plus avec l'État. L'AFPA est implantée dans chaque région et chaque agence de l'AFPA est déjà habituée à dialoguer avec la région. J'estime que cette transformation est bénéfique car chaque région rencontre des difficultés spécifiques. Ce dialogue entre l'AFPA et la région est un élément positif au regard des modalités de mise en place de la formation.

Par ailleurs, je souhaite vous demander si les conventions font suite à un appel d'offres et quelle sera la durée de ces conventions. Je m'interroge également sur les raisons permettant d'attendre, suite à la restructuration de l'AFPA, une diminution de 20 % de ses coûts.

Mme Élisabeth Kahn - Je n'ai pas voulu dire que le système consistant à établir un dialogue avec vingt-deux régions plutôt qu'avec l'État était un mauvais système. J'affirme simplement que pour un organisme habitué à ne dialoguer qu'avec un seul interlocuteur, le fait de passer soudain à vingt-deux interlocuteurs implique de nombreuses modifications.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette transformation impliquera-t-elle une modification de la gouvernance de l'AFPA ?

Mme Élisabeth Kahn - L'AFPA est une association loi 1901, dont la gouvernance est assurée par un conseil d'administration comprenant des représentants de l'État, plus précisément du ministère de l'emploi et de la cohésion sociale et du ministère des finances, des représentants des partenaires sociaux, - aussi bien des employeurs que des salariés et des artisans - et des représentants de l'association des régions de France. J'ignore si une modification interviendra dans la gouvernance de l'AFPA. Il n'est pas impossible que la composante régionale de cette gouvernance soit renforcée.

M. Bernard Gentric - Cette question a été soulevée lors de la dernière assemblée générale de l'AFPA, dans le but qu'elle soit à terme inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée générale de l'AFPA. Cette proposition a été faite, mais je ne suis pas en mesure de vous indiquer quelles seront les modalités de son traitement.

Mme Élisabeth Kahn - A l'heure actuelle, la loi prévoit le transfert des compétences et des financements pour le 1 er janvier 2009. Les conventions permettent d'organiser la transition entre la situation actuelle et ce transfert. Le dispositif de la loi permet d'anticiper partiellement les transformations de 2009. En 2009, les compétences et les financements correspondants seront intégralement transférés et les régions seront totalement libres de l'emploi de ces fonds. Nous devons bien entendu supposer que dans le cadre des schémas régionaux de formation, les régions se seront elles-mêmes contraintes dans le calibrage de leur demande, mais en tout état de cause elles en seront libres. Durant la période de transition, l'AFPA restera l'opérateur sur le marché spécifique de la formation professionnelle de demandeurs d'emploi, d'où la nécessité d'un dispositif contractuel tripartite entre les régions, l'État - qui continue à disposer en première instance des crédits budgétaires destinés aux régions - et l'AFPA. Sur la base de ces financements, l'AFPA doit formuler une offre dont la volumétrie doit correspondre aux demandes des régions et dont les coûts doivent pouvoir être vérifiés par les régions. Cela suppose à la fois des indications très précises sur l'orientation de l'offre et sur l'harmonisation du dispositif de l'AFPA. En effet, l'AFPA doit accueillir des stagiaires qui ne sont pas nécessairement originaires de la région dans laquelle ils demandent à recevoir une formation, ce qui requiert la mise en place d'un dispositif de prise en compte d'une demande qui n'est pas le fait de la seule région. Ces missions de l'AFPA supposent également un dispositif de documentation et de vérification des coûts.

M. Jean-Claude Carle, président - Les conventions tripartites sont aujourd'hui signées entre l'État, l'AFPA et la région. La région est représentée par le président du conseil régional, et l'État par le préfet de région. Le représentant de l'AFPA représente-t-il cette dernière au niveau national ou au niveau régional ? Cette question me permet de préciser ma précédente question au sujet de la gouvernance de l'AFPA. S'il existe d'une part deux entités régionales représentées par le président du conseil régional et par le préfet et, d'autre part, un organisme national, à savoir l'AFPA, le système est alors problématique. La convention est-elle signée par le président de l'AFPA ?

Mme Élisabeth Kahn - En effet. Comme je vous l'ai indiqué, le contrat de progrès 2004-2008 a confirmé le caractère national de l'AFPA. Il est donc logique que l'AFPA soit engagée dans les conventions tripartites par son président.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Cela signifie-t-il que l'offre qui sera proposée aux régions en 2009 sera élaborée par l'AFPA ? L'AFPA a-t-elle prévu de créer des organisations régionales pour être l'interlocutrice des régions ? L'offre sera-t-elle élaborée par l'AFPA, ou l'AFPA a-t-elle déjà prévu de se décentraliser ?

Mme Élisabeth Kahn - Nous devons distinguer deux éléments : d'une part, la préparation de la convention et la nécessité d'une négociation au plus près du terrain, à laquelle les représentants locaux de l'AFPA doivent être associés ; d'autre part, l'engagement de l'organisme lui-même, organisme national qui a intérêt à agir sur le plan national à l'harmonisation et à l'optimisation du dispositif de formation sur l'ensemble du territoire. Un certain nombre de centres de l'AFPA ont par définition une implantation territoriale mais également un rayonnement national. L'optimisation de la localisation de ces centres constitue une responsabilité qui, à mon sens, ne peut s'exercer qu'en associant le niveau central à la décision.

Mme Isabelle Debré - L'AGEFIPH intervient essentiellement dans le domaine de l'équipement, voire dans le domaine de la formation. Le financement provient notamment des entreprises qui n'atteignent pas un certain quota de personnes handicapées. Il semblerait que l'AGEFIPH dispose de capitaux très importants, mais aussi qu'il n'est pas toujours évident de dépenser ces fonds en raison du faible nombre de candidats. Pouvez-vous nous apporter un éclairage sur ce point ?

M. Jean-Claude Carle, président - Le secteur public doit-il lui aussi participer à la cotisation s'il n'atteint pas le quota de personnes handicapées ?

Mme Élisabeth Kahn - En effet.

M. Bernard Gentric - La loi de 2005 a créé un fonds d'insertion des travailleurs handicapés dans la fonction publique qui monte en puissance et qui devra fonctionner selon les mêmes principes que ceux de l'AGEFIPH. L'AGEFPIH a été créée en 1988, suite à la loi de 1987. Elle a pour vocation de collecter l'ensemble des contributions correspondant au taux d'unité manquant par rapport à l'obligation de 6 % d'emploi de travailleurs handicapés dans les entreprises. L'AGEFIPH intervient de plusieurs manières et non sur le seul plan de la formation et du financement d'aides aux postes ou d'aménagement de situations de travail. L'AGEFIPH intervient tout d'abord sur la mobilisation du monde économique en se donnant les moyens de relayer l'information auprès des entreprises pour les renseigner au sujet des obligations et pour les inciter à mettre en place les dispositifs nécessaires à l'atteinte du taux légal de 6 % d'emploi de travailleurs handicapés au sein des entreprises. L'AGEFIPH intervient bien entendu sur l'aménagement de postes. Elle finance ce qui s'appelait, avant la loi de 2005, la « garantie de ressources du travailleur handicapé en milieu de travail ordinaire », qui consistait en une compensation correspondant au différentiel entre ce que l'employeur aurait dû verser et le delta correspondant au handicap, et qui s'appellera « l'aide à l'emploi ». Ce dispositif représente environ 10 % des dépenses de l'AGEFIPH.

L'AGEFIPH finance également un certain nombre d'acteurs intermédiaires, notamment le Réseau Cap Emploi, réseau d'insertion et de placement qui rassemble 118 associations réparties sur le territoire national. Ce financement représente lui aussi près de 15 % des ressources de l'AGEFIPH. Pour parvenir à piloter ce dispositif complexe, l'AGEFIPH s'attache à renforcer sa cohérence en formalisant une offre de services commune à l'ensemble des 118 Cap Emploi. L'AGEFIPH finance également la formation des personnes handicapées. Il s'agit d'une priorité toujours renforcée, sachant que pour le public handicapé, l'accès à la qualification est une condition essentielle de l'accès à l'emploi. La part des ressources de l'AGEFIPH consacrée à la formation atteint 50 % de ses mesures d'intervention.

Mme Isabelle Debré - Il semblerait que le nombre de candidats soit insuffisant et que l'AGEFIPH ne soit pas suffisamment sollicitée. Partagez-vous cette impression et, si oui, comment l'expliquez-vous ?

M. Bernard Gentric - En tant que contrôleurs, nous portons une grande attention à l'AGEFIPH. Cette dernière rencontre les mêmes difficultés que celles que nous pouvons observer sur le marché de l'emploi. Lorsque la conjoncture est défavorable, la collecte de l'AGEFIPH se poursuit, et même dans des proportions plus importantes. Il faut par ailleurs noter l'existence d'un effet d'inertie sur le marché de l'emploi des personnes handicapées. Lorsque le marché de l'emploi repart, l'AGEFIPH a tendance à sur-engager par rapport à sa collecte annuelle. Lorsque l'AGEFIPH a été créée, au cours des premières années, elle disposait de financements mais ne réalisait pas d'interventions, ce qui explique qu'elle ait eu tendance à constituer une réserve qui s'est accrue avec le temps. En 1998, compte tenu de la constatation de la constitution de réserves par l'AGEFIPH, les pouvoirs publics, sur proposition du contrôle d'État, ont mis en oeuvre un programme exceptionnel sur trois ans qui représentait environ un milliard de francs. Ce programme a duré quatre ans car un programme de trois ans aurait obligé l'AGEFIPH à engager entre 25 et 30 % de plus que ce qu'elle engageait annuellement, ce qui comportait le risque d'engendrer un phénomène préjudiciable de stop and go. L'AGEFIPH a subi l'impact de la décélération du marché de l'emploi. Nous pouvons imaginer qu'avec un effet retard, la reprise du marché de l'emploi devrait permettre à l'AGEFIPH de mobiliser de façon bien plus efficace ses interventions, et par conséquent ses financements au profit des personnes handicapées. Il faut néanmoins observer que l'approche des ressources de l'AGEFIPH ne peut se limiter à une approche annuelle, compte tenu de l'effet contracyclique de la dynamique des emplois et des ressources de l'AGEFIPH auquel j'ai fait allusion. Ces ressources sont appréciées dans une approche pluriannuelle et c'est dans ce contexte que les réserves de l'AGEFIPH doivent être mesurées. En tout état de cause, ce point mobilise l'attention et la vigilance du contrôle général économique et financier.

Mme Gisèle Printz - Vous nous avez indiqué avoir pour mission le contrôle de la gestion des organismes de formation. La fin du monopole de l'AFPA fait-il suite à un contrôle ? L'AFPA gérait-elle mal ses ressources, ou son rendement n'était-il pas satisfaisant ?

Mme Élisabeth Kahn - La raison du transfert de compétences en matière de formation professionnelle des demandeurs d'emploi réside dans la volonté politique de décentralisation. Il ne s'agit pas a priori d'un jugement porté sur l'AFPA. Dans le cadre de la loi du 13 août 2004, il s'agit de faire en sorte que les régions se substituent à l'État pour déterminer les priorités, en termes géographiques et en termes de métiers, de l'action de la politique publique de suivi de la formation professionnelle des demandeurs d'emploi. La décentralisation des compétences en matière de formation professionnelle ne représente qu'un des éléments de la décentralisation. De multiples pans des politiques publiques sont transférés aux régions. La qualité de la gestion des fonds confiés à l'AFPA en tant que gestionnaire de fonds publics, est à la fois contrôlée de manière résidentielle et continue par le contrôle général économique et financier, mais aussi à travers d'autres prismes par la Cour des comptes, l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales. L'AFPA doit accomplir des efforts particuliers quant à la qualité de sa gestion, non seulement parce qu'il s'agit d'une exigence au regard de la bonne utilisation des fonds publics mais aussi parce qu'elle sera soumise à la concurrence, ce qui constitue un des bienfaits du mouvement de décentralisation. L'AFPA sera soumise à la concurrence d'autres opérateurs sur son coeur de métier, à savoir les demandeurs d'emploi, et devra s'efforcer de conquérir de nouveaux marchés pour obtenir des compléments de ressources. Elle perdra des ressources en raison de la perte de son monopole et devra donc s'efforcer de reconquérir des ressources sur d'autres marchés, notamment sur celui de la formation des salariés en situation d'emploi.

Mme Gisèle Printz - Le panel de ses formations sera donc plus large qu'auparavant.

Mme Élisabeth Kahn - Il s'agira d'un panel différent ou d'un redéploiement de ses formations.

M. Bernard Gentric - J'ai évoqué le programme fonction support, qui a pour but de rationaliser et d'optimiser les processus et de réduire les coûts de 20 %. Ce programme fonction support a été engagé dès 2005, ce qui confirme que l'AFPA a anticipé le transfert aux régions et l'ouverture à la concurrence. De façon proactive, l'AFPA s'est mise en condition de faire face aux prochaines échéances.

M. Alain Gournac - Je souhaite poser quelques questions qui ont peut-être déjà reçu une réponse avant mon arrivée. Vous dépendez du ministère des finances. Vous menez donc une mission de contrôle de l'utilisation des fonds publics. Votre mission inclut-elle des éléments de recommandation, d'évaluation des cabinets opérateurs de formation et de suivi post-formation ? Existe-t-il des référents ? Formulez-vous des recommandations, ou votre responsabilité a-t-elle uniquement trait à la bonne utilisation de l'argent versé par l'État ? Le cas échéant, quelle est l'étendue de vos recommandations ?

Vous avez évoqué une réduction de 20 % des coûts de l'AFPA. Cependant, la formation va s'ouvrir à des prestataires extérieurs et continuera donc à coûter de l'argent.

Mme Élisabeth Kahn - Ces coûts ne seront plus supportés par l'AFPA.

M. Alain Gournac - Certes, l'AFPA réalisera des économies, mais nous ne devons pas surévaluer cette économie, car les prestations extérieures coûteront de l'argent. Ces 20 % d'économie seront réaffectés à d'autres dépenses en raison de l'entrée en action des opérateurs de formation extérieurs.

Par ailleurs, je suis favorable à la régionalisation mais il existe des règles générales qui doivent être respectées. L'AFPA doit tenir compte des spécificités régionales. Toutefois, il existe des bases nationales en matière de formation et nous devons donc éviter que la réforme n'instaure des cloisonnements empêchant certaines expérimentations de profiter à l'ensemble des formations sur le terrain. Un combat sera-t-il mené contre les formations-alibis qui servent à faire diminuer le taux de chômage ? Il est indispensable de faire preuve d'une grande vigilance sur ce point. Jusqu'où irez-vous en la matière ?

Mme Élisabeth Kahn - Comme je vous l'ai indiqué, dans le cadre de notre fonction nous considérons l'organisme tel qu'il est. D'une part, le redéploiement des financements sur cet organisme ou sur d'autres, notamment l'utilisation des gains de productivité, n'est pas notre sujet. D'autre part, comme nous pouvons le constater dans le cadre de l'éducation nationale qui dispose d'un corps de doctrine relativement fort sur le sujet, l'évaluation des politiques publiques est un sujet extrêmement complexe qui suppose, si l'on souhaite faire preuve de rigueur, un véritable appareillage scientifique. Cet appareillage suppose notamment la constitution de cohortes, de groupes témoins, d'un suivi dans le temps, et l'élimination des biais et des distorsions. Un tel appareillage n'est pas de notre ressort. L'évaluation de la qualité pédagogique ou de l'effet des formations sur le niveau d'emploi sur un segment de marché donné n'est pas de notre ressort. Elle relève d'organismes publics, notamment de l'AFPA, dans la mesure où cette dernière commandite des études générales sur son impact et des études spécifiques sur l'impact de ses formations.

Je souhaite apporter une précision, que je serai amenée à développer dans le cadre de mes propos sur l'harmonisation nationale. Toutes les régions ne sont pas également sensibles au problème de la formation professionnelle car leurs situations au regard de l'emploi ne sont pas identiques. Dans les régions très sensibilisées au problème de la formation des demandeurs d'emploi, le dispositif de convention transitoire inclut un module étude, dans le cadre duquel les régions et l'AFPA doivent s'entendre pour financer et commanditer des actions sur la base de priorités communes.

M. Alain Gournac - Votre mission porte donc sur l'utilisation des fonds, mais ne consiste pas à contrôler que les formateurs soient bien formés, tâche qui revient au ministère de l'emploi.

Mme Élisabeth Kahn - Notre mission porte sur la qualité de gestion de l'organisme. Le contrôle de la bonne formation des formateurs revient en effet au ministère de l'emploi et éventuellement au contrôle interne de l'AFPA. Si nous intervenons dans ce domaine, c'est éventuellement pour émettre des préconisations, pour suggérer à l'organisme d'engager, de façon directe ou par contrat, des études sur des domaines donnés, notamment sur l'évaluation. Nous agissons donc de façon indirecte sur ce plan, dans la mesure où nous nous préoccupons de vérifier que l'organisme met en place les dispositifs de nature à attester de son efficacité, mais pas de contrôler cette efficacité par nous-mêmes.

Enfin, pour répondre à votre interrogation sur les aspects nationaux et régionaux, je dirai que le fait que l'AFPA soit reconnue comme un organisme national constitue une forme de garantie, car structurellement, l'AFPA a l'obligation de veiller à l'optimisation de son appareil de formation sur le territoire, de veiller à ce que les stagiaires qui ne sont pas originaires de la région du centre auquel ils s'adressent soient traités à égalité avec les autres, et de mettre en place des mécanismes interrégionaux ou nationaux pour assurer cette égalité de traitement. L'AFPA ne sera pas nécessairement responsable de ces organismes, mais le simple fait qu'il s'agisse d'un organisme national fait d'elle un interlocuteur de cette harmonisation, qui, pour sa part, relève davantage d'une problématique politique que d'une problématique technique.

M. Jean-Claude Carle, président - La réponse apportée par l'AFPA en matière de formation est-elle plutôt centrée sur l'offre de formation ou plutôt sur les besoins en formation ?

Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir qu'en raison du transfert de compétences, un débat s'est instauré entre l'État et les régions. Dans le domaine de la formation, l'État respecte-t-il l'engagement de transférer aux régions les crédits à l'euro près ?

Mme Élisabeth Kahn - Sur ce dernier point, les conventions tripartites et la loi sont très précises. Dans la période transitoire, les montants des financements transférés correspondent à la moyenne arithmétique des trois derniers exercices, avec une actualisation qui s'applique de façon identique à l'ensemble du territoire et à toutes les conventions. Les conventions prévoient également les modalités de transfert. Il peut s'agir de la dotation globale de décentralisation ou de l'affectation du produit de certaines taxes, notamment la TIPP. L'ensemble de ces points sont spécifiés dans les conventions.

M. Jean-Claude Carle, président - La réponse de l'AFPA se fait-elle plutôt en termes d'offre ou en termes de besoin ? Peut-être vaut-il mieux poser cette question à l'AFPA elle-même.

Mme Élisabeth Kahn - En effet.

M. Jean-Claude Carle, président - Madame Kahn, monsieur Gentric, je vous remercie d'avoir participé à nos travaux. Si vous le souhaitez, n'hésitez pas à apporter les précisions que vous jugerez utiles. Elles seront jointes à notre rapport, que nous souhaitons remettre au mois de juillet.

Mme Élisabeth Kahn - Je vous remercie de votre attention.

Audition de M. Claude THÉLOT, conseiller maître à la Cour des comptes (7 février 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Au titre de la mission, mais aussi à titre personnel, j'ai le plaisir d'accueillir M. Claude Thélot, conseiller maître à la Cour des comptes. J'ai en effet eu le plaisir de travailler à ses côtés durant une année. Comme chacun sait, M. Claude Thélot a été le président et l'organisateur de la grande consultation nationale sur l'avenir de l'école qui nous a mobilisés pendant plus d'un an et dans le cadre de laquelle plus d'un million de Français ont été consultés. J'affirme sans flagornerie aucune que Claude Thélot est sans doute, en France, un des meilleurs connaisseurs du monde de la formation, qu'il s'agisse de la formation initiale ou de la formation continue. Le fait que Claude Thélot nous fasse l'amitié de participer à nos travaux présente un grand intérêt sur le fond, la forme et la méthodologie de notre sujet, car Claude Thélot a en effet mis en place un système qui a permis de consulter nos concitoyens sur leur vision de l'école.

Monsieur Claude Thélot, je vous remercie donc d'avoir répondu à notre appel, qui plus est avec célérité. Vous êtes à l'interface de la formation initiale et de la formation continue, la première conditionnant souvent la seconde et, à ce titre, nous sommes très heureux d'entendre l'expert que vous êtes. Je vous donne la parole pour tout le temps qui vous sera nécessaire, sachant que nous disposons de plus de temps que prévu en raison du déplacement à 18 heures de l'audition du ministre. Nous disposons donc de plus d'une heure et demie pour dialoguer avec vous et pour que vous nous fassiez part de votre expérience et de votre point de vue sur la formation professionnelle au sens le plus large. Vous pourrez ensuite répondre aux questions de notre rapporteur et de mesdames et messieurs les sénateurs.

M. Claude Thélot - Je vous remercie de votre invitation. A mon sens, la réflexion sur la formation professionnelle initiée par la mission est absolument capitale. Lorsque vous m'avez appelé pour me suggérer de participer à vos travaux, ma réponse n'a fait pour moi aucun doute tant il me paraissait naturel d'être à votre disposition. Le fait que le ministre vienne à 18 heures nous permettra en effet de tenir la discussion que vous avez souhaitée.

Nous étions convenus que je présente une introduction. Il s'agit de vous exposer mon point de vue sur la question de la formation professionnelle de façon liminaire et rapide, mais surtout, à mon sens, d'introduire nos échanges. Je me prêterai à cet exercice sur le fond, c'est-à-dire sur la formation professionnelle en tant que telle, plutôt que sur des questions de méthode ou de procédure. Vous venez d'initier votre réflexion et il me semble que c'est d'abord sur le fond qu'il est intéressant d'aborder le sujet.

Pour débuter mon introduction, si je puis dire, je souhaite tout d'abord évoquer un problème de périmètre. En effet, vous serez confrontés à la nécessité de définir le périmètre que vous entendez donner à la question de la formation professionnelle. Il est nécessaire d'évoquer les choix qui doivent être faits et les arbitrages qui doivent être rendus. Est-il question de la formation tout au long de la vie ou de la seule formation continue ? Dans le premier cas, et non dans le second, la formation professionnelle initiale sera incluse dans la réflexion. De quelle façon doit-on situer la formation d'ordre technologique ? Doit-on l'inclure dans la formation professionnelle ? Il est enfin nécessaire de préciser si nous nous occupons principalement ou exclusivement de la formation professionnelle jusqu'au baccalauréat inclus, ou si nous incluons également la formation professionnelle supérieure, qu'elle soit continue ou initiale. Selon l'inclusion ou l'exclusion de ces différents éléments, les problématiques sont sensiblement différentes. Ces décisions d'arbitrages sont délicates, mais elles doivent être prises car il existe un certain continuum entre formation technologique et formation professionnelle, entre formation secondaire et formation supérieure, ainsi qu'entre formation initiale et formation continue. C'est dans ce dernier cas que l'existence d'un continuum est la plus nette, car l'État lui-même inclut l'apprentissage - élément de la formation professionnelle initiale - dans le compte de la formation professionnelle, alors qu'il n'y inclut pas l'enseignement professionnel formel ou initial dans les lycées professionnels, lequel est sous la responsabilité du ministère de l'éducation. La commission que j'ai présidée, et dont M. Jean-Claude Carle et Mme Annie David faisaient partie, a remis un rapport dans lequel nous déplorions que la question de la formation professionnelle dans notre pays soit séparée entre le ministère de l'éducation et le ministère de l'emploi à un point tel que la conduite même d'une politique organisée de formation professionnelle fait problème et que la visibilité de cette politique est malaisée, notamment à l'étranger. Par conséquent, la situation institutionnelle dans laquelle est conduite la politique de formation professionnelle - initiale ou continue - est ambiguë, complexe et probablement non optimale. Notre rapport avait donc suggéré un certain nombre de modifications.

La politique de la formation professionnelle se caractérise par trois grands points : la question du coût et du financement, la question de la pluralité et de la coordination des acteurs de l'organisation de cette mission, et donc de la relation entre offre et demande de formation professionnelle et, enfin, la question de l'évaluation de la formation professionnelle. Je souhaite évoquer successivement ces trois points en quelques mots. Avant de les évoquer, je tiens à souligner que ces trois points revêtent une grande importance en raison de deux caractéristiques centrales de la formation professionnelle qu'il est nécessaire de rappeler, caractéristiques qui constituent à la fois des atouts et des handicaps et qui, en tout état de cause, marquent le sujet au seuil de notre réflexion.

Tout d'abord, en vérité, du point de vue quantitatif, notre politique de formation professionnelle est extrêmement ample. J'en veux pour preuve une statistique qui figure dans le Jaune budgétaire, et que les parlementaires connaissent donc parfaitement : de 1974 à 2005, le taux d'accès à la formation professionnelle continue est passé de 18 % des salariés des entreprises de dix salariés ou plus à 42 % d'entre eux. Cette statistique signifie que dans notre pays, chaque année, plus de 40 % des salariés de ces entreprises ont subi, suivi, connu ou bénéficié d'un stage de formation professionnelle continue. Nous vivons dans un pays où, manifestement, d'un point de vue quantitatif et en termes de suivi de stage, la formation professionnelle est très importante. C'est la raison pour laquelle les questions du financement, de l'organisation et de l'évaluation se posent avec une telle acuité. Il ne s'agit pas d'un phénomène très organisé, très certifié, d'une alternative réelle à la formation initiale, mais d'un phénomène revêtant globalement une importance considérable. Sur la période de 1974 à 2005, cette importance doit être lestée et enrichie par l'évolution de la durée moyenne des stages, passée de 62 à 30 heures. Cette durée moyenne a donc été divisée par deux, ce qui pose un problème très important quant à la nature, à l'objectif et à l'efficacité de notre politique de formation professionnelle sur les carrières des personnes qui suivent ces formations. Cette division par deux de la durée moyenne de la formation professionnelle signifie que la formation professionnelle ne peut pas ne pas avoir changé de nature.

Le concept de stage est très et, sans doute, trop large, et je pense que nous devons donc nous interroger sur ce que nous voulons que la formation professionnelle soit et sur ce à quoi nous souhaitons qu'elle serve. Nous devrions fixer ce que nous ne fixons que trop peu dans notre pays, à savoir des objectifs pour la politique de formation professionnelle. Nous n'avons pas d'objectif, ou à tout le moins pas d'objectif clair, ou pas d'objectif explicite. Nous n'avons pas arbitré entre des objectifs contradictoires et nous n'avons pas organisé la politique de formation professionnelle à partir d'objectifs clairs, de sorte que c'est au financement et à l'organisation que sont dévolus les rôles majeurs. Je pense que ce point constitue une très grande faiblesse de la politique de formation professionnelle. C'est à travers des processus de financement que nous définissons, organisons et donnons de l'importance à cette politique, c'est à travers une réflexion sur la décentralisation et la multiplicité des acteurs que nous définissons sa conduite, beaucoup plus qu'à travers les objectifs qu'elle devrait satisfaire ou dont elle devrait s'approcher. Par ailleurs, dès lors que les objectifs sont à ce point incertains, l'évaluation de cette politique devient difficile. Par conséquent, à mon sens, une réelle difficulté provient de ce manque d'une capacité collective de notre pays à assigner à cette politique des objectifs clairs et en très petit nombre. C'est pourquoi les questions de financement, d'organisation et de coordination prennent le devant de la scène et qu'au contraire, les questions d'évaluation sont absentes de la scène. Cette situation résulte des très grandes difficultés que nous connaissons depuis trente ans, à énoncer des objectifs, à les faire vivre et à en faire les principes d'organisation de notre politique. Ce constat se vérifie particulièrement en matière de formation professionnelle continue, car les objectifs sont un peu moins vagues en matière de formation professionnelle initiale, même s'ils gagneraient à être davantage précisés. Naturellement, je n'entends pas me substituer à vous pour mener une réflexion sur les objectifs. Je ne fais qu'identifier des lacunes, mais nous voyons bien quels types d'objectifs nous pourrions et devrions nous fixer, et entre lesquels nous devrions choisir. Par conséquent, nous comprenons bien que la définition d'objectifs clairs ne serait pas sans conséquence notamment sur le taux d'accès, la durée, la nature des stages, le type de financement et le type d'organisation. Il ne s'agit pas simplement, dans le pays de Descartes, d'adopter une démarche plus logique, mais d'adopter une démarche qui conférerait plus de sens à ce considérable effort quantitatif.

Au titre des questions revêtant une importance capitale, je souhaite aborder la question du financement. Les circuits, les sources et la nature des différents financements sont d'une complexité infinie. Nous avons le génie des circuits compliqués. En cette période de célébration de son trentième anniversaire, je dirais même que la construction du Musée Pompidou est tout à fait emblématique de notre capacité à élaborer des circuits complexes et dans lesquels personne ne se retrouve. Je rappelle que le Jaune budgétaire indique que cette grande politique recouvre 24 milliards d'euros. Toutefois, ce chiffre n'a pas beaucoup de sens, car ces 24 milliards d'euros recouvrent une infinité d'éléments divers, dont je citerai les plus importants. Par exemple, 3 milliards d'euros sont dépensés par l'État au titre de la formation de ses propres agents. Il s'agit d'un sujet à part entière. Environ 10 milliards d'euros sont dépensés par les entreprises pour la formation de leurs salariés. Il s'agit pour elles d'une obligation légale et donc d'un sujet tout à fait différent. Environ 4 milliards d'euros sont consacrés à l'apprentissage ; il s'agit donc de formation professionnelle initiale. Le ministère de l'emploi persiste, à tort me semble-t-il, à mélanger formation professionnelle initiale et formation professionnelle continue. 3 milliards d'euros sont dépensés par les régions, essentiellement pour les jeunes et les demandeurs d'emploi. Il existe une grande différence de nature entre les financements à destination des demandeurs d'emploi, qui proviennent de l'État, des régions et de l'UNEDIC, et les financements à destination des salariés. Parmi ces 24 milliards d'euros, une importante partie des contributions de l'État consiste en des compensations des exonérations de charges sociales des stagiaires et des apprentis. Comme vous le comprenez, ces compensations d'exonérations de charges sociales ne sont pas de même nature que les autres contributions de l'État. Ce chiffre de 24 milliards d'euros est donc assez trompeur.

A mon sens, il serait intéressant de se pencher sur certains des points principaux de ces circuits de financement et d'analyser leur signification et leur intérêt. Je prendrai l'exemple de la question de la collecte auprès des entreprises. De ce point de vue, je crois que le Premier président de la Cour des comptes doit venir demain présenter au Sénat le rapport annuel de la Cour. J'ai justement indiqué à votre président que ce rapport comporte une insertion spécifique au sujet des OPCA, c'est-à-dire des organismes qui collectent les fonds de la formation professionnelle en provenance des entreprises au titre des différents taux sur la masse salariale. Ces taux ont récemment été augmentés, suite à l'accord interprofessionnel de l'automne 2003, lequel a été suivi par la loi du printemps 2004. Je ne souhaite pas résumer l'insertion qui sera présentée demain, mais je vous invite à la consulter. Le monde de la collecte de cette taxe obligatoire pour la formation professionnelle continue auprès des entreprises est opaque. Il existe une centaine d'OPCA. Nous avons défini des obligations : certains des fonds en provenance des entreprises doivent passer par les OPCA et, dans d'autres cas, les OPCA doivent procéder à un démarchage. Par conséquent, il existe une certaine concurrence entre les différents organismes. Les OPCA ont notamment pour fonction de procéder à une mutualisation, ce qui signifie que les fonds collectés peuvent éventuellement servir à d'autres entreprises que celles qui les ont versés, afin de favoriser une certaine égalité quant à l'usage de ces fonds. Les OPCA servent aussi d'organismes d'ingénierie de formation pour de petites entreprises qui, dans ce domaine, ne sauraient pas agir seules et de façon spontanée. Les taux de coûts de gestion que nous avons définis pour ces OPCA sont trop élevés. Les OPCA peuvent en effet prélever jusqu'à 9,9 % de la collecte au titre de leurs frais de gestion, auxquels il faut ajouter 2 % pour les OPCA interprofessionnelles, auxquels il faut encore ajouter 2 % pour la création des observatoires. Un tel taux, constant, conduit à une très forte augmentation des ressources consacrées à la gestion dès lors que l'assiette des prélèvements croît de façon très importante. Comme vous l'entendrez demain lors de la présentation du rapport annuel de la Cour des comptes, nous avons eu tort de définir des taux stables. Ces taux devraient dépendre des montants collectés. Une partie de ces 9,9 % et de ces 2 % sert au financement des organisations syndicales et professionnelles, au titre de leur participation aux conseils d'administration des OPCA. Je rappelle que les OPCA sont des associations gérées paritairement par les organisations syndicales et patronales. Sous le couvert de la formation continue, nous retrouvons donc le financement du fonctionnement des organisations syndicales et patronales de notre pays. Par conséquent, sur le terrain du financement et de la collecte, parce que les taux de prélèvement ont été définis sans songer aux objectifs qui seraient assignés à la formation professionnelle, et parce que ces taux sont élevés en raison de la conviction partagée des effets bénéfiques de la formation professionnelle, le financement, la collecte et les ressources sont trop complexes et très importants, et il n'est pas absolument sûr qu'ils servent suffisamment à certaines démarches de bon sens telles que la mutualisation. Je pense qu'il faudrait envisager la question du point de vue de la finalité et des objectifs de la formation professionnelle. A partir de ces objectifs, nous pourrions déduire les modalités, l'ampleur et les circuits de financement de la formation professionnelle.

J'aborderai ensuite la question de l'organisation concrète et de la coordination. Dans ce domaine, caractérisé par la multiplicité des acteurs, notre génie continue à se déployer. Désormais, pour l'essentiel, la formation professionnelle est décentralisée. Ce sont donc les régions qui ont la main et qui, au travers des PRDF, sont censées définir des stratégies de développement de la formation professionnelle. Il s'agit d'un des points qui seront contrôlés par la Cour des comptes et les chambres nationales au cours des deux prochaines années. Elles examineront quelles stratégies sont adoptées, en quoi les stratégies des régions se distinguent. Elles étudieront l'intérêt d'une telle démarche, le lien de ces stratégies avec les besoins des régions et se demanderont si les besoins des régions constituent un axe de réflexion pertinent. Les régions pourraient en effet former des individus qui souhaitent travailler dans d'autres régions. La Cour des comptes et les Chambres régionales se pencheront également sur la relation entre la stratégie que la région entend développer et la prospective des emplois et des besoins, sur l'existence de compétences en région pour mener une telle étude, et sur l'intérêt et la portée générale de la décentralisation.

Il existe par ailleurs de nombreux prescripteurs de formation, notamment l'ANPE, l'ASSEDIC, l'AFPA - qui est à la fois prescripteur et prestataire - et les missions locales. Quelle est l'articulation entre la région et ces prescripteurs ? En bout de chaîne se trouvent les prestataires, qui fournissent le service de formation professionnelle, soit aux demandeurs d'emploi, soit aux jeunes en alternance, soit aux salariés. Parmi ces prestataires se trouvent de grandes unités telles que l'AFPA - laquelle sera décentralisée au 1 er janvier 2009 -, ainsi que des unités moyennes mais toujours publiques telles que le GRETA, dans les lycées ou les groupements de lycées. Une question absolument capitale se pose donc : comment organiser, dans la seule sphère publique, les relations entre une AFPA décentralisée et les GRETA ? En dehors de la sphère publique, il existe une myriade de prestataires privés. De quelle façon choisit-on au sein de cet univers des prestataires ? Par quel type d'appel d'offres ? Qui, de l'ANPE, de l'UNEDIC, des missions locales ou des régions, fait le choix de retenir un organisme plutôt qu'un autre ? Quel type de certification ou de qualité des prestataires retient-on ? La seconde série d'interrogations porte sur l'offre. Quelle est l'offre de ces prestataires ? Est-elle suffisamment flexible ? Certains prestataires importants peuvent être tentés de dispenser les mêmes stages depuis trente ans sans se préoccuper des besoins réels. La préoccupation des besoins est difficile à faire valoir, car les entreprises elles-mêmes ne connaissent pas toujours bien leurs propres besoins. Il existe un fort risque de déséquilibre entre l'offre et la demande. Nous sommes en effet confrontés à des problématiques dans lesquelles l'offre prédomine sur la demande. Cette problématique est peut-être moins prééminente dans la formation continue que dans la formation initiale, car il existe une grande quantité de petits organismes. Le rapport Balmary avait souligné la forte rotation qui se produit au sein des petits organismes privés. Toutefois, la rotation des petits organismes peut masquer une certaine stabilité des formateurs. Pour les prestataires de formation professionnelle, l'arbitrage entre la capacité de s'adapter à un besoin susceptible d'évoluer et la nécessité de ne pas trop s'adapter en raison de la spécialisation des formateurs est assez difficile à trouver. En raison de cette force de l'offre, de cette difficulté à préciser la demande et de la difficulté à faire preuve de flexibilité, il existe à mon sens un risque élevé que nous nous trouvions dans une forme d'économie de l'offre et que nous fassions beaucoup de formation professionnelle sans véritablement savoir à quoi elle correspond, sinon à « satisfaire » l'offre. Toutefois, je ne souhaite pas non plus grossir le trait sur ce point. Je pense qu'il existe un réel problème de coordination des acteurs, d'organisation d'un marché de la formation professionnelle dans lequel l'offre et la demande pourront se rencontrer et s'équilibrer, et de réponse aux besoins.

En troisième point, je souhaite aborder la question de l'évaluation. Chacun s'accorde à constater les lacunes qui existent en la matière. Il est nécessaire de distinguer deux grands domaines en matière d'évaluation. Le premier est celui de la formation professionnelle des demandeurs d'emploi. Évaluer la formation professionnelle des demandeurs d'emploi est une démarche évaluative tout à fait spécifique. Le second domaine est celui de la formation professionnelle des salariés, ou des actifs occupés, si l'on inclut les non-salariés. La distinction entre ces deux grands volets est nécessaire car l'évaluation doit prendre une forme différente dans chacun des deux cas. Concernant les demandeurs d'emploi, la véritable évaluation des résultats consiste à apprécier si, suite au stage de formation professionnelle qu'il a suivi, le demandeur d'emploi a plus facilement retrouvé un emploi d'un certain type et dans quel délai. A mon sens, le critère du type d'emploi devrait être soit un CDI soit un CDD de plus de six mois. En effet, il ne me semble pas raisonnable de ne pas faire figurer le type d'emploi retrouvé parmi les critères d'évaluation. Pour évaluer la qualité de la formation professionnelle des demandeurs d'emploi, il est non seulement nécessaire de produire des analyses, mais aussi de les produire selon un critère de résultat qui soit mieux défini et plus consensuel. Selon moi, ce critère consiste à retrouver sur le marché du travail un emploi d'assez bonne qualité au bout d'une certaine durée.

A ce propos, je me permets de signaler un point entretenant un lien indirect mais important avec notre sujet : il y a environ sept ou huit mois, le président de la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes un rapport sur notre politique en faveur des contrats aidés sur le marché du travail. Il a fondé sa demande sur l'article 58-2° de la LOLF et la Cour lui a transmis un rapport sur ce sujet le 16 octobre dernier. Je me permets de signaler que dans ce rapport, au milieu de difficultés et d'incertitudes pour caractériser l'efficacité de notre politique d'emploi, nous sommes parvenus à trouver un point fixe et avons constaté que sur le marché de l'emploi, les dispositifs efficaces sont ceux qui contiennent un élément de formation professionnelle. Les dispositifs ou les contrats qui ne contiennent pas cet élément ou dans lequel cet élément ne revêt pas un caractère obligatoire n'aident guère les chômeurs à retrouver un emploi. A l'inverse, les dispositifs qui contiennent un élément de formation professionnelle sont d'une grande aide. Par conséquent, ce constat permet d'éclairer notre question, même s'il ne suffit pas à lui seul à y apporter une réponse. Nous avons le sentiment que pour les demandeurs d'emploi, sans doute dans certaines conditions, le fait de bénéficier d'une bonne politique de formation professionnelle revêt incontestablement une certaine efficacité. A contrario , lorsque les contrats n'incluent aucun élément de formation professionnelle, ils ne présentent guère d'efficacité sur le marché du travail. L'évaluation de la formation professionnelle des salariés est une question différente de l'évaluation de celle destinée aux demandeurs d'emploi. Il est nécessaire de souligner un point à la fois important et grave : l'accès à la formation professionnelle des salariés est extrêmement divers. En premier lieu, il est très lié à la qualification du salarié, les peu qualifiés ayant peu accès à la formation continue. Cette inégalité sociale d'accès à la formation professionnelle ne s'est pas résorbée depuis une trentaine d'années. Il existe également une forme d'inégalité relativement grave entre les petites et les grandes unités.

Il ne faudrait pas, par ailleurs, que des éléments d'inégalité territoriale se développent en raison de la décentralisation. En termes de taux d'accès à la formation, et indépendamment des effets de la formation sur la carrière du salarié, la situation est donc extraordinairement diversifiée. Malgré nos efforts et pour des raisons sans doute très profondes, nous ne sommes pas parvenus à faire en sorte que la formation continue compense les défaillances de la formation initiale, ni à inverser ces inégalités. Un des apports possibles de votre commission pourrait consister à éclairer les raisons de cet échec. Nous devons éclairer cette impuissance pour la comprendre. Nous devrions non seulement réduire les inégalités d'accès, mais aussi favoriser l'accès de la main-d'oeuvre peu qualifiée, car aujourd'hui et pour les trente années à venir, la main-d'oeuvre peu qualifiée me paraît en situation de très grand handicap sur le marché du travail. A mon sens, il est non seulement grave que nous ne soyons pas parvenus à réduire les inégalités d'accès, mais il est également grave que nous ne soyons pas arrivés à inverser cette tendance inégalitaire. Au-delà de ces inégalités d'accès, qui constituent à elles seules un indicateur de résultat, nous pourrions définir un autre indicateur consistant à mesurer le bénéfice que le salarié ou l'entreprise ou les deux, ont retiré de cette formation continue. Le salarié et l'entreprise devraient tous deux retirer un bénéfice de la formation. Les études dont j'ai connaissance ne livrent aucune certitude au sujet d'un tel double bénéfice. Concernant les salariés, certaines études indiquent même que la causalité est inversée : au lieu que le salarié bénéficie d'une formation et que par conséquent sa carrière s'améliore et qu'il puisse changer de poste de travail, il semble au contraire que l'entreprise souhaite favoriser l'évolution de carrière d'un salarié, et donc qu'elle lui fasse suivre un certain nombre de stages de formation professionnelle. En d'autres termes, dans un certain nombre de cas, la causalité paraît inversée par rapport à ce que nous pourrions spontanément imaginer. Il n'est pas mauvais en soi de souhaiter faire progresser certains salariés et d'avoir recours à une offre de formation favorisant cette promotion. En soi, une telle démarche n'est pas malsaine, néfaste ou contreproductive, mais cela montre que la question des bénéfices de la formation professionnelle est complexe.

Naturellement, s'agissant de cet immense effort de formation continue des salariés, se pose la question de la certification. Sans professer moi-même la religion du diplôme, je suis d'avis qu'il faudrait faire en sorte que la formation continue soit aussi diplômante que possible. Je constate que la société française est attachée au diplôme, et plutôt que nous en offusquer, nous devrions en prendre acte. D'ailleurs, la valeur du diplôme n'est pas seulement économique, mais aussi sociale. Tant que la formation continue ne débouchera pas sur des diplômes, même si son contenu est excellent et si elle est très qualifiante, elle ne sera pas assez reconnue positivement dans la société, et elle ne pourra pas offrir d'alternative crédible à la formation initiale lorsque celle-ci s'allonge de façon démesurée. Je crois que nous avons tort de ne pas disposer d'une formation professionnelle continue diplômante. Cette formation professionnelle continue doit revêtir un usage dans d'autres entreprises que dans celle dans laquelle elle a été suivie, car c'est ce qui permet ensuite au salarié de circuler sur le marché du travail. Il existe sur ce point une discussion importante à mener, qui est en lien avec celle des objectifs. C'est pourquoi l'absence d'objectifs est si catastrophique à mes yeux. Cette discussion a trait à la relation entre la formation professionnelle continue et le diplôme ou la qualification.

Enfin, je crois que dans un monde très règlementé sur le plan du financement, dans un monde décentralisé, dans un monde où, bien qu'il existe de nombreux acteurs privés parmi les prestataires, la politique de formation continue est en grande partie conçue comme une politique publique, il est nécessaire de se poser la question de ce que doit être le rôle de l'État. Dans une politique décentralisée, dans une politique complémentaire à la politique de formation initiale, dans une politique où les caractéristiques de financement et de fonctionnement sont trop importantes, cette question est essentielle. Par exemple, l'État n'a pas suffisamment défini d'objectifs. L'État devrait obtenir des régions, que décentralisation et systèmes d'information nationale soient compatibles. En d'autres termes, plus une politique est décentralisée, plus il est nécessaire de disposer d'un système d'information qui en donne une vision nationale correcte, et qui montre que les deux aspects ne sont pas incompatibles. L'État devrait être le garant de l'application d'objectifs nationaux, notamment pour assurer ne serait-ce que l'égalité de traitement sur le territoire. Il est nécessaire de trouver « une ligne de crête ». J'affectionnais beaucoup cette expression lorsque je présidais la commission, car je pense que les lignes politiques que nous devons définir passent nécessairement à travers des exigences contradictoires. Il faut donc trouver une ligne de crête entre une certaine proximité par rapport au terrain - la décentralisation étant une très bonne chose à cet égard -, et le souci d'une égalité de traitement sur le territoire, d'une visibilité plus grande de la politique et d'assigner à cette politique des objectifs nationaux.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie de cet exposé très clair et très pédagogique. J'ai été très frappé de la similitude entre la situation de la formation professionnelle et celle de la formation initiale, et que dans les deux cas, le problème ait été essentiellement abordé sous un angle budgétaire, sans se fixer au préalable des objectifs.

Comment pouvons-nous tenter d'inverser cette situation, de passer de cette vision du coût, avec la complexité des financements et l'opacité liée au nombre d'acteurs, à une vision des objectifs, sachant que nous toucherons là à un domaine extrêmement sensible ? Les corporatismes de tous vont monter au créneau. Je pense que mes collègues ont déjà été approchés par un certain nombre de partenaires qui s'inquiètent de nos investigations. Je suis très frappé de la similitude entre la situation que vous avez décrite et celle que nous avons abordée dans le cadre du rapport sur l'avenir de l'école. Comment pouvons-nous passer de cet état de fait à une démarche consistant tout d'abord à fixer des objectifs pour seulement ensuite tenter de les financer ?

Je donne la parole à madame le rapporteur, et je pense que nos collègues auront de nombreuses questions à vous poser.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Parmi vos propos, le point qui m'a le plus étonnée est le fait qu'il n'existe pas d'objectifs. Je l'ignorais.

M. Claude Thélot - En effet, il n'existe pas d'objectifs. Il existe certes des énoncés qualitatifs généreux, mais il n'existe pas de choix. Très traditionnellement, la formation professionnelle continue est un domaine dans lequel l'État entérine les accords des partenaires sociaux. Par conséquent, si nous voulions lancer véritablement une réflexion sur les modalités permettant de faire émerger des objectifs, il faudrait interroger les partenaires sociaux, pour voir dans quelle mesure ils seraient prêts à épouser cette problématique des objectifs. Parallèlement, bien qu'il suive les recommandations des partenaires sociaux, l'État peut exprimer son propre point de vue. Il pourrait, par exemple, marquer la préférence à donner aux salariés peu qualifiés en se fixant des objectifs réels et concrets, notamment l'atteinte d'un certain niveau comme le bac professionnel. De plus, une fois que ces objectifs ont été énoncés, il faut également expliquer de quelle façon il est prévu de les atteindre. Il s'agit d'une double démarche, consistant à étudier de quelle manière les partenaires sociaux pourraient accepter de s'engager et de quelle façon l'État peut mener la réflexion. J'imagine que vous auditionnerez M. Balmary. De fait, sa commission peut constituer le lieu, parce que tous les acteurs y sont présents, dans lequel une telle démarche pourrait être définie. Car je ne pense pas que l'État puisse seul définir cette démarche, pas plus que les partenaires sociaux. En raison de la décentralisation, je ne pense pas que les régions doivent être exclues de cette réflexion. Il faut donc travailler avec ces trois partenaires, que nous devons intéresser à la question des objectifs en ayant le souci de faire des choix plutôt que de produire un texte volumineux qui affirmera une chose et son contraire. Le problème consiste à hiérarchiser, préciser et quantifier nos propos et à choisir ce que nous jugeons important et à l'aune de quoi nous définirons le financement, le fonctionnement et l'évaluation. Affirmer tout et son contraire dans un texte de quatre-vingts pages, c'est ne rien dire, et c'est pourtant notre péché mignon.

M. Jean-Claude Carle, président - La gestion paritaire est en elle-même une bonne chose et ne doit pas être remise en cause. Toutefois, n'induit-elle pas certains effets pervers ? Une des préoccupations majeures des partenaires sociaux est de disposer des ressources nécessaires pour mettre en place la formation, mais aussi pour exister. Toutes les lois ont été élaborées après la mise en place de cette gestion paritaire. Sans la remettre en cause, ne devons-nous pas mener une réflexion sur ses effets pervers, notamment la paix sociale derrière laquelle nous nous retranchons ?

M. Claude Thélot - Ces effets pervers sont certains mais inévitables. Depuis trente ans, la formation est un sujet sur lequel nous sommes parvenus à faire en sorte que globalement, les différents partenaires s'entendent, avec les défauts que j'ai mentionnés. Il est non seulement inévitable, mais il est également souhaitable que les partenaires sociaux jouent un rôle moteur dans le domaine de la formation professionnelle. Un des grands problèmes tient au fait qu'une partie du financement des organisations sociales professionnelles est apportée sous le couvert de la formation. Ceci résulte des difficultés que nous rencontrons dans notre effort de rendre visible la totalité du financement. Si nous voulons éviter les effets pervers que vous évoquez, c'est la question du financement des organisations syndicales et patronales qui doit être posée. C'est un sujet tout autre que celui de la formation et il ne s'agit pas d'un sujet plus simple. En l'état actuel des choses, la partie de la collecte des fonds de la formation professionnelle affectée au financement des organisations patronales et syndicales est trop opaque, au sens où les contreparties de ce financement ne sont pas assez visibles.

Mme Annie David - J'ai apprécié votre présentation qui nous a permis de bien poser notre problème. Je partage le questionnement que vous avez soulevé sur l'intitulé de la mission : faut-il inclure l'apprentissage ou devons-nous nous limiter à la formation professionnelle des salariés ? Peut-être devons-nous apporter des précisions sur ce point, car si notre éventail était trop large, nos auditions devraient se poursuivre bien au-delà du mois de juillet. Vous avez évoqué l'évaluation de la formation professionnelle prodiguée aux actifs et aux chômeurs. Qu'entendons-nous par cette formation donnée aux actifs ? Dans la mesure où les entreprises doivent atteindre un certain taux de personnel en formation, la démarche consiste bien souvent à répondre à une offre plutôt qu'à un véritable besoin des salariés, sauf lorsqu'un salarié n'a d'autre choix que de suivre une formation pour s'adapter à un nouvel outil de travail. Il s'agit de formation professionnelle dans la mesure où il s'agit pour le salarié de tenir son emploi, mais il s'agit d'une formation subie et non choisie par le salarié. Quelle est la place du DIF au sein de la formation professionnelle ? Que devient le CIF et de quelle façon est-il utilisé ? Quelle est la place de la VAE dans la formation professionnelle ? La formation n'est pas toujours nécessaire à la validation des acquis, mais la formation permet tout de même d'améliorer cette validation. En matière de formation des demandeurs d'emploi, bien souvent, ces derniers n'ont guère le choix d'accepter ou de refuser de suivre la formation qui leur est proposée. Si la formation ne correspond pas à ses besoins, quelles sont les possibilités du demandeur pour imposer le choix d'une formation qu'il souhaiterait suivre pour travailler dans la branche qu'il désire ? Quels sont les éléments pris en compte dans l'évaluation de la formation qu'il a suivie ? Ces questions sont souvent abordées sous l'angle du financement, ce qui revient à prendre le problème à l'envers. Il est certes nécessaire de se préoccuper de la question du financement, mais si ces financements ne mènent à rien, la démarche n'a aucun intérêt.

Vous avez évoqué les prestataires de formation, et pour avoir travaillé pendant vingt ans au sein d'une entreprise, j'ai eu l'occasion de rencontrer plusieurs d'entre eux. Je peux témoigner que l'offre de certains prestataires ne correspond pas à une réelle formation professionnelle, et reste pourtant considérée comme telle. A l'occasion des évaluations annuelles de performance, il est clairement indiqué que ces services sont considérés comme une formation professionnelle suivie par les salariés. Nous pouvons également nous interroger sur la teneur réelle de la formation professionnelle au sein des entreprises. Par ailleurs, des prestataires tels que AFPA offrent de meilleures garanties en termes de professionnalisme des formations. Nous avons évoqué les réductions de personnel et la réduction de 20 % des coûts de l'AFPA. Il est là encore question de financement, mais pas encore d'objectifs. Ces 20 % de réduction des coûts visent à diminuer les dépenses de l'État, mais quel en sera le résultat en termes de formation professionnelle ? Les personnes qui font appel à l'AFPA pourront-elles continuer à bénéficier de formations aussi satisfaisantes qu'auparavant ? Je ne suis pas convaincue de la pertinence d'une mise en concurrence de l'AFPA, sauf à la mettre en concurrence avec un regard précis et sérieux sur le contenu des formations et l'évaluation des personnes qui auront suivi ses formations. Si, à niveau d'évaluation équivalent, nous trouvons un prestataire moins cher que l'AFPA, cette dernière sera certes amenée à revoir son fonctionnement, mais je me préoccupe du résultat et du contenu final de la formation professionnelle. S'il s'agit de dépenser sans autre objectif que de dépenser, le résultat ne saurait être satisfaisant. Les objectifs de la formation professionnelle doivent être davantage définis.

M. Claude Thélot - Sur le plan de la méthode, historiquement, bien que l'accord de l'automne 2003 ait été signé par toutes les organisations, je pense que cet accord a eu le tort d'augmenter les taux de prélèvement sur les entreprises sans que nous ne nous soyons réellement préoccupés d'évaluer les résultats du dispositif précédent. Nous avons collectivement commis une erreur de méthode en ne définissant que quelques modalités telles que le DIF et en augmentant les prélèvements sur la masse salariale. L'accord de l'automne 2003 avait inclus l'idée d'une évaluation de cette politique à la fin de l'année 2008. En un sens, votre travail doit s'inscrire dans cette évaluation à venir pour éventuellement contribuer, sur certains points, à infléchir la politique que nous menons aujourd'hui. L'inflexion majeure que je recommande consiste à arrêter de concevoir la politique de formation professionnelle continue en termes de financement, de taux ou de taxes, et à essayer d'accomplir l'effort intellectuel et politique de la définir en termes d'objectifs. Ensuite, nous pourrons discuter des objectifs, rechercher des compromis et des lignes de crête. Essayons de formuler ces objectifs de façon concrète et de faire des choix.

La question de l'évaluation se pose sur trois niveaux, que nous devons distinguer avec soin. Premièrement, si nous parvenons à définir des objectifs généraux, c'est bien entendu autour d'eux que l'évaluation devra s'articuler. Deuxièmement, nous devons évaluer les dispositifs nouveaux. Indépendamment de notre capacité à définir des objectifs, nous devons nous donner la discipline de les évaluer en tant que tels. Nous savons notamment que le DIF démarre très lentement. Le DIF ouvre le droit à vingt heures de formation par an cumulables sur six ans. Si ces heures ne sont pas cumulées, il est probable que le DIF ne serve pas à grand-chose.

Mme Annie David - En réalité, la durée de la formation est proportionnelle au temps de travail effectif du salarié. Ce point est important et très injuste car le temps de travail effectif ne relève pas toujours d'un choix du salarié. Tous ne sont pas égaux et ne disposent pas des mêmes chances sur le plan de la formation professionnelle.

M. Claude Thélot - Nous devons nous attacher à ce second niveau de l'évaluation, c'est-à-dire évaluer les nouveaux dispositifs, et ne pas hésiter à tirer les conséquences de l'évaluation s'ils s'avèrent imparfaits. Dans notre pays, nous savons parfois évaluer, mais nous n'arrivons guère à tirer les conséquences de nos évaluations. Le troisième niveau de l'évaluation porte sur le processus par lequel nous sélectionnons et qualifions les prestataires de formations, tant privés que publics. Nous devons intégrer une évaluation de la qualité de leurs services. Dans ce troisième niveau, l'évaluation doit non seulement être promue, mais aussi être utilisée comme un outil opérationnel. Il est possible que l'AFPA offre des services de meilleure qualité que les autres prestataires. Quel est le sens d'une telle assertion ? Elle signifierait qu'à l'issue d'un stage proposé par l'AFPA, le demandeur d'emploi puisse trouver un emploi de meilleure qualité. Peut-être est-ce vrai. Nous devons nous en assurer. Si un tel indicateur n'est pas satisfaisant, alors le prestataire, qu'il soit public ou privé, devrait en être affecté lors du prochain appel d'offres. Dans leurs relations avec les prestataires de formations professionnelles, les prescripteurs que sont l'ANPE, l'UNEDIC, les missions locales, la région et les OPCA, devraient davantage recourir à l'évaluation. C'est une recommandation que nous pourrions émettre de façon générale. Je ne pense pas que les acteurs le fassent avec beaucoup d'énergie.

M. Alain Gournac - Je doute que toutes les régions aient les moyens de procéder à une telle évaluation.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - La certification des formations peut-elle résoudre ces difficultés ?

M. Claude Thélot - Je trouverais plus satisfaisant que les formations conduisent à un diplôme, mais dans le même temps, je comprends bien que nous ne pouvons pas faire de ce critère l'axe central de l'évaluation. L'évaluation de la VAE est infiniment complexe à mettre en oeuvre.

Mme Isabelle Debré - Sachant que nous ne parvenons déjà pas à évaluer la VAE, comment pourrions-nous diplômer une formation professionnelle ?

M. Claude Thélot - Mon idée est la suivante. Prenons l'exemple du baccalauréat professionnel, du BTS ou du CAP. Il pourrait exister deux voies pour atteindre ces diplômes : une voie en formation initiale qui aboutit à un examen qui, s'il est passé avec succès, permet de recevoir le diplôme ; une voie en formation continue, aboutissant à un autre examen pour lequel un certain nombre d'acquis sont déjà validés. Si la formation professionnelle continue doit aboutir à un baccalauréat professionnel, nous l'organiserons dans les entreprises et chez les prestataires au titre des obligations légales pour qu'elle aboutisse potentiellement à un diplôme. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Pour l'instant, la formation professionnelle se compose de stages censés accroître les compétences, ce qui constitue d'ailleurs un très bon dispositif. Mais le souci de certification et de validation des acquis est quelque peu minoré. Je ne souhaite pas faire de la question de la validation potentielle de la formation l'axe central de l'évaluation de la qualité d'une formation. Je choisirais plutôt comme axe central le devenir des personnes qui ont suivi une formation. Ce point est relativement simple en ce qui concerne les chômeurs, à condition que nous nous entendions une fois pour toutes sur un critère de retour au marché du travail. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé le critère suivant : il s'agirait que, dans un délai de six mois après la formation, le demandeur d'emploi ait trouvé soit un CDI soit un CDD de plus de six mois. C'est une idée, nous pouvons en trouver d'autres, mais le point le plus important est que nous parvenions à nous entendre sur un critère unique.

Cette question est plus délicate dans le cas des salariés en entreprises, car le gain individuel des salariés doit parfois être envisagé à l'envers et parce qu'il est difficile de définir le gain de l'entreprise. Dans ce cas, les critères précis d'évaluation de la qualité de la formation sont plus difficiles que dans le cas des demandeurs d'emploi. Nous devrions faire preuve de plus de sérieux en matière de contrôle. Est-on sûr que les personnes qui sont censées suivre une formation la suivent réellement ? Nous n'en sommes absolument pas assurés, et les contrôles effectués par les OPCA et par l'État sont tout à fait insuffisants. Indépendamment de toute question d'évaluation, le dispositif actuel ne permet pas même de s'assurer de la présence des personnes aux formations qu'elles sont censées suivre.

M. Alain Gournac - N'oublions pas que les OPCA ont intérêt à faire du chiffre. Il faut donc procéder à des contrôles. Je connais de nombreux cas dans lesquels toutes les personnes n'étaient pas présentes à la formation qu'elles devaient suivre, et où la feuille de présence n'était pas remplie.

Mme Isabelle Debré - Souvenez-vous de l'exemple qui a nous été cité la semaine dernière. Il était question d'une formation à laquelle dix personnes devaient participer et à laquelle une seule personne était présente.

M. Claude Thélot - Personne ne connaît l'ampleur réelle de ce problème et c'est une des difficultés de notre pays. Chacun connaît des exemples de ce type, mais personne ne peut produire de statistiques. Je regrette que l'État, soit directement, soit par l'intermédiaire des OPCA, n'ait pas mis en place un système d'information permettant de s'assurer que le service a été fourni.

Mme Gisèle Printz - Vous posez la question des objectifs de la formation. Naïvement, je crois que la formation a pour objectif d'apprendre et de parfaire les connaissances de son métier. Vous évoquez le problème des personnes qui n'assistent pas aux formations qu'elles sont censées suivre. Je comprends donc mal que les chômeurs aient tant de difficulté à trouver des offres de formation. Il existe des problèmes de coordination. Par ailleurs, concernant la question du contrôle des prestataires, ne faudrait-il pas que les régions établissent un cahier des charges précis ? Je crains également que les formations ne puissent parfois être infiltrées par les sectes.

M. Jean-Claude Carle, président - Notre partageons votre inquiétude à ce sujet, qui fera l'objet d'une autre étude.

M. Claude Thélot - La question du cahier des charges est une très bonne question. Toutefois, certains cahiers des charges existent déjà. L'ANPE, en tant que prescripteur, utilise des cahiers des charges qui lui permettent de sélectionner un certain nombre de prestataires. Vous pourriez par exemple auditionner l'ANPE pour recevoir des précisions à ce sujet. Pour en revenir à votre première question, la formation sert à s'élever et à mieux exercer son métier. Vous comprenez bien que cette affirmation, qui présente l'optique générale de la formation, est insuffisante. Les ouvriers et les emplois peu qualifiés ne sont pas suffisamment formés. Il est donc nécessaire de se donner des objectifs plus précis que de « les former davantage ». Partant de votre idée générale, il est nécessaire d'essayer de la spécifier. Il en va de même dans le cas des chômeurs, auxquels il est nécessaire d'apporter des éléments différents selon les cas. Il est parfois nécessaire de leur apporter une plus grande technicité et parfois de leur donner la possibilité de se réinsérer dans un milieu de travail grâce à l'acquisition de compétences générales, ce qui est très différent. La capacité d'apporter aux chômeurs ce dont ils ont besoin de façon spécifique devrait être renforcée.

Mme Gisèle Printz - Un des points frappants de votre intervention est l'absence d'objectifs fixés à la formation.

M. Claude Thélot - Il n'existe que des objectifs certes très généreux mais non opérationnels.

M. Alain Gournac - Je suis d'accord avec vous, mais j'estime qu'il ne faut pas donner une vision trop sombre de la réalité. J'ai en effet suivi de nombreuses formations et j'ai pu constater qu'il en existe d'excellentes. Je tiens par ailleurs à souligner le fait que les salariés des entreprises exerceront plusieurs métiers au cours de leur carrière et non plus un seul et même métier tout au long de leur vie. Les entreprises connaîtront des évolutions impliquant des changements de métiers, changements qui ne sont pas préparés. Nous devons acquérir une culture dans le cadre de laquelle nous devrons préparer les évolutions de carrière. Nous devons faire progresser l'homme et le facteur humain. Nous devons donc orienter l'évolution de la formation dans le sens d'une progression de l'humain. Dans certaines usines, j'ai vu des hommes commencer leur carrière au plus bas de la hiérarchie et devenir chefs d'équipe ou chefs d'atelier. Je crains que nous ne nous soyons pas suffisamment donné les moyens pour favoriser les changements de métier. Je suis d'accord avec vous sur la nécessité de commencer par former les personnes les moins qualifiées et de faire progresser les titulaires de diplômes tels qu'un CAP.

J'ai par ailleurs été victime d'officines de formations totalement creuses ou inadaptées. Il faut également éviter que les critères des entreprises ne soient exclusivement quantitatifs, sans aucun souci de faire progresser leurs salariés. Leur seul critère est celui de l'obligation de dépenser de l'argent, sans aucune considération qualitative. J'ai travaillé vingt-huit ans en entreprise, et d'expérience, j'ai pu constater ces problèmes et ces dysfonctionnements.

M. Claude Thélot - Nous devons comprendre les raisons pour lesquelles, depuis trente ans, nous ne sommes pas parvenus à mieux former les personnes les moins qualifiées. Une des façons de comprendre ce problème est liée à la question du périmètre que j'ai évoqué en introduction. Les personnes peu qualifiées et peu formées ont souvent subi un échec en formation initiale et n'ont pas reçu le socle nécessaire pour réussir ensuite en formation continue. Une des raisons pour lesquelles nous rencontrons des difficultés à développer la formation continue pour les personnes peu qualifiées trouve sa source dans la formation initiale elle-même, ce qui nous oblige à poser la question du périmètre. Je pense qu'il existe également d'autres explications. Il serait préférable que nous nous donnions explicitement pour objectif de faire passer au BEP ou au baccalauréat professionnel un certain nombre de jeunes gens, plutôt que conserver un objectif consistant simplement à dépenser de l'argent. Je ne suis pas un expert de cette question mais je vous conseille d'auditionner quelques personnes qui sauraient vous éclairer sur les raisons pour lesquelles nous ne parvenons pas à former les personnes les moins qualifiées. C'est un de nos problèmes majeurs. Une véritable politique de formation continue devrait, je crois, donner la priorité aux personnes peu qualifiées.

Mme Isabelle Debré - Vous vous êtes interrogé sur les moyens de procéder. Je pense que nous portons une part de responsabilité dans cet échec, car nous avons totalement dévalué le bac professionnel. Interrogez les parents pour constater combien d'entre eux souhaitent que leurs enfants fassent un baccalauréat professionnel. Nous devons rendre à ce diplôme sa véritable valeur. Il est anormal de voir que certains jeunes majeurs sans formation et en situation d'échec scolaire n'ont pas même essayé de passer l'examen du baccalauréat professionnel.

Par ailleurs, je m'inquiète au sujet des OPCA, qui sont très peu contrôlées sur le plan des objectifs. La multiplication des OPCA est-elle une bonne chose ? Je n'en suis pas convaincue. Enfin, j'approuve l'idée d'une formation diplômante, mais comment la mettre en place ?

Mme Annie David - Je souhaite revenir sur la question des raisons pour lesquelles nous ne sommes pas mieux parvenus à une meilleure formation des personnes peu qualifiées. L'éducation nationale porte sans doute une part de responsabilité vis-à-vis des jeunes en situation d'échec scolaire. Par ailleurs, ne pensez-vous pas que pour les entreprises qui embauchent essentiellement des personnels peu qualifiés, la formation de ces personnels serait très coûteuse ? Dans le cadre du dernier plan de licenciement auquel a été soumise la dernière entreprise dans laquelle j'ai travaillé, les personnels de l'atelier, qui étaient peu qualifiés, qui étaient pour la plupart âgés de plus de cinquante ans et qui avaient souvent travaillé pendant plus de vingt dans cette entreprise, n'ont reçu que très peu de formations. Il existe sans doute une part de responsabilité de l'éducation nationale, qui n'a pas su porter tous les jeunes à un niveau de diplôme intéressant et qui a parfois failli à sa tâche, mais certaines entreprises ne favorisent pas l'accès des salariés à une formation qualifiante. Le problème est moins patent pour les formations ayant pour objectif le maintien dans l'emploi car le travail a évolué, notamment avec le développement de l'informatique qui a obligé tout un chacun à maîtriser ce nouvel outil. Les salariés auxquels j'ai fait référence se sont entendu dire qu'ils n'étaient plus bons à rien. Ils sont passés sous le contrôle d'un sous-traitant et n'ont toujours pas bénéficié de formation. J'approuve donc vos propos sur la nécessité de former dans un premier temps les personnes les moins qualifiées et de leur donner accès, dans le cadre de leur emploi, à une formation qui leur permette de changer d'emploi et d'entreprise.

M. Alain Gournac - Je suis favorable aux formations qualifiantes qui permettent de réaliser des progrès concrets. Certaines personnes ne sont pas à l'aise dans le cadre des études classiques et des formations traditionnelles mais peuvent pourtant s'épanouir en entreprise. Je suis entré en école supérieure de commerce à l'âge de trente-neuf ans et c'est l'entreprise qui m'a conduit à le faire. Je refuse donc que nous ne dressions un tableau trop sombre de la situation de la formation. J'approuve l'ensemble de vos propos mais je tiens néanmoins à rappeler qu'il existe d'excellentes formations. Je viens d'une famille extrêmement modeste qui n'a pas pu m'offrir d'études. Je crois sincèrement que des formations en entreprise ou financées par les entreprises permettent aux salariés de connaître une importante progression.

Mme Gisèle Printz - Lorsque j'ai repris le travail, je me suis entendu dire qu'en tant que femme et mère de trois enfants, je n'avais pas besoin de formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci d'avoir fait part de votre expérience personnelle. Je pense que vous personnifiez des exemples de reconversion très réussies.

Au regard des sujets que vous nous avez présentés et de notre discussion, ne pensez-vous pas qu'il est nécessaire de passer d'une logique de dépense à une logique d'investissement ? La logique de dépense qui prévaut aujourd'hui, s'intéresse avant tout à la question du coût, sans fixer d'objectifs, tandis qu'une logique d'investissement suppose nécessairement des objectifs. La réponse ne se trouve-t-elle pas au carrefour de tous les acteurs ? L'éducation nationale implique l'ensemble de la communauté éducative. La solution ne saurait provenir de l'implication des seuls enseignants, ni de l'implication des seuls parents ou des seuls élus locaux. Il faut se situer au carrefour de l'ensemble des acteurs. Comment traiter les 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système éducatif sans diplôme ni qualification ? Sont-ils du ressort de la formation initiale, et donc en situation d'échec, ou sont-ils du ressort de la formation continue, sachant qu'ils ne rentrent ni dans la catégorie des demandeurs d'emploi ni dans celle des salariés demandant à suivre une qualification ?

M. Claude Thélot - Concernant l'expérience de chacun, j'ai l'habitude de citer ce théorème : il est impossible de tenir un propos inexact au sujet de la formation professionnelle continue ou de l'éducation nationale. Il est vrai qu'il existe des réussites exceptionnelles comme les vôtres, comme il est vrai qu'il existe des formations creuses. Il s'agit d'univers d'une infinie diversité. Nous devons donc nous efforcer de trouver des règles nous permettant d'agir au sein de cette infinie diversité. Au titre de ces règles, il est nécessaire de passer d'une logique de dépense à une logique d'investissement, ce qui, par ailleurs, ne serait pas sans conséquence sur le plan comptable. Si nous voulons vraiment que les dépenses de formation soient conçues comme des investissements, cette idée devrait trouver une traduction comptable et non une simple traduction intellectuelle, ce qui nous conduit vers un sujet tout à fait différent de celui qui nous a occupé jusqu'à maintenant, mais qui devrait être étudié pour nous inscrire dans la logique indiquée par le président Carle.

Il est souhaitable de reprendre cette question sous le bon angle, c'est-à-dire à partir des objectifs. Du côté des entreprises, nous avons su fixer des taux de prélèvement sur la masse salariale. Pourquoi ne saurions-nous pas fixer aux entreprises des objectifs de résultat en matière de formation continue ? Nous pourrions leur demander d'amener leurs salariés peu qualifiés à un niveau donné dans un délai donné, et procéder de façon similaire pour leurs salariés moyennement qualifiés ou, par exemple, les femmes. Nous pourrions essayer de prendre cette direction. Après tout, c'est ce qu'a fait la formation initiale, à tort ou à raison. Nous avons eu tort de fixer un objectif trop élevé, mais le fait d'essayer d'obliger les systèmes de formation à raisonner en termes d'obligation de résultat a été une bonne chose.

Du côté des individus, nous devons non seulement explorer mais aussi définir les conditions opérationnelles de réalisation d'un droit différencié. Les jeunes gens qui sortent de l'école avec un niveau d'étude, de qualification ou de diplôme donné devraient, en entrant dans la vie professionnelle, disposer de droits inversement proportionnels à la durée de leur formation initiale. Ainsi, les 150 000 sortant chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification disposeraient d'un droit à la formation plus long que celui des polytechniciens. Le système du DIF, qui accorde vingt heures de formation à chacun de façon indifférenciée ne va guère dans ce sens. L'idée du droit différencié à laquelle j'ai fait allusion a été formulée, sur un plan intellectuel, par de nombreuses personnes. Sur le plan politique, elle n'a été reprise que par peu de gens, et sur un plan concret, elle n'a été jugée opérationnalisable par personne. Par conséquent, nous devons étudier les conditions auxquelles une telle mesure pourrait être mise en oeuvre, et je pense qu'elle peut l'être. Nous pouvons créer un droit à la formation professionnelle continue inversement proportionnel à la durée de la formation initiale. Les conditions opérationnelles sont sans doute plus complexes que nous ne l'imaginons, mais nous pouvons tout de même réfléchir d'un point de vue opérationnel à la mise en oeuvre et à l'existence de ce type de droit différencié, qui serait opposable. Nous pouvons y parvenir et ainsi dépenser notre argent plus intelligemment que nous ne le faisons actuellement. Nous mènerions donc une double action, d'une part du côté des entreprises, en énonçant des objectifs en termes de résultat et non en raisonnant selon une logique de moyens, d'autre part du côté des personnes, qui bénéficieraient d'un droit articulé à leur formation initiale à travers lequel se concrétiseraient les objectifs assignés aux employeurs. Un des apports fondamentaux de votre travail pourrait consister à aider la société française à définir les conditions concrètes d'une telle action.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie d'avoir passé cette heure et demie avec nous. Je pense, si mes chers collègues en sont d'accord, que nous pourrons vous inviter à nouveau dans le courant du mois de juin, car votre éclairage nous sera précieux.

M. Claude Thélot - Avec plaisir.

Audition de M. Gérard LARCHER, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes (7 février 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et d'intervenir très en amont de notre mission, puisque, comme vous le savez, nous avons commencé nos auditions la semaine dernière. Nous sommes très honorés de vous accueillir aujourd'hui. Votre présence constitue un témoignage de votre profond attachement à cette maison que vous connaissez si bien.

Vous connaissez les objectifs de notre mission. Il s'agit d'établir un diagnostic de la situation, des éléments qui fonctionnent correctement comme des dysfonctionnements, et de tenter de formuler des propositions permettant d'améliorer la situation. Tel est l'objectif de cette mission commune qui, comme vous le savez, regroupe trois commissions de notre assemblée.

Si vous le voulez bien, je vous donne la parole. Nous demanderons ensuite à notre rapporteur de vous poser un certain nombre de questions, puis mes collègues se feront un plaisir de faire de même.

M. Gérard Larcher, ministre - Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir dans cette salle, qui m'évoque de nombreux souvenirs. Nous nous penchons sur un sujet majeur, et je me réjouis que le Sénat ait créé cette mission. S'agissant de la formation professionnelle, la date du 4 mai 2004 marque un véritable tournant, tout comme cette mission est également susceptible de le faire.

Vous connaissez l'importance de la formation professionnelle pour les hommes, pour les entreprises et pour l'avenir. Pour les salariés, les hommes, les femmes, les demandeurs d'emploi et les jeunes qui veulent entrer dans le monde du travail, la formation professionnelle est un sésame indispensable. Elle est la garantie d'une adaptation aux évolutions des différents métiers. Elle représente la possibilité d'un nouveau départ, d'un développement personnel et d'un projet de carrière. Elle est également essentielle pour les seniors. Une des observations qui nous a été le plus souvent rapportée au cours de la préparation du Plan senior exprimait le regret d'une absence d'investissement dans la formation des plus de quarante-cinq ans.

Pour les entreprises, la formation professionnelle signifie l'adaptation aux technologies nouvelles, à une économie en mouvement, à l'appropriation de nouveaux marchés. Elle est synonyme de compétitivité, de performance par le développement des compétences. Pour notre pays, la formation professionnelle est gage du développement de l'emploi, d'une économie performante, d'une société renforcée et de la construction de la sécurisation du parcours professionnel, aussi appelée sécurité sociale professionnelle. La formation professionnelle revêt aujourd'hui davantage d'importance qu'auparavant, car notre environnement a profondément changé, au sein d'un monde plus rapide, plus ouvert et globalisé. Auparavant, nous apprenions un métier que nous exercerions toute notre vie, le plus souvent au sein d'une seule et même entreprise. Désormais, pour ceux qui sont déjà entrés dans le monde du travail ou s'apprêtent à le faire, les changements interviennent à plusieurs reprises, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise. Nous changeons plusieurs fois de métier et d'entreprise. Il s'agit de la réalité de la mobilité, de l'adaptation et de la nécessité d'une construction permanente des compétences. Le besoin de formation et de qualification évolue donc de manière radicale. Les individus ont besoin de se former tout au long de leur vie. L'expression consacrée est bien celle de « formation tout au long de la vie ». Il s'agit d'une formation qui ne prend jamais fin, dans le but d'entretenir ses compétences et d'en acquérir de nouvelles, d'envisager de construire une carrière et d'en être véritablement acteur. Les entreprises doivent désormais considérer la formation professionnelle non seulement comme un investissement mais plus encore comme une condition essentielle de leur développement.

Vous le savez, il y a moins de trois ans de cela, notre système de formation professionnelle souffrait d'un certain nombre d'insuffisances et de dysfonctionnements, notamment l'inégalité d'accès à la formation, de responsabilités insuffisamment définies, de décalage entre les formations et les besoins des entreprises et des hommes. Les partenaires sociaux ont engagé une négociation interprofessionnelle qui, en décembre 2003, a abouti à l'accord national interprofessionnel. Cet accord trouve sa transcription dans la loi du 4 mai 2004, qui constitue un texte essentiel. Cette réforme a consacré le rôle central et fondamental de l'individu dans la construction de ses performances, l'émergence de la notion de professionnalisation comme élément structurant et fédérateur des dispositifs de formation ainsi que l'accroissement des responsabilités données aux branches dans la définition et la mise en oeuvre des politiques de formation et de ces moyens.

Quels sont les éléments fondamentaux de cette loi ? Le DIF représente vingt heures de formation par an, cumulables sur six ans. La rénovation des plans de formation distingue désormais les actions d'adaptation au poste de travail, les actions d'évolution de l'emploi ainsi que les actions de développement des compétences. Le contrat de professionnalisation concerne particulièrement les salariés faiblement qualifiés qui aspirent à l'acquisition d'une qualification reconnue. Certes, le contrat de professionnalisation concerne en premier lieu les jeunes mais il est ouvert à tout âge, notamment aux seniors.

D'autres dispositifs doivent être évoqués, notamment la généralisation des bilans de compétences, obligatoires à l'âge de quarante-cinq ans en même temps qu'un bilan de santé, tous les cinq ans, les entretiens professionnels, le développement du tutorat, le développement de la validation des acquis de l'expérience(VAE), qui permet d'obtenir un diplôme classique. La VAE est passée d'une certaine confidentialité à une multiplication par vingt en quatre ans. Je sors d'une réunion avec les directeurs départementaux et régionaux du travail et de l'emploi, au cours de laquelle nous avons désigné un délégué interministériel. Nous avons pour objectif de surmonter les cloisons et les blocages issus du passé. Les nouveaux dispositifs incluent également la certification par la seule formation académique ou professionnelle, le travail et l'expérience professionnelle au sein de l'entreprise, ainsi que l'optimisation de l'orientation professionnelle. Il s'agit de l'orientation des jeunes, de l'orientation à l'entrée dans l'enseignement supérieur et de l'orientation tout au long de la vie.

Je souhaite vous dire quelques mots au sujet du DIF et du bilan global de la formation professionnelle et, comme je l'ai promis à la commission des affaires sociales, évoquer les transformations qui restent à accomplir. Le DIF résulte d'un choix unanime des partenaires sociaux, très largement partagé par le Parlement lors du vote de la loi du 4 mai 2004, bien que le récent rapport de MM. Cahuc et Kramarz ait suggéré de déjà l'abandonner. Le DIF est une révolution si l'on sait s'en servir. Il s'appuie sur la philosophie du salarié-acteur, qui est co-créateur de son projet de formation et responsable de son projet de carrière. Le DIF est resté confidentiel en 2005. Selon une étude de la CEGOS, qui présente des chiffres approchants, déjà 9 % des salariés ont prévu d'utiliser leur droit Individuel à la formation en 2006. Selon l'AGEFOS-PME, 28 % des petites et moyennes entreprises ont fait l'objet d'une demande de DIF en 2006. Le DIF est un dispositif qui doit se développer. Il est plébiscité par les salariés et les chefs d'entreprise. Je pense notamment au secrétaire général de Renault, Michel de Virville, selon qui le DIF permet l'accès du plus grand nombre à la formation par une meilleure répartition de l'offre de formation. Pour le DIF, 2007 est une année très importante qui correspondra au premier cumul de soixante heures. Or il est très difficile de construire un véritable plan de formation en moins de soixante heures. C'est pourquoi 2007 sera une année essentielle pour le DIF, comme je l'ai indiqué aux associations de DRH. C'est également une des raisons pour lesquelles j'en ai fait un des thèmes centraux de mes rencontres avec les seniors. La réforme du 4 mai 2004 a fait évoluer la situation de manière très positive en facilitant l'accès à la formation, en rappelant les finalités de la formation, qui sont naturellement la professionnalisation et l'emploi. Des outils tels que la construction de la formation dans la convention de reclassement personnalisé, l'expérimentation des contrats de transition professionnelle, ou l'alternance, en donnant une plus grande responsabilité aux salariés comme aux entreprises et aux branches professionnelles, sont mobilisés au profit du combat pour l'emploi. Je tiens à souligner que 2006 a vu la signature de 402 000 contrats d'apprentissage et de 140 000 contrats de professionnalisation. Le secteur de la formation a parfois rencontré des difficultés d'adaptation en raison de blocages au sein de certains métiers transversaux, blocages qui sont en train d'être surmontés. Le contrat de professionnalisation rencontre aujourd'hui un véritable succès.

Les moyens consacrés à la formation professionnelle et à l'apprentissage représentent 24 milliards d'euros, dont 4 milliards d'euros destinés à l'apprentissage. Les entreprises sont le premier contributeur, avec 45 % du montant total, soit 11 milliards d'euros. L'État contribue à hauteur de 22 %, et les régions à hauteur de 11 %. L'efficacité de l'utilisation de ces sommes doit être renforcée. Nous pouvons en effet atteindre de meilleurs résultats sans augmenter ces montants. J'ai dû déployer une grande énergie et faire preuve d'une infinie diplomatie pour obtenir qu'une fraction de ces moyens soit consacrée aux publics délaissés. Je pense notamment aux jeunes sans qualification et aux salariés victimes de mutations économiques.

Je souhaite souligner un grand succès remporté en Ile-de-France grâce à la mobilisation des OPCA. Il s'agit de l'affaire Thomson, à Bagneux-sur-Loing, qui s'est déroulée dans le contexte de la fin des écrans plats et du tube cathodique, remplacés par l'écran plasma. A l'initiative du président directeur général et vice-président du groupe, qui ne pouvait se résoudre à la perte des compétences des salariés, Thomson a réalisé un effort remarquable pour trouver un véritable projet de reprise pour ces salariés, par le biais d'une entreprise espagnole spécialisée dans le secteur verrier automobile. Ces deux sociétés n'exercent pas le même métier. Thomson a été confronté au choix de procéder à des licenciements ou à un plan de mutation des hommes. L'OPCA de la région a su orienter Thomson dans la mise en oeuvre de la seconde option. La mise en oeuvre de ce plan a requis diplomatie et compréhension pour élargir le point de vue de chacun et passer d'une branche professionnelle à une autre.

Au titre des publics délaissés, je pense également aux demandeurs d'emplois non indemnisés. Au budget 2007, nous avons décidé de consacrer 10 millions d'euros pour les aider à financer leur VAE. Cette mesure est analogue à celle que nous avons adoptée pour les femmes travaillant à temps partiel suivi. Nos mesures leur ont permis de bénéficier de formations dont les outils sont bien plus difficiles à mettre en place dans le cas du travail à temps partiel que dans le cas de l'intérim.

Notre système reste complexe. Il comporte de nombreux acteurs, de nombreux dispositifs et de nombreuses sources de financement. Il me semble indispensable de réfléchir à une simplification de l'organisation de ce système. En changeant de politique, nous pourrons dépenser mieux et peut-être moins. Plutôt que les structures, ce sont les bénéficiaires qui doivent être mis au centre du système, en affectant prioritairement les moyens aux personnes dont les besoins sont avérés. Je pense à ceux dont la formation initiale est faible, à ceux qui se trouvent dans des secteurs connaissant une mutation accélérée, à ceux qui se trouvent dans des secteurs confrontés au choc de la mondialisation et au changement des techniques. Nous devons passer d'un droit d'aumône à un droit de tirage. Nous devons également réfléchir au développement de l'articulation entre la formation initiale et la formation continue, cette dernière devant être un prolongement de l'école, de l'IUT et de l'université. L'université doit s'emparer du DIF.

Je souhaite suggérer quelques mesures concrètes. Le DIF n'est pas transférable. Or, dans un monde en mutation, la notion de portabilité est absolument essentielle. A minima, le DIF devrait être transférable au sein d'une même branche professionnelle. L'articulation entre les régions et les branches doit être renforcée en favorisant un regroupement des grands réseaux d'OPCA. Il est également nécessaire de renforcer un système de pilotage national. Si le système est totalement régionalisé, de fortes inégalités apparaîtront. Naturellement, il revient tout d'abord aux partenaires sociaux et aux régions de se saisir d'un sujet qui leur appartient. Grâce à la VAE, au DIF et aux conventions de reclassement personnalisé, nous réaliserons des progrès en termes de sécurisation des parcours professionnels. A mon sens, la formation tout au long de la vie se trouve au coeur du dispositif. D'ores et déjà, les conventions tripartites, la convention d'assurance chômage et le contrat de professionnalisation attestent des importants progrès que nous avons réalisés. Les nouvelles réflexions ouvertes dans le cadre de la délibération sociale autour de la réforme de l'assurance chômage démontrent que la professionnalisation constitue un outil majeur de la sécurisation des parcours professionnels.

M. Jean-Claude Carle, président - Monsieur le ministre, je vous remercie de cette présentation qui témoigne de votre forte implication dans le domaine de la formation. Vous avez évoqué la loi du 4 mai 2004, qui présente un certain nombre d'avancées telles que le DIF, la généralisation du bilan de compétences et la VAE, qui sont des points très importants. Vous considérez la formation comme un investissement. Toutefois, ne sommes-nous pas encore prisonniers d'une logique purement focalisée sur les dépenses ? Une telle logique, en se concentrant sur la dépense, la collecte et le financement, ne se préoccupe pas suffisamment des objectifs. Ne devons-nous pas passer d'une logique de moyens à une logique de résultat ?

Je donne la parole à madame le rapporteur.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Monsieur le ministre, je souhaite vous poser quelques questions brèves, car je suis persuadée que mes collègues auront également de nombreuses questions. Au cours des auditions précédentes, nous avons eu le sentiment que la définition des objectifs de la formation professionnelle manquait de clarté. Depuis 1974, la formation professionnelle n'a pas défini ses objectifs. Comment la formation initiale, la formation continue et la formation professionnelle sont-elles définies les unes par rapport aux autres ? Dans laquelle de ces trois catégories les 150 000 jeunes sortant chaque année du système scolaire sans qualification entreront-ils ? Dans le cadre de l'application de la loi de 2004, les relations entre l'État et les régions sont-elles parfaitement clarifiées ?

M. Gérard Larcher, ministre -Monsieur le président, vous avez formulé une question centrale : doit-on privilégier les structures ou les bénéficiaires ? La convention tripartite entre l'UNEDIC, l'ANPE et l'État transcende les structures pour placer le demandeur d'emploi et l'offre d'emploi au coeur du dispositif. Alors qu'il y a trois ans, il fallait vingt et un jours, pour organiser un rendez-vous entre l'ASSEDIC et l'ANPE, il n'en faut aujourd'hui plus que sept, et il n'en faudra bientôt plus que cinq à partir du mois de juin. Nous avons modifié notre logique de fonctionnement pour privilégier l'individu. Notre attention doit se concentrer sur le bénéficiaire.

Quelle est la stratégie de l'État en matière de formation professionnelle ? Notre objectif est d'établir un lien entre la formation et l'emploi, ce qui n'a pas toujours été le cas. L'emploi devient l'objectif de la formation. Ce point revêt une importance particulière quant à la façon dont chacun des acteurs appréhende la situation. Je viens d'assigner cet objectif aux missions locales. Je suis de ceux qui ont voté le RMI ; or, en termes d'insertion, le RMI est un échec. L'emploi était-il suffisamment au coeur des objectifs du RMI ? Je rappelle aux missions locales que nous avons pour objectif une véritable insertion sociale, car l'insertion consiste aussi à avoir un emploi, un logement, et la possibilité d'engager du personnel familial.

En matière de formation, notre objectif est de développer une plus grande professionnalisation des formations, notamment via l'action préparatoire au recrutement qui a été mise en place au mois de septembre, et le parcours d'accès à la vie active en entreprise, à destination des jeunes. Outre l'intégration sociale et professionnelle, notre objectif est aussi celui de la promotion sociale, l'ouverture de perspectives attractives. Considérez les formations qui se sont développées dans des métiers qui étaient délaissés. Depuis cinq ans, le secteur du bâtiment et des travaux publics a accompli un effort considérable de revalorisation des grilles, de formation et de modernisation. La fréquentation des CFA a fortement augmenté. La décision prise la semaine dernière par le secteur de l'hôtellerie a aussi pour objectif de rendre ces métiers plus attractifs.

S'agissant des jeunes qui quittent chaque année le système scolaire sans qualification, combien sont-ils exactement ? 70 000 jeunes quittent chaque année le collège sans aucune qualification et sans maîtriser le socle fondamental. 40 000 jeunes se trouvent dans une situation erratique entre l'université et un certain nombre de dispositifs autour du bac. D'autres s'apprêtent à être diplômés dans des secteurs qui n'offrent aucune perspective. A cet égard, vous ne devez pas ignorer le rapport Hetzel, qui établit le lien entre formation professionnelle et université. Ces 70 000 jeunes représentent une interrogation majeure. 11 000 jeunes ont intégré des formes proches de l'apprentissage junior. Nous menons actuellement dans trois régions une expérimentation qui sera étendue à l'ensemble des régions. Les journées d'appel de préparation à la défense ont permis d'établir que 17 % des jeunes sont considérés comme ne maîtrisant pas le socle minimal de connaissances. Avec le directeur du service national, le général Pâris de Bollardière, je me suis interrogé sur ce constat. Devons-nous simplement regretter de telles statistiques ou devons-nous tenter de leur donner une nouvelle chance ? Nous avons orienté ces jeunes vers les missions locales. Ces jeunes ne savent pas toujours à qui s'adresser. Je tiens à rappeler qu'à la suite des événements survenus dans un certain nombre de quartiers sensibles, l'inspection des jeunes nous a communiqué les chiffres du chômage. Ces jeunes nous obligent à nous interroger sur l'école, l'orientation précoce - qui requiert diverses passerelles -, et l'orientation post-bac. Permettez-moi de m'adresser à mes prédécesseurs : quelles sont les conséquences de la massification du baccalauréat ? Pourquoi si peu d'élèves des lycées professionnels se tournent-ils en direction des IUT, qui avaient été créés à leur intention ? Ils ne sont que 1 % à le faire, ce qui traduit une marginalité invraisemblable. Pourquoi les jeunes qui ne sont pas parvenus à trouver de place en classes préparatoires s'orientent-ils parfois plus volontiers vers les IUT que vers l'université ? Peut-être ces questions nous éloignent-elles quelque peu du coeur de notre sujet, mais elles ne sont pas sans lien avec les plus de 100 000 jeunes auxquels j'ai fait référence, et nous posent à nouveau la question de la formation.

Nous devons surmonter le cloisonnement entre formation initiale et formation continue, qui correspond à une logique purement financière. Nous devons créer des passerelles entre l'enseignement académique et l'alternance. Je souhaite vous citer l'exemple d'une récente négociation que j'ai entamée avec la région d'Île-de-France. J'ai souhaité orienter des jeunes sans formation professionnelle vers les missions locales et le parcours d'accès à la vie active en entreprise pour les amener vers un contrat de formation professionnelle en alternance ou en contrat de professionnalisation. Ces dispositifs supposent la participation des régions et des branches professionnelles. Sur le plan de l'apprentissage, nous avons mis en place des contrats d'objectifs et de moyens dans vingt-cinq régions. Nous avons notamment noué des partenariats sur le volet emploi du plan de cohésion sociale. Des comités de coordination pour l'emploi et la formation professionnelle ont été installés dans la quasi-totalité des régions. Les critiques et l'inquiétude au sujet du transfert de compétences et des compensations financières sont désormais bien plus nuancées qu'auparavant. Le Sénat a mis en place un observatoire qui suit ce processus avec attention. Dans dix-huit régions déjà, le transfert des crédits de l'AFPA est réalisé. Concernant les pistes de progrès, nous devons réfléchir aux relations des régions avec les branches professionnelles. Ce sujet requiert un véritable dialogue social territorial. Il est nécessaire de financer des stages pour les demandeurs d'emploi. Nous devons établir un lien entre les régions et l'action du service public de l'emploi en région pour ne pas créer des schémas de formation totalement déconnectés des réalités locales. Je suis optimiste et je souhaite que nous progressions.

Mme Christiane Demontès, rapporteur-adjoint - Monsieur le ministre, je souhaite vous poser trois questions. La première porte sur les entreprises et la formation professionnelle. Comment mobiliser les entreprises face à leurs responsabilités en matière de formation des salariés ? Il s'agit d'un point capital, car au fur et à mesure de la montée du chômage au cours des années soixante-dix, nous avons assisté à une forme de désengagement des entreprises. Ne doit-on pas s'interroger sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences telle que la pratiquent les entreprises, notamment les PME ?

Ma deuxième question porte sur l'articulation entre la formation initiale et la formation continue mais aussi et surtout entre la formation professionnelle initiale sous statut scolaire et la formation professionnelle initiale sous statut d'apprentissage. Dans la région dont je suis vice-présidente, le nombre d'apprentis est passé de 32 000 à 39 000 en deux ans. Toutefois, l'apprentissage ne pourra pas accueillir tous les jeunes. Parmi les jeunes en formation professionnelle, les deux tiers d'entre eux sont en lycée professionnel, c'est-à-dire en formation initiale sous statut scolaire, et le dernier tiers de ces jeunes est en apprentissage. Parfois, les jeunes choisissent la voie de l'apprentissage en raison de la rémunération qui leur est offerte. La question de l'aide à destination des jeunes en lycée professionnel va donc se poser. Sur le plan de l'articulation entre formation professionnelle et emploi, vous avez souligné que malgré les efforts qui ont été accomplis, le « I » de « RMI » est un échec. Il est possible d'entrer dans certains emplois, notamment les services à la personne, par le biais des parcours d'insertion, mais ces emplois ne bénéficient que de très peu de parcours de professionnalisation.

Troisièmement, et il s'agit davantage d'une réflexion que d'une question, je suis convaincue de la nécessité de réunir l'ensemble des acteurs des régions. L'articulation complémentaire des services de l'État, des régions et des conseils généraux avec les branches professionnelles doit être renforcée. L'accord national interprofessionnel a rendu possible d'importants progrès et nous nous trouvons à un moment où la situation peut véritablement évoluer, mais nous avons besoin les uns des autres.

Mme Annie David - Monsieur le ministre, vous avez indiqué que le DIF a fait l'objet d'un très large accord au Parlement. Mon groupe politique a voté le DIF. Toutefois, j'estime qu'il doit être perfectionné et je souhaite vous suggérer une piste d'amélioration. Dans la mesure où il est calculé au prorata du temps travaillé, le DIF est très discriminant, notamment pour les femmes qui travaillent à temps partiel subi. Vous avez rappelé que le DIF représente vingt heures annuelles cumulables sur six ans, soit un total de 120 heures, ce qui me semble insuffisant pour engager une formation professionnelle d'envergure. Les femmes qui travaillent à temps partiel subi ne bénéficieront pas de ces vingt heures par an, puisque que le DIF est calculé au prorata du temps travaillé. Pour toucher un complément de salaire, travailler à temps plein et bénéficier d'un DIF à taux plein, ces femmes n'ont pas d'autre choix que de trouver un autre travail dans une entreprise différente. C'est pourquoi je considère que le DIF est discriminant pour les femmes et les travailleurs handicapés déclarés à la COTOREP, qui eux aussi travaillent à temps partiel et représentent un public fragile au sein de l'entreprise. Ils mériteraient d'être soutenus et de bénéficier d'un droit complet à la formation. Je considère certes le DIF comme un droit nouveau et un acquis intéressant, mais je le juge toutefois discriminant.

Monsieur le ministre, vous avez rappelé la nécessité de placer l'homme, et non les structures, au centre du dispositif de formation professionnelle. Je suis tout à fait en accord avec vous sur ce point, comme sur la nécessité de concevoir la formation professionnelle comme un investissement et non comme un coût. Sur ce point, je considère que toutes les structures doivent être traitées de la même façon. Nous assistons aujourd'hui à la multiplication de prestataires de toute sorte, proposant diverses formations qui ne font pas systématiquement l'objet d'une évaluation. Nous ne connaissons pas le bénéfice réel que les salariés retirent de ces formations. A tout le moins, certaines de nos officines publiques permettaient-elles un meilleur contrôle du contenu des formations ? C'est en ce sens que j'affirme que si nous voulons placer l'homme au centre du dispositif de formation, toutes les structures de formation doivent être traitées de la même manière.

Vous avez également évoqué la mise en place de bilans de compétences. Cette mesure revêt un intérêt certain, mais qui réalisera ces bilans de compétences ? J'ai précédemment évoqué l'exemple malheureux de salariés seniors, âgés de plus de cinquante ans après avoir travaillé plus de trente ans au sein d'une même entreprise, qui ont été mis à la porte sans jouir d'aucune possibilité de formation, suite à un bilan de compétences qui établissait que ces salariés n'étaient pas au niveau requis. C'est pourquoi je demande en quoi consisteront les bilans de compétences, qui les réalisera et qui en sera le donneur d'ordre. Comme vous le savez, en fonction de l'orientation d'un bilan de compétences, il est possible de tirer des conclusions arbitraires et injustifiées. C'est pourquoi j'invite à la vigilance sur la manière dont ces bilans de compétences seront réalisés.

Vous avez également souligné l'inégalité des formations, notamment en fonction des différents territoires. Vous avez fait référence aux jeunes des quartiers et aux 17 % de jeunes en grande difficulté scolaire mis en lumière à l'occasion de la journée d'appel à la préparation de la défense. Pour ma part, je souhaite également attirer l'attention sur certains jeunes ruraux. Nos campagnes souffrent parfois d'un manque de structures scolaires. Ces inégalités territoriales mettent certains jeunes en difficulté. Nous devons donc étudier les moyens de mieux répartir les formations sur l'ensemble du territoire.

M. Gérard Larcher, ministre - La Commission nationale de la négociation collective mène actuellement, avec Mme Catherine Vautrin et moi-même, une réflexion sur le temps partiel, qui n'est pas toujours subi. Nous ne devons pas nous forger une vision caricaturale de ce sujet. Les structures d'accompagnement de la petite enfance constituent une des forces de la France par rapport à d'autres pays européens, force qui s'exprime à travers notre démographie. Nous ne devons pas concevoir le temps partiel comme une prison. Par ailleurs, nous devons permettre aux personnes travaillant à temps partiel - subi ou non - d'accéder à la formation. Le temps partiel peut être un choix lié à des situations personnelles telles que la naissance d'un enfant ou l'accompagnement d'un proche malade. Par ailleurs, je rappelle que certaines branches ont négocié un droit à la formation égal pour tous. Il appartient aux partenaires sociaux de construire le DIF. Je tiens en effet à rappeler que le DIF est une construction des partenaires sociaux.

S'agissant des prestataires, j'ai souhaité que la formation fasse l'objet de contrôles. En 2006, nous avons effectué 2 009 contrôles. Ces contrôles sont analogues à ceux de l'inspection du travail et de la lutte contre le travail illégal. Nous avons contrôlé 100 bilans de compétences d'organismes de formation tels que les OPCA et les OCTA. Nous avons augmenté le nombre de contrôles et nous travaillons au renforcement de la structure de contrôle. Ces contrôles ont également pour objet de mettre en lumière les bonnes et les mauvaises pratiques et d'engager la préparation d'une charte, dont mes successeurs seront en charge. Il est en effet nécessaire d'établir des rapports de confiance.

Pour revenir aux questions de Mme le rapporteur, je signale que ce sont d'abord les petites entreprises qui ont recours à l'alternance : 4 % de leurs salariés sont en alternance, alors que cette proportion est de 0,5 % dans les grandes entreprises. Au printemps, un dispositif du texte relatif à l'égalité des chances a fixé aux entreprises des objectifs en termes de taux de salariés en alternance. Aujourd'hui, certaines entreprises recrutent des acteurs en ressources humaines pour atteindre ces objectifs. Avec les entreprises de plus de 250 salariés, nous pourrions atteindre 155 000 salariés en alternance supplémentaires. J'ai fêté les dix ans de la charte de l'alternance développée au sein d'Air France. La comparaison de nos propres règles avec celles de la DGAC indique que nous devrons faire preuve de souplesse. Il serait donc opportun que vous vous penchiez sur la nécessaire adaptation des formations, qui ne peuvent être seulement définies en termes de durée. La formation peut en effet se produire sous forme de séquences.

Les observatoires des branches permettront de mesurer l'engagement des entreprises. L'AGEFOS-PME s'engage fortement sur les sujets de la formation tout au long de la vie, de la formation professionnelle et de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. C'est un des résultats de la loi de janvier 2005. Grâce aux dispositions sociales qui ont été votées, en termes de coût social, il n'est pas moins intéressant de procéder à une gestion prévisionnelle des compétences que d'avoir recours à un plan de sauvegarde de l'emploi. La GPEC est un outil essentiel, qui n'est pas un simple outil de restructuration. J'ai demandé aux directeurs départementaux de l'emploi d'accompagner la GPEC au sein des entreprises.

S'agissant de votre question sur la rémunération en apprentissage et les lycées professionnels, je rappelle que l'apprentissage repose sur un contrat de travail. Les branches sont libres de fixer la rémunération de ce contrat au-delà des minima, comme l'a fait le secteur du bâtiment. Nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur les lycées professionnels. Le pôle de cohésion sociale a décloisonné la situation et nous devons maintenant dresser un véritable bilan des lycées professionnels. Les taux d'entrée dans l'emploi durable à la sortie du lycée professionnel et à la sortie de l'apprentissage sont totalement différents. Notre objectif est l'insertion dans l'emploi, mais aussi l'insertion humaine par l'emploi. Nous devons dépasser tout clivage de nature idéologique. Nous ne devons pas limiter nos efforts au DIF et au contrat de professionnalisation, car la formation tout au long de la vie n'est que le prolongement de la formation initiale.

Les services à la personne réalisent leurs premiers pas. Nous menons des négociations, nous devons créer une véritable filière, de véritables formations, ainsi que des conventions collectives. Aujourd'hui, il n'existe qu'une addition de conventions et nous devons opérer un choix entre la création d'une convention unique et l'ajout des services à la personne au sein des conventions existantes. Les partenaires sociaux, à qui il revient de faire ce choix, étudient cette question. Nous sommes à leur écoute et les appuyons. Nous devons créer de véritables perspectives de carrière dans les services à la personne et mettre en place des formations. De même, nous devons également faire de la formation professionnelle une grande voie de formation, qui soit reconnue et non conçue comme une alternative à un échec dans la voie académique.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci monsieur le ministre. Notre ambition est bien d'aborder les questions de la formation professionnelle et de la formation initiale, l'une étant consécutive à l'autre.

M. Gérard Larcher, ministre - Je vous invite également à vous préoccuper des seniors. Dans le cadre du plan senior, nous allons devoir transformer les mentalités et faire face à une période quelque peu délicate.

Mme Isabelle Debré -Nous portons une part de responsabilité dans les échecs qui affectent la transition entre la formation initiale et la formation professionnelle. En effet, le baccalauréat professionnel est fortement déconsidéré. Nous devons donc transformer les mentalités et la perception de tout un chacun.

Sur le plan de la transparence, tant en termes de financement que d'objectifs, je m'inquiète de la multiplication des OPCA. Il me paraît par exemple anormal qu'une société ayant commandé un stage pour dix personnes, une seule personne se présente, et que nous payions tout de même pour les neuf absents. Nous devons nous pencher sur cette question et sur l'argent qui est en jeu.

M. Jacques Legendre - Monsieur le ministre, chers collègues, j'ai le sentiment que la situation est pour le moins confuse. Je constate la persistance de problèmes qui ne me semblent pas avoir trouvé de solution depuis une trentaine d'années. Or, il y a trente ans, j'étais secrétaire d'État à la formation professionnelle. Bien entendu, depuis, la situation a changé, mais fondamentalement, j'ai le sentiment que nous sommes encore dans les années quatre-vingt. A cette époque, j'ai été chargé de mettre en oeuvre un plan de développement de la formation professionnelle, qui intégrait la formation initiale et la formation continue. Le président de la République avait à l'époque fixé pour objectif à ce plan de faire en sorte qu'aucun jeune ne sorte du système de première formation sans posséder les connaissances suffisantes ni avoir reçu une qualification professionnelle attestée et un début d'expérience professionnelle. A l'époque, nous estimions à 120 000 le nombre de jeunes ne répondant pas à ces caractéristiques. Les chiffres sur lesquels nous débattons aujourd'hui ne sont guère éloignés de ce noyau dur, alors même que les efforts financiers de l'État et des gouvernements successifs ont été fortement accrus. Nous nous heurtons à un problème qui appelle de notre part une mobilisation sur des objectifs précis.

Nous venons de nous interroger sur les objectifs qui sont ceux de la formation professionnelle. A ce sujet, je vous rappelle qu'en 1977, le ministre de l'éducation nationale était issu du monde de l'entreprise. Il s'agissait de Christian Bellac, qui avait été secrétaire général de la Régie Renault. Ses vues sur les objectifs de la formation étaient très claires. Il souhaitait que la formation apporte son concours à la lutte pour l'emploi. Il avait compris que pour un jeune, rien n'est plus étonnant ou plus difficile à vivre que de posséder une qualification, attestée par un CAP, un BEP ou un autre diplôme, et de ne pas être embauché au motif qu'il n'a pas d'expérience professionnelle. C'est de ce constat qu'est issue la grande idée de l'alternance, dont la première loi a été votée en 1980. L'alternance se pratiquait sous statut scolaire et dans le cadre d'un contrat de travail d'un type particulier, qui modernisait l'apprentissage. Cette participation à la lutte pour l'emploi s'est heurtée à une difficulté. En effet, comme nous le constatons encore aujourd'hui, l'appareil de formation évolue toujours plus lentement que les besoins d'emploi. L'appareil de formation doit donc être constamment réactualisé. A l'époque, nous avons donc mis en place le schéma régional de la formation professionnelle. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que nous ne parvenons pas à le faire vivre et à l'animer.

Monsieur le ministre, je souhaite formuler quelques remarques. Mon expérience me conduit à me demander si, en premier lieu, la formation professionnelle ne doit pas faire l'objet d'une politique interministérielle. A l'époque, j'étais parvenu à obtenir que notre mission soit rattachée directement au Premier ministre et j'en avais retiré quelques avantages. Il existe de grands empires, et vous régnez sur l'un d'eux, à savoir le ministère du travail. L'éducation nationale est un autre de ces empires. Nous ne pouvons les faire collaborer que si le Premier ministre en exprime très clairement la volonté. De telles démarches dépendent des hommes, mais les institutions sont ce qu'elles sont, et n'ont sans doute pas fondamentalement évolué depuis les années quatre-vingt. Cette question est capitale quant à la déclinaison de la politique de formation dans les régions et les départements. Si le préfet n'a pas la possibilité de faire travailler le recteur et le directeur départemental de concert, nous continuerons à disperser nos efforts. Quant au problème de l'actualisation du schéma de la formation professionnelle, il n'est rien de pire que de continuer à dispenser des formations dans des domaines qui n'offrent plus aucun débouché. Je souhaite recueillir votre sentiment sur les questions de l'interministérialité et d'une gestion permettant de mobiliser l'ensemble des acteurs. Comment faire en sorte que l'appareil de formation ne fige pas la situation et ne génère pas des groupes de personnes qui ne trouveront aucun débouché ? Nous devons certes tenir compte des formateurs, mais il existe des priorités plus fondamentales en matière de formation.

Dans les années quatre-vingt, nous évoquions déjà le problème de l'opacité du financement de la formation professionnelle et des fonds de formation qui étaient en réalité consacrés à autre chose qu'à la formation. Nous devons donc prendre les mesures qui s'imposent.

M. Alain Gournac - Monsieur le ministre, cet après-midi d'auditions nous a permis de prendre connaissance d'un grand nombre d'informations. Je m'inquiète de la prééminence des facteurs quantitatifs, notamment lorsque les entreprises ne réalisent un effort de formation que dans le but d'améliorer leur bilan social, et non dans le but de faire progresser les hommes. Je suis convaincu que nous devrions adopter une perspective qualitative. C'est pourquoi j'ai été heureux d'apprendre l'existence d'évaluations consécutives aux mises en concurrence des organismes.

Je souhaite revenir sur le sujet de l'efficacité des formations. Vous avez rappelé que le DIF représente vingt heures annuelles, cumulables sur six ans. Je tiens à signaler que la durée moyenne d'une formation, qui était auparavant de soixante-deux heures, est aujourd'hui de trente heures. La durée moyenne d'une formation a donc fortement diminué. Parmi les sujets qui ont été évoqués cet après-midi, j'ai été très frappé du constat selon lequel au cours d'une vie, nous n'exercerons plus seulement un seul métier ni ne travaillerons au sein d'une seule entreprise. Ce paramètre doit impérativement être pris en compte dans le système de formation. Je crois beaucoup en la formation diplômante et qualifiante. Je crois que, grâce à la formation, nous pouvons faire évoluer l'homme au sein de la société et de l'entreprise.

Ne devrions-nous pas fixer des priorités dans la façon dont nous utilisons les 24 milliards d'euros consacrés à la formation ? Je me préoccupe du développement de l'homme, et je pense qu'il est nécessaire d'évaluer les formations pour permettre aux hommes d'évoluer.

M. Auguste Cazalet - Le constat suivant m'afflige : chaque année, des jeunes ont besoin d'effectuer un stage de deux semaines en entreprise, et ils rencontrent de grandes difficultés pour satisfaire à cette obligation. Ne peut-on pas obliger les entreprises à accueillir les jeunes qui doivent effectuer un stage dans le cadre de leur scolarité ? Certains jeunes se désespèrent de ces difficultés, et ne savent ni comment faire ni à qui s'adresser.

M. Jean-Claude Carle, président - Monsieur le ministre, compte tenu de l'horaire que nous nous sommes fixé et de l'importance des questions qui ont été posées, je vous propose que nous reportions à une prochaine audition la question du financement et de la collecte, posée par Mme Isabelle Debré. Il s'agit d'un problème capital, qui requiert que nous lui consacrions du temps. Si vous en êtes d'accord, nous vous inviterons à nouveau pour aborder ce problème qui mérite plus que quelques minutes de discussion.

M. Gérard Larcher, ministre - Je reviendrai volontiers si vous m'invitez à nouveau.

S'agissant des interrogations formulées par Mme Isabelle Debré, je rappelle que la question du financement concerne également les partenaires sociaux. Je souhaite rappeler un chiffre : avant 1995, il existait 250 OPCA pour 320 branches ; aujourd'hui, il n'en existe plus que 100. Nous devons donc nous poser la question du périmètre. Il s'agit d'une question importante sur laquelle nous devrons nous pencher à nouveau.

La question posée par M. Jacques Legendre est très importante : existe-t-il une adéquation entre formation et emploi ? Existe-t-il une véritable adéquation entre les formations proposées et les réalités présentes et futures des bassins d'emploi concernés ? Les contrats de professionnalisation ont l'avantage de laisser le choix aux branches professionnelles, qui connaissent bien l'état des besoins. Dans le cadre de la crise des organismes de formation, nous avons perçu la nécessité de transformer certains programmes. Monsieur Jacques Legendre, la massification de l'éducation est un des facteurs qui ont rendu la situation actuelle différente de ce qu'elle était en 1977. Nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur la différence entre les chiffres qui prévalaient à l'époque où le président Giscard d'Estaing vous a confié votre mission et les chiffres actuels. En 1977, la massification de l'éducation commençait à peine.

M. Jacques Legendre - Ce n'est vrai que sur le plan de l'éducation supérieure, car dans le cadre de l'éducation secondaire, le collège unique existait déjà.

M. Gérard Larcher, ministre - Certes. Par ailleurs, concernant la question de l'interministérialité, la situation est satisfaisante. J'en veux pour preuve l'orientation des trois ministères, qui ne pose plus la moindre difficulté. Il existe un délégué interministériel, et les réunions de travail mensuelles qui rassemblent les ministres de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de l'emploi sont très satisfaisantes. Concernant la VAE, nous parvenons sans difficulté à mettre en oeuvre un véritablement décloisonnement. A l'heure actuelle, le décloisonnement et l'interministérialité ne posent plus de difficulté majeure. Les blocages sont rares. Il en va de même dans la manière dont nous gérons les dossiers de restructuration avec le ministère de l'industrie. Il existe des structures qui fonctionnent ensemble et se réunissent chaque semaine. Tous ces points représentent de grands progrès.

Par ailleurs, je partage les objectifs formulés par Mme Muguette Dini. Nous devons rapprocher, y compris sur le plan géographique, l'offre de formation et les besoins des entreprises du bassin d'emploi concerné.

Concernant la question de M. Alain Gournac comme je l'affirmais précédemment, nous devons placer l'homme au coeur du dispositif, et non les structures. Il s'agit d'un point essentiel dans la mesure où, en effet, nous serons amenés à changer de métier plusieurs fois au cours d'une vie. Les pays qui sauront développer et articuler la formation initiale et la formation continue sont ceux qui sauront relever les défis de la compétition mondiale, de la recherche et du développement. Cette ambition n'est pas un simple appendice de la stratégie de Lisbonne.

Pour répondre à la question de M. Auguste Cazalet, j'annonce que nous allons mettre en place une bourse des stages. Cette mission a été confiée à l'ANPE par le Premier ministre. Par ailleurs, au niveau local, l'éducation nationale doit s'adapter et notamment ne pas demander à tous les élèves de classes de troisième d'effectuer leur stage de découverte au même moment. Mon cabinet vétérinaire, qui comporte cinq vétérinaires, reçoit un nombre si élevé de demandes qu'il pourrait recevoir une centaine de stagiaires en une année. Si tous les stages doivent se dérouler sur un mois, la situation est très difficile, car les stages d'observation doivent s'effectuer dans des conditions précises de sécurité et d'accompagnement. Nous mettons donc en place une bourse des stages, qui sera accessible sur Internet. J'espère qu'elle sera opérationnelle à la fin du semestre pour répondre aux besoins des jeunes. La question de la bourse des stages est très importante pour les secteurs qui ne disposent ni d'une grande activité de services, ni d'une grande activité industrielle. Moins un secteur comporte de telles activités, plus il est difficile pour un jeune de trouver un stage. Je pense notamment au secteur rural, présentant un faible taux d'activité hors activité agricole, et aux quartiers.

Monsieur le président, madame le rapporteur, je reste à votre disposition. Si cela peut vous être utile, mes services vous adresseront un certain nombre de fiches récapitulant nos observations. Je tiens par ailleurs à rappeler que la formation professionnelle est un sujet partagé entre les partenaires sociaux, les régions et l'État. C'est seulement dans une conception partenariale que nous pourrons faire progresser ce sujet.

M. Jean-Claude Carle, président - Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Audition de M. Dominique BALMARY, président, et Mme Françoise AMAT, secrétaire générale, du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) (14 février 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Je souhaite remercier en votre nom à tous M. Dominique Balmary et Mme Françoise Amat, membres du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV). Ces interlocuteurs précieux assurent une mission étendue portant sur des points fondamentaux et cruciaux. Ils favorisent, en particulier, la concertation entre les différents acteurs de la formation professionnelle, en liaison avec les comités de coordination régionaux pour l'emploi et la formation professionnelle. Ils rendent également des avis sur la législation actuellement en vigueur et évaluent les politiques régionales d'apprentissage et de formation professionnelle continue. Le CNFPTLV transmet un rapport annuel d'évaluation au Parlement sur l'utilisation des ressources financières affectées à la formation professionnelle tout au long de la vie et à l'apprentissage, en assurant un contrôle régulier de l'usage de ces fonds.

Nous sommes aujourd'hui à la troisième série d'auditions. Les premières auditions réalisées nous ont donné le sentiment que la politique de formation professionnelle en France pose un certain nombre de problèmes. Deux difficultés particulières, en lien avec la compétence du CNFPTLV, ressortent : la dilution de la gouvernance et l'insuffisance de l'évaluation. Nous souhaitons donc vous écouter sur ces deux points. Néanmoins, vous avez la possibilité d'aborder les sujets que vous désirez. Vous pourrez, à la suite de notre entretien, nous remettre un rapport complémentaire, sachant que nous pensons transmettre les conclusions de notre mission au cours de la première quinzaine du mois de juillet 2007.

M. Dominique Balmary - Mme Françoise Amat et moi-même sommes heureux de venir devant votre mission pour parler d'un sujet qui nous tient à coeur. Avant de répondre aux deux questions importantes soulevées, je souhaite revenir sur le rôle du CNFPTLV. Ce Conseil national n'est pas un acteur de la formation professionnelle, comme vous l'avez souligné en évoquant ses missions, mais un observateur de ce domaine. Ce conseil est récent. Il fonctionne efficacement depuis la fin de l'année 2005. Il a succédé à des précédents conseils travaillant sur ce thème. Néanmoins, il n'a ni les mêmes missions ni la même composition que ces prédécesseurs.

Notre point de vue provient des éléments rapportés par les membres de notre conseil. Ce Conseil national est composé des représentants des différents ministères concernés par la formation professionnelle, des représentants de l'ensemble des conseils régionaux, des partenaires sociaux, des organismes consulaires, des parlementaires, dont Mme Printz ici présente, ainsi que des organismes intéressés par la formation professionnelle. Nous donnons un avis sur les textes préparés par le gouvernement. Nous sommes chargés de l'évaluation de l'ensemble des politiques de formation conduites dans les régions, c'est-à-dire non seulement celles réalisées par les conseils régionaux mais également la totalité des dispositifs de formation professionnelle issus des partenaires sociaux.

Notre mission relative aux comptes tente d'assurer la transparence de ce système qui n'est pas aisé à pénétrer et s'avère souvent complexe et obscur. Nous devons remettre un rapport triennal au Parlement. Nous offrons une vision panoramique et kaléidoscopique des réalités de la formation professionnelle. Je remarque que c'est la troisième fois, à l'initiative du Parlement, qu'est organisée une commission des comptes. Ce qui est le signe de la difficulté rencontrée pour appréhender le financement de la formation professionnelle.

Sur les deux sujets majeurs que vous évoquez, celui de la gouvernance, de la dispersion des responsabilités et celui de l'insuffisance de l'évaluation, je tiens à souligner que ces deux questions sont étroitement liées. Les réformes intervenues en matière de formation professionnelle tout au long de la vie depuis l'accord national interprofessionnel du 5 décembre 2003, c'est-à-dire les lois du 4 mai 2004 et du 13 août 2004, ont profondément modifié le paysage dans lequel se construisent aujourd'hui les politiques de formation professionnelle.

Le premier aspect positif majeur de ces deux réformes est la volonté manifeste de croiser les préoccupations en matière d'emploi et en matière de formation professionnelle. Cette volonté de mise en relation du marché de l'emploi et du secteur de la formation n'était pas absente des dispositifs antérieurs. Cependant, elle est aujourd'hui clairement affirmée par l'accord national interprofessionnel. La loi du 4 mai 2004 en a officialisé les objectifs fondamentaux et les principaux instruments. La sécurisation de l'emploi se situe au coeur du sujet.

Le deuxième point fort de ces réformes repose sur l'achèvement de la décentralisation dans le domaine de la formation professionnelle. Cette décentralisation est dirigée vers les branches professionnelles et naturellement les conseils régionaux. L'État ne conserve plus que des fonctions que je qualifierais de « régaliennes ». Les pouvoirs publics continuent à construire les textes, à contrôler leur application et occasionnellement à apporter des financements complémentaires pour orienter l'action des décideurs vers des objectifs voulus par l'État. Mais l'essentiel des décisions est aujourd'hui entre les mains des conseils régionaux et des partenaires sociaux des branches professionnelles.

Néanmoins, ces deux points forts des réformes laissent subsister des insuffisances. Elles peuvent être provisoires car le système se construit progressivement, au fur et à mesure de l'action.

Nous sommes devant un paysage extrêmement éclaté sur le plan décisionnel.

En effet, si les textes expriment le désir que les partenaires sociaux et les conseils régionaux soient les principaux décideurs dans ce domaine, les circuits de financement, et surtout les financeurs, restent fourmillants et éclatés. Leur coordination et leur mise en cohérence n'ont pour l'instant pas atteint le niveau de stabilité souhaité. Outre les conseils régionaux et la contribution obligatoire des entreprises gérées par les branches professionnelles ou interprofessionnelles à travers des organismes collecteurs, nous trouvons parmi les financeurs l'État, le régime d'assurance-chômage, des financeurs privés, des financeurs européens, les conseils généraux, et même parfois les communes. La cohérence de l'ensemble n'est pas déterminée par les textes. Le pivot de cet ensemble de financeurs reste à trouver et pourrait se situer au niveau régional.

Cet éclatement des responsabilités, que nous espérons momentané, peut entraîner deux conséquences délicates sur l'avenir de la formation professionnelle dont nous devons nous prémunir. Il s'agit de préserver et d'accroître la cohérence du système et d'éviter un éclatement des responsabilités et des financements pouvant conduire à un localisme excessif. Les régions se sont saisies avec vigueur et dynamisme des questions de formation professionnelle. Aujourd'hui, la formation professionnelle s'élève quasiment à la deuxième place dans les budgets des régions, avec une augmentation de l'ordre de 20 % entre les années 2005 et 2006, puis de 17 % entre 2006, et les budgets en cours d'élaboration pour 2007. Cette appropriation très nette de la part des conseils régionaux de leurs responsabilités nouvellement étendues dans le domaine de la formation professionnelle ne doit pas les entraîner vers un enfermement à l'intérieur de leurs frontières, car il subsiste de fortes inégalités selon les régions. Certaines sont bien équipées, d'autres connaissent des déficits en matière de dispositifs de formation professionnelle. L'égalité d'accès à la formation professionnelle présente un visage géographique contrasté auquel nous devons prêter attention.

Les régions doivent travailler avec les professionnels et les partenaires sociaux. Une coordination plus large dans le domaine des stratégies comme dans celui des financements apparaît souhaitable. En effet, les partenaires sociaux risquent d'être tentés par un autre excès, celui du corporatisme. Lorsque la Cour des comptes fait état de l'éclatement des financements à travers les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), elle confirme ce risque de corporatisme par enfermement du financement de la formation professionnelle. Aujourd'hui pourtant, l'emploi se développe dans des métiers qui sont de plus en plus transversaux. Le marché de l'emploi appelle une fluidité des métiers et des qualifications. Par conséquent, l'organisation de la formation professionnelle doit aller dans le sens de la transversalité. Il appartient aux pouvoirs publics et au Conseil national, que j'ai l'honneur de présider, de veiller à limiter cet éclatement des responsabilités aux conséquences néfastes pour l'emploi et pour l'emploi des fonds.

Cette dilution des responsabilités n'est pas sans incidence sur l'évaluation, deuxième aspect que vous souhaitez aborder. La question de l'évaluation comporte plusieurs facettes. La première difficulté que nous rencontrons porte sur la conception même d'une évaluation homogène des politiques de formation professionnelle, alors que les responsabilités sont réparties entre l'ensemble des protagonistes. Les politiques de formation sont étanches les unes par rapport aux autres. Elles peuvent être menées par les branches professionnelles, les conseils régionaux ou même par l'État. Notre commission d'évaluation a commencé à travailler sur le sujet et s'atèle maintenant à déterminer les critères de l'évaluation. La question qui se pose, et qui n'est toujours pas tranchée, est de savoir ce qu'il faut évaluer. L'ancêtre du Conseil national, le comité de coordination des programmes régionaux en matière d'apprentissage, avait entamé cet exercice d'évaluation des politiques de formation conduites par les régions. A la suite de sa dissolution, ce travail est resté en suspens pendant une bonne année, jusqu'à ce que le nouveau conseil reprenne cette mission.

Devons-nous évaluer l'efficacité économique de la formation professionnelle ? Je fais ici référence à un rapport récent qui a fait couler beaucoup d'encre. L'aspect économique est une façon d'aborder ce sujet, mais ce n'est pas la seule pertinente. Faut-il considérer la formation au regard de la fluidité, non seulement économique mais également sociale et sociétale, qu'elle peut procurer ? En d'autres termes, la formation professionnelle contribue-t-elle à rétablir un ascenseur social qui parfois peut paraître en panne au sein de notre société ? La formation professionnelle est-elle un signal de la vigueur de la politique contractuelle et de la régulation sociale dans ce pays ? Doit-on évaluer la formation professionnelle au regard de la qualité de l'offre de formation et de la façon dont l'offre de formation réagit aux impulsions du marché, notamment du marché de l'emploi ?

Ainsi, les axes possibles pour aborder la question de l'évaluation sont multiples. Mais nous constatons que, sur cet aspect, la loi est assez muette. Elle ne fournit pas d'orientations précises sur ce que la nation attend de la formation professionnelle. Il existe certes de grandes orientations générales sur l'insertion professionnelle des jeunes ou le rattrapage social et économique engendré par les restructurations. Cependant, ces lignes directrices demeurent vastes et ne définissent pas de critères convenables et précis, à la fois politiques et techniques, permettant de conduire une évaluation.

Le Conseil national est donc là pour dégager ces critères, en substitut d'une responsabilité qui me semble devoir appartenir d'abord aux pouvoirs publics qui ont fait preuve d'une certaine timidité dans la définition des objectifs. La formation professionnelle peut servir à beaucoup de choses, et notamment à dépenser de l'argent sans efficacité en retour, faute de ne pas avoir informé clairement les opérateurs sur ce que nous attendons d'eux. Nous sommes confrontés de manière vivace à cette question au sein de notre Conseil national. Je m'attends à quelques difficultés, plus que diplomatiques, entre les différents intérêts qui sont représentés lorsque nous devrons définir les critères à partir desquels nous allons procéder aux évaluations qui nous sont demandées.

Les sujets de la gouvernance et de l'évaluation sont fortement liés l'un à l'autre. Un des éléments de la gouvernance est précisément la détermination d'objectifs suffisamment précis pour qu'ils puissent être pris en compte par les opérateurs et ensuite faire l'objet d'évaluations scientifiquement satisfaisantes. Le dispositif manque d'instances de régulation. Le Conseil national cherche à jouer ce rôle dans la mesure de ses moyens. Cependant, son rôle demeure consultatif. Il assure des échanges d'informations, de préoccupations et de réflexions. Le conseil a montré son efficacité dernièrement en se saisissant du sujet de la validation des acquis de l'expérience (VAE) et de la recherche des points de passages obligés de son développement. La VAE est une des nouveautés les plus intéressantes de ces dernières années en matière de formation professionnelle. Les ambitions légitimes qui y étaient placées méritaient que nous nous interrogions sur le chemin critique qu'il fallait poursuivre. Un rapport préparé par un groupe de travail du conseil a été remis à l'ensemble des acteurs concernés, en premier lieu aux pouvoirs publics, pour éclairer les orientations à suivre dans le but de développer au mieux la VAE.

Concernant l'évaluation, nous souhaitons procéder de la même manière. Cependant, nous rencontrons une difficulté, plus technique mais néanmoins réelle, celle de l'insuffisance de la connaissance dans le domaine de la formation professionnelle continue. Certes, des chiffres existent, mais souvent issus d'analyses budgétaires. Ces indications financières ne constituent pas un angle d'attaque suffisant pour une évaluation scientifique. Nous nous apercevons que l'appareil de connaissance demeure déficient. Par exemple, une bonne partie de l'information disponible est issue des déclarations des entreprises sur l'usage qu'elles font ou non de l'obligation de contribuer à hauteur de 1,6 % de leurs salaires au développement de la formation continue. Ce document 24.83, mis en place en 1971, impose aux entreprises de rendre compte aux pouvoirs publics, comme à l'ensemble du pays, de leurs actions dans ce domaine. Cet exercice est un exercice de consolidation nationale. Aucune régionalisation, aucune considération de branche professionnelle, ne peut sortir de la synthèse de l'ensemble de ces déclarations. Or, les régions sont également appelées par la loi à effectuer des exercices d'évaluation régionale. Elles nous disent régulièrement qu'elles ne sont pas en mesure d'assurer cette mission faute de données suffisantes.

Notre commission d'évaluation, pour sa première année de fonctionnement, a beaucoup travaillé sur cette question de la constitution du bloc de connaissances nécessaires pour procéder à une évaluation qui soit la plus complète et aussi incontestable que possible. Nous disposons d'un comité scientifique qui atteste de la véracité des chiffres afin de permettre un consensus capital entre les différents acteurs de la formation. Dans les mois qui viennent, nous allons publier nos premiers travaux. Nous ne pouvons malheureusement pas réaliser chaque année cet examen total de l'ensemble des questions de financement de la formation professionnelle, comme la loi le prévoit. La loi s'avère trop ambitieuse au regard des contraintes techniques et diplomatiques que nous avons à gérer.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie, monsieur le président, de cet exposé très clair. Je donne la parole à notre rapporteur.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Nous entendons souvent dire que la formation professionnelle est régie par la loi de l'économie de l'offre, que ce sont les flux financiers qui semblent la réguler. Partagez-vous cette analyse un peu rapide mais qui peut être très significative ?

Vous êtes chargé d'évaluer les politiques régionales. Vous avez d'ailleurs largement évoqué cette mission du conseil et les difficultés que vous rencontrez faute d'une définition claire des stratégies et de la hiérarchie des objectifs. Le conseil apparaît-il comme un bon espace de concertation entre les acteurs et les partenaires de la formation professionnelle ? J'ai senti dans vos propos une certaine inquiétude liée à des problèmes qui peuvent surgir au sein de votre conseil, et face auxquels vous vous sentez un peu désarmé pour aborder la concertation dans ce cadre. Comment la concertation qui existe aujourd'hui est-elle vécue ?

Le rapport du conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), en évoquant les 310 000 personnes qui sortent de l'enseignement scolaire et supérieur sans qualification, suggère d'orienter la formation professionnelle vers une priorité qui serait le rattrapage par rapport aux insuffisances de la formation initiale. Quelle est votre position par rapport à cette proposition ?

Si vous aviez à dresser une liste des coordinations indispensables au regard des insuffisances actuelles entre les acteurs publics et privés, quelles priorités préconiseriez-vous ? En particulier, pensez-vous que l'échelon régional soit le bon niveau pour assurer cette coordination ?

M. Dominique Balmary - Il est assez difficile de répondre à la question concernant la régulation de l'offre par les flux financiers. Dans la période passée, il me semble que l'ensemble des systèmes de formation a été guidé par l'offre de formation. L'élément qui m'incite à tenir ce discours est la difficulté, jusqu'à une période récente, que rencontraient les offreurs de formations à personnaliser et modulariser, sur les plans technique et pédagogique, les formations qu'ils dispensaient. Nous avons pu le constater pour les anciens contrats de qualification et pour d'autres dispositifs de formation. Ce constat est global et mérite d'être nuancé selon les secteurs de formation et les types d'organismes de formation. Mais le contenu et les modalités de l'offre de formation ont constitué l'élément dominant sur le marché plutôt que la demande. L'intérêt de la thèse du pilotage par les flux financiers, défendue par certains, n'est pas totalement démontré. Néanmoins, l'idée est à creuser, mais elle pose tout de suite la question du principe même de l'obligation financière qui est faite aux entreprises de contribuer à la formation professionnelle. Ce vaste sujet de l'orientation par les flux financiers ne peut pas être traité sans se poser la question du principe même de cette obligation.

Cela m'amène à répondre à la question concernant les priorités, en particulier la priorité à l'égard des jeunes arrivant sur le marché de l'emploi sans qualification reconnue. J'estime, pour ma part, que le régime financier de la formation professionnelle n'est pas suffisamment priorisé. Si des objectifs précis étaient assignés au système de formation professionnelle, il faudrait en tirer des conséquences sur les obligations de financement. Nous pouvons nous demander, par exemple, s'il est justifié d'imposer aux entreprises aujourd'hui, qui sont déjà, sur le plan juridique, astreintes au devoir d'adaptation des qualifications de leur main-d'oeuvre, de dépenser en plus 0,9 % de leurs salaires en direction de l'entretien des connaissances de leur personnel. Cette contrainte juridique, vécue généralement par les employeurs comme une taxe fiscale supplémentaire, pourrait aussi être vue comme une nécessité d'investissement et non comme une contrainte juridique.

Parmi les priorités à définir dans le domaine de la formation professionnelle, nous pourrions assigner aux obligations financières des objectifs beaucoup plus précis. Il existe des conférences périodiques de la famille ou des transports. Il pourrait se mettre en place, sur le même modèle, une conférence de la formation professionnelle, réunissant, de façon par exemple triennale, l'ensemble des acteurs, pouvoirs publics compris. Cette conférence définirait les priorités, les orientations et les modalités financières propres à remplir les objectifs fixés.

Concernant la concertation, les hypothèses que j'ai évoquées précédemment portent sur des risques extrêmes. La constitution de ce Conseil national de la formation professionnelle, installé par M. Gérard Larcher en avril 2005, ne s'est pas passée sans difficulté. Avec une composition aussi riche et diverse, les oppositions d'intérêts, tout à fait légitimes sur le plan des idées, les responsabilités des uns et des autres, les questions financières, ont pesé un poids déterminant et entraîné une lourdeur dans la mise en place du conseil. Il nous a fallu du temps pour nous accorder sur un règlement intérieur. Mais aujourd'hui, les commissions sont constituées, le conseil travaille.

Maintenant, nous devons élaborer un langage commun dans ce domaine techniquement compliqué, financièrement lourd et politiquement délicat et sensible. Les choses avancent. Lors de notre première autosaisine sur la validation des acquis de l'expérience, que j'ai évoquée précédemment, les recommandations, après de nombreux débats, ont été votées à l'unanimité. Nous avons discuté récemment d'un sujet délicat pour les régions, celui de la décentralisation dans le domaine sanitaire et social. Le débat s'est déroulé sereinement et de façon très concrète. Nous lançons un groupe de travail sur la sécurisation des parcours professionnels vue sous l'angle de la formation professionnelle. Notre méthode de travail consiste toujours à partir des réalisations concrètes, observées sur le terrain, en recueillant les expériences et les difficultés les plus fécondes. Nous refusons les méthodes technocratiques partant de grands principes abstraits. Le mandat de ce groupe de travail est de rechercher tous les éléments en matière de formation qui permettent de converger vers une sécurisation des parcours professionnels. J'ai le sentiment que le Conseil national a trouvé son équilibre et qu'il est maintenant un bon espace de concertation.

Notre priorité fondamentale se situe dans l'articulation entre les branches et les régions. Cet aspect constitue le point crucial des réformes de la formation professionnelle. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés, le Parlement le sait bien, est que les deux grands textes législatifs, la loi du 4 mai 2004 et celle du 13 août 2004 conçues de façon intéressante, ne sont pas sécants. La loi du 4 mai 2004 représente au fond la mise en forme législative de l'accord entre les partenaires sociaux du 5 décembre 2003. La loi du 13 août 2004 porte sur la poursuite et le quasi achèvement de la décentralisation dans le domaine de la formation professionnelle. Ces deux blocs législatifs ne se recoupent pas. Le travail du Conseil national consiste à les rapprocher et faire en sorte qu'ils vivent ensemble. C'est pourquoi la question de la coordination entre les branches, encadrées par la loi du 4 mai 2004, et les régions, régies par la loi du 13 août 2004, reste la priorité des priorités du point de vue de la cohérence des responsabilités.

Mme Françoise Amat - La commission d'évaluation travaille en priorité sur l'articulation entre les branches et les régions. Nous étudions les politiques de branches et les politiques régionales par le biais des contrats d'objectifs territoriaux, outils mis en place en 1987. Ces contrats fonctionnent de manière plus ou moins satisfaisante selon les branches professionnelles et les régions. Nous allons les analyser afin de mettre en évidence les résultats tangibles.

Concernant le pilotage par l'offre, j'estime que les lois du 4 mai et du 13 août 2004 manifestent une volonté d'aller vers un pilotage par la demande. Les négociations de branches qui ont lieu maintenant tous les trois ans, au lieu de cinq ans auparavant, confirment cette tendance. 450 accords de branches ont été signés suite à la loi du 4 mai 2004. Cette définition des priorités est ensuite suivie d'une politique volontaire pour que les outils intermédiaires, les OPCA et les organismes de formation, aillent dans le sens des besoins des entreprises.

Au niveau des régions, le plan régional de développement de la formation professionnelle (PRDF) va dans le même sens en réunissant autour d'une même table l'ensemble des acteurs, y compris les ASSEDIC depuis la loi du 13 août 2004. Cette concertation permet de disposer d'une vision à plus long terme et de programmer la formation. Ces avancées demandent d'être en capacité de définir les besoins pour un avenir lointain. Pour répondre à cette exigence, les branches professionnelles ont mis en place des instruments d'anticipation. Cependant, ces observatoires ont tendance à travailler sur les coeurs de métier. Pourtant, ce sont les métiers transversaux qui doivent être au coeur de la réflexion. En outre, les régions disposent d'un autre instrument d'analyse, les observatoires régionaux emploi formation (OREF) qui existent depuis 1989 et ont en charge les questions de prospectives au niveau territorial. Face à tous ces outils de prévisions, les résultats risquent d'être parcellisés. Le Conseil national va organiser prochainement une réunion pour voir si les résultats des travaux qu'ils conduisent peuvent avoir des effets sur les politiques menées. Ce travail d'anticipation me paraît primordial pour assurer le pilotage par la demande.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Depuis le début des auditions que nous menons, nous constatons que les objectifs de la formation professionnelle ne sont pas suffisamment définis. Les travaux que vous conduisez vont-ils permettre d'émettre des suggestions quant aux objectifs généraux de la formation professionnelle ?

Comment réagissez-vous aux critiques de la Cour des comptes sur les pratiques des OPCA, qui aboutissent, d'une part, à maximiser leurs prélèvements sur les entreprises, d'autre part, à employer ces ressources de façon apparemment un peu laxiste ?

Seriez-vous disposé à préconiser l'adoption, aux articles pertinents du code du travail, d'une rédaction encadrant plus précisément les versements faits par le FONGEFOR au titre du paritarisme ?

M. Dominique Balmary - La question du FONGEFOR ne peut pas se traiter sans aborder le problème plus vaste du financement du paritarisme et des organisations syndicales. Les collectes de la formation continue et du FONGEFOR représentent effectivement une masse financière conséquente, plus de 1 % de la masse salariale. Le Conseil économique et social vient de rendre un avis sur le sujet de la représentativité, et le président de la section sociale du Conseil d'État a émis un certain nombre de préconisations. Je ne m'aventurerai pas sur ce sujet qui déborde le seul cadre de la formation professionnelle.

Concernant les objectifs insuffisamment définis de la formation, je ne suis pas certain que le Conseil national soit en mesure de définir ces objectifs. Ce conseil est consultatif. Il est placé auprès du ministre chargé de la formation professionnelle. Pour qu'il puisse définir des objectifs, il serait nécessaire de changer le statut du conseil de manière substantielle. Pourtant, ce conseil dispose d'une marge d'autonomie plus étendue que d'autres structures, car son président n'est pas le ministre, comme c'est le cas pour la Commission nationale de la négociation collective, le Comité supérieur de l'emploi et bien d'autres conseils ou commissions placés auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. Le président du Conseil national est nommé par le ministre. Il dispose de deux vice-présidents, l'un représentant les partenaires sociaux, l'autre les partenaires régionaux. Aujourd'hui, ce conseil ne décide rien, la parole y est libre ; les personnalités présentes savent que leurs propos ne constituent pas des décisions.

Est-ce la vocation d'un conseil de définir des objectifs ? Nous pourrions réfléchir et suggérer aux pouvoirs publics, aux partenaires sociaux et aux conseils régionaux des orientations. Cependant, nous aboutirions probablement à des formulations compliquées et à des hypothèses diverses entre lesquelles il faudrait choisir. Le conseil n'est pas politiquement en capacité de choisir. Les choix sont de la responsabilité des pouvoirs publics. C'est pourquoi j'ai évoqué la mise en place d'une conférence trisannuelle des états généraux de la formation professionnelle, qui serait conduite par le Gouvernement en s'appuyant éventuellement sur le Conseil national.

Sur le rapport de la Cour des comptes, je n'ai pas à me prononcer en tant que conseiller d'État sur les travaux de la maison voisine. Leurs rapports sont toujours excellents et pertinents. Ils mettent le doigt sur des sujets qui ne sont pas toujours consensuels. Il existe un problème d'éclatement dans le domaine du financement de la formation professionnelle. Néanmoins, depuis une quinzaine d'années, de grands progrès ont été réalisés. La loi quinquennale de 1993 a amorcé une concentration des organismes collecteurs. Auparavant, il en existait plusieurs centaines ; aujourd'hui, seule une petite centaine est présente, dont trois à l'échelle nationale. Le paysage s'est tout de même simplifié, bien que ce ne soit pas encore suffisant. Certains organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) pour la formation continue et certains organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage (OCTA) pour l'apprentissage mériteraient de s'unir avec d'autres afin d'offrir un paysage plus simple. Je ne dispose pas d'éléments pour me prononcer sur le problème des frais annexes des organismes paritaires de la formation professionnelle. Nous ne détenons pas la capacité de pénétrer les organismes de financement.

M. Paul Girod - Vous nous avez proposé une grille d'évaluation dans laquelle vous définissez quatre aspects : économique, social, signal de vigueur de la politique contractuelle et adaptation au marché de l'emploi. Ce dernier élément me semble le plus efficace. Pourriez-vous expliciter l'aspect analyse économique ?

Le Conseil national cherche à mettre en place un vocabulaire commun. Ce vocabulaire n'existe-t-il qu'en interne ou s'impose-t-il progressivement à l'extérieur vers les autres partenaires de la formation professionnelle, afin de créer des dialogues au sein des organismes où se prennent les décisions ?

M. Dominique Balmary - L'analyse purement économique mesure l'efficacité de la formation professionnelle au regard de l'augmentation du salaire pour le salarié et de l'obtention d'un travail pour le demandeur d'emploi. Cette analyse ne va pas plus loin, même si elle est importante. Cependant, d'autres questions restent sans réponse. Quel type d'emploi est obtenu par le demandeur d'emploi venant de passer par un cursus de formation professionnelle ? Est-ce un emploi précaire ou un emploi pouvant lui permettre de développer une carrière continue sur plusieurs années ? Ces aspects méritent aussi d'être analysés. Une évaluation sérieuse dans ce domaine doit être réalisée de façon longitudinale. J'ai été délégué à l'emploi pendant dix ans ; j'ai pu constater qu'une observation ponctuelle ne suffit pas. Les efforts politiques et techniques que nous faisons dans ce domaine ne se mesurent pas dans l'instant mais dans la durée.

Pour les salariés, le salaire n'est pas le seul élément en cause. Il constitue un signal intéressant pour un économiste qui observe le marché de l'emploi. Cependant, cette vue conduit à laisser de côté des aspects essentiels. La sécurisation des parcours et l'adaptation des qualifications des salariés aux techniques ne se mesurent pas uniquement au regard de l'évolution salariale. La progression du salaire n'est pas forcément immédiate. Au bout de combien de temps doit-on la mesurer ? La formation protège-t-elle les salariés des accidents de la vie professionnelle ? Ces critères doivent aussi être pris en considération lors d'une évaluation des résultats d'une formation professionnelle. Le critère économique doit bien entendu être analysé et accompagné d'autres critères.

Le vocabulaire commun se forme depuis peu au sein du Conseil national. Il est un peu tôt pour affirmer qu'il se diffuse vers les décideurs. Nous avons pris le parti de conduire une réunion sur deux en province. Les principaux responsables et acteurs régionaux de la formation professionnelle y participent. Nous avons commencé par le Limousin. Nous allons nous rendre à Strasbourg, puis à Nantes et enfin en Guadeloupe à la fin de l'année. Notre démarche est guidée par cette volonté de partir du concret, des réalités du terrain. En allant au contact des décideurs, nous espérons que le vocabulaire se diffusera.

M. Serge Dassault - Je n'ai pas très bien compris le rôle de M. Balmary. Nous sommes ici pour étudier les dispositifs de formation professionnelle. Le Conseil national parle de formation professionnelle tout au long de la vie. Cela signifie-t-il que l'on peut se former à quarante ou cinquante ans ? Il est intéressant de savoir qu'une personne ayant travaillé dans un domaine et se retrouvant au chômage puisse bénéficier d'une formation à n'importe quel âge. Est-ce réellement le cas ?

Le problème que nous posons et pour lequel nous cherchons des solutions, ce sont les 180 000 jeunes sortant des écoles, collèges, universités qui ne trouvent pas de travail. Ils n'obtiennent pas de métier car leur formation est déficiente. A l'université, les étudiants reçoivent des diplômes qui ne servent à rien. Chaque année, 50 000 à 60 000 enfants sortent du collège pour errer dans les rues. Ils n'ont pas été intéressés par ce que l'éducation nationale a cherché à leur apprendre. Elle a donc échoué, puisque son rôle est de former les jeunes. Le collège unique est une erreur. Les jeunes sont aujourd'hui trop différents les uns des autres pour suivre le même enseignement. Ces jeunes deviennent des chômeurs, puis des délinquants en puissance, entraînant des problèmes de sécurité. Nous cherchons une solution à ce problème terrible. Que devons-nous mettre en place pour reprendre en main ces jeunes ? Nous n'arrivons pas à former des jeunes à des métiers, alors que certains secteurs manquent cruellement de main-d'oeuvre. La formation professionnelle passe-t-elle par l'apprentissage ?

M. Jean-Claude Carle, président - Au cours des auditions que nous menons, nous allons recevoir d'autres intervenants qui seront mieux à même de répondre à ces questions pertinentes. M. Balmary est venu nous parler des problèmes d'évaluation des politiques de formation professionnelle.

Mme Gisèle Printz - Vous parlez de définir les objectifs de la formation professionnelle afin d'être en mesure d'évaluer les dispositifs existants et les politiques menées. L'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) a un rôle à jouer dans la définition de ces objectifs. Elle reçoit à la fois les offres d'emploi et les demandeurs d'emploi. Elle est à même de constater le décalage qui existe entre les qualifications des personnes en recherche d'emploi et les besoins des entreprises. Pourtant, on entend souvent dire que les cursus proposés par l'ANPE ne sont pas de réelles formations, mais de simples stages n'aboutissant pas à une qualification nouvelle pour le chômeur. Un premier objectif peut être de mettre en liaison les offres et les demandes recueillies par l'ANPE pour déterminer les formations à mettre en place.

M. Dominique Balmary - Mon rôle est de présider le Conseil national. Je fais en sorte que les membres de ce conseil agissent de manière commune. Par conséquent, je n'ai pas de réponses concrètes à vous proposer concernant le chômage des jeunes. L'apprentissage est une des réponses réelles aux questions lourdes et graves de l'insertion professionnelle des jeunes. Au sein du conseil, la commission des comptes cherche à clarifier le financement de l'apprentissage où des problèmes majeurs de transparence apparaissent. Une bonne partie des fonds récoltés pourrait être mieux utilisée. Néanmoins, l'apprentissage se développe en France. Nous sommes à 380 000 apprentis en cours de formation.

La question de Mme Printz porte sur l'orientation des demandeurs d'emploi inscrits sur les listes de l'ANPE vers des formations pertinentes, pour répondre aux besoins des entreprises. L'ANPE détermine les chômeurs qui ont besoin d'une formation. La formation n'est pas toujours souhaitable. Il existe de mauvais usages de la formation professionnelle. Un demandeur d'emploi est parfois dirigé vers une formation afin que son nom disparaisse de la liste des demandeurs d'emploi, faisant ainsi baisser artificiellement les statistiques du chômage. Cependant, l'ANPE effectue un travail bien plus personnalisé qu'auparavant. Elle a institué un référent unique pour chaque demandeur d'emploi qui est en mesure d'aiguiller vers des formations convenables. L'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) propose des formations de qualité. Les taux de placement à l'issue des formations délivrées par l'AFPA demeurent satisfaisants, malgré les difficultés du marché de l'emploi. Dans certaines spécialités, ces taux dépassent les 80 %.

Mme Françoise Amat - Je souhaite apporter des précisions à M. Dassault sur les activités du conseil face aux problèmes qu'il a évoqués. Le conseil a pris à bras le corps la question de l'apprentissage. L'apprentissage est une compétence extraordinairement éclatée. L'État établit les règles, contrôle le contrat de travail et surveille la pédagogie. Les régions détiennent une compétence de droit commun en matière d'apprentissage. Elles financent jusqu'à 50 % de l'offre de formation d'apprentissage. Les chambres de commerce et les chambres consulaires enregistrent les contrats d'apprentissage. Les employeurs paient la taxe d'apprentissage. Vous pouvez ainsi prendre conscience de la somme des compétences partagées. Lorsque le Gouvernement soumet un texte, le Conseil national recueille l'ensemble des remarques des partenaires pour donner un avis concret sur les évolutions de l'apprentissage. Le conseil permet également le regroupement des statistiques de l'ensemble des flux financiers dans ce domaine. Ainsi, quand le Gouvernement envisage d'augmenter le nombre d'apprentis de 390 000 à 500 000, le conseil est en mesure de fournir les répercussions de cette décision sur les flux financiers. Une telle volonté politique entraîne, par exemple, une augmentation de l'indemnité compensatrice versée aux employeurs et financée par les régions. Nous devons connaître ces mécaniques financières pour pouvoir appréhender le problème dans sa globalité et donner des avis éclairés. Cet exemple de l'apprentissage, qui est au coeur de nos travaux actuels, montre la façon dont le conseil peut agir pour amener chaque partenaire à fonctionner de manière complémentaire, dans le sens d'un objectif défini.

M. Jacques Legendre - Nous parlons des jeunes qui sortent du système éducatif sans qualification, mais les chiffres annoncés varient d'une réunion à l'autre. Nous passons régulièrement de 120 000 à 180 000 puis 310 000. Je souhaite que vous nous donniez votre chiffre, sa provenance et sa définition précise.

Mme Françoise Amat - Il existe plusieurs niveaux d'analyse. Le niveau 6 évalue le nombre de jeunes sortant du système scolaire sans aucune formation. 60 000 personnes sont dans cette situation, soit 8 % des jeunes. Ces chiffres proviennent des travaux réalisés par la Direction de l'évaluation et de la prospective (DEP) du ministère de l'éducation nationale, répertoriés dans le livre publié par le Haut comité éducation-économie (HCEE). Les niveaux 4 et 5 regroupent les 80 000 jeunes qui quittent sans diplôme le système scolaire avant le niveau du baccalauréat. Les étudiants échouant au cours du premier cycle universitaire et abandonnant leurs études s'élèvent à 85 000. Ces chiffres attestent des difficultés de notre système à former et diplômer les nouvelles générations.

M. Jacques Legendre - Ces chiffres sont à conserver précieusement, car ces données n'impliquent pas du tout les mêmes traitements.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Les chiffres que j'ai cités précédemment viennent du rapport du CERC. Ils portent sur les personnes qui quittent l'enseignement supérieur sans diplôme. Elles se trouvent aujourd'hui dans une situation beaucoup plus difficile qu'il y a dix ans. Les employeurs préfèrent recruter quelqu'un possédant simplement le baccalauréat, plutôt qu'un jeune qui affiche un CV en échec de l'enseignement supérieur.

M. Dominique Balmary - Lorsque des chiffres sont évoqués, la définition correspondante n'est pas toujours fournie. C'est pourquoi, les données semblent souvent très variables. Les catégories prises en compte ne sont pas stabilisées.

Je vous laisse, monsieur le président, le premier rapport d'activité du Conseil national. L'exercice que nous venons de réaliser sur l'apprentissage est la synthèse des contrats d'objectifs et de moyens entre l'État et les régions. Il donne un aperçu assez nouveau des dispositifs en train de se développer.

M. Jean-Claude Carle, président - Je tiens à vous remercier pour vos interventions.

Audition de M. André GAURON, conseiller maître à la Cour des comptes, ancien président du Haut Comité éducation, économie, emploi (14 février 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Au nom de mes collègues, je vous remercie d'avoir accepté l'invitation de notre mission. Vous êtes conseiller maître à la Cour des comptes. Cette dernière vient d'ailleurs d'émettre un rapport dont une partie est relative à la formation professionnelle. Le président Philippe Séguin est venu le présenter devant notre assemblée. C'est au titre des travaux que vous avez réalisés en 2000 sur la formation professionnelle que nous souhaitons recueillir votre sentiment sur le système français de la formation professionnelle et ses évolutions. Nous ne pourrons malheureusement pas épuiser le sujet lors de cette audition. Par conséquent, nous vous invitons à nous faire part de vos remarques par écrit, avant la rédaction de notre rapport, dont la remise est prévue pour le mois de juillet prochain.

M. André Gauron - Merci pour cette invitation sur un sujet qui me tient à coeur. La mission étant dans sa première phase de travail, je vais centrer mon propos sur des éléments de l'état des lieux. Je souhaite faire quatre observations et présenter quelques conclusions.

Tout d'abord, nous pouvons nous interroger sur la destination de l'argent consacré à la formation professionnelle. Une publication de la Direction de l'animation et de la recherche des études et des statistiques (DARES) du ministère de l'emploi, parue en janvier 2007, donne le bilan de l'année 2004 concernant la dépense nationale relative à la formation professionnelle continue et à l'apprentissage. Cette étude chiffre le total des dépenses à 24 milliards d'euros. L'impact de la formation professionnelle est meilleur lorsque les apprenants sont en situation de travail. Par conséquent, le premier critère discriminant réside dans le fait d'être ou non en situation de travail. Les personnes en situation de travail sont les salariés privés et publics, et les jeunes en contrat d'apprentissage, de professionnalisation, ou de qualification en entreprise, avec un quota plus ou moins élevé d'heures de formation. 80 % des 24 milliards d'euros s'adressent à ces deux catégories, les salariés et les jeunes sous contrat. Les autres catégories représentées par les chômeurs en insertion et les personnes hors entreprise bénéficient des 20 % restant de la dépense.

A l'intérieur de ces 80 %, 60 % sont des financements provenant des employeurs, entreprises privées ou administrations, et 20 % portent sur les contrats d'apprentissage et de professionnalisation. En analysant la dépense au regard des financements publics ou privés, 15 milliards d'euros sont versés au titre de l'obligation légale pour les entreprises, et 9 milliards d'euros au titre des financements de l'État et des collectivités territoriales. L'État ne détient pas la maîtrise des 15 milliards d'euros provenant de l'obligation légale. Cette somme demeure sous la responsabilité des entreprises qui sont libres de l'utiliser comme elles l'entendent.

Toutes les entreprises au-delà de vingt salariés participent au financement de la formation professionnelle au-dessus du seuil de l'obligation légale. Leur investissement dans la formation professionnelle s'élève à environ 4 % de la masse salariale. Ce chiffre a un peu baissé depuis 1999. Il semble qu'il y ait une rationalisation des crédits de formation professionnelle dans les entreprises. Cependant, les sommes consacrées à ce domaine restent élevées. Nous ne sommes plus dans la situation des années soixante-dix où il fallait installer la culture de la formation professionnelle dans les entreprises. Aujourd'hui, cela fait partie des acquis. Les entreprises ont compris la nécessité de la formation de leurs salariés. Dans mon rapport, j'avais suggéré d'abandonner cette obligation légale pour une obligation de résultat au regard des bénéficiaires.

Le deuxième point essentiel est de déterminer qui sont les bénéficiaires des formations. Nous ne disposons pas de chiffres très récents. Néanmoins, le constat est identique année après année. La formation est dispensée aux mieux formés. Dans les entreprises, il est plus aisé de former les cadres ou les techniciens, qui sont dotés déjà d'un bon niveau scolaire, que de former le personnel ancien qui n'a jamais évolué. Cette constatation est valable aussi bien pour le secteur privé que pour les administrations publiques. La formation ne bénéficie pas aux plus faibles. L'inégalité de la formation continue, plus importante que celle de la formation initiale, nous pose un problème majeur. Cette inégalité ne fait que redoubler les résultats de la formation initiale. Le noyau dur de la population, jeune et moins jeune, en situation de chômage ou d'insertion est constitué des moins formés, aussi bien sur le plan de la formation initiale que continue. Les handicaps se cumulent. En dépit des discours préconisant de donner une priorité aux personnes peu qualifiées, cette priorité ne s'est jamais traduite dans les faits.

Quelles difficultés rencontrons-nous dans l'articulation entre la formation initiale et la formation continue ? Je voudrais profiter de l'occasion qui m'est donnée pour attirer votre attention sur un point crucial pour comprendre certains problèmes de notre société. La formation professionnelle a pour objet de professionnaliser, c'est-à-dire d'adapter les compétences à des postes particuliers en fonction des besoins des entreprises. Elle n'a pas pour mission de suppléer aux lacunes et aux insuffisances de la formation initiale. Le système de formation et les cursus proposés sont construits sur cette base. Parfois cependant, certaines entreprises proposent des remises à niveau à leurs salariés, pour leur permettre ensuite d'accéder à des formations purement professionnelles. Les données 2006 de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montrent que, dans tous les pays développés, le taux d'emploi est directement lié au niveau de formation. Le taux d'emploi des personnes diplômées de l'enseignement supérieur est de 89 % pour les hommes et de 78 % pour les femmes. Les personnes ayant le niveau du baccalauréat ont un emploi pour 83 % des hommes et 66 % des femmes. En descendant sous le niveau du baccalauréat, seuls 73 % des hommes et 49 % des femmes travaillent. L'écart est plus important du côté des femmes que des hommes, car certaines font un arbitrage entre une insertion professionnelle difficile et une sortie du marché du travail. Cependant, le décrochage est réel pour les hommes qui possèdent un niveau de formation faible.

Au regard du socle des connaissances fondamentales que chacun doit maîtriser, le problème crucial qui a été sous-estimé est celui d'une maîtrise correcte de la langue parlée et écrite. Dans le monde moderne, contrairement à une idée reçue, la capacité de lecture est une clé de l'accès aux compétences. Dans ce domaine, nous avons certaines difficultés, en particulier avec les garçons. Les tests effectués lors des journées d'appel à la préparation de la défense révèlent que 13,8 % des garçons ont une faible capacité de lecture, contre 7,7 % des filles. En étudiant les statistiques de l'éducation nationale, nous constatons que les problèmes d'apprentissage se jouent dès le primaire. Les garçons redoublent davantage que les filles. L'orientation à la fin du collège se fait sur un critère simple : l'élève a-t-il connu le redoublement ? L'élève non redoublant est dirigé vers l'enseignement général ou technologique. L'élève redoublant est orienté vers l'enseignement professionnel. Dans l'enseignement professionnel, nous retrouvons 53 % d'une génération de garçons, soit un garçon sur deux, dont une petite minorité atteindra le niveau du baccalauréat. Parallèlement, l'enseignement professionnel accueille 37 % des filles d'une génération.

Nous avons un problème sous-estimé de la capacité de la maîtrise de la langue avec les garçons de notre pays. Il n'est pas normal que moins d'un garçon sur deux accède aux lycées généraux et technologiques, alors que les deux tiers des filles y arrivent. Si aujourd'hui, en France, nous avions le même taux pour les garçons que pour les filles, nous serions à 75 % des jeunes accédant au baccalauréat. Le chiffre le plus inquiétant fourni par le ministère de l'éducation nationale révèle que 41 % des filles accèdent au baccalauréat général contre 28 % des garçons. Dans un pays où nous revendiquons la volonté d'amener 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat, seuls 28 % des garçons obtiennent un baccalauréat général. Les études s'intéressent généralement aux résultats du baccalauréat où garçons et filles obtiennent des résultats équivalents. Nous avons l'habitude de regarder les proportions d'accès aux grandes écoles, notamment scientifiques, où les garçons sont surreprésentés car les filles font d'autres choix d'études supérieures. C'est pourquoi, nous avons l'impression que les garçons de ce pays ont de très bons résultats. Les garçons qui vont vers les baccalauréats généraux ne posent en effet aucun souci. Mais ils ne sont que 28 %.

En revanche, pour les autres, nous remarquons une corrélation entre le niveau de formation, la maîtrise de la langue et les problèmes de violence. Nous retrouvons ce phénomène dans le domaine de la formation professionnelle. Les problèmes d'insertion se concentrent sur une population masculine. L'histoire récente en France a conduit les chercheurs à surtout intéresser à la scolarisation des filles et à l'insertion professionnelle des femmes. Du coup, personne ne s'est penché sur la situation des garçons. Aujourd'hui, nous nous apercevons que les résultats de la population masculine sont mauvais et inquiétants.

Mme Gisèle Printz - Comment se fait-il alors que tous les dirigeants soient des hommes ?

Mme Annie David - Les 28 % d'hommes qui accèdent au baccalauréat général sont les meilleurs !

M. André Gauron - Les filles choisissent des carrières en droit, en gestion, en médecine, et se dirigent peu vers les écoles d'ingénieurs. Or, les fonctions élevées dans les entreprises sont généralement tenues par des ingénieurs. C'est pourquoi, il existe une surreprésentation masculine dans les postes de direction.

Le troisième point que je souhaite aborder est la VAE. La VAE peut-elle être un substitut à la formation ? La réponse est clairement négative. Lorsque je présidais le Haut comité économie-emploi (HCEE), nous avions réalisé, à la demande des partenaires sociaux, un rapport sur les premiers états de la VAE. Nous avions mis en évidence que la validation des compétences concerne les compétences acquises. Or, dans le monde moderne aux évolutions technologiques rapides, les entreprises recherchent des compétences nouvelles. Pour les salariés, la validation des expériences acquises constitue un tremplin, mais n'est pas suffisante. Pour réussir une reconversion, nous devons lier la validation des compétences acquises à des compléments de formation. Si vous êtes chaudronnier et que vous devez évoluer parce que le métier a changé, l'informatique y a été introduite par exemple, la validation de votre CAP de chaudronnerie ne vous apportera rien. L'important est d'obtenir le complément de formation recherché par les entreprises. Les entreprises n'embauchent plus de personnes détenant un CAP de chaudronnier, elles recrutent au niveau du baccalauréat. Le salarié doit disposer du complément de formation afin d'accéder aux compétences demandées par les entreprises. La VAE contient une illusion à laquelle nous devons être attentifs. La VAE est positive pour valider les compétences acquises. En revanche, elle ne se substitue absolument pas à la formation.

Pour ouvrir la discussion, je soumets trois éléments à notre débat. L'importance de la formation dans les entreprises est aujourd'hui un acquis. Le problème qui demeure se situe dans l'affrontement entre d'un côté les branches professionnelles avec les OPCA et de l'autre les chambres consulaires avec leurs systèmes de formation propres. Chaque organisme a à coeur de garder son pré carré et de capter l'argent supposé lui revenir par la loi. Toute tentative de faire bouger les frontières entre ces deux systèmes se traduit par une levée de boucliers et échoue invariablement. Le problème qui se cache derrière ce conflit est le même que celui rencontré par l'éducation nationale. Lorsque vous construisez un système de formation avec des écoles et des enseignants, votre souci premier est de recruter chaque année suffisamment d'élèves pour faire tourner la machine, sans avoir à fermer ou regrouper des centres. La Cour des comptes effectue régulièrement des contrôles. Le contrôle des écoles de gestion a montré que le système connaît une surabondance de l'offre.

Les entreprises se plaignent de ne pas pouvoir accéder directement aux formules de l'apprentissage. Dans certains métiers, l'éducation nationale a supprimé les formations correspondantes car le nombre de débouchés possibles était trop faible. Le secteur de l'automobile a ainsi créé, avec l'éducation nationale, des formations en apprentissage qui avaient été abandonnées dans les cursus de formation initiale. Les entreprises souhaiteraient pouvoir financer directement ces formations par apprentissage sans avoir à se plier au carcan administratif actuel, dans lequel la taxe d'apprentissage n'est pas la même chose que l'obligation légale.

Ma deuxième observation porte sur un sujet auquel la Cour des comptes s'est intéressé récemment. Nous avons remis à la commission des finances de l'Assemblée nationale un rapport sur les exonérations de charges sociales. Au-delà de ces exonérations, nous devons déterminer les objectifs que nous poursuivons. Nous pouvons défendre et financer le maintien d'emplois peu qualifiés, ou, au contraire, accompagner la mutation des entreprises vers des emplois qualifiés. L'exemple du textile est emblématique de ce choix. Ce secteur s'est battu pendant des années pour obtenir des exonérations de charges afin d'essayer de résister aux délocalisations. De leur côté, les Allemands ont fait le choix de développer un secteur du textile dit technique. Ils ont su changer de métier. Les textiles techniques connaissent un véritable développement de leur marché, en particulier dans l'habillement sportif. Les Français ont compris tardivement que leur industrie textile était détruite par la concurrence européenne et non asiatique. Les industries textiles françaises ont décidé d'opérer une mutation technologique en formant les salariés à de nouveaux métiers, à de nouvelles compétences. Des accords signés à l'automne dernier actent le fait qu'au lieu de réclamer des exonérations de charges vaines pour tenter de concurrencer les bas salaires des pays d'Europe de l'Est, du Sud de la Méditerranée et du Sud-est asiatique, les aides accordées portent sur le financement de la formation technologique.

Dans une société de la connaissance, nous devons fixer comme objectif la valorisation des compétences en qualifiant les salariés, tout en gérant la transition des salariés peu qualifiés vers ce nouveau marché du travail. Ce choix est fondamentalement différent d'une politique de défense des emplois peu qualifiés. La France a, pendant des années, englouti des sommes considérables pour maintenir des emplois non qualifiés, avec la complicité d'économistes qui continuent à vanter les mérites de l'exonération de charges sociales comme étant le summum de la politique de l'emploi.

Ma troisième remarque porte sur ce que j'appelle le paradoxe français de la formation professionnelle. Le regard que nous portons sur la formation professionnelle est différent selon le niveau de cette formation. Au niveau de l'enseignement secondaire, en dessous du baccalauréat, la formation professionnelle est réservée aux exclus de l'enseignement général. En revanche, au-dessus du baccalauréat, ce sont les bons élèves qui se dirigent vers les formations professionnelles. Les IUT, fondés avant l'existence des baccalauréats technologiques pour professionnaliser les élèves issus des baccalauréats généraux, recrutent aujourd'hui les deux tiers de leurs étudiants parmi les bacheliers de l'enseignement général. La sélection y est forte. Les étudiants de BTS viennent pour un tiers d'entre eux des lycées d'enseignement général. Les deux autres tiers possèdent un baccalauréat technologique. Notre système valorise la formation professionnelle à partir de l'enseignement supérieur. Ces formations sont considérées comme parmi les meilleures.

En revanche, au niveau du secondaire, la formation professionnelle est déconsidérée. Ce paradoxe se retrouve dans le domaine de la formation continue. Les entreprises préfèrent recruter les étudiants sortant de BTS ou d'IUT possédant un très bon niveau de formation initiale. Elles savent que ces salariés auront les compétences et les capacités d'adaptation requises pour suivre des stages afin de se former aux évolutions technologiques. Une personne détenant un CAP n'a pas réussi à aller jusqu'au baccalauréat. Si une entreprise l'embauche, elle aura tendance à ne pas faire l'effort de la former. Dans les plans de formation des entreprises, nous remarquons un consensus général pour aller au plus facile et satisfaire les demandes les plus fréquentes, celles des cadres et des techniciens. Les détenteurs de CAP sont abandonnés, les entreprises partant du principe qu'ils ne désirent pas retourner sur les bancs de l'école.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je souhaite approfondir le sujet sur la ligne de partage entre formation initiale et formation professionnelle. Actuellement, le système semble assez rigide et laisse un vide entre ces deux types de formation. Cet espace vacant peut être comblé par la formation initiale ou par la formation professionnelle en la faisant évoluer. Des expériences de deuxième chance existent pour les jeunes qui sortent de l'enseignement secondaire sans qualification, n'ayant pas acquis un socle minimal de connaissances. Ils connaissent parfois une reprise de la formation initiale, sans attendre que la situation soit vraiment compromise pour se tourner vers la formation professionnelle. Au Canada, le CEGEP de Montréal, établissement secondaire d'enseignement professionnel, recense ses anciens élèves non diplômés et leur propose avec succès une formation à distance individualisée pour obtenir finalement le diplôme. Quelles mesures pouvons-nous envisager pour rendre plus perméable cette frontière de la fin de la formation initiale et permettre une reprise de l'enseignement sans attendre un temps trop long ?

Pouvons-nous prévoir l'évolution de l'économie pour anticiper les besoins futurs des entreprises et rendre l'appareil de formation plus réactif ? Ma question porte sur la notion de prévention afin d'éviter que les diplômes de la formation initiale soient obsolètes par rapport aux besoins du marché de l'emploi. Aujourd'hui, ces insuffisances de la formation initiale sont palliées en ayant recours à l'ensemble des dispositifs de la formation continue qui court, elle-même, en permanence derrière l'évolution de l'économie.

L'offre de la formation continue vous paraît-elle adaptée ? Existe-t-il des abus de position dominante, notamment dans le domaine psychosocial, de la part de formations peu adaptées aux besoins du monde du travail ? Ce problème existe au sein de la formation initiale et semble se retrouver également dans le secteur de la formation continue.

M. André Gauron - La difficulté à laquelle nous sommes confrontés réside dans la division binaire de la formation initiale. D'un côté, nous possédons la formation issue de l'enseignement technique, basée sur un acquis de connaissances essentiellement scolaires, même si des stages en entreprise y ont été introduits. De l'autre, nous disposons de l'apprentissage. Nous savons aujourd'hui que pour les élèves en difficulté dans le système scolaire, l'apprentissage est grandement profitable. En effet, chacun connaît un rapport au savoir propre et l'acquisition de connaissances ne fonctionne pas de la même manière pour tous. Certains sont dotés d'une approche concrète et ont besoin d'apprendre par la pratique, plutôt qu'à travers des pédagogies abstraites comme celles que nous développons.

Le système français a cette caractéristique, qui remonte au XIX e siècle, qu'à chaque fois qu'un enseignement se professionnalise, il devient de plus en plus abstrait afin de se rapprocher du général. En intégrant des enseignements au départ très professionnels dans le système pédagogique existant, l'éducation nationale les modifie, les rendant plus abstraits, pour les rapprocher du général. Ainsi, notre système tord ce qui était à l'origine professionnel. Le livre d'Antoine Prost sur la dérive des cours complémentaires analyse parfaitement ce phénomène. L'apprentissage reste le seul lieu où nous sommes capables de développer une pédagogie active. Malheureusement, aujourd'hui, l'offre de formation par l'apprentissage reste très limitée du fait de la faiblesse du nombre de places d'apprentis proposées par les entreprises. Dans ce domaine, notre histoire est profondément opposée à celle de l'Allemagne, où les entreprises ont une fonction évidente de formation et d'apprentissage. En France, l'apprentissage a longtemps été réduit à quelques métiers artisanaux. Actuellement, chez Renault ou Peugeot, le nombre d'apprentis est dérisoire. La logique de ces entreprises n'est pas de former. Chez Volkswagen en Allemagne, tous les jeunes passent par l'apprentissage.

Pour élargir cette forme de pédagogie, nous devons faire comprendre aux entreprises qu'elles ont un rôle à jouer dans ce domaine. L'apprentissage ne doit pas se limiter aux métiers de bouche ou à l'artisanat, mais s'étendre à l'industrie et au secteur tertiaire. Nous pouvons inciter les entreprises à développer l'apprentissage en leur accordant des exonérations ou des aides. Les entreprises doivent saisir la carte de l'apprentissage en ne limitant pas la formation à l'aspect professionnel mais en assurant aussi un enseignement plus général portant sur la culture, la langue. En quelque sorte, l'école se déporte vers l'entreprise. Cette idée provoque souvent de fortes réticences dans le milieu enseignant, bien que la situation semble progressivement évoluer. Pour les publics en difficulté, en particulier les garçons dont un sur deux uniquement accède à l'enseignement général ou technologique, l'apprentissage peut être le remède au problème du manque de formation.

Concernant les perspectives de la formation professionnelle, nous connaissons un autre paradoxe. Le HCEE et la commission qui homologue les titres de diplômes professionnels soutiennent deux positions opposées. Les partenaires sociaux siégeant au HCEE sont tous d'accord pour reconnaître que la multitude des diplômes professionnels n'a aucun sens. Aujourd'hui, le système propose près de 300 diplômes différents au niveau des CAP, des BEP et des baccalauréats professionnels. Il existe au moins 180 cursus de BTS, alors que les IUT offrent moins de 100 disciplines. Nous sommes tous d'accord aujourd'hui pour dire, et les travaux du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) le confirment, qu'il n'y a pas de correspondance entre la filière précise suivie, la matière étudiée et l'emploi occupé. Il faudrait donc réduire l'offre de diplômes.

Pourtant, les mêmes partenaires sociaux siégeant à la commission d'homologation continuent à proposer des créations de diplômes. Je me souviens d'une séance où nous avons eu une proposition de diplôme, venant de l'Union professionnelle artisanale (UPA), pour cinq salariés à travers toute la France. Le MEDEF s'est d'ailleurs énervé. Cette demande caricaturale reflète bien la réalité que nous rencontrons. Nous devons cibler des champs larges en termes de diplôme, dans lesquels les gens pourront évoluer. Le contrat de professionnalisation porte sur des domaines assez vastes, celui de la chimie, de la physique, de la médecine. Son intérêt est de pouvoir adapter les compétences aux besoins. Une personne peut ensuite, en cours de carrière, reprendre un nouveau contrat pour réadapter ses compétences à l'évolution des technologies. Un jeune enfermé avec un CAP ou même un BTS dans un domaine étroit devra, dès son premier emploi, s'il est malin, élargir de lui-même son champ d'activité. En revanche, s'il s'accroche à sa formation initiale, il ne trouvera pas de travail correspondant à sa formation précise. Les diplômes sont toujours en retard par rapport au marché du travail. Cette décomposition extrêmement fine des fonctions n'existe plus dans la réalité.

Nous avons beaucoup de mal avec les partenaires sociaux. Ils sont écartelés entre ces deux positions. Les partenaires sociaux au niveau confédéral reconnaissent la nécessité d'élargir le champ des diplômes. Par contre, ceux qui gèrent les diplômes titre par titre dans les commissions paritaires restent figés sur des diplômes trop pointus. Le coût par élève en France est le plus élevé dans toutes les formations de lycée, CAP, BEP, baccalauréat professionnel, BTS, ainsi que dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Un BTS est plus coûteux qu'un IUT, alors que son niveau de formation est considéré comme légèrement inférieur. Ce surcoût s'explique par la multiplication des filières. Dans certaines formations, le taux d'encadrement peut être d'un enseignant pour dix élèves. Cette différence de coût avec les pays voisins est liée à cette segmentation à l'extrême de l'enseignement. Ces formations trop spécialisées n'ont aucun sens dans un marché du travail qui cherche des personnes capables de s'adapter en permanence. C'est pourquoi les diplômés des IUT sont préférés par les employeurs à ceux des BTS car, leur domaine de formation étant plus large, ils sont plus adaptables.

M. Bernard Seillier, rapporteur - L'avenir semble prometteur dans le secteur des services à la personne. Conseillez-vous la mise en place de formation dans ce domaine ?

M. André Gauron - Une formation tournée vers les services à la personne est tout à fait souhaitable. Si nous entamons une réforme des BEP, nous devons supprimer le BEP de secrétariat et diriger les jeunes vers des emplois sociaux. Aucune entreprise n'embauche de jeunes possédant un BEP de secrétariat. Le rapport dirigé par l'Inspection générale de l'éducation nationale sur les problèmes du BEP de secrétariat montre que les employeurs ne recrutent pas les personnes issues de cette formation. Le BEP secrétariat débouche sur le chômage. Il serait préférable de diriger les jeunes filles, représentant 95 % des élèves de cette filière, vers des emplois sociaux.

Cependant, les inspecteurs de l'éducation nationale se heurtent au corps enseignant. Il est indispensable pourtant d'avoir le courage de fermer des filières. Aujourd'hui, les postes de secrétariat se recrutent parmi les diplômés des BTS. Ces jeunes sont passés d'abord par la filière technologique ou générale, avant de rejoindre une filière professionnelle de secrétariat. Nous retrouvons le problème de la maîtrise de la langue. Ces jeunes issus des BTS possèdent un bon niveau du maniement de la langue écrite et parlée. Les jeunes filles des BEP de secrétariat se retrouvent dans cette formation car elles connaissent des difficultés de maîtrise de la langue qui les ont empêchées de poursuivre des études secondaires dans les filières générales ou technologiques. En outre, aucune administration, y compris les collectivités territoriales, n'embauchera ces jeunes filles, car le niveau élevé des concours ne leur permet pas de se présenter.

Face au développement du marché de l'emploi dans le secteur des services à la personne, nous devons effectivement organiser une filière, avec les différents niveaux représentés du CAP au BTS. Cependant, nous sommes confrontés aux réticences du ministère de la santé et des affaires sociales. Ce ministère, particulièrement rigide avec lequel le dialogue est toujours difficile, est arc-bouté sur ses propres diplômes. Nous avons un mal considérable à le faire évoluer sur le sujet de la VAE. Nous ne disposons pas d'articulations entre les formations de l'éducation nationale et les titres professionnels que le ministère délivre. Si le recrutement des formations des affaires sociales se fait au niveau d'un baccalauréat général, les jeunes issus d'une formation BEP sanitaire et sociale de lycée n'ont aucune chance d'intégrer le monde du travail. Nous devons réussir à faire sauter ce verrou au niveau du ministère de la santé et des affaires sociales. La résolution de ce problème est politique. L'impulsion doit venir du ministre. En menant une bonne négociation, les organisations syndicales peuvent accepter ce changement.

M. Jean-Claude Carle, président - L'intégration des formations sanitaires et sociales au plan régional de développement des formations (PRDF) peut permettre de faire avancer les choses.

M. André Gauron - En effet, les collectivités territoriales, en particulier les régions, jouent un rôle primordial sur la carte des formations professionnelles.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je souhaite revenir sur la problématique de la structure de l'offre de formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Aujourd'hui, les sciences dites douces attirent davantage les jeunes que les sciences plus techniques. Pourtant, nous savons que les débouchés de ces filières sont moindres et que nous manquons de personnel formé dans certains domaines techniques.

M. André Gauron - Le dernier rapport du HCEEE analyse le processus qui conduit de nombreux jeunes à se diriger vers des filières sans grandes perspectives. Le système supérieur commence par sélectionner. Les jeunes possédant un baccalauréat technologique ont très peu de chance d'être admis en IUT. Les meilleurs peuvent espérer intégrer un BTS. Les autres n'ont pas d'autres choix que de s'inscrire à l'université pour poursuivre des études supérieures. Mais quelles filières peuvent-ils choisir à l'université ? Les bons élèves en mathématiques de l'enseignement technologique sortent de la filière techno-industrielle qui est bien structurée et propose un cursus supérieur satisfaisant et adapté. Les autres bacheliers technologiques, des filières techno-tertiaires, possèdent un niveau trop faible en mathématiques pour envisager les filières scientifiques. En médecine, dès le premier cours, le doyen précise que les étudiants ne possédant pas un baccalauréat S peuvent partir. Nous retrouvons donc les jeunes issus de l'enseignement technologique en sciences humaines et en psychologie. Ils se retrouvent dans ces filières car ils ont été refoulés des autres cursus.

Cependant, leur niveau en français n'est pas suffisant pour répondre aux exigences rédactionnelles de ces disciplines. Le débat actuel sur l'orientation est une fausse piste. L'échec de ces jeunes à l'université vient d'un problème de niveau. Nous ne sommes pas face à un problème d'orientation mais de niveau. Nous tenons le discours que tous les baccalauréats sont équivalents et ont la même dignité. Néanmoins, nous devons ouvrir les yeux et admettre qu'ils n'ont pas tous le même niveau. Le système français remet les compteurs à zéro après l'obtention du baccalauréat et laisse penser que tous les élèves peuvent faire les mêmes études. La réalité est que les élèves détenant un baccalauréat technologique tertiaire échouent à l'université car ils n'ont pas le niveau suffisant pour suivre ces études. Nous devons remonter le niveau scolaire de l'enseignement primaire et du collège, voire de la maternelle en ce qui concerne l'acquisition du langage.

M. Jean-Claude Carle, président - Compte tenu du grand intérêt des questions que vous avez abordées, je propose que nous vous réinvitions au sein de cette mission. Malheureusement, aujourd'hui notre temps est limité. Vous nous avez éclairés sur le lien essentiel entre la formation initiale et la formation continue. Cet aspect m'apparaît fondamental pour la suite de nos travaux et les propositions qui pourront en découler.

Nous allons terminer cette audition par quelques questions, en souhaitant vivement pouvoir prolonger cet entretien prochainement.

Mme Annie David - Vous nous avez expliqué la répartition de l'argent consacré à la formation professionnelle, mais quel objectif nous sommes-nous fixés ? En fonction d'un objectif précisément défini, nous pourrions alors discuter des priorités de financement.

J'approuve votre analyse sur le fait que la formation initiale ne se substitue pas à la formation professionnelle. Cependant, qu'entendons-nous exactement par formation professionnelle ? Vous estimez que les entreprises aujourd'hui ont pris conscience de la nécessité de la formation professionnelle. Pour ma part, j'émettrais un bémol, car tous les salariés ne bénéficient pas de la même manière de la formation professionnelle. Comme vous l'avez justement souligné, ce sont les salariés possédant la meilleure formation initiale et occupant les postes les plus qualifiés qui reçoivent une formation professionnelle leur permettant de poursuivre leur évolution de carrière. En revanche, les salariés sans qualification, occupant les niveaux d'emploi les plus faibles, en bénéficient nettement moins. J'ai trop vu, lors de mes expériences professionnelles en entreprise, des formations ne correspondant pas à la demande des salariés et uniquement délivrées afin que l'employeur puisse prouver qu'il a rempli son quota annuel de formation obligatoire.

Concernant la VAE, un salarié, après quinze années passées dans l'entreprise, possède un niveau de qualification supérieur à celui qu'il avait lors de son entrée dans l'entreprise. La validation est primordiale car elle permet, lors du départ du salarié de l'entreprise, d'obtenir un nouveau diplôme attestant des compétences acquises. La VAE est une reconnaissance officielle de ces compétences. Quel rôle la formation professionnelle peut-elle tenir pour accompagner cette validation des acquis ?

Chaque année, en rapportant auprès du Sénat sur le budget de l'enseignement technique et professionnel, j'évoque la nécessité de la mise en place d'une formation sanitaire et sociale. Je confirme vos propos concernant le BEP de secrétariat qui ne correspond plus à un emploi. Cependant, si nous fermons ces formations, que deviennent les jeunes filles qui les suivent ? Détenons-nous aujourd'hui la capacité d'ouvrir des places dans d'autres formations professionnelles pour accueillir ces élèves ? Il n'est pas imaginable de les laisser dehors. Nous devons faire évoluer ce BEP de secrétariat, comme d'autres BEP d'ailleurs, mais sans laisser des jeunes sans perspective de formation initiale d'un bon niveau.

Le socle commun de connaissances tel que nous l'avons voté dans la loi est largement insuffisant pour permettre ensuite à chacun d'entre nous de pouvoir suivre une formation de qualité tout au long de la vie. Cette notion de formation tout au long de la vie constitue une certaine assurance pour chacun au cours de sa vie professionnelle de ne pas se retrouver sans emploi.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous pouvons nous poser la question de la pertinence des BEP en général, de façon plus large.

M. Jacques Legendre - J'ai été très intéressé par vos propos sur la maîtrise de la langue, de la lecture, et sur le déséquilibre de réussite scolaire entre les garçons et les filles. Ce déséquilibre n'est-il pas l'expression de la plus grande difficulté des garçons des minorités visibles ou des banlieues à poursuivre des études ? Ce différentiel mérite d'être creusé.

M. André Gauron - Je ne suis pas compétent pour répondre à cette question. Effectivement, cette hypothèse est intéressante et des sociologues devraient étudier cet aspect.

M. Jacques Legendre - Je suis inquiet à la vue du rapport de l'OCDE sur le taux d'emploi au regard du niveau de formation. Nous avons longtemps considéré que plus une personne a fait d'études, meilleures sont ses chances de trouver un emploi. Cependant, cela n'est-il pas en train de se détériorer ? De quel niveau de formation parle-t-on ? S'agit-il de la formation générale ou de l'acquisition d'une qualification professionnelle attestée avec éventuellement un début d'expérience professionnelle ?

L'alternance et l'apprentissage peuvent être des contrats de travail particuliers, mais aussi des cursus permettant l'acquisition d'une qualification sous un statut scolaire. Sur ce point, ne rencontrons-nous pas un problème de coordination entre les deux ministères ? Les difficultés interministérielles ne peuvent se résoudre que sous l'impulsion d'un Premier ministre, ou d'un ministre délégué auprès du Premier ministre. J'ai souhaité occuper cette fonction à une époque, car j'ai conscience que la formation professionnelle se retrouve régulièrement coincée entre le ministère de l'éducation nationale et celui du travail. Cette question du pilotage doit être posée et mise en avant pour permettre une progression dans ce domaine.

Comme vous l'avez rappelé, tout système de formation a tendance à agir en fonction de ses formateurs. En effet, le système peut difficilement se séparer de ses formateurs. Pourtant, la formation existe d'abord pour les gens à former. Nous devons absolument le rappeler et nous en assurer. Quels instruments pouvons-nous mettre en place afin de faire constater les dérives de certaines formations ? Des organismes placent des gens en situation d'échec en n'apportant pas, à travers les formations qu'ils offrent, les compétences que le marché de l'emploi requiert. Ces formations sont sans débouché ; leur niveau est trop faible et leur contenu non adapté aux réalités économiques. La carte des formations professionnelles et le schéma régional de la formation professionnelle peuvent être des instruments utiles. En voyez-vous d'autres ? Nous devons faire la démonstration que le système envoie des gens se former dans l'unique but d'assurer un travail aux formateurs plutôt que pour eux-mêmes. Cette situation est inadmissible. La formation doit répondre en priorité aux besoins des personnes à former, aux besoins des entreprises et aux besoins constatés en matière de dynamisme économique.

M. André Gauron - Le diplôme continue de payer. Globalement, le fait de posséder des diplômes constitue une garantie moindre qu'il y a vingt ans. Cependant, en termes de hiérarchie, les diplômés obtiennent des postes plus élevés. Ceux qui ont un diplôme de l'enseignement supérieur s'en sortent mieux que ceux détenant un CAP. En revanche, nous constatons que les diplômes de l'enseignement supérieur se valent. Il existe peu de différences hiérarchiques entre les diplômés affichant cinq années d'études après le baccalauréat et ceux possédant un DUT.

Concernant le clivage entre les deux ministères, l'idée d'un délégué auprès du Premier ministre est à creuser. Nous devons dépasser ce clivage. Pour l'instant, nous sommes en situation d'échec sur ce point. La Commission d'habilitation des diplômes professionnels avait été placée sous la tutelle du ministère de l'éducation nationale, puis a été remise sous la coupe du ministère du travail. Ce changement constitue une régression idiote.

Nous avons effectivement une interrogation sur le contenu des formations dispensées par les entreprises. Néanmoins, je ne m'autorise pas à penser à la place des entreprises et des partenaires sociaux. Les organisations syndicales participent au plan. Le domaine de la formation est celui pour lequel il existe le plus de négociations. Si le contenu n'est pas satisfaisant, les partenaires sociaux sont aussi coupables. Ils doivent mener un débat afin de permettre l'évolution des contenus des formations professionnelles.

Contrairement à ce que la presse a publié dernièrement, sauf à modifier la loi sur l'obligation de formation des entreprises, la manne financière sur laquelle les pouvoirs publics, État et collectivités territoriales, peuvent jouer s'élève à 9 milliards d'euros et non 24 milliards d'euros. 16 milliards d'euros relèvent de la seule compétence des entreprises. Nous pouvons toujours leur suggérer des directions sur les choix à faire, néanmoins, il n'est pas possible de les imposer. Les 9 milliards d'euros relevant de la compétence des pouvoirs publics concernent la formation des personnes qui ne sont pas en situation de travail. Cette tâche de formation est la plus difficile à assumer, car elle porte sur le passage de la formation vers l'emploi.

Aujourd'hui, la carte scolaire professionnelle dépend des régions. En dialoguant avec les recteurs, les conseils régionaux peuvent réussir à faire bouger les clivages. Les corporatismes semblent actuellement moins forts ; des discussions s'ouvrent. Nous devons nous organiser régionalement afin de placer une personne forte face aux recteurs pour établir cette carte scolaire professionnelle. Cependant, le problème de la multiplicité des titres doit également être résolu. Le recteur gère en premier lieu ses enseignants. S'il dispose de professeurs de menuiserie, il ouvre une filière de menuiserie. Pour réduire certaines spécialités, nous pouvons jouer sur les départs à la retraite des enseignants des filières professionnelles. Le système dans lequel les professeurs ont passé un CAPES et enseignent pendant 40 ans n'est plus admissible. Ces enseignants se retrouvent au bout de dix ans déconnectés des réalités du monde professionnel. Les professeurs doivent être recrutés parmi des personnes venant du monde de l'entreprise. Nous pouvons profiter de la revalorisation du statut des professeurs à titre temporaire pour assurer ces recrutements. L'enseignement professionnel agricole, extrêmement mobile, peut être un modèle. Les corporatismes syndicaux internes au milieu de l'enseignement agricole y sont nettement moins présents.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous serions vraiment très heureux de poursuivre cette discussion ultérieurement ; nous vous remercions vivement pour vos éclairages particulièrement pertinents.

Audition de M. Marc FERRACCI, chercheur au Centre de recherche en économie et statistiques (CREST - INSEE), (14 février 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Nous en sommes à notre troisième série d'auditions. Nous avons désiré, dans un premier temps, obtenir une vue d'ensemble de la formation professionnelle. Nous constatons que la formation professionnelle fonctionne d'après une logique de moyens. Il paraît souhaitable de revenir à une logique de besoins et de résultats. Je rappelle que vous êtes chercheur à l'Université de Paris I. Vous êtes le premier à avoir réalisé de manière détaillée une évaluation du dispositif de formation professionnelle des chômeurs dans notre pays. Le quotidien Le Figaro a rendu compte de votre rapport le 19 janvier dernier. Vous dressez un constat que nous pouvons qualifier d'assez pessimiste. Je vous laisse le soin d'exposer vos observations sur le sujet.

M. Marc Ferracci - J'ai réalisé ce travail d'évaluation dans le cadre d'une thèse que j'ai soutenue il y a deux mois. Cette thèse a été effectuée dans le contexte d'une convention CIFRE. Les conventions CIFRE sont destinées à favoriser l'insertion des doctorants dans le monde professionnel. Leur mode de financement est particulier puisque cette recherche est payée à la fois par l'université et par une institution. L'institution qui a financé ma thèse et m'a permis d'avoir accès à ses données est l'UNEDIC. Les travaux figurant dans cette thèse proviennent d'une collaboration avec deux chercheurs expérimentés du CREST, Bruno Crépon et Denis Fougère, spécialistes de l'évaluation des politiques de l'emploi. Les résultats et les conclusions que je vais vous exposer sont le fruit de ce travail d'équipe.

Concernant la formation des chômeurs, ma démarche s'est déroulée en trois temps. La première étape a été de répondre à cette question : que peut-on attendre de la formation ? Cette interrogation impose de se pencher sur les évaluations existantes des dispositifs de formation des chômeurs. J'ai pu constater qu'en France, ces dispositifs n'ont quasiment jamais été évalués. Les quelques évaluations réalisées portent sur les dispositifs tournés vers les jeunes, en particulier des évaluations menées par des chercheurs du CREST en 2000. Il n'existe pas d'évaluations des dispositifs de formation destinés aux demandeurs d'emploi adultes. Nous sommes donc confrontés à un très lourd déficit d'évaluation. En revanche, il est intéressant de signaler que, dans les pays étrangers, Allemagne, Royaume-Uni, pays scandinaves, les évaluations répondant au standard de la recherche académique sont nombreuses. Nous sommes extrêmement en retard sur l'évaluation de la formation, et plus largement sur l'évaluation des politiques actives d'emploi. Face à ce constat, nous pouvons saluer l'UNEDIC qui a permis l'accès à ses données. Le déficit d'évaluation est, en effet, en partie dû à la difficulté d'obtenir des chiffres fiables.

Que peut-on attendre de la formation ? Deux questions découlent de cette interrogation. S'agissant des chômeurs, nous nous intéressons tout d'abord à l'effet de la formation sur le rythme de retour à l'emploi, c'est-à-dire à l'influence de la formation sur la durée de l'épisode de chômage. L'autre point essentiel à étudier est l'effet de la formation sur la stabilité de l'emploi retrouvé. Ces deux questions importantes engagent la collectivité à travers l'équilibre financier du régime d'assurance-chômage. Lorsqu'elle est efficace, la formation permet de réduire les dépenses d'indemnisation et d'accroître le montant des cotisations en fonction de la stabilité de l'emploi retrouvé. Ces deux aspects sont abordés de manière parallèle dans ce travail d'évaluation. Nous jugeons l'efficacité concrète de la formation au regard de ces deux variables de résultats.

Les évaluations étrangères indiquent que l'impact de la formation sur la durée de chômage est globalement négatif. La majorité des évaluations ne trouve pas d'effet significatif de la formation sur le retour à l'emploi des chômeurs. Deux nuances peuvent être apportées. La première montre que la notion d'effet significatif est délicate à manier. Lorsque nous évaluons un dispositif, nous sommes confrontés à un problème méthodologique très lourd lié à l'expérience d'un biais de sélection. La comparaison entre la situation des demandeurs d'emploi passés par la formation et ceux n'ayant pas reçu de formation ne présente aucun intérêt. En effet, si les chômeurs les plus qualifiés, les plus diplômés et les plus motivés sont envoyés en formation, le retour à l'emploi de ces chômeurs ne sera pas lié à la formation qu'ils auront reçue mais à leurs qualités propres. Nous devons donc mettre en oeuvre une méthodologie qui permette de comparer les situations d'individus présentant le même profil. Il est indispensable d'être en mesure de contrôler ces facteurs de sélectivité. Les évaluations étrangères que j'évoque dans ma thèse cherchent toutes, par des méthodes diverses, à contrôler cette sélectivité. En revanche, les études que rapportent les médias ne tiennent que rarement compte de ce problème fondamental.

La formation n'a pas vraiment d'impact sur la durée du chômage car un phénomène d'enfermement se produit, c'est-à-dire que le demandeur d'emploi, pendant la durée de la formation, s'installe dans sa situation. Toutes les études le confirment. Durant la formation, les chômeurs voient leur taux de retour à l'emploi chuter de manière extrêmement importante, car ils disposent de moins de temps pour effectuer une recherche active d'emploi. En outre, les personnes en formation sont généralement volontaires pour suivre ce cursus et désirent le mener à son terme. Ce phénomène d'enfermement fait l'objet d'un consensus dans toutes les évaluations existantes. Cet effet d'enfermement compense, et même parfois plus, l'effet positif de la formation une fois qu'elle a pris fin.

La seconde variable, celle concernant la stabilité de l'emploi, fait l'objet de très peu d'études. Les quelques études menées, qui tiennent compte du biais de sélectivité, constatent un effet positif. La formation peut permettre d'élargir le spectre des emplois susceptibles d'être occupés par le demandeur d'emploi. Elle contribue à un meilleur appariement entre les chômeurs et les postes vacants. Elle apporte également une productivité supérieure aux individus. Les emplois les plus productifs étant les moins détruits, ils offrent une stabilité plus grande.

Pour terminer cet exposé sur les conclusions apportées par les évaluations réalisées dans les pays étrangers, je tiens à signaler que ces effets constatés sont toujours des effets moyens. L'effet de la formation n'est pas le même selon les publics et selon les dispositifs de formation. Nous observons une certaine hétérogénéité des effets suivant ces deux critères, les publics et les dispositifs. Il est indispensable d'évaluer au cas par cas et de stratifier les résultats selon les publics.

Après m'être intéressé aux évaluations étrangères, j'ai effectué une analyse du fonctionnement du système français de formation des chômeurs. Le troisième chapitre de ma thèse est consacré à une description du dispositif institutionnel. Ce système est éminemment complexe et s'articule autour de trois acteurs, l'État, les régions et les partenaires sociaux à travers l'UNEDIC, en particulier depuis 2001 et la mise en place du plan d'aide de retour à l'emploi (PARE). Ces trois acteurs ont des logiques parfois contradictoires. Leurs moyens peuvent, dans certains cas, se superposer.

La conséquence concrète de la complexité de ce système s'observe dans la difficulté que rencontre un demandeur d'emploi motivé pour accéder à un programme de formation. Le chômeur doit franchir un certain nombre d'étapes. Elles tiennent d'abord à la prescription de la formation. Pour pouvoir bénéficier des aides et de l'accompagnement que procure le service public de l'emploi, l'ANPE doit valider le principe même de la formation pour le demandeur d'emploi. Ensuite, le chômeur doit se soumettre à un bilan de compétences, c'est-à-dire faire évaluer ses lacunes. Ce travail d'introspection et de dialogue avec les agents de l'ANPE réclame une certaine réflexion. Il constitue un obstacle que ne franchissent pas tous les demandeurs d'emploi. Le troisième obstacle à franchir pour accéder à la formation se situe dans la recherche d'un prestataire de formation. Pour la formation des salariés comme pour celle des chômeurs, l'offre est pléthorique, il est difficile de s'y retrouver. Une fois que le demandeur d'emploi a identifié son besoin de formation, il doit trouver un prestataire qui propose cette formation.

La quatrième étape est de trouver un financement. Le système français du financement des formations fonctionne à deux vitesses. Dans l'accès à la formation et à son financement, les chômeurs éligibles à l'assurance-chômage possèdent un avantage énorme par rapport aux chômeurs non éligibles. D'une part, lorsqu'ils entrent en formation, les chômeurs éligibles qui ont signé un PARE avec l'ASSEDIC qui les indemnise, c'est-à-dire l'immense majorité des demandeurs d'emploi, ont droit à une indemnisation équivalente à celle qu'ils reçoivent dans le cadre de l'indemnisation classique. La formation constitue donc un cadre relativement confortable sur le plan financier. Pour ces chômeurs indemnisés, les ASSEDIC prennent également en charge certains frais de formation et des frais annexes comme les frais de déplacement.

Les chômeurs non éligibles se trouvent dans une situation bien plus délicate. Face à ce système complexe, ils ne savent pas toujours à quelle porte frapper pour obtenir un financement. Doivent-ils s'adresser à la région, aux services de l'État ou à l'intermédiaire que constitue l'ANPE ? L'ANPE ne dispose souvent pas des informations nécessaires pour orienter vers les financeurs. Cette complexité du système est un facteur de sélectivité. Une étude très intéressante publiée par la DARES en 2006 analyse de manière très fine le processus de participation aux programmes de formation. Cette enquête indique que les formations sont proposées en priorité aux personnes les plus vulnérables, c'est-à-dire les moins qualifiées et les moins diplômées. Pourtant, au terme du parcours d'obstacles que j'ai décrit, ce sont, au contraire, les demandeurs d'emploi les plus diplômés et qualifiés qui accèdent à la formation. Notre système sélectionne les personnes capables de réfléchir à leur projet professionnel. Sa sélectivité s'exprime également dans le clivage qu'il établit entre les chômeurs éligibles et non éligibles. Le biais de sélectivité que j'ai évoqué précédemment devient une question centrale du problème, ne se limitant pas à un aspect méthodologique. Nous devons identifier des moyens pour simplifier le système du service public de l'emploi et le processus de participation. La complexité étant facteur de sélectivité et d'injustice, la simplification du système permettrait de le rendre plus juste, mais aussi plus efficace.

Munis de ces constats, nous nous sommes penchés sur l'efficacité de la formation. En partant des données de l'UNEDIC, nous avons d'abord effectué une évaluation de l'impact de la formation. L'effet de la formation sur le premier critère, la durée de l'épisode de chômage, montre un allongement de la période sans emploi pour un individu de même profil. Nous retrouvons donc les résultats établis par les études étrangères. Ce constat peut heurter le sens commun et les instances en charge de la gestion de l'assurance-chômage. Derrière ce résultat, nous retrouvons d'abord l'effet d'enfermement ; la formation empêche les gens de sortir du chômage tant qu'elle a lieu. Une fois la formation arrivée à son terme, un effet légèrement négatif sur le retour à l'emploi est également observé. Nous remarquons que dans les quelques semaines qui suivent la fin de la formation, les personnes formées reviennent à l'emploi un petit peu plus vite que les autres. Cependant, très rapidement, cet effet positif s'évanouit. La formation donne un coup de fouet durant environ trois semaines. Au-delà, le taux de retour à l'emploi chute en dessous de celui des chômeurs non formés. Ce résultat est statistiquement significatif mais n'est pas de la même ampleur que celui du phénomène d'enfermement. Nous devons néanmoins avoir conscience que la formation amène un impact négatif non seulement pendant son déroulement, mais également après son terme. Plus les formations sont longues, plus les chômeurs subissent le fameux effet d'enfermement, et donc plus la période de chômage s'allonge.

Ce constat assez pessimiste devrait faire réagir les instances dirigeantes de l'assurance-chômage. Depuis la mise en place du PARE, l'UNEDIC prescrit des formations alors que cette activité était auparavant dévolue à l'ANPE. Ces formations gérées par les ASSEDIC, dites « conventionnées », ont explicitement pour objet d'accélérer le retour à l'emploi. C'est pourquoi les résultats de notre évaluation heurtent la façon dont a été conçu le système entré en vigueur en 2001 avec le PARE. Il faut cependant rappeler que l'effet des formations peut différer selon les dispositifs évalués. Il est ainsi possible que les formations conventionnées soient les plus efficaces, mais notre évaluation ne permet pas encore de répondre à cette question.

A l'inverse, l'aspect positif est que les formations permettent de rallonger la durée de l'emploi retrouvé. L'effet positif sur la stabilité de l'emploi est réel. Nous cherchons, à travers des exercices de simulation, à quantifier l'ampleur respective de ces deux effets, qui sont des effets moyens. Selon les dispositifs, la nature des formations et les publics, les effets peuvent différer ; leur interprétation reste donc difficile. Cependant, de manière globale, les formations rallongent la durée du chômage dans une proportion de l'ordre de cent jours, ce qui correspond à la moyenne des durées des formations. Nous retrouvons ici cet effet d'enfermement. Un demandeur d'emploi connaît un épisode de chômage d'autant plus long qu'il a suivi une formation longue. L'effet moyen de la formation sur la durée de l'emploi retrouvée est de l'ordre de 330 jours. Nous avons donc un rapport positif de un à trois. En outre, plus les formations sont longues, plus l'emploi retrouvé par les personnes formées sera stable.

L'analyse micro économétrique nous montre finalement que la formation n'est pas la potion magique que nous pouvons attendre concernant le retour à l'emploi des chômeurs. En revanche, elle constitue un investissement intéressant dans une perspective de long terme. Les partenaires sociaux, à travers l'UNEDIC, ont intérêt à se préoccuper de la stabilité de l'emploi retrouvé par les chômeurs et à ne pas se limiter à une courte vue. Il est souhaitable d'étudier la perte financière pour l'UNEDIC que représente l'allongement de la période de chômage en raison du suivi de la formation, au regard du gain de cotisations supplémentaires obtenu grâce à la plus grande stabilité de l'emploi retrouvé. Les données dont nous disposons ne nous ont pas permis, pour l'instant, de mener cette analyse coût-bénéfice de façon individuelle. L'établissement de la balance entre les dépenses supplémentaires et les recettes supplémentaires engendrées par la formation constitue néanmoins une étape indispensable pour progresser dans l'évaluation des dispositifs de formation pour les chômeurs.

Une autre question me semble être au coeur du débat public et de la thématique de la sécurisation des parcours professionnels. Quel serait, non plus dans une perspective microéconomique mais dans une perspective macroéconomique, l'effet du développement des programmes de formation ? Nous pouvons penser que si nous accroissons le taux d'accès moyen et l'intensité des formations, cela aura des effets à la fois sur les chômeurs ayant reçu la formation, mais aussi sans doute sur les demandeurs d'emploi non formés. Nous évoluons en effet dans un marché du travail imparfait connaissant des secteurs en tension à la recherche de main-d'oeuvre et d'autres offrant peu de débouchés. Ce contexte entraîne des problèmes d'adéquation entre les qualifications et les postes vacants. De ce point de vue, le développement des programmes de formation influence le comportement de création d'emploi des entreprises. Ce phénomène n'est pas forcément perceptible à l'échelle nationale. En revanche, à l'échelle d'un bassin d'emplois, l'influence devient concrète. Une entreprise créant un poste se met en recherche d'un candidat. Cette étape s'avère coûteuse. Si le service public de l'emploi fonctionne bien et forme correctement les individus, le temps de recherche d'un candidat pour l'entreprise peut être raccourci. L'entreprise fait alors des économies. Les modèles macroéconomiques nous prouvent que, dans ce contexte, le comportement de création d'emplois des entreprises se modifie. Lorsque les entreprises trouvent plus facilement des candidats bien formés, elles augmentent leur fréquence de recrutement. Cette idée est développée dans le dernier chapitre de ma thèse. Les responsables qui conçoivent les réformes de la formation professionnelle doivent avoir conscience que la formation peut avoir des effets positifs au-delà de la population formée, puisque les créations d'emploi bénéficient à tout le monde.

Pour conclure, je reviens sur la nécessité pour notre pays d'évaluer. Nous souffrons d'un énorme déficit d'évaluations. Nous n'avons pas, avec notre étude, la prétention de clore le débat. Nous avons eu la chance de travailler sur des bases de données extrêmement larges puisqu'elles couvrent 800 000 observations. Les résultats sont donc statistiquement robustes. Cependant, il serait profitable que d'autres chercheurs se saisissent de ces données afin d'améliorer la connaissance dans ce domaine. Notre étude n'aborde pas certains aspects du problème, en particulier l'analyse coût-bénéfice. Nous détenons des informations sur le devenir des personnes formées, mais nous sommes incapables d'évaluer l'impact financier net du processus de formation sur l'équilibre de l'assurance-chômage.

En outre, l'impact des différents dispositifs de formation est méconnu. Une connaissance plus fine serait souhaitable. Au regard de l'éclatement du marché de la formation, il existe sans doute des contenus de formation, voire des prestataires de formation, plus efficaces que d'autres. Nous devons réussir à stratifier les résultats en fonction des contenus et des objectifs des formations. Une question posée par les partenaires sociaux sur laquelle nous travaillons actuellement est d'évaluer si les formations prescrites par l'UNEDIC, c'est-à-dire conventionnées et destinées aux chômeurs éligibles, sont plus efficaces que les formations simplement homologuées par l'État.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie, monsieur Ferracci, de cet exposé particulièrement clair. Vous nous avez bien montré la nécessité de sortir de cette logique de dépense pour parvenir à une logique d'investissement. La notion de retour sur investissement à court et long termes doit faire partie de nos préoccupations.

M. Bernard Seillier, rapporteur - J'énumère les questions que nous avions prévues de vous poser, bien que votre exposé nous ait fourni en grande partie les réponses souhaitées. Nous désirons connaître votre analyse sur l'efficacité de la formation des demandeurs d'emploi au regard de l'offre actuelle existante et de son adéquation aux demandes. Quelle appréciation portez-vous sur le rôle croissant de l'UNEDIC en matière de formation professionnelle et sur ses actions de formation ? Quel bilan dressez-vous sur les dispositions de l'allocation de retour à l'emploi-formation (AREF), de l'allocation formation-reclassement (AFR), et du plan d'aide de retour à l'emploi (PARE) ? Est-il nécessaire de réformer les systèmes de rémunération des stages de formation en direction des demandeurs d'emploi ?

M. Marc Ferracci - Concernant le rôle croissant de l'UNEDIC en matière de formation, il est pour l'instant difficile de répondre à cette question. Nous ne disposons pas pour l'instant d'évaluations permettant la comparaison entre les formations conventionnées par l'UNEDIC et celles homologuées par l'État.

Les dispositifs d'allocations versées aux demandeurs d'emploi se divisent en deux groupes. Tout d'abord, nous possédons des dispositifs destinés aux chômeurs éligibles. Depuis 2001, l'AREF remplace l'AFR. Cette allocation propose un montant équivalent à l'allocation de retour à l'emploi (ARE) perçue par l'immense majorité des chômeurs éligibles à l'assurance-chômage. L'AREF est versée pendant la durée de la formation. Dans l'évolution du dispositif, la rupture entre AFR et AREF n'a pas été neutre. Jusqu'en 2001, les allocations chômage étaient dégressives, sauf pour les demandeurs d'emploi entrant en formation qui bénéficiaient alors du régime de l'AFR. Cette allocation leur permettait de percevoir une indemnité constante durant toute la durée de la formation. Ce système constituait une puissante incitation à entamer une formation. Nous pouvons penser que le système était encore moins efficace car des gens choisissaient de suivre une formation, non pas avec un objectif professionnel, mais uniquement pour bénéficier d'une allocation à taux constant. Depuis 2001 et la mise en place du PARE, la dégressivité des allocations est supprimée. Le régime est identique que l'on soit ou non en formation. Cela est plus cohérent.

Cependant, devons-nous réformer le système de rémunération des stages de formation en direction des demandeurs d'emploi ? Mon sentiment est qu'une réforme doit chercher à niveler par le haut. L'allocation des chômeurs éligibles est confortable en proportion des droits qu'ils se sont ouvert. Par ailleurs, des revenus annexes venant en complément de cette rémunération peuvent exister. Je les détaille en annexe de ma thèse. En revanche, sans nécessairement augmenter les moyens destinés à la rémunération des chômeurs non éligibles, il est indispensable de rendre l'information plus accessible et plus cohérente. Nous avons constaté que des financements existent pour la formation des chômeurs non éligibles. Pourtant, en raison de la complexité du système, les agents de l'ANPE eux-mêmes ne connaissent pas toujours les dispositifs disponibles pour ce public. Cette barrière dressée face aux populations les plus fragiles doit être abolie en unifiant par le haut, en rendant l'offre plus visible et cohérente.

Mme Sylvie Desmarescaux - Vous soulignez la complexité du système, en particulier ce fonctionnement à trois partenaires, l'État, les régions et l'UNEDIC. Pensez-vous que le principe de la maison de l'emploi (MDE) et de son guichet unique permette d'assurer une meilleure cohérence du système et de bénéficier d'offres plus pertinentes ? Si l'ANPE ne connaît pas tous les dispositifs existants, les MDE sont-elles capables d'être plus performantes ? Parmi les rapports récents de MM. Pierre Cahuc et André Zylberberg, de M. Paul Santelmann et du CERC, quelles propositions retiendriez-vous pour améliorer la formation des demandeurs d'emploi ?

M. Marc Ferracci - Je tiens à mentionner que j'ai effectué ma thèse sous la direction de Pierre Cahuc. Je suis extrêmement favorable au guichet unique pour des raisons à la fois pratiques et économiques. Il facilite la vie des demandeurs d'emploi. Cependant, le simple fait d'établir un lieu physique commun, où l'indemnisation et les ressources d'accompagnement sont réunies, n'emporte pas forcément la cohérence du système. Au-delà du guichet unique, qui participe d'une logique intégrative, je suis un fervent défenseur d'un rapprochement entre l'organisme qui indemnise et celui qui accompagne, c'est-à-dire d'un rapprochement entre l'UNEDIC et l'ANPE. Cette idée est au centre du débat. Je publie un article ce mois-ci dans la Revue française d'économie, intitulé « Améliorer le service de l'emploi, ce que disent les faits ». A cette occasion, je dresse une revue de toutes les réformes entreprises à l'étranger en matière de service public de l'emploi.

Concernant l'articulation indemnisation-formation, nous gagnerions à fusionner pour au moins une raison. Aujourd'hui, nous savons que des personnes reçoivent une indemnisation durant vingt-trois mois, alors même qu'elles pourraient retrouver un emploi bien plus rapidement. Certains demandeurs d'emploi très qualifiés, haut diplômés, possédant des réseaux sociaux étendus, peuvent assez facilement décrocher un nouvel emploi. Ils ne subissent pas vraiment le chômage, mais choisissent de prendre leur temps avant d'occuper un nouveau poste. Ils peuvent se permettre ce choix puisqu'ils touchent une confortable indemnité. Il existe donc une hétérogénéité entre les demandeurs d'emploi. Niveler les niveaux d'indemnisation afin d'améliorer le système n'est pas envisageable. En revanche, l'observation des systèmes mis en place à l'étranger nous apporte des solutions. En introduisant de manière obligatoire le passage dans des mesures actives comme la formation, nous incitons ceux qui ne souhaitent pas participer à ces dispositifs à mener une recherche d'emploi plus dynamique. Nous constatons, dans les exemples étrangers, que les haut diplômés, qui bénéficiaient de leur indemnisation durant quelques mois sans chercher activement un emploi, vont fréquemment obtenir un nouveau travail avant que la formation obligatoire ne débute. La perspective d'entrer en formation les conduit à se positionner de nouveau sur le marché du travail. Nous parlons alors d'un effet de « menace » de la formation.

Cet aspect, qui peut paraître anecdotique, résout en partie le problème de l'aléa moral auquel sont confrontés tous les systèmes d'indemnisation, en particulier celui de l'assurance chômage. Nous ne savons jamais précisément quel est l'effort de recherche d'emploi des chômeurs. Certains peuvent parfois ne fournir aucun effort et attendre d'être au bout de leurs vingt-deux mois d'indemnisation pour commencer à envoyer des CV. Nous pouvons les inciter à retrouver un emploi plus rapidement en instituant des formations obligatoires. Ce système implique de décider de manière conjointe des mesures d'indemnisation et des mesures de formation. Ceci est donc un argument en faveur du rapprochement de l'UNEDIC et de l'ANPE.

M. Jean-Claude Carle, président - Le guichet unique est une nécessité. Cependant, un seul guichet unique par département n'est pas suffisant. Il doit être doublé d'un souci de proximité pour pouvoir être efficace.

M. Marc Ferracci - Suite à mon étude, j'estime aujourd'hui que l'accompagnement des demandeurs d'emploi est notoirement insuffisant. Pour la plupart d'entre eux, il se résume à une entrevue de quarante-cinq minutes tous les six mois avec le service public de l'emploi. Que pouvons-nous espérer de rencontres si éparses ? L'accompagnement doit permettre de bâtir un projet professionnel et d'établir un bilan de compétences requérant une démarche d'introspection. Le système sur ce point doit être amélioré. Vous parlez de rendre plus dense l'accompagnement en termes géographiques ; je considère qu'il est indispensable de le rendre plus dense également en termes de contenu et de fréquence.

Les rapports récents sur la formation des chômeurs confirment les observations sur la nécessité de simplifier le système et de l'évaluer. Je déborde ici de la problématique des chômeurs pour aller vers la formation des salariés. Le système de former ou payer, en dédiant une partie de la masse salariale à la formation, est profondément inéquitable. Nous constatons que les salariés les moins qualifiés accèdent peu à la formation. De leur côté, les petites entreprises sont obligées de supporter une partie du coût de la formation, alors qu'elles n'éprouvent pas forcément de besoins de formation. En termes économiques, ce système est inefficient.

Au sujet de l'organisation du service public de l'emploi, il commence à y avoir un consensus sur le guichet unique. Concernant le rapprochement de l'UNEDIC et de l'ANPE, afin de mettre en cohérence toutes les actions d'accompagnement et d'indemnisation, deux versions sont possibles. La première option, légère, préconisée par le rapport Marimbert, consiste à accroître la coordination en resserrant les liens conventionnels entre l'État, l'UNEDIC et l'ANPE. La deuxième version, offrant à mon sens une plus grande cohérence économique et financière, passe par une réforme ambitieuse amenant à une véritable reprise en main de l'UNEDIC par l'État. En effet, le chômage exerce des effets collatéraux sur la société qui dépassent le simple déséquilibre financier de l'UNEDIC : la violence sociale, la marginalité, l'exclusion. Ces externalités négatives, les partenaires sociaux, dans le cadre de leur gestion de l'UNEDIC, ne s'en préoccupent pas. Ce n'est pas leur rôle et ils n'en ont pas forcément les compétences. Cette fonction est typiquement du ressort de l'État. En outre, l'État est, depuis maintenant plusieurs années, le prêteur de l'UNEDIC. Il devrait donc disposer d'un droit de regard plus étendu sur sa gestion.

Mme Gisèle Printz - Si la formation des chômeurs était mieux dispensée et mieux organisée, réussirait-on à réduire de manière conséquente les offres d'emploi non pourvues et ainsi à faire fortement baisser le chômage ?

M. Marc Ferracci - La dernière partie de ma thèse est consacrée à cette évaluation de la phase macroéconomique. En améliorant l'efficacité de la formation, nous pouvons non seulement permettre aux emplois existants d'être pourvus mais également inciter les entreprises à créer des emplois supplémentaires. Cependant, nous rencontrons des difficultés méthodologiques pour mettre en place ces études. Nous devons doubler les évaluations quantitatives effectuées sur le terrain auprès des chefs d'entreprise. Nous voulons comprendre comment ils perçoivent les réformes du service public de l'emploi ; si elles les incitent à créer de nouveaux postes par exemple.

Mme Gisèle Printz - Nous avons le sentiment que la formation professionnelle est un outil disponible dont nous ne savons pas quoi faire.

M. Marc Ferracci - Pierre Cahuc et André Zylberberg ont écrit une note sur le dispositif de formation continue des adultes salariés qui a marqué les esprits. Ils ont mis en avant le fait que le système est guidé par l'offre de formation. Le service public de l'emploi est face à une offre pléthorique, mais ne trouve pas nécessairement les formations utiles aux demandeurs d'emploi. L'offre étant privée, nous ne sommes pas dans une logique d'intérêt général mais de prestation de services. Les prestataires de formation mettent souvent le service public de l'emploi devant le fait accompli. Les formules de formation qu'ils proposent sont à prendre ou à laisser. Une réforme de l'offre de formation est indispensable. Nous pouvons utiliser un système de certification ou des mécanismes de notation afin de rendre plus transparente l'information sur les prestataires. Lorsque nous lisons dans les journaux que la Scientologie investit le domaine de la formation professionnelle, nous pouvons nous inquiéter. Même si cet exemple reste marginal, sans être scientologues, certains formateurs exercent vraiment mal leur travail de formateur.

M. Jean-Claude Carle, président - Notre mission va se déplacer en province pour les prochaines auditions. Nous aurons ainsi l'occasion de constater sur le terrain si les dispositifs de formation professionnelle peuvent avoir un impact sur les créations d'emploi. En nous rendant dans la vallée de l'Arve en Haute-Savoie la semaine prochaine, nous verrons, sur un métier en tension qui est celui de la mécanique, que les entreprises peinent à trouver deux cents personnes compétentes pour pourvoir des postes. Des lacunes existent au niveau des centres de formation.

En l'absence de nouvelles questions, je lève cette séance. Je remercie encore M. Ferracci d'avoir répondu à notre invitation. Si nous souhaitons obtenir des informations complémentaires sur les sujets qui ont été abordés aujourd'hui, nous n'hésiterons pas à vous contacter de nouveau.

Mes chers collègues, mercredi nous nous déplaçons en Rhône-Alpes toute la journée. Je pense que les visites sur le terrain sont utiles à notre travail. Deux autres déplacements sont programmés pour l'instant : l'un à Marseille, afin d'analyser la situation des populations en difficulté, l'autre en Alsace, pour se pencher sur le problème de l'aspiration des pays frontaliers que sont la Suisse et l'Allemagne.

Audition de MM. Jean-François ROUBAUD, président, Jean-François VEYSSET, vice-président chargé des affaires sociales, et Georges TISSIÉ, directeur des affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) (28 février 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Mes chers collègues, si vous le voulez bien, nous allons commencer nos auditions en remerciant le président Roubaud, qui est accompagné de MM. Veysset et Tissié, d'avoir accepté de venir devant notre mission. Ce sont des acteurs et des partenaires essentiels de la formation professionnelle, puisque la CGPME regroupe les petites et moyennes entreprises qui sont aujourd'hui celles qui créent le plus d'emplois. C'était pour nous un devoir, monsieur le président, de vous écouter et d'entendre ce que vous pensez de la formation professionnelle. Trouvez-vous le personnel qualifié dont vous avez besoin ? Quel est votre point de vue sur les mécanismes de prescription et de financement de la formation professionnelle ?

M. Jean-François Roubaud - Merci, monsieur le président.

Vous avez dans votre propos liminaire donné le chiffre de 24 milliards d'euros. J'ai entendu lors d'une audition récente Jean-Marc Ayrault parler de 25 milliards d'euros. Hier, au Conseil économique et social, le Premier ministre parlait de 30 milliards d'euros. Je m'inquiète de cette inflation des chiffres, qui m'arrange lorsqu'il s'agit du CNE, mais pas pour ce qui concerne la formation. Je voudrais simplement préciser que la somme d'argent dont les entreprises sont responsables est légèrement inférieure à 10 milliards d'euros. Je peux répondre devant votre assemblée d'environ 9,5 milliards d'euros. Il est à mon sens important de le souligner, car la somme d'argent est ainsi divisée par trois. Je suis conscient que rien n'est parfait dans ce bas monde. Ces dépenses sont cependant le résultat d'un travail important des employeurs, qui se consacrent à une efficacité maximale de cet argent, dépensé pour former les salariés.

Vous demandiez également si nous disposions de suffisamment de personnel qualifié. La réponse est clairement négative. Dans nos métiers, et particulièrement dans les métiers de service et l'industrie - vous entendrez tout à l'heure des représentants du secteur du bâtiment - mais également l'hôtellerie, représentée chez nous par Jean-François Veysset, nous sommes en tension. Nous manquons globalement de 300 000 personnes dans nos entreprises. Les outils mis en place - la formation, entre autres - manquent donc pour résoudre ce problème.

J'ai fait venir Jean-François Veysset et Georges Tissié qui vous donneront un certain nombre de chiffres et de graphiques tout à l'heure. Il est très important que l'on s'intéresse véritablement à ces masses d'argent - 9,5 milliards d'euros et non 24 - et à leur meilleure organisation possible par nos organisations humaines, du moins je l'espère, et je fais tout pour que nos organisations collectrices, dont l'AGEFOS, la plus importante de France, fassent leur travail le mieux possible. Il faut également faire en sorte que les mesures récentes soient bien mises en oeuvre - nous parlerons de l'accord de décembre 2003, mais son application n'est intervenue qu'au 4 mai 2004, il me semble. Il faut du temps pour que les entrepreneurs s'adaptent au système. Nous vous donnerons tout à l'heure quelques courbes et quelques chiffres qui en témoignent. Je prends toujours l'exemple du contrat de professionnalisation, au sujet duquel nous étions au moment de son lancement, convoqués toutes les trois semaines par le ministre du travail. Le chef d'entreprise doit s'approprier les mesures. Il n'est pas focalisé sur ce point, en particulier dans les petites et moyennes entreprises que je représente. L'information doit lui parvenir progressivement. Il doit apprendre à l'utiliser.

Voilà, monsieur le président, les propos liminaires que je voulais tenir, en vous faisant part, naturellement, de toute notre bonne volonté pour améliorer, si nous le pouvons, les dispositifs avec les conseils que vous pourriez donner dans votre rapport.

M. Jean-François Veysset - Avant que Georges Tissié ne vous cite quelques chiffres globaux, je voudrais vous dire que, en matière de formation professionnelle, nous sommes acteurs en tant que correspondants pour les formations initiales, à travers les commissions paritaires consultatives, jusqu'au niveau Bac+2, en partenariat avec l'éducation nationale. Ensuite, nous devons sans doute reconstruire un meilleur partenariat universités-entreprises concernant l'enseignement supérieur, notamment au moment où nous devrons, comme vous, nous approprier le parcours européen des certifications et débattre de l'ECVET, nouveau circuit de financement des formations dans un contexte européen et même tourné vers la mondialisation.

Cela étant, nous sommes responsables et très engagés en matière de formation initiale dans le cadre de l'apprentissage et à travers la formation, y compris, lorsqu'il s'agit de formations premières, à travers les contrats de professionnalisation rattachés aux dispositifs et aux circuits financiers de la formation continue. Cela étant, je veux vous rappeler que lors des travaux de la commission Thélot, lors de la consolidation d'une nouvelle approche de l'école et notamment du socle de base, nous avons exprimé au nom des chefs d'entreprises que nous représentons, le souci d'être associés, acteurs majeurs de la formation professionnelle, mais à partir d'un socle acquis en matière de lecture, compréhension, calcul, et d'une première langue étrangère.

Voilà ce que je voulais dire sur le sujet. Georges, peut-être pouvez-vous reprendre quelques chiffres clés par rapport à notre champ de responsabilité.

M. Georges Tissié - Pour prolonger ce qui a été dit précédemment par le président et le vice-président, nous voudrions mettre l'accent sur le fait que, à la suite de l'accord du 5 décembre 2003 et de la loi du 4 mai 2004, toute une série d'éléments nouveaux, de mécanismes nouveaux ont été mis en place. Comme l'a dit le président, il faut du temps pour leur mise en oeuvre, mais nous constatons, grâce aux éléments statistiques dont nous disposons, des résultats importants et en progression. A titre d'exemple, le contrat de professionnalisation concernait en 2005 115 000 personnes, et 145 400 en 2006 selon le Fonds unique de péréquation. Les chiffres 2006 de la DARES sont très proches (142 800). Nous voyons donc que cette nouvelle formule, qui constituait déjà comme l'a indiqué le président, un défi en elle-même, puisqu'elle revenait à une fusion de trois formules existantes, est montée en puissance. Il fallait toutefois du temps avant que cela se mette en place. Nous devons donc retenir pour le contrat de professionnalisation cette forte progression de 115 000 à 145 000.

Concernant les périodes de professionnalisation qui constituaient un autre apport de l'accord du 5 décembre 2003 repris par la loi du 4 mai 2004, les chiffres sont encore plus frappants. En 2005, on dénombrait 240 000 périodes de professionnalisation selon le Fonds unique de péréquation et 248 000 selon le projet de loi de finances 2007.

En 2006, on dénombrait 345 000 périodes de professionnalisation selon le FUP.

Ces chiffres sont très significatifs.

M. Jean-Claude Carle, président - Pouvez-vous nous rappeler ce que sont ces périodes de professionnalisation ?

M. Georges Tissié - La formule peut être ambiguë ; certains ont pu faire dans le passé des confusions. Ces périodes sont notamment consacrées à la formation des salariés dont la qualification est insuffisante au regard de l'évolution des technologies et de l'organisation du travail ainsi qu'aux salariés ayant vingt ans d'activité professionnelle ou âgés d'au moins quarante-cinq ans, qui ont, soit besoin de se remettre à niveau, soit veulent entamer une nouvelle carrière. Ces périodes touchent un public particulier mais nombreux dans notre pays. Il s'agit d'une novation complète. Nous ne pouvons même pas dire qu'elle prenne la suite d'un autre dispositif, comme le contrat de professionnalisation a pris la suite du contrat de qualification et d'adaptation. Cette formule est totalement nouvelle et elle monte en puissance.

M. Jean-Claude Carle, président - Comment est financée cette mesure ?

M. Georges Tissié - Nous pouvons consacrer une part de la contribution légale des entreprises pour la formation professionnelle continue - 1,6 % de la masse salariale - à ces périodes de professionnalisation, selon des mécanismes quelque peu complexes.

Je reprends encore deux exemples. Le premier concerne les actions de formation pour les tuteurs. La notion de tutorat n'est pas entièrement nouvelle, mais, au-delà de l'apprentissage, nous avons étendu ce mécanisme dans le cadre du contrat de qualification et maintenant du contrat de professionnalisation, avec des chiffres moins significatifs mais importants tout de même. Nous comptons en 2005 18 500 actions de formation pour les tuteurs, et 25 000 en 2006.

Enfin, le DIF. Nous avons beaucoup parlé de cette novation, la plus difficile pour les entreprises, et qui ne s'est mise en oeuvre que très tardivement, parce qu'il a fallu signer toute une série d'accords dont certains datent du début de l'année 2005. Selon le projet de loi de finances pour 2007, 130 000 salariés ont bénéficié du DIF en 2006.

Un dernier élément peut être souligné ; il s'agit d'un rappel et non plus d'une novation. Selon le projet de loi de finances pour 2007, 40 % des salariés du secteur marchand, soit plus de 7 millions de salariés, ont bénéficié d'une ou plusieurs actions de formation dans le cadre du plan de formation, acté officiellement par l'accord de 1970 et la loi de 1971 et repris dans l'accord du 5 décembre 2003 et la loi du 4 mai 2004.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci. Avant de laisser la parole à notre rapporteur, je soulignerais que le rapport Zylberberg est très sévère avec le DIF. Il faut prendre du recul sur ce mécanisme et lui laisser le temps de se mettre en place. Un certain nombre de questions portent aujourd'hui sur son éventuelle transférabilité. Que pensez-vous du DIF d'une manière générale ? Répond-il aux besoins des PME et quel est votre avis sur sa transférabilité ?

M. Jean-François Roubaud - Merci, monsieur le président. Je dirais deux mots sur ce point, que mes amis pourront compléter.

En ce qui concerne le droit individuel à la formation, il existe un temps d'adaptation. Le chef d'entreprise et les salariés doivent s'en emparer, ce qui est loin d'être le cas, en particulier dans les très petites entreprises de zéro à vingt salariés. Nous avons un véritable problème d'information et j'ai d'ailleurs demandé à l'AGEFOS - j'ai rencontré son président il y a trois semaines - d'organiser une campagne d'information à destination des salariés comme des chefs d'entreprises. Nous avons dans ce cadre mis en place avec l'AGEFOS une expérimentation pour tenir la main du chef d'entreprise et des salariés pour gérer individuellement les problèmes des salariés. Pour ce faire, nous nous sommes équipés informatiquement depuis trois ans, afin de pouvoir gérer près de 600 000 contrats individuels. Nous sommes en phase d'expérimentation jusqu'au mois de juin, puis nous étendrons le dispositif à l'ensemble du territoire.

En ce qui concerne la transférabilité, j'ai un véritable souci. Je perçois un risque important qu'elle ne bloque l'embauche : quelqu'un qui demandera au moment du recrutement, à rattraper cinq ans de formation pendante risquerait d'être négatif pour l'emploi. La transférabilité est positive, mais elle risque à mon avis de bloquer l'emploi dans les petites entreprises.

M. Jean-François Veysset - Avant même que M. Michelin ne vous fasse part des réflexions propres au bâtiment, qui est ouvert en principe au sein de la branche professionnelle, nous avons déjà réalisé un effort particulier en négociant la convention de reclassement personnalisé, qui comprend une formule de transfert des droits, permettant le développement plus rapide de formations avant même de s'inscrire dans la recherche d'un emploi. Cela étant, nous n'avons pas à l'heure actuelle suffisamment d'analyses, de suivi et d'évaluations sur la mise en oeuvre pour pouvoir passer à un dispositif plus large. Dans le même temps - nous l'avons évoqué tout à l'heure à propos de la période de professionnalisation -, nous étudions ce que nous avons mis sur certains secteurs en correspondance de durée du DIF sur une base pluriannuelle. Certains ont construit des parcours sur des bases de vingt heures, d'autres de soixante ou plus de cent heures. Nous avons besoin d'une phase crédible d'analyse avant de pouvoir dire quelle mesure est souhaitable. La pire des choses serait la cacophonie d'une précipitation non maîtrisée.

M. Georges Tissié - J'ajoute que le DIF est déjà transférable dans certains cas, et ne l'est pas dans d'autres, comme en cas de faute grave ou de faute lourde, ou encore en cas de démission.

M. Bernard Seillier, rapporteur - S'agissant de la maîtrise du socle fondamental, je souhaitais vous demander si vous la considériez comme une priorité insuffisamment prise en compte par notre système de formation et quelles étaient vos préconisations dans ce domaine : j'ai cru comprendre, à travers vos propos, que la formation continue n'avait pas selon vous à assumer ce passif.

M. Jean-François Veysset - Il existe une obligation régalienne de l'État sur le socle des connaissances. Cela étant, des jeunes femmes et des jeunes gens, dits adultes depuis plusieurs années, ont besoin de parcours différents. C'est pourquoi la CGPME considère avec beaucoup d'intérêt l'insertion par l'entreprise, afin de redisposer ces jeunes à un désir d'apprendre, y compris le socle qu'ils auront insuffisamment acquis par le parcours à l'école primaire et au collège.

M. Bernard Seillier, rapporteur - De grands espoirs sont fondés sur les créations d'emplois dans le secteur des services à la personne que l'on chiffre parfois à deux millions. Cela vous paraît-il réaliste ? Comment, par ailleurs, adapter notre appareil de formation professionnelle pour favoriser un meilleur développement de ces nouveaux services ?

M. Jean-François Veysset - Nous l'avons évoqué ce matin même en section du travail au Conseil économique et social où je siégeais et où Mme Arnoult-Brill, issue des milieux associatifs, est rapporteur sur le sujet de la sécurisation des parcours professionnels. L'information, c'est la structuration de ce secteur particulier de l'économie sociale et solidaire, qui se constitue en tant qu'employeur et va devoir mettre en place des outils, comme cela a été fait pour l'économie marchande que nous représentons devant vous. Il leur revient de dégager les capacités financières correspondant à ces attentes de formation, y compris de professionnels plus aguerris que ceux que nous avons aujourd'hui, en particulier dans le domaine de la dépendance.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Si je vous comprends bien, vos propos confirment l'importance que prendra ce secteur s'il parvient à se structurer.

M. Jean-François Veysset - Il regroupe d'ores et déjà environ 10 % de l'emploi, ce qui est suffisamment important pour que l'on s'en inquiète.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Merci. Quel est le pourcentage de mutualisation du financement de la formation professionnelle ? Faut-il le renforcer ?

M. Jean-Claude Carle, président - Si vous le permettez, j'aurais une question corollaire à celle du rapporteur. Deux dispositifs existent aujourd'hui - le contrat d'apprentissage et le contrat de professionnalisation -, ce qui constitue déjà une amélioration considérable étant donné la multiplicité de contrats qui existait auparavant. Dans un souci de simplification, souhaitez-vous la création d'un contrat unique ou le maintien de ces deux contrats, quitte à ce qu'il existe une certaine fongibilité des mécanismes de financement.

M. Jean-François Roubaud - J'ai le sentiment qu'il existe véritablement deux étages de formation, initiale et professionnelle. Il est à mon sens difficile de les fusionner en un seul pour des raisons de simplification ; nous sommes véritablement dans deux mondes différents.

M. Jean-François Veysset - J'ajouterais qu'il s'agit de publics différents. Concernant la fongibilité, nous avons tenté, dans des zones à moindre densité, de regrouper au sein de mêmes classes des personnes de statuts différents. Cela pose très rapidement des problèmes insolubles, car il suffit que l'un des financeurs soit en retrait et tout s'effondre. Nous n'en sommes pas encore à la période que nous souhaiterions, dans laquelle un porteur de projet, notamment en matière de formation, puisse être également un catalyseur incontournable des fonds, pour agir dans une certaine sécurité.

M. Jean-Claude Carle, président - A l'inverse, une certaine fongibilité des mécanismes de financement ne serait-elle pas de nature à développer un certain nombre de filières qui éprouvent aujourd'hui des difficultés de recrutement ? Comme vice-président de la Région Rhône-Alpes, j'ai parfois éprouvé des difficultés à ouvrir des filières pour les seuls contrats d'apprentissage et le fait d'intégrer des contrats de qualification permettait d'atteindre le seuil minimum pour ouvrir ces filières. Nous étions en Haute-Savoie la semaine passée : dans les métiers de la mécanique, nous éprouvons d'énormes difficultés à recruter des personnels, alors que les entreprises de la vallée sont prêtes à accueillir 200 ou 300 titulaires du baccalauréat professionnel. Au niveau de la formation initiale, des difficultés apparaissent également pour les CFA. Une certaine mutualisation ou fongibilité ne permettrait-elle pas de lever ces barrières ?

M. Georges Tissié - Il existe déjà une fongibilité dans un sens.

M. Jean-François Veysset - Dans certaines zones, dont celle que vous venez de citer, il existe des facteurs importants de saisonnalité. Il est nécessaire d'y ouvrir des sections en fonction de besoins définis en proximité. A partir de là, pour optimiser les ressources, il ne faut pas hésiter à fondre les origines de financement, mais non le dispositif, qui doit pour sa part rester défini par l'obtention d'un diplôme ou d'une certification de qualification professionnelle, qui sera l'accompagnant de la formation pour une meilleure insertion. Ne mélangeons pas les différents facteurs auxquels nous sommes confrontés.

M. Georges Tissié - Il existe déjà une fongibilité, à hauteur de 50 % maximum des fonds destinés aux contrats de professionnalisation. Plusieurs accords de branche l'ont utilisée. Des sommes consacrées aux contrats de professionnalisation peuvent ainsi être utilisées pour l'apprentissage. Certains posaient la question de savoir s'il ne fallait pas une fongibilité dans les deux sens. Il faut tout de même être prudent sur ces questions. En cas d'automatisme de la fongibilité, nous risquons - et on nous le reprochera - de disposer de trop d'argent dans l'un des vases devenus communicants, et cela posera d'autres problèmes. La fongibilité existe pour l'instant en faveur de l'apprentissage. Nous n'avons pas de besoins financiers pour le contrat de professionnalisation ; la fongibilité en direction de ce contrat n'est donc pas actuellement une priorité. Il s'agit en outre de deux formules différentes, comme l'a rappelé le président. Le public demeure différent par le niveau de qualification et par l'âge. Le contrat de professionnalisation constitue une manière de donner une deuxième chance d'insertion à des personnes qui sont souvent plus âgées, qu'en matière d'apprentissage.

M. Jean-Claude Carle, président - La fongibilité pourrait toutefois permettre l'ouverture d'une section ou d'une filière.

M. Jean-François Veysset - J'ai moi-même parrainé et organisé en Seine-et-Marne des formations très ciblées, qui n'ont aujourd'hui plus de présence dans les lycées professionnels ou les centres d'apprentissage. Si l'on sait qu'il existe des emplois derrière, il est possible de créer spécifiquement une action de formation qui dure deux ans et que l'on n'est pas obligé de reconduire dès l'année suivante. C'est le rôle de coordination de la région de mettre tout le monde autour de la table afin d'apporter une offre de formation mieux adaptée aux besoins. Dans l'accord CGPME-partenaires sociaux, au-delà de l'accord national interprofessionnel, nous avons donc été particulièrement vigilants sur cette capacité dans les territoires de conduire des missions d'information, de coordination, d'accompagnement des entreprises, avec nos outils, et notamment l'AGEFOS, qui doit être un partenaire logistique, mais également de ressources financières.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Monsieur le président, merci d'avoir contribué à clarifier ma question. La question du financement des organisations professionnelles au travers de la formation professionnelle est délicate : elle est liée au problème de l'amélioration de la représentativité syndicale. Celle-ci butte actuellement sur le fait qu'un certain nombre d'organisations syndicales n'ont actuellement pas besoin de recruter des adhérents puisque des fonds importants leur sont d'ores et déjà alloués. Quelles propositions pouvez-vous faire pour que la situation évolue dans un sens favorable à tous ?

M. Jean-François Roubaud - Nous pouvons sans doute améliorer le fonctionnement des dispositifs, comme je le disais en préambule. Pour autant, la machine est complexe. Le financement de la formation est suivi de près, puisqu'il mobilise 24 milliards d'euros globalement. L'AGEFOS est ainsi suivie régulièrement par la Cour des comptes. Le dernier rapport a fait état du fait que nous avions provisionné des sommes qui n'avaient pas été encore dépensées. Nous avons finalement remboursé ces sommes. Nous prenons ces choses très au sérieux. En tant que responsable d'organisation, il m'apparaît très important de vérifier que cet argent est bien utilisé. D'autres organisations pourraient être retenues ; je n'en suis pas convaincu. Je crains toujours, lorsque l'on veut bouleverser un système pour faire mieux, de casser quelque chose qui commence à marcher depuis quelques années.

M. Jean-Claude Carle, président - A qui remboursez-vous ces sommes que vous n'avez pas dépensées ?

M. Jean-François Roubaud - Nous les remboursons au Trésor ; il ne s'agit pas des sommes de la formation.

M. Jean-Claude Carle, président - D'où proviennent ces sommes ?

M. Jean-François Roubaud - Ce sont des sommes prélevées aux entreprises et qui n'ont pas été utilisées dans le temps imparti.

M. Georges Tissié - Ces sommes sont versées dans un cadre fixé par un accord paritaire, à la suite du décret gouvernemental du 7 août 1996. Elles sont destinées à aider les organisations représentatives, tant des employeurs que des salariés, à jouer leur rôle dans les différentes instances de la formation. Ce ne sont ni des sommes destinées à la formation des salariés, ni à la gestion des organismes. Elles visent à permettre aux organisations de jouer leur rôle de gestionnaires du système de formation et de décideurs en matière de formation ; c'est donc encore un troisième élément.

M. Jean-Claude Carle, président - Ce sont toutefois des sommes qui retournent à Bercy ; il n'est rien de pire. Cela n'engage que moi.

M. Jean-François Veysset - Ces sommes nous permettent également d'assurer la présence et le défraiement d'un certain nombre d'administrateurs. Concernant les organisations patronales, il n'existe même aucune imputation concernant un manque de rémunération - cela ne peut concerner que les salariés. Il existe une autre possibilité d'être nous-mêmes source d'information, de compréhension, d'évolution à travers la constitution de dispositifs dont les gestionnaires issus de notre organisation auront besoin pour remplir leur mission. Cela est relativement complexe. On ne peut pas cacher que cela contribue à renforcer notre capacité à créer des liens verticaux de l'organisation nationale vers les territoires, mais également à ce que eux, de manière horizontale, trouvent les stratégies pour convaincre les chefs d'entreprise de s'approprier ce qui pourrait leur apparaître comme une charge - puisqu'il existe une obligation contributive -, afin de le transformer en investissements dans l'intérêt des salariés.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Que pensez-vous de l'externalisation des actions de formation, qui semble un modèle prévalant aujourd'hui ? Préférez-vous à l'inverse le modèle allemand de formation intégrée à l'entreprise?

M. Jean-François Veysset - Seules les grandes et les moyennes entreprises sont actuellement à même de développer un service de formation - je pense notamment à l'Académie Accor. Dans 90 % des entreprises que nous représentons, nous sommes favorables à l'externalisation des formations. Nous acceptons même l'e-learning, sous réserve de l'existence d'un accompagnement pédagogique. Cet enseignement à distance interpelle particulièrement les plus petites entreprises, qui, ne pouvant pas accepter une journée d'absence du salarié, mettent à sa disposition des formules de formation fonctionnant une heure par jour. Nous y sommes favorables sous réserve qu'un enseignant correspondant puisse répondre lorsqu'il y a hésitation ou échec.

Mme Gisèle Printz - J'ai lu un article dans Les Échos, indiquant que les TPE de un à neuf salariés ne bénéficient que de 29 % des actions de formation ; dans les PME de cinquante salariés, seules 58 % des personnes bénéficient d'une formation. Cette formation est-elle dispensée à la demande du salarié, ou des employeurs? J'ai noté également que l'information sur les droits à la formation des salariés était peu répandue dans les entreprises.

M. Jean-François Veysset - Il n'est pas possible de globaliser : ce serait dangereux. Les entreprises de moins de dix salariés mettent en oeuvre un dispositif différent. Nous évoquions tout à l'heure le chiffre de 1,6 % de la masse salariale pour les entreprises de plus de dix salariés - il se limitait à 0,15 % il y a encore trois ans pour les TPE ; nous avons demandé son passage à 0,30 %, puis à 0,45 % de la masse salariale. Il s'agit maintenant d'optimiser l'utilisation de cette somme, pour dépasser un concept de prise en charge forfaitaire. Peut-être faudra-t-il concevoir dans quelques années une harmonisation plus importante. Cela étant, cela implique un commun accord entre le salarié et le chef d'entreprise. Si le salarié n'a pas d'appétence pour partir en formation, il s'agit de gaspillage. La formation doit conduire à un gain partagé.

Au niveau d'AGEFOS, nous avons des résultats qui, en matière d'accès à la formation des ouvriers et des salariés, sont supérieurs à la moyenne nationale, parce que nous collons au territoire et pouvons de ce fait répondre aux attentes. De même, nos chiffres sont les meilleurs pour ce qui concerne la formation pour les femmes. Nous avons même été parmi les premiers à aller vers une discrimination positive pour une meilleure réinsertion des femmes sortant d'un congé maternité.

M. Georges Tissié - Pour prolonger ce qu'a dit Jean-François Veysset, il faut bien voir que le système français est protéiforme. Le plan de formation est décidé par le chef d'entreprise, mais peut être limité en matière de conséquences pratiques réelles si le salarié ne veut pas profiter des actions décidées dans ce domaine. L'initiative du DIF revient à l'inverse au salarié, mais cette mesure requiert un accord écrit entre le chef d'entreprise et la salarié sur l'action de formation engagée dans ce cadre. Le congé individuel, enfin, est entièrement décidé par le salarié, puisque celui-ci sort de l'entreprise. Ce système est donc finalement assez complet.

Mme Annie David - Concernant le DIF, j'estime injuste que les droits soient calculés au prorata du temps travaillé : je prends souvent l'exemple des femmes qui travaillent à temps partiel. Dans certaines entreprises qui mettent en place des organisations en trois équipes ou plus, les salariés qui travaillent les vendredis, samedis et dimanches n'effectuent pas 35 heures hebdomadaires, mais disposent d'un CDI au même titre que leurs collègues et ont droit à une rémunération équivalente ; pourtant, ils n'ont pas droit aux mêmes dispositifs que leurs collègues. Je trouve cette relation entre le temps travaillé et le DIF injuste et voulais savoir ce que vous en pensiez. Pour revenir à la discussion portant sur la fongibilité entre l'apprentissage et les contrats de professionnalisation, je suis inquiète, monsieur le président, au sujet de la possibilité que vous évoquez. Les deux dispositifs s'adressent à des publics bien différents et les financements eux-mêmes ne sont pas comparables, même si les PRDF traitent à la fois des contrats de professionnalisation et de l'apprentissage. Comment distinguer l'origine des financements dans le cadre de la fongibilité ? Au-delà de cette remarque, je souhaitais surtout recueillir votre avis sur le DIF.

M. Jean-François Roubaud - Le DIF est le résultat d'une négociation paritaire et commence à peine à être mis en place dans nos entreprises ; dans les plus petites, il ne l'est pas encore, du fait du retard que nous avons pris. Il n'est donc pas encore temps de le renégocier. Je ne dis pas que vous ayez tort, mais nous devons d'abord l'intégrer dans le fonctionnement de l'entreprise. En ce qui concerne les 9,5 milliards d'euros dont je vous ai parlé, ces sommes correspondent à ce qui est utilisé par les entreprises pour la formation.

Mme Gisèle Printz - A quoi correspond le différentiel avec les 24 milliards d'euros annoncés ?

M. Georges Tissié - Ces chiffres figurent dans le projet de loi de finances pour 2007. En 2004, les entreprises ont consacré 9,5 milliards d'euros à la formation, y compris l'apprentissage, qui ne relève pas de la formation professionnelle continue. L'État a dépensé 4,1 milliards d'euros, les régions 2,7 milliards, les collectivités publiques en tant qu'employeur 5,4 milliards, les ménages 1 milliard et l'UNEDIC 1,3 milliard d'euros.

M. Jean-François Veysset - Pour compléter sur le DIF et les temps partiels, je rappellerai que nous avons signé une équivalence de durée du droit individuel à la formation, pour les personnes notamment qui travaillent à 80 % de la durée de base de l'entreprise ; dans les autres cas, la proratisation est mise en oeuvre. Par ailleurs, nous avons signé un avenant la semaine dernière pour faire bénéficier les personnes en contrat à durée déterminée de l'attribution forfaitaire de 0,41 % d'indemnisation pour une formation ayant lieu en dehors du temps de travail - on comprend bien, en effet, qu'une personne embauchée pour deux jours ne peut pas faire valoir son droit à la formation pendant cette période.

M. Serge Dassault - Monsieur le président, le sentiment général des personnes qui cherchent du travail en apprentissage est de ne pas trouver suffisamment d'entreprise d'accueil. Cette formule n'intéresse pas toujours les entreprises et peut leur poser des problèmes, ce qui limite la possibilité pour les jeunes d'entrer en apprentissage ; même dans les CFA, on laisse souvent les jeunes se débrouiller tout seuls, ce qui n'est pas toujours facile. Existe-t-il effectivement une difficulté pour les petites entreprises pour le recrutement des apprentis ? Que faudrait-il faire pour les y inciter ? Il s'agit à mon avis d'un des blocages fondamentaux de la formation professionnelle.

M. Jean-François Roubaud - Merci, monsieur le sénateur. Je crois que les PME sont plutôt des bons élèves de ce point de vue. Elles utilisent beaucoup l'apprentissage ; les grandes entreprises ont en revanche un effort à faire. Cela a été reconnu récemment. Au niveau global, manque-t-il d'entreprises pour accueillir des apprentis, Jean-François Veysset ?

M. Jean-François Veysset - Oui, nous manquons d'entreprises formatrices. Pour celles qui accueillent des personnes en formation, nous pourrions demander un effort supplémentaire sur deux points. Le premier reviendrait à reconnaitre que les jeunes en apprentissage consacrent la moitié de leur temps en CFA. Nous pourrions ainsi proposer que les entreprises qui accueillent une personne en alternance en accueillent deux, qui ne soient pas présentes en même temps dans l'entreprise. Nous proposons une autre évolution, plus globale, qui concerne davantage les branches et les grandes entreprises. On a parfois limité abusivement la présence cumulée d'apprentis, de jeunes en contrat de professionnalisation et de stagiaires. Il faudrait - et les régions doivent nous y aider - construire des parcours différenciés de tous ces jeunes en alternance dans l'entreprise, pour ne pas avoir un cumul pendant les périodes de congés scolaires, c'est-à-dire de devoir demander aux entreprises d'adapter leur recrutement en fonction du calendrier scolaire et non pas de leur calendrier d'activité.

M. Yann Gaillard - S'agissant du secteur des services à la personne qui constituent un important gisement d'emploi, pouvez-vous nous apporter des indications précises sur ce que l'on doit apprendre à ceux qui viendraient se former à ces métiers ? Par ailleurs, quelles entreprises de ce secteur sont formatrices dans ce type d'emplois ? Je comprends l'importance de ce secteur, mais je crois nécessaire de clarifier les données.

M. Jean-François Veysset - La construction de travaux vers la personne ne se limite pas à l'économie sociale et solidaire. La problématique remonte à une très grande difficulté des travailleurs sociaux à être suffisamment formés et adaptés aux évolutions de notre population et à son vieillissement généralisé. Il existe un besoin global de formation, quels que soient les axes vers lesquels nous nous tournerons. Votre question me fait penser aux difficultés des emplois-jeunes il y a quelque temps, qui ont échoué faute de formation. Toutefois, je crois qu'il faut rendre hommage aux capacités des OPCA interprofessionnels - les réseaux OPCAREG et AGEFOS - d'avoir pu créer des dispositifs tels que le président les évoquait tout à l'heure à propos d'un métier précis. Des tâches précises existent en matière de services à la personne, avec un coordinateur qui pourrait être la région, puisque cela fait partie de ses nouvelles attributions notamment pour le secteur paramédical. Il s'agit de construire des parcours pour que celles et ceux qui se tourneront vers ces nobles emplois puissent les affronter en partie « dépénibilisés » et en ayant acquis un certain nombre de connaissances. Il est également envisageable - nous l'avons mis en place dans le monde du handicap - de choisir des entreprises intermédiaires qui puissent servir de sas entre des tâches parfois particulièrement difficiles et le besoin de respirer. Cela serait particulièrement adapté pour les personnes travaillant dans le domaine des soins palliatifs ou dans toute une série de professions délicates.

M. Jean-François Humbert - Je suis désolé de devoir jouer les trouble-fête. J'ai l'impression, vous écoutant depuis bientôt une heure, qu'il n'y a guère de difficultés dans la gestion paritaire du dispositif de formation professionnelle, en dehors de quelques critiques à la marge que j'ai entendues ici ou là. Le but de cette mission d'information ne se résume pas à faire un état des lieux, : il s'agit également de savoir si, de votre point de vue, tel ou tel élément devrait être amélioré, supprimé, remplacé par d'autres. Avez-vous des recommandations prioritaires, ou des réflexions à formuler, afin que nos travaux débouchent non seulement sur un constat de ce qui existe mais aussi sur des pistes d'amélioration de la formation professionnelle ?

M. Jean-François Roubaud - Merci. Je me disais tout à l'heure que l'on peut toujours améliorer les dispositifs ; nous pouvons faire beaucoup mieux. Il faut considérer deux aspects, la collecte d'une part et la formation que l'on peut donner aux salariés d'autre part. Un important effort doit sans doute être réalisé dans les organismes de formation pour répondre aux besoins des entreprises, mettre en adéquation l'offre et la demande. Je suis encore chef d'entreprise ; l'un de mes directeurs me demandait ce matin comment trouver un frigoriste, qu'il n'a pas trouvé à l'ANPE. Nous devons repenser la formation des jeunes et des moins jeunes en fonction des débouchés qui existent. Le rapport Hetzel a bien mis en lumière ce décalage entre les filières universitaires et les marchés : il existe par exemple très peu de débouchés en sociologie, alors que l'on attend des candidats dans d'autres domaines. Une véritable information doit être faite sur ce plan. Nous devons ensuite vérifier que les jeunes disposent de la formation adéquate pour être directement utilisables dans l'entreprise.

M. Jean-François Veysset - Pour compléter, je souligne que nous avons défini entre partenaires sociaux des priorités, notamment pour les publics les plus éloignés de l'emploi, ne disposant pas d'une première qualification. Nous sommes également en train de travailler sur la transversalité ; les emplois de secrétaire ou de comptable ne devraient pas appartenir à un seul secteur professionnel. Or, l'on rencontre parfois l'obstruction d'une branche, qui refuse que l'on puisse accompagner les formations qu'elles financent dans d'autres branches. Nous avons encore beaucoup à faire pour être plus efficaces, mieux répondre à des attentes très précises au regard de la réalité des emplois et si possible faire de la prospective sur les emplois de demain et, enfin, dans le cadre des nouvelles missions de l'ANPE, à mieux aller chercher dans la personne quelles sont ses capacités dormantes pour ne lui dispenser que les formations utiles. C'est pourquoi nous avons, avec les partenaires sociaux, favorisé les entretiens, les bilans de compétences, la validation des acquis de l'expérience, dans la recherche d'une meilleure efficacité. Vous avez cependant raison : nous partons de loin. D'autre part, nous devons nous préoccuper actuellement d'une génération dont 10 à 15 % des individus sont tellement éloignés du socle des connaissances dont nous parlions, qu'il est difficile de leur apprendre les premiers rudiments d'une professionnalisation, même à faible qualification. Nous confions aujourd'hui des matériels tellement coûteux, que certains risques ne peuvent pas être pris. D'autre part, nous sommes confrontés dans l'entreprise à une réglementation en matière de sécurité et d'hygiène que les salariés doivent pouvoir s'approprier.

M. Jean-Claude Carle, président - Il s'agit d'une question très importante, que nous ne pourrons pas régler aujourd'hui. Si vous avez des compléments d'information à nous donner, n'hésitez pas à le faire. Avant de clore nos débats, je souhaite poser une dernière question. Vous avez parlé du rôle important des régions, dont vous souhaitez qu'elles vous aident sur le plan de la coordination. Ne doit-on pas toutefois aller encore plus près du terrain pour la concrétisation des actions - je pense notamment à l'échelle du bassin d'emploi, du bassin de formation ? La réponse du système de formation, initiale ou continue, est une réponse sociale, une réponse aux besoins de l'économie, mais également en matière d'aménagement du territoire. Forts de votre expérience, comment voyez-vous cette réalité ?

M. Jean-François Veysset - Les créations de maisons de l'emploi et de leurs antennes ont joué un rôle. Nous devons y être présents pour que nos dispositifs permettent la conclusion des partenariats nécessaires pour remplir un certain nombre de missions. Nous n'en sommes qu'au démarrage. La CGPME a donné consigne à ses responsables territoriaux locaux, acteurs parfois de conseils de développement, d'être présents, afin de partager les problématiques au nom des entreprises pour ensuite essayer d'avoir une approche la plus pragmatique possible par rapport aux approches du terrain. Représentant un conseil de développement, je puis vous dire que la préoccupation première de nos concitoyennes et nos concitoyens est de rapprocher les entreprises de leurs enfants pour développer les bonnes formations.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette demande porte sur à la fois sur la formation initiale et sur la formation continue?

M. Jean-François Veysset - Oui, car mieux une formation initiale est acquise, plus l'on dispose d'un savoir-apprendre, qui permettra ensuite d'actualiser son parcours et si possible de l'améliorer.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci messieurs d'avoir accepté de venir nous rencontrer.

Audition de M. Jean MICHELIN, directeur de la formation de la Fédération française du bâtiment (28 février 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Michelin, directeur de la formation à la Fédération française du bâtiment, qui est l'un des partenaires importants de la formation professionnelle.

Nous avons déjà mené un certain nombre d'auditions. Notre mission vise à effectuer un constat le plus exhaustif possible de la situation de la formation professionnelle dans notre pays. Nous dépensons chaque année 24 milliards d'euros. Selon nous, il s'agit non d'une dépense, mais d'un investissement et il est donc logique que le Parlement se penche sur ces sommes importantes afin de savoir si elles sont utilisées à bon escient, de regarder ce qui fonctionne bien et ce qui fonctionne moins bien, et d'y apporter certaines améliorations.

Le bâtiment est ce que l'on appelle un métier en tension, puisque vous vous plaignez souvent de ne pas trouver les personnes qualifiées dont vous avez besoin. Que pourrait-il être fait pour améliorer cette situation ? Les PME que vous regroupez, entre autres, parviennent-elles à accéder à des centres de formation ? Les salariés potentiels dont ont besoin vos entreprises s'y retrouvent-ils dans ce parcours qui constitue un véritable labyrinthe ? Monsieur Michelin, je vous laisse tout de suite la parole, après quoi je laisserai notre rapporteur, Bernard Seillier, vous poser un certain nombre de questions, ainsi que mes collègues qui n'y manqueront pas. Vous pourrez compléter vos propos par toute contribution écrite que vous souhaitez, sachant que nous devons rendre notre rapport au mois de juillet.

M. Jean Michelin - Merci monsieur le président.

Notre thème du jour est la formation continue ; je devrai toutefois dire un mot de la formation initiale.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous n'écartons pas la formation initiale, les deux thèmes étant extrêmement liés.

M. Jean Michelin - Dans le secteur du bâtiment, nous avons développé l'apprentissage depuis l'après-guerre ; 80 000 jeunes en bénéficient actuellement, et nous avons pour objectif de passer à 100 000 apprentis d'ici à 2012. Pour y arriver, nous trouverons les entreprises et probablement les jeunes. Encore faudra-t-il revoir les systèmes de financement des CFA, des UFA, des sections d'apprentissage, qu'il faudra éventuellement ouvrir pour des sections de niveau supérieur.

Nous avons dans le bâtiment une tradition de paritarisme, qui préside à l'organisation de l'apprentissage depuis 1945 et à la gestion. La formation continue a été mise en oeuvre dans la profession sous forme paritaire dès les lois de 1971, date à laquelle nous avons également décentralisé notre système de formation continue, avec les antennes régionales, que certains d'entre vous connaissent sans doute et qui s'appellent les AREF-BTP. Celles-ci sont proches de la demande de l'employeur et du salarié, pour apporter conseils et services extérieurs. Une étude récente du CEREQ sur le service apporté par les OPCA pour plusieurs branches de leurs adhérents démontre que le bâtiment, avec cette construction qui date de trente-cinq ans maintenant, a su développer ce service dont les PME ont un besoin particulier. Vous imaginez naturellement que les grands groupes, Vinci, Bouygues et Eiffage, n'ont pas besoin d'être aidés. Ils disposent de leur propre politique interne de formation continue, mais les 15 000 PME de plus de dix salariés, qui regroupent en moyenne vingt-cinq salariés, ont besoin d'être accompagnées, de même que les 150 000 artisans employant moins de dix salariés et en regroupant en moyenne trois et que les 140 000 artisans travaillant seuls. La répartition de toutes ces entreprises jusque dans les communes les plus reculées nécessite la mise en place d'un dispositif couvrant tout le territoire. Les chiffres sont les suivants : 187 000 personnes bénéficient chaque année de la formation continue, pour 277 millions d'euros d'investissement des entreprises, auxquels s'ajoutent des aides des conseils régionaux, de l'État ou du fonds social européen sur des actions de formation particulières.

La formation est une passion dans le bâtiment, provenant de la tradition de compagnonnage sur les chantiers ; des milliers d'employeurs et de salariés négocient, pilotent, gèrent la formation. Je suis généralement fâché de ce que l'on oppose les branches, loin du terrain, et les territoires. Cette distinction n'est pas pertinente. Une quarantaine de leaders nationaux négocient des accords sociaux en matière d'emploi et de formation, mais plusieurs milliers d'employeurs et de salariés, dans les régions et les départements, ont des rapports avec les conseils régionaux, les préfets, les recteurs, gèrent des centres de formation d'apprentis, des antennes de formation continue, des services de proximité. L'accord du 13 juillet 2004 décentralise une partie de la responsabilité des partenaires sociaux au niveau national dans les régions, au travers de ce que nous appelons les commissions paritaires régionales de l'emploi et de la formation. Nous souhaitions ainsi renforcer la compétence de notre branche en région, afin qu'elle soit toujours plus à même d'avoir des rapports avec les conseils régionaux, pour croiser les besoins économiques et sociaux et les intentions politiques, et qu'elle puisse travailler toujours plus avec les services décentralisés de l'État.

Sur ce point, je souhaite faire une deuxième remarque ; les autres professions ne sont pas organisées de la sorte, par un croisement entre branche et territoires. L'autre sujet qui me tient à coeur est le suivant : il est manifeste qu'il existe trois acteurs principaux dans la gestion de la formation continue - les représentants des entreprises, employeurs et salariés, partenaires sociaux et la branche, qui d'après le code du travail ont tout un champ de négociation, des obligations de négocier, des priorités, des financements, de la construction de structures. Les adaptations sont permanentes, surtout dans une profession comme la nôtre, qui a perdu 200 000 emplois au début des années quatre-vingt-dix et vient d'en recréer 200 000 nouveaux en sept ans. Nous négocions sans arrêt des accords d'adaptation du système. La première légitimité du système est donc constituée par l'intérêt de l'entreprise au sens large, c'est-à-dire du couple employeur-salarié. Le conseil régional a reçu un certain nombre de missions, en particulier l'apprentissage. L'État, enfin, a tout son rôle à jouer. Nous devons veiller à ce que l'équilibre entre ces trois partenaires soit préservé et s'établisse par une contractualisation, comme nous savons le faire pour l'apprentissage, par exemple, qui donne lieu à des contrats d'objectifs de moyens ou territoriaux, obligeant branches, régions et État à négocier sur des objectifs quantitatifs comme qualitatifs. Chacun doit bien rester dans son champ de légitimité. Il existe actuellement une tendance de certains à ignorer ce que l'autre partenaire fait et à s'approprier des champs de compétences qui ne relèvent pas de leur responsabilité. Ainsi l'apprentissage ne relève-t-il pas du seul champ de compétences du conseil régional ; celui-ci a tous les droits d'ouverture ou de fermeture d'un CFA, mais ne dispose pas de compétence sur le contrat de travail, qui reste évidemment de la responsabilité de l'employeur et des salariés, et des organisations qui les représentent. Nous avons par exemple pris nos responsabilités en signant cinq accords sociaux pour accompagner la volonté de MM. Borloo et Hénart de développer l'apprentissage. Nous avons en premier lieu modernisé le statut de l'apprenti, en prévoyant une augmentation du salaire d'accueil de 25 à 40 %, l'accompagnement des apprentis en matière de santé, de sécurité, de prêt à taux zéro pour l'achat du premier véhicule, de primes pour payer le permis de conduire. Nous sommes là dans notre champ de légitimité de partenaire social, lorsque que nous nous préoccupons de la condition de vie de jeunes salariés au travail. Nous avons signé un accord, comme je vous le disais précédemment, décentralisant en région des responsabilités de partenaires sociaux de niveau national. Nous avons signé un accord imposant la formation, la certification et l'indemnisation des maîtres d'apprentissage salariés à l'horizon 2012. Nos 80 000 apprentis sont formés actuellement par 60 000 maîtres d'apprentissage, dont 40 000 salariés, les autres étant des artisans. Là encore, nous sommes dans notre champ de légitimité. Je suis très soucieux de réaffirmer que cela ne fonctionnera que si les trois partenaires sont à armes égales pour négocier des contrats de développement et d'objectifs ; ils doivent donc disposer des mêmes moyens. J'ouvre ici une parenthèse sur la taxe d'apprentissage. Nous avons fait le choix d'arriver au chiffre de 100 000 apprentis. Nous devrons donc revoir comment la participation des entreprises au travers de la taxe d'apprentissage pourra retrouver son potentiel. Aujourd'hui, une bonne partie sert à financer des fonds nationaux gérés par l'État et, par conventionnement, les conseils régionaux.

Enfin, concernant la formation continue stricto sensu , les partenaires sociaux sont en charge de la gestion. Je pourrais vous montrer tous les documents, toutes les informations que nous mettons à disposition de nos entreprises et tous les projets que nous menons pour entraîner le maximum de nos adhérents dans la modernisation de la gestion des ressources humaines, en nous appuyant sur l'accord interprofessionnel du mois de décembre 2003, même s'il est difficile à mettre en oeuvre. La philosophie de cet accord consiste à rendre la formation continue à l'entreprise. Le premier dialogue social en matière de formation met en relation l'employeur et le salarié au coeur même de l'entreprise. Le DIF, le contrat de professionnalisation sont mis au point au sein de l'entreprise, par une négociation aboutissant à un accord écrit. Je suis irrité d'entendre parler d'offre de formation continue : ce terme ne peut pas être utilisé et celui de réponse à un besoin de formation continue doit lui être préféré. L'employeur et le salarié doivent se mettre d'accord au cours de l'entretien professionnel en prenant en compte l'intérêt stratégique de l'entreprise et les besoins de compétences des salariés. Je vous ai d'ailleurs apporté un document que nous avons écrit sur l'entretien professionnel. Les besoins, les modalités de mise en oeuvre et le choix du prestataire sont déterminés lors de cet entretien. Je sens aujourd'hui une dérive récente : dans certaines régions se développent des initiatives qui sortent la formation continue de l'entreprise. J'estime cela très grave, car cette évolution casse ce dialogue que nous avons voulu rendre obligatoire dans l'entreprise.

M. Jean-Claude Carle, président - Pouvez-vous préciser ?

M. Jean Michelin - Je pourrais vous citer des exemples ; je souhaite demeurer très attentif aux propos que j'utiliserai, car nous travaillons beaucoup et très bien avec tous les conseils régionaux, notamment en matière d'apprentissage et de formation à la reprise d'entreprises. Nous menons donc un travail très intéressant, mais, dans deux conseils régionaux en particulier, des initiatives de création de dispositifs qui ne sont pas nés de la négociation paritaire sèment la confusion par rapport à l'objectif central de remise de la formation continue au coeur de l'entreprise.

Le congé de formation universelle a été créé dans une région qui souhaitait rendre les demandes de formation de plus en plus individuelles. Or, l'objectif qui doit sous-tendre les dispositifs de formation continue doit bien consister à faire gagner l'entreprise France, et donc à proposer un système gagnant-gagnant entre l'entreprise et le salarié.

M. Jean-Claude Carle, président - Les dispositifs doivent naturellement être construits dans l'intérêt partagé des entreprises et des salariés, sans quoi ils n'ont ni sens ni pérennité. Ces initiatives dont vous parlez ont-elles été créées en dehors du cadre de la négociation paritaire ?

M. Jean Michelin - Ils s'appuient sur la négociation pour interpréter le DIF, qui est un droit et non une obligation. Tout salarié dispose d'un droit individuel à se former, mais il doit faire part de ses souhaits à son employeur, car ils doivent être en rapport avec l'évolution de son métier. S'il s'agit d'une demande sans rapport avec sa responsabilité dans l'entreprise, il ne s'agit plus d'un DIF, mais d'un CIF (congé individuel de formation). Le DIF doit donc être construit au sein des entreprises. Or, dans certaines régions, on dit aux salariés d'appeler un numéro vert pour s'occuper de leur DIF ; cela n'est pas tenable. Dans une autre région, une conférence des financeurs prend de court les entreprises, qui peuvent avoir leurs propres projets, et devront les intégrer aux programmes définis hors de l'entreprise, ou par des personnes qui n'en sont pas représentatives. Un organisme collecteur n'est pas le représentant direct de l'entreprise.

Certains documents récents sur le sujet, écrits par des personnes dont certaines que je connais bien, qui sont très consciencieuses, ne comprennent pas une seule fois les mots entreprise et salarié. L'on propose des mises en oeuvre de systèmes nouveaux, oubliant qu'il s'agit en premier lieu de faire en sorte que l'entreprise France soit compétitive et gagnante. La formation continue répond à une autre logique que la formation initiale. Je cherche d'ailleurs depuis trente ans des articulations entre les deux systèmes, sans les avoir trouvées. Seule la VAE le tente, positionnant les salariés producteurs d'entreprises qui doivent faire la preuve tous les jours qu'ils évoluent pour rester dans leur emploi et toucher une feuille de paie. Cette expérience est validée par rapport à des référentiels de diplômes d'abord construits pour la formation initiale de nos enfants.

M. Jean-Claude Carle, président - Il faudrait donc, si j'ai bien compris, valider des compétences plus informelles, à l'image de ce qui existe dans certains pays.

M. Jean Michelin - Oui. Je prends l'exemple d'une entreprise de 18 000 salariés, dont la moitié des 78 % d'ouvriers sont d'origine étrangère ; eux aussi souhaitent être reconnus, mais nous ne pouvons pas faire valider leurs compétences par rapport aux diplômes : ils ne s'y intéresseront pas. En revanche, ils disposent de beaucoup d'expérience, sont très consciencieux, sont très bon formateurs.

M. Jean-Claude Carle, président - Comment verriez-vous les choses ?

M. Jean Michelin - L'un des problèmes de ces grands certificateurs que nous connaissons et respectons - nous tenons à ce que les diplômes de nos enfants soient respectés par tous sur tout le territoire national - réside dans l'inadaptation de ces référentiels de CAP de maçon, qui tiennent en quarante-deux pages, aux personnes qui sont devenues en dix ans ouvriers professionnels reconnus par leurs pairs. La première reconnaissance est d'abord constituée par la fiche de paie et le plan d'épargne entreprise s'il existe ; ensuite, l'ouvrier peut souhaiter un certificat ou un titre, mais je ne pense pas que le diplôme de formation initiale soit le plus adapté.

M. Jean-Claude Carle, président - Je suis certain que, pour les publics dont vous parlez, cela est tout à fait pertinent. Je laisserai la parole à notre rapporteur mais souhaite revenir sur un point. Vous avez dit que les grands groupes disposent de leurs propres centres de formation. N'est-ce pas là la reconnaissance même d'un échec de notre système de formation ? Le rôle d'une entreprise ne consiste pas à former des personnes, mais à produire des biens et les vendre. Ne s'agit-il pas d'un retour en arrière ? J'ai fait partie d'un grand groupe qui disposait de son propre centre de formation, qui a été fermé à une époque, parce que ce n'était pas le rôle de l'entreprise ; de même, nous avons revendu les logements qui appartenaient à l'entreprise.

M. Jean Michelin - Je n'ai pas été assez précis ; j'ai voulu dire qu'un grand groupe n'avait pas besoin de l'aide des organismes de branche : il sait travailler avec l'éducation nationale, l'AFPA, l'enseignement supérieur, et dispose de son propre institut interne de formation des managers. Il sait également effectuer des promotions ou séduire des jeunes issus des écoles d'ingénieur. Leurs directeurs de formation interne ou leurs DRH savent parfaitement définir des besoins, monter des formations pour une dizaine ou une quinzaine de salariés. A l'inverse, les patrons de PME ne savent pas exprimer leurs besoins et nous devons les y aider ; ils envoient en formation un ou deux salariés sur vingt-cinq, car ils ne peuvent pas désorganiser l'entreprise. Nous ne nous trouvons plus du tout dans les mêmes schémas. En outre, les patrons de PME peuvent faire des complexes par rapport à l'enseignement supérieur. Nous devons donc jouer en permanence un rôle d'interface dont les grandes entreprises n'ont pas besoin.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Monsieur, vous avez déjà répondu par anticipation à un certain nombre de questions que je voulais vous poser. Je voudrais vous demander de préciser, s'il vous plaît, si vous décelez des lacunes dans la branche du bâtiment ? Touchent-elles surtout la formation continue ou la formation initiale ? Quelles sont les stratégies d'ouverture et de fermeture des formations dans votre secteur ? Quelles en sont les modalités d'organisation ? J'ai cru comprendre à travers vos propos qu'il existait une grande déconcentration ou décentralisation. Existe-t-il une stratégie de promotion sociale et si oui est-elle liée à la poursuite de formations ? J'ai par ailleurs bien noté ce que vous avez exprimé sur la VAE ; c'est un sujet qui dépasse le secteur du bâtiment. Il n'entrait pas dans l'intention initiale de la construire en fonction de référentiels qui lui sont extérieurs, mais il est vrai que nous sommes actuellement embourbés dans cette démarche sur laquelle je ne reviendrai pas. Sur le DIF, seriez-vous favorable à la transférabilité du droit ? La région est-elle le bon échelon de coordination ? Enfin, que pensez-vous des formations courtes exigées par la règlementation, pour les caristes, par exemple ?

M. Jean Michelin - Merci de ces questions, monsieur le rapporteur.

Sur les lacunes du système actuel, je dirais que 160 000 jeunes préparent actuellement un diplôme du bâtiment - 80 000 apprentis et 80 000 autres sous statut scolaire ou étudiant, en lycée professionnel, technique ou en école d'ingénieur. Les chiffres sont donc considérables. Généralement, les relations entre les établissements et la profession sont bonnes. Elles pourraient être meilleures si nous avions l'occasion de professionnaliser un peu plus certaines formations. Le reproche des chefs d'entreprise au système est le suivant : les jeunes ne sortent pas toujours avec suffisamment de professionnalité. Cela résulte d'un choix pédagogique des années soixante-dix consistant à donner une information générale d'un niveau le plus élevé possible à tous les jeunes de notre pays, qui devait leur permettre de s'adapter aux situations les plus particulières. Cette analyse est fausse pour une partie de la population. Si vous ne passez que par l'apprentissage du quotidien pour ensuite aller vers l'abstraction et la connaissance générale, certains n'y arrivent pas. Dans nos métiers à forte concentration de savoir-faire, on n'apprend les gestes et on ne les maîtrise que par leur multiplication. La principale revendication faite au sujet de la formation initiale va dans le sens d'une plus grande professionnalisation. Nous proposons que la dernière année de lycée professionnel ou technique, pour un baccalauréat professionnel, un BTS ou une licence professionnelle, se fasse systématiquement en contrat d'apprentissage. C'est le meilleur moyen de mettre le jeune dans des situations de travail authentique et de rapprocher plus concrètement l'entreprise et l'organisme de formation. Il existe bien sûr d'autres moyens : j'ai expérimenté avec l'éducation nationale le retour d'enseignants dans le domaine de l'entreprise pendant une année scolaire complète ; tous sont satisfaits, mais nous devons passer de l'expérimentation, qui touche quarante enseignants, à une échelle plus large concernant 400 personnes par an.

Les entreprises ne se plaignent pas de la formation continue, sauf quand elle est trop normée, c'est-à-dire lorsque l'on dit par exemple qu'un CACES doit nécessairement durer trois jours, alors que certains salariés estiment que deux jours auraient pu suffire compte tenu de ce qu'ils savaient déjà. Nous avons réussi à faire en sorte que l'AFPA, qui prépare 30 000 personnes par an aux métiers du bâtiment, adapte plus ses modules de 16 000 heures de formation aux compétences déjà maîtrisées par les salariés. Notre difficulté est double : il s'agit d'obtenir que les entreprises et les salariés soient en capacité d'exprimer mieux leurs besoins, de faire le point sur ce qu'ils savent faire, afin de se trouver dans un rapport plus constructif avec le formateur, qui devra pour sa part sortir de ces modules catalogues. Sur les formations courtes, la réglementation se développe et les exigences de certification se multiplient ; cela consomme beaucoup des cotisations des entreprises. Peut-être nous en sortirons-nous en les intégrant davantage aux formations initiales pour n'avoir pas à les reprendre en formation continue. Un exemple de la mobilisation de la profession réside dans l'immense chantier des économies d'énergies. Nous devrons économiser 52 milliards de kilowattheures, et donc former des milliers de personnes à des comportements professionnels différents, afin de développer des capacités à conseiller les clients sur les travaux qu'ils doivent réaliser. Il s'agit d'enjeux de formation qui dépassent les préoccupations concernant de petits dispositifs.

Sur les stratégies d'ouvertures de sections, nous ne rencontrons pas de problème car nous sommes décentralisés et disposons d'outils d'expertise comme les observatoires régionaux emploi-formation, de commissions paritaires régionales emploi-formation. Nous menons donc un dialogue social entre employeurs et salariés, ainsi que des rencontres avec les recteurs et les préfets pour déterminer les sections d'apprentissage et celles de lycée. Nous avons l'habitude de cette contractualisation régionale, avec les outils qui existent - contrats d'objectifs et de moyens, PRDF.

M. Jean-Claude Carle, président - Êtes-vous associés au PRDF dans toutes les régions ?

M. Jean Michelin - Globalement, oui. La déconcentration que nous avons voulue depuis toujours nous permet de bien travailler avec les politiques régionales.

La promotion sociale devra pour sa part être réinventée dans notre pays. Cette logique a été oubliée depuis les lois de 1971, si l'on excepte la création du CNAM. Toute la formation continue s'effectue en effet pendant le temps de travail. Or, la promotion sociale doit être permise hors du temps de travail pour tous ceux qui le souhaitent ; ceci constitue probablement une piste d'exploration pour l'avenir.

La transférabilité du DIF, pour sa part, est actuellement une réalité à l'intérieur de notre profession à certaines conditions.

L'échelon de coordination le plus pertinent est selon nous la région à plusieurs conditions. En premier lieu, il faudra que les parlementaires clarifient un champ parcouru par deux niveaux de légitimité. Ainsi, les assemblées régionales peuvent décider de ne pas mettre en place l'apprentissage junior créé par le Parlement ; nous risquons de retrouver cette situation dans d'autres domaines et les légitimités doivent à mon avis être clarifiées.

M. Jean-Claude Carle, président - La prééminence est celle de la loi.

M. Jean Michelin - Son application doit à mon avis être regardée de près.

Par ailleurs, la cohésion d'une profession est indispensable. Heureusement que nos conventions nationales déterminent les qualifications. Si la confusion régnait d'une région à une autre dans ce domaine, nous ferions éclater une profession qui a besoin de cohésion. Nous sommes favorables à la décentralisation, la déconcentration, la régionalisation et la concertation dans les contractualisations régionales, mais il reste quelques articulations à maintenir pour cette cohésion du pays et de notre profession. Nous ne pouvons pas casser les conventions nationales, qui sont des guides qui déterminent les qualifications et les salaires sur l'ensemble du territoire. Cela me paraît fondamental.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous sommes tous d'accord sur le fait que la région est le bon échelon. Le niveau de concrétisation ne doit-il toutefois pas être même infrarégional - bassin d'emploi ou bassin de formation ?

M. Jean Michelin - Oui, bien sûr, mais nous savons le faire. Je ne vous ai pas parlé de toutes les initiatives que nous menons ici ou là, lorsqu'un conseil général décide par exemple de mettre en oeuvre le CI-RMA, c'est-à-dire le retour des RMIstes au travail. Nous savons dans ce cas nous adapter en créant un groupement d'employeurs et de qualification dans un bassin d'emploi. Les ouvrages d'art du TGV-Est ont exigé que nous formions des coffreurs-plancheurs ; nous sommes donc allés chercher des demandeurs d'emploi dans les bassins d'emploi locaux et avons pu les former avec l'AFPA.

M. Jean-Claude Carle, président - Cela ne doit-il pas s'appliquer également pour la formation initiale ?

M. Jean Michelin - C'est plus difficile. Je le sais pour avoir été chef d'établissement pendant une dizaine d'années.

M. Jean-Claude Carle, président - Certes, mais ce n'est pas une raison pour ne pas le faire.

M. Jean Michelin - Il est en effet sans doute possible de rationaliser le dispositif d'ensemble, mais c'est plus complexe que pour la formation continue.

M. Serge Dassault - Sur un plan plus pratique, car ces questions sont un peu générales, je crois qu'il existe beaucoup de demandes d'emploi dans le bâtiment, qui manque de main-d'oeuvre. D'autre part, il existe des chômeurs partout. La formation des jeunes aux métiers du bâtiment est fondamentale, mais elle s'oppose, d'après ce que l'on me dit, au manque de CFA. Dans l'Essonne, un seul CFA forme les apprentis du bâtiment à Brétigny et il est plein. Quel organisme peut décider d'agrandir un CFA ou d'en ouvrir un autre, d'adapter enfin la situation de formation aux besoins, qui sont considérables ? Il existe un véritable problème sur ce plan. Pourquoi ne pas développer les CFA, alors qu'il existe de nombreuses demandes insatisfaites et que des réponses résoudraient beaucoup des problèmes des quartiers, dont l'insécurité ?

M. Jean Michelin - Vous connaissez les besoins de main-d'oeuvre du bâtiment. Nous embauchons 100 000 personnes par an depuis huit ans. Cette tendance se poursuivra, les perspectives économiques sont encourageantes pour les prochaines années. Nous trouvons cette main-d'oeuvre. Depuis quarante ans, j'ai toujours entendu les chefs d'entreprise se plaindre de ne pas pouvoir embaucher suffisamment de personnes de qualification satisfaisante. Or le secteur parvient tout de même à embaucher 100 000 personnes depuis huit ans. 60 000 d'entre elles proviennent des systèmes de formation initiale, apprentissage ou lycée. Les autres sont formées par l'AFPA. Nous reprenons des chômeurs et les formons soit sur les crédits d'État soit au travers des contrats de professionnalisation. Nous mettons par ailleurs en place des dispositifs spécifiques. Ainsi, à Troyes, les licenciées du secteur textile sont devenues avec le concours de l'AFPA et de l'ANPE des maçonnes et des charpentières. Nous avons pour objectif de passer de 10 000 à 30 000 femmes sur les chantiers du bâtiment à la fin de l'année 2009, et sommes sur le point d'y parvenir, avec 6 000 salariées supplémentaires en deux ans. Nous travaillons en partenariat avec le service public de l'emploi et avec celui de l'éducation. Cela ne fonctionne pas de manière égale partout, mais les dispositifs marchent. Il n'existe pas de pénurie de main-d'oeuvre dans le bâtiment. Nous trouvons les salariés et continuons à construire de beaux ouvrages. Concernant le manque de CFA, vous avez cependant raison. L'année dernière, nous avons laissé en Provence-Alpes-Côte d'Azur 400 jeunes sur le bord du chemin, alors qu'ils avaient trouvé une entreprise formatrice. Le conseil régional disait ne pas disposer des moyens de financement. Certains établissements d'éducation ont même fait preuve de résistance à l'encontre de mes propositions de partenariat pour créer des sections d'apprentissage. Ailleurs, la situation est plus satisfaisante. Dans l'Ouest, en Bourgogne, en Champagne-Ardenne, les établissements de l'éducation nationale s'ouvrent à ce type de formations.

M. Serge Dassault - Les lycées peuvent-ils mener ce type d'actions ?

M. Jean Michelin - Bien sûr. L'apprentissage requiert toutefois une pédagogie particulière ; on ne forme pas un apprenti comme on forme un lycéen. Permettez-moi d'imager mon propos : un apprenti menuisier doit ainsi en premier lieu connaître les colles, leurs précautions d'emploi, le clouage, le vissage, les tracés, car ces tâches lui seront demandées dans l'entreprise. Un lycéen apprend d'abord les essences de bois. Les principes pédagogiques sont donc différents. Cela étant, un lycée dispose des moyens matériels et humains de former des apprentis. Nous devons mener ces partenariats. Le problème est actuellement financier.

M. Serge Dassault - Le système dégage des excédents.

M. Jean Michelin - Je suis bien d'accord avec vous que les excédents remontés au FUP auraient pu y servir.

M. Serge Dassault - Les CFA sont-ils financés par les régions ?

M. Jean Michelin - Dans le bâtiment, ils sont financés à hauteur de 50 % par les régions et à 40 % par la profession, soit par le biais de la taxe d'apprentissage, soit grâce à une cotisation de 0,30 % de la masse salariale que nous nous sommes imposée.

M. Serge Dassault - Dans les lycées, il n'existe en revanche pas d'apprentissage.

M. Jean Michelin - Si. Nous ouvrons dans les lycées ce que nous appelons des UFA ; cela fonctionne très bien, notamment en Rhône-Alpes.

M. Jean-Claude Carle, président - Il s'agit d'un CFA sans murs, qui est mis en place à partir d'un lycée professionnel existant et d'une contractualisation avec les branches. Les demandes pour le lycée de Rumilly, que nous n'avons finalement pas pu aller visiter, explosent actuellement. Je crois qu'il ne faut pas opposer CFA et lycée professionnel, d'autant que les régions ont investi dans ces derniers et souhaitent voir les établissements rentabilisés.

M. Jean Michelin - La position de notre fédération est très claire : nous travaillons avec tous les partenaires qui le souhaitent.

M. Paul Girod - J'ai entendu précédemment deux complaintes, la première demandant l'amélioration de la formation initiale, dont le caractère professionnel est insuffisant par rapport à la formation générale, la deuxième selon laquelle la formation continue mise en place au niveau régional est de plus en plus détachée de la réalité. S'agit-il d'une complainte visant une conception un peu irénique de l'homme, ou bien avez-vous le sentiment qu'il s'agit d'une logique profonde, et si oui quels en sont les initiateurs, les conseils régionaux ou les formateurs qui se trouvent privés de clientèle ?

M. Jean Michelin - Cette question est complexe. Dans notre pays, beaucoup pensent qu'il sont plus capables de faire mieux que le voisin, qui est pourtant légitime, ce qui a pour conséquence de déresponsabiliser les premiers concernés. Le système des CFA les déresponsabilise ainsi dans la formation de l'apprenti, puisqu'ils trouvent les jeunes et demandent à l'entreprise si elle les accepte. La logique est inversée par rapport à ce qui est souhaitable. Nous devrions parler de l'apprenti de l'entreprise, le CFA, le lycée ou l'UFA étant des services destinés à la réussite du contrat passé entre ses deux signataires. Nous devons faire en sorte que l'apprentissage ne devienne pas une voie de lycée amputée parce que les apprentis vont moins à l'école. Nous avons travaillé dans le sens de la responsabilisation des entreprises, avec la signature d'une charte d'engagement moral du maître d'apprentissage, de certification et de rémunération de l'apprenti.

En matière de formation continue, nous ne devons pas non plus déresponsabiliser l'employeur et le salarié. C'est l'un des risques de notre système d'OPCA et de relais des services de proximité. La formation continue constitue un investissement ; la Fédération française du bâtiment fait tout pour montrer aux entreprises qu'elle est un véritable investissement, exigeant plus de 10 minutes de dialogue par an avec chacun de ses salariés. L'employeur et le salarié doivent être responsabilisés. Ils sont, avec ceux qui les représentent, légitimes en matière de formation continue.

Mme Gisèle Printz - Vous avez déjà en partie répondu à ma question sur le manque de main-d'oeuvre. La défaillance de main-d'oeuvre n'est-elle pas due au salaire et à la pénibilité du travail ? Je ne sais pas si cela est exact, mais l'on entend beaucoup dire que les travaux publics font appel à de la main-d'oeuvre étrangère mal rémunérée. Par ailleurs, quelles sont vos relations avec l'ANPE ?

M. Jean Michelin - Il est horrible d'entendre dans des instances ou de lire dans des papiers que nos salariés ne sont pas qualifiés. J'ai entendu parler dans une réunion ministérielle de mes BNQ (bas niveau de qualification). Cela est insupportable. Tous nos salariés sont qualifiés. Tout dépend naturellement du référent, convention collective ou nomenclature des diplômes. Nous ne nous trouvons pas dans le même monde. La confusion entre certification et qualification est une aberration. Je ne sais pas comment nous rétablirons cela dans notre pays, mais il s'agit d'un véritable problème. Cette image est en train de changer, car nous avons fait ce qu'il fallait. Aujourd'hui, un ouvrier qualifié et expérimenté en Rhône-Alpes gagne 2 300 euros par mois. Nous avons augmenté les salaires des ouvriers de 30 à 32 % entre 2000 et 2005. La question du salaire ne se pose donc pas. Les conditions de travail ne sont plus du tout les mêmes que par le passé. Je ne parle ici que du bâtiment et non des travaux publics. Dans le bâtiment, certains chantiers sont devenus beaucoup plus propres, beaucoup plus sains. Nous avons encore trop de morts, naturellement, mais nous avons largement évolué depuis que je suis entré dans la profession. Nous n'avons jamais eu autant de jeunes en formation dans les métiers du bâtiment, ni de demandeurs d'emploi à l'AFPA, dont le nombre a progressé de 30 % en deux ans.

Nous avons signé le 5 novembre 2003 un accord de partenariat avec l'AFPA et l'ANPE, que nous avons voulu très concret. J'en avais assez des réunions se bornant à constater des évolutions du taux de chômage. Notre accord a donc mis en place par exemple le recrutement avec l'aide de l'ANPE par le biais des tests des habiletés. Nous avons développé ce système de manière générale en France. Avant que le demandeur d'emploi entre en formation, nous vérifions ses habiletés - l'ANPE a mis en place un système extrêmement performant sur ce plan, et je pourrais vous envoyer le CD-ROM si ce sujet vous intéresse. Avec l'AFPA, nous avons pu réduire des formations, construire des formations sur place qui soient moins chères et de meilleure qualité. Notre accord a été signé avec les services publics, et je vous en ai donné les résultats - 31 % de stagiaires, parmi lesquels 8 % de femmes supplémentaires au sein de l'AFPA, une campagne de communication à l'ANPE sur les femmes dans le bâtiment, le test des habiletés et les plates-formes professionnelles. Cette convention avait pour principal objectif de faire se rencontrer l'offreur et le demandeur. Nous sommes très satisfaits de ce partenariat avec l'ANPE depuis trois ans.

M. Jean-Claude Carle, président - Il nous reste à vous remercier de ces propos très clairs. N'hésitez pas à nous apporter d'éventuels compléments d'information, de même que nous n'hésiterons pas à vous en demander si cela nous semble utile.

Audition de M. Michel de VIRVILLE, secrétaire général du groupe Renault (28 février 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Mes chers collègues, nous avons le plaisir et l'honneur d'accueillir Michel de Virville, secrétaire général et directeur des ressources humaines du groupe Renault. Je vous remercie d'avoir accepté de venir devant notre mission. Vous êtes l'une des personnes qui connaît le mieux en France le sujet de la formation professionnelle, du fait de votre situation actuelle au sein du groupe Renault, mais également par vos emplois et activités précédents, au service de différents ministres. Vous avez été en outre l'auteur en 1996 d'un rapport demandé par Jacques Barrot. Nous avons tous lu l'entretien auquel vous vous êtes prêté dans Le Figaro avec Pierre Cahuc, sur le sujet de la formation professionnelle. Nous sommes donc très impatients de vous entendre sur les points que vous souhaiterez aborder, et en particulier sur le DIF, mais aussi sur les circuits de financement et sur tout sujet que vous souhaitez, sachant que nous ne pourrons pas tout aborder en une heure, et que vous pourrez compléter vos propos ultérieurement, notamment par le biais d'une contribution écrite qui serait portée au rapport. De notre côté, nous n'hésiterons pas à faire appel à vous d'ici au mois de juillet, puisque nous nous sommes fixé pour objectif de rendre notre rapport à cette date. Je vous propose de vous laisser la parole pendant le temps que vous souhaitez, avant de vous soumettre aux questions d'abord du rapporteur, puis de mes collègues.

M. Michel de Virville - Merci monsieur le président. Je m'efforcerai d'être le plus bref possible, afin de laisser un maximum de temps à l'échange, qui me semble une manière de procéder plus intéressante qu'un monologue.

Je voudrais commencer par une courte introduction faisant passer deux messages. Je suis en premier lieu frappé de ce que la formation professionnelle est une réalité extrêmement diverse. Or, l'on veut toujours tenir des propos très généraux sur le sujet, qui est pourtant aussi divers que l'activité à laquelle la formation s'adresse. Vous êtes vous-mêmes des élus, et connaissez bien le tissu des collectivités locales, qui accueillent de la formation professionnelle, qui a peu à voir avec celle que nous pratiquons dans nos réseaux commerciaux pour l'après-vente et le service des véhicules, avec la formation professionnelle des cadres supérieurs commerciaux telle qu'elle peut être délivrée par les grandes écoles de commerce ou avec la formation commerciale du secteur du bâtiment. Tous ces univers présentent un certain nombre de caractéristiques propres, et beaucoup de ce qui est vrai pour certains secteurs ne l'est pas pour d'autres. Au sein même d'une entreprise comme Renault, nous avons choisi de mettre en place une politique de formation professionnelle très diversifiée selon les métiers, les secteurs et les niveaux de responsabilité. Je crois qu'il existe relativement peu de vérités générales sur la formation professionnelle.

L'une des pierres angulaires de la politique de formation professionnelle chez Renault réside dans son ancrage sur les compétences, que l'on se place du point de vue du salarié et de son employabilité ou de celui de l'entreprise et de sa performance. La formation professionnelle fonctionne bien dans les secteurs économiques dont les opérationnels ont effectué un véritable travail sur les compétences d'aujourd'hui, et surtout de demain et après-demain, sur la façon d'acquérir ces compétences, sur l'harmonisation de la pédagogie. Il existe de ce point de vue des différences de maturité considérables dans l'économie française au sens large - y compris le secteur public. Certains secteurs ont bien construit cette cartographie des compétences, ont mis en place une véritable pédagogie, et sont donc bien équipés pour mener une politique de formation professionnelle. A l'inverse, certains secteurs ne l'ont pas fait. La réparation automobile, plus vaste que notre propre réseau de constructeur, a investi le domaine de la formation professionnelle depuis vingt ou trente ans et est prête à attraper la balle au bond. Je ne veux pas dessiner un tableau des bons et des mauvais élèves, mais certains secteurs n'ont absolument pas effectué ce travail. Nous avons pour notre part construit depuis six ans un programme défini par les patrons opérationnels, visant à anticiper les manques et les compétences qui ne seront plus utiles demain. Tout le dispositif de formation professionnelle est entièrement piloté à partir de cette analyse. L'on oppose souvent les formations renforçant l'employabilité des salariés et celles servant les performances de l'entreprise ; c'est une distinction qui n'existe pas dans la réalité. Comment penser que le renforcement de la compétence des salariés ne bénéficie pas aux entreprises ? A l'inverse, comment imaginer que la performance des entreprises se développe au détriment de la compétence des salariés que cette entreprise emploie ? Ce débat très français est à mon sens tout à fait déplacé. Cela étant, un débat doit être mené dans le cadre du dialogue social de l'entreprise sur la manière dont la formation professionnelle est conduite, mais sur le fond, elle est nécessairement à la fois un outil d'employabilité et un instrument au service de la performance de l'entreprise.

Renault est aujourd'hui une entreprise globale ; son champ d'action est international et nous pratiquons la formation professionnelle dans un grand nombre de pays. Je vous invite à cet égard à comparer le système de formation professionnelle français à celui d'autres pays. Je suis très frappé de trois spécificités françaises, qui ont des aspects positifs mais aussi négatifs. La première est la gratuité de la formation professionnelle ; pour un Français, jeune ou moins jeune, jamais celle-ci ne constitue une dépense personnelle. Elle est soit payée par le public - c'est le cas de la formation initiale ou de celle des demandeurs d'emploi -, soit par l'entreprise dans le cadre de l'exercice d'un métier. Ceci est positif, dans la mesure où l'accès à la formation professionnelle est plus large et ne dépend pas des ressources des individus. L'aspect négatif de ce système réside toutefois dans le fait que la personne qui suit la formation ne se trouve jamais dans une situation de consommateur. Le rapport entre le formé et l'appareil manque à mon sens de critique sur le plan qualitatif. Tous nos collaborateurs espagnols sont extrêmement exigeants à l'égard de la qualité de la formation qui leur est délivrée, car ils la paient. Je ne propose pas que nous nous engagions dans cette voie, mais je pense que cette surveillance est une caractéristique très importante de la formation. Par ailleurs, l'essentiel de l'investissement dans la formation est effectué en France dans le secteur public - j'y intègre les établissements de formation, mais aussi la formation des enseignants. Certains secteurs ont réalisé des investissements importants, mais il n'en demeure pas moins que le secteur public concentre l'essentiel des investissements. La formation professionnelle effectuée dans les usines est très souvent menée à bien grâce aux ressources éducatives de l'éducation nationale ou de l'AFPA. On ne retrouve pas cette caractéristique au Japon ou aux États-Unis. Le troisième aspect que je souhaitais aborder est le suivant : la formation professionnelle est gérée dans les entreprises françaises par les ressources humaines, alors qu'ailleurs elle est souvent traitée par les divisions opérationnelles - usines, bureaux d'études. Il existe naturellement un rapport entre ce fait et la loi, qui réserve 1 % de la masse salariale à la formation professionnelle.

J'en viens maintenant aux quatre propositions ou orientations que je souhaitais vous soumettre. Ma première proposition, qui faisait l'objet, en partie, de mon débat avec Pierre Cahuc, est la suivante : contrairement à ce qui est dit dans son rapport, je reste convaincu que la mutualisation demeure dans son principe une bonne chose. La formation d'un salarié dans une petite entreprise représente un coût rédhibitoire, pour peu qu'elle soit un peu consistante. De ce point de vue, la mutualisation est donc indispensable pour pouvoir solvabiliser les besoins en formation des petites entreprises.

A l'inverse, l'argent collecté par les organisations a tendance à financer l'offre de formation plus qu'à solvabiliser la demande. Cela est un véritable sujet, car l'on a ainsi tendance à créer de l'inertie dans les systèmes de formation, à en maintenir certains en décalage avec les besoins, ce qui n'est ni dans l'intérêt des entreprises, ni dans celui des salariés et des demandeurs d'emploi. L'appareil de formation doit être adapté à la fois à l'employabilité et à la performance ; la mutualisation doit donc servir à solvabiliser la demande plutôt qu'à financer l'offre.

Sur le sujet du DIF, je manque probablement d'objectivité, puisque vous avez évoqué le rapport que j'avais préparé en 1996 et dans lequel je proposais précisément sa mise en place. Nous avons chez Renault cinq ans d'avance dans la mise en place du DIF, décidé par accord avec les partenaires sociaux. J'ai participé moi-même à la délégation patronale à la négociation ayant abouti à sa création et ai suivi de très près la préparation de la loi qui l'a mis en oeuvre. Le principe du DIF est très simple. L'un des principaux problèmes de la formation professionnelle en entreprise telle qu'elle est vécue en France réside dans le fait que les personnes qui disposent déjà d'une formation initiale ont tendance à suivre des formations complémentaires. Celles qui ne disposent pas de formation initiale ont tendance à ne pas demander de formation supplémentaire. La formation va à ceux qui en bénéficient déjà. Le DIF, en créant un droit individuel, matérialisait la répartition de la formation entre les différentes catégories de salariés. Chez Renault, le taux d'accès à la formation professionnelle est passé entre le moment de la mise en place du DIF et aujourd'hui de moins de 70 % à 88 %. J'insiste sur le fait que nous avons entre les deux dates légèrement augmenté notre dépense de formation, mais pas de manière excessive. L'augmentation du taux d'accès ne résulte pas d'un développement de l'effort de formation particulièrement important en volume. L'effort de formation de Renault a toujours été important, nettement au-delà de 5 % de la masse salariale, proche de 6 à 7 %. Le dispositif du DIF a conduit à faire rentrer dans le cercle vertueux de la formation professionnelle des populations qui restaient à l'écart de l'effort de formation. Les cadres avaient déjà accès à 95 % à la formation et ce chiffre n'a évidemment pas progressé. En revanche, parmi les ouvriers, le DIF a constitué une véritable chance d'accès à la formation pour des personnes qui n'en bénéficiaient pas auparavant. Je ne veux pas dire par là que l'application de ce dispositif ne pose aucun problème ; cette réforme est encore en train de se mettre en place. Nous ne pourrons en évaluer les effets que dans cinq ou dix ans. De ce point de vue, notre expérience est intéressante, puisque nous avons pris cinq ans d'avance et pouvons donc étudier où le DIF peut conduire. Le DIF fonctionne de cette manière chez Renault grâce à notre programme « Compétences ». Les formations ont été véritablement ancrées dans la stratégie de l'entreprise, sa réalité professionnelle, et favorisent le développement professionnel des salariés au sein de l'entreprise. Là où le DIF a le plus de mal à s'implanter, c'est bien sûr dans des parties du tissu économique, des branches et des entreprises qui n'ont pas réalisé cet investissement essentiel pour que la formation soit reliée à l'activité économique.

Ma quatrième proposition a trait aux problèmes de la formation et du temps de travail. La formation est un produit frais. Si l'on ne met pas en oeuvre une formation, elle se dissipe et se perd. La formation est un outil de transformation de l'entreprise. Si le salarié qui a suivi une formation ne revient pas dans son activité professionnelle changé, ou si celle-ci ne change pas au moment où il la suit, le dispositif ne fonctionne pas. C'est très souvent dans les périodes de changement que la formation professionnelle est la plus efficace, car la ligne hiérarchique comme les salariés ont immédiatement présent à l'esprit le fait que le changement échoue s'il n'est pas accompagné d'une évolution des compétences. Tous sont donc immédiatement convaincus de l'utilité de la formation, qui se met en place naturellement. Si nous voulons une formation qui soit efficace en tout temps, nous devons réussir à stimuler ce qui se passe lors des phases de changement. Bien sûr, il existe des situations de réorientation, de changement de métier. Un salarié de Renault effectue à l'heure actuelle en moyenne au cours de sa vie, deux ou trois séquences professionnelles relativement différentes. Au moment du changement de métier existe une place pour des formations plus consistantes, plus structurantes. Le reste du temps, si l'on veut éviter que les salariés perdent le caractère affuté de leurs compétences professionnelles, il est très important de leur proposer une formation professionnelle sous une forme modulaire ou alternante. La formation professionnelle ne doit absolument pas introduire une rupture du lien entre le salarié et sa pratique professionnelle. Il existe une pédagogie de la formation tout au long de la vie, qui n'est pas du tout la même que celle de la formation initiale ou que celle de la formation-reconversion ; elle constitue un élément essentiel au bon fonctionnement du DIF. De ce point de vue, la loi fait bien la différence entre grandes et petites entreprises, en suggérant la coexistence de deux modèles. Dans la grande entreprise, le DIF est plutôt inscrit dans le temps de travail, et prend plutôt la forme de modules de formation alternante. Dans la petite entreprise, la formation est plutôt organisée en dehors du temps de travail, l'entreprise apportant son financement et le salarié contribuant par son temps de présence à la formation. Il existe donc deux modèles sous-jacents à l'accord interprofessionnel et à loi. Cette dichotomie a été très explicitement discutée avec les partenaires sociaux ; elle constitue un élément essentiel à la réussite du dispositif.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci, monsieur de Virville. Je vais laisser la parole à notre rapporteur, mais je souhaite simplement revenir sur le DIF. L'on voit bien que le succès de Renault est lié à l'antériorité de sa politique - cinq ans d'application - et son appui sur le programme « Compétences ». Cela fait peut-être défaut aux TPE et PME, qui ne disposent pas de tous les moyens, de toute l'ingénierie nécessaires à la mise en place de tels programmes de compétences.

M. Michel de Virville - Cela est vrai sauf si les branches de ces TPE ou PME ont réalisé des investissements importants, comme c'est le cas du secteur du bâtiment et des travaux publics, par exemple. Ce secteur me paraît très bien préparé à la mise en place et au fonctionnement du DIF. Des secteurs d'activité y sont tout à fait prêts, d'autres moins.

M. Jean-Claude Carle, président - Ce qui ne peut pas être réalisé par une très petite entreprise peut être fait au niveau de la branche.

M. Michel de Virville - Oui, mais cela suppose la mise en place d'une structure et l'existence de moyens adéquats. Il s'agit d'un véritable investissement.

M. Jean-Claude Carle, président - Que pensez-vous de la transférabilité éventuelle du DIF ?

M. Michel de Virville - Au risque de paraître politiquement incorrect avec les organismes patronaux, je pense que la transférabilité devrait être la règle, et qu'elle ne pose pas tant de difficultés. Il existe des moyens techniques de l'assurer, qui évitent la mise en place d'usines à gaz effrayantes. Par ailleurs, la transférabilité est à mon sens économiquement naturelle ; les entreprises se porteraient mieux avec un DIF transférable.

M. Jean-Claude Carle, président - Certains y objectent qu'une telle mesure pourrait constituer un frein à l'embauche.

M. Michel de Virville - Je n'y crois pas du tout. Mon point de vue personnel n'est cependant pas celui de la délégation patronale qui a négocié l'accord interprofessionnel.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Les prévisions de besoins en formation et en compétences sont-elles maîtrisées d'une manière générale ? Des propositions de modèles et de stratégies peuvent-elles être avancées ?

Vous avez déjà attisé notre curiosité sur une deuxième question que je souhaitais vous poser, concernant l'obligation légale de contribution des entreprises au financement de la formation professionnelle, la gestion paritaire et la mutualisation des fonds collectés par les OPCA actuellement. J'ai cru comprendre que ce système ne permettait pas une allocation optimale des financements, qui n'étaient en tout cas pas adaptés aux besoins des entreprises. Pouvez-vous préciser vos idées sur ce point ?

Je voulais également vous poser une question sur les critères d'évaluation de l'efficacité des formations - ce que vous avez dit sur la définition et sur l'ancrage dans les compétences y répond.

Des clarifications vous semblent-elles opportunes sur la question du financement des organisations syndicales en relation avec celui de la formation professionnelle ?

La validation des acquis de l'expérience vous semble-t-elle un bon outil pour diffuser une culture de la formation continue dans l'entreprise et favoriser la promotion sociale et professionnelle des salariés les moins qualifiés ? J'ai l'impression que nous éprouvons des difficultés à sortir de la tradition selon laquelle nous concevons la validation sous forme de certifications du type de celles de l'éducation nationale. Je ne sais pas si vous avez des idées sur la manière de sortir de cette ornière.

Enfin, vous soulignez dans votre rapport de 1996 la confusion entre contrat d'apprentissage et contrat de qualification. Cette remarque vaut-elle toujours avec la mise en place du contrat de professionnalisation ? Quel bilan dressez-vous de ce dispositif ?

M. Michel de Virville - Ces questions sont abondantes. J'essaierai d'être concis.

Les prévisions, dans une entreprise comme Renault, sont fondées sur le travail d'une personne nommée pour chaque métier par le PDG et disposant d'une part, de pouvoir, d'autre part, d'une légitimité professionnelle. Ce pilote de compétences veille en permanence à identifier les manques ou les « excédents » de compétences de son métier, réfléchit sur les filières d'acquisition des compétences et doit définir une politique de structuration de son métier et des compétences. A partir de cette politique métier, la fonction ressources humaines construit sa politique de formation.

M. Bernard Seillier, rapporteur - S'agit-il d'une méthode propre à Renault ?

M. Michel de Virville - Elle nous est propre. J'en ai beaucoup discuté avec mes collègues DRH d'autres entreprises. Elle présente certaines originalités, et a d'ailleurs suscité beaucoup d'intérêt. Ce modèle est très éloigné de systèmes de prévisions quantitatives qui ont échoué - peut-être suis-je toutefois complaisant pour un modèle auquel nous avons collectivement beaucoup travaillé. Cela est vrai au niveau d'une entreprise. La sédimentation de ce type d'approche n'est en revanche pas faite au niveau des secteurs, ce qui permettrait de disposer d'une vision globale des cibles au niveau national. Certains secteurs ont effectué ce travail ; des travaux très intéressants ont été menés par certaines commissions paritaires gérées par l'éducation nationale, mais nous ne disposons pas encore d'une approche globale. La Grande-Bretagne présente un système très intéressant de cartes de qualification, qui porte à la réflexion. Ce travail est essentiel, moins pour faire des prévisions - qui sont hélas comme en matière commerciale fausses la plupart du temps - que pour travailler sur le sujet et disposer des éléments intellectuels à même d'orienter la politique de formation.

Je pense que la mutualisation sert actuellement à financer la formation telle qu'elle existe, plus qu'à répondre aux besoins des entreprises tels qu'ils sont. Tout ce qui existe ne se trouve naturellement pas en porte-à-faux avec les besoins des entreprises, mais le système devrait beaucoup plus systématiquement proposer un ticket modérateur, qui donnerait accès à la formation aux petites entreprises et aux demandeurs d'emploi, ce qui aurait pour conséquence de tirer le dispositif de formation vers les besoins exprimés sur le terrain. Actuellement et de manière générale, les gérants des systèmes de mutualisation, qui ne sont eux-mêmes pas vraiment étrangers à la gestion du système de formation, sont les régulateurs. Cela étant, il ne faut pas tomber de l'autre côté du cheval ; nous devons laisser à l'appareil de formation le temps de son évolution ; le système doit être régulé. Dans mon rapport de 1996, je proposais la mise en place d'un système équilibré, dans lequel la demande venant du terrain stimulait en permanence l'orientation de l'appareil de formation.

Vous avez posé la question de l'évaluation de l'efficacité de la formation ; ce problème est considérable. Nous l'avons mise en oeuvre chez Renault, en interrogeant systématiquement les clients, c'est-à-dire les personnes qui ont suivi la formation. Lorsque les indicateurs chutent pour certaines formations, nous les revoyons immédiatement. Cela ne constitue qu'une réponse partielle à votre question, car le client français n'est pas habitué à être considéré comme tel, et qu'il n'est pas non plus totalement juge : beaucoup de formés ne savent pas juger véritablement de la qualité de leur formation.

Le financement des organisations syndicales est à mes yeux un sujet distinct de ce dont nous parlons. La VAE constitue pour sa part un chapitre différent.

M. Serge Dassault - Je n'ai pas compris où vous organisez cette formation professionnelle - chez Renault ou dans des établissements extérieurs. Que vous mettiez en oeuvre une formation permanente est excellent, mais ne résout pas le problème que nous posons, c'est-à-dire de mettre les jeunes au travail par le biais de la formation professionnelle. Prenez-vous des apprentis de base, qui ne disposent pas encore de formation au moment de l'alternance ? Utilisez-vous les CFA ?

M. Michel de Virville - J'ai parlé de la formation professionnelle de manière générale, et donc de la formation professionnelle continue, qui est faite en partie de façon interne - les enseignants étant des personnels de Renault -, et les deux tiers impliquant des ressources extérieures de la branche, des écoles, des universités. Nous faisons appel à des intervenants extrêmement variés. Pour ce qui concerne la formation professionnelle initiale, nous recrutons soit des ingénieurs et techniciens déjà entièrement formés par les écoles, soit des techniciens, des ouvriers et plus encore des commerciaux en alternance. Je pense d'ailleurs que les formations professionnelles initiales, y compris pour les techniciens et les ingénieurs, devraient aller de plus en plus vers l'alternance, avec des degrés d'alternance variable. Je suis convaincu, et je l'avais écrit dans mon rapport, que la forme naturelle de la formation professionnelle initiale est l'alternance. Nous le faisons non seulement pour les personnes que nous recrutons chez Renault, mais nous avons développé en outre un programme qui fonctionne depuis douze ans, piloté par tous les établissements Renault et offrent des contrats en alternance à des jeunes sortis du système de formation initiale sans diplôme et souvent en situation d'échec scolaire dur. Nous faisons faire des parcours à ces personnes dans les usines de Renault et chez nos fournisseurs. Des entreprises d'intérim les prennent en charge et leur font faire des alternances entre des séquences de travail chez nous et chez nos fournisseurs et des séquences de formation. Ce dispositif concerne en permanence 600 à 700 jeunes sans qualification. Le taux d'obtention du diplôme, qui est défini avec l'éducation nationale et est centré sur le type de production réalisé par l'entreprise, atteint les deux tiers ou les trois quarts des promotions. Les taux de placement sont à l'issue de ces formations absolument remarquables, étant entendu que nous intégrons des jeunes qui sont en rupture avec l'école et en situation d'échec scolaire grave. Une partie de ces jeunes est recrutée par Renault, mais la majorité d'entre eux est recrutée par d'autres entreprises.

M. Serge Dassault - Utilisez-vous des CFA ?

M. Michel de Virville - Nous en utilisons surtout pour le secteur de la réparation automobile, qui a effectué un investissement en termes d'analyse des compétences et de construction de pédagogies. Il n'existe en revanche pas de structures de formation de ce type pour les ouvriers. Nous recrutons des jeunes ayant bénéficié d'une formation initiale, en mécanique ou en électricité par exemple, mais pas uniquement ; notre système de formation continue construit dans nos usines, qui est articulé avec la promotion professionnelle, permet la mise en place d'une sorte d'alternance interne.

M. Serge Dassault - Recrutez-vous en ce moment ? Avez-vous besoin d'apprentis ?

M. Michel de Virville - Dans les usines, nous recrutons, du fait du renouvellement des postes des personnes qui partent en retraite, mais nous avons surtout des besoins considérables dans le secteur de la réparation ; ce problème n'est pas propre à la France, il se pose au niveau européen pour un métier dont le contenu s'est considérablement transformé.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui finance cette formation ?

M. Michel de Virville - Dans les établissements qui sont les nôtres, nous finançons la plupart du temps les formations. Le réseau commercial regroupe les garages Renault, les concessions, les agents et les mécaniciens réparateurs automobiles indépendants. Dans les filiales de Renault, le groupe finance la formation ; chez les concessionnaires et les MRA (mécaniciens réparateurs automobiles), la mutualisation est utilisée et joue donc un rôle tout à fait essentiel. Pour beaucoup de jeunes, il s'agit d'un point d'entrée dans la vie active. Ce secteur offre un nombre d'emplois considérables actuellement. Cela n'est d'ailleurs pas nouveau. Je me souviens qu'il y a une vingtaine d'années, alors que je considérais la situation sous l'angle de la gestion du marché du travail, c'était déjà le cas. Aujourd'hui, le besoin est toutefois particulièrement important en termes quantitatifs, du fait de l'évolution technologique et économique du produit automobile.

Mme Annie David - Vous ne serez pas étonné si je vous dis que je n'ai pas tout à fait partagé votre point de vue sur la formation professionnelle. Vous nous dites que vous êtes très frappé par la diversité de la formation dont l'on voudrait dire des généralités. Effectivement, les formations sont diverses, mais du fait de la diversité des stagiaires, jeunes, salariés, demandeurs d'emploi. Pour autant, le législateur doit bien mettre en place des règles générales, à savoir une obligation de formation professionnelle pour tous, qui est ensuite adaptée aux publics concernés. Je rejoins l'un de vos points de vue, selon lequel le système actuel a tendance à financer l'offre plutôt que la demande ; je le regrette également. Vous indiquez avoir créé un programme « Compétences », permettant de construire un plan de formation adapté à chacun des salariés. Par qui, sur le terrain, sont toutefois exprimés ces besoins de formation ? Je crains que les salariés ne se sentent pas en capacité d'atteindre le niveau de formation proposé, qu'ils subissent une pression. J'ai longtemps travaillé dans un grand groupe électronique de la région grenobloise ; la formation professionnelle y était parfois vécue plus douloureusement qu'heureusement par certains salariés. J'aimerais donc savoir ce que vous entendez par les mots de « compétences » et de « besoins exprimés par le terrain », et quel niveau de compétences vous souhaitez ensuite imposer aux salariés dans l'entreprise. Vous nous dites que la formation professionnelle sert à acquérir des compétences ; ce n'est pas son seul objectif selon moi. Elle doit permettre au salarié, au jeune ou au demandeur d'emploi d'acquérir des compétences bénéfiques non seulement pour son emploi mais également pour le développement de sa vie personnelle. J'aimerais donc avoir votre point de vue sur ce sujet.

Par ailleurs, vous nous dites que la formation professionnelle est gratuite. Or, nous avons entendu depuis la mise en place de cette mission, qu'elle coûte 25 milliards d'euros par an. Cette formation n'est donc pas gratuite ; elle est payée, non par les stagiaires, mais à hauteur d'un peu moins de 10 milliards d'euros par les entreprises, mais également par l'État et les collectivités. Les stagiaires doivent régler certains frais et parfois, lorsqu'il s'agit de demandeurs d'emploi, payer une participation. Vous parliez de cette exigence espagnole sur la qualité des formations ; en France, celle-ci doit être portée par les entreprises et tous ceux qui participent au financement. Nous avons entendu les chiffres de 25, voire 30 milliards d'euros, mais ne savons finalement pas véritablement qui en bénéficie. Nous avons vu fleurir partout des entreprises de formations proposant des formations qui ne répondent absolument pas à une demande. Nous devrions être plus exigeants sur la répartition de ces sommes d'argent récoltées. Je ne suis absolument pas d'accord avec votre point de vue selon lequel la formation professionnelle est gratuite.

M. Michel de Virville - Je suis gêné, car je suis pour ma part assez d'accord avec vous ; cette situation est difficile à gérer. Je ne dis pas du tout que la formation professionnelle ne coûte pas d'argent ; chaque année, elle occasionne une dépense de 200 millions d'euros pour Renault, dont la marge opérationnelle atteint environ 1,2 milliard d'euros par an. L'investissement dans l'avenir coûte beaucoup d'argent. Je voulais simplement dire que cet argent ne passe pas par celui qui bénéficie de la formation. Le salarié ou le demandeur d'emploi n'achète pas sa formation. Si le demandeur d'emploi se voyait attribuer un chèque et payait lui-même cette formation, il serait beaucoup plus exigeant sur le service qui lui est donné. Je trouve la situation dans laquelle le financement est donné directement aux organismes de formation, publics comme privés, tout à fait critiquable, dans la mesure où la qualité des services rendus ne pèse pas sur la rémunération des prestataires. Il y a une quinzaine d'années, alors que j'étais gestionnaire de cette question du côté de l'administration, j'ai effectué des missions aux États-Unis pour étudier le système en place dans ce pays. Beaucoup de choses aux États-Unis fonctionnent beaucoup moins bien qu'en France. Je ne plaide pas pour un modèle américain, mais j'avais été frappé par le fait que les stagiaires américains étaient souvent co-financeurs de leurs formations, et se montraient donc beaucoup plus réactifs que chez nous. D'une manière générale, les PME doivent également pouvoir être plus critiques sur la formation qu'elles reçoivent de la part de leurs appareils de branche et par les canaux de la mutualisation. J'espère que nous nous comprenons mieux maintenant ; je n'ai pas le sentiment que nos points de vue soient si différents.

Par ailleurs, je n'ai pas précisé que toute la formation effectuée par Renault ne rentre pas dans le cadre du DIF. Le critère d'intégration au DIF est la transférabilité. Les formations qui font partie du DIF sont celles qui permettent aux salariés d'acquérir des compétences qu'ils pourront utiliser ailleurs. Les formations du DIF sont celles qui changent ma compétence propre. Dans ce cadre, les salariés mais aussi l'entreprise sont gagnants - cette dernière bénéficie du renforcement des compétences de ses salariés. Dans les négociations avec les organisations syndicales, nous nous sommes naturellement opposés, comme dans toutes les entreprises, sur la détermination des formations à l'initiative de l'employeur ou du salarié. Notre système est extrêmement simple. Si un salarié demande une formation, l'employeur a le droit de la refuser pendant un an. La deuxième année, il est obligé de l'accepter ; de même, le salarié est obligé d'accepter une formation proposée deux ans de suite par l'entreprise. Nous nous sommes mis d'accord sur ce principe par la négociation. En cinq ans, je n'ai cependant jamais vu une fois cette règle s'appliquer. J'ai demandé aux organisations syndicales de me signaler tout cas de salarié n'ayant pas obtenu une formation qu'il demandait ou ayant refusé une formation qu'on lui proposait. Je vous assure que je n'ai pas eu connaissance d'un seul cas en cinq ans. C'est vous dire à quel point cette distinction n'existe pas dans la vie réelle. L'intérêt de chacun est le même.

Vous avez ensuite abordé la question de l'exigence que ces formations peuvent représenter pour les salariés. C'est une vraie question. Beaucoup de salariés, en particulier si l'on parle de basses qualifications, vivent la formation comme un jugement porté sur eux et non comme une ressource qui leur permettra de progresser. Ce sentiment est difficile à contourner, mais la résolution de ce problème est très importante, et nous sommes dans notre rôle en montrant bien aux intéressés qu'ils mettent en cause leur avenir s'ils ne s'engagent pas dans les formations : la compétence est la condition de la compétitivité et de l'avenir de l'entreprise. L'ordre de grandeur que je vous ai donné précédemment doit être gardé en tête ; 87,4 % des ouvriers de Renault ont eu accès à la formation en 2006. Rien n'est parfait ; 12,6 % ne sont pas encore partis en formation, je vous l'accorde. L'accord que nous avons signé comprend une disposition prévoyant que l'entreprise vérifie la situation des personnes qui n'ont pas bénéficié de formation pendant trois années consécutives, afin de s'assurer que les 12 % en question ne sont pas toujours les mêmes. Ceux-là ont droit à un traitement particulier. Le DIF vise précisément à vérifier que certains salariés ne restent pas à côté du chemin. Cela étant, la formation est en effet vécue par certains comme une contrainte, vous avez tout à fait raison de le souligner.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci, monsieur de Virville. J'ai une question très rapide, mais qui demanderait certainement beaucoup de temps. Parmi les trois états de la formation que vous avez déclinés - états solide, liquide et gazeux -, quel est selon vous le moins performant ?

M. Michel de Virville - Tout le monde n'est pas censé avoir lu ma relative polémique avec Pierre Cahuc. J'y indique que la formation existe sous trois phases, pour employer le mot de la physique - l'état solide, l'état liquide et l'état gazeux.

L'état gazeux est celui de la VAE : l'exercice de l'activité professionnelle permet d'acquérir dans cette perspective des compétences. Toutes les compétences ou presque de certains ont été acquises par ce canal. Des personnes extrêmement compétentes se sont entièrement formées par la pratique. Le problème de la VAE réside toutefois dans le manque de structuration des compétences acquises par ce biais. Sur le plan pédagogique, ces formations ne sont pas suffisamment développées. Elles permettent aux salariés de capitaliser de l'expérience, de prendre du recul par rapport à elle, de la construire et de faire la cartographie de ce qu'ils ont implicitement acquis au cours de leur carrière. Il existe là un travail pédagogique à faire. L'ensemble des compétences obtenues par cette voie doit être reconnu, mais celle-ci ne doit pas constituer un frein à l'acquisition. Dans les entreprises, la reconnaissance des compétences ne peut en effet pas être séparée de la question de la qualification et donc de la rémunération. Ce sujet relève du dialogue social ; il est complexe.

La formation à l'état solide est la formation initiale : elle est structurée et prend la forme classique du cours. Dans le domaine de la mécanique, une partie de la formation des ouvriers peut s'acquérir de cette manière - c'est vrai pour l'usinage (tournage, fraisage, etc.), pour lequel des ouvrages et des professeurs apprennent le métier aux futurs salariés. Dans les univers du montage et de la réparation mécanique, cette forme de transmission n'existe en revanche pratiquement pas. Il n'existe pas de livre traitant du montage ou de la réparation.

Nous touchons là à la phase liquide, le domaine de l'alternance, de la formation modulaire. Dans ces deux domaines, on effectue des allers et retours entre l'expérience de l'activité et la formation de manière beaucoup plus fluide. Je suis persuadé que le DIF ne peut pas être mis en oeuvre sans que ces trois formes soient bien maîtrisées. Ce troisième point est insuffisamment développé. La formation à l'état solide est surreprésentée, la formation à l'état liquide est sous-développée et l'investissement pédagogique requis pour que la formation à l'état gazeux produise tout son effet, est insuffisant. Le CIF, par exemple, ne concerne que les salariés en reconversion professionnelle - pour un changement d'entreprise ou de métier - car il s'agit de formation à l'état solide et qui implique donc une rupture du lien avec le milieu professionnel. Je ne critique pas ce dispositif, mais fais simplement remarquer qu'il correspond à certains types d'ordonnances. Cela renvoie à la question que vous posiez sur la diversité. Je pense que nous devons reconnaître cette diversité. Cela n'est pas contradictoire avec notre ambition d'équité, ou de répartition des bénéfices de la formation auprès du plus grand nombre possible de nos contemporains. Cette double exigence est la même que celle qui est requise pour l'impôt. Si nous voulons que la formation professionnelle soit vivante, elle doit être construite proche de la vie des personnes, de leur activité économique, publique ou privée. La formation professionnelle est aussi diverse que la vie ; elle est donc très difficile à encadrer dans des systèmes rigides.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci, monsieur de Virville.

Audition de MM. Jean-Claude QUENTIN, secrétaire confédéral chargé de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'assurance chômage, Christophe COUILLARD et Youcef TAYEB, assistants confédéraux, de la Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO) (7 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Merci d'avoir répondu à l'invitation de notre mission dont l'objet est de faire un point sur la formation professionnelle. Les sommes dépensées dans ce domaine sont énormes. Elles représentent 24 milliards d'euros. C'est un investissement conséquent et, comme tout investissement, il est logique que le Parlement, et en particulier cette mission, puisse en faire un état des lieux et émettre des propositions à ce sujet. Ceci sera fait à travers un rapport que nous publierons durant la première quinzaine de juillet. Nous avons l'ambition que ce rapport ne vienne pas seulement enrichir la bibliothèque du Sénat, mais qu'il puisse aussi contenir des propositions qui serviront à l'exécutif et feront avancer les choses. Vous êtes un partenaire et un acteur important. Nous sommes donc heureux de vous accueillir et de vous écouter.

M. Jean-Claude Quentin - Merci monsieur le président. Madame, messieurs, c'est toujours avec plaisir que nous venons nous exprimer devant vous. A titre personnel, mon plaisir est encore plus important du fait que, lors du vote de la loi du 4 mai 2004, le rapporteur - Mme Bocandé - a été très à l'écoute de ce que nous avions à dire sur le texte et c'est grâce au vote des sénateurs que l'article L. 930-1 a été inscrit dans le code du travail. Or, cet amendement, que nous avions suggéré et qui a été retenu, pose véritablement la base de ce que doit être la formation professionnelle dans le droit du travail.

Dans ce genre de débat, à mon sens, il faut toujours différencier ce qui est du ressort de la formation professionnelle initiale et ce qui est du ressort de la formation professionnelle continue. On fait souvent un amalgame entre les deux et il faut essayer d'avoir une vision claire sur ce point. Au sein de Force ouvrière, on m'a confié la responsabilité de tout ce qui concerne la formation professionnelle sous contrat de travail. Je déborde donc sur la formation professionnelle initiale au travers du contrat d'apprentissage. Si je peux me permettre, j'ajouterai un second petit préambule. La formation professionnelle a ceci de particulier, au moins en ce qui concerne la formation continue, qu'on ne peut pas la pratiquer par obligation. Il faut comprendre ce point dès le départ : on ne peut parler que d'incitation ou de motivation, mais on ne peut pas obliger quelqu'un à se former. Toute la réflexion que j'ai menée pour Force ouvrière, notamment dans le cadre de la négociation de l'accord interprofessionnel sur la formation continue, est basée sur cette idée. Pour utiliser une formule un peu triviale, « on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif ». C'est une donnée première en matière de formation professionnelle continue. Il faut donc essayer de générer des dynamiques, des dispositifs porteurs et faire en sorte qu'il existe une réelle incitation à aller vers ce type de formations. C'est pourquoi la notion de salarié acteur est fondamentale. Comment allons-nous conduire le salarié, au cours de sa vie professionnelle, à ressentir le besoin d'aller vers la formation continue ? Comment, autour de cela, allons-nous tenter d'améliorer certains éléments dont, en particulier, l'accès à la formation continue et les inégalités recensées à ce niveau ?

Ici, je me permets d'indiquer que je vous ai apporté quelques exemplaires d'une brochure que nous avons diffusée à nos militants dans les entreprises. Ce document est modeste, mais nous y avons intégré un texte qui s'intitule « 2006 : année de tous les dangers », qui a été écrit en 2003 et qui, d'une certaine façon, explique l'accord interprofessionnel sur la formation continue.

Notre réflexion sur les dispositifs de formation continue est basée sur cinq mots : anticipation, professionnalisation, personnalisation, mutualisation et contractualisation. Je vais essayer de préciser la signification de chacun d'entre eux.

Anticipation.

Nous sommes - soit disant - un pays moderne, mais nous sommes incapables d'indiquer à nos jeunes qui s'orientent vers la vie professionnelle ou aux adultes qui se reconvertissent en cours de carrière, vers quel secteur il vaut mieux qu'ils se dirigent pour être le plus en adéquation avec les demandes du marché du travail. Ceci pose tout le problème de l'orientation et de la nécessité de faire en sorte que l'information qui est transmise soit la plus cohérente possible avec les besoins de l'économie.

Dans ce domaine, nous avons travaillé autour de trois sujets. Le premier est lié au groupe Prospective des métiers et des qualifications de l'ex-commissariat au Plan qui vient de sortir son rapport, « les métiers en 2015 ». Il s'agit là d'un élément d'information extrêmement important. Le rapport précise, par grande qualification professionnelle, quels seront les besoins d'ici à 2015. Ce type de publication n'a qu'un seul défaut, celui de ne pas être porté à la connaissance de nos concitoyens. Par ailleurs, l'accord interprofessionnel prévoit la création d'observatoires prospectifs des métiers et des qualifications. Chaque branche professionnelle en est aujourd'hui dotée. Elle devrait donc produire des études prospectives sur l'évolution des qualifications concernées et, en considérant au minimum deux plans (cette évolution des qualifications et la démographie de la branche), montrer comment la situation pourrait évoluer. Enfin, en ce qui concerne le troisième thème, je faisais précédemment allusion au vote du Sénat sur l'article L. 930-1. Pour la première fois, dans l'accord interprofessionnel, nous donnons une définition juridique du plan de formation. Aussi bizarre que ceci puisse paraître, cette définition n'existait pas jusqu'à présent. Ce plan de formation est, aujourd'hui, divisé en trois critères : l'adaptation au poste de travail, l'évolution de l'emploi et des qualifications, le développement des compétences. Normalement, s'il est traité de manière correcte, il doit permettre de déterminer les besoins immédiats de l'entreprise en termes de qualification, ses besoins à moyen terme et, au travers du développement des compétences, les recours qu'elle utilise pour générer, en interne, une promotion pour ses salariés.

Professionnalisation.

Cette notion est simple à comprendre. Elle traduit une volonté des négociateurs de rééquilibrer, dans la vie professionnelle d'un individu, ce qui est du ressort de la formation initiale et ce qui est du ressort de la formation continue. Par exemple, nous enregistrons, aujourd'hui, un certain nombre d'inégalités dans l'accès à la formation. Le chiffre habituellement fourni sur ce point est le suivant : une femme non qualifiée et travaillant dans une entreprise de moins de dix salariés a, statistiquement parlant, vingt-cinq fois moins de possibilités d'accéder à une action de formation continue qu'un homme ingénieur employé dans une entreprise de plus de 500 salariés. Cet élément est symbolique évidemment, mais vous trouverez dans notre brochure un tableau plus détaillé sur les inégalités d'accès à la formation en fonction des catégories socioprofessionnelles et de la taille de l'entreprise.

Comment permettre un rééquilibrage de ces différents éléments au cours de la vie professionnelle ? L'accord interprofessionnel a créé deux éléments importants. Le premier est la notion de contrat de professionnalisation. Il s'agit d'une démarche d'insertion dans l'entreprise d'un jeune ou d'un demandeur d'emploi avec, en corollaire au contrat de travail, une formation et l'acquisition d'une nouvelle qualification. Par ailleurs, pour ceux qui sont déjà dans l'entreprise mais dont les qualifications présentent un risque d'obsolescence, il existe une notion de période de professionnalisation.

J'insiste sur le fait que, autour de la question de la professionnalisation, se trouve l'idée de rééquilibrer la formation continue par rapport à la formation initiale. En effet, nous nous heurtons à des difficultés liées à la spécialisation trop précoce des jeunes. A titre personnel, je trouve complètement anormal qu'on fasse entrer un jeune de quatorze ou quinze ans en apprentissage en lui annonçant qu'il sera plombier ou boulanger. On ferait beaucoup mieux de procéder par tronc commun. Pour un apprentissage qui dure trois ans, on prévoirait ainsi un tronc commun sur le bâtiment, par exemple, pour la première année, suivi d'une qualification par branche, puis par métier. Nous devrons donc réfléchir à ce problème de spécialisation trop précoce en matière de formation professionnelle.

Personnalisation.

Cette question est liée à la notion de salarié acteur. La personnalisation consiste à ne plus privilégier les produits standard ou formations catalogue, mais à conduire la personne, à partir de ce qu'elle est, vers un processus de formation et de qualification. Nous trouvons un certain nombre de dispositifs qui sont nés de cette idée comme, évidemment, le droit individuel à la formation, droit attaché à la personne, ou la validation des acquis de l'expérience. Sur ce dernier point, il faut conserver une nuance et distinguer la validation statique ou dynamique. Dans le premier cas, on effectue un constat. Pour reprendre l'exemple du bâtiment, le maçon a construit un mur il y a vingt ans. Le mur est toujours debout. Le maçon n'a pas son CAP. Il faut donc le lui donner. Cependant, le maçon vaut certainement plus que ce diplôme. Il faut donc y ajouter un tiers ou deux tiers de brevet professionnel et, éventuellement, l'entraîner dans une logique promotionnelle. Il ne faut donc pas se contenter d'une VAE statique mais entrer dans un processus de VAE dynamique et promotionnelle. Ceci permet de démontrer au salarié qu'il a les moyens d'aller plus loin que la certification qui lui est remise. La notion de bilan de compétences est également importante à ce niveau.

Par ailleurs, la démarche du salarié acteur, engagée au travers du DIF, permet également de lutter contre les inégalités d'accès à la formation. En effet, chacun est doté d'un droit qui lui offre une nouvelle possibilité, individuelle, d'accéder à un dispositif de formation continue. La réflexion que nous avons conduite est même allée plus loin. Pour utiliser une sorte de néologisme, nous incluons, dans la notion de droit individuel à la formation, l'idée de « consommacteur ». En d'autres termes, le salarié qui suit une action de formation continue, dans le cadre du DIF, use de son droit à titre individuel. Il risque donc d'être plus exigeant vis-à-vis de l'organisme de formation qu'il ne le serait s'il était inscrit dans un dispositif collectif dont il n'est pas réellement acteur. Dans ce domaine, j'attire votre attention sur un point, même si celui-ci peut sembler anodin et surprenant lorsqu'il est exprimé par un militant syndical. C'est bien dans ce sens que nous avons accepté que le droit individuel à la formation puisse être utilisé en dehors du temps de travail. Ceci permet également de faire en sorte que le salarié soit plus exigeant. Même si l'employeur paie la formation, il s'investit au travers de son temps personnel. Si l'organisme de formation ne lui donne pas ce dont il a besoin, il sera plus réactif que dans le cadre d'une formation payée par l'employeur et effectuée pendant le temps de travail. La notion de « consommacteur » est donc importante pour nous.

Mutualisation.

Cette notion peut être mise en rapport avec un autre débat nettement plus large, celui de la sécurisation des parcours professionnels. Elle repose sur l'idée selon laquelle des évolutions seront possibles lorsque nous pourrons assurer une transférabilité du droit individuel à la formation, entre autres droits, d'une entreprise à l'autre. Ceci constitue, selon moi, une évolution majeure du droit du travail pour les dix ou quinze prochaines années. Le fait que le salarié puisse acquérir un droit qui n'est plus rattaché au contrat de travail, mais à la personne, semble très important. Si nous enregistrons des prémices d'évolution dans ce domaine, nous sommes encore loin de ce qui pourrait être fait. Le DIF devrait être traité de cette manière. Malheureusement, la négociation demande à trouver un compromis avec les organisations patronales. Dans ce cadre, j'ai estimé, pour ma part, que si le DIF fonctionnait, on parlerait forcément de transférabilité. Le dispositif étant en train de se déployer, je pense que cette notion sera effectivement abordée. Cependant, pour qu'elle puisse exister et que le droit soit collectivement garanti à tous les salariés, il faut rentrer dans une logique de mutualisation.

Contractualisation.

En ce qui concerne ce dernier thème, il est clair que nous faisons face, aujourd'hui, à un empilement de différents dispositifs, provenant de différents acteurs qui ne se connaissent pas, ne dialoguent pas et ont des intérêts propres. Je ne vais pas vous faire l'injure de citer, ici, les différents dispositifs d'accompagnement de l'emploi, de formation, d'exonération des entreprises ou de contrats particuliers, mais je crois que le rapport de l'IGAS les a chiffrés à 6 000. La notion de contractualisation est donc également très importante pour nous, notamment car elle interpelle le territoire. C'est au niveau de la région que les compétences juridiques qui se croisent aujourd'hui en matière d'emploi et de formation sont les plus nombreuses. Des éléments sont donc vraisemblablement à observer à ce niveau.

Par exemple, au sein de Force ouvrière, je suis chargé du dossier de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'assurance chômage. Je suis donc administrateur de l'UNEDIC et je traite simultanément des problématiques de formation professionnelle. Dans la convention d'assurance chômage que j'ai été conduit à négocier, un objectif de mise en oeuvre de 80 000 contrats de professionnalisation par an a été inscrit. Ce dispositif vise à permettre à 80 000 chômeurs de retrouver un emploi dans une entreprise, leur contrat de travail étant accompagné d'une phase de formation pouvant aller jusqu'à 1 200 heures de formation. Nous avons l'argent pour remplir cet objectif. Or, cette convention s'applique depuis le 1 er janvier 2006 et, pour l'année 2006, nous n'avons pu monter que quelques dizaines de contrats. Ceci s'explique simplement. Le directeur de l'ASSEDIC, au plan régional, ne connaît pas son homologue de la formation professionnelle dans les OPCA. Ces deux intervenants sont donc incapables de travailler ensemble. Ceci signifie que, pour les contrats de professionnalisation, les emplois existent, l'argent existe et une incitation de 200 euros par mois est prévue pour l'employeur. Mais le contrat va être présenté par l'OPCA qui ignore qu'il existe, dans la convention d'assurance chômage, ce type de dispositions. Le directeur de l'ASSEDIC, quant à lui, ne sait pas que celui qui est capable de mener le projet est le responsable de l'OPCA. J'ai donc demandé, avant tout, que le directeur de l'ASSEDIC aille déjeuner avec le directeur de l'OPCA et que les deux se connaissent, au moins physiquement. Ces évolutions sont en train de se mettre en oeuvre et j'ose espérer que nous arriverons à les mener à terme.

Il faut déjà être capables d'assurer la contractualisation dans les domaines que nous gérons paritairement : l'ASSEDIC, la formation professionnelle, éventuellement l'insertion des handicapés au travers de l'AGEFIPH, les FONGECIF, etc. Je vais vous donner un second exemple. Un salarié, qui a travaillé quatre mois sous contrat à durée déterminée, a droit à un congé individuel de formation CDD au travers duquel, pendant un an, une formation à temps plein peut être financée avec maintien du niveau de salaire de l'emploi précédent. Quand il quitte son contrat, le salarié a donc le choix entre aller s'inscrire au chômage et toucher 57,4 % de son ancien salaire, ou aller vers le FONGECIF et percevoir l'intégralité de son salaire pendant un an tout en étant formé et en pouvant éventuellement réacquérir des droits à l'assurance chômage au travers de ce contrat. Ce point est bien inscrit dans la convention d'assurance chômage, mais nous avons été incapables de mettre en oeuvre le dispositif. Nous continuons donc à inscrire ces salariés passivement à l'assurance chômage sans les orienter vers le CIF-CDD. Ceci ne serait pas forcément grave si tous les FONGECIF de France n'avaient pas un budget trop important pour ce type de prestations. L'argent n'est donc pas dépensé et nous sommes incapables d'assurer cette orientation car les différents acteurs s'ignorent.

Je vais vous fournir un dernier exemple qui sera vraisemblablement plus proche de vos préoccupations. Les conseils généraux assurent le suivi du RMI et, au travers de cette activité, du CI-RMA. Ce dernier dispositif ne fonctionne pas pour deux raisons simples. D'une part, aucun employeur ne peut comprendre que, pour embaucher un salarié, il doit s'adresser au conseil général. D'autre part, le coût de la formation intégrée à ces dispositifs n'est budgété nulle part. De nouveau, si nous parvenons à faire dialoguer le conseil général et l'OPCA, ce dernier sait vendre le produit clé en main à l'entreprise. Il est capable d'expliquer à l'employeur que, s'il embauche un salarié au RMI, il percevra, par convention et pendant une durée définie, ce que la personne percevait au RMI. L'OPCA pourra ajouter qu'il a les moyens de financer la formation au travers du contrat de professionnalisation. Je cite cet exemple car nous avons déjà mené de telles opérations. Je vous ai notamment apporté un document évoquant une convention entre l'AGEFOS-PME d'Alsace et le conseil général du Bas-Rhin. C'est ce que j'appelle de la contractualisation et je vous garantis que ces dispositifs fonctionnent.

Donc, dans un premier temps, nous avons la responsabilité, en tant qu'interlocuteurs sociaux et gestionnaires paritaires, de nous mettre en capacité de faire fonctionner globalement les dispositifs dont nous avons la gestion. Ensuite, si nous évoquons d'autres interlocuteurs, nous sommes capables de contractualiser avec des structures comme les conseils régionaux. A ce niveau, j'appelle de mes voeux la constitution d'un pool paritaire qui pourrait être un interlocuteur du conseil régional en matière de formation continue et de reclassement des demandeurs d'emploi.

Ce sont les cinq points qui constituent notre façon d'aborder le sujet de la formation professionnelle. Si vous me le permettez, je souhaite ajouter quelques points supplémentaires.

En matière de formation continue, nous ne nous tournons pas, aujourd'hui, vers les conseils régionaux pour leur demander de l'argent, mais pour leur demander de structurer l'offre de formation, ce qui, selon nous, constitue leur vrai métier et leur vraie compétence. Ce n'est pas l'argent qui manque dans ce domaine. En revanche, si l'on considère la question sous l'angle de la proximité et si l'on tient compte qu'environ 12 millions de salariés ont, aujourd'hui, capitalisé soixante heures de DIF, il faut une offre de formation au plan local. A ce titre, et si vous m'accordez quelques minutes, je peux vous raconter l'histoire de mon petit-fils. Mon deuxième petit-fils s'appelle Anselme. Lorsque j'ai appris cette nouvelle, je suis allé rechercher, sur internet, des informations sur saint Anselme. J'ai lu que celui-ci avait été théologien et archevêque de Canterburry et en ai déduit que, ces références étant bonnes, il pouvait rentrer dans la famille. Il se trouve que, deux lignes plus bas sur la page de Google, se trouvait un site sur Saint Anselme, commune du Québec. J'ai fait ce que tout le monde aurait fait. J'ai cliqué sur le lien. La commune de Saint Anselme accueille 3 000 habitants. Son activité principale est tournée vers le bois et elle dispose d'une médiathèque qui propose des cours d'informatique pour 5 dollars. Pour moi, le DIF, c'est exactement cela ! Le dossier de la formation continue pose la question de la localisation et de la proximité de cette formation et, pour moi, il s'agit là d'un rôle majeur pour le conseil régional. Certaines avancées peuvent être réalisées immédiatement. Par exemple, au plan territorial, les GRETA, qui sont les organismes de formation continue de l'éducation nationale, concentrent vraisemblablement des ressources importantes. Mais ils n'ont pas d'existence juridique. Il faudrait donc déjà, en termes de structuration de l'offre de formation au plan territorial, leur fournir un statut juridique et faire en sorte qu'ils jouent, à plein, leur rôle en matière de formation continue. Au moins tous les lycées, si ce n'est tous les collèges, ont les capacités de proposer des formations dans le cadre du DIF.

Par ailleurs, les OPCA posent plusieurs difficultés. Ils sont trop nombreux et il faut les gérer différemment. On peut déjà, dans un premier temps, aller au bout de ce qu'avait préparé la loi quinquennale de 1993. Celle-ci avait estimé qu'un OPCA pouvait exister à partir du moment où il collectait un minimum de 15 millions d'euros. Aujourd'hui, il me semble qu'il faille considérer les OPCA qui enregistrent une collecte minimale de 30 millions d'euros pour évoquer une économie d'échelle. Par ailleurs, pour l'agrément de ces structures, il faut s'assurer que celles-ci puissent fournir un service de proximité, c'est-à-dire qu'elles disposent, au minimum, de délégations régionales. Je vais également vous fournir un exemple sur ce sujet. Un arrêté a été publié récemment sur le fonds d'assurance formation des artisans. Vous savez qu'il existe trois grandes catégories dans ce domaine : le bâtiment, l'agro-alimentaire et les services. Les artisans ont regroupé, en un seul fonds d'assurance formation, les dispositifs correspondants. Mais ceux-ci restent séparés pour les salariés. Or, il me semble que ce qui a été fait pour les employeurs peut parfaitement être mis en oeuvre pour les salariés. Ces modifications ne sont pas des révolutions mais supposent que nous allions au bout de certaines réflexions. A contrario , nous sommes partisans du maintien d'une sorte d'émulation contrôlée entre les OPCA, notamment au plan territorial. En effet, pour améliorer le service aux entreprises et aux salariés, une forme de concurrence n'est pas une mauvaise chose en soi. Il faut donc conserver cette notion sans que celle-ci dégénère en offre commerciale.

Enfin, dans l'accord interprofessionnel, nous n'avons pas été capables de rééquilibrer la branche et le territoire et ceci nuit véritablement à la mise en oeuvre généralisée de la formation continue. La prégnance des branches professionnelles dans ce domaine est trop importante. Il faut absolument rééquilibrer la structure professionnelle nationale et la structure interprofessionnelle territoriale. Des avancées restent à faire à ce niveau mais, comme je l'ai indiqué précédemment, une négociation repose sur la recherche d'un compromis. Celui-ci nous oblige parfois à laisser certains éléments de côté. Mon grand regret, dans le cadre de la négociation interprofessionnelle, est donc lié à notre incapacité à avoir assuré ce rééquilibrage.

Je vous demande de ne pas m'en vouloir d'avoir été un peu long dans la présentation de cet exposé et je me livre volontiers à vos questions.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci monsieur Quentin. Votre présentation autour des cinq critères me paraît très intéressante et fondée. Avant de laisser la parole à notre rapporteur, je souhaiterais vous poser une question. Vous avez indiqué que les conseils régionaux devaient structurer l'offre de formation. Ce point me paraît très intéressant, mais ceci nécessite de connaître les besoins. Or, comme vous l'avez également souligné, nous avons des difficultés à prévoir ces données. Nous venons de visiter une entreprise qui semble maîtriser correctement ses besoins. Comment pouvons-nous améliorer la situation en la matière ? En effet, si nous ne parvenons pas à apprécier, de manière suffisamment correcte, les besoins, nous risquons de rester sur des programmes trop basés sur une offre de formation.

M. Jean-Claude Quentin - Cette question est fondamentale et doit être abordée par la notion de compétences transversales. Aujourd'hui, cette transversalité caractérise un certain nombre de métiers. Il faudrait donc prévoir un endroit où les travaux des observatoires de branche, que j'ai évoqués précédemment, puissent être consolidés, ce qui permettrait de démontrer les transversalités existantes. Les régions ont elles-mêmes mis en oeuvre leurs observatoires, mais ceux-ci n'effectuent pas un vrai travail de prospective. Leur examen porte essentiellement sur les évolutions passées. Je pense donc plutôt à un organisme comme le CEREQ. Celui-ci pourrait héberger cet endroit permettant de remonter et d'amalgamer les travaux des branches pour en extraire un certain nombre d'orientations. Les questions concernant précisément la transversalité pourraient être redescendues aux régions qui valideraient ou invalideraient alors les travaux. En effet, le problème du territoire est rarement un problème de spécialité. Par exemple, quand vous devez reclasser un salarié touché par un plan social, ce n'est pas au travers de sa spécialité première que vous allez pouvoir le faire, mais au travers de sa capacité d'adaptation. La transférabilité de sa qualification sera un élément déterminant dans ce cadre. Je crois donc que les régions devraient travailler plus amplement sur ces notions de compétences transversales. La spécialité pourra être évoquée dans des formes plus fines et, notamment, au niveau de l'entreprise.

M. Bernard Seillier, rapporteur - L'exposé que vous nous avez présenté est déjà très charpenté, ce qui n'est d'ailleurs pas une surprise compte tenu de votre compétence et de la réflexion que vous menez depuis des années dans ce domaine. Je vais donc tenter de reformuler mes différentes questions, sachant qu'elles traitent des sujets que vous avez déjà pratiquement tous abordés. J'avais d'abord imaginé vous interroger sur l'évaluation de l'application de l'accord national interprofessionnel par les partenaires sociaux. Avez-vous, vous-mêmes, dressé un premier bilan des nouveaux dispositifs ? Je souhaite également évoquer l'information auprès des salariés. Comment celle-ci est-elle organisée ? Faut-il faire plus en la matière ? Vous avez signalé votre insatisfaction quant à l'articulation entre la branche et la région. J'élargirai cette réflexion en intégrant les différents niveaux de compétences et de négociation : État, régions, partenaires sociaux, etc. Avez-vous des éléments complémentaires à apporter sur ce dispositif global ? Par ailleurs, nous entendons régulièrement dire que la formation va aux salariés les plus qualifiés. Les cinq critères que vous avez évoqués m'ont ouvert des perspectives en la matière. Mais, d'une manière générale, confirmez-vous cette analyse ? Concernant l'accompagnement à la reconversion et à la mobilité professionnelle, avez-vous des éléments à nous apporter ? Enfin, que pensez-vous du développement de la formation en ligne ?

M. Jean-Claude Quentin - Nous avons décidé, au sein de la commission paritaire nationale de la formation professionnelle (CPNFP), de réaliser une évaluation de l'accord à la fin de 2007. Je vais laisser mes assistants intervenir sur cette question puisque que ce sont eux qui participeront au groupe de travail correspondant. Youcef Tayeb pourra également évoquer la question de la formation des salariés car il a assuré un nombre conséquent de sessions de formation dans nos unions départementales.

M. Christophe Couillard - La CPNFP est l'instance qui suit l'ANI (accord national interprofessionnel). La question de l'évaluation a donc été discutée dans ce cadre, sachant que l'ANI, lui-même, prévoit une évaluation à cinq ans des dispositifs mis en place. Il n'est donc pas question, aujourd'hui, de produire des éléments puisque nous nous trouvons encore en phase de lancement. L'accord a été étendu en 2004. Nous devons donc attendre 2008 ou 2009 pour pouvoir procéder à ces évaluations. Toutefois, pour assurer correctement cette tâche, nous devons entamer le travail dès maintenant. C'est pourquoi un groupe de travail a été mis en place au sein du CPNFP. Nous nous sommes récemment répartis les responsabilités et il faut noter que Force ouvrière et la CGPME en seront les co-animateurs. Par ailleurs, nous avons estimé qu'il faudrait très rapidement traiter la question du DIF dont l'économie soulevait de grandes inquiétudes au moment de la négociation. Une première évaluation était envisagée à la fin de 2006, mais nous nous sommes rendu compte qu'elle était trop précoce puisque le DIF n'avait pas pu se développer immédiatement. Nous avons donc prévu de sortir des éléments, sur le dossier, à la fin de 2007.

M. Youcef Tayeb - Dès la signature de l'accord, nous avons organisé près de 200 sessions, dans nos unions départementales, pour expliquer les dispositifs et les novations de l'accord national interprofessionnel. Nos militants devaient servir de relais, dans leur propre entreprise, afin d'assurer l'information de l'ensemble des salariés du secteur privé. Dans un premier temps, nous avons présenté le dispositif et, dans un deuxième temps, nous sommes revenus sur certains points précis et avons fait remonter les éléments restant à travailler. Nous n'avons donc pas attendu pour tenter d'informer tous les salariés du secteur privé et nous n'avons pas lésiné sur les moyens dans ce domaine.

M. Jean-Claude Quentin - D'ailleurs, cette brochure, destinée à nos militants dans les entreprises, a été tirée à 20 000 exemplaires. Je viens d'en demander un nouveau tirage de 10 000 exemplaires. Nous avons également réalisé un petit dépliant sur le DIF que nous avons diffusé à deux millions d'exemplaires. Force ouvrière a organisé 200 sessions de formations, sachant que l'organisation comprend 100 unions départementales en incluant les DOM. Nous nous situons donc, aujourd'hui, à un niveau satisfaisant de formation. Seuls les salariés des petites entreprises pourraient éventuellement manquer dans le dispositif car ils sont plus difficiles à contacter. Mais, il se trouve qu'un système de garantie DIF est en train de se développer au travers de l'AGEFOS-PME. Les entreprises verseraient une sorte de prime d'assurance à la structure qui, en contrepartie, assurerait le financement des DIF demandés par les salariés. L'information aux petites entreprises devrait venir avec la mise en place de ce dispositif de garantie.

M. Bernard Seillier, rapporteur - La création du DIF a-t-elle, d'une certaine manière, relancé le dialogue social ?

M. Jean-Claude Quentin - Je pense que cette évolution est en train de se mettre en place, sachant que c'était un des buts poursuivis par le dispositif. Jusqu'à présent, la formation continue dans les entreprises était scindée entre le plan de formation, à l'initiative de l'employeur, et le congé individuel de formation, à l'initiative du salarié. Le DIF se situe entre ces deux formules. Le salarié doit en prendre l'initiative et sa demande doit donner lieu à une sorte de négociation entre lui-même et son employeur. Cet aspect n'a pas été suffisamment valorisé jusqu'à présent. En particulier, nous avons la crainte que les employeurs se saisissent du DIF pour en faire un appendice du plan de formation. Or, la manoeuvre vise bien à faire naître un débat qui doit normalement avoir lieu dans le cadre de l'entretien annuel professionnel. Au cours de celui-ci, la hiérarchie doit effectivement s'entretenir, avec le salarié, de ses besoins en formation. Il faut noter que la mise en place des trois types d'actions, dans le cadre du plan de formation, visait également à générer un débat.

Vous m'interrogez aussi sur les inégalités d'accès à la formation. Le tableau, présenté en page 6 de notre brochure, confirme clairement vos propos. La formation va à la formation. Le DIF devrait, normalement, engendrer un mouvement inverse puisque chaque salarié dispose d'un droit individuel. Il faut noter un élément qui pourrait avoir une influence, dans ce domaine, au cours des prochaines années. Le nombre de jeunes entrant dans des cycles d'études supérieures est nettement plus important qu'il ne l'était pour ma génération. Au cours de leur vie professionnelle, ces jeunes ressentiront donc peut-être un besoin plus grand de revenir vers l'université ou vers la formation continue.

Enfin, je vous avouerai mon extrême prudence en ce qui concerne le e-learning. Je ne crois pas à ce dispositif sans accompagnement. Le fait de laisser un salarié seul devant un ordinateur revient probablement à accentuer de nouveau les inégalités. A ce titre, un système qui vient de se mettre en place me semble très intéressant. Il s'agit d'une société qui a racheté des logiciels de e-learning à certaines grandes entreprises. Elle met en place des salles comprenant des batteries d'ordinateurs et incluant la présence de moniteurs pour proposer ces logiciels à des bénéficiaires du DIF. Ceux-ci peuvent ainsi venir pratiquement quand ils le souhaitent et travailler sur des logiciels tout en étant accompagnés en permanence. Cette offre repose donc sur l'utilisation de nouvelles technologies de l'information avec un accompagnement. Le bon compromis tourne vraisemblablement autour de ces deux notions.

En ce qui concerne l'accompagnement et la sécurisation des parcours professionnels, j'ai été conduit à beaucoup réfléchir sur le sujet, mais je ne suis pas encore parvenu au bout de ma réflexion. Cependant, je suis à peu près convaincu, aujourd'hui, que nous disposons d'un certain nombre de dispositifs qu'il faut commencer par rendre complémentaires et coordonner avant d'inventer d'autres systèmes. Je vous ai fourni, précédemment, quelques exemples en matière de coordination. J'insiste également sur l'importance de la notion de droit acquis dans le cadre du contrat de travail, attaché à la personne et garanti collectivement par la mutualisation. Ces trois notions me semblent fondamentales. L'assurance chômage illustre, d'une certaine façon, cette association, mais nous n'avons pas encore réussi à mettre celle-ci en oeuvre en matière de formation professionnelle.

Il s'agirait donc de capitaliser, dans le cadre du contrat de travail, un certain nombre de droits qui pourraient être utilisés après la rupture dudit contrat, dans une autre entreprise ou pendant une période de chômage. Le salarié serait certain de pouvoir y avoir accès car un système de mutualisation aurait été mis en place. Par exemple, beaucoup parlent de la transférabilité du droit individuel à la formation. Mais que recouvre exactement cette notion ? Si le salarié arrive dans sa nouvelle entreprise en annonçant qu'il dispose de soixante heures de formation, il risque d'effrayer son nouvel employeur. La transférabilité ne correspond pas à ce schéma-là. Le salarié a acquis soixante heures de formation qui lui sont garanties par la mutualisation. Ce droit pourra donc être mis en oeuvre dans la nouvelle entreprise, mais ne coûtera rien à l'employeur. D'une certaine façon, il pourra même l'intéresser. En effet, le DIF pourra être utilisé pour ajuster la qualification du salarié aux besoins de la nouvelle structure. Le dispositif devient donc un argument en faveur de l'embauche et non l'inverse. De plus, il est normal que l'entreprise précédente, si elle n'a pas favorisé l'accès au DIF du salarié, s'acquitte de cette charge au travers de la mutualisation. La logique de sécurisation peut donc être développée au travers de systèmes de cette nature. A contrario , je vous avoue que je ne crois absolument pas à la sécurité sociale professionnelle qui reposerait sur un droit permanent au revenu, indépendamment de la situation du salarié. Je crois nettement plus à des systèmes qui, pour une partie, existent aujourd'hui et qu'il faut mettre plus en cohérence, en comblant les éventuels manques.

Je vais encore vous donner un exemple. Nous avions proposé, dans le cadre de la négociation avec le MEDEF sur les restructurations, le dispositif suivant. En cas de plan social, on garantirait le maintien du contrat de travail et la rémunération correspondante pendant un an après l'annonce des suppressions d'emploi. Ce dispositif affecterait l'entreprise concernée et ses sous-traitants. Nous gérerions donc également l'effet en cascade. Ceci est possible à partir du moment où une mutualisation est mise en place. Je vais donc demander à l'entreprise de verser une cotisation et, le jour où celle-ci aura à réaliser un plan social, ces sommes mutualisées interviendront pour permettre le maintien du contrat de travail pendant un an et le déploiement, au cours de cette période, d'une logique de reconversion et d'un véritable plan social. Les statistiques démontrent effectivement que, dans la première année, le taux de reclassement de salariés qui sont suivis dans le cadre d'un plan social est nettement supérieur aux résultats obtenus par l'assurance chômage. Le dispositif permettrait également de créer une forme de solidarité avec la sous-traitance qui souffre souvent beaucoup des plans sociaux des grandes entreprises. Il s'agit là d'un exemple de sécurisation et de mutualisation. D'après mes calculs, celui-ci coûterait 0,30 % de la masse salariale et générerait très rapidement des économies sur l'assurance chômage. Ses coûts s'annuleraient donc très vite.

M. Jean-Claude Carle, président - Il nous reste à vous remercier. N'hésitez pas à nous faire part de vos remarques par écrit. Pour nous, il n'existe aucun sujet tabou et aucune mauvaise idée.

M. Jean-Claude Quentin - Je vous remercie de votre invitation et de votre écoute. Je vous ai rappelé, au début de l'entretien, que j'avais d'excellents souvenirs de mes interventions au Sénat, notamment dans le cadre du vote de la loi du 4 mai 2004. Je ne parle pas en l'air puisque j'ai gardé les enregistrements d'une table ronde que Mme Bocandé avait organisée. J'ai donc conservé des preuves. Je vous remercie de votre accueil.

M. Jean-Claude Carle, président - Dans ce cas précis, vous aurez la preuve par le rapport puisque ce que vous venez de dire sera inséré dans le document et nous nous en inspirerons.

Audition de M. Jean-Michel ROULET, président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) (7 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Si vous le voulez bien, nous allons écouter M. Jean-Michel Roulet qui est le président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Il peut paraître surprenant que nous vous recevions pour un sujet concernant la formation professionnelle, mais nous avons été sensibilisés par le risque, voire la réalité, de la présence de sectes qui, sous le biais d'une activité de formation, font du prosélytisme. Nous souhaiterions donc avoir un état des lieux sur ce sujet, celui-ci constituant bien une dimension que nous voulons aborder dans notre rapport. Ce rapport sera remis au mois de juillet 2007 et, dans le cadre de son élaboration, nous invitons tous ceux qui, de près ou de loin, sont compétents sur le sujet de la formation professionnelle. En ce qui concerne le secteur sur lequel vous vous penchez, il ne faudrait pas qu'à travers des organismes de formation, un phénomène sectaire et un certain prosélytisme se développent. Nous vous remercions donc d'avoir accepté notre invitation. Nous vous proposons de nous présenter un état des lieux, puis nous vous soumettrons aux questions de notre rapporteur et de nos collègues.

M. Jean-Michel Roulet - Merci monsieur le président. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs, j'ai répondu avec beaucoup de plaisir à l'invitation que vous m'avez adressée car le phénomène des dérives sectaires dans le domaine de la formation professionnelle est malheureusement une réalité. Nous avions évoqué cette question dans le rapport que nous avions remis au Premier ministre en 2005. Nous l'avons de nouveau largement développé dans le rapport que nous lui avons fourni pour l'année 2006 et dont je vous laisse une douzaine d'exemplaires.

Nous avons pris conscience du phénomène de dérive sectaire dans la sphère de l'entreprise et, plus particulièrement, dans celle de la formation professionnelle, car nous avons eu des remontées d'informations et reçu des plaintes de victimes et des signalements. Lorsque ce phénomène se manifeste dans la vie quotidienne, ce sont, en général, les familles des victimes qui évoquent le problème et en rendent compte à la mission interministérielle, aux associations de défense et d'accueil des familles ou, très fréquemment, aux élus locaux. Dans le domaine de l'entreprise, les organisations syndicales jouent le rôle des associations et les informations nous remontent souvent par elles. Je veux souligner que, dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires, l'Assemblée nationale, qui récemment s'est penchée sur le sujet des enfants, a toujours abordé le domaine de manière très consensuelle et pas du tout politicienne. De la même façon, lorsque des dérives sectaires se manifestent dans l'entreprise, nous constatons que l'idée de lutte des classes ou de combat entre patronat et syndicat disparaît complètement. Tous font front commun pour protéger les travailleurs et leur famille contre ce risque extrêmement grave. En effet, le drame, en matière de dérive sectaire, repose sur le fait que, au-delà de la victime elle-même, des familles entières peuvent se trouver détruites par l'action d'apprentis sorciers qui se livrent à des mesures de séduction, puis de destruction, ces pratiques étant communément dénommées « emprise » ou « manipulation mentale ». Ce sujet ne doit donc être ni polémique, ni passionné, même si un certain nombre de personnes dans notre pays veulent nous faire croire que nous portons atteinte à la liberté de conscience et de pensée lorsque nous luttons contre les dérives sectaires. Il ne faut pas se laisser prendre par ce chant car, en vérité, notre action concerne bien la défense des individus, de leur dignité et de leur liberté. L'État ne peut laisser ce dossier dans les seules mains de la sphère civile ou associative, sachant que, dans notre pays, la lutte contre les dérives sectaires est née d'une prise de conscience associative puis parlementaire et que l'État ne s'est préoccupé du problème qu'ultérieurement.

Au-delà de ces généralités, j'entre dans le vif du sujet. Comme vous le soulignez, monsieur le président, on pourrait croire, à première vue, que la formation professionnelle n'est pas un domaine dans lequel les sectes vont se manifester de façon évidente. Pourtant, si l'on réfléchit rapidement à la question et, notamment, si l'on tient compte des mannes financières que la formation professionnelle représente depuis les lois de 1971 et de 2004, il est évident que des organisations attirées par le gain, telles que les organisations sectaires, ne pouvaient longtemps ignorer ce champ. Les sectes ont même très rapidement compris qu'elles pouvaient l'investir. En effet, la demande de formation professionnelle, telle qu'elle a été définie par l'ensemble des différents niveaux européens et nationaux au cours des dernières années, a placé l'activité dans un certain nombre de domaines qui n'étaient pas les siens par le passé. Pendant très longtemps, la formation professionnelle a concerné essentiellement le domaine technique. Par exemple, une entreprise qui fabriquait des machines-outils avait une activité de formation dans le domaine de la mécanique et une entreprise de transport dans le domaine de la mécanique, de l'automobile ou de la logistique. Or, avec l'évolution de l'emploi et, en particulier, avec la difficulté rencontrée par les salariés pour conserver leur emploi, cette formation a évolué vers d'autres domaines. Nous pouvons citer celui du développement personnel, celui de l'accomplissement de la personne et celui, porteur de risque, de l'adéquation des personnes à l'évolution de leur emploi. Les entreprises ont donc fait appel à des formateurs d'un nouveau type qui appliquaient des techniques se rattachant à la psychologie, à la psychanalyse, à certaines formes de philosophie ou d'ésotérisme et à des méthodes de soins parallèles. La porte était alors ouverte pour que certains acteurs moins sérieux s'y engouffrent. Un certain nombre d'éléments sont ainsi sortis à la lumière et ont été portés à la connaissance des chambres consulaires, des collectivités territoriales, de l'État et du ministère du travail et de la formation professionnelle. C'est par ce biais que ces cas ont été remontés à la MIVILUDES. Certains exemples sont tellement parlants qu'ils n'appellent pas de discussion. D'autres, en revanche, nécessitent une analyse nettement plus fine.

Comment ces différents éléments se manifestent-ils aujourd'hui ? Une entreprise qui a besoin d'une formation professionnelle établit un cahier des charges auquel des professionnels vont répondre. Prenons l'exemple d'une grande société très connue, éventuellement une multinationale, qui souhaite organiser une formation de développement personnel pour certains de ses collaborateurs. Un prestataire effectue une proposition à un prix très bas et fournit une prestation de qualité qui ne soulève aucune difficulté. Il peut, alors, indiquer ces références sur sa carte de visite et utiliser ce support pour entrer dans de plus petites structures qui, elles, n'ont aucun moyen de contrôle ou de vérification. L'entreprise peut alors s'en donner à coeur joie. Le prestataire va pouvoir s'en donner à coeur joie, en proposant aux salariés de l'entreprise des formations sujettes à caution, telle l'accompagnement de week-end en leur expliquant qu'elle a décelé, en eux, un certain nombre de capacités importantes et intéressantes et qu'elle estime qu'ils ne sont pas à leur place dans l'entreprise et qu'ils pourraient faire beaucoup mieux en devenant, eux-mêmes, des formateurs. Pour cela, elle entraîne les personnes concernées vers une formation ayant lieu les soirs et les week-ends. Les méthodes utilisées dans ce cadre sont classiques. Je pense, notamment, à la méthode de l'analyse transactionnelle qui consiste à faire table rase du passé et à renaître à autre chose. La personne dépense beaucoup d'argent, à titre personnel, pour ces programmes qui, très souvent, ne débouchent sur rien. En revanche, elle perd son emploi, détruit sa famille et met en péril tout son avenir.

Elle est tombée dans ce que nous pouvons réellement appeler le mécanisme de la dérive sectaire, au travers de l'emprise mentale, d'exigences financières exorbitantes, d'un éloignement du milieu familial et professionnel, voire de violences. En effet, certaines des séances qui ont lieu en dehors de l'entreprise comportent des sessions que les participants peuvent vivre de façon très difficile. Par exemple, certains se remettent difficilement de séances collectives où tous les participants sont nus afin de les placer sur un plan d'égalité. Ce cas n'est pas un cas d'école. Je peux citer un dossier précis qui demande de la discrétion puisqu'une instruction judiciaire est en cours. La responsable des ressources humaines d'un grand groupe pharmaceutique a réussi à convaincre une vingtaine de ses collègues de la suivre, en dehors des stages de formation interne à l'entreprise, auprès d'un pseudo-thérapeute qui est un ancien sous-officier de l'armée de l'air. Ces stages de bien-être et d'accomplissement personnel se déroulent de la manière suivante. On commence par une journée de jeûne. Puis on effectue une marche nocturne avec un sac à dos lourdement chargé, avant de se réunir dans une petite cahute où l'on fait un feu et où l'on procède à une séance de sudation. Tous les participants sont, bien entendu, dévêtus et se trouvent dans un état avancé de faiblesse physique. Un formateur, qui n'est pas thérapeute, se présente alors pour délivrer un enseignement ésotérique ou philosophique. Les personnes sont dans un tel état de délabrement mental qu'elles sont prêtes à accepter n'importe quoi. Puis à leur retour, leur entourage note des changements de comportements, des modifications d'habitudes alimentaires ou vestimentaires ou un rejet de la cellule familiale. Les collègues constatent également des changements profonds au travail avec, par exemple, l'adoption d'un langage très agressif ou très compliqué. Ces personnes sont donc très rapidement irrécupérables et quittent l'entreprise en espérant devenir, elles-mêmes, formateurs.

Certains le deviennent mais, évidemment, la durée de la formation reçue est extrêmement courte. Leurs capacités à pratiquer un métier de formateur ou de thérapeute sont donc contestables et ils feront encore pire que leurs prédécesseurs. Cependant, ils devront quand même produire à la chaîne puisqu'ils devront payer leur propre formation auprès du thérapeute qui, lui-même, vend des méthodes de formation en franchise et doit, à ce titre, verser des royalties. Pour pouvoir faire face à leurs échéances, les différents intervenants devront donc accroître fortement leur clientèle. C'est bien le phénomène de boule de neige auquel nous assistons aujourd'hui et, sans vouloir dramatiser la situation, celui-ci reflète bien la réalité. Ainsi, les renseignements généraux estiment que nous sommes passés d'environ 80 méthodes à environ 200 méthodes au cours des quinze dernières années.

A ce titre, il faut savoir qu'aucune zone du territoire n'est épargnée. Dans chaque chef-lieu de canton, il existe au moins un thérapeute fantaisiste qui peut proposer un programme de formation professionnelle. Si, dans certains cas, il ne propose que des soins, la manne financière constituée par la formation professionnelle est telle qu'il pourra être tenté, à un moment ou à un autre, d'entrer dans le système et de proposer ses services. Dans ce cadre, il faut également noter que, pour pouvoir exercer une activité dans le domaine de la formation professionnelle, il n'existe aujourd'hui qu'une obligation de déclaration. Or, certains intervenants malhonnêtes présentent ce dispositif comme un régime d'homologation. Ils prétendent donc être homologués par le ministère de la formation professionnelle, alors qu'ils n'ont effectué qu'une simple déclaration, à l'instar de n'importe quel citoyen qui déclarerait en préfecture une association de loi 1901.

Par ailleurs, quelle est réellement l'ampleur du phénomène ? Il ne faut pas dramatiser la situation. J'ai dressé un tableau assez noir des exemples que nous connaissons, mais les signalements qui nous remontent ne se comptent pas par milliers ou par centaines, mais par dizaines. Je vous ai cité des entreprises qui ont servi d'alibi. Certaines grandes entreprises se sont également fait piéger. Il me revient en mémoire l'expérience fâcheuse de l'une d'entre elles dont la MIVILUDES a eu à connaître. L'événement auquel je pense a d'ailleurs fait grand bruit car les salariés qui se sont plaints n'ont pas reçu l'écoute dont ils auraient dû bénéficier de la part de la direction des ressources humaines. Par conséquent, un conflit a éclaté entre la direction et les syndicats et a dû être tranché à un niveau plus élevé.

Il faut également noter que, au-delà des « dérapeuthes » ou pseudo-thérapeutes, de grandes organisations s'implantent dans le secteur. Elles ne le font pas directement par le biais de personnes reconnues comme adeptes ou membres de la structure. Elles utilisent des entreprises, au statut parfaitement légal, qui sont entièrement possédées par des adeptes et qui, par conséquent, leur reversent une bonne partie des revenus engrangés. Dans ce cadre, des méthodes, très souvent d'origine américaine, seront mises en oeuvre. Dans tous les cas, les sessions qui sont très chères et peuvent se prolonger en dehors de l'entreprise donneront lieu à un versement d'argent aux grandes organisations sectaires. Celles-ci voient donc dans ce dispositif un moyen pratique de récupérer des fonds qui leur permettront de financer leurs actions plus classiques de prosélytisme. Ces mécanismes sont complexes. Nous ne les maîtrisons pas encore complètement mais nous les étudions. Nous venons d'adresser un peu plus d'un millier de courriers aux chambres consulaires et à différents organismes consulaires pour savoir si ceux-ci avaient eu connaissance de problèmes de cette nature ou s'ils percevaient des risques en la matière. Nous en saurons donc beaucoup plus dans six à huit mois.

C'est donc à partir du moment où nous avons basculé d'une formation professionnelle technique, axée sur le coeur de métier, vers une formation professionnelle continue de développement personnel que nous avons ouvert la porte à un certain nombre de dérives. En effet, ces domaines sont techniquement moins faciles à maîtriser par les personnels de l'entreprise. Ceux-ci sont donc obligés de sous-traiter et ne peuvent pas toujours mesurer la portée, l'ampleur et les risques de ces programmes. A partir de cet instant, nous avons également ouvert la porte à des acteurs moins sérieux qui étaient susceptibles de proposer des prestations dans des domaines où l'obligation de résultats est difficilement mesurable et où il n'existe qu'une obligation de moyens. Il est donc difficile de porter un jugement de valeur ou une appréciation sur le contenu même des sessions.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci beaucoup, monsieur Roulet. Que pouvons-nous faire pour tenter de réduire ce phénomène ? Nous devons, sans doute, effectuer des mises en garde sur ces nouveaux programmes ou sur le spectre beaucoup plus large de la formation. Mais ce sont des sujets réellement sensibles. Nous venons d'étudier un texte incluant la question de la réforme des psychothérapeutes et nous avons pu constater la levée de boucliers que ce dossier soulevait. Le Sénat s'est toujours penché sur la question des dérives sectaires. Au niveau de la formation pour adultes, que pouvons-nous faire ? Faut-il modifier le cadre législatif ? Vous avez bien précisé que le phénomène n'avait pas atteint tous les domaines, mais il concerne quand même des milliers de personnes. En conséquence, il nous interpelle.

M. Jean-Michel Roulet - Après avoir pris conscience du phénomène, nous avons commencé par mener des actions de sensibilisation. Nous organisons un certain nombre de réunions et de conférences destinées aux chefs d'entreprise et aux responsables des ressources humaines et faisons en sorte que ces discussions soient relayées pour que chacun prenne conscience du phénomène. L'information constitue une des missions fondamentales de la MIVILUDES et nous avons rempli cette mission. Par ailleurs, nous nous sommes rapprochés du ministère et de la délégation en charge de la formation professionnelle. Celle-ci travaille actuellement sur la mise en place de moyens de contrôle nettement plus performants que ceux qui existent aujourd'hui. Elle réfléchit aussi à un dispositif qui ne serait plus uniquement déclaratif, mais qui permettrait de réaliser un contrôle réel sur les compétences et les qualités professionnelles des organismes prétendant délivrer de la formation professionnelle. Enfin, nous avons informé certaines grandes entreprises, mais également des entreprises de moindre importance, de l'intérêt qu'elles avaient à nous consulter en cas de doute. Nous leur avons transmis un certain nombre de petites recettes, notamment pour rédiger un cahier des charges, pour décrypter l'offre proposée et, éventuellement, pour déceler certains risques. Par exemple, plus les organismes s'appuient derrière des mots savants ou des références internationales époustouflantes, plus il faut se méfier. Vous savez également que vous pouvez acheter, aujourd'hui, sur internet tous les diplômes que vous souhaitez et ces intervenants n'hésitent pas à le faire. De la même manière, ils participent à un stage de deux jours chez un gourou américain, anglais ou allemand, puis prétendent qu'ils sont diplômés de ces écoles. On crée actuellement des praticiens en analyse et reprogrammation génético-cellulaire. Ceux-ci, après avoir développé certaines de leurs qualités, arriveraient à guérir de nombreuses affections ou à conférer certaines capacités par les mains. Je ne cite pas cet exemple au hasard. C'est celui d'un professeur, mal dans sa peau, à qui le médecin du rectorat a proposé une formation professionnelle qui devait lui permettre une reconversion vers cette fonction de praticien.

Par ailleurs, il est un peu tôt pour envisager un dispositif législatif complémentaire. Nous devons procéder à de plus amples analyses auparavant. Cependant, il me semble que l'actuel dispositif peut être complété par un dispositif réglementaire. Le ministère s'attache à cette tâche et nous serons en mesure, sous six mois, de lui transmettre une vision précise du phénomène lui permettant de déceler les points qui demandent un travail complémentaire.

M. Jean-Claude Carle, président - Des plaintes ont-elles été déposées et des condamnations prononcées ?

M. Jean-Michel Roulet - Des plaintes ont été déposées et je crois qu'une seule condamnation a été prononcée. Les dérives sectaires sont sanctionnées en application de la loi About-Picard qui condamne l'abus frauduleux de faiblesse. Cependant, la plupart des infractions est sanctionnée, aujourd'hui, par le droit commun. Lorsqu'il s'agit de dérives sectaires concernant les personnes et les familles, nous allons, par exemple, invoquer les violences, l'abus de confiance, l'escroquerie ou l'exercice illégal de la médecine. Lorsque le phénomène survient en entreprise, nous arrivons également à prononcer des sanctions en application du droit du travail ou de certaines règles prévues dans le code des impôts.

Mme Isabelle Debré - Les personnes qui viennent se plaindre se présentent, en général, à l'association de défense des familles et des individus. Quel autre organisme peuvent-elles également contacter ?

M. Jean-Michel Roulet - Il existe deux grandes associations en France. L'UNADFI - Union nationale des associations de défense des familles et des individus - dispose d'une antenne dans pratiquement tous les départements, ce qui représente au total une quarantaine d'antennes. Le CCMM - Centre contre les manipulations mentales Roger Ikor - existe également, au moins, dans chaque région. De plus, un correspondant « secte » travaille dans chaque préfecture. Il peut être contacté par l'intermédiaire de la préfecture ou du conseil général. En effet, le préfet doit réunir, chaque année, la cellule départementale de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, cellule à laquelle le conseil général, le maire du chef-lieu et les associations sont systématiquement invités à participer. Évidemment, les plaignants peuvent également contacter la MIVILUDES en direct. Dans le cas de la formation professionnelle, le directeur des ressources humaines et les représentants syndicaux sont des interlocuteurs possibles au sein de l'entreprise. J'insiste sur le fait qu'aucun problème n'est relevé, entre les syndicats et les directions, en matière d'approche et de lutte du phénomène sectaire. Ces cas sont effectivement très graves pour les structures. Je ne peux pas être trop précis sur le sujet car les cas sur lesquels nous avons quelques connaissances sont en cours d'examen et n'ont pas encore été transmis à la justice. Cependant, il existe un certain nombre d'entreprises sensibles dans lesquelles des intérêts internationaux peuvent avoir tout avantage à s'infiltrer. La dérive sectaire et l'emprise qui en découle constituent une manière d'entrer dans la structure et d'en prendre possession. Ainsi, j'ai l'exemple d'une entreprise française de plusieurs milliers de salariés dont l'épouse du chef d'entreprise est tombée sous la coupe d'un gourou. Celui-ci agit actuellement de sorte que cette femme, mariée sous le régime de la communauté de biens, divorce afin de récupérer la moitié des biens de l'entreprise. Ce sont donc des affaires très graves pour le tissu économique national. De manière générale, nous essayons de ne pas être paranoïaques et de ne pas voir des gourous partout. Mais, nous faisons face à de réels manipulateurs qui ont toujours une guerre d'avance sur nous. C'est pourquoi nous ne devons pas baisser la garde.

A la demande de Jean-Michel Roulet et du président de la mission commune d'information, d'autres exemples cités n'ont pas été intégrés au compte rendu.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous devons donc être un peu plus vigilants au niveau des agréments ou de la définition du métier de thérapeute, même si cela en fait crier certains.

M. Jean-Michel Roulet - Absolument, monsieur le président.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Depuis la création de la mission, avez-vous préconisé des mesures qui ont déjà été mises en oeuvre au niveau institutionnel ? Par exemple, de la même manière que nous avons créé les brigades et les sections financières dans la gendarmerie et la police, il va certainement falloir former des professionnels et les sensibiliser à cette réalité. Par ailleurs, j'ai entendu, à plusieurs reprises, le président de la médecine du travail qui a publié un livre sur le stress des cadres et devrait en publier un autre sur la manipulation mentale dans l'entreprise. Outre les dérives sectaires provenant de l'extérieur, on peut également faire face, compte tenu des exigences de rentabilité et d'efficacité dans le travail, à des dérives internes aux entreprises. Dans ce cadre, je ne veux évidemment pas porter des accusations systématiques à l'encontre des chefs d'entreprises ou des responsables du personnel. Pouvez-vous réagir sur ces différents points ?

M. Jean-Michel Roulet - Nous n'avons fait aucune préconisation dans le domaine de la formation professionnelle car nous le maîtrisons insuffisamment. Nous en avons exprimé dans le domaine de la protection des enfants et ces préconisations ont été largement reprises par la commission d'enquête parlementaire, présidée par Georges Fenech, qui a travaillé sur le dossier. Nous avons également collaboré, dans le domaine de la santé, avec Bernard Accoyer pour réaliser un travail sur des amendements que vous avez revus récemment, mais que le Conseil constitutionnel a censurés. Enfin, nous avons entamé des travaux dans le domaine de l'intelligence économique, volet pour lequel les organisations sectaires sont susceptibles d'entrer dans des secteurs qui touchent les intérêts fondamentaux de la nation. Des institutions, comme le SGDN, avec Alain Juillet, ou la DGSE, peuvent nous relayer sur ce point.

Dans le domaine de la formation professionnelle, nous sommes donc en phase de débroussaillage et les pistes à mettre en oeuvre sont étudiées par le ministère lui-même. De notre côté, comme je vous l'ai indiqué précédemment, nous avons mené des opérations de sensibilisation et d'information et travaillons actuellement sur le questionnaire. Pour celui-ci, nous commençons à recevoir les premières réponses. Nous en avons d'ailleurs obtenu une plutôt amusante. Le président de la chambre des métiers de Mulhouse nous a demandé combien coûtait le questionnaire et s'est interrogé sur son rapport coût-efficacité. Mais les autres réponses sont très intéressées. Elles proviennent d'acteurs qui déclarent ne pas avoir mesuré le phénomène ou indiquent avoir découvert certaines choses. Pour l'instant, nous n'en sommes donc pas au stade des préconisations, mais nous travaillons sérieusement sur le sujet.

Concernant votre deuxième question, il faut noter que la manipulation mentale est à la base de la dérive sectaire. C'est même le premier critère qui caractérise celle-ci. Il s'agit d'une emprise exercée sur quelqu'un pour lui faire croire qu'il agit de sa propre volonté alors qu'il n'est plus, en fait, que le reflet de la volonté de son gourou. A défaut de ce signe, nous pouvons trouver d'autres critères comme l'exigence financière, l'éloignement du milieu familial, le refus de soins, les violences ou le trouble à l'ordre public, mais nous nous situerons, alors, dans le domaine du droit commun. Le harcèlement que vous évoquez constitue bien une forme de violence et de manipulation mentale. En effet, il est très difficile de trouver la frontière entre le coaching normal ou team building et la véritable emprise. Ce sujet risque, d'ailleurs, d'être porté à l'actualité puisque les grands journaux télévisés ont évoqué récemment une série de suicides en entreprise. Si l'actualité prochaine n'est pas très riche, on risque donc de revenir plus amplement sur la question.

De toute façon, il est vrai que l'entreprise subit aujourd'hui un stress important. Il est difficile d'être entrepreneur, de produire et de vendre. Par conséquent, puisqu'il faut s'adapter à un marché très mouvant, les personnels doivent également évoluer. C'est pourquoi on demande souvent une formation professionnelle qui permet cette adaptation et cette performance. Il faut être extrêmement prudent sur ces sujets car on aborde des domaines qui ne touchent plus à la formation professionnelle ou au travail, mais à la dignité et à l'essence des personnes. Si ces missions sont confiées à des apprentis sorciers ou à des amateurs, les choses peuvent se terminer très mal. Cela étant dit, lorsqu'on considère les critères de base, on ne peut ignorer qu'un certain nombre d'organismes fonctionnent parfois de la même manière.

En conclusion, si la lutte contre les dérives sectaires constitue un devoir de l'État pour lequel celui-ci doit être soutenu par le pouvoir législatif et secondé par l'autorité judiciaire, nous ne pouvons pas opter pour un remède qui serait pire que le mal en portant nous-mêmes atteinte aux libertés fondamentales de nos concitoyens. Notre action ne se justifie que par l'existence de victimes, par la nécessité de leur porter secours et de faire cesser toutes les atteintes à la dignité des personnes. La manipulation mentale constitue une atteinte fondamentale à cette dignité et c'est uniquement cela qui justifie l'action de l'État dans ce domaine.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je ne vous ai pas posé la question, mais je pense que la réponse est évidente. J'imagine qu'il n'existe pas, à l'heure actuelle, d'évaluation financière du coût que cette dérive représente.

M. Jean-Michel Roulet - Le montant de la formation professionnelle se situe, à l'heure actuelle, entre 22 et 23 milliards d'euros. Il n'est pas excessif d'évoquer une dérive de l'ordre de 10 %. En effet, lorsque nous avons enregistré cet important appel d'air dans le secteur, les organismes susceptibles de répondre n'existaient pas. Par conséquent, de nombreux acteurs se sont engouffrés dans l'offre nouvelle sans avoir la formation nécessaire. Très vite, ils ont suppléé leur incompétence professionnelle par des méthodes qu'ils maîtrisaient mal et qui débouchent fatalement sur une dérive sectaire. La manipulation mentale repose sur un triptyque : la séduction, la destruction et la reconstruction. Dans un premier temps, l'intervenant séduit par l'appel d'offre ou en étant très gentil avec les participants à la formation. Mais, s'il veut que ceux-ci le suivent aveuglément, il doit pouvoir les reconstruire, c'est-à-dire les formater pour qu'ils soient prêts à accueillir ce qu'il souhaite leur donner. C'est pourquoi les organismes de formation professionnelle douteux utilisent très souvent des méthodes nées de l'analyse transactionnelle qui, en elle-même, n'est pas contestable. Il s'agit du rebirth ou renaissance, une pratique visant à faire renaître des hommes neufs qui en seront des adeptes. Étant donné que l'homme neuf renaît en faisant table rase du passé, il n'a plus de référence dans sa famille personnelle, dans celle qu'il s'est constituée par le mariage ou dans l'entreprise. Sa seule référence sera donc la doctrine du gourou qu'il aura besoin de revoir, en dehors du contexte professionnel, pour pouvoir se bâtir de nouveaux points de repère. Après cette reconstruction, l'homme ne sera plus libre. Il sera un adepte au secours duquel nous devons aller.

Mme Annie David - Vous indiquez que, dans les quelques cas qui sont allés plus loin que la seule plainte, les sectes ne sont jamais directement mises en cause. Ce sont surtout les individus de la structure de formation qui sont visés. Pourtant, aujourd'hui, nous connaissons relativement bien ces organisations sectaires. Sommes-nous encore mal armés pour lutter contre elles ? Si nous disposons de certaines informations à leur propos, ne pouvons-nous pas les répertorier et faire en sorte qu'elles ne puissent pas tout faire et, notamment, créer des organismes de formation ? Vous avez également signalé la mise en place d'un dispositif de contrôle. Je suppose que cette évolution demandera du temps et des moyens humains. Ce sujet soulève donc des interrogations.

M. Jean-Michel Roulet - Votre première question est extrêmement importante et appelle une réponse que je n'ai pas donnée dans mon introduction, par souci de concision. L'État a réellement pris conscience du phénomène sectaire dans notre pays, en 1995, avec le drame du Temple de l'ordre solaire. A cette époque, plusieurs phénomènes sont survenus de façon concomitante. Outre l'affaire précédemment citée, une commission d'enquête parlementaire a été mise en place, une liste de 173 organisations sectaires a été établie et Alain Juppé a créé l'Observatoire interministériel des sectes. Celui-ci a été transformé, en 1998, par Lionel Jospin en mission interministérielle de lutte contre les sectes, elle-même transformée en MIVILUDES par Jean-Pierre Raffarin.

En 1995, les sectes étaient des entités assez structurées. Elles reposaient sur une doctrine fondatrice, un gourou, souvent habillé d'une belle robe ou d'un chapeau pointu, et des adeptes qui portaient également des uniformes ou des signes de reconnaissance. Une fois que ces structures se sont vues cataloguées, elles ont décidé de se noyer dans le paysage. C'est d'ailleurs, actuellement, un argument qu'elles utilisent. Elles appartiennent, désormais, au paysage et ne seraient plus dangereuses de ce fait. A la place de cette centaine de grandes organisations facilement identifiables, nous faisons face, aujourd'hui, à une multitude de microstructures. Il ne s'agit donc plus vraiment de sectes, avec un gourou et des adeptes, mais d'individus qui adaptent et mettent en oeuvre des doctrines et des techniques sectaires. Il est donc très difficile de suivre le paysage sectaire de notre pays.

Par exemple, je me suis rendu récemment à Limoges qui est une ville assez calme. Un groupe de thérapeutes y pratique la cristallothérapie. Pour vous protéger des maladies ou vous guérir du cancer, cette doctrine vous recommande de placer des petits cristaux de quartz autour de vous et de vous enfermer dans un cylindre d'or. La main de Dieu sera posée sur le cylindre et vous protégera. Par conséquent, celui-ci vous débarrassera de tous vos implants et vous guérirez. On trouve également, dans la ville, les Pèlerins d'Arès. Ceux-ci suivent un ancien pope qui était le Commandeur, pour l'Occident, de l'Église Orthodoxe de Moscou du Congrès de 1923. J'ai reçu cette personne qui déclare avoir eu trente-neuf apparitions du Christ entre janvier 1974 et mars 1974. Je lui ai donc demandé de me parler un peu de sa situation. Il m'a alors expliqué que, à l'instar de Moïse, Abraham ou Mahomet, la vie n'était pas facile pour lui. Il a également déclaré avoir été surpris quand Jésus lui était apparu sur le chantier d'Arès, car celui-ci serait gros, petit et très brun. Ce monsieur, très sérieux, qui prétend donc que Jésus lui est apparu trente-neuf fois et lui a dicté l'évangile d'Arès, a actuellement 3 000 adeptes. Cet homme semble honnête et vit très modestement. On ne peut toutefois pas garantir que ses successeurs auront les mêmes scrupules.

Il ne s'agit là que d'un exemple qui démontre que le paysage est très diffus et a profondément évolué. Le gourou est désormais habillé en costume trois pièces, avec une chemise Oxford et des lunettes cerclées ou encore en blouse blanche. Il abandonne progressivement le langage ésotérique pour le langage scientifique et, de cette manière, inspire confiance. Par exemple, on essaie de nous faire croire, aujourd'hui, que la médecine n'est qu'une médecine parmi d'autres et qu'il existe aussi des médecines modernes ou médecines douces. De notre côté, nous travaillons pour que ces pratiques soient dénommées « thérapies » et que le terme « médecine » ne soit pas galvaudé. D'ailleurs, un phénomène très grave se développe actuellement. Avec les règles du conventionnement, un certain nombre de médecins se lassent de gagner 21 euros pour une consultation en risquant les foudres de l'Ordre des médecins. Ils décrochent donc leur plaque et se mettent à pratiquer ces médecines allopathiques qui répondent à l'attente des concitoyens et sont bien plus rémunératrices.

A la demande du président de la mission commune d'information, la fin des débats n'est pas consignée au compte rendu.

M. Jean-Claude Carle, Président - Nous vous remercions de votre intervention. Si vous avez des compléments d'information, ils seront les bienvenus.

Audition de M. Jean GAEREMYNCK, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, et Mme Françoise BOUYGARD, déléguée adjointe (21 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous remercions M. Jean Gaeremynck et Mme Françoise Bouygard d'avoir accepté de venir devant notre mission.

M. Jean Gaeremynck - Merci monsieur le président. Je vous propose de vous présenter un certain nombre d'éléments d'information et de réflexion, à partir d'un premier bilan de la réforme de la formation professionnelle. Cette réforme est intervenue à la suite de l'accord national interprofessionnel (ANI) de décembre 2003 et de la loi du 4 mai 2004. Ce bilan avait été demandé par le Premier ministre à la fin de l'année 2005. Nous avions donc conduit cet exercice avec nos équipes, même si le délai d'ancienneté de cette réforme était assez restreint. Il nous a cependant semblé qu'il était déjà possible de porter quelques appréciations sur cette réforme et la manière dont elle a été conduite et mise en oeuvre.

Nous avions commencé par rappeler les enjeux et mis en évidence à ce titre trois points :


• renforcer le rôle de la personne dans la construction de son parcours de professionnalisation et la construction de ses compétences ;


• mettre l'accent sur la notion de professionnalisation, c'est-à-dire sur l'acquisition de compétences et sur le résultat plus que sur l'action de formation dont les individus peuvent bénéficier ;


• donner un rôle important à la branche professionnelle comme le lien le plus pertinent pour définir et mettre en oeuvre des actions de formation professionnelle.

Le premier objectif consiste donc à faire du salarié l'acteur de la « coconstruction » de son parcours de qualification et à renforcer son initiative. Il vise à dépasser ce qui a pu apparaître comme une contradiction avec un système dans lequel l'initiative appartient d'abord à l'employeur, dans une optique de formation commandée par les besoins de l'entreprise. Le salarié doit au contraire entrer en dialogue avec l'employeur. Un certain nombre de constats indiquent que la réforme est inscrite dans les faits et que les entreprises se sont saisies des outils proposés. Ainsi, de nouvelles formes de contrats en alternance se sont développées : en 2005, on en comptait 92 083 et en 2006 environ 117 000, ce qui correspond à une augmentation de 27 %. Le dispositif est donc largement utilisé. Par ailleurs, la période de professionnalisation pour les personnes en situation d'emploi et le droit individuel à la formation (DIF) fait l'objet d'une information soutenue à l'attention des salariés. Nous avons également cherché à développer la validation des acquis de l'expérience (VAE). Les chiffres sont plus difficiles à établir dans ce domaine. En tout cas, ce système a concerné environ 60 000 personnes en 2005 et environ 30 000 en 2004. Nous avions pour cette année un objectif de triplement.

Concernant les conditions d'application de ces outils, et notamment du DIF, le salarié doit prendre plus d'initiative dans la construction de son parcours de formation. Ce système recherche l'équilibre entre le désir du salarié et l'intérêt de l'entreprise. Dans la pratique, il est assez subtil. Il faut éviter que le salarié choisisse lui-même, et seul. Le cadre de formation doit être prédéterminé et il doit s'agir d'un choix concerté. Nous prévoyons un effort d'évaluation plus précise dans les années à venir à ce sujet.

Par ailleurs, la notion de professionnalisation introduit un réel changement de perspective. Dans la formation, le temps d'habileté professionnelle est désormais déterminant, alors qu'auparavant l'enseignement prédominait. La perspective est donc inversée. La démonstration des compétences devient une situation propice en vue d'une qualification. Cette dynamique s'instaure d'ailleurs dans les contrats en alternance.

Cependant, ce dispositif laisse subsister des questions. Ainsi, quel est l'équilibre en termes de parcours et de résultats, entre, d'une part, une qualification reconnue par une certification de type diplôme, titre ou certificat de qualification professionnelle, d'autre part, une qualification reconnue dans le cadre des classifications de convention collective, et du parcours de professionnalisation ? Quel est par ailleurs l'équilibre entre, d'une part, la qualification dans le cadre du métier, qui correspond à l'approche de branche, d'autre part, la qualification acquise dans le cadre d'une fonction ? Cette dernière fait en effet intervenir une notion de transversalité pas toujours bien intégrée dans la construction du système dès lors que le contenu des formations est défini par les branches. Quel est enfin l'équilibre entre, d'une part, le contrat de professionnalisation en alternance et relevant de la formation professionnelle continue, d'autre part, le contrat d'apprentissage, relevant de la formation initiale ?

Voici posés les principaux outils. Nous pouvons maintenant revenir aux questions posées par la réforme. Elles n'ont pas obtenu de réponse définitive puisque les réponses résulteront de l'observation du système. A ce titre, je souhaiterais mentionner trois points.

Nous observons premièrement que la réforme n'a pas été accompagnée de celle des mécanismes financiers. De fait, l'ancien système de mutualisation, résultant de l'histoire, est resté en place. Il n'est pourtant pas nécessairement le plus adapté à la mise en oeuvre de la réforme. Il faut par exemple mentionner le caractère pluriannuel du droit individuel à la formation (DIF), comme réponse à la recherche de transférabilité des droits acquis dans le cadre du DIF, ou encore la nécessité de sécuriser les engagements des entreprises, notamment des PME. Les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) se sont construits dans la relation avec les entreprises et possèdent en plus de leur rôle de collecte une fonction de conseil auprès d'elles. Qu'en est-il de la relation avec les salariés ? Ceux-ci peuvent-ils enrichir leur rôle en ce sens ? Le principe n'est pas encore établi. Aussi, n'existe-t-il pas une forme de discordance entre le cadre juridique traditionnel de fonctionnement des OPCA, très lié au système précédent, et le dispositif nouveau, reposant sur ces accords de branche dans le cadre de la réforme ? La réforme est peut-être de ce point de vue incomplète et pourrait donner lieu à une évolution du dispositif et du cadre juridique des OPCA.

Le deuxième point concerne l'axe du système, c'est-à-dire la branche professionnelle. Je précise que j'insiste dans mon intervention sur les questions problématiques plutôt que sur les avantages. Ceux-ci sont pourtant très puissants, notamment parce qu'ils s'attachent à la notion d'approche de branche. En effet, par définition, ce qui est déterminé dans le cadre de la branche répond aux besoins des entreprises et à ceux de l'économie. Il existe donc de meilleures chances d'adéquation entre ces formations et les besoins des entreprises. Je ne développe cependant pas ce point. Du point de vue des inconvénients, nous constatons une grande diversité, voire un émiettement, des branches qui ont des poids économiques très variés. Cet émiettement ne correspond d'ailleurs pas souvent au périmètre des OPCA puisque de nombreux OPCA regroupent plusieurs branches professionnelles. Ce système n'est pas non plus en harmonie avec l'existence des groupes d'entreprises dont l'activité recoupe plusieurs branches. La place de l'interprofessionnel constitue une autre question.

Il me semble que cette approche privilégiant la logique de branche ne résout pas nécessairement trois types de questions :


• la formation pour les compétences transversales, puisqu'elle est plus adaptée à la formation métier de la branche ;


• l'articulation avec le niveau territorial, point sur lequel je reviendrai ;


• la transférabilité des DIF, dans le cadre de la mobilité interbranches. Cette question concerne les salariés qui ne nécessitent pas nécessairement l'approfondissement de leurs compétences dans le cadre du métier de l'entreprise ou de la branche, mais qui souhaitent changer de métier et de branche dans le cadre de leur parcours professionnel.

Je veux également dire un mot sur la question de la territorialisation qui nous paraît très importante. Le pivot de la réforme est le rôle de la branche. Mais, presque dans le même temps, une autre réforme d'importance était adoptée : la loi sur la responsabilité locale. Celle-ci attribue un rôle central aux régions et aux collectivités territoriales, dans l'accomplissement des politiques de formation professionnelle. Il s'est vraisemblablement produit une juxtaposition de ces deux réformes plutôt qu'une recherche de cohérence entre elles. Cet élément est propice à ouvrir un champ de tensions entre les acteurs publics et les acteurs socioprofessionnels. Notamment, pour de nombreux secteurs professionnels, nous constatons une difficulté, voire une absence de possibilité de dialogue au niveau régional. Ce problème crée des difficultés spécifiques pour la mise en cohérence des compétences de chacun. De ce point de vue, les logiques sont en effet différentes. Nous ne sommes pas démunis d'instances de discussion et de coordination, mais ces logiques sont puissantes et nous ne possédons pas encore les mécanismes susceptibles de les réconcilier.

Voici donc quelques éléments de problématique sur ce premier bilan d'une réforme très importante. Je rappelle que j'ai plus insisté sur les problèmes que sur les avantages, car cette approche me semble plus utile dans une telle réunion. Je vous remercie pour cette introduction, monsieur le président.

Mme Françoise Bouygard - Dans le même esprit, consistant à dire l'état d'avancement et le chemin restant à parcourir, je voudrais compléter ces propos par trois points.

Premièrement, un élément est frappant dans les diagnostics portés sur la formation professionnelle continue en France, dans les travaux d'évaluation et dans les débats politiques : ils se focalisent sur deux points :


• le lien entre la formation professionnelle continue et la compétitivité des entreprises ;


• l'égalité d'accès à la formation professionnelle. Les statistiques sur ce sujet sont d'ailleurs assez nombreuses.

Il me semble que, dans le même temps, l'attention se porte assez peu sur les conditions des réponses concrètes apportées aux besoins des entreprises, comme des individus, en matière d'élévation du niveau de compétence. Cette réflexion renvoie aux propos du délégué général sur l'organisation concrète, sur les territoires, d'une réponse à l'expression de besoins. Elle fait aussi référence au rôle possible évoqué des OPCA et des branches, en matière de conseil des entreprises. La situation actuelle correspond sûrement à une très grande hétérogénéité. De même, cette réflexion renvoie à la fonction d'accueil, d'information et d'orientation des individus, en matière de développement des compétences.

Deuxièmement, notre système est caractérisé par une très forte coupure entre la formation initiale et la formation continue. Cette coupure concerne les acteurs, ainsi que les outils et les dispositifs. Il nous semble que cette coupure fait système d'une certaine manière et de façon négative. Il est clair que pour tout individu, tout ce qui n'est pas acquis en matière de qualification, de diplômes et de compétences dans le cadre de la formation initiale, sera beaucoup plus difficile et beaucoup plus coûteux à obtenir dans le cadre de la formation continue. La formation initiale en France est en effet quasiment gratuite, alors que la formation continue est payante pour l'individu, notamment lorsqu'il est demandeur d'emploi. Je vous renvoie aux enquêtes sur l'emploi de l'INSEE, qui montrent que les demandeurs d'emploi sont les plus grands contributeurs de la prise en charge de leur formation. D'un autre côté, comme en témoignaient les travaux de la commission université-emploi du recteur Hetzel, cette coupure ne nous semble pas propre à amener l'appareil de formation initiale à se positionner par rapport aux besoins en compétences du monde économique. La coupure est donc négative à la fois pour notre appareil de formation et pour les individus.

Le troisième point, qui a été largement signalé par Jean Gaeremynck, concerne la gouvernance d'ensemble. Elle reste un objectif. Nous avons rappelé que la loi du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle, est passée par le Parlement en même temps que la loi sur la responsabilité locale, sans véritable lien entre les deux aspects. Nous avons également indiqué que l'accord des partenaires sociaux de 2003 accordait une place prééminente aux très nombreuses branches, et négligeait l'organisation territoriale. Simultanément, les partenaires sociaux, dans le cadre des conventions d'assurance, mettaient également au point une politique de formation en direction des chômeurs indemnisés par l'assurance chômage, selon ses logiques et ses outils propres. Ceux-ci ne coïncident pas nécessairement avec les outils des conseils régionaux ou avec ceux des mêmes partenaires sociaux dans le cadre stricto sensu de la formation professionnelle continue. Il existe donc une question de gouvernance entre acteurs, conseils régionaux, partenaires sociaux et l'État, pour les compétences résiduelles lui restant. On note également un problème d'articulation entre des politiques ayant chacune ses propres logiques : les politiques de développement économique, du ressort des conseils régionaux, les politiques de formation professionnelle, relevant aussi des conseils régionaux, mais aussi des partenaires sociaux et des entreprises (l'articulation entre ces deux derniers acteurs constituant un autre sujet), et les politiques d'emploi et de lutte contre le chômage, de la responsabilité de l'État. Il reste un long chemin à parcourir sur ces sujets.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie. M. Gaeremynck, vous avez affirmé que l'un des objectifs de la réforme de 2004 est d'inverser le système antérieur basé sur l'offre de formation. Vous nous avez également indiqué que le rôle de la branche, pivot de la réforme, s'articule mal avec celui de la région. Comment sortir de ce « conflits » ou tout au moins de ces divergences ? Le PRDF (plan régional de développement des formations) ne peut-il pas être le lieu propice à résoudre ces questions ? Ma seconde question est plus générale : la volonté du législateur consistait à veiller à ce que la formation professionnelle bénéficie à ceux qui en ont le plus besoin. Cet objectif est-il atteint, ou reste-t-il des améliorations à effectuer ?

Ma troisième question concerne le DIF. Un rapport publié il y a quelques mois est assez sévère à son sujet, et un certain nombre de partenaires que nous avons rencontrés partagent cette vision. Les avis sont toutefois variés. Il faut laisser au DIF le temps de se mettre en place et porter un jugement sur un processus qui vient d'être initié me paraît un peu caricatural. Cependant, nous pouvons nous demander si le DIF est réellement un dispositif efficace. Vous avez évoqué sa transférabilité : est-elle envisageable, sachant qu'elle présente également des inconvénients ? Le « compteur » plein d'un salarié peut être dissuasif en cas d'embauche par une nouvelle entreprise. Aussi, la mutualisation du DIF ne pourrait-elle pas être une solution envisageable, notamment grâce au FUP (fonds unique de péréquation) ?

M. Jean Gaeremynck - Vos questions ne sont pas simples. J'apporterai quelques éléments de réponse pour la première, notamment concernant la réconciliation des approches de branche et socioprofessionnelle, et concernant le rôle des régimes des collectivités territoriales. Vous avez particulièrement mentionné le rôle éventuel du PRDF. Nos réflexions nous conduisent à penser que l'enjeu territorial, et notamment régional, au sens géographique, est essentiel dans la pertinence, l'efficacité et la réponse des politiques d'emploi et de formation professionnelle par rapport à leurs objectifs. Il pourrait nous amener à dépasser la notion de compétence, traditionnelle dans notre pays de juristes. Le législateur a reconnu en 2004 des compétences aux régions, pour l'insertion professionnelle des jeunes et la formation des demandeurs d'emploi. Ces compétences, au coeur de la loi, ne sont cependant pas exclusives.

Françoise Bouygard a rappelé que le système d'assurance chômage consiste à fournir des outils et des possibilités. Nous pensons que si nous réfléchissons à une entrée territoriale permettant de dépasser des logiques verticales, il faudra mettre en place des systèmes d'organisation, qui fassent prévaloir l'organisation sur les compétences. Les comités de coordination régionaux de l'emploi et de la formation professionnelle (COCOREF) constituent une première amorce des instances de coordination. Nos collègues des directions régionales participent à ces instances, notamment les commissions. Leur appréciation révèle une très grande diversité de situations. Dans certains cas, la coordination est parfaitement réussie, dans d'autres non. Il faut sans doute rechercher le dépassement de la notion de compétence dans ces modes de collaboration des acteurs. Sinon, il ne se produira aucune évolution.

Mme Françoise Bouygard - Nos réflexions nous conduisent à penser qu'il ne faut pas réfléchir globalement selon la logique branche/territoire. En effet, nous constatons que certaines branches possèdent les moyens d'une véritable politique de formation et d'une prospective sur ces questions, notamment grâce à des observatoires prospectifs des métiers et des qualifications efficaces. Mais parmi les 320 branches existant en France, et ce chiffre donne un premier indice, d'autres ne peuvent pas se permettre une telle politique. Il ne faut donc pas élaborer une réflexion globalisant toutes les branches, mais penser que certaines peuvent mener des politiques réelles de branches et de secteurs d'activités, et les décliner sur les territoires, tandis que pour d'autres secteurs, il faut systématiquement viser l'entrée territoriale.

A ce propos, je signale que les branches et les conseils régionaux entretiennent des relations qui se formalisent notamment au travers de contrats d'objectifs territoriaux. Certains dispositifs sont donc présents, mais ils ne sont sans doute pas assez structurants pour répondre aux besoins des entreprises et des individus. De plus, la formation est traitée comme un sujet bien connu. Pourtant, depuis deux décennies, le contenu de « l'action de formation » a beaucoup évolué. Je souhaiterais d'ailleurs établir un lien avec une notion largement évoquée aujourd'hui : la sécurisation des trajectoires professionnelles. Si nous insistons tant sur l'organisation territoriale de la réponse aux besoins de formation, c'est qu'il nous semble que cette réponse s'inscrit dans un cadre de réflexion plus large. Celui-ci consiste à se demander comment éviter des périodes de chômage trop importantes, des pénuries de main-d'oeuvre sur certains territoires ou la récurrence du chômage. Ces sujets de préoccupation sont partagés par plusieurs acteurs : les pouvoirs publics, l'État, le conseil régional, le conseil général (pour les allocataires des minima sociaux), les partenaires sociaux et les entreprises. C'est parce que ces acteurs sont ancrés dans les territoires que nous insistons sur cette dimension. S'agissant des branches, il faut garder un esprit critique et regarder au cas par cas.

Par ailleurs, votre question sur la réponse aux besoins des personnes les moins qualifiées est très difficile. Elle est en effet posée depuis très longtemps, et pourtant le constat est toujours le même, après chaque nouvelle réforme : les personnes les plus diplômées et qualifiées accèdent davantage à la formation, pour plusieurs raisons. Elles possèdent d'abord l'habitude de se former et sont donc facilement en situation de demande. De plus, elles détiennent des postes de travail qui requièrent peut-être d'être plus souvent formés. Ce processus cumulatif explique que les personnes arrivant sur le marché du travail avec peu de diplômes sont les moindres bénéficiaires de l'accès à la formation. Il nous faut certainement réfléchir à une façon très différente de concevoir le « produit formation ».

Concernant votre troisième question, portant sur la transférabilité du DIF, je signale que sur les 175 accords de branche que nous avons analysés, un tiers la prévoit. Elle semble donc possible, puisque les partenaires sociaux eux-mêmes l'envisagent, selon plusieurs cas de figure : soit à l'intérieur de la branche, soit à l'intérieur des branches adhérant au même OPCA, soit à l'intérieur d'un groupe. Il s'agit d'une négociation entre partenaires sociaux, comme le prévoyait l'accord de 2003. Elle ne remet pas en cause les fondements mêmes du DIF, qui ont été rappelés par Jean Gaeremynck, soit l'accord entre un salarié et son employeur sur le contenu d'une formation. En effet, cet accord est recherché chez le nouvel employeur, auprès duquel l'individu se présente avec ses droits acquis dans d'autres entreprises. Ce point pose la question de l'ingénierie, que vous avez soulevée, monsieur le président, et également des conditions de la mutualisation et de l'utilisation des fonds mutualisés, pour financer ce droit transférable. Un fonds de péréquation pourrait parfaitement servir à ce financement. Je voulais insister sur le fait que cette disposition est d'autant plus réalisable qu'elle est déjà prévue dans un tiers des accords.

M. Jean Gaeremynck - Je voudrais donner quelques éléments complémentaires sur la deuxième question concernant les personnes nécessitant des formations. Il me semble qu'il existe un besoin aujourd'hui mal satisfait pas le système : la mobilité professionnelle. Lorsqu'il s'agit, pour une personne, salariée ou demandeur d'emploi, de changer de métier, de secteur ou de branche, le système rencontre ses limites. L'entreprise, elle, fournit un cadre d'approfondissement, d'évolution et d'acquisition de compétences, selon cette logique de métier ou de branche. Hors de ce cadre de l'entreprise, le système est plus fragile. Pour les demandeurs d'emploi, la région est dotée de compétences, au sens juridique du terme. Le système d'assurance chômage offre aussi des possibilités. Mais ce système fonctionne mal. Parmi les individus mal pris en charge par le système, se trouvent bien sûr les demandeurs d'emploi. Nous pensons que leur formation constitue un sujet méritant une attention très particulière.

D'ailleurs, nous sommes en relation de travail permanente avec l'UNEDIC. Dans le cadre d'une de nos réunions, nous partagions le fait, inexpliqué par l'UNEDIC, qu'en 2006, les formations homologuées financées par le système de l'assurance chômage ont diminué de 10 % par rapport à l'année précédente, c'est-à-dire dans des proportions non négligeables. Nous avons interrogé le directeur général de l'UNEDIC, mais il n'en connaissait pas les raisons. L'analyse reste à conduire. Nos collègues directeurs régionaux qui, dans le cadre de ce que nous appelons « le service public de l'emploi régional » associent systématiquement les ASSEDIC (qui sont d'ailleurs un lieu de coordination assez efficace), nous indiquent que les enveloppes attribuées aux ASSEDIC par l'UNEDIC ne sont pas dépensées, ou le sont mal. Quelle en est la raison, alors que les besoins sont a priori considérables ?

Il existe d'ailleurs une forme de contradiction au sein des ASSEDIC. En effet, leur système d'indemnisation, qui est fondamentalement un système d'assurance, incite à la sortie de ce système et au retour à l'emploi le plus rapidement possible. Mais ce fonctionnement n'est pas toujours cohérent avec une demande de reconversion et de formation qualifiante, liée à la nécessité d'un métier. En effet, sur certains territoires, il est indispensable de changer de métier pour continuer son parcours professionnel. Le système présente donc des insuffisances, dont nous ne connaissons pas encore exactement la solution, mais que nous sommes en mesure d'analyser.

L'accompagnement des mutations économiques constitue un autre enjeu important. Vous savez que nous réfléchissons sur deux plans : d'une part, les mutations qui se traduisent par des plans sociaux, et donc des situations de crise telles que des licenciements économiques, pour lesquelles il faut mettre en place des formations, d'autre part, l'anticipation, relative à des emplois menacés par des évolutions perceptibles, qui suppose de préparer les salariés à un changement de qualification et, éventuellement, de secteur. De ce point de vue, le système n'est pas satisfaisant dans l'ensemble.

M. Jean-Claude Carle, président - Si j'ai bien compris, l'organisation idéale tournerait donc autour de deux mots : partenaires et territoire. Aujourd'hui, les mécanismes de financement sont-ils bien adaptés à cette vision ? Sinon, comment faire évoluer la situation ?

Mme Françoise Bouygard - Ils n'ont effectivement pas été modifiés par l'accord de 2003. Les dernières grandes modifications datent de la loi quinquennale de 1993 et ont été réalisées à l'initiative du Gouvernement et du Parlement et non des partenaires sociaux. Elles consistaient en une réduction forte du nombre des OPCA. Depuis, la situation est demeurée inchangée et il existe actuellement une centaine d'OPCA, essentiellement adossés à des branches, et parfois en relation forte avec un appareil de formation spécialisé pour le secteur.

M. Jean-Claude Carle, président - Ce système n'est pas désintéressé...

Mme Françoise Bouygard - Je ne me prononce pas sur ce point. C'est à la fois un système très intégré, peut-être performant dans certains secteurs d'activité (quoique nous manquions d'éléments d'évaluation) et une organisation extrêmement cloisonnée, qui ne permet pas de répondre aux besoins locaux, au moment où ils se présentent. La question des mécanismes de péréquation proprement dits mériterait d'être approfondie. Ainsi, existent-ils vraiment, ou s'agit-il dans certains cas d'une gestion par l'OPCA de comptes d'entreprise ? Je ne formule d'ailleurs pas une critique à l'égard de ces pratiques, car certaines entreprises ont peut-être besoin de faire gérer des comptes. Il ne s'agit en tout cas pas d'une péréquation au sens habituel du terme. Cette réflexion renvoie à la question posée depuis le début : compte tenu du nombre de branches et en dépit de la forte réduction du nombre des OPCA du fait de la loi de 1993, cette structuration du financement par branche répond-elle aujourd'hui à l'objectif de sécurisation des trajectoires et à l'objectif d'adaptation rapide des compétences des individus et des entreprises ?

M. Jean-Claude Carle, président - Quelle autre piste peut être suivie ?

M. Jean-François Humbert - Vous posez des questions depuis le début, mais avez-vous des réponses ?

Mme Françoise Bouygard - Je pense que chacun possède les réponses présentes à l'esprit. Les réponses techniques sont faciles à imaginer. Monsieur le président, vous avez rappelé que 24 milliards d'euros étaient consacrés à la formation professionnelle continue en France chaque année. Cette somme doit être regardée plus précisément car elle comprend une partie consacrée à la formation des fonctionnaires et une partie relative aux exonérations de charges attachées aux contrats en alternance et aux contrats d'apprentissage. Le reste, correspondant tout de même à plusieurs milliards d'euros, pourrait être réparti selon des logiques différentes. Comment ? Peut-être en amenant les partenaires sociaux à considérer qu'ils doivent organiser autrement ce système, à moins de prendre une initiative inédite dans le domaine de la formation professionnelle continue : décider d'un système qui ne repose sur aucune négociation collective. Je rappelle que notre système s'appuie sur la négociation depuis l'origine, c'est-à-dire l'accord national interprofessionnel de 1970, et que les partenaires sociaux tiennent à cet objet de négociations. Je rappelle également qu'en 2003, ils ont signé unanimement l'accord, ce qui ne s'était pas produit depuis cinq ans. Au moment où le développement du dialogue social est recherché, la remise en cause de cette capacité à négocier sur ce champ n'est pas totalement neutre. De fait, il faut peut-être davantage essayer de persuader et d'apporter des éléments au débat. C'est ce que nous nous efforçons de faire au ministère.

M. Jean-François Humbert - Dans le prolongement de vos réflexions, ne peut-on pas penser que les blocages éventuels viennent du fait que la décentralisation n'est pas encore complètement entrée dans les moeurs, qu'il s'agisse des organisations patronales, syndicales, ou de l'État ? Toutes ces négociations au niveau national ne condamnent-elles pas le système à stagner ?

Mme Françoise Bouygard - Je pense qu'il existe plusieurs freins, dont certains ont été évoqués. Je précise qu'une partie des fonds de la formation professionnelle finance le paritarisme. Cet élément est d'ailleurs connu et figure dans les textes. Je crois que ce sujet doit être véritablement posé avec les partenaires sociaux, pour ne pas nuire au reste de la discussion. J'estime que cette attitude fait partie des préventions nécessaires lorsqu'est évoquée la réforme substantielle du financement de la formation professionnelle continue. Il me semble que ce sujet doit être traité en tant que tel. La deuxième question est la capacité des organisations syndicales, de salariés, et patronales, à être présentes sur les territoires. Cette question est cruciale, dans un pays où le taux de syndicalisation des salariés et des patrons est relativement faible.

M. Jean-Claude Carle, président - Il faut également prendre en compte les OPCA.

Mme Françoise Bouygard - Effectivement. Il convient donc d'inventer des solutions qui garantissent aux partenaires sociaux le fait qu'avec une organisation plus régionalisée, ils pourront tenir un rôle. Il me semble qu'ils ressentent cette crainte, et qu'elle explique le fait qu'ils aient jusqu'à présent choisi des négociations au niveau national.

M. Jean-François Humbert - Il paraît donc nécessaire de décentraliser davantage, en leur garantissant une participation dans la mesure de leurs moyens. Je pense qu'ils trouveraient assez facilement et rapidement les moyens d'être présents dans les négociations, si la décentralisation se poursuivait.

M. Jean Gaeremynck - Le terme territorialisation me semble plus approprié, car plus neutre.

M. Jean-Claude Carle, président - Le fait d'envisager une formation tout au long de la vie, et donc de réduire la barrière entre formation initiale et formation continue, ne peut-il pas contribuer à améliorer la situation, notamment en matière de financement ?

M. Jean Gaeremynck - Considérons à ce titre l'exemple du contrat de transition professionnelle, expérimenté dans plusieurs sites. Il sécurise pendant une très longue période la situation du salarié qui a conclu une ouverture de contrat. De fait, il continue à percevoir son salaire pendant une durée d'un an. Cette période est mise à profit pour lui permettre d'acquérir des compétences nouvelles si nécessaire ou de le placer en situation de travail dans des entreprises différentes de celles qu'il a connues. Il s'agit donc de créer les conditions favorables à la continuation de son parcours, éventuellement sur le mode de la mobilité professionnelle.

Nous constatons que nous avons une grande difficulté, dans le cadre de ces contrats, à mettre en place des formations financées par les OPCA. Au moment des travaux préparatoires, nous nous sommes rendu compte que les textes, tels qu'ils étaient établis, ne permettaient pas aux OPCA de financer des actions de formation au bénéfice de ces personnes. En effet, elles ne sont plus salariées au sens juridique du terme, mais dans une situation ad hoc ne s'apparentant pas à un contrat d'activité. L'expérimentation a créé cette situation nouvelle. Nous avons donc pris une disposition spécifique, dans le texte de l'ordonnance, pour permettre aux OPCA ces financements. Or aucun OPCA de branche n'a contribué. Les seules structures de cette nature qui ont participé sont des OPCA interprofessionnels.

Aujourd'hui, le système apporte donc une forme de réponse. Nous travaillons ainsi parfaitement avec l'AGEFOS-PME. Cependant, l'AFPA (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes), c'est-à-dire l'État, reste le principal financeur de cette formation, contrairement au système interprofessionnel. Ce système présente donc un élément de force, puisque l'interprofessionnel répond. Ainsi, l'approche croisée entre l'interprofessionnel et le territorial peut être éventuellement permise. Mais le système présente également des limites, puisqu'il est vertical, et qu'il repose sur une logique de branches et d'OPCA adossés aux branches.

M. Serge Dassault - Pourquoi parlez-vous sans cesse de branches et de partenaires sociaux ? Quel est leur rapport avec le sujet ? Il me semble que, dans le cadre de la formation professionnelle continue, l'individu dans une entreprise, souhaitant se perfectionner ou changer de métier, peut aller voir son directeur ou le directeur des ressources humaines pour demander une formation. De la même manière, il est possible de proposer à une personne risquant d'être licenciée de la former dans un autre secteur pour trouver du travail. Cette situation me semble claire. Aussi, pourquoi les partenaires sociaux interviendraient-ils systématiquement? Ils sont en effet sans cesse évoqués, tout comme les branches. Je ne connais pas le fond de cette organisation, qui me semble très compliquée. La situation ne devrait-elle pas être plus simple, et plus efficace ?

M. Jean-Claude Carle, président - Voulez-vous ainsi dire que le pivot de la réforme ne devrait plus être la branche mais l'entreprise ?

M. Serge Dassault - Oui. L'entreprise a des besoins et peut financer une formation lorsqu'une personne souhaite apprendre un autre métier. Pourquoi faut-il faire appel à une branche ou à des partenaires sociaux ? Pourquoi établir un système si compliqué ?

M. Jean Gaeremynck - Un des cas de figure cité par M. Dassault révèle très bien l'insuffisance du système. En effet, le salarié qui vient annoncer à son patron qu'il souhaite changer de métier n'obtient pas de réponse. Aucune raison ne justifie que le directeur finance une formation qui permettra au salarié de changer de métier, au regard des besoins de l'entreprise. Il n'existe aucune raison logique pour que ce cas soit intégré dans le plan de formation de l'entreprise. Il faut donc trouver un autre moyen. Le système, tel qu'il est construit aujourd'hui avec l'entreprise dans la branche, ne répond pas à cette question.

Mme Françoise Bouygard - Je précise que ce n'est pas nous qui souhaitons une organisation par branches avec les partenaires sociaux, mais que le système s'est construit ainsi. Ce mode de construction résulte d'ailleurs d'une obligation de financement, et non d'une obligation de formation.

M. Serge Dassault - D'où provient l'argent ?

Mme Françoise Bouygard - 1,6 % de la masse salariale des entreprises est consacré à la formation continue. De ce système se déduit la mutualisation par les OPCA, et une gestion par branches des OPCA (même s'il existe beaucoup plus de branches que d'OPCA). De ce fait, et M. Dassault a raison de le rappeler, il existe de très nombreuses lacunes, c'est-à-dire des situations auxquelles nous ne répondons pas et qui constituent un de nos sujets de réflexion.

Je souhaite apporter d'ailleurs la précision suivante. Si nous réfléchissons à une territorialisation du financement de la formation professionnelle, il faut également réfléchir à la participation des partenaires sociaux aux décisions sur les territoires. En effet, ceux qui travaillent dans les entreprises ou les dirigent, possèdent une connaissance immédiate des besoins en formation, notamment des formations d'adaptation au poste, et des formations à court terme. Passer d'un système dans lequel ils sont très présents à un système dont ils sont absents nous semblerait inconsidéré. Tel est l'état d'avancement de notre réflexion.

Pour aller plus loin, puisque vous nous réclamez des réponses, il existe des pistes de réflexion, notamment sur la collecte. Je rappelle toutefois qu'il n'appartient pas seulement au ministère de l'emploi de les apporter, puisque nous nous situons sur le champ important de la négociation collective. Il existe un système de collecte, dédié à la formation professionnelle continue, de cette participation des entreprises. Mais d'autres organismes collectent d'autres cotisations. Ne pourrait-il pas exister un seul système de collecte des cotisations ? Il entraînerait une réforme très profonde.

M. Jean-Claude Carle, président - Donnez-nous plus d'explications, nous ne connaissons pas le sujet.

Mme Françoise Bouygard - Vous connaissez les URSSAF.

M. Serge Dassault - L'entreprise paie une partie de ces formations, donc où est envoyé cet argent ? Pourquoi ne resterait-il pas dans l'entreprise, afin qu'elle puisse financer des formations ?

Mme Françoise Bouygard - Soit l'entreprise forme à hauteur de son obligation, soit 1,6 % de sa masse salariale, et l'argent est dépensé dans la formation de ses salariés, soit elle ne souhaite pas former ses salariés, mais elle a l'obligation de consacrer cette part de 1,6 % à la formation. Dans ce cas, l'argent est collecté par les OPCA.

M. Serge Dassault - L'entreprise possède donc le droit de payer elle-même des formations dans le cadre de sa contribution. Par conséquent, elle n'a pas besoin de consulter des branches ou autres.

Mme Isabelle Debré - Dans ce cas cependant, la société ne proposera des formations que dans son champ de compétences et ne formera pas un salarié quittant la société.

M. Jean-François Humbert - Lorsque je parle de décentralisation, vous me répondez déconcentration. N'existe-t-il pas une question de pouvoir derrière cette interrogation ?

M. Jean Gaeremynck - La décentralisation fait nécessairement référence aux compétences juridiques reconnues par le législateur aux régions et collectivités territoriales. Nous prenons cet élément en considération. Nous pensons que nous aurions peut-être intérêt à réfléchir à des modes d'organisation territoriale différents de cette stricte mise en oeuvre des compétences. Il faut trouver, en respectant les compétences de chacun, des modes d'organisation sur le plan territorial et notamment régional. La notion est donc sensiblement différente de celle de décentralisation. Dans le cadre de la décentralisation, il est possible d'accroître les compétences de la région, par exemple en matière de politique d'emploi ou de formation des salariés.

M. Jean-François Humbert - Pourquoi pas ?

M. Jean Gaeremynck - Vous nous interrogez sur le sens de nos réflexions par rapport aux pistes évoquées. Celles-ci ne vont pas dans le sens de la décentralisation, au sens classique du terme, c'est-à-dire par rapport aux compétences juridiques. Il s'agit plutôt de modes d'organisation permettant de « réconcilier des légitimités », comme le dit M. Boorlo : région, entreprises, partenaires sociaux, branches. Nous manquons cependant d'ingénierie. La piste qui nous semble féconde est la piste territoriale, qui entre cependant en discordance avec le système vertical actuel. Encore faut-il que les personnes intéressées acceptent de participer à ce champ de réflexion et de discussion. En effet, il concerne leurs compétences dans le champ de la négociation.

Mme Sylvie Desmarescaux - Vous avez indiqué que la formation continue est gratuite pour les salariés, contrairement à la formation professionnelle. Je me demande quelle solution peut être apportée alors même que tant d'argent est dépensé. Je suis maire d'une petite collectivité et le personnel communal participe à des formations. Une jeune dame est en train de terminer un contrat aidé. Elle a réalisé des petites formations sur la parentalité et l'utilisation de l'ordinateur, mais elle souhaite passer un CAP « petite enfance » de 2 000 euros et ne bénéficie d'aucune aide. Je suis très choquée par ce cas. Je suis en effet incapable de l'aider, car elle ne fait pas partie du personnel communal. Comment réagissez-vous et quelle est votre position ? Ce cas montre l'inégalité de traitement entre le personnel salarié et des personnes revenant au statut de RMIstes.

M. Jean-Claude Carle, président - Si vous le permettez, comme nous arrivons au terme de cette audition, nous allons prendre les autres questions maintenant.

Mme Valérie Létard - Pour compléter les propos de Sylvie Desmarescaux, et dans la logique de territorialisation que vous présentiez, je pense que les inégalités de traitement pour la formation sont au coeur du problème. Elles se manifestent entre, d'une part, les publics éligibles au financement de la formation de la région et, d'autre part, les bénéficiaires du RMI ayant droit à une insertion sociale mais pas à une formation professionnelle, parce qu'ils ne dépendent pas de la même logique et du même dispositif. Le Nord compte plus de 70 000 dossiers de bénéficiaires du RMI : comment les faire bénéficier des formations organisées par la région ? Les deux mondes sont hermétiques et il n'existe pas de passerelle. Nous sommes en train d'y travailler et la question est extrêmement compliquée. Nous sentons qu'une articulation, une mise en réseau, une notion de pilotage collectif, et peut-être de chef de file - que prévoit l'évolution des lois de décentralisation - sont nécessaires. Ainsi, tous les acteurs de la gestion publique ou de la gestion de moyens pour la formation professionnelle pourraient être rassemblés dans une même réflexion et permettre ainsi de visualiser les manques.

Nous parlions des gens qui ne parviennent pas à se former, alors qu'ils en ont besoin. Or si les ASSEDIC ne financent pas totalement une formation professionnelle, et que l'individu doit en payer une quote-part alors qu'il n'en possède pas les moyens, comment fait-il ? C'est impossible, donc les crédits pour la formation ne sont pas utilisés assez vite. De la même manière, les trois quarts des formations professionnelles organisées par les régions ne sont pas rémunérées. Quels sont alors les financements permettant de vivre pendant le temps de la formation ? Existe-t-il un accès à une prestation minimum ? Ces questions relèvent d'un socle commun et d'une réflexion nationale. Certaines pourront être réglées s'il existe un vrai travail partenarial au niveau des territoires et que chacun accepte de participer à un projet commun de développement de la formation professionnelle correspondant aux besoins du territoire. Les moyens sont importants mais il est aussi nécessaire que les formations soient en phase avec la réalité économique. Aussi, vu le nombre de branches professionnelles et d'OPCA, comment l'échelon régional peut-il posséder une vision d'ensemble ? C'est à ce niveau que la question se complique, car régions, départements, État, fonds européen, sont concernés. Or comment concilier autant de partenaires de manière efficace ?

M. Jean Gaeremynck - J'apporterai deux éléments de réponse, très pragmatiques, mais à approfondir pour l'avenir. Le premier concerne certains traitements de restructuration. Ces dernières années, dans le cadre d'importants licenciements économiques et de plans sociaux d'envergure, notamment dans le Nord, nous avons assisté à des exemples très intéressants d'organisation sous forme de conférence des financeurs. Ainsi, l'opération « Armelle », qui devait inclure un grand nombre de salariés dans un plan de reconversion, a été un succès. Dans ce cas, le mode d'organisation est neutre en termes de compétences, et ne gêne de fait aucun acteur. Cette opération, ponctuelle et ciblée, pourrait être élargie.

Concernant la réconciliation des systèmes régionaux et par branche, il me semble qu'il est possible d'amener les partenaires sociaux à approfondir l'approche interprofessionnelle. Elle permettrait de favoriser l'égalité entre les petites et les grandes branches professionnelles. Il faut d'abord se demander s'il est nécessaire de conserver plusieurs réseaux interprofessionnels. L'approche interprofessionnelle doit-elle être renforcée, puisqu'elle se prête plus à l'approche territoriale ? Ces deux éléments nous permettent d'alimenter la réflexion.

Mme Françoise Bouygard - L'exemple de l'accès à un CAP petite enfance est très illustratif des courriers quotidiens que nous recevons. La question ne me semble pas porter sur un manque de financement. De plus, certains acteurs réfléchissent à cette question, et mettent en place des politiques. L'UNEDIC dispose ainsi de politiques de formation (dont vous a parlé M. Revoil) et d'enquêtes pour repérer les tensions sur le marché du travail et déterminer quelles sont les formations qui seront exclusivement financées. L'État peut également mener des actions. Chaque conseil régional exprime sa politique au sein du PRDF. Les partenaires sociaux, dans chaque branche, conduisent également des politiques, et la lecture des 400 accords de branche qu'ils ont conclus sur la formation professionnelle, indique que le contenu et la réflexion sont réels. Il existe donc des acteurs qui élaborent une politique de formation et qui en détiennent la légitimité. Pourtant, lorsque des sujets concrets et parfaitement légitimes se présentent sur des métiers dans lesquels existent des besoins, aucune réponse immédiate et concrète n'apparaît. De fait, il faut renforcer la territorialisation des fonds de la formation continue. La difficulté, je le rappelle, réside dans la nécessaire bienveillance des partenaires sociaux, puisqu'ils gèrent les fonds de formation et en conduisent les politiques depuis plus de trente ans.

En outre, pour que les diverses légitimités discutent ensemble et construisent une politique avec une valeur ajoutée, et répondant aux cas individuels et concrets, les partenaires sociaux ne doivent pas être les seuls à montrer l'exemple, mais l'État et les conseils régionaux ont aussi une responsabilité. Nous menons cette réflexion, même si nous n'apportons peut-être pas aujourd'hui une réponse aussi concrète, dans l'ingénierie de la réforme, que celle que vous auriez souhaitée. En effet, nous pensons que nous ne pouvons élaborer de réponse concrète que collectivement. Se passer du collectif revient à vouer cette réforme à l'échec, à bloquer la négociation, et à rester au statu quo et se contenter de réformes marginales.

Mme Létard a soulevé une question que nous n'avons pas le temps d'approfondir, mais néanmoins très importante : le statut du stagiaire de formation professionnelle et sa rémunération. Cette question nous préoccupe également, notamment concernant son lien avec les minima sociaux et l'assurance chômage. Il existe des effets assez contreproductifs au barème actuel de cette rémunération. Pourtant, bénéficier d'un revenu pendant la formation, notamment qualifiante, est totalement indispensable.

Nous n'avons également pas le temps d'aborder un troisième sujet, que je cite néanmoins pour mémoire : l'offre de formation. Elle renvoie à des sujets juridiques, notamment concernant la part pouvant être attribuée sous forme de subvention et celle relevant des marchés publics. Il faut se référer à la réglementation européenne. Ces sujets sont intéressants du point de vue juridique mais ils sont surtout importants parce qu'ils détermineront notre capacité à l'avenir à structurer un appareil de formation de qualité, notamment lorsque les formations nécessitent des investissements lourds, comme dans les formations techniques.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous vous remercions tous deux de votre contribution, qui nous a permis d'aborder plusieurs domaines très importants : il faudra adopter une conception renouvelée, à la fois partenariale et territorialisée, pour adapter certains mécanismes, notamment financiers. Cette vision implique également d'aborder la notion de chef de file et de gouvernance du système.

Audition de Mme Annie THOMAS, secrétaire nationale, et de M. Jean-Luc GUEUDET, secrétaire confédéral, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) (21 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Je ne présenterai pas la CFDT, puisque chacun connaît cette grande organisation syndicale, ainsi que son attention particulière portée à la formation professionnelle. Je vous laisse la parole pour nous donner votre point de vue sur la problématique, sur les aspects positifs et négatifs, et les pistes d'évolution. Nous vous soumettrons ensuite au jeu des questions et des réponses, notre objectif étant, dans le cadre de cette mission, de dresser l'état des lieux de la formation professionnelle et de l'utilisation des 24 milliards dépensés chaque année. Nous considérons qu'il ne s'agit pas d'une dépense mais d'un investissement et que comme pour tout investissement, il est normal de savoir si ces sommes profitent effectivement aux destinataires envisagés. A partir de ce relevé de situation, nous devons formuler des propositions, enrichies de votre contribution. Je vous remercie de votre participation.

Mme Annie Thomas - Merci monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices, bonjour. Je vous remercie d'avoir invité la CFDT à participer à cette audition. Nous sommes très attentifs aux discussions tenues dans votre commission grâce aux parutions sur le site internet. Nous sommes tenus au courant quasiment instantanément, et je signale qu'il est très plaisant de travailler sous cette forme, et je vous en félicite. En effet, pour la première fois, avant même d'intervenir, nous connaissons l'état d'avancement de la réflexion et les positions des autres acteurs.

Je précise que j'ai moi-même été la négociatrice de la CFDT pour l'accord sur la formation professionnelle de 2003. M. Gueudet est arrivé à la confédération deux ans après, et il est désormais chargé, à mes côtés, de faire vivre cet accord auprès de nos équipes. Je suis par ailleurs la présidente de l'UNEDIC, le régime d'assurance chômage. A ce titre, si vous le permettez, je déborderai de la frontière que vous avez fixée sur l'ANI et la formation des salariés stricto sensu , notamment pour vous donner notre opinion du système de formation, concernant les personnes oubliées.

Je souhaite d'abord évidemment dire que nous estimons que votre travail actuel est utile, et nous sera utile. Nous ne le mélangeons pas avec certaines déclarations qui signent la suppression du DIF et proposent un « Grenelle » de la formation, alors même que le système n'est pas totalement stabilisé, pour le dire honnêtement. L'ANI 2003, la loi 2004, certaines négociations de branches de 2004 à 2006, et certaines négociations d'entreprises, forment un immense travail de négociation qui commence à produire des effets aujourd'hui. Je signale que le bilan actuel ne peut être qu'un premier bilan d'étape. Les évolutions que nous vous suggérerons, car nous pouvons déjà trouver des aspects positifs et des aspects négatifs, doivent également s'inscrire dans le temps nécessaire de la montée en puissance de ce nouveau dispositif.

Avec ce dispositif, nous observons d'abord une meilleure mobilisation des salariés, à travers des formes de « co-construction », par exemple pour le DIF, mais aussi pour la période de professionnalisation. Nous estimons que le concept de professionnalisation est également porteur d'avenir, mais il faut attendre qu'il porte ses fruits. En effet, à travers la période et le nouveau dispositif du contrat de professionnalisation, nous avons changé non seulement de vocable, par rapport au contrat de qualification, mais aussi d'horizon. En effet, la formation est désormais davantage liée à l'entreprise et à la recherche de compétences au service de l'investissement et du développement dans les entreprises.

Enfin, les questions financières, liées aux 21 milliards d'euros, ne représentent pas un problème. En effet, les partenaires sociaux ont accepté l'augmentation de la cotisation, malgré sa forte hausse pour les PME. Cet accord est le signe que désormais, la formation est un investissement pour les chefs d'entreprise, et non plus un coût. L'expression parfois effectivement utilisée de « dépensés sans savoir pourquoi » pour qualifier les 21 milliards d'euros, est assez choquante. Elle semble en effet indiquer que des économies pourraient être réalisées, alors que nous pensons que ce montant n'est pas excessif, mais qu'il est mal utilisé et qu'il faut surtout qu'il serve à tous les salariés. En effet, l'accès à la formation est inégalitaire et il faut l'améliorer. Pour nous, c'est donc plutôt à ce niveau que se situe la question et non au niveau financier. Le niveau de l'effort de la France est assez proche de celui d'autres pays d'Europe ou du monde occidental proches de notre pays. Nous pourrions peut-être consentir des efforts supplémentaires en suivant les engagements de Lisbonne. Ce serait notamment souhaitable dans des secteurs comme la recherche et l'innovation.

Les dépenses de formation, qualifiées comme telles, devraient intégrer non pas la hauteur mais le destinataire, et surtout faciliter l'accès. Aussi, nous n'affirmerons pas que le système et la réforme ont totalement réglé les problèmes. Les questions d'accès à la formation restent très difficiles pour plusieurs raisons.

Premièrement, les personnes les moins qualifiées sont celles qui, très spontanément, ne recherchent pas la formation, par exemple du fait d'un souvenir personnel d'échec scolaire. Lors de la création du nouveau dispositif, il a beaucoup été question d'appétence. En effet, il est impossible d'amener les individus à la formation lorsqu'ils ne le souhaitent pas. Ils doivent sentir que cette formation est liée à leur projet personnel ou professionnel, y voir une valeur ajoutée et se sentir à l'aise avec la matière formation. Certains sont restés sur un échec scolaire et c'est un événement très douloureux, qu'ils ont parfois la crainte de revivre, surtout lorsque la formation des adultes revêt un aspect trop scolaire.

Deuxièmement, certaines personnes parmi les moins qualifiées mais stables dans leur emploi, et à qui il est conseillé d'envisager une formation, prennent ce conseil comme le retour à une forme de jugement sur leur travail actuel. Ils peuvent estimer qu'ils n'effectuent pas correctement leur travail et que la proposition de formation représente une façon détournée de signaler leur incompétence. Ces questions sont extrêmement importantes pour la CFDT. Dans la négociation, nous avons autant insisté sur des dispositifs symboliques, comme le DIF ou le contrat de professionnalisation, que sur les moyens d'accompagnement. La CFDT affirme très fortement qu'il ne suffit pas de créer un dispositif, aussi attirant soit-il, pour que les salariés y adhèrent. Pour nous dans cette salle, cette question n'est pas un problème car nous sommes des enfants heureux de l'école, nous aimons la formation, et nous sommes à l'aise avec l'éducation. Mais tel n'est pas le cas de la majorité de nos concitoyens.

L'entretien professionnel mis en place par l'ANI, constitue l'un des premiers moyens d'accompagnement. Vous observez d'ailleurs que je ne parle pas d'argent, car il devrait être mis en place dans le cadre normal du fonctionnement des entreprises. Il devrait avoir lieu tous les deux ans, dans toutes les entreprises, afin de faire un point avec le salarié sur ses besoins, sur le niveau d'heures enregistrées dans son DIF et sur les évolutions possibles du poste. Nous insistons beaucoup sur la mise en place du « passeport formation », document qui doit recenser le parcours du salarié et est très utile pour une opération de validation des acquis de l'expérience. En effet, pour les personnes en difficulté, en particulier vis-à-vis de l'écrit, passer les épreuves ne constitue pas tant un problème que constituer un dossier. Les personnes sont à l'aise avec leurs matières, mais pas avec la documentation administrative. Dans le passeport, ces aspects sont repris. J'insiste beaucoup sur cette question par rapport au bilan. Vous remarquez que je dépasse largement les questions budgétaires.

Par ailleurs, les partenaires sociaux ont également décidé de légèrement anticiper le bilan qu'ils devaient faire de l'ANI, en instaurant un comité de pilotage de cette évaluation. Ce bilan inclura également le DIF. Nous sommes aux prémices du DIF, puisque la majorité des salariés détiennent entre vingt et quarante heures au compteur. Or le maximum, qui correspond à 120 heures, permet d'effectuer un projet de formation intéressant. Il faut donc intégrer l'idée que cette réforme a de multiples rendez-vous. La CFDT a décidé de mettre en place sa propre évaluation, en particulier pour les pratiques syndicales en direction des salariés. Ces nouveaux dispositifs ont en effet une dimension très individualisée : chacun détermine son propre projet. Les pratiques syndicales en sont donc changées. Il est impossible de traiter ces questions uniquement deux fois par an, lors du débat sur le plan de formation. Du quantitatif, correspondant à un montant d'argent pour une procédure ou un public, nous sommes passés au qualitatif : les personnes peuvent créer leur projet de formation. Nos sections syndicales, qui travaillent plus souvent sur le collectif que l'individuel, doivent désormais changer leurs pratiques.

Nous avons mis en place un certain nombre d'outils, dans le cadre de la négociation, mais également des guides pour permettre aux salariés d'appréhender leurs nouveaux droits et pour permettre à nos équipes d'étudier si, dans leurs pratiques syndicales, elles favorisent l'accès à la formation de leurs collègues. Nous menons une enquête avec le cabinet Circé sur des fonds de l'IRES (Institut de recherche économique et sociale), qui étudiera les pratiques d'un certain nombre de sections CFDT sur l'ensemble du territoire. Vous avez reçu avant nous le délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle et M. Le Douaron, de la DGEFP, qui a commis un rapport. La CFDT partage ce premier bilan d'étape, en particulier sur les questions en suspens qui vous ont été présentées.

Quelles sont désormais pour nous les priorités d'intervention et d'amélioration ? Je redis toutefois que nous attendons que le dispositif monte en puissance. Nous pensons que nous ne pourrons pas éviter longtemps un certain nombre de débats. Le premier de ces débats est le rôle et le nombre des OPCA. Cette question n'a pas été abordée pendant la négociation. La CFDT avait d'ailleurs demandé qu'il n'existe plus qu'un seul OPCA interprofessionnel au niveau de la région, ce qui signifiait la fusion des OPCA-REG et de l'AGEFOS-PME, et une interrogation sur le système séparé des FONGECIF. Il ne nous semblait pas opportun que les OPCA soient dispersés, car une nouvelle réalité territoriale s'imposait, puisque nous étions au début de la phase 2 de la décentralisation de M. Raffarin. LA CFDT est à l'aise à la fois avec la formation et avec la régionalisation. Nous plaidions pour une forme de représentation homogène des partenaires sociaux de la formation professionnelle face à d'autres pouvoirs régionaux émergents. Cette question des OPCA était délicate pour les organisations patronales, et donc le sujet a été évacué.

La transférabilité du DIF est une question posée politiquement et elle est évoquée également par les partenaires sociaux dans le cadre de la sécurisation des parcours. Elle suppose une mutualisation des fonds, une articulation des politiques de branches et de territoires. En plus de la collecte, les OPCA détiennent désormais un nouveau rôle de service auprès des entreprises et des salariés, pour le DIF, la professionnalisation, mais aussi les moyens d'accompagnement (certaines petites entreprises externalisent ainsi l'entretien d'évaluation). Le corps même de la réforme va donc entraîner un changement du rôle des OPCA. L'AGEFOS-PME est en train de construire un outil que nous estimons extrêmement innovant, sur la base d'une contribution volontaire de l'entreprise qui va permettre de gérer le DIF au niveau de l'AGEFOS-PME, pour le chef d'entreprise et les salariés. Le premier chantier est donc le nombre et le rôle des OPCA. Il existe peut-être aussi trop de petits OPCA qui ne sont pas en mesure de jouer un rôle de service. Ils ne parviennent qu'à collecter et mutualiser. De plus, les frontières des OPCA doivent épouser les politiques de branches. La DGEFP a donné quelques pistes intéressantes sur leur articulation. La question de la transférabilité du DIF entre dans la sécurisation des parcours. Elle est pratiquement reprise par toutes les organisations syndicales et elle est écoutée par les organisations patronales.

En tant que présidente de l'UNEDIC, je souhaite signaler que nous manquons d'un dispositif de formation longue et qualifiante pour les personnes en situation ou qui souhaiteraient se reconvertir ou changer d'orientation. Les dispositions au niveau de l'UNEDIC sont en adéquation avec les emplois, en particulier avec les « métiers en tension ». Pour le reste, la situation est plus compliquée. Les salariés sont partout appelés à être mobiles mais les dispositifs ne sont pas en mesure de leur offrir la plate-forme qui leur permettrait d'être vraiment mobiles. Or un sondage de la semaine dernière indiquait que 54 % des Français pouvaient envisager de changer d'orientation dans l'année. Nos concitoyens ne sont pas donc pas aussi fermés que nous pourrions le croire sur ces questions.

Je dépasse maintenant les salariés stricto sensu . Le problème d'accès à la formation des demandeurs d'emploi non indemnisés ou des RMIstes est grave, car ces personnes auraient justement le plus besoin d'acquérir des qualifications. Elles doivent pourtant aller jusqu'à se former à l'ingénierie de leur propre formation. Cette situation n'est pas acceptable pour la CFDT et nous plaidons pour le décloisonnement des dispositifs, et pour que les besoins des personnes figurent au centre des systèmes d'État, des régions et des partenaires sociaux. Nous souhaitons que ce soient ces besoins, et non pas leurs statuts, ou les financements afférents qui décident, comme aujourd'hui. Le chemin est facilité pour un demandeur d'emploi indemnisé qui souhaite s'orienter dans un métier en tension ou pour un salarié demandant un congé individuel de formation. Les autres cas connaissent un véritable parcours du combattant. L'association des départements de France, que nous avons officiellement et pour la première fois rencontrée à la CFDT il y a quinze jours, se désolait également de cette réalité.

Je comprends que nous discutions du DIF et des OPCA et des améliorations à apporter au dispositif, mais il faut aussi se préoccuper des « zones d'ombre » qui existent. A ce titre, et au risque de dépasser les limites du sujet, je veux évoquer les jeunes sortis du système scolaire sans qualification. Tel est le cas de 150 000 jeunes chaque année, soit 20 % de la classe d'âge. Or depuis dix ans, ce chiffre n'a pas augmenté, certes, mais n'a pas non plus baissé. Il est considérable. Il ne faut pas oublier cet élément lorsque le système de formation professionnelle est abordé. En effet, tous les individus ne sont pas à égalité et le système de formation professionnelle n'est pas l'école de la deuxième chance. Cette idée est généreuse mais elle n'est pas la réalité. Il faut donc reconnaître en toute lucidité que nous manquons d'un dispositif simple de type suédois, dans lequel les jeunes sans bac sont immédiatement pris en charge par leur collectivité locale. Au travers de formations par alternance, de stages ou de retour à l'enseignement académique, la nation s'engage à ce que ces personnes acquièrent une qualification. Il ne faut pas créer de nouveau un contrat mais une obligation. Cette obligation signifie que l'éducation nationale met en place des systèmes pour remédier à cette question. Il est inacceptable que cette situation perdure. Nous pensons que la mise en place du socle commun de base et de compétence est une première réponse mais il faudra en inventer d'autres.

Nous pourrions revenir sur la professionnalisation à l'université mais je pense que vous êtes coutumiers de ces questions. Pour terminer, je rappelle que nous voulons insister sur deux points. Le premier est la nécessité de placer la personne au centre du dispositif et de permettre aux acteurs de s'organiser pour répondre aux besoins. Le deuxième point, essentiel, et sur lequel il faut travailler, est la question de la gouvernance de ce dispositif. J'ai indiqué que les conseils régionaux constituaient de nouveaux acteurs. J'y ajoute les conseils généraux, au regard de leurs responsabilités par rapport à certaines populations en difficulté. Il existe donc trois grands groupes d'acteurs au niveau des territoires : les conseils généraux et régionaux, l'État, et les partenaires sociaux. Il faut qu'ils parviennent à s'organiser. Le rôle du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), présidé par Dominique Balmary, est jugé positivement par la CFDT, après des débuts épiques et des débats politiques passionnés, soit six mois pour aboutir à une compréhension et une reconnaissance mutuelle... Il me semble que le Conseil est désormais entré dans une phase de travail plus positive et s'achemine vers ce rôle de gouvernance nationale dont nous avons besoin.

Il s'agit maintenant d'organiser une gouvernance au niveau de la région, sans pour autant qu'elle soit pilotée par le conseil régional, souvent malgré son envie. Il convient de désigner des chefs de file, mais chaque acteur doit faire un pas vers l'autre et il faut s'organiser en fonction du financeur pour déterminer l'acteur qui répondra aux besoins des personnes, la manière de le faire et le moment. Cette organisation, qui doit être formelle, nécessite de se connaître, de se parler et de se respecter. Il faut que les paritaires soient capables de s'organiser, sachant qu'il existe un pôle ASSEDIC, un pôle OPCA, avec différents OPCA. L'idée de la CFDT, partagée par d'autres organisations syndicales, est de commencer par s'organiser par pôles paritaires et de trouver la gouvernance régionale nécessaire pour que tous les salariés, les demandeurs d'emploi et les exclus puissent avoir accès à la formation professionnelle.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie beaucoup. A moins que M. Jean-Luc Gueudet souhaite intervenir, nous allons tout de suite passer aux questions.

M. Serge Dassault - J'ai beaucoup apprécié votre intervention. Vos propos avaient le mérite d'être clairs, justes et vrais. Vous avez parlé d'entretiens pour connaître les besoins des individus, et cette initiative est intelligente. Vous avez également évoqué un sujet qui me touche beaucoup : les jeunes sortant du collège sans qualification. Ils constituent une priorité car ils sont la cause des problèmes de sécurité dans les communes. Ils quittent souvent le système scolaire sans savoir lire et écrire. Je connais ainsi certains cas détectés qui paraissent aberrants. Ils n'apprennent pas à la maternelle et à l'école élémentaire à parler et à écrire, et ces lacunes les suivent jusqu'à la fin du collège. Vous avez dit le mot juste : comment s'en occuper et comment s'y intéresser ? Vous avez indiqué qu'ils devraient être pris en charge par les collectivités locales. Je suis d'accord avec ce principe à condition qu'il soit une obligation. Le malheur vient en effet du fait que l'école n'est obligatoire que jusqu'à seize ans, et qu'en général les élèves ne font rien ensuite, sans que personne ne s'en préoccupe. J'ai demandé que l'obligation scolaire soit portée jusqu'à dix-huit ans, de façon à obliger les jeunes, entre seize et dix-huit ans, à suivre une formation professionnelle. Vous avez raison d'indiquer que l'expression « école de la deuxième chance » est mal choisie. En effet, il s'agit plutôt de leur première chance pour apprendre un métier. J'approuve donc entièrement vos propos. J'aimerais d'ailleurs vous rencontrer pour suivre ce dossier et réfléchir à la façon d'obtenir des amendements et des propositions de loi permettant d'appliquer ces idées. Je souhaitais par ailleurs vous demander de repréciser le rôle de l'OPCA.

Mme Annie Thomas - L'OPCA est l'organisme collecteur. Il est chargé de recevoir les cotisations des entreprises, différentes selon que l'effectif dépasse ou est inférieur à dix personnes. La destination de cette somme dépend du choix de l'entreprise ou de la convention collective, qui a déterminé un OPCA de référence. Les OPCA se divisent en deux grandes familles : d'une part, les OPCA de branche, comme l'OPCAIM, pour la métallurgie, d'autre part, les OPCA interprofessionnels, plus centrés sur le territoire et pouvant recevoir des fonds d'entreprises d'origines très différentes. Les entreprises possèdent le choix de leur OPCA. La France comporte quatre-vingt dix huit OPCA.

M. Serge Dassault - Pour les collectivités locales souhaitant reprendre en main leurs jeunes et les orienter vers la formation professionnelle d'apprentissage, existe-t-il des possibilités de financement par ces OPCA ?

Mme Annie Thomas - Les OPCA financent la formation des salariés du privé et sont donc gérés par les partenaires sociaux, comprenant les organisations syndicales et patronales dans le cadre du paritarisme. Depuis quelques années, nous sommes sortis de ces frontières strictes, puisque certains OPCA financent par exemple des opérations de lutte contre l'illettrisme, c'est-à-dire pour des personnes non salariées et désocialisées. De même, une partie des excédents de la formation des salariés, remontant des OPCA vers le fonds national, le FUP, permet de financer la formation des demandeurs d'emploi qui prendraient un contrat de professionnalisation, qu'ils soient indemnisés par l'UNEDIC, ou qu'ils bénéficient de l'ASS (allocation de solidarité spécifique). Cette affectation des fonds des OPCA, centrés à la base sur les salariés du privé, connaît donc déjà des changements. La thésaurisation des excédents aboutit d'ailleurs parfois à leur récupération par Bercy.

M. Serge Dassault - Il faudrait instaurer un système permettant d'aider les collectivités locales à prendre la responsabilité de cette opération et à payer des stages d'apprentissage dans les CFA (centres de formation d'apprentis) de façon à apprendre aux jeunes un métier et les sortir de leur situation.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous aborderons le problème du système public lors d'une autre audition, en fonction du temps disponible jusqu'au mois de juillet. Ce domaine est en effet important et touche de nombreuses personnes. De plus le financement est différent. Nous essaierons donc d'intégrer ce thème, comme celui de la formation initiale.

M. Jean-Léonce Dupont - Je m'associe aux compliments de M. Dassault sur la clarté de votre intervention. J'aimerais que vous approfondissiez un problème que vous avez abordé : la professionnalisation des universités. Pouvez-vous être plus précise sur vos attentes ?

Mme Annie Thomas - Après la crise du CPE, cette question a connu un développement intéressant. Nous avons été auditionnés par la commission du recteur Hetzel et nous pensons qu'elle n'est pas allée au bout des initiatives possibles. Cependant, nous apprécions un certain nombre de ses recommandations, en particulier les questions liées à l'orientation.

Premièrement, nous pensons que chaque diplôme devrait comporter des « modules de professionnalisation » qui constitueraient le « bagage de base » nécessaire aujourd'hui pour tout diplômé voulant entrer dans un métier ou une entreprise. Ce bouquet pourrait comporter la maîtrise des outils informatiques, la maîtrise d'une langue, le travail en équipe ou l'organisation du travail. Deuxièmement, il nous semble qu'à l'université, la formation par alternance, que nous estimons, est insuffisamment utilisée. Cette formation est intéressante pour les populations en difficulté, mais aussi au niveau du supérieur. Or l'université française est extrêmement timide en la matière. Pour nous, la formation par alternance ne se réduit pas à un simple stage. Elle doit permettre l'acquisition d'une forme de connaissance des savoirs, d'expérimentation, puis de retour. Nous sommes toujours très surpris de constater que les jeunes sont intéressés par ces questions.

Mon troisième point relève du symbolique et il est partagé par la jeune confédération étudiante. Lors de la remise du rapport Hetzel, la CFDT et la confédération étudiante ont demandé au Premier ministre d'inscrire comme troisième mission de l'université l'insertion dans l'emploi. Depuis leur création, dans les textes officiels dont vous êtes spécialistes, les universités sont responsables de deux missions : le savoir et la recherche. Nous pensons qu'il faut aller plus loin, en inscrivant cette troisième mission. Au-delà du symbole, cette modification doit permettre de faire évoluer les questions budgétaires, d'organisation et de personnel dans les universités.

Le quatrième point vise à faire de l'université un réel lieu de validation des acquis de l'expérience (VAE). Le ministère de l'éducation nationale représente aujourd'hui logiquement le plus gros certificateur. Nous avons cependant parfois l'impression que l'université est « l'enfant pauvre » de l'accès au diplôme, puisque ce cursus semble moins noble. Concernant l'illettrisme, l'agence nationale de lutte contre l'illettrisme réalise un très bon travail, en association avec nos équipes. Nous avons l'impression que l'université ne se préoccupe pas de cette question, pourtant importante. Tout comme M. Dassault, je pense qu'il faut traiter les problèmes à leur base, pour éviter qu'ils se compliquent avec le temps.

Le dernier point concerne l'accueil des salariés à l'université. Qui, mieux que l'université, pourrait être un formidable acteur de la formation tout au long de la vie ? Elle constitue un vivier exceptionnel de qualification et d'expertise. Or l'université est prioritairement tournée vers les jeunes et nous sommes attachés à cette mission essentielle. Cependant, si la question de la formation tout au long de la vie doit être traitée, il faut imaginer que les salariés puissent revenir à l'université. Les universités ne sont cependant pas organisées ainsi, ni même le système scolaire en général. Nous plaidons pour que les lycées professionnels accueillent pendant les vacances des salariés qui ont besoin de se reconvertir. Nous disposons de locaux et de matériel qui ne sont pas utilisés pendant quatre mois en comptant les petites vacances. Ils peuvent représenter un investissement. De même, nous souhaiterions que l'université propose une offre pour les adultes. Grâce au DIF, les adultes peuvent payer. 120 heures ajoutées à une formation en-dehors de leur temps de travail équivalent à deux mois de formation.

M. Jean-Léonce Dupont - Il faut ajouter que l'enseignement universitaire représente moins de 50 % d'utilisation des locaux dans l'année. Il existe effectivement des marges de manoeuvre et je partage tout à fait votre position. J'aimerais simplement en plus qu'une quatrième mission soit ajoutée à celles de l'université. En effet, de la même manière qu'il faut favoriser l'insertion professionnelle suite à la formation, il faudrait développer la recherche appliquée suite à la recherche.

Mme Annie Thomas - Je vous laisse l'initiative de cette proposition, et nous vous soutiendrons.

Mme Isabelle Debré - Je vous félicite à mon tour pour votre clarté. Comme vous parlez librement, je me permets de vous poser une question directe, soulevée lors de notre déplacement à Marseille : pourquoi dénombre-t-on quatre-vingt dix huit OPCA ? Il nous est important de comprendre ce chiffre, et à qui il profite. De plus, pourquoi augmente-t-il ? Comment éviter ce gâchis ?

Mme Annie Thomas - Votre question me semble normale et nous nous la posons également. La moitié des OPCA sont interprofessionnels et l'autre moitié professionnels. Considérons d'abord les premiers. L'AGEFOS-PME constitue un grand OPCA interpro, national, et possédant des antennes. Il est le plus grand OPCA de France. On trouve également vingt-sept OPCAREG, interpro, qui concernent, eux, le MEDEF. Je les considère donc comme l'OPCA interpro du MEDEF. Le MEDEF l'a d'ailleurs souhaité ainsi, face à l'OPCA interpro de la CGPME. Au moment de cette création, la CFDT voulait envisager un seul OPCA interpro, commun à la CGPME et au MEDEF. Cette option a cependant été écartée. Il faut ensuite compter trente FONGECIF, qui collectent les fonds qui servent aux congés individuels de formation. Vous remarquez comme le système est compliqué : en plus du nombre conséquent d'OPCA, il existe des OPCA assurant une partie de la collecte... Est-ce vraiment nécessaire ? Les mandatés de la CFDT sont eux-mêmes tellement possédés de l'institution qu'ils le jugent utile pour éviter de confondre ces fonds avec les autres. Nous leur expliquons alors qu'il suffit de séparer les lignes au niveau de l'OPCA dans le compte budgétaire, mais ils ne savent pas effectuer cette opération.

Mme Isabelle Debré - Il existe pourtant des logiciels appropriés.

Mme Annie Thomas - Bien sûr, et cette opération pourrait même être réalisée à la main. J'insiste sur les OPCA interpro, parce qu'il faudrait régler certains points. Aucune raison ne justifie ainsi que les FONGECIF bénéficient d'un traitement spécifique. De même, la double présence d'un OPCA-MEDEF et d'un OPCA-CGPME n'a pas de sens.

Je considère maintenant le reste, c'est-à-dire les quarante et un OPCA pro, ou de branche : chimie, métallurgie (OPCAIM), agriculture... Certains épousent la frontière d'une branche, assurant ainsi une vraie cohérence entre une politique de branche et le collecteur. Ce système ne tient cependant pas compte des petites branches et donc de leurs faibles moyens, des petits OPCA, d'une mutualisation restreinte et de services réduits. De plus, certains OPCA recoupent plusieurs branches dont les politiques peuvent être différentes. Cette différence peut susciter des conflits au sein des OPCA. Faut-il donc plaider pour un « URSSAF de la formation professionnelle », soit un organisme collecteur central ? Nous ne sommes pas parvenus encore à ce point, mais nous y avons parfois pensé. Nous considérons cependant que l'OPCA, en tant que tel, pourrait être un excellent outil de branche ou de territoire. Il apparaît logique que la branche possède les outils de sa politique. La réforme repose d'ailleurs essentiellement sur une logique de branche. Nous ne sommes donc pas opposés au principe mais nous pensons qu'il faut résoudre le problème au niveau interprofessionnel. En effet, le conseil régional possède au moins trois interlocuteurs. Il faut par ailleurs être très pragmatique et plaider pour des OPCA de dimension supérieure, en baissant légèrement le nombre. Ainsi, ils pourront assurer les services définis dans la réforme. Existe-t-il des intérêts d'argent ? Certainement. Nous constatons aussi un certain refus de partager les modes de gestion, à l'instar des communes.

Mme Isabelle Debré - Je ne pensais d'ailleurs pas seulement à des intérêts financiers. Si cette organisation ne profite qu'aux OPCA, c'est regrettable.

Mme Annie Thomas - Il est peu profitable aux salariés. Il est difficile d'y trouver une plus-value. En revanche, plus l'OPCA est important, plus il détient les moyens de sa politique. Il apparaît donc une forme d'incohérence dans le mode d'organisation choisie par les partenaires sociaux. Pour la CFDT, elle représente une forme d'affaiblissement de la place des partenaires sociaux en région, en raison de son éclatement.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous avez émis l'hypothèse d'une « URSSAF de la formation professionnelle ». Le problème ne pourrait-il pas être réduit par le renforcement du rôle du FUP ? Cette réponse éviterait de créer une instance supplémentaire. De plus, l'URSSAF présente des limites.

M. Jean-Luc Gueudet - Je ne siège pas au FUP, mais je pense effectivement qu'il vaut mieux utiliser ce qui existe et fonctionne déjà, et un lieu où les partenaires sociaux ont l'habitude de travailler, et de procéder à des arbitrages sur des financements de dossiers. Il serait envisageable d'élargir les compétences du FUP, déjà habitué à travailler avec l'ensemble des OPCA. Centraliser la collecte permettrait de recentrer les OPCA sur leur rôle de conseil et d'ingénierie, et d'éviter des intérêts de gestion propres aux branches. Dans le système de protection sociale, le fait que l'URSSAF collecte les cotisations n'empêche pas les caisses d'allocations familiales de mener leurs propres politiques, ni d'ailleurs la sécurité sociale dans son ensemble. Nous pourrions nous rapprocher de ce fonctionnement.

Mme Valérie Létard - Comme mes collègues, je souhaiterais d'abord vous remercier pour la précision de vos propos et votre vision d'ensemble. Concernant la gouvernance régionale, dont nous avons discuté avec les intervenants précédents, je partage entièrement votre vision visant à éviter les « zones d'ombre » dans le dispositif. Il est en effet essentiel que chacun puisse accéder à la formation dans les meilleures conditions, quel que soit son statut et les crédits existant pour financer cette formation. Il est utile de mutualiser les moyens pour que demain nous puissions mieux orienter les moyens en fonction des besoins, très identifiés territorialement.

Par ailleurs, vous avez parlé de trois acteurs principaux dans cette gouvernance régionale. Nous nous demandions précédemment comment éviter un surnombre d'OPCA, pour réduire le nombre d'acteurs dans les discussions à l'échelon régional, et aboutir ainsi plus facilement à une solution. Vous avez formulé des propositions très intéressantes, et qui répondent à nos interrogations.

Le choix du chef de file pose un autre problème. Les régions revendiquent ce rôle parce que la compétence leur est transférée. Cette revendication pourrait d'ailleurs être envisageable si l'on définit la notion de chef de file. Être chef de file ne revient pas à décider pour les autres mais à assumer la coordination d'une politique de formation et à mettre en réseau des partenaires et des outils. S'accorder sur cette notion permettrait de lever de nombreuses inquiétudes auprès des acteurs territoriaux. Ce point est un élément clé, car aujourd'hui chacun est frileux parce qu'il tient au respect de ses prérogatives et de sa légitimité. Cette attitude est d'ailleurs normale. Je tenais à souligner cet aspect, car je crois que le blocage et la difficulté des régions et des départements à travailler ensemble, proviennent de cette revendication à décider par soi-même de sa politique, selon les publics choisis et les moyens disponibles. Elle explique également la difficile collaboration de la région finançant éventuellement la formation qualifiante pour le public RMIste. En effet, il faut mutualiser les moyens et partager les compétences, quelles que soient les sensibilités politiques. Dans ma région, toutes les institutions affichent d'ailleurs les mêmes tendances et la situation n'est pas plus simple qu'ailleurs.

Par ailleurs, vous avez indiqué à juste titre qu'aujourd'hui, 150 000 jeunes sortent du système scolaire, et leur sort est inconnu. Comment concevoir une sortie du système scolaire, sans aucune perte ? Vous avez cité la Suède pour les jeunes arrivés au bac. Cependant, les jeunes quittant le système entre leurs seize ans et le bac ne se rendent pas aussitôt à la mission locale, puisque personne ne les y envoie obligatoirement. Ne peut-on pas imaginer un dispositif systématique, avec l'éducation nationale, permettant à toute personne sortant du système scolaire de bénéficier d'un premier bilan de compétences et d'une première orientation vers la mission locale ou un organisme de formation ? Si ce système existe, est-il appliqué et généralisé ? Ne devrait-il pas faire partie des missions obligatoires de l'éducation nationale ? Je pose la question.

M. Jean-Claude Carle, président - Avant de vous laisser répondre, je souhaiterais compléter ces questions. Pour la gouvernance, la région me semble être le niveau adapté de territorialisation. Je choisis volontairement ce terme, pour ne pas entrer dans des problèmes de compétences, de cohérence et de chef de file. La mise en place des actions ne doit-elle pas se situer cependant à un niveau inférieur, notamment au niveau du bassin de formation (qui correspond quasiment au bassin d'emploi) ? Ce qui vaut pour la formation continue vaut aussi pour la formation initiale. Ce niveau redonnerait au PRDF (plan régional de développement des formations) tout son rôle et toute sa dimension. Il permettrait également d'améliorer la situation, notamment par rapport au problème de l'orientation. L'orientation aujourd'hui procède par échecs successifs et est plutôt subie que voulue. La mise en application, avec la mise en réseau des établissements de formation initiale et continue, tous types d'enseignement confondus (agricoles, privés, publics...), ne devrait-elle pas se décliner à ce niveau ?

Mme Sylvie Desmarescaux - Je suis d'accord sur le rôle de chef de file du niveau régional, mais à un niveau inférieur, les maisons de l'emploi ne sont-elles pas une solution ? Je vous félicite également pour votre intervention.

M. Jean-François Humbert - Le niveau régional semble emporter le consensus. Il comprend un conseil régional, certes, mais aussi un Conseil économique et social régional (CESR), qui se plaint régulièrement de ne pas être consulté sur les grandes questions. Le but n'est pas de priver les conseillers régionaux de quelques pouvoirs, cependant ce chef de file, autrement dit l'acteur qui oriente, supervise et organise le débat, ne pourrait-il pas être le CES régional, qui trouverait ainsi enfin un vrai rôle ?

Mme Annie Thomas - Je commence par préciser qu'il ne faut pas se tromper sur le rôle de la gouvernance. Elle n'est pas un lieu de consultation mais de décision. Concernant les besoins de formation du territoire, le débat peut parfaitement avoir lieu au CESR. Une commission (à laquelle j'appartenais auparavant dans la région Midi-Pyrénées) travaille d'ailleurs sur ces questions. Vous auriez également pu me proposer le COCOREF (Comité de coordination régional de l'emploi et de la formation). Ce sont des lieux de décision des financeurs. Simplifions le paysage et soyons lucides. Lorsque l'on décide une politique, il faut se poser la question du propre poids de sa contribution. Il vaut mieux savoir que le financeur défend désormais plusieurs intérêts. Certains acteurs ne peuvent d'ailleurs même plus plaider pour les propres publics, comme les conseils généraux pour l'accès à la formation des RMIstes. Ayant accepté le système de mutualisation, il faut définir les priorités pour son propre territoire. Les priorités et l'organisation seront différentes en Île-de-France ou dans le Limousin, et même à l'intérieur de l'Île-de-France.

M. Jean-François Humbert - Le CES est chargé des consultations, et le conseil régional des décisions.

Mme Annie Thomas - Les décisions émanent d'une conférence des financeurs. Concernant la question sur le chef de file, je précise qu'il peut changer. Ainsi, dans certains secteurs, l'ASSEDIC pourrait devenir le chef de file de la formation de tous les demandeurs d'emploi et de tous les exclus, si elle en possède la compétence. Ce rôle ne doit pas obligatoirement être toujours confié au conseil régional.

Mme Isabelle Debré - La configuration pourrait varier selon les régions.

Mme Annie Thomas - Elle pourrait effectivement dépendre de l'organisation choisie pour le territoire. Nous ne sommes pas fermés concernant cette organisation.

M. Jean-Claude Carle, président - Elle varierait également selon la situation économique et sociale.

Mme Annie Thomas - Effectivement. Si l'ASSEDIC a l'habitude de traiter les questions de formation, pourquoi ne pas élargir son champ d'action aux demandeurs d'emploi (comme ils sont rattachés normalement à l'ANPE, leur formation relève du conseil régional) et aux exclus, les RMIstes ? Ce changement est possible si les acteurs et les financeurs se sont mis d'accord sur l'enveloppe et les moyens de l'atteindre. Le chef de file suit les dossiers et les met en oeuvre. Une maison de l'emploi peut se voir attribuer ce rôle.

Mme Isabelle Debré - Les compétences sont-elles présentes, cependant ?

Mme Valérie Létard - Elles sont regroupées dans l'ASSEDIC et l'ANPE.

Mme Annie Thomas - La question porte effectivement sur la compétence. J'ignore cependant qui aujourd'hui détient la compétence de la formation des RMIstes, même si je connais les centres de formation.

Mme Isabelle Debré - Personne n'en possède la compétence officielle, en tout cas.

Mme Annie Thomas - Effectivement. La conférence des financeurs présente l'intérêt d'avoir suscité un débat permettant de repérer les besoins, les financeurs, les zones d'ombre et les priorités de formation. Le travail qui en découle est considérable, que chacun accepte à son niveau : paritaires, institutionnels et État.

Concernant les jeunes en difficulté, le problème de la Suède est centré sur les jeunes n'atteignant pas le bac. En effet, les difficultés ne se présentent pas avant, contrairement à la situation française. Cette mission n'appartient pas à l'éducation nationale. Celle-ci a l'obligation d'assurer la scolarité jusqu'à seize ans, mais ne se préoccupe pas de la sortie du système scolaire avec un diplôme ou une qualification. C'est pourquoi je parlais de créer une obligation, mais celle-ci reviendrait plutôt à la nation. La nation devrait inciter l'éducation nationale à signaler ces cas, pour les orienter. Il nous appartient alors de déterminer des instances les prenant en charge, dans le cadre de la conférence des financeurs, dont doit faire partie l'État.

Cet aspect met d'ailleurs fortement en avant la question de l'orientation. Les jeunes partent en effet sans qualification, en partie parce que, dès le départ, ils ont été mal dirigés vers certaines filières. Nos collègues de l'éducation nationale nous signalent ainsi un problème très important. L'Ile-de-France, du fait de son importance, comprend un choix exhaustif de lycées professionnels et de filières, depuis le mobilier d'époque jusqu'à l'innovation technique la plus élaborée. Or ces lycées peinent véritablement à recruter des jeunes. Certains lycées professionnels s'interrogent sur leur avenir, parce qu'ils n'atteignent absolument pas le seuil d'effectif. Certaines classes et certains postes risquent ainsi de disparaître, alors qu'existe une population sans qualification, parfois à 20 km des établissements. Cependant, dans les ghettos, cette distance est parfois très difficile à franchir alors que l'offre de formation est très forte. L'objectif consiste donc à mettre en relation cette population et cette offre. Ce problème d'offre et de demande est aussi généralisé pour les demandeurs d'emploi. Nous pourrons d'ailleurs revenir en parler.

Concernant les maisons de l'emploi, des difficultés extrêmement importantes de fonctionnement nous remontent parfois, indiquant qu'elles constituent un lieu d'affirmation d'identité et de pouvoir. Elles devraient pourtant être un lieu d'affirmation du pouvoir de s'améliorer. Les maisons de l'emploi fonctionnant bien correspondent apparemment à celles où existait déjà une habitude de travail commun, par exemple à Bressuire ou dans le Boulonnais. La maison de travail de Boulogne a ainsi effectué un important travail sur les emplois saisonniers.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie très sincèrement de votre participation. Tous les sujets n'ont pas pu être abordés, donc n'hésitez pas à nous faire part de vos propositions, qui nous intéressent. L'une de vos idées me semblait très importante, concernant les personnes réticentes envers la formation. Vous avez indiqué qu'elles n'étaient pas, comme nous, des enfants heureux à l'école. Il faut effectivement se garder de reproduire les erreurs de l'éducation nationale.

Audition de MM. Olivier GOURLÉ, secrétaire confédéral, et Jean-Pierre THÉRRY, chargé de la formation professionnelle continue à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) (21 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Il n'est pas nécessaire de présenter la CFTC, que chacun connaît. Elle est un partenaire et un acteur important de la formation professionnelle. M. Gourlé est accompagné de M. Thérry, chargé de la formation professionnelle en direction des régions. Messieurs, je vous propose de vous laisser la parole pour nous faire part de votre vision de la formation professionnelle. Vous connaissez les objectifs de notre mission commune d'information : dresser un bilan de la situation et formuler des propositions, en les mettant en application. En effet, nous ne souhaitons pas nous satisfaire d'un rapport qui enrichira simplement un rayonnage de la bibliothèque du Sénat.

M. Olivier Gourlé - Je vous remercie, monsieur le président. Mesdames et messieurs, bonjour, et merci de nous recevoir pour cette question que vous avez déjà beaucoup étudiée.

M. Jean-Claude Carle, président - Plus nous sommes renseignés, plus nous avons besoin d'informations.

M. Olivier Gourlé - J'essaierai d'aborder la question sous un angle différent. Qu'est-ce que la formation professionnelle ? Est-elle une fin en soi, et un dispositif intangible au-dessus des salariés et des entreprises, dont le principe, le mode de fonctionnement ou la destination demeurent inconnus ? Ou bien s'agit-il d'un dispositif que les partenaires sociaux ont souhaité et négocié, et qu'ils mettent en oeuvre pour le bien des salariés et des entreprises ? Nous militons évidemment toujours pour la défense des salariés, mais à la CFCT, nous intégrons cette volonté dans le cadre de l'environnement économique. Toute proposition doit pouvoir donner lieu à une mise en pratique. Autrement, les salariés seraient dirigés vers des dispositifs ne présentant aucun intérêt. Pour nous, la formation constitue donc un outil. L'actualité montre malheureusement que certains cherchent à le détourner de son usage.

Il faut donc distinguer deux conceptions de l'outil : d'une part, sa mise en application concrète dans l'entreprise et, éventuellement hors de l'entreprise en cas de rupture de parcours, d'autre part, la volonté de récupérer ces milliards d'euros à disposition, pour les allouer à des actions. Cette dernière conception, de prime abord intéressante, ne l'est pas nécessairement à long terme. En effet, la formation ne peut s'inscrire que dans la durée. Des bilans sont actuellement en cours de réalisation et des groupes de travail se réunissent au sujet de la sécurisation des parcours. Mais comment effectuer par exemple un état des lieux de l'ANI ? A cette question posée dernièrement, j'ai répondu que c'était impossible pour le moment. En effet, le chiffre des contrats de professionnalisation réalisés en 2006 pourra être donné, mais il ne renseignera pas sur la manière dont ils ont été élaborés, sur les acteurs qui les ont identifiés, sur la nature de la branche et des tâches, sur la pérennité de ces emplois ou sur leur probable évolution technologique. Juger la formation professionnelle d'après les chiffres représente pour nous un mauvais calcul.

Il ne faut cependant pas les soustraire du débat. En effet, grâce au fonds et à la mutualisation, des actions très concrètes peuvent être mises en oeuvre, dont je pourrais citer deux exemples. Ces actions ne profitent pas à l'ensemble de la population, mais permettent aux salariés des entreprises concernées de conserver leur emploi, au lieu d'être en situation de chômage. Or nous croyons que l'essentiel est d'assurer aux salariés les plus grandes chances de rester à leur poste. La formation professionnelle ne constitue pas un outil que nous utilisons selon la situation, mais « tout au long de la vie ». Cette appellation n'est pas utilisée à des fins commerciales, mais est bien concrète. Pour nous, la formation professionnelle doit être débattue en entreprise, et intégrée à la GPEC (gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences), actuellement en négociation dans les entreprises.

Je constate d'ailleurs avec surprise que les délégués syndicaux ne savent pas comment négocier l'accord de GPEC. Nous nous rendons justement à Strasbourg pour animer une session de formation des délégués syndicaux. J'indique aux délégués qu'il leur faut d'abord regarder le contenu de l'ANI sur la formation. Il comporte en effet tous les outils nécessaires à la mise en place d'une GPEC : entretiens, mise en oeuvre des observatoires. Les observatoires ont pour objet d'anticiper les changements technologiques. Par exemple, il est possible de prévoir l'évolution d'un certain type d'activité dans la métallurgie, parce que des difficultés de fourniture d'acier se présenteront, et qu'il faudra préférer le plastique. Il sera donc nécessaire de former les techniciens chargés des soudures à un autre métier. Nous nous sommes ainsi dotés d'outils pour mesurer et anticiper ces changements. Ils ne coûtent d'ailleurs rien à la société, puisqu'ils proviennent de fonds issus de la formation professionnelle. Ces fonds ne sont donc pas seulement destinés à la formation, mais également à des dispositifs prospectifs.

Je n'insisterai pas sur le droit individuel à la formation, parce que mes collègues ont dû l'évoquer et qu'il est un réflexe dans les discussions sur la formation, notamment concernant sa mise en oeuvre. Nous mettons toutefois l'accent sur la période de professionnalisation, qui a tendance à être oubliée dans l'accord. Elle est pourtant un outil formidable d'accès et de maintien dans l'emploi, en particulier pour les salariés ayant plus de quarante-cinq ans, une vie active de plus de vingt ans, ou ayant connu des cessations d'activité comme des congés parentaux. La formation professionnelle a donc intégré le besoin de formation des salariés, à la fois dans le cadre de l'entreprise et en dehors.

Par ailleurs, ne faut-il pas repenser la façon dont le congé individuel de formation est utilisé, ou revoir son objectif ? Répond-il véritablement au souhait du salarié de se reconvertir ? Comment rediriger le congé individuel vers sa mission et comment aider les entreprises à monter des actions de formation qui correspondent réellement à leurs besoins, même si le financement est absent ? Cette question renvoie à celle de la formation pour les TPE de deux ou trois salariés (garage, boulangerie, épicerie). L'entreprise ne possède pas les moyens d'envoyer un salarié en formation. Cependant, malgré les idées reçues, certains dispositifs sont prévus, et certaines actions sont mises en oeuvre. J'ai tendance à penser qu'il ne faut pas noircir le tableau. Ce dispositif sera en effet efficace à terme. Les outils doivent encore se mettre en place, et il importe d'en montrer l'utilité aux entreprises. Elles doivent comprendre qu'ils permettent d'éviter les oppositions frontales lors des négociations sur le plan de formation. Il s'agit de réfléchir à la manière d'élaborer des propositions pour permettre aux entreprises l'accès de leurs salariés à des actions de formation. Le dialogue est la voie privilégiée de cette relation. Nous avons effectué de notre côté un important travail d'information auprès de nos adhérents. En effet, de nombreux chefs d'entreprise, mais également des organisations syndicales, peinent à mettre en oeuvre une priorité ou le DIF.

Voici notre vision de la formation. Nous plaidons par ailleurs depuis le début pour l'instauration du chèque formation, et l'avons inscrit dans notre statut du travailleur. Il permettrait au travailleur de bénéficier à la fois du financement et de l'accompagnement, quelle que soit sa situation. Il représente selon nous l'utilisation optimale de la formation professionnelle. Je rappelle, même si cela peut surprendre, que la formation professionnelle n'a jamais créé d'emploi. Elle permet d'y accéder et de s'y maintenir. Sauf pour les créations d'entreprises, elle est un outil à disposition des salariés, mais également des entreprises.

M. Jean-Pierre Thérry - Concernant le contenu de l'accord et de la loi, il me semble qu'il faut effectivement réellement insister sur la partie relative à la période de professionnalisation. Les premiers chiffres disponibles proviennent de l'AGEFOS-PME, dont je suis administrateur. Nous pourrons obtenir d'autres résultats en fin de semaine, après l'IPNC (instance paritaire nationale de coordination), soit la réunion des deux instances inscrites dans l'accord : l'AGEFOS-PME et l'OPCA-REG. L'AGEFOS-PME indique que 18 000 salariés sont partis en période de professionnalisation, sachant qu'ils sont en CDI, et que la période de professionnalisation apporte une qualification. Les différents rapports publiés nous laissent d'ailleurs perplexes. En effet, le chiffre de 145 000 contrats de professionnalisation de 2006 est seulement légèrement supérieur à celui des contrats de qualification de 2003. Il est donc incorrect de penser que l'accord a généré un recul de la formation des demandeurs, d'autant plus que l'État fournissait en même temps un effort sur l'apprentissage. La question des contrats de professionnalisation englobe donc aussi celle de l'apprentissage. Ma région compte par exemple très peu de contrats de professionnalisation, parce que le conseil régional a décidé de porter son effort sur l'apprentissage. Or cette région est au même niveau qu'une autre ayant axé sa politique sur le contrat de professionnalisation. La réforme a donc augmenté la formation pour les salariés d'entreprise.

Par ailleurs, le DIF commence tout juste à être mis en oeuvre. Or, tout dispositif nouveau rencontre des difficultés. De plus, pour la CFTC, le DIF visait à donner de l'appétence pour la formation à des personnes qui n'en bénéficiaient jamais. Avant la réforme, seulement 5 à 10 % des salariés des TPE partaient en formation. Or ces entreprises représentent 40 % des effectifs de salariés en France. Le système doit progressivement s'installer, et nous devons effectivement expliquer journellement sur le terrain aux salariés les raisons et l'intérêt de la création du DIF, et l'importance de partir en formation, tout comme les sénateurs se déplacent pour recueillir un maximum de voix favorables à leur tendance.

La CFTC considère qu'il convient de trouver des solutions largement en amont du moment où un problème structurel se fait jour en entreprise, d'autant plus que les outils sont disponibles. Cette attitude permettra de former des personnes en amont et de résoudre ainsi de nombreux problèmes, notamment celui de la mobilité géographique, encore peu développée en France. Cet objectif est d'ailleurs inclus dans l'accord.

M. Olivier Gourlé - Je voudrais ajouter que la situation semble souvent compliquée vue de l'extérieur, mais aussi de l'intérieur. Le salarié ignore par exemple comment bénéficier du DIF et quel doit en être l'interlocuteur. Nous devons donc fournir un immense travail pédagogique, qui ne doit pas laisser penser que l'outil n'est pas adapté. Il suffit d'en expliquer le mode d'emploi. Je souhaitais donner deux exemples, car je crois en leur vertu illustrative pour montrer le bien-fondé du dispositif.

Dernièrement, une entreprise a été rachetée par un concurrent dont l'activité était un peu différente. La question du devenir des salariés s'est donc posée. Un OPCA (qui regroupe les partenaires sociaux) s'est alors emparé du sujet. Après une étude du conseil régional, nous avons réussi à trouver des actions de formation pour l'ensemble des salariés : bilans de compétences, périodes de professionnalisation, contrats, et autres dispositifs de l'ANI. Ainsi, l'entreprise rachetée est restée en place et a de fait permis à ses salariés d'y rester. Il s'agit bien d'une utilisation d'outils à partir d'une décision politique. Je ne cherche pas tant à vous prouver que le DIF est formidable et indispensable, qu'à vous démontrer comment des dispositifs interdépendants peuvent être mis en place dans une entreprise, de façon à être efficaces.

De même, un établissement a fermé pour travaux pendant une longue période. Les salariés ont été pris en charge dans le cadre de formations, notamment de langues, puisqu'il s'agissait d'un établissement touristique. De fait, pour l'entreprise, cette période neutre est « rentabilisée », parce que ses salariés partent en formation. Elle est également intéressante pour les salariés, d'abord parce qu'ils ne seront pas licenciés mais aussi parce qu'ils vont profiter de ce moment pour améliorer leurs savoirs. Il faut un goût et une appétence à la formation, mais il importe également de valoriser l'action. Ce type d'action est possible lorsqu'elle est issue d'une véritable décision politique.

Mme Isabelle Debré - Quel était le statut des employés lorsque la société était en travaux ?

M. Olivier Gourlé - Ils étaient toujours rattachés à l'entreprise, dans le cadre négocié de plan de formation. La formation était prise en charge et leur salaire leur était versé.

M. Jean-Claude Carle, président - Le DIF ne semble pas profiter aux personnes qui en ont le plus besoin. Comment améliorer la situation ? Ne faudrait-il pas apporter une ingénierie aux salariés, mais aussi aux entreprises, particulièrement les PME ? Les grandes entreprises possèdent en effet leurs services juridiques, de formation et du personnel. Qui pourrait prendre en charge cette question ?

M. Olivier Gourlé - La pédagogie est un premier élément de réponse. Il faut ensuite aider les entreprises à accorder à leurs salariés des formations, éventuellement hors du cadre du DIF. Pour notre part, nous avons réfléchi et élaboré une stratégie. Sur un bassin d'emploi, parmi des TPE nous avons ciblé des entreprises affirmant avoir besoin d'actions de formation, de type traitement de texte ou excel. Nous avons identifié le nombre de salariés intéressés. Nous avons mis en oeuvre un module contenant les informations indispensables à une formation de qualité. Nous avons proposé aux entreprises un calendrier de sessions et indiqué que la formation était intégralement prise en charge. Ces initiatives existent donc. Lorsqu'un produit intéressant est élaboré (par les partenaires sociaux), il est possible de trouver des cofinancements et des partenariats.

Ces initiatives sont cependant peut-être plus difficiles à réaliser au niveau national. Je ne serai cependant pas étonné qu'une région propose aux partenaires sociaux un cofinancement pour un projet, non pas pour payer moins, mais parce que la demande est plus grande. Nous sommes en mesure de le faire, mais il faut simplement rencontrer les différents acteurs pour présenter des projets, puis essayer de trouver ensemble comment les mettre en oeuvre. Mon rôle consiste bien sûr à connaître les rouages du dispositif, mais surtout à savoir comment s'en servir, et à savoir aller chercher une solution chez un partenaire lorsqu'aucune ne vient, pour ensuite travailler conjointement pour être efficace.

M. Jean-François Humbert - Votre réponse est intéressante, mais elle suppose qu'une ou plusieurs organisations syndicales soit à même de jouer ce rôle. Qu'en est-il des secteurs qui n'en possèdent pas ?

M. Olivier Gourlé - En réalité ces secteurs en possèdent, mais elles ne sont pas visibles. En effet, si la formation donne une image si nébuleuse, c'est que chaque situation est différente. Nous avons essayé d'élaborer des outils s'adaptant au mieux à chacune. Certains OPCA comptent ainsi plusieurs centaines de milliers de salariés, comme celui de la métallurgie, tandis que d'autres concernent de très petites entreprises. Ceux-ci détiennent de fait une véritable expertise de leurs besoins. Il appartient alors aux syndicats qui siègent dans les OPCA d'impulser les envies. Aucune idée ne peut être réalisée si elle ne s'appuie pas sur une envie politique.

M. Jean-Pierre Thérry - J'ai également tout de suite pensé à l'OPCA. Quelle que soit l'entreprise, elle cotise à une structure. Or l'OPCA est « la » paritaire. N'oublions pas également les observatoires, figurant dans l'accord, et permettant d'analyser la situation économique d'une région. Ces outils doivent nous rendre capables de déterminer les besoins d'emplois sur chaque territoire, présents et futurs, et les évolutions. Quelle est alors la structure susceptible de traiter cette question ? Pour la CFTC, la COPIR (commission paritaire régionale) représente une structure paritaire de dialogue importante, d'autant plus qu'elle joue le rôle d'interlocuteur du conseil régional, du CESR (conseil économique et social régional), et des structures. La difficulté à mettre le DIF en place est évoquée, mais il faut également réussir à faire fonctionner les COPIR. Créées depuis une vingtaine d'années, les COPIR sont chargées d'établir une veille sur la formation et les structures d'entreprises. Elles sont difficiles à mettre en place, notamment en raison du lien entre l'AGEFOS-PME et l'OPCAREG, par rapport au fonctionnement de structures. Les régions où la COPIR fonctionne affichent des résultats. L'accord et la loi forment donc des outils susceptibles de donner des résultats.

Il convient donc d'abord de se donner le temps de mettre en place les structures. L'application de la loi sur la formation professionnelle de 1971 n'a pas été simple à ses débuts. D'ailleurs l'accord suivant est intervenu longtemps après, faisant suite à des décrets. La mise en pratique nécessitera d'autant plus de temps qu'elle s'adresse à des personnes n'ayant pratiquement jamais bénéficié de formation. Nous nous sommes accordés sur le contenu, à travers l'accord et la loi, et nous devons maintenant trouver ensemble des structures paritaires, pour montrer que nous sommes capables d'appliquer notre accord.

M. Jean-François Humbert - Comment jugez-vous le nombre d'OPCA ?

M. Olivier Gourlé - Cette question nous est souvent posée, et m'embarrasse. En effet, si le nombre d'OPCA est jugé excessif, sa réduction, et donc le regroupement, n'entraîne cependant pas nécessairement un gain en efficacité. De plus, prendra-t-elle en compte plus pertinemment les caractéristiques très spécifiques de certaines branches, et facilitera-t-elle l'accès à des financements supplémentaires ? Ce système de financements existe en toute logique pour les métiers comme la bijouterie, où les matériaux utilisés sont chers, et dont les coûts de formation sont de fait plus élevés. Les règles de prise en charge pourront-elles être communes, dans le cas d'un seul OPCA ? Le regroupement pourrait être tentant, pour prendre des décisions plus globales, mais sa pertinence n'est pas garantie. L'expertise sur une branche est aussi importante, et lorsqu'un besoin de formation s'exprime, ces OPCA spécialisés détiennent une légitimité à choisir la formation. Qui sera le porte-parole en cas d'OPCA unique ? La question du nombre d'OPCA n'est pas aussi simple qu'elle le paraît. La question de coûts est un faux problème, du fait du système de mutualisation répondant aux besoins.

M. Jean-François Humbert - Je n'ai moi-même pas d'avis et je souhaitais simplement avoir votre sentiment sur la question.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette question de regroupement est légitime. Une autre solution pourrait aussi être envisagée : renforcer le rôle du FUP, notamment en matière de mutualisation. Cette solution permettrait également de régler le problème de la transférabilité du DIF, qui se heurte à un certain nombre de réticences actuellement. Qu'en pensez-vous ?

M. Olivier Gourlé - Il s'agit toujours de cette question : changer l'outil ou la façon dont nous l'utilisons. Le fonds de péréquation donne-t-il satisfaction ? Je vais vous faire la démonstration inverse. La collecte de l'année dernière a enregistré des excédents, du fait de la mise en oeuvre du contrat de professionnalisation, qui sont revenus au FUP.

M. Jean-Claude Carle, président - Où sont dirigés ces fonds ?

M. Olivier Gourlé - Ils sont reversés au ministère de l'économie. Nous devions utiliser cet excédent. Or certains jeunes étaient en difficulté. Nous ne souhaitons pas a priori classer les publics, car, dans ce cas, chaque catégorie possède son dispositif, et le dépassement de sa catégorie est parfois très problématique (par exemple pour les plus de vingt-six ans). Les jeunes sortant de l'école sans qualification bénéficient de dispositifs, mais nombre d'entre eux sont cependant encore en dehors. Nous avons donc décidé de passer une convention avec l'AFPA et l'État, pour amener ces jeunes vers un contrat de professionnalisation et donc un métier, suite à des sensibilisations et des formations. Cette idée créait étonnamment le consensus politique, et 80 millions d'euros ont été attribués à ce projet. Ce projet, qui s'appuyait sur une volonté politique et un financement réels, s'est pourtant heurté à une problématique structurelle, au niveau du territoire régional. Les personnes pensaient ainsi que ce dispositif ne s'adressait qu'à des jeunes entrant dans un système particulier. L'idée a donc mis un certain temps à faire son chemin, puis elle a plu aux députés. Je leur ai conseillé de se mettre en rapport avec le responsable régional pour la concrétiser, et leur ai indiqué qu'ils ne rencontreraient aucun obstacle. Pour favoriser l'accès à l'emploi et aux contrats de professionnalisation aux demandeurs d'emploi, indemnisés ou non, nous avons pensé à diriger une partie des fonds vers l'UNEDIC. Nous avons donc ciblé une population et présenté des fonds pour notre solution. Il s'agissait d'une réorientation.

Par ailleurs, il faut compter aussi toutes les actions de lutte contre l'illettrisme, véritable fléau. Heureusement, l'opinion commence à prendre conscience du problème. La CFCT s'est dotée d'outils dans ce but, sous la forme de logiciels et de documents, développés en partie avec l'aide de pédagogues. Nous proposons aux entreprises de leur fournir gracieusement un produit qui permette au salarié de se rendre compte de ses éventuels manques. Il sera alors invité à suivre des actions de formation.

Nous avons également favorisé les « actions innovantes », issues d'idées situées en-dehors des dispositifs connus. Ainsi, un OPCA a souhaité effectuer une action de sensibilisation dans les collèges et les lycées (action qui existe déjà à la CFTC). Quel est par exemple le statut du bijoutier intervenant, qui sort alors de son entreprise ? Ce financement, nouveau, provient de la mutualisation, mais il peut tout de même servir aux salariés et à la formation professionnelle, parce qu'il est anticipateur. La formation professionnelle continue entretient aussi des liens avec la formation initiale. Si nous pouvons nous féliciter des 146 000 contrats de professionnalisation pour les jeunes, nous pouvons aussi nous inquiéter du fait que ce même nombre de jeunes quitte le lycée sans trouver de métier. Il est cependant difficile de régler tous les problèmes simultanément.

A partir de ces fonds, nous avons aussi instauré l'accès à un bilan de compétences et au dispositif de VAE pour un plus grand nombre de salariés. Ainsi, les partenaires sociaux ont décidé de réorienter sur des publics différents une partie des fonds excédentaires mutualisés provenant du FUP. Je ne parle pas des 175 millions d'euros dont a profité l'APFA. Nous détenons donc un véritable rôle politique. Les systèmes de mutualisation ne sont pas gênants, mais permettent au contraire de se lancer dans des chantiers, en étant parfois suivis par les régions. Nous parvenons ainsi à supprimer les catégories d'âge ou d'ancienneté, et à travailler ensemble, à partir d'un produit et de fonds.

M. Jean-Claude Carle, président - Dans vos exemples se profile en filigrane le problème de la gouvernance. Il s'agit en effet d'un domaine de compétence partagé, composé de différents acteurs situés à différents niveaux (État, régions, acteurs financiers transversaux ou organisés pour certains par branches). La gouvernance suppose un chef de file. Comment l'envisagez-vous ? L'échelon régional vous semble-t-il un bon niveau de territorialisation ? De même, le bassin de formation n'est-il pas le niveau approprié de mise en cohérence et en application de ce système, aussi bien pour la formation initiale que la formation continue ? Vous avez d'ailleurs indiqué que la mobilité géographique avait ses limites. Elle est très souvent inversement proportionnelle au niveau de formation. Pour des raisons de temps, je précise que vous pouvez nous envoyer votre contribution écrite sur des points que nous n'aurions pas abordés. Elle sera étudiée et ne restera pas lettre morte.

M. Olivier Gourlé - L'échelon le plus pertinent me semble à la fois le régional et le national. La région jouit d'une légitimité du fait de sa connaissance du territoire, de ses entreprises, de ses étudiants et de ses élèves du secondaire. Elle semble donc propre à être chef de file et organisateur dans le cadre des actions de formation intervenant sur son territoire. J'émets cependant une restriction. Cet échelon ne doit pas freiner un salarié souhaitant changer de territoire. Il doit pouvoir bénéficier d'une action de formation. Nous nous sommes d'ailleurs efforcés de rendre l'ANI très collectif et large, car, en tant qu'accord national, il doit toucher l'ensemble des salariés. Il est exclu qu'une région possède un dispositif discriminant. Par exemple, l'envie de suivre une formation de marine marchande pourrait être refusée dans une région, parce qu'elle n'a pas de relation directe avec le besoin d'emploi, même si une personne de sa famille travaille déjà dans le domaine, dans une autre région. L'action de formation financée par une région et servant à une autre peut provoquer des blocages. En cas de partenariat, nous devons veiller à ce que les dispositifs ne soient refermés sur une région. Sinon, les régions riches garderaient leur potentiel, tandis que les autres verraient partir une partie de leur population, faute de moyens d'accès à des formations.

Je conseille toujours aux entreprises de sortir de leurs carcans. Ainsi, des responsables d'une entreprise d'aide à la personne refusaient la transférabilité du DIF. Je leur avais alors indiqué qu'en cas de besoin d'embauche immédiat, ils seraient sans doute contents de recruter des salariés déjà formés par leur précédente entreprise, grâce à la transférabilité du DIF, et parce qu'ils avaient formulé l'envie de se reconvertir dans le secteur social. Ils avaient alors reconnu qu'ils seraient intéressés. Je leur ai donc demandé d'accepter que les propres salariés puissent se reconvertir dans le cadre du DIF. Il s'agit donc bien de transférabilité et de choix de société. Cependant, certains patrons exercent encore une emprise trop forte sur le salarié.

M. Jean-Pierre Thérry - Certains OPCA ont d'ailleurs déjà signé des conventions de partenariats avec l'État et des conseils régionaux, déclinés au niveau régional.

M. Jean-Claude Carle, président - N'hésitez pas à nous donner des exemples.

M. Olivier Gourlé - Vous serez surpris de constater la qualité des moyens mis en oeuvre, avec des acteurs dont on pourrait douter de leur efficacité. J'ai apporté avec moi un document sur le statut du travailleur, et un autre en braille (puisque je suis également responsable de la mission handicap) sur l'accord de la formation interprofessionnelle. Je vous remercie de nous avoir reçus.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous vous remercions également. N'hésitez pas à nous transmettre des compléments d'information si nécessaire.

Audition de M. Pierre BOISSIER, directeur général de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) (28 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Mes chers collègues, nous allons commencer les auditions si vous le voulez bien. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Pierre Boissier, directeur général de l'AFPA, que je remercie d'avoir accepté de venir devant notre mission. L'AFPA se trouve à un moment important de son histoire puisque la loi du 13 août 2004 relative aux responsabilités locales a prévu le transfert progressif aux régions des crédits de l'État consacrés aux stages AFPA. Nous vous serions reconnaissants de nous préciser comment s'opère ce transfert. De même, nous aimerions connaître le point de vue de l'AFPA, qui est un acteur important de la formation professionnelle.

Nous avons orienté nos travaux autour de deux axes : les auditions, qui se déroulent tous les mercredis au Sénat, et les visites sur le terrain. Nous sommes ainsi déjà allés en Rhône-Alpes et à Marseille et nous nous rendrons la semaine prochaine en Alsace. A cette occasion, nous rencontrerons certains de vos collaborateurs et de vos collaboratrices pour voir comment les choses se passent au niveau local.

Je vous cède la parole, monsieur Boissier, en vous invitant à nous exposer votre point de vue et à nous présenter les accords conclus avec les régions. Nous espérons également que vous nous indiquerez les évolutions que vous envisagez ; puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Pierre Boissier - Merci monsieur le président. L'AFPA constitue aujourd'hui un poste d'information particulièrement intéressant sur les questions de formation professionnelle, notamment pour les demandeurs d'emploi. Nous vivons actuellement, comme vous l'indiquiez, la décentralisation des moyens de formation que l'État gérait jusqu'à présent. Dix-huit régions ont anticipé ce transfert dans le cadre de conventions tripartites que prévoit la loi de décentralisation. Nous sommes de fait dans une situation décentralisée.

L'AFPA est, de surcroît, un organisme tripartite associant les régions, les partenaires sociaux et l'État. Son activité se déploiera, lorsque la décentralisation sera achevée, pour moitié avec les régions. Le reste sera réparti à égalité entre les actions menées en application de l'accord national interprofessionnel, notamment autour des branches et de l'assurance chômage, et celles menées avec l'État. Nous sommes ainsi au coeur des problématiques actuelles.

- Les objectifs fondamentaux de la formation professionnelle

J'aimerais vous présenter notre perception des évolutions actuelles de la formation professionnelle. Cinq objectifs fondamentaux sont poursuivis dans ce domaine.

Le premier consiste à donner à chacun les moyens de prendre en main l'acquisition et la maintenance de ses compétences. Il s'agit ainsi de responsabiliser les personnes.

Le deuxième réside dans la nécessité de consolider les capacités d'évolution des salariés face à la mobilité professionnelle.

Le troisième point est relatif aux problématiques d'orientation, pour lesquelles on constate encore de vraies difficultés, tant pour l'orientation initiale que pour l'orientation continue.

Le quatrième objectif concerne la nécessité de faciliter l'accès à la formation des moins qualifiés. L'AFPA est en effet essentiellement orientée vers les premiers niveaux de qualification.

Le dernier est relatif à l'optimisation de l'usage des fonds ; ce dernier point s'articule toutefois avec les autres.

- Les carences actuelles du système de formation professionnelle

Je voudrais ensuite présenter des éléments de constat. Le premier d'entre eux concerne l'existence de limites dans l'accès à la qualification. Deux univers distincts cohabitent dans ce domaine : celui des salariés et celui des demandeurs d'emploi. Les principaux problèmes ne se posent pas dans l'univers des salariés. En effet, l'accord national interprofessionnel a mis en place un certain nombre de dispositifs qui montent en charge. Le contrat de professionnalisation a, certes, eu des démarrages difficiles en 2005. On constate toutefois depuis deux ans que le nombre des contrats conclus connaît quasiment un doublement annuel. De même, le dispositif du droit individuel à la formation commence à monter en puissance.

En revanche, il existe encore de vrais problèmes à traiter en ce qui concerne l'univers des demandeurs d'emploi. La loi de décentralisation définit un champ de compétences pour la formation professionnelle mais elle laisse entière la question de l'organisation du dispositif. La loi n'avait pas pour objet de traiter cette question mais cette carence pose un certain nombre de problèmes. Ainsi l'accès à la formation professionnelle des demandeurs d'emploi reste largement aléatoire. L'insuffisance de l'orientation et la méconnaissance des qualifications sont problématiques. La saturation de certaines offres sur le marché de la formation pose également des problèmes incommensurables pour un demandeur d'emploi. Les délais d'attente pour une formation de plombier ou de chauffagiste peuvent atteindre huit mois voire douze.

M. Jean-Claude Carle, président - Pourriez-vous nous présenter les raisons qui conduisent à de tels délais d'attente ?

M. Pierre Boissier - Les demandes de formation excèdent les capacités disponibles, ce qui conduit à une saturation de l'appareil. Les formations prises en exemple exigent des investissements longs et coûteux dans la mesure où il faut disposer de locaux avec l'équipement adéquat. Or, l'investissement des organismes de formation ne peut accompagner l'augmentation, particulièrement forte, des besoins dans le secteur du bâtiment.

Le caractère aléatoire de l'accès à la formation se retrouve également dans le choix des instruments utilisés. Ainsi le choix du contrat de professionnalisation ou du stage qualifiant pour les jeunes est déterminé par leur interlocuteur. Les organismes de formation et les organismes d'information dépendant des OPCA privilégient le contrat de professionnalisation. En revanche, les missions locales orientent plutôt les jeunes vers les stages qualifiants.

Le financement des frais pédagogiques est également aléatoire. La formation des demandeurs d'emploi indemnisés peut être prise en charge par le régime d'assurance chômage ou par les conseils régionaux. Ces deux acteurs définissent eux-mêmes les modalités de prise en charge. Or, le régime d'assurance chômage n'assume pas les frais de formation de la majorité des bénéficiaires de l'allocation de formation qu'il délivre. On assiste ainsi à un transfert de charges vers les conseils régionaux alors même que l'assurance chômage ne consomme pas l'intégralité de ses crédits de formation.

La relation entre les conseils régionaux et l'État reste également complexe. L'allocation de fin de formation, qui prend le relais de l'assurance chômage pour les personnes en formation, reste de la compétence de l'État. Or, tous les autres fonds de formation ont été transférés aux régions. De même, la formation des personnes handicapées est prise en charge par l'État alors qu'elles sont censées avoir accès aux stages délivrés par les conseils régionaux.

Les hébergements constituent une autre source de complexité. L'hébergement est en effet une des conditions de la mobilité et de l'accès aux formations. Or on assiste à une pluralité de situations. Les conclusions du rapport sur le logement des jeunes en formation, élaboré par le comité interministériel à l'offre de logement, pourraient être étendues aux adultes en formation. Les stagiaires de l'AFPA font figure de privilégiés puisqu'ils disposent d'un logement financé par les conseils régionaux. Certaines personnes peuvent utiliser l'APL alors que d'autres en sont exclues en raison de la double résidence. Enfin, l'allocation logement social peut être mobilisée dans certains cas.

En outre, l'articulation entre les conseils régionaux et la multiplicité des acteurs intervenant dans le champ de la formation doit être précisée. Le financement des formations est également assuré par l'État, l'assurance chômage et les conseils généraux, pour les bénéficiaires du RMI. De même, la prescription de formations appartient à l'ANPE et à ses cotraitants. Il faut que les conseils régionaux reconnaissent la prescription de l'ANPE pour accéder aux stages qu'ils financent. Il faut ainsi organiser l'imbrication de la compétence de l'État, qui mène la politique de l'emploi, et celle des régions dans le domaine de la formation.

Un autre sujet qui souligne la nécessité d'une coordination est celui de l'inter-territorialité. Un des problèmes de notre marché de l'emploi est le cloisonnement, qui nuit à la mobilité géographique. Or l'emploi ainsi que certaines formations sont interrégionaux comme l'illustre le cas des travaux publics. Il existe sept gros centres de formation continue en travaux publics en France pour vingt-deux régions. Les régions d'implantation sont donc dans l'obligation de supporter des investissements extrêmement lourds.

Le dernier point que je souhaiterais aborder est le problème du statut juridique de la formation. Il est difficile de déterminer si ce domaine doit être considéré comme un marché public, comme une délégation de service public ou comme une activité devant être subventionnée. Deux conseils régionaux, en l'occurrence PACA et le Nord-Pas-de-Calais, ont décidé de subventionner après 2009, s'exposant à des risques de requalification judiciaire Les conseils régionaux ont besoin d'un cadre juridique qui n'existe pas aujourd'hui pour organiser les PRDF. Or il me semble que la formation devrait être appréhendée comme une délégation de service public.

- Les pistes à explorer pour améliorer le système de formation professionnelle

Je voudrais tout d'abord évoquer le choix fondamental de la filière professionnelle en amont. En effet, une erreur d'orientation conduit à perdre du temps, à gaspiller de l'argent public et à casser la dynamique des personnes. Ce problème est particulièrement crucial lorsque l'on aborde le cas des personnes à qualifier ou à requalifier puisqu'on se trouve dans des parcours longs et chers. Je pense notamment aux salariés d'un sous-traitant, qui travaillaient sur des presses hydrauliques dans l'industrie automobile et qui vont être formés pour devenir, par exemple, plaquistes ou maçons. Il s'agit dans ce cas de ne pas se tromper dans le choix de la filière de reconversion.

Les besoins d'emploi de l'économie et le référentiel de qualification doivent être articulés. La question de la connaissance et de la maîtrise des référentiels de qualification est malheureusement peu présente dans le débat public sur la formation. Or c'est certainement l'une des clefs qui permettrait d'améliorer les dispositifs d'orientation initiale. L'exemple des Pays-Bas est particulièrement instructif à cet égard. Ils disposent d'un organisme national de gestion des référentiels en charge de la formation initiale professionnelle et de la formation continue. L'organisme national paritaire, comprenant également des représentants de l'État, élabore des référentiels de qualification reconnus par tous. L'éducation nationale et les organismes de formation continue élaborent le contenu pédagogique et leurs diplômes avec ces référentiels de qualification. Ce dispositif permet d'adapter la formation aux besoins de l'emploi. Ainsi le métier de plaquiste, retenu comme exemple précédemment, requiert la maîtrise de savoir-faire. La connaissance des référentiels du métier de plaquiste permet de concevoir des dispositifs beaucoup mieux adaptés aux besoins d'emploi.

M. Jean-Claude Carle, président - Pourriez-vous nous indiquer qui définit les référentiels en France ?

M. Pierre Boissier - En France, la situation est complexe. Les référentiels sont définis par les différents acteurs qui délivrent des titres de formation. L'éducation nationale et les ministères délivrent ainsi des titres de formation, et le ministère du travail confie à l'AFPA le soin de définir les référentiels de tous les titres qu'il délivre. Les branches professionnelles, qui ont développé des certificats de qualification professionnelle, définissent également leurs propres référentiels

M. Jean-Claude Carle, président - Pourquoi ne ferions-nous pas comme les Hollandais ?

M. Pierre Boissier - J'y suis tout à fait favorable. L'élaboration des référentiels permet de combiner des diplômes impliquant l'acquisition de savoirs fondamentaux délivrés par l'éducation nationale et des diplômes fondés sur la mise en situation de travail. Les modèles pédagogiques ne sont donc pas les mêmes.

En outre, cet organisme national peut diffuser sa connaissance des contenus de métiers à l'ensemble du réseau d'information et d'orientation. Les conseillers des CIO de l'éducation nationale, des missions locales et des ALE, doivent avoir une bonne connaissance des contenus des principaux métiers pour que l'orientation soit efficace. Je pense qu'il faudrait mettre l'accent sur cet aspect qui est encore négligé en France.

Par ailleurs, je tiens à souligner la nécessité de favoriser un dispositif d'accès à la qualification en deux étapes pour les formations lourdes. D'abord, le conseiller de l'ALE ou de la mission locale identifie un besoin de qualification et envoie la personne auprès des services d'orientation professionnelle de l'AFPA. Ces derniers connaissent parfaitement les métiers et les processus pédagogiques qui permettent d'y arriver. Ensuite, ces spécialistes opèrent un deuxième travail de vérification de la pertinence du projet de formation et de sa mise en oeuvre. Ce sas intermédiaire permet de sécuriser le projet et le financement public. Deux niveaux d'orientation coexistent donc : le niveau généraliste et le niveau spécialiste. Ce dernier s'articule autour du bilan de compétences tourné vers l'acquis et la construction du projet de qualification tourné vers le futur. Les taux d'insertion des individus qui passent par les deux niveaux d'orientation, que ce soit au sein de l'AFPA ou des CRP, sont supérieurs de dix points environ au taux moyen du marché sur les mêmes types de population. L'existence de ces deux niveaux est, par conséquent, un élément important de sécurisation des formations. Ainsi Jean-Louis Borloo a confié à l'AFPA le soin de piloter les contrats de transition professionnelle. Les individus concernés par ce dispositif doivent en effet combler l'écart entre leurs compétences au moment du licenciement et les compétences dont ils ont besoin pour retourner à l'emploi. Nous avons ainsi instauré des équipes mixtes composées de conseillers de l'ANPE et de l'AFPA qui intègrent ces deux niveaux.

Le deuxième élément d'amélioration concerne les modalités de responsabilisation des individus dans leur démarche de formation. Les demandeurs d'emploi sont prisonniers d'un système très complexe et cloisonné qui nourrit leur passivité. Il faudrait passer à une logique de droit individuel voire de coresponsabilité. Toutefois la généralisation d'un droit individuel à la formation pour les demandeurs d'emploi sur le modèle du DIF est impossible. Le DIF est limité à vingt heures annuelles alors qu'une formation qualifiante lourde représente six cents à mille heures, soit cinquante ans de capitalisation. Une assurance individuelle de qualification, reposant sur une combinaison de capitalisation et d'intervention de fonds publics, devrait être mise en oeuvre. Cette assurance pourrait intervenir en cas de rupture dans le parcours professionnel qui requiert une requalification. Ainsi on pourrait concevoir d'ouvrir un compte de qualification au moment de la première inscription à l'assurance chômage ainsi qu'à la sortie du système scolaire pour les jeunes sans diplôme. La logique de droit individuel permet en effet de motiver les individus qui deviennent responsables de leur projet.

La logique d'indemnisation resterait la même mais on pourrait concevoir un système alimenté par le transfert du DIF. La somme initiale servirait à déclencher l'intervention publique de l'assurance chômage ou des conseils régionaux. En outre, la montée en puissance de l'assurance chômage pour les indemnisés permettrait aux conseils régionaux de consacrer leur argent aux non-indemnisés et de régler le problème des primo accédants au marché de l'emploi. Les organismes paritaires collecteurs agréés finançant les contrats de professionnalisation auraient également vocation à participer à ce système. En définitive, la primauté reviendrait au projet de qualification qui conditionne le versement de fonds publics sur le compte individuel.

Le troisième élément est relatif au pilotage et à la gouvernance du système. En effet, tout système d'individualisation de la formation nécessite une maîtrise financière et un contrôle de la qualité. La relation entre l'offreur et le consommateur est inégale dans cette activité. D'un côté se trouve un chômeur parfois non qualifié et de l'autre une offre peu transparente et complexe. Or les coûts des formations sont tels que le marché de la qualification doit être organisé. Cette régulation du marché est tout à fait conforme aux prescriptions de la Commission européenne. La directive « marchés publics » a mis en oeuvre un dispositif spécifique pour les formations. De surcroît, la Commission a exclu la formation continue du champ de la directive « service ». Il est dès lors possible d'organiser ce marché. Le recours à la procédure de délégation de service public semble bien adapté. Une telle organisation débute par une étape de prescription initiale pour les formations qualifiantes lourdes. Elle s'accompagne d'une labellisation de stages, confiée soit aux ASSEDIC soit aux conseils régionaux, permettant de rendre effective la logique des plans régionaux de développement des formations. Ainsi, l'identification d'un besoin permettrait l'activation des fonds publics sur un compte de formation répondant à cette demande. En outre, on pourrait instaurer une agence administrative indépendante définissant le champ du service public de la formation qualifiante. Elle pourrait ainsi garantir aux autorités de Bruxelles le libre accès des opérateurs dans ce secteur à condition qu'ils respectent les règles en vigueur.

En dernier lieu, il convient d'organiser le tripartisme entre l'État, les conseils régionaux et les partenaires sociaux. La cohérence territoriale est essentielle et doit s'organiser autour des régions d'après la loi. Or les partenaires sociaux doivent renforcer leur légitimité au niveau régional. Leur représentation est malheureusement éclatée au sein de divers organismes tels que les ASSEDIC ou les OPCA. Les acteurs doivent en outre reconnaître le rôle des conseils régionaux. La régulation doit ainsi être nationale mais la gouvernance opérationnelle doit s'opérer à l'échelon régional.

Enfin, il faudra également repenser l'articulation entre la formation initiale et la formation continue même si cela n'est pas l'objet de cette mission.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie monsieur Boissier. Je considère également que cette articulation est indispensable.

L'approche en termes de droits individuels me semble très intéressante. Toutefois, la multiplicité des financeurs constitue un véritable problème. Comment pourrait-on harmoniser le système pour faire émerger un décideur principal ? Ne pensez-vous pas que le fonds unique de péréquation (FUP) pourrait être l'organe de mise en cohérence du financement ?

M. Pierre Boissier - L'existence d'un décideur unique en matière de financement ne me semble pas indispensable. Il est en effet possible de concilier les différentes approches des financeurs. Le régime d'assurance chômage va privilégier les stages orientés vers un retour rapide à l'emploi. Les conseils régionaux peuvent avoir une vision plus structurante et prospective des besoins de qualification sur leur territoire. Des objectifs complémentaires peuvent ainsi être poursuivis sous l'égide du conseil régional.

Par ailleurs, le FUP n'est pas nécessairement le lieu le plus pertinent pour le pilotage de la formation dans la mesure où il est surtout dédié aux salariés. Or le mode de financement des salariés a besoin d'être stabilisé. En outre, je centre mon propos sur la situation des demandeurs d'emploi. Le FUP est incontestablement un contributeur pour la formation des demandeurs d'emploi, notamment par la prise en charge des frais pédagogiques des contrats de professionnalisation. Toutefois, il n'a pas vocation à être la caisse unique en charge de la gestion de comptes individuels de formation. Je pense que cette gestion devrait plutôt être du ressort des URSSAF ou de l'assurance chômage.

M. Jean-Claude Carle, président - J'aspire à trouver les moyens de rendre plus simple le système actuel en vue de le rendre plus efficace. Les problèmes actuels viennent de la lourdeur des dispositifs et de leur manque de réactivité ; toutefois, la simplification extrême est parfois utopique.

J'aimerais que vous nous indiquiez les moyens de clarifier la labellisation des formateurs. La situation actuelle est, en effet, caractérisée par la multiplicité des acteurs. Il suffit pratiquement de se déclarer pour être reconnu comme formateur, ce qui conduit à des abus. Qui est actuellement en charge de prononcer l'agrément ?

M. Pierre Boissier - Le ministère du travail est actuellement responsable des labellisations.

M. Jean-Claude Carle, président - Comment pourrait-on améliorer la situation actuelle ?

M. Pierre Boissier - Il serait, à mon sens, contre-productif d'imposer des barrières à l'entrée sur le marché des formations courtes, telles que les formations linguistiques. Une intervention ne s'impose pas puisque les enjeux sont limités et que les individus ont la capacité d'apprécier la qualité des formations proposées. En revanche, une régulation s'impose pour les individus disposant d'un faible niveau de qualification ou fragilisés par une situation de chômage. Elle s'impose également pour les formations qualifiantes sanctionnées par un titre ou un diplôme. En outre, le nombre des organismes diminue fortement dans le dernier cas, ce qui facilite la régulation.

L'organisation de cette régulation au niveau national nous est imposée par la Commission européenne au travers de la transparence des marchés. Il faudrait définir les critères de la labellisation qui sont indissociables de l'intérêt général. On pourrait ainsi citer l'accessibilité des formations, la non-discrimination à l'entrée des personnes ou le caractère qualifiant des formations. Il faudrait également s'assurer que les critères définis soient appliqués par les conseils régionaux sans que cela ne conduise à fermer le marché à des opérateurs étrangers. Ensuite, il incomberait aux conseils régionaux de labelliser les stages qui répondent aux besoins de leurs territoires.

M. Jean-Claude Carle, président - Ne pensez-vous pas que l'on puisse encourager la mutualisation des infrastructures afin de favoriser les économies d'échelle ? Je pense notamment aux lycées professionnels ou aux centres de formation des autres organismes tels que les CFA ou les chambres consulaires.

Je partage également votre avis sur la pertinence du niveau régional pour assurer la cohérence de la formation professionnelle. Toutefois, ne pensez-vous pas que le niveau du bassin d'emploi pourrait être le niveau le plus pertinent pour mettre en réseau tous les établissements ? Je pense notamment à l'articulation entre la formation professionnelle pour adultes et la formation initiale dans la mesure où les investissements sont énormes. Je me souviens d'avoir procédé à la rénovation d'un lycée professionnel pour un montant de 120 millions de francs. Ce type d'équipement ne peut pas être utilisé huit ou seize heures par semaine si on souhaite rentabiliser l'investissement.

M. Pierre Boissier - L'AFPA a essayé de partager des équipements avec des lycées professionnels. Toutefois, les modalités d'application ont été très complexes en raison de la différence dans la durée des parcours de formation. Vous avez raison, en revanche, dans la mesure où l'on peut créer des pôles de regroupement. L'amélioration du maillage de l'offre me semble être une piste particulièrement intéressante à explorer. En outre, c'est la première fois que nous avons l'opportunité de procéder à cette rationalisation en France. En effet, les conseils régionaux ont la compétence sur les lycées professionnels et un droit de regard sur les centres de formation des apprentis. Ils ont également la possibilité de financer les investissements des organismes de formation dans le cadre du PRDF. Dès lors, ils ont les moyens d'imposer une collaboration entre les différents acteurs de la formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Cela renforcerait la proposition d'une gouvernance opérationnelle sous le contrôle des conseils régionaux.

M. Pierre Boissier - Vous avez raison. Par contre, cette solution ne permettrait pas de régler le problème des équipements interrégionaux qui doivent bénéficier d'une mutualisation financière nationale. Le législateur avait renvoyé à des conventions, conclues entre les conseils régionaux, le soin de régler la mobilité interrégionale des stagiaires. Or aucun accord n'a été trouvé alors même que vingt et une régions sont détenues par des élus appartenant au même parti politique.

M. Jean-Claude Carle, président - Il existe un effet de bordure pour les équipements situés entre plusieurs collectivités territoriales. Je me souviens que nous avions étudié la possibilité de construire un lycée général ou technologique en bordure de la région Rhône-Alpes, au nord de l'Ain. Cet établissement a finalement été construit en Côte-d'Or sur l'autre rive de la Saône. L'effet de bordure avait entraîné des difficultés.

M. Pierre Boissier - Au niveau de l'AFPA nous avons constaté que des accords avaient été conclus entre les régions du Grand Ouest. Toutefois, la situation est beaucoup plus compliquée lorsque l'on aborde le problème au niveau national. Je partage ainsi l'inquiétude du conseil régional du Limousin pour le financement de son centre de formation en travaux publics. Or le Limousin est un lieu propice aux travaux publics en raison de l'espace disponible. Il faut peut-être chercher la solution dans la mutualisation financière nationale. Je me souviens que la création d'un fonds de péréquation avait été évoquée au cours des débats sur la loi de décentralisation de la formation

M. Jean-Claude Carle, président - Les régions ont vocation à piloter la formation puisqu'elles élaborent le PRDF. Ce document doit être l'instrument de mise en cohérence des formations initiales et continues. Or, on constate qu'il y a des doublons entre les lycées professionnels et les CFA. Les régions ayant investi dans les lycées professionnels sont enclines à vouloir les rentabiliser. Il faudrait pouvoir coordonner les activités pour éviter des situations de conflit

Mme Isabelle Debré - J'aimerais que vous développiez, si vous le voulez bien, votre idée de compte de qualification. C'est une idée nouvelle que je n'ai pas entendue jusqu'ici. Pourriez-vous nous indiquer plus précisément son contenu et les modalités de sa mise en oeuvre ? Je comprends que cette idée est personnelle mais notre rôle est justement de trouver de nouvelles pistes.

M. Pierre Boissier - Tous les mécanismes de droits individuels évoqués actuellement posent des problèmes financiers dans la mesure où le coût pour la collectivité serait considérable. Ces problèmes sont particulièrement aigus pour les primo accédants qui n'ont pas constitué de droits. L'idée serait ainsi de substituer une logique assurantielle à l'idée d'un droit général à la formation, empruntant la forme d'un plan épargne-formation. En effet, le besoin de formation se fait sentir en cas de rupture professionnelle et de requalification. Il semble ainsi que la réponse appropriée pourrait s'inspirer du système de sécurité sociale dans lequel les comptes ne sont activés qu'en cas d'accident.

Un tel compte serait alimenté par le transfert du DIF lors du licenciement. On pourrait sans doute transférer le DIF vers un compte formation qui serait ensuite abondé lors de la rupture professionnelle par les OPCA, par le régime d'assurance chômage et par les conseils régionaux. Toutefois, le droit ne serait constitué qu'au terme de l'élaboration d'un projet de formation dont le financement dépendrait de l'outil mobilisé. Ainsi les OPCA financeraient les contrats de professionnalisation adultes ; l'assurance chômage financerait les formations des chômeurs indemnisés et les conseils régionaux financeraient les formations des chômeurs non indemnisés.

Mme Isabelle Debré - Vous évoquez également dans votre projet la notion de responsabilisation des individus. Or, j'ai pu constater, au cours de nos auditions, que nombre d'individus ne participent pas aux formations pour lesquelles ils sont inscrits. Comment responsabiliser les individus sans aller jusqu'à recourir à des sanctions ?

M. Pierre Boissier - Je pense en premier lieu qu'il est illusoire de vouloir forcer la formation.

Mme Isabelle Debré - Ils sont toutefois consentants au départ. Je souhaiterais connaître les moyens de responsabiliser les personnes qui ont accepté la formation.

M. Pierre Boissier - La première idée consiste à ne pas mettre en oeuvre un projet de formation auquel les individus n'adhèrent pas.

M. Jean-Claude Carle, président - Le projet doit être partagé.

M. Pierre Boissier - Le projet doit effectivement être partagé car la motivation est un élément clé de la réussite. Dès lors, on ne peut pas forcer la formation en fonction des besoins de main-d'oeuvre. Ainsi le secteur de l'hôtellerie connaît actuellement de fortes tensions en raison de la pénurie de main-d'oeuvre. On ne peut toutefois pas orienter tout le monde vers ce secteur sous peine de s'exposer à un fort taux d'échec.

Les mécanismes de type assurantiel que j'ai évoqués ont l'avantage de coresponsabiliser tout en introduisant une véritable flexibilité. On peut concevoir ainsi que le salarié verse son indemnité de préavis sur son compte et la mobilise dans le cadre de sa formation. De même, on pourrait considérer que les primo-accédants apportent une contribution symbolique.

Je suis toutefois plus réservé sur la notion d'emprunt, telle qu'elle existe dans d'autres pays, pour financer les parcours de formation. Les demandeurs d'emploi à faible niveau de qualification auront du mal à accepter de souscrire un emprunt pour financer leur requalification.

M. Jean-Claude Carle, président - On pourrait recourir à des exonérations fiscales.

Mme Isabelle Debré - Il conviendrait d'instaurer des incitations encourageant la motivation du candidat.

M. Pierre Boissier - Je pense que le compte individuel tel que je vous l'ai présenté permettrait d'arriver à ce résultat.

M. Jean-Claude Carle, président - Il s'apparente à un fonds de sécurisation professionnelle.

M. Pierre Boissier - Je le crois en effet.

Mme Isabelle Debré - J'aurais voulu trouver une solution pour remédier aux défections au sein des formations. Il arrive fréquemment qu'un individu accepte une formation et qu'il ne s'y présente pas pour une raison qui ne tient pas à une erreur d'orientation. Nous avons pu constater, au cours de nos auditions, que lorsque cinquante candidats sont auditionnés, cinq ont réellement accès à une formation. Or, un seul des candidats retenus se présentera au début de la formation. Vous comprendrez que je souhaite trouver un moyen de résoudre ce problème. Je conviens qu'il soit inapproprié de recourir à des sanctions. Auriez-vous dès lors des suggestions à formuler pour instaurer des incitations ?

M. Pierre Boissier - Je pense que le projet professionnel n'a pas été consolidé en amont dans les cas que vous évoquez. On constate des taux d'abandon à l'AFPA mais ils ne sont pas aussi élevés que vous l'indiquez. La consolidation du projet professionnel permet d'éviter des taux d'abandon importants. Les plus forts taux que nous enregistrons concernent les formations pénibles comme celle de chaudronnier. Ils se situent aux alentours de 30 %. Encore faut-il tenir compte des abandons justifiés en cas de reprise d'emploi ou de maladie. Dès lors, on constate des taux d'abandon qui se situent autour de 10 %.

Il est toujours possible que les individus se rendent compte que la formation proposée ne leur correspond pas. On peut envisager de mettre en oeuvre une coresponsabilisation financière pour prévenir des défections.

M. Jean-Claude Carle, président - Je pense que la responsabilisation doit être organisée en amont. Il existe des cas d'abandon pour les personnes qui se servent des dispositifs pour prolonger leurs droits à l'indemnisation.

Mme Isabelle Debré - Exactement.

M. Jean-Claude Carle, président - Le remède serait alors de suspendre les droits en cas de manquement caractérisé aux obligations de formation.

Mme Isabelle Debré - J'aurais souhaité que ce point soit abordé mais il ne l'a pas été.

M. Jean-Claude Carle, président - C'est aux responsables politiques qu'il incombe de formuler ce constat.

M. Pierre Boissier - Je saisis mieux votre problématique. Je crois toutefois qu'il s'agit du problème de la rémunération qui est distinct des questions que j'évoquais. Je pense qu'il faudrait organiser le maintien du niveau de rémunération de la personne en formation. Ainsi un chômeur indemnisé devrait conserver son niveau de rémunération même s'il entre en formation. L'un des effets pervers typiques se trouve dans l'indemnisation des handicapés qui disposent d'un barème particulièrement attractif quand ils entreprennent une formation. L'entrée en formation est, dès lors, motivée par le barème de rémunération au lieu de reposer sur un projet de formation. Il faut donc lisser les niveaux de rémunération pour éviter ces effets pervers.

Mme Isabelle Debré - Le fait de lisser les niveaux de rémunération ne résout pas tous les problèmes. En effet, le fait d'entrer en formation permet de prolonger l'indemnisation par l'assurance chômage.

M. Pierre Boissier - Je ne partage pas votre analyse. Les chômeurs qui épuisent leur allocation de retour à l'emploi peuvent disposer d'une allocation de fin de formation versée par l'État. Toutefois cette allocation n'est pas automatique ou indispensable.

Mme Isabelle Debré - Je voudrais une incitation pour conduire les personnes à respecter leurs engagements en matière de formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Il faudrait une sanction financière pour ceux qui ne respectent pas leurs engagements.

Mme Isabelle Debré - Voilà.

M. Jean-Claude Carle, président - La responsabilisation est importante à condition que l'orientation en amont soit pertinente. Il est difficile de tenir un individu pour seul responsable en cas d'orientation vers un métier qui ne lui correspond pas, ou vers un secteur qui n'offre pas de débouchés.

Avant de clore cette audition, je souhaiterais vous poser une dernière question. Le problème de l'hébergement me semble fondamental car il constitue un frein pour l'accès aux formations. N'y aurait-il pas matière à procéder à une mutualisation pour construire des résidences ouvertes à différents publics ? Je me souviens m'être trouvé dans l'obligation de commander la construction d'internats pour les résidences. Or rien n'est prévu pour les élèves en alternance alors que leur situation est souvent plus difficile.

M. Pierre Boissier - Je suis en parfait accord avec vous sur ce point. Nous sommes, du reste, en train d'étudier cette question avec les conseils régionaux pour les hébergements de l'AFPA. Nos stagiaires étaient, jusqu'ici, hébergés gratuitement et il nous était interdit d'accueillir d'autres stagiaires. Nous examinons actuellement les moyens de lever ces contraintes afin d'héberger, par exemple des apprentis lorsque des places sont disponibles.

Je vous rappelle que le rapport du comité interministériel sur l'offre de logement est particulièrement intéressant pour éclairer cette problématique. Il préconise de confier aux régions un rôle de pilotage dans l'attribution des logements pour les personnes en formation. Il semble important d'avoir une autorité responsable de l'offre d'hébergements pour les stagiaires. Les régions semblent être les chefs de file désignés puisqu'elles sont responsables des internats des lycées, des CFA, et de l'AFPA. La loi de décentralisation a, du reste, transféré aux régions les moyens de l'État consacrés à l'hébergement.

Il faut également repenser les modalités d'attribution des aides au logement qui n'intègrent pas les problématiques de la formation. J'évoquais ainsi les problèmes de la double résidence dans l'attribution des APL. La mobilisation de l'allocation de logement social est également complexe. En outre, il n'y a pas d'harmonisation dans la taille des logements. Or l'APL ne peut être versée que pour un logement excédant 14 m 2 alors qu'un module de 9 m 2 est suffisant pour un apprenti de l'AFPA. Le système n'a pas été conçu pour ce type de public ; ce qui laisse des failles dans le système de prise en charge du logement.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie monsieur Pierre Boissier. Il reste encore des domaines à aborder, notamment celui de la commande publique. Je vous invite à nous faire parvenir des éléments à ce sujet car je suis interpellé par les modalités d'attribution de certaines formations.

Audition de Mme Sophie BOISSARD, directrice générale du Centre d'analyse stratégique (28 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie, madame Sophie Boissard, d'avoir répondu à l'invitation de notre mission afin de nous communiquer votre point de vue. Vous êtes directrice générale du Centre d'analyse stratégique et vous travaillez particulièrement sur les questions de prospective. A ce titre, vous étudiez les évolutions du marché du travail qui sont d'un grand intérêt pour nous. Je vous laisse la parole puis nous vous questionnerons si vous le voulez bien.

Mme Sophie Boissard - Je vous remercie monsieur le président pour ces quelques mots d'accueil. Je tiens également à remercier mesdames et messieurs les sénateurs de m'avoir conviée à participer à cette réflexion sur l'avenir de la formation professionnelle continue. J'ai abordé cette question en ma qualité de directrice du Centre d'analyse stratégique ainsi qu'en tant qu'ancienne directrice de cabinet du ministre en charge de l'emploi. J'estime que la formation professionnelle continue est fondamentale pour modifier structurellement le fonctionnement du marché du travail.

Le Centre d'analyse stratégique, qui a pris la succession du Commissariat général au plan le 6 mars 2006, conduit des réflexions de moyen terme sur les évolutions possibles du marché du travail. C'est, du reste, à ce titre que vous m'avez demandé de venir ce matin. Nous participons activement, en outre, aux travaux du Conseil d'orientation pour l'emploi dont je suis membre es qualité.

Nos travaux relatifs aux évolutions possibles du marché du travail sont conduits au sein d'un groupe interministériel intitulé « Prospective des métiers et qualifications », qui réunit les partenaires sociaux ainsi que les acteurs du service public de l'emploi. Les études, initiées au cours des années soixante-dix, ont connu un renouveau sous l'égide de l'ancien directeur de la DARES, M. Claude Seibel, à l'initiative de M. Raffarin alors Premier ministre. Les travaux ont pour objet d'établir des projections à partir d'hypothèses médianes. Il s'agit d'identifier les évolutions possibles des branches professionnelles à l'aide de scenarii intégrant des hypothèses de croissance, de gains de productivité et d'évolution du taux de chômage. Nous avons établi, sur cette base, un scénario médian qui sert de référence pour l'élaboration des politiques publiques.

Les travaux conduits nous indiquent que nous sommes entrés dans une phase de bouleversements inédits de l'emploi, liés au renouvellement des générations. On enregistrera, d'ici 2015, six millions de cessations d'activité, quelles qu'en soient les modalités, sur l'ensemble du marché du travail. A cela il faut ajouter les créations nouvelles d'emplois dont on peut estimer qu'elles ne seront pas moindres que la moyenne des créations nettes d'emplois observées au cours des dix dernières années avec un taux de croissance de 2 %. Au total, c'est le volume global de 7,5 millions qui sera à pourvoir d'ici 2015, soit plus du tiers des emplois salariés. Aujourd'hui, nous nous situons ainsi dans une période de transition inédite. Serons-nous dès lors capables de saisir cette opportunité pour réorienter nos flux de main-d'oeuvre vers les emplois à pourvoir ? L'orientation des flux entrants vers les emplois plus productifs sera, en effet, déterminante. En cas d'échec, les secteurs les plus dynamiques seraient confrontés à de vraies difficultés de recrutement alors que le nombre de demandeurs d'emploi resterait élevé. Le pire scénario n'est pas à exclure.

A l'intérieur de ce cadre global, il faut s'arrêter sur la répartition des postes à pourvoir. Cette démarche suppose d'identifier les niveaux de qualification requis au sein de chacune des grandes familles d'activité professionnelle. Ce que l'on constate, c'est que le marché du travail pourra se polariser en raison de la tertiarisation de l'économie française. Les créations d'emploi vont se concentrer aux deux extrémités du spectre des qualifications. Ainsi la moitié des créations nettes d'emploi concernera les postes de cadre, de technicien supérieur et d'ouvrier qualifié dans les métiers de services aux activités productives. L'autre moitié concernera les postes d'employés non qualifiés qui se substitueront aux ouvriers non qualifiés, dont le déclin paraît inéluctable. Cette deuxième catégorie de postes concerne tant les services aux entreprises, à l'instar du gardiennage ou de la logistique par exemple, que les services à la personne. Cette catégorie va fortement progresser en raison de la croissance des besoins dans le domaine sanitaire et social, induits par le vieillissement. En outre, elle est également nourrie par l'expansion du secteur du commerce, notamment au travers de la grande distribution.

Il est beaucoup plus délicat, en revanche, de prédire quelles seront les évolutions entre les branches d'activité économique. Cela dépend de l'évolution technologique des différents secteurs et de leur compétitivité relative par rapport à leurs concurrents. Ce qui est sûr c'est qu'il faut dépasser la catégorie des branches professionnelles, élaborée après la Guerre, dans une économie industrielle qui ne correspond plus à l'économie d'aujourd'hui. La grille d'analyse des besoins dont nous disposons doit être repensée. Ce constat renvoie aux trois questions que vous m'avez adressées. Je me propose de les aborder et je vous invite à me préciser les points que vous souhaitez approfondir.

- Les carences de l'adéquation des formations aux besoins de l'emploi.

L'analyse des besoins de formation est faite au niveau national grâce notamment aux travaux dont je viens de parler. Il intègre différents ministères : le ministère de l'emploi, le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'éducation nationale. L'ANPE, l'UNEDIC, le CEREQ ainsi que l'ensemble des partenaires sociaux y participent également. En revanche, il n'est pas fait au niveau territorial.

Les travaux effectués au niveau national ne permettent pas de définir des orientations précises sur les capacités d'accueil des filières de formation. Ils ne rendent pas non plus possible l'identification du contenu des qualifications et diplômes proposés. Je pense ainsi que la démarche initiée au niveau national doit être prolongée au niveau territorial le plus pertinent. Il me semble que la région a vocation à être le niveau adéquat. La mise en place de cet échelon régional sera toutefois complexe. Il n'est donc pas nécessaire d'organiser un échelon inférieur au niveau du bassin d'emploi, sauf pour les cas très particuliers que sont l'Ile-de-France et la région Rhône-Alpes. Les analyses prospectives locales, sur quinze ans, des besoins en emploi et en formation sont nécessaires. Les régions sont les acteurs désignés pour la conduite de ces études dans la mesure où elles disposent de la grande majorité des compétences sur ce sujet. Elles ont, ainsi, des compétences en matière de développement économique, de formation et de transport. En revanche, la superposition de différentes strates d'acteurs, dont l'assise territoriale est différente, pose de gros problèmes de coordination.

Le dispositif de pilotage des besoins de la formation est donc encore à construire. Les difficultés rencontrées, lors de l'installation du Conseil national de la formation tout au long de la vie, illustrent la carence d'un système institutionnel actuel.

- Les conséquences, pour les salariés, du bouleversement à venir, sur le marché de l'emploi

La dynamique globale que j'évoquais va être particulièrement prégnante dans certains secteurs, par exemple pour les activités bancaires et pour les assurances. Ainsi les activités de back-office, de collecte et de traitement des données, réalisées par des salariés peu qualifiés vont graduellement disparaître. Les entreprises de ces secteurs se voient dans l'obligation d'assurer la reconversion de catégories entières de salariés. Les opérateurs sur ces marchés disposent de beaucoup de moyens, de sorte que des opérations de reconversion interne de grande ampleur peuvent être menées. Ainsi dans les assurances, des salariés âgés de quarante à cinquante ans, avec un faible niveau de qualification, ont pu accéder à des reconversions vers des activités de front office, tournées vers les clients. Or ces activités ne requièrent pas le même type d'attitude professionnelle ou de compétences.

M. Jean-Claude Carle, président - Il s'agit donc de salariés qui étaient aux guichets.

Mme Sophie Boissard - Non, il s'agit de salariés qui étaient dans les bureaux et qui faisaient de la saisie. L'opération d'AXA menée sur deux ou trois mille salariés est vraiment exemplaire en la matière. Il s'agit toutefois d'un secteur particulier qui dispose d'importants moyens financiers et qui consacre traditionnellement 4 % de sa masse salariale à la formation. Les grands groupes ont, de surcroît, l'habitude de concevoir des opérations de formation. Ils consentent ainsi un effort financier excédant les obligations légales en matière de formation. Ils sont également soucieux de leur image et ne veulent pas procéder à des licenciements massifs.

Le plus remarquable est que ces opérations concernent un public difficile, qui a exercé le même type de tâches pendant quinze ou vingt ans, avec une faible qualification initiale.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous allons rendre visite aux responsables de cette opération chez AXA. Toutefois, pourriez-vous nous indiquer en quelques mots la manière dont ils ont procédé ?

Mme Sophie Boissard - Ils ont tout d'abord essayé de sensibiliser leurs salariés en s'appuyant sur les responsables syndicaux de l'entreprise. Cette démarche a permis de bien faire prendre conscience aux salariés de la disparition inéluctable de leurs métiers. Elle a également permis de motiver individuellement les salariés afin qu'ils abordent leur formation en confiance. L'un des enseignements de cette expérience est relatif aux mécanismes de validation des acquis de l'expérience. Ces salariés ne cherchaient pas à obtenir une qualification sanctionnée par un titre dans le cadre de la VAE. Ils souhaitaient disposer de nouvelles perspectives professionnelles au sein d'une entreprise à laquelle ils sont profondément attachés.

Des démarches similaires ont été menées au sein de groupes industriels tels qu'Areva. Cette société a profondément modifié son périmètre industriel consécutivement à des opérations de fusion-acquisition. Elle a donc dû se défaire d'activités qui n'étaient plus rentables en France. A cette occasion, elle a mené des opérations de requalification pour des ouvriers non qualifiés au sein de bassins d'emploi en crise, notamment en Bourgogne.

On peut ainsi distinguer trois cas de figure pour appréhender les problématiques de la formation. Le premier concerne les reconversions internes à un grand groupe, dont les effectifs dépassent mille ou deux mille salariés. En ce cas, l'entreprise a les moyens de mener cette reconversion sur son marché du travail interne. En effet elle dispose d'une ingénierie suffisante ainsi que d'une capacité de financement qui lui permet de négocier en interne le marché des formations.

Le deuxième cas est beaucoup plus complexe car il concerne les opérations menées au sein de PME. Celles-ci n'ont pas les moyens financiers et logistiques de conduire ce processus. En outre, la reconversion des salariés ne se fera sans doute pas au sein de la même entreprise. La reconversion peut alors s'opérer au sein d'une même branche. C'est notamment le cas pour la métallurgie dans laquelle les métiers de la fonderie connaissent de profondes évolutions. Certains types d'activités sont ainsi transférés vers des pays où les coûts de la main-d'oeuvre sont moindres. En revanche, les activités de fonderie haut de gamme montent en puissance. Or les entreprises du secteur sont des PMI, qui n'ont pas les moyens de mettre en place des observatoires de leur gestion pluriannuelle élaborée de leurs emplois pour les années à venir. Elles ne connaissent pas non plus le contenu des qualifications qui leur seront utiles. Elles ne peuvent donc pas organiser l'évolution de leurs salariés vers les nouveaux besoins. Un soutien extérieur est ainsi nécessaire. En l'occurrence, les reconversions s'opèrent au sein d'une même branche, ce qui facilite le processus. Toutefois les problématiques deviennent plus complexes en raison de la multiplication des acteurs. En outre l'absence d'organisation territoriale de la branche ajoute à cette complexité.

Le comble de la complexité est atteint quand les reconversions s'opèrent entre les branches. La fonderie reste un exemple pertinent dans la mesure où une partie des salariés de ce secteur ferait d'excellents ouvriers du bâtiment. En effet, certaines compétences professionnelles utilisées pour la fonderie pourraient être valorisées dans le BTP. L'opération de reconversion concerne alors deux branches qui, fort heureusement, sont structurées et puissantes. Toutefois, de façon générale, le découpage par secteur, des circuits de financement, des grilles de qualification et des opérateurs de formation, constitue un véritable handicap pour organiser la mobilité entre les branches. Il faut diriger les financements de la formation professionnelle continue vers ce type d'opérations. Nous disposons de plusieurs supports depuis l'ANI de 2003, notamment les périodes de professionnalisation ou le DIF. Il faut maintenant orienter les moyens vers les PME et les secteurs industriels qui ne peuvent organiser la reconversion de leurs salariés. En outre, nous savons que la reconversion de ce type de public se fera de préférence au sein de son bassin d'emploi d'origine. Les difficultés liées à la vente des biens immobiliers ou au travail du conjoint rendent la mobilité interrégionale très complexe.

- L'émergence d'une logique d'apprentissage tout au long de la vie

La logique traditionnelle d'une phase d'apprentissage suivie d'une trajectoire professionnelle reposant sur les acquis initiaux, est très marquée en France. Toutefois, la logique d'apprentissage tout au long de la vie va se substituer à cette logique initiale. C'est en effet une dynamique européenne qui est au coeur de la stratégie de Lisbonne. La dynamique permanente d'acquisition des savoirs est liée à la nature des cycles technologiques qui caractérisent la nouvelle révolution industrielle, depuis le milieu des années quatre-vingt. L'analyse des différents systèmes de production réalisée par Suzanne Berger est particulièrement intéressante. Cette universitaire du MIT a piloté un groupe de travail qui a étudié différents secteurs emblématiques tels que les microprocesseurs ou le textile. Elle a mis en lumière les évolutions des systèmes d'organisation et les grands modèles existants. Je vous renvoie à son dernier ouvrage, intitulé Made in monde, qui illustre l'influence de l'accélération des cycles technologiques sur l'organisation interne des entreprises ainsi que sur le contenu des emplois.

La mobilité des salariés est également croissante dans le monde, ce qui contraste avec la stabilité remarquable du salariat en France. En effet, les salariés ont en moyenne dix ans d'ancienneté au sein de leur entreprise. Je crois toutefois que nous sommes entrés dans une phase d'accélération de la mobilité, liée aux nouvelles générations. Celles-ci sont plus enclines à quitter leur territoire d'origine alors que leur enracinement dans un bassin d'emploi ou dans une entreprise est plus tardif. Cette tendance devrait d'ailleurs s'amplifier.

Notre système de formation doit être adapté pour pouvoir répondre à ces nouveaux enjeux. Pour ce faire, il faut tout d'abord instaurer un système efficace de prévision et d'orientation tant au niveau national que local. La condition de cette efficacité réside dans l'abandon de la spécialisation par publics. Le traitement de l'orientation des demandeurs d'emploi, des salariés en entreprise ou des jeunes sur le point de sortir du système d'éducation doit être identique. Nous sommes encore très loin d'atteindre cet objectif. Toutefois, il est essentiel de disposer d'un système d'orientation performant.

Il faut également assurer la qualité des prestataires de formation. Le marché est aujourd'hui extrêmement éclaté avec 9 000 organismes de formation. Quelques grands opérateurs, dont l'AFPA, ne représentent qu'une partie du marché. Nous sommes ainsi dans une incapacité totale de procéder à une évaluation rationnelle des performances de ces prestataires de formation. Cette situation est imputable au flou dans les référentiels de qualification ainsi qu'à l'absence d'un organisme dédié à cette évaluation.

La troisième condition requise, à mon sens, consiste à sortir de la logique de branche. Elle est nécessaire pour intégrer la formation professionnelle continue à la gestion du marché du travail. Plus de quatre-vingt-dix OPCA, dont quarante OPCA de branche, existent en dépit de l'amélioration substantielle apportée par la loi de 1993. Le FUP, conçu pour favoriser une mutualisation nationale et interprofessionnelle des fonds collectés, éprouve de vraies difficultés à assurer cette mutualisation.

L'abolition de la distinction entre formation initiale et formation continue me semble être le dernier élément. La période de stabilisation des 600 000 à 700 000 jeunes, qui rentrent chaque année sur le marché du travail, va s'allonger. Le passage de l'adolescence à la vie professionnelle s'étale sur dix ans chez nos voisins européens. Il est probable que cette période s'allongera en France et convergera vers la moyenne européenne. Les jeunes vont sortir du secondaire entre seize et dix-huit ans et se stabiliseront sur le marché du travail vers vingt-cinq ans ou vingt-huit ans. Or nous sommes encore aujourd'hui dans un schéma très raccourci qui tend toutefois à s'allonger. Cette période ne sera pas composée de dix années d'études concentrées dans le temps. Elle alternera des phases d'acquisition des savoirs de base, qui ne seront pas nécessairement des savoirs professionnels, et des phases d'allers-retours vers la vie professionnelle. L'alternance en entreprise et les « petits boulots » constitueront des sas d'accès à la vie professionnelle. Toutefois, la possibilité restera ouverte d'accéder à des formations complémentaires beaucoup plus tard dans l'existence.

L'organisation du financement global de cette période de dix ans mérite examen. Faut-il concevoir des droits de tirage pour le bénéficiaire ? La Suède et le Danemark ont choisi de retenir ce système. Ainsi, le Danemark reconnaît à chaque jeune un droit de tirage sur dix ans, qui emprunte soit la forme d'une allocation, soit la forme d'un prêt. Six années de formation sont ainsi garanties sur dix ans. La formation n'est pas concentrée sur un bloc car on admet qu'un jeune puisse prendre du temps pour trouver sa voie.

Mme Isabelle Debré - Est-ce au Danemark que ce système a été mis en place ?

Mme Sophie Boissard - En effet. Ce droit de tirage est mensuel donc flexible pour le jeune, qui l'emploie à sa convenance.

Mme Isabelle Debré - Qui finance ce droit de tirage ?

Mme Sophie Boissard - C'est l'État qui le finance. Toutefois, le taux d'effort global consenti par la France au travers des différents financeurs n'est pas très éloigné du taux d'effort danois ou suédois. La grande différence réside dans le fait que le système est bâti autour de l'étudiant avec un financement mixte combinant des bourses et des prêts. Chaque jeune en formation peut obtenir l'équivalent de 1 000 euros par mois, dont une partie se présente sous la forme d'un prêt remboursable.

Mme Isabelle Debré - Cette somme n'est pas très importante.

Mme Sophie Boissard - Certes.

Mme Isabelle Debré - C'est très bien.

Mme Sophie Boissard - Cela permet à chaque jeune d'être maître de son parcours, de manière relativement raisonnable. Comment pouvons-nous faire évoluer le système ? Je pense qu'il faut s'appuyer sur l'usager au lieu de s'appuyer sur les acteurs publics ou les partenaires sociaux.

M. Jean-Claude Carle, président - Il faut le responsabiliser.

Mme Sophie Boissard - Il faut lui donner les moyens de faire valoir ses intérêts. Je pense également qu'il faut partir des demandeurs d'emploi. Nous avons entamé une réflexion au sein du Conseil d'orientation pour l'emploi à ce sujet. Il nous apparaît très important d'utiliser la période pendant laquelle l'usager se trouve sur le marché de l'emploi pour étudier son projet de formation. Des financements peuvent alors être mobilisés pour organiser un parcours. La logique de responsabilisation intervient puisque la personne se trouve avec des droits de tirage et qu'elle consent elle-même à un investissement, sous la forme d'une partie de son capital ou de ses indemnités de licenciement. La demande formulée à l'égard du prestataire de formation ne sera plus du même ordre dans la mesure où l'usager aura des intérêts financiers. Je crois qu'il faut s'appuyer sur cette problématique et sur les orientations dessinées par la dernière convention d'assurance chômage. Celle-ci pose les bases pour organiser une meilleure fluidité entre les fonds de la formation professionnelle et ceux de l'indemnisation de l'assurance chômage.

Aucun acteur du système n'a, pour le moment, la main sur l'ensemble des leviers du système, ce qui conduit à une dilution des responsabilités. Vous mentionnez dans votre questionnaire l'existence de trois acteurs différents : l'État, les conseils régionaux et l'ASSEDIC. En réalité, il existe un nombre d'acteurs encore plus important.

M. Jean-Claude Carle, président - Bien sûr.

Mme Sophie Boissard - L'État lui-même n'est pas un acteur unique puisqu'interviennent simultanément le ministère du travail, l'ANPE, le ministère de l'éducation nationale et l'AFPA qui est largement sous la domination de l'État. Cela fait déjà quatre acteurs, qui ont des objectifs et des gouvernances différents. Les partenaires sociaux sont représentés au sein des ASSEDIC, de l'UNEDIC et des organisations de branche. Les financeurs regroupent les OPCA et tout le réseau des chambres consulaires. Je ne mentionne pas les conseils régionaux. Or l'absence d'un chef de file identifiable conduit l'ensemble des acteurs à se défausser en incriminant les autres.

Nous avons lancé un appel d'offres international pour faire venir en France des équipes de chercheurs multidisciplinaires. L'objectif est d'examiner les dynamiques d'emploi autour des pôles de compétitivité. Nous aimerions en effet disposer d'études précises, en utilisant ces pôles comme des laboratoires pour identifier les métiers de demain. De cette manière, nous pourrons identifier les compétences que ces futurs métiers vont requérir. Ainsi nous pourrons savoir si le service public de l'emploi et le système de formation existant sont capables de répondre aux besoins des entreprises dans ces métiers innovants. Nous avons lancé cet appel à contribution, à l'échelle européenne, avec le ministère des finances, le ministère de l'emploi et avec le concours du CEREQ. J'ai pour objectif d'avoir des résultats sur une dizaine de pôles, utilisés comme laboratoires, d'ici la fin de l'année prochaine. C'est en effet un travail de très longue haleine.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie madame Boissard. Vous avez largement répondu à plusieurs de nos interrogations.

Je souhaiterais revenir sur la notion de droit de tirage que vous avez abordée. Je me méfie de cette notion de droit, qui suppose en retour des devoirs. Ne faudrait-il pas encadrer ces droits de tirage ? On peut instaurer un droit de tirage sur dix ans à condition de mettre le bénéficiaire en garde des situations auxquelles il peut être confronté. Certaines voies sont, en effet, plus porteuses que d'autres. Ce droit de tirage doit ainsi être encadré, à mon avis, par les évolutions et les besoins du marché. Vous avez également évoqué la territorialisation au cours de votre présentation. Or nous savons bien que la mobilité n'existe pas dans les faits. N'est-ce pas une raison supplémentaire d'encadrer ce droit de tirage ? Vous nous avez indiqué, par ailleurs, que l'entrée sur le marché du travail se situera aux alentours de vingt-huit ans.

Mme Sophie Boissard - Je faisais référence à la stabilisation sur le marché de l'emploi.

M. Jean-Claude Carle, président - Une stabilisation aussi tardive nous interpelle parce qu'elle pose en amont la question du financement, si l'on réduit la partie active du travail qui finance la formation.

Je souhaite également poser une question sur le système de prévision et d'orientation qui ne fonctionne pas aujourd'hui. Vous nous avez dit qu'il fallait sortir de la logique de branche, ce qui me semble vraiment judicieux. Toutefois, l'orientation commence à l'école avant l'entrée dans le monde du travail. Ne faut-il pas sortir de la logique du ministère de l'éducation nationale qui est, aujourd'hui, centrée sur la demande sociale au lieu de l'être sur les besoins de l'économie ou de l'aménagement du territoire ?

Vous avez déclaré qu'il faut orienter les moyens vers les secteurs qui en ont le plus besoin. Est-ce le cas aujourd'hui ?

Mme Sophie Boissard - Je commencerai par cette dernière question, si vous le voulez bien. Je pense que les moyens ne sont pas dirigés aujourd'hui vers les secteurs qui en ont le plus besoin. L'argent va aujourd'hui aux plus riches.

Les grands groupes, positionnés dans les secteurs les plus profitables, peuvent consentir un effort de formation trois fois plus important que les petites entreprises positionnées sur des secteurs moins porteurs. Le secteur de l'assurance peut consacrer 4 % de sa masse salariale, soit le double de l'obligation légale, alors que l'industrie du bois plafonne à 1,7 %. Or, l'industrie du bois va connaître des restructurations beaucoup plus importantes que le secteur de l'assurance.

De même, les formations sont majoritairement dispensées aux personnes les plus qualifiées. C'est ce qui ressort des conclusions de l'étude réalisée par Pierre Cahuc et André Zylberberg. Les personnes les plus qualifiées sont les plus capables de formaliser leur besoin de formation et les plus réceptives à l'idée de maintenir leur employabilité.

Par ailleurs, je suis totalement d'accord avec vous pour énoncer que le droit de tirage ne doit pas être un droit inconditionnel à se voir financer tout type de formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous prie de m'excuser mais je pense qu'il faut le dire parce que c'est ce qui émerge dans l'inconscient collectif.

Mme Sophie Boissard - Il convient de faire émerger en France l'idée que la période de stabilisation professionnelle est longue. Elle comprend ainsi des périodes d'activité qui permettent de cotiser pour la retraite. Cette période va donc incorporer des phases nécessaires d'aller et retour entre l'activité professionnelle et les études. Or cette manière de concevoir la stabilisation sur le marché du travail est considérée normale en Europe. Elle est toutefois en opposition avec l'approche française qui concentre les études jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. Ainsi, 80 % des étudiants français ont moins de vingt-cinq ans, ce qui est exceptionnel à l'échelle européenne. En revanche, nous avons le plus faible taux d'emploi des jeunes de l'Union européenne. Cela est dû au nombre limité des emplois étudiants et au nombre limité de postes offerts en alternance par rapport à nos principaux voisins de l'Union européenne.

Le droit de tirage pourrait servir à réaliser une orientation intelligente, à mon sens. En effet, ce droit peut être exercé sur la base d'un projet professionnel préalablement validé. En outre, ce droit intègre nécessairement une partie de prêt, afin d'engager le bénéficiaire dans sa démarche de formation. Ainsi, la collectivité accompagne l'individu vers un secteur qui lui paraît pertinent. De surcroît, la collectivité peut assurer un contrôle annuel de suivi du plan de formation initiale. Ainsi le droit de tirage peut être l'instrument qui permettra de refonder l'orientation.

M. Jean-Claude Carle, président - Je suis tout à fait d'accord s'il est conçu ainsi.

Mme Sophie Boissard - Je serais favorable à ce qu'une expérimentation soit conduite. Chaque jeune sortant du système secondaire se verrait proposer une bourse pluriannuelle autour de la construction d'un projet professionnel. Ce projet ferait l'objet d'une série de validations associant des représentants du système éducatif, du monde économique ou associatif local, ainsi que du système bancaire. Cette réunion permettrait d'associer différents acteurs autour d'un projet applicable sur plusieurs années. Il me semble que ce dispositif permettrait de reconstruire complètement le système d'orientation.

Je tiens à souligner que la France consacre énormément de moyens pour financer la période de transition de la jeunesse vers la vie professionnelle. Je pense notamment aux aides au logement ou aux différentes bourses. Les moyens employés sont toutefois éparpillés parce qu'ils s'inscrivent dans des logiques de « tuyaux d'orgue ». Une vision globale de cette période d'insertion fait défaut.

Le droit de tirage doit être, selon moi, un vrai partenariat. Il offre au jeune la possibilité de poursuivre ses études sans qu'il soit dans l'obligation de se reposer sur sa famille. Ce dernier point est essentiel car il est trop souvent à l'origine de l'inégalité des chances. En revanche, on fixe avec le jeune une feuille de route opérante, que l'on peut régulièrement contrôler. Enfin, on intéresse le jeune à ce processus par le biais d'un système de prêt. Autrement dit, le jeune investit dans son avenir et il remboursera la collectivité lorsqu'il aura atteint son objectif. Je ne suis donc pas du tout dans une logique de droits opposables.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie madame Boissard. Avez-vous des questions, mes chers collègues ?

Mme Isabelle Debré - J'ai juste une remarque. J'ai beaucoup apprécié votre développement sur la responsabilisation des personnes en formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie encore, madame. Je vous invite à nous faire parvenir des compléments d'information que vous estimeriez utiles.

Mme Sophie Boissard - Je me propose justement de vous transmettre, sous dix jours, une note que nous avons préparée sur le financement du passage de la jeunesse à la vie active.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous avons des parcours itératifs aujourd'hui, au lieu de parcours continus longs.

Mme Sophie Boissard - Exactement. Nous vous proposerons également une analyse comparative des dotations en capital et des droits de tirage.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous en remercie beaucoup.

Audition de M. Jean-Raymond LÉPINAY, président de l'Union nationale des missions locales (UNML) (28 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous allons poursuivre nos auditions avec M. Jean-Raymond Lépinay, qui est président de l'Union nationale des missions locales. Je vous remercie d'avoir accepté de venir devant notre mission pour évoquer les problèmes de la formation professionnelle. C'est un problème que vous connaissez bien puisque les missions locales sont un des acteurs importants de l'orientation, de l'insertion et de la formation professionnelle des gens. Je crois qu'il y a près de 600 missions locales réparties sur l'ensemble du territoire. Or ce sont des organismes que les élus connaissent bien. Ils ont l'opportunité d'apprécier votre travail. Au cours d'un de nos déplacements à Marseille, nous avons constaté que l'action des missions locales avait permis à des jeunes, tenus en dehors des circuits, de se trouver sur le chemin de la réinsertion professionnelle. Ils bénéficient d'une initiative de partenariat avec la Société générale, pour ne citer que cet exemple. Il me semble que cela illustre le bien-fondé de votre action.

Je vous laisse la parole, monsieur Lépinay, afin que vous nous exposiez votre point de vue. Nous souhaitons le connaître dans la mesure où notre ambition est d'améliorer la situation et de mieux utiliser les crédits investis. A la suite de votre exposé, nous vous poserons des questions.

M. Jean-Raymond Lépinay - Je suis président de l'Union nationale des missions locales et, par ailleurs, vice-président du conseil général de Haute-Garonne. En effet, chaque mission locale est présidée par un élu, comme vous le rappeliez monsieur le président. Ce principe est, du reste, inscrit dans le code du travail. La loi a ainsi entendu confier aux élus la présidence des missions locales. Nos structures reposent cependant sur de nombreux partenariats.

Je m'adresse à vous au terme du dépouillement des résultats d'une enquête nationale. Nous sommes pour l'instant les premiers à avoir pu exploiter en détail les données du logiciel « parcours 3 », qui suit l'insertion professionnelle des jeunes en France. Nous disposons des résultats pour vingt et une régions au 31 décembre 2006. De fait, nous avons des chiffres récents sur la situation de 1,1 million de jeunes accueillis par le réseau des missions locales en 2006. Certains d'entre eux concernent le sujet de la formation.

En guise d'introduction, j'indiquerai que 44 % des jeunes que nous avons accueillis en 2006 n'avaient aucun diplôme, alors que 22 % disposaient d'un BEP ou d'un CAP. Nous avons observé qu'une part importante de la fraction résiduelle était composée de personnes fortement diplômées. Ainsi, les missions locales, qui accueillent principalement des jeunes non diplômés et non qualifiés, sont confrontées à un nouveau public. De plus en plus de jeunes diplômés se trouvent dans un trajet d'insertion professionnelle très difficile. Le débat autour de la formation se trouve plus compliqué.

Ma deuxième observation préliminaire concerne le travail des missions locales, qui est peu compris. La responsabilité nous appartient puisque nous n'avons jamais disposé des crédits permettant de mettre en place des actions de communication importantes. Les missions locales emploient 11 000 salariés, soit environ la moitié des effectifs de l'ANPE. Or ce fait est totalement inconnu du grand public ainsi que de nombreux décideurs, à l'exception des élus locaux impliqués dans nos structures.

De notre point de vue, le parcours d'insertion d'un jeune se déroule en trois étapes. La première concerne la préparation et l'accès du jeune à l'emploi. La deuxième est relative au rapprochement du jeune avec l'entreprise. La dernière, enfin, correspond à l'entrée effective et au maintien dans l'emploi. Ces trois moments sont importants pour appréhender la situation. Or j'ai constaté, en feuilletant le livre de Jean-Louis Borloo, que son appréhension du rôle des missions locales est éloignée de la réalité.

Nous avons donc un travail de communication à faire à destination des décideurs, même si je suis satisfait de notre collaboration récente avec Gérard Larcher et son cabinet. De même, nous avons fait un travail de qualité avec Laurent Hénart, bien que nous ne soyons pas de la même sensibilité politique. Je suis moi-même élu socialiste et Robert Galley, membre de l'UMP, est vice-président de l'UNML, il préside la mission locale de Troyes.

Le rôle des missions locales est d'accompagner les jeunes dans les trois séquences que je viens de décrire. Nous pensons ainsi que le succès de l'insertion d'un jeune tient, pour une part importante, à son accompagnement par un référent unique. Or chaque organisme qui intervient auprès des jeunes a tendance à se doter de compétences d'accompagnement, de validation du projet et de suivi du jeune. Il peut en résulter une multiplication des remises en cause du parcours, que le jeune construit progressivement, et donc une source supplémentaire de difficultés. Ces remises en question permanentes peuvent déstabiliser la motivation du jeune et le replonger dans une situation de « galère ». Le dispositif Borloo, héritier notamment du dispositif TRACE, a bien appréhendé ce problème, aussi confie-t-il la continuité du parcours aux missions locales. Il impose, dans le même esprit, que les jeunes aient un référent unique et identifié. Une novation introduite réside dans l'incitation à poursuivre l'accompagnement dans les premiers pas du jeune dans l'emploi. C'est une pratique importante car nous avons un taux d'échec élevé dans ces premiers moments d'accès à l'emploi.

- La préparation à l'emploi.

Il faut découvrir l'entreprise et préparer le jeune à reprendre des repères vis-à-vis du travail. Nous contribuons à faire en sorte que la personne intéressée se lève le matin, qu'elle puisse se déplacer et qu'elle trouve un logement. Ces démarches, au coeur de notre activité, se poursuivent tout au long du parcours d'insertion, c'est pourquoi nous parlons « d'approche globale des jeunes ». Ceci nous pose des difficultés de financement puisque les compétences de l'État et des collectivités sont ici diverses et souvent enchevêtrées. Toutefois, les problèmes que nous rencontrons au cours de cette phase tiennent pour beaucoup à la disponibilité des formations et aux enchaînements dans le parcours, ils relèvent pleinement de la compétence des régions. Ainsi, on ne doit pas faire attendre trois mois un jeune qui est prêt à accéder à une action de qualification sans courir le risque qu'il disparaisse et ne revienne qu'au bout de plusieurs mois. Il est nécessaire d'avoir une bonne réactivité dans les dispositifs de formation à destination des jeunes non qualifiés. Or celle-ci est actuellement insuffisante dans de nombreuses régions.

L'enchaînement des séquences est également important. L'entrée dans une action de pré-qualification doit s'accompagner d'une définition du projet et de formations dans un délai assez court. Sinon, la dynamique s'épuise et la démarche doit être intégralement reprise depuis le début. Les dispositifs perdent ainsi en crédibilité en raison de leur isolement et de leur fractionnement au sein du parcours.

Les actions de qualification menées par les conseils régionaux dans le cadre des PRDF, reposent pour beaucoup sur l'idée que les jeunes ne trouvent pas d'emploi parce qu'ils n'ont pas la qualification adéquate. Or ceci est aujourd'hui, me semble-t-il, sujet à débat.

L'idée de dispenser a priori une qualification rencontre des difficultés. Elle impose d'abord de définir les qualifications nécessaires en adéquation avec le marché, ce qui n'est pas facile. Tel n'est pas toujours le cas aujourd'hui où bien des formations répondent plus à une logique de l'offre qu'à une logique de la demande. Les organismes de formation sont actifs auprès des conseils régionaux dans la définition des grandes orientations de la politique de formation. Or, il faut bien disposer d'organismes pour réaliser efficacement les formations projetées. Le risque est que les formations mises en place, en adéquation avec les ressources disponibles, soient finalement trop éloignées des besoins réels du marché du travail et de ceux des jeunes. Dans certaines régions, les missions locales sont intégrées dans l'élaboration du PRDF et dans l'évaluation des formations engagées, elles y apportent les observations à partir de leur pratique professionnelle.

L'accès à des « petits boulots » et à de l'intérim semble aujourd'hui décisif pour initier le trajet du jeune. Ils peuvent s'avérer parfois plus efficaces que des actions de pré-qualification. On voit ici le caractère indispensable de l'accompagnement pour maintenir le jeune dans un parcours fait de « petits boulots » et de moments de qualification. Il paraît nécessaire de conforter l'ancienne bourse d'accès à l'emploi, devenue allocation interstitielle dans le cadre du CIVIS. Elle peut permettre en effet de donner aux jeunes les moyens financiers de la survie entre intérims et actions de formation. Cette allocation est indispensable pour maintenir le jeune dans son parcours.

En outre, la question du logement est aujourd'hui décisive pour assurer la continuité du parcours. Pour exemple, une offre de postes dans le bâtiment, sur un point du territoire, ne sera pas facilement pourvue en l'absence de logement disponible sur place à des prix abordables pour un jeune. Le fait de réhabiliter l'image du bâtiment ou de former les jeunes dans ces métiers ne changera pas vraiment cette situation.

- Le rapprochement du jeune avec l'entreprise.

La multiplication des expériences professionnelles avec les « petits boulots » et l'intérim, ainsi que la pré-qualification et l'allocation interstitielle définissent un parcours. Celui-ci permet, à notre sens, de préparer les jeunes à se confronter de manière plus sérieuse et plus durable à l'entreprise. On peut ainsi vraiment les aider à formuler un projet. Nous effectuons ainsi une orientation qui nous permet de présenter des jeunes employables aux opérateurs du rapprochement entre les jeunes et les entreprises. C'est dans ce cadre qu'il convient d'analyser l'action de l'AFPA au sein du parcours d'accès à la vie professionnelle.

Le PAVA a justement pour but de rapprocher les jeunes de l'entreprise. Nous mettons ainsi un flux de jeunes en situation d'employabilité, sortis de la phase préalable que je vous ai décrite, à la disposition de l'AFPA. Cette accession des jeunes à l'entreprise, dans le cadre du PAVA, est aujourd'hui un axe majeur aux côtés du contrat de professionnalisation et de l'apprentissage. Le dialogue sur la validité du projet professionnel des jeunes avec nos interlocuteurs de l'AFPA semble être excellent. Toutefois leurs psychologues peuvent induire une remise en cause du projet que nous avons défini au cours de plusieurs mois d'accompagnement du jeune. Cette invalidation d'une trajectoire construite dans le temps me paraît tout à fait inutile. En revanche, les échanges avec les personnes de l'AFPA qui accompagnent les jeunes dans leur insertion en entreprise, sont excellents. Il nous arrive parfois, du reste, de leur proposer une entreprise d'accueil. La collaboration avec l'AFPA est ainsi positive même si cette dernière néglige souvent de mentionner notre existence dans l'évaluation du PAVA.

L'ANPE pourrait jouer également pour les jeunes un rôle important grâce aux plates-formes de la vocation. La méthode repose sur l'évaluation des savoir-faire des jeunes que l'on essaye de faire correspondre avec des emplois préalablement identifiés et à pourvoir. Malheureusement, les entreprises approchées dans le cadre de ces démarches préfèrent souvent que leurs soient présentés des jeunes moins éloignés de l'emploi. Cette demande ne correspond pas à la situation des jeunes sortant de la première phase et qui demeurent fragiles.

M. Jean-Claude Carle, président - Expliquez-nous comment fonctionnent ces plates-formes de vocation. Est-ce l'ANPE qui gère ce dispositif ?

M. Jean-Raymond Lépinay - C'est effectivement l'ANPE qui est en charge de ce programme. Elle est censée, d'après les textes, envoyer les jeunes auprès des entreprises ayant un besoin. La pratique est néanmoins tout autre.

M. Jean-Claude Carle, président - C'est justement la pratique qui m'intéresse.

M. Jean-Raymond Lépinay - Le texte prévoyait qu'on identifie des besoins dans les entreprises, particulièrement dans les secteurs dits « en tension » tels que le bâtiment ou la restauration. L'objectif était, en premier lieu, d'identifier des besoins réels et des postes effectivement à pourvoir en se fondant sur les déclarations des employeurs. Puis l'idée était de mesurer les compétences de jeunes presque employables afin d'intégrer ces personnes dans ces postes préalablement définis. En définitive, ce programme est souvent devenu une procédure de test des jeunes qui ne débouche que rarement sur une embauche pour nos publics. On comprend que les chefs d'entreprise préfèrent embaucher des personnes moins fragiles. La volonté d'accélérer l'intégration des jeunes qui se trouvent en dehors du circuit est louable. Dans les faits, ces plates-formes demeurent à réorienter sur leur vocation d'origine : le recrutement et non pas l'évaluation des demandeurs d'emploi. Les ANPE qui disposent d'une relative indépendance, ont, dans certaines régions, maintenu ou fait évoluer le dispositif dans ce sens.

La troisième voie de rapprochement des jeunes et de l'entreprise passe par la mission locale elle-même. Nous disposons en effet nous-mêmes de réseaux locaux d'accès à l'emploi dans la mesure où nous sommes implantés sur des bassins d'emploi. Vous avez indiqué, monsieur le président, que nous disposions de 600 agences. En fait, nous dénombrons 404 missions locales et une centaine de permanences d'accueil, d'information et d'orientation.

L'ancrage dans le territoire national et la présence de financeurs exigeants permet d'activer les réseaux. Ainsi, un chef d'entreprise, notamment dans le monde rural, va souvent contacter les élus lorsqu'il a un besoin. Il fait ainsi fonctionner les réseaux locaux. Dans mon canton, il s'est créé un club des industriels, réunissant de nombreux entrepreneurs, avec lequel la mission locale a établi un partenariat solide. Ils ne prennent pas toujours nos jeunes mais ils ont accepté l'idée qu'il était normal que l'entreprise fasse l'effort de rapprocher des jeunes de l'emploi. Ainsi les réseaux des missions locales, elles-mêmes, directement, agissent dans la phase de rapprochement du jeune et de l'entreprise.

- L'entrée dans l'emploi.

L'outil le plus efficace aujourd'hui semble être l'alternance. Le contrat de professionnalisation, notamment, qui a connu des débuts difficiles, connaît une nette montée en charge. En revanche, l'opération d'alternance est risquée dans la mesure où le candidat peut rejeter une partie du parcours. Il incombe ainsi aux accompagnants des missions locales d'aller chercher le candidat pour le ramener dans l'entreprise s'il cessait de s'y présenter. Ces accompagnants doivent aussi favoriser la résolution des problèmes de logement ou de transport. L'alternance entre la formation théorique et le travail pratique est importante dans la mesure où l'on part d'un besoin réel et effectif de l'entrepreneur. Ce dernier s'investit concrètement dans la formation du jeune, d'autant plus facilement qu'il y est aidé. Ces facteurs consolident de manière importante l'insertion dans l'emploi. Il faut toutefois continuer à accompagner le jeune dans ce parcours qui est encore souvent incertain. La stabilisation de la relation entre l'entreprise et le salarié prend, en effet, du temps. Notons que l'accompagnement extérieur est d'autant plus efficace quand un interlocuteur référent est désigné au sein de l'entreprise. On peut ainsi communiquer sur les difficultés que rencontre éventuellement le jeune dans son insertion et dans sa vie quotidienne.

L'apprentissage paraît, en revanche, plus difficile de mise en oeuvre. L'offre de formation d'apprenti en France semble en décalage avec les besoins des entreprises. D'une part, il existe de vrais vides par rapport aux besoins économiques concrets nouveaux, d'autre part, certaines formations peuvent être maintenues parce qu'elles ont été efficaces alors qu'elles ne sont plus en phase avec la réalité économique. Par ailleurs, les régions qui supportent le coût de la décentralisation, n'ont pas nécessairement les moyens d'investir dans un développement de l'apprentissage qui supposerait de nouveaux locaux, de nouvelles machines et un redéploiement des enseignants.

L'accès direct à l'emploi est la dernière modalité d'entrée dans la vie professionnelle. On a beaucoup parlé dans la période récente d'accès à l'emploi durable. Notre activité est pour partie mesurée sur ce critère. Or, l'emploi durable, tel que la société l'entendait jadis (on reste de nombreuses années, voire toute sa carrière dans le même emploi) n'existe plus guère. On évite, du reste, de recourir à cette référence dans notre relation aux jeunes. L'accompagnant perdrait en crédibilité en utilisant cette notion alors que dans de très nombreux secteurs, la flexibilité de l'emploi est devenue la règle.

Il faut là aussi gérer l'interstitiel dans la mesure où les jeunes passeront par un CDD, connaîtront une rupture en période d'essai, travailleront en intérim avant de trouver un CDI. Un jeune qui bénéficie d'un CDD de six mois, occupe un emploi durable selon les critères européens. Toutefois, un an peut s'écouler avant qu'on puisse le réinsérer, s'il quitte l'entreprise avant la fin de sa période d'essai. Nous estimons dès lors qu'il faut maintenir l'accompagnement au moins jusqu'à la fin de cette période. Nous recommandons de même dans nos structures de continuer à garder contact avec les jeunes employés en CDD, même si nous ne sommes plus rémunérés. Ainsi nous pouvons nous assurer qu'ils poursuivent leur contrat. En outre, le maintien du contact peut être très utile si leur parcours redevenait chaotique.

En conclusion, je dirai que la tâche des missions locales consiste à transformer des parcours chaotiques en parcours plus linéaires. Les carences de formation constituent un problème initial. Toutefois nous assistons à la montée en puissance des jeunes diplômés dans le public des missions locales. Des personnes diplômées à bac +5, y compris des ingénieurs, sont désormais eux aussi parfois « en galère ».

Nous avons sélectionné cent profils de jeunes pour interpeller les candidats à l'élection présidentielle sur la question de l'emploi des jeunes. On y trouve, par exemple, une jeune femme diplômée bac +5 qui se retrouve « en galère », depuis deux ans, pour une question de logement. Il faut bien considérer dès lors que la part de la formation dans l'esquive des difficultés d'insertion professionnelle est plus limitée. Ne faut-il pas aujourd'hui placer le logement et la mobilité à un degré plus élevé ? Un tiers des jeunes couples vivent aujourd'hui chez leurs parents. Cette situation crée à l'évidence précarité et instabilité.

Pour faciliter la continuité du parcours, on a vu qu'une allocation était utile. Il ne s'agit pas ici d'un RMI jeune mais plutôt de soutenir ceux qui consentent réellement à fournir un effort. Le montant de l'allocation interstitielle de 392 euros en moyenne pour un an, ne correspond pas à ce besoin. Pour certains cette somme est trop importante parce qu'ils s'imagineront être arrivés alors qu'ils n'ont pas encore franchi toutes les étapes. En revanche, pour des jeunes qui ont connu des opérations de formation bien ciblées dans le parcours ainsi que des emplois précaires, la somme est insuffisante pour assurer la continuité de la survie. Dès lors, ils vont peut-être accepter le premier « petit boulot » venu, même s'il disqualifie la formation qu'ils ont reçue. Ils risquent ainsi de se trouver dans de nouvelles difficultés. Cet état de fait peut avoir pour nos publics un impact aussi grave que la carence de la formation initiale.

En revanche, on obtient de très bons résultats si l'on arrive à maintenir la continuité des parcours et à surmonter les « embûches ».

Une approche par l'adéquation de l'offre et de la demande est très insuffisante. Les éléments de méthode proposés ci-dessus, et qui relèvent de l'expérience des équipes des missions locales, sont à notre avis plus efficaces. Il faut donc éviter que la question de l'offre de formation ne soit abordée principalement sous l'angle de la mise en adéquation de l'offre et de la demande. Dans bien des cas, l'élaboration des PRDF nous paraît retenir insuffisamment des éléments.

Certains conseils régionaux reprochent ainsi aux missions locales de ne pas assurer un bon remplissage de leurs stages de formation. Le problème est que les jeunes qui ont connu dans leur parcours une ou deux séquences de formation, sans emploi au bout, n'adhèrent pas facilement au projet d'en faire un troisième. La rémunération proposée pour la qualification facilite certes les choses, mais elle devient inefficace si le parcours n'est pas crédible. On retrouve ici la nécessité de renforcer l'alternance, qui permet des trajets de formation à partir de l'entreprise, pour autant qu'elle soit qualifiante et pas simplement d'adaptation au poste de travail.

Je souhaiterais terminer sur le message que l'UNML a adressé aux candidats à l'élection présidentielle : « la France ne prend pas ses jeunes en considération ». Nous sommes les derniers sur les vingt-sept pays de l'Union européenne en ce qui concerne le taux d'emploi des jeunes.

Le problème ne tient pas seulement à l'action publique. Les entreprises et le pays lui-même ne considèrent pas, semble-t-il, les jeunes comme des porteurs d'avenir. On essaye de rectifier les dispositifs mais les jeunes ont l'impression d'être délaissés, non reconnus dans leurs potentiels. L'accession à l'emploi se fait, pour eux, sur des postes précaires dans de longs parcours chaotiques.

Par ailleurs, il reste encore des questions délaissées, notamment celle de l'insertion pour les jeunes franchissant, non insérés, la frontière de vingt-cinq ans. Ils vont basculer dans le RMI et dans de nouveaux dispositifs. Ne faudrait-il pas maintenir l'accompagnement mis en place dans le cadre de la mission locale ? Et la frontière entre les diplômés et les non-diplômés est-elle pertinente alors même que les problèmes liés au logement, à la mobilité et aux difficultés financières sont partagés par tous les jeunes ?

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie, monsieur le président, pour ces éclaircissements, notamment sur ce processus d'accompagnement. Il me semble tout à fait nécessaire et devrait, du reste, être étendu aux publics moins en difficulté.

Nous serait-il possible de disposer du questionnaire que vous avez adressé aux candidats ?

M. Jean-Raymond Lépinay - Je suis un peu gêné dans la mesure où ce document n'est pas publié. C'est le traitement statistique au 31 décembre 2006, de la situation de 1,1 million de jeunes. La DARES devrait traiter ce document, malheureusement l'entrepôt national « parcours 3 » n'est pas encore opérationnel. Nous avons donc compilé directement les données recueillies auprès de vingt et un entrepôts régionaux. Dès que l'entrepôt national sera en mesure de fonctionner, la DARES pourra établir les statistiques nationales.

J'ai négligé de vous communiquer des chiffres importants. Ainsi, la moitié des jeunes que nous recevons ne sont pas inscrits auprès d'une agence de l'ANPE. Cette situation invite à relativiser les chiffes de l'emploi.

M. Jean-Claude Carle, président - Pourquoi ne sont-ils pas inscrits ?

M. Jean-Raymond Lépinay - Principalement, parce qu'ils n'ont pas droit à une indemnisation, puisqu'ils n'ont jamais travaillé. Dans leur esprit, à quoi cela servirait-il qu'ils aillent faire la queue dans une agence pour qu'on leur dise qu'il n'y a pas de travail ? Les missions locales vont souvent faire inscrire ces jeunes à l'ANPE, dans le cadre de l'accompagnement individualisé.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous nous avez indiqué que vous aviez fait un document sur la base de cent profils caractéristiques des jeunes.

M. Jean-Raymond Lépinay - Nous avons réalisé un CD-ROM qui peut vous être transmis.

M. Jean-Claude Carle, président - Volontiers.

M. Jean-Raymond Lépinay - Ce CD-ROM contient 100 trajets typiques parmi les 400 que les missions locales nous ont fait parvenir. Il leur avait été demandé de communiquer des exemples qui leur paraissaient illustrer les parcours des jeunes aujourd'hui. Je peux vous donner également les dix trajets spécifiques que j'ai apportés. Nous avons en effet réalisé, avec la collaboration des directeurs des missions locales, un document regroupant dix portraits qui nous ont paru significatifs des problèmes dont nous venons de parler.

Le CD-ROM a été réalisé pour être communiqué à la presse mais nous n'avons eu que très peu de retour dans les médias. L'AFP a bien relayé l'information par une série de dépêches mais ce fut, malgré tout, limité. Les médias sont, il est vrai, en phase avec la société. Or, on l'a vu, celle-ci s'intéresse modérément au sort des jeunes. Pourtant, ce million de jeunes représente l'avenir.

Sur le terrain, les élus locaux, souvent interpellés, s'investissent à travers les missions locales.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous le vivons au quotidien.

M. Jean-Raymond Lépinay - Je vous transmettrai le CD-ROM.

M. Jean-Claude Carle, président - Cela nous intéresse grandement. Nous avons deux axes de travail : l'audition des partenaires, qui est tout à fait logique, et la réalité du terrain, pour laquelle nous avons un grand intérêt. Nous avons déjà effectué des déplacements dans plusieurs départements. Nous avons ainsi visité une mission locale à Marseille, ce qui nous permet de mesurer la réalité du terrain.

M. Jean-Raymond Lépinay - Je vous adresserai des documents avec plaisir.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vais vous adresser quelques questions. Peut-être que Muguette Dini souhaitera vous en poser également.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - J'ai trouvé la présentation très intéressante.

M. Jean-Claude Carle, président - Je pense que c'est à nous de remédier aux dysfonctionnements des PRDF. Nous devons organiser leur sortie de la logique de l'offre.

M. Jean-Raymond Lépinay - Je pense également que nous devons nous aussi améliorer le fonctionnement de nos missions locales avec les conseils régionaux.

M. Jean-Claude Carle, président - J'ai eu la responsabilité de cette question à la région. Je connais donc un petit peu le problème. Je crois que le PRDF est un excellent outil si on s'en saisit.

M. Jean-Raymond Lépinay - Bien sûr.

M. Jean-Claude Carle, président - Il faut, en revanche, sortir de la stratégie d'offre, qui est la plus facile.

M. Jean-Raymond Lépinay - Il y a des régions qui ont très bien progressé sur ce sujet, monsieur le président. Dans certaines régions, nous sommes prescripteurs de la formation. Cette situation est la plus efficace parce qu'elle nous permet de déclencher une formation très rapidement quand on sent qu'un jeune y est prêt. Les résultats sont ensuite excellents. En revanche, dans d'autres régions, on va adresser le jeune à des services qui vont, eux-mêmes, opérer une deuxième sélection. Nous courons le risque de décrédibiliser la démarche si l'on n'arrive pas à s'entendre entre les différents niveaux du dispositif.

M. Jean-Claude Carle, président - Savez-vous que j'ai mis en place le PRDF dans ma région Rhône-Alpes ?

M. Jean-Raymond Lépinay - Les choses, du point de vue des présidents des missions locales impliquées, se passent bien en Rhône-Alpes. Il y a un même un contrat d'objectifs entre la région et l'État ; ce qui en fait une région exemplaire.

M. Jean-Claude Carle, président - C'est simplement que le PRDF est un outil dont il faut se saisir. Je voudrais aborder le sujet du logement, qui me semble vraiment fondamental. Je crois que le PRDF et les régions peuvent contribuer à résoudre ce problème en mutualisant des équipements. Il ne faut plus traiter les jeunes en fonction de leur statut mais en tenant compte de la réalité. Les régions et les départements ont des obligations d'hébergement pour les collégiens et les lycéens. Mais elles n'ont aucune obligation pour les jeunes en alternance ou pour ceux qui sont dans une situation encore plus difficile. Je crois que cela fera partie des propositions que nous formulerons.

Je voudrais vous poser une dernière question, si vous me le permettez. Vous nous avez communiqué quelques chiffres.

M. Jean-Raymond Lépinay - 44 % des jeunes que nous accompagnons n'ont aucun diplôme et 22 % ont un BEP ou un CAP.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous nous avez indiqué qu'une part importante de gens fortement diplômés ont des difficultés à trouver un emploi. Cela nous conduit à mettre en bémol l'idée selon laquelle le diplôme protège de ce type de problèmes.

M. Jean-Raymond Lépinay - L'étude du CEREQ, intitulée « Génération 2001 », est à cet égard excellente. Elle montre bien que c'est dans la phase de vie professionnelle que le niveau du diplôme va créer des écarts et moins nettement lors du premier accès lui-même.

M. Jean-Claude Carle, président - Cela signifie qu'il vaut peut-être mieux avoir des parcours itératifs pour approcher la vie professionnelle.

M. Jean-Raymond Lépinay - Il y a un chiffre que je ne vous ai pas communiqué sur les 44 % de jeunes non diplômés : en 2006, seulement 20 % d'entre eux ont eu accès à une formation. Le problème de la formation ne concerne pas seulement la qualification de l'offre mais également son volume.

M. Jean-Claude Carle, président - Quelles sont les raisons qui conduisent ces 44 % de jeunes à se trouver dans cette situation ?

M. Jean-Raymond Lépinay - Beaucoup de jeunes interrompent l'école, puis restent durablement dans des difficultés. Ces jeunes réapparaissent alors qu'ils ont dix-sept ou dix-huit ans. J'en profite pour souligner que la transition avec l'éducation nationale est à améliorer. Le problème est qu'un jeune qui quitte le système de l'éducation nationale ne va pas revenir facilement dans les locaux de celle-ci travailler avec les services de l'éducation nationale qui sont en charge de l'insertion. Ce serait plus efficace s'il pouvait être convoqué très rapidement dans une mission locale.

On retrouve également des jeunes qui sont allés au terme de leurs obligations scolaires mais qui sortent du système sans diplôme. Beaucoup d'entre eux ont également entamé une formation puis l'ont interrompue sans avoir acquis un diplôme. Les trajets chaotiques ne se trouvent pas qu'à la fin de la période de scolarité obligatoire. On les retrouve aussi dans les premiers cycles universitaires. Beaucoup de jeunes vont perdre deux ans pour n'obtenir aucun diplôme.

M. Jean-Claude Carle, président - La deuxième population concerne les 22 % qui ont un niveau BEP ou CAP. Je souhaiterais savoir ce que vous pensez du BEP.

M. Jean-Raymond Lépinay - Je n'ai pas d'avis à ce sujet.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette formation se justifie-t-elle encore ?

M. Jean-Raymond Lépinay - Le BEP, en tant que CAP amélioré a existé.

M. Jean-Claude Carle, président - Le BEP a-t-il encore une raison d'être ?

M. Jean-Raymond Lépinay - Je pense qu'il est important que les jeunes disposent de qualifications.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie d'avoir répondu à nos interrogations. N'hésitez pas à nous faire parvenir des documents. Je vous invite à nous contacter si vous avez des éléments de réflexion sur des sujets que nous n'avons pas abordés

Audition de M. André ZYLBERBERG, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), auteur du rapport « La formation professionnelle des adultes : un système à la dérive » (28 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Mes chers collègues, nous allons poursuivre nos auditions, en vous remerciant de votre assiduité car, depuis ce matin, vous en avez tous fait preuve. Monsieur Zylberberg, je vous remercie d'avoir accepté de venir devant notre mission. Je ne vous présenterai pas ; chacun maintenant vous connaît. Vous êtes, avec M. Pierre Cahuc, l'auteur d'un rapport qui a le mérite de ne pas laisser ses lecteurs indifférents. Nous sommes donc impatients de vous écouter. Dans ce rapport, vous dressez un constat très sévère sur la formation professionnelle, qui suscite quelques « soubresauts » et interrogations que j'estime nécessaires. Vous émettez ensuite un certain nombre de recommandations, en particulier sur le dispositif du DIF, le droit individuel à la formation. Vous aurez l'occasion de nous préciser vos positions. Je vous laisse la parole pour environ vingt minutes, une demi-heure. Nous étudierons ensuite les questions de mes deux collègues. Monsieur Zylberberg, je vous remercie encore d'être venu devant notre mission.

M. André Zylberberg - Merci monsieur le président de m'accueillir. En guise d'introduction, je voudrais préciser l'objectif de ce rapport sur la formation professionnelle des adultes que Pierre Cahuc et moi-même avons conçu. Un certain nombre de rapports dans ce domaine ont déjà conclu au même constat d'un système opaque, complexe et d'une efficacité relative. De notre côté, nous avons essayé de réaliser une analyse économique de ce secteur. C'est l'originalité de ce rapport. Nous avons tâché d'étudier le système français du « former ou payer » en matière de formation professionnelle afin de savoir si, oui ou non, il fournit les bonnes incitations pour les salariés et les entreprises. J'aborderai dans un second point la formation professionnelle des chômeurs, gérée à l'heure actuelle de manière complexe par une multitude d'acteurs. Nous nous sommes également demandé si ce système offrait une efficacité et une équité suffisantes pour continuer de fonctionner. Nous proposons enfin quelques pistes de réflexion.

- L'analyse économique de la formation professionnelle

Les économistes s'efforcent d'aborder ce problème selon une technique qui paraît caricaturale mais qui demeure incontournable : la problématique des rendements. Quels rendements peut avoir l'éducation ? D'un premier abord, cette question semble très brutale. Toutefois, lorsque l'on réfléchit plus avant, elle demeure indispensable à une approche liminaire. La problématique des rendements se résume en une question simple : qu'est-ce qu'une semaine, un mois, une année de formation apportent aux personnels formés en termes de salaire et de pérennité dans l'emploi ? Concrètement, cette formation apportera-t-elle à ses bénéficiaires 10, 20 % de salaire supplémentaire ou bien leur offrira-t-elle une probabilité plus grande d'accéder à l'emploi ?

La manière d'aborder ces études apparaît en revanche plus complexe, notamment parce qu'elle pose des difficultés techniques redoutables, en particulier le problème de la corrélation et de la causalité. Les personnes les mieux payées ont accompli les études les plus poussées. En réalité, une question se pose. Ces personnes sont-elles réellement mieux payées grâce à leurs études ou étaient-elles initialement les mieux, les plus efficaces ? Ainsi, les études ne constitueraient plus guère qu'un signal de leur réussite future.

Rendements privés et rendements collectifs constituent la seconde problématique importante dans l'analyse de la formation. La formation comprend évidemment des rendements privés, qui représentent un gain pour l'employé et l'employeur : meilleurs salaires pour le travailleur, meilleure productivité pour l'entreprise. Elle inclut également des rendements collectifs : plus grande diffusion du savoir dans l'ensemble du corps social, amélioration de la citoyenneté, moindre délinquance... A ce niveau, un sous-investissement global dans la formation est à craindre, car les acteurs de la vie économique prennent leurs décisions de financement selon leurs propres intérêts privés et non en fonction d'intérêts collectifs.

De ces questions, l'analyse économique a dégagé plusieurs résultats. Le premier d'entre eux, selon le calcul des rendements, conclut qu'une année de formation se traduit par un accroissement du revenu annuel compris dans une fourchette, large, de 5 à 15 %. L'augmentation comparable pour une semaine, un mois de stage, restera donc négligeable. En particulier, une étude européenne, réalisée sur des données homogènes par des universitaires, confirme que les formations courtes possèdent un effet causal presque nul. Les études sur la France réalisées par l'INSEE parviennent à des conclusions identiques.

Le deuxième résultat, concernant les finances publiques, indique que les rendements sociaux de l'éducation sont plus rentables sur un public jeune que sur un public plus âgé. Cette dimension doit être prise en compte lorsque s'imposent des choix publics en matière d'éducation. Les dépenses d'éducation ne sont, en effet, pas extensibles.

De nombreuses études concluent au troisième résultat concernant les rendements collectifs lorsqu'un risque potentiel de sous-investissement apparaît. Ces gains collectifs s'élèvent à environ 10 % des gains privés.

D'autres résultats tout aussi intéressants font apparaître une hétérogénéité des rendements de la formation professionnelle, qui augmentent avec le niveau de formation initiale et le niveau de qualification. Ainsi, l'efficacité de la formation apparaîtra d'autant plus importante que la personne formée sera qualifiée. Les cadres se forment donc davantage que les ouvriers. Il convient toutefois de se demander si le domaine de la formation demeure équitable. Les bénéficiaires du système ne sont, en effet, plus ceux qui le financent. Comparativement aux ouvriers, les cadres ne participent effectivement qu'à une faible hauteur au financement des dispositifs.

Pour les chômeurs, la majorité des formations courtes ont des effets presque nuls sur les taux de retour à l'emploi. Des études récentes réalisées aux États-Unis, en Europe et en France, particulièrement celle de Marc Ferracci, chercheur au CREST-INSEE, sur les stages ASSEDIC, témoignent de cette donnée. En revanche, les effets des actions ciblées, longues et coûteuses, apparaissent très significatifs.

Le système français ne répond donc pas aux défis auxquels il est confronté. Il repose, en effet, sur la logique du « former ou payer ». Les entreprises doivent investir une fraction de leur masse salariale (1,6 % pour les plus grandes d'entre elles, 0,55 % pour les petites entreprises) dans la formation continue. En cas de non-paiement, cette obligation légale donne lieu au versement d'une taxe aux organismes collecteurs, qui ont dès lors la charge de redistribuer ces sommes dans le cadre d'actions de formation professionnelle. Les informations sur cette mutualisation de la formation restent par ailleurs peu répandues.

M. Jacques Delors a conçu ce système incitatif dans les années soixante-dix pour répondre à l'opinion majoritaire selon laquelle, sans obligation, les entreprises n'investissaient pas dans la formation de leurs salariés. Aujourd'hui, les chiffres prouvent le contraire. Une forte majorité d'entreprises, en effet, investit davantage que l'obligation légale, qui perd ainsi sa dimension contraignante. A contrario , les entreprises ne procèdent à leurs dépenses de formation que selon leurs intérêts privés, sans tenir compte des intérêts collectifs. Le risque de sous-investissement, malgré l'obligation légale, ne disparaît donc pas. Il demeure non seulement pour les entreprises dont les investissements demeurent inférieurs à l'obligation légale et qui acquittent une taxe, mais également dans le domaine des intérêts collectifs.

Notre rapport propose un système plus simple, plus efficace et plus équitable, fondé sur les prélèvements et les subventions, calqué sur les allégements de charges sur les bas salaires, qui réduisent le coût du travail pour les entrepreneurs et permettent d'embaucher davantage. Selon ce mécanisme, les entreprises déterminent les sommes investies dans la formation professionnelle et obtiennent, en contrepartie, des subventions proportionnelles à leurs dépenses. Dans ce système, les subventions nécessitent des prélèvements, les entreprises cotisant à un fonds spécifique pour la formation professionnelle. Ainsi, l'obligation légale disparaît.

Le débat sur le DIF, souligné dans votre introduction monsieur le président, s'inscrit dans cette problématique. Le DIF perpétue, en effet, un état de fait préexistant dans le domaine de la formation professionnelle. Il constitue en quelque sorte « un tuyau supplémentaire dans une usine à gaz inefficace ». Son instauration, en 2005, a eu pour conséquence l'augmentation de l'obligation légale de 1,5 à 1,6 % pour les grandes, 0,3 à 0,55 % pour les petites et moyennes entreprises. Avec le DIF, tous les acteurs dépensent davantage. La catégorie des salariés les plus qualifiés et les plus formés continue toutefois de bénéficier seule des avantages de la formation.

L'un des problèmes posés par le DIF tient au format universel des vingt heures par an allouées à chaque salarié bénéficiant d'une formation. Dans la pratique, certaines personnes n'auront besoin que de dix heures pour évoluer alors que certaines devront, au contraire, suivre une formation très longue. Nous ne voyons donc pas de justification économique à un droit universel identique pour tous.

- La formation professionnelle des chômeurs

Le problème est ici différent. Les multiples intervenants (ANPE, ASSEDIC, AFPA, GRETA) constituent un réseau complexe en charge de la formation des chômeurs. L'efficacité de ce système nous paraît contestable. De nombreux rapports, dont le rapport de M. Dominique Balmary, le rapport de M. Marimbert, ont souligné avant nous les dysfonctionnements du système d'aide et d'accompagnement des chômeurs.

Selon nous, la situation peut cependant être simplifiée en premier lieu par la création d'un guichet unique. Le problème de coordination globale du suivi des chômeurs sera réglé par une fusion ANPE - ASSEDIC. Le guichet unique procéderait dès lors à un profilage des chômeurs, classés selon leurs difficultés à retrouver un emploi. Les demandeurs d'emploi les plus en difficulté bénéficieront d'une aide et d'efforts particuliers. Ensuite, des opérateurs externes et des agences privées assureront l'accompagnement, avec pour unique objectif le retour à l'emploi du chômeur. Dans ce système, la formation professionnelle des demandeurs d'emploi s'inscrira dans une gestion externalisée de leur parcours : si l'opérateur estime que le chômeur a besoin d'une formation pour accéder à l'emploi, il la mettra en oeuvre et la financera grâce aux rétributions du service public de l'emploi. La formation professionnelle s'insère ainsi simplement et directement dans les parcours de retour à l'emploi.

Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci monsieur Zylberberg pour ces propos qui complètent et confirment les orientations de votre rapport, notamment concernant le DIF. Ce dispositif demeure l'expression d'une politique gérée de façon contractuelle par les partenaires sociaux. Selon vous cependant, la situation que vous nous décrivez peut-elle évoluer sans provoquer de réaction ?

M. André Zylberberg - Je ne pense pas que les économistes ont vocation à répondre à cette question.

M. Jean-Claude Carle, président - Certes non. Ce rôle appartient aux politiques. Toutefois, afin d'apporter des réponses, les politiques doivent entendre l'avis éclairé des spécialistes. Comment pouvez-vous éclairer le chemin du politique dans le domaine plus large de l'obligation légale, puisque le DIF ne nous offre pas le recul nécessaire pour juger de son efficacité ?

M. André Zylberberg - Vous me posez deux questions. L'obligation légale, en premier lieu, n'ayant pas fait la preuve de son efficacité et n'étant mise en oeuvre, en dehors de la France, qu'au Québec, ne constitue pas un sujet tabou pour les partenaires sociaux. Le dernier article de l'accord national interprofessionnel de 2004 prévoit, en effet, de renégocier ce dispositif pour le remplacer éventuellement par une obligation de type conventionnel. Chaque branche obtiendrait, dès lors, son système spécifique.

M. Jean-Claude Carle, président - De quelle nature sont les obligations dans les pays étrangers ?

M. André Zylberberg - Les pays étrangers ont instauré des systèmes de prélèvements et de subventions. La France reste le seul pays à avoir mis en oeuvre le principe de l'obligation légale, sans aucune preuve de son efficacité. Ce problème d'efficacité me permet d'aborder votre seconde question sur le DIF. Incorporer la culture de l'évaluation dans nos habitudes constituerait une réforme indispensable. L'évaluation d'une politique publique demeure certes difficile, très technique. Toutefois, depuis une vingtaine d'années, les économistes ont défini ces difficultés et sont parvenus à la conclusion qu'une évaluation pouvait se résumer à un groupe test et un groupe de contrôle. Ce principe, bien que satisfaisant pour chaque dispositif, n'a jamais été appliqué en France. Si des professionnels procédaient à des évaluations concernant l'impact réel du DIF, si ces évaluations étaient ancrées dans la culture de la politique publique, ce dispositif du droit individuel à la formation serait soit supprimé, soit accentué de manière objective. La Suède, par exemple, investissait énormément d'argent dans des politiques actives de l'emploi. Une évaluation complète du système suédois a prouvé que plus des deux tiers des dispositifs demeuraient inefficaces. Les autorités les ont supprimés. Aujourd'hui, en Suède, les dépenses concernant les politiques actives de l'emploi sont devenues nettement inférieures à celles enregistrées en France. En outre, les dispositifs maintenus possèdent une efficacité manifeste.

J'affirmais que le DIF constituait un tuyau de plus dans une usine à gaz. Cependant, je peux me tromper. Chacun peut se tromper. Des évaluations me paraissent ainsi indispensables pour différencier le vrai du faux.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui peut ou doit réaliser ces évaluations ?

M. André Zylberberg - Dans chaque pays, plusieurs équipes d'universitaires spécialistes des questions de formation réalisent ces évaluations, sous la condition préalable d'accéder aux données. En France, cet accès reste difficile dans chaque domaine. Il pourrait cependant devenir simple, libre et complet grâce à l'utilisation, par exemple, d'Internet. L'INSEE, également, possède d'excellents services, chercheurs et statisticiens, capables d'évaluer les politiques publiques à l'exemple d'un certain nombre de pays étrangers. Un effort de cette nature ouvrirait la porte à de réels progrès.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette proposition de prélèvements-subventions induit, à mon sens, une modification des modes de financement.

M. André Zylberberg - Absolument. Cette proposition implique une révolution.

M. Jean-Claude Carle, président - Comment adapter le système actuel paritaire à ce changement ? Comment financer les modifications que vous prônez ? Il me semble que les méthodes deviendront différentes.

M. André Zylberberg - Les solutions affichées dans notre rapport apparaissent exclusives et contradictoires. Au-delà du DIF, nous proposons de remplacer entièrement la doctrine de l'obligation légale. La segmentation du système, ainsi, disparaîtrait. Nous ne trouvons aucune justification économique aux différents pourcentages pris sur les prélèvements actuels alloués à différents dispositifs. En supprimant cette segmentation, un système aux contraintes réglementaires fait place à un système où le contrat devient la règle. A charge pour les différents acteurs (salariés, entreprises) de trouver les financements de chaque contrat. Dès lors que les gains privés de la formation professionnelle sont importants, la gratuité ne possède aucune justification.

Je réponds à votre question initiale concernant le financement des subventions. Dans le système classique, les acteurs (salariés, entreprises) sont taxés. Les prélèvements nourrissent le fonds de la formation professionnelle qui, ensuite, alimente les subventions. Si les bienfaits sont répartis sur l'ensemble du corps social, ce dispositif apparaît légitime. En ce qui concerne les gains privés, le système de non-gratuité doit être la règle.

M. Jean-Claude Carle, président - Peut-on imaginer un système de financement qui allégerait les charges fiscales pour l'entreprise et le salarié ou aboutirait à des déductions fiscales ?

M. André Zylberberg - Pouvez-vous préciser votre question ?

M. Jean-Claude Carle, président - L'entreprise qui forme un certain nombre de salariés pourrait-elle bénéficier d'un système d'allégement de charges fiscales ou sociales ?

M. André Zylberberg - Oui ou non. Si les formations demeurent spécifiques à une entreprise, cette dernière payera l'intégralité des formations. Toutefois, ces formations spécifiques restent rares. Elles sont, le plus souvent, générales. Ceux qui bénéficient de la formation (l'entreprise par la productivité, le salarié en progressant dans l'échelle hiérarchique) la financent logiquement. Ensuite, en fonction des dépenses conjointes, ils seront subventionnés au prorata de sommes engagées. Je ne suis pas convaincu que ce système fonctionnera grâce à un dégrèvement des charges sociales.

M. Jean-Claude Carle, président - Mes questions tentent de concilier l'intérêt privé (entreprise et salarié) et l'intérêt collectif, que l'entreprise qui forme ses salariés supporte également en assurant sa pérennité et en limitant les problèmes de concurrence et de délocalisation.

Mes chers collègues, avez-vous des questions ?

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Comment envisagez-vous le rôle de la région dans l'hypothèse que vous développez ? L'organisation doit-elle s'effectuer uniquement au niveau de l'État ?

M. André Zylberberg - Je redoutais cette question. Un certain nombre d'articles et de rapports donnent le sentiment que le changement viendra de la décentralisation de la formation professionnelle au niveau des régions. Pierre Cahuc et moi-même ne comprenons pas cette logique. Dans le système actuel, comme dans le système que nous proposons, nous ne comprenons pas pourquoi la formation professionnelle deviendrait, principalement pour les chômeurs ou les jeunes en difficulté, l'apanage des régions. Pourquoi les régions remplaceraient-elles, dans ce domaine, le service public de l'emploi ? Que ce service public soit décentralisé, nous l'admettons. C'est à lui, néanmoins, de trouver les opérateurs qui aideront les chômeurs dans leurs recherches des formations adéquates pour un retour à l'emploi.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Le lien demeure très fort entre les bassins d'emplois essentiellement identifiables par la région et les demandes des chômeurs pour lesquels la mobilité géographique reste un frein, leurs revenus modestes leur interdisant un déménagement, leur conjoint travaillant. Ce lien justifie la forte implication de la région dans la formation professionnelle. Dans votre exposé, cet aspect apparaît très théorique et général.

M. Jean-Claude Carle, président - J'ajouterai qu'outre la territorialité et la proximité, la gestion, notamment, du PRDF, accentue le rôle des régions. Aujourd'hui, grâce à leur volonté politique, les régions peuvent infléchir le système de formation. Mon expérience personnelle me prouve que le PRDF constitue un excellent outil de mutation des méthodes de la formation professionnelle.

M. André Zylberberg - J'avais raison de redouter cette question.

M. Jean-Claude Carle, président - Donnez-nous votre opinion. Nous ne demandons qu'à être démentis. L'objectif de cette mission reste d'entendre des avis différents.

M. André Zylberberg - La solution miracle n'existe pas. Pour un économiste, la formation reste l'attribut de celui qui la reçoit et, éventuellement, de l'entreprise qui la prodigue. L'hypothèse d'une personne en recherche de formation qui ne peut se déplacer n'est plus du ressort de l'économiste.

M. Jean-Claude Carle, président - C'est un problème politique.

M. André Zylberberg - C'est un problème politique, oui. Nous quittons le domaine de la formation pour le problème global des freins à la mobilité ou les problèmes de logement. Un constat d'impuissance face à ces contraintes peut alors commander d'opter pour la solution régionale.

M. Jean-Claude Carle, président - Tous les problèmes ne peuvent être résolus au niveau régional. La région, toutefois, représente un échelon de cohérence. Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions ?

M. Serge Dassault - Vous évoquez la formation des adultes. Selon vous, quel type d'individu répond à la définition de l'adulte ?

M. André Zylberberg - Administrativement, en France, le système des aides change dès l'âge de vingt-cinq ans.

M. Serge Dassault - L'âge de dix-huit ans ne constitue-t-il pas un âge adulte ?

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Un individu, avant vingt-cinq ans, est considéré comme un jeune majeur, non comme un adulte.

M. André Zylberberg - Sur le marché du travail, un jeune a moins de vingt-cinq ans. Au cours de notre mission, nous n'avons pas étudié cet aspect. Il constitue, en effet, un problème différent.

M. Serge Dassault - Dans votre rapport, l'ANPE et l'UNEDIC ne sont destinées à jouer aucun rôle. Elles aident néanmoins à la recherche d'emploi et de formation. Où les candidats seront-ils formés ? A l'université, dans des écoles professionnelles d'apprentissage ? Dans ce sens, qu'appelez-vous le service public de l'emploi ? Résulte-t-il de l'éducation nationale, de l'université ?

M. André Zylberberg - Les organismes qui accompagnent les chômeurs constituent, selon nos termes, le service public de l'emploi (ANPE, UNEDIC). Aujourd'hui, l'ANPE définit les stages nécessaires aux chômeurs, qui les accomplissent dans le cadre de l'AFPA ou des GRETA sans aucune logique d'évaluation, uniquement de guichet. Les actions de l'AFPA n'ont jamais fait l'objet d'évaluation. Néanmoins, les chômeurs continuent de suivre des formations au sein de ces structures. Nous proposons une logique d'incitation, comprenant des opérateurs externes, notamment les entreprises d'intérim, qui auraient pour mission de placer les chômeurs et recevraient des rémunérations selon ces placements. Quand le placement du chômeur nécessitera une formation, l'agence externe rémunérera l'organisme de formation, l'AFPA ou un GRETA.

M. Serge Dassault - Cette formation professionnelle concerne-t-elle les métiers et pas simplement les diplômes ?

M. André Zylberberg - Oui.

M. Serge Dassault - La formation concerne-t-elle les activités de commerce et d'artisanat, où la demande reste forte ?

M. André Zylberberg - Notre projet couvre tous les domaines de formation professionnelle utiles à un chômeur pour trouver plus rapidement un emploi.

M. Serge Dassault - Le système fonctionne-t-il ainsi à l'étranger ?

M. André Zylberberg - Oui, dans certains pays, aux Pays-Bas par exemple.

M. Serge Dassault - Qu'en est-il de la France ?

M. André Zylberberg - Quelques expériences ont eu lieu dans un cadre aujourd'hui légal. Les entreprises intérimaires exercent ainsi leur droit d'accompagner les chômeurs et de les placer en CDI.

M. Serge Dassault - Que proposez-vous concrètement pour améliorer la situation pour que les chômeurs ne soient plus orientés vers des formations inadéquates et retrouvent un emploi ?

M. André Zylberberg - Certains chômeurs reçoivent, en effet, des formations inutiles dans le cadre d'un retour à l'emploi, selon une logique de guichet. Nous proposons d'insérer la formation professionnelle dans le parcours d'accompagnement après décision des opérateurs externes, au contraire de l'organisation actuelle. Le service public de l'emploi aujourd'hui, ANPE et UNEDIC, décide de manière abstraite du type de stage que le chômeur accomplira, sans contrôle a posteriori.

M. Serge Dassault - La situation se présente-t-elle réellement de cette manière ?

M. André Zylberberg - Oui.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Pour abonder dans votre sens, j'indiquerai que le conseil général du Rhône a signé un contrat avec ADECCO concernant les Rmistes. Les sommes accordées pour chaque Rmiste obtenant un emploi restent inférieures aux allocations versées.

M. André Zylberberg - Vous mentionnez un excellent exemple de système incitatif.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Qui plus est, ce système fonctionne.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous affirmez que les formations courtes ont un rendement causal nul pour les salariés et les chômeurs.

M. André Zylberberg - C'est le cas.

M. Jean-Claude Carle, président - Le principe des vingt heures par an accordées dans le cadre du DIF renforce-t-il votre jugement ?

M. André Zylberberg - Oui. Je travaille cependant sur des moyennes. Certaines mises à niveau seront au contraire très rapides. La logique du contrat détermine le paramètre de la durée. Toutefois, les études montrent que les formations courtes, dans leur majorité, demeurent inefficaces.

Mme Isabelle Debré - Selon vous, l'investissement dans la formation est d'autant plus efficace qu'il est précoce. Incluez-vous dans cette logique l'école maternelle ?

M. André Zylberberg - Oui. J'ajouterai que l'efficacité se révèle encore plus importante avant l'école maternelle. Les États-Unis, davantage que la France, ont travaillé sur ces questions de l'investissement dans la petite enfance. Une expérience célèbre, le Perischool Program, consistait à appliquer un programme spécifique à des enfants de milieux très défavorisés dès l'âge de trois ans. Toutefois, les dépenses pour un tel programme restaient très élevées. Un an de suivi massif d'un enfant correspondait, en effet, à trois ou quatre fois le coût d'un élève de primaire en France. L'expérience s'est déroulée sur vingt-cinq ans. Les résultats sur ce groupe d'enfants, comparé à un groupe de contrôle, apparaissent spectaculaires. Les gains collectifs en termes de socialisation et de baisse de la délinquance dépassent très largement le coût du programme, sous la condition indispensable d'investir sur le long terme.

Mme Isabelle Debré - Une évaluation reste également nécessaire.

M. Jean-Claude Carle, président - L'évaluation est nécessaire.

M. André Zylberberg - L'évaluation est indispensable, sur le long terme, afin d'ouvrir un débat sur l'efficacité d'un système. La question du choix des dépenses publiques, dans une expérience de ce type, se pose. La société doit-elle investir massivement dans la petite enfance ou dans une formation professionnelle moins coûteuse dont l'efficacité n'est pas avérée ?

M. Jean-Claude Carle, président - Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions ?

Mme Isabelle Debré - M. Zylberberg a déjà répondu à un grand nombre de questions.

M. Jean-Claude Carle, président - M. Zylberberg a en effet répondu à un grand nombre de questions au cours de son exposé. Je souhaite vous poser une dernière question. Avez-vous pu constater puis évaluer une différence d'efficacité entre les grandes et les petites et moyennes entreprises ?

M. André Zylberberg - L'opacité demeure le principal problème que l'on peut constater dans le domaine de la formation, en particulier en ce qui concerne les circuits de financement. Le problème de l'évaluation économique devient ainsi un problème d'évaluation démocratique. Les élus de la nation ne peuvent plus agir face à un tel imbroglio. Nous précisons dans notre étude que M. le député Fourgous, chargé du rapport sur la formation professionnelle, ne constatait pas des dépenses identiques selon les différents bordereaux du ministère des finances. L'écart s'élevait parfois à environ 1 milliard d'euros. Les dépenses de formation restent donc mal connues. M. le député affirmait également n'avoir pu obtenir les justificatifs de certaines dépenses auprès du ministère du travail. La formation professionnelle échappe ainsi à l'autorité législative. Ai-je répondu à votre question ?

M. Jean-Claude Carle, président - J'évoquais plus précisément les différences d'efficacité entre les grandes et les petites et moyennes entreprises.

M. André Zylberberg - Les dépenses de formation professionnelle augmentent avec la taille de l'entreprise. Les enquêtes du CEREQ, qui portent sur les entreprises de plus de dix salariés, confirment ce constat. Les grandes entreprises comptent, en effet, plus de personnel qualifié et, logiquement, dépensent davantage dans la formation. Selon les chiffres globaux à notre disposition, les petites entreprises investissent sept à huit fois moins. L'étendue de la mutualisation et le système très complexe de la redistribution des sommes par les organismes collecteurs demeurent également largement ignorés. Nous estimons que l'autorité législative devrait prioritairement supprimer l'obligation légale, qui génère cette opacité.

M. Jean-Claude Carle, président - Existe-t-il un parallèle avec l'AGEFIPH ? Dans un certain nombre de cas, les entreprises préfèrent acquitter une taxe que se soumettre à cette mesure qui les incite à employer des handicapés.

Mme Isabelle Debré - Le cas apparaît identique.

M. André Zylberberg - C'est exact. Les économistes considèrent que les systèmes de taxes avec seuil ne sont pas incitatifs.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Le cas est identique pour l'obligation de 20 % de logements sociaux dans les communes, me souffle ma collègue.

Mme Isabelle Debré - Le cas apparaît identique également à l'obligation de parité dans les partis politiques.

M. Jean-Claude Carle, président - Avez-vous d'autres questions ? Non ? Merci monsieur Zylberberg pour cet exposé. Votre rapport constitue l'un des éléments qui nous ont incités à mettre en place cette mission.

M. André Zylberberg - J'en suis très heureux. Merci de m'avoir invité.

Audition de MM. Pierre MARTIN, président, et Pierre BURBAN, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale (UPA) (28 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous avons le plaisir d'accueillir MM. Pierre Martin et Pierre Burban. Merci d'avoir accepté d'intervenir devant notre mission dont la tâche consiste en un état des lieux de la formation professionnelle qui nous permettra de rédiger des propositions en vue d'améliorer la situation actuelle. Les différents intervenants ayant répondu favorablement à notre invitation exercent des responsabilités en matière de formation professionnelle qui en font des experts reconnus. L'Union professionnelle artisanale incarne, en particulier, un partenaire important. L'artisanat demeure, en effet, la première entreprise de France. A ce titre, nous sommes impatients d'entendre votre intervention. Je vous invite à exprimer librement vos positions. Elles nous aideront dans nos conclusions et nos propositions.

Merci encore, monsieur le président. Je vous cède la parole pour une trentaine de minutes. Mes collègues vous poseront ensuite leurs questions. Toutefois, nous ne pourrons aborder tous les problèmes au cours de l'heure qui va s'écouler. Je vous invite donc, si vous désirez préciser un point, à nous faire parvenir, par la suite, une contribution écrite, ou à revenir devant nous. Nous tiendrons compte de chaque élément pour acquérir la perception la plus large possible de la situation avant de remettre notre rapport au mois de juillet prochain. Nous vous écoutons.

M. Pierre Martin - Merci monsieur le président. Mesdames et messieurs, merci de votre accueil. Nous avons bien volontiers répondu favorablement à votre invitation. La formation professionnelle se classe, en effet, au centre des préoccupations des artisans. A travers mes propos, je tenterai de vous expliquer l'organisation de notre secteur dans ce domaine. Selon les branches, nous sommes soumis à une nécessité impérieuse de formation de nos collaborateurs comme de nous-mêmes.

- Difficultés de la formation des collaborateurs

Les impératifs d'organisation de nos entreprises à faibles effectifs dressent parfois des obstacles au respect d'obligation de formation de nos collaborateurs. Les freins restent culturels pour les entreprises et les salariés. Le passage aux trente-cinq heures a également imposé une difficulté réelle supplémentaire à la possibilité de procéder à des formations sans bouleversements organisationnels, à laquelle le chef d'entreprise que je suis demeure confronté en permanence.

Le regroupement des OPCA a provoqué une avancée importante dans le domaine de la formation des salariés. Quatre OPCA interviennent au sein de l'artisanat. Cette forte présence a suscité une augmentation des demandes de formation, accentuée également par la création du DIF. Bien que ce dispositif n'apparaisse pas adapté aux petites entreprises de notre secteur, le nombre de sollicitations a effectivement augmenté, grâce à des campagnes de sensibilisation menées en partenariat avec les branches professionnelles. Devant les difficultés financières induites et l'incapacité par la mutualisation à faire face à ces sollicitations, le monde de l'artisanat a revu à la hausse, avec l'aide de l'OPCA des services en particulier, ses contributions, conjointement aux partenaires sociaux.

L'appréhension des besoins en termes de formation reste la difficulté principale à surmonter. L'entreprise ne dispose pas, en effet, d'une prévision à moyen terme des départs de ses collaborateurs et de l'organisation des équipes qui en résulte. Cette situation se révèle particulièrement patente au sein des activités subissant une fréquente part d'imprévus, qui aboutissent souvent à l'annulation des formations. Les engagements des débuts d'année donnent ainsi lieu à des réalisations moindres. Nous tentons dès lors de pallier les fluctuations par de nouvelles campagnes de sensibilisation.

Pour sa part, le contrat de professionnalisation subit une amélioration tangible. Dans le domaine de l'artisanat, son positionnement apparaît aujourd'hui de bonne qualité. Il se révèle plus adapté, donc plus utilisé, que ne l'était le contrat de qualification.

- Difficultés de la formation des chefs d'entreprise

Ces difficultés restent liées à la mise en place d'un nouveau fonds de formation national. Nous avons, en effet, décidé de regrouper au 1 er janvier 2008 les trois grands fonds d'assurance formation (FAF) de l'alimentation, des services et du bâtiment afin d'aboutir à une meilleure rationalisation et une meilleure mutualisation. Ce projet de fusion reste cependant suspendu à l'adoption des textes définitifs. Nous souhaitons vivement être entendus afin que le nouvel organisme ainsi créé puisse enfin traiter les demandes pour l'ensemble du territoire. Le dispositif, jusqu'à ce jour, se fondait sur des FAF régionaux gérés par des chambres consulaires et, conjointement, par trois FAF nationaux. Des difficultés d'organisation des cofinancements au niveau des régions et au niveau national se faisaient ainsi jour régulièrement. Par la centralisation que sous-tend notre projet, les chambres consulaires bénéficieront d'un dispositif de financement de leurs formations beaucoup plus simple d'utilisation.

L'amélioration de l'accès à ces fonds par une meilleure sensibilisation demeure notre préoccupation principale. Selon nos statistiques, la même minorité d'entreprises accède continuellement aux formations proposées. Seule cette infime part des entreprises possède la culture nécessaire à la mise en place des formations. La situation apparaît cependant plus saine dans certaines branches professionnelles, à l'exemple des métiers de l'automobile en raison des évolutions technologiques, des métiers de la mode, de la coiffure grâce à la nécessité d'un renouvellement constant, des métiers de l'électronique où la demande reste forte, du bâtiment qui connaît une évolution de ses techniques et matériaux obligeant ses acteurs à suivre régulièrement des formations.

Nous devons étendre cette culture à chaque branche de l'artisanat. Le niveau de formation initial de scolarité de nos collaborateurs apparaît, en effet, souvent inadapté aux nécessités du marché. La formation continue nous aide à améliorer, reprendre, compléter ces carences.

Ma première approche du problème s'est voulue synthétique. Je répondrai maintenant volontiers à vos questions concernant les problèmes liés à la formation de nos collaborateurs, incluant l'action des OPCA, et le domaine de la formation des chefs d'entreprises, principalement orientée vers le futur FAF national. Nous pourrons également aborder, si vous le souhaitez, les difficultés que nous rencontrons dans l'application du DIF, inadapté à l'artisanat et dont nous souhaiterions rediscuter les termes avec les partenaires sociaux afin de l'aménager et de l'adapter aux petites entreprises.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci monsieur le président. Avez-vous des questions, chers collègues ?

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Que proposez-vous pour adapter le DIF aux contraintes de l'artisanat ?

M. Pierre Martin - Sans nous éloigner de la philosophie et de l'objet du DIF, nous devons nous fixer pour objectif de rapprocher les formations liées à l'activité de l'entreprise de l'épanouissement personnel du salarié. Par un dialogue que nous souhaiterions plus fréquent à l'intérieur de l'entreprise, le dirigeant et ses collaborateurs doivent déterminer ensemble les besoins et le parcours nécessaires à cet épanouissement. Dans les grandes structures, se charger de la mise en oeuvre de ces dispositifs reste la mission des directeurs ou responsables des ressources humaines. Ces métiers n'existent pas dans l'entreprise artisanale. Le dirigeant, de plus, ne maîtrise pas les pratiques liées à cette mise en oeuvre. Je peux citer, selon mon expérience personnelle, l'exemple de la coiffure, domaine que je représente. Nos collaboratrices dans ce secteur, notamment pour des raisons familiales, rencontrent des difficultés lors de leurs départs en formation, en particulier lors des stages longs.

Nous nous déclarons donc favorables à une révision du contenu du DIF. Par leur impact sur l'organisation des entreprises artisanales, les vingt heures de formation prévues par an nous semblent en tout état de cause disproportionnées.

M. Jean-Claude Carle, président - Selon vous, le DIF reste inadapté au monde artisanal. Il résulte cependant d'une obligation légale. Que pensez-vous de cette obligation de formation ? Je souhaite également comprendre les raisons qui vous incitent à considérer comme disproportionnée une formation de vingt heures par an. Selon l'intervenant qui vous a précédé, M. Zylberberg, vingt heures ne suffisent pas à une amélioration notable, les formations courtes n'ayant aucune conséquence sur les rendements privés (salariés et entreprises) ou collectifs (reconversions, évolutions bénéfiques pour la société entière).

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - L'exposé de M. Zylberberg m'a en réalité paru plus nuancé. Dans certains cas, dix heures peuvent suffire à un perfectionnement. L'obligation universelle des vingt heures lui semblait en revanche absurde.

M. Jean-Claude Carle, président - Je crois me souvenir que le rendement causal du DIF restait presque nul. Je parle sous votre contrôle, mes chers collègues. Qu'en pensez-vous, monsieur Martin ?

M. Pierre Martin - La situation du salarié demeure primordiale. M. Zylberberg notait qu'une modification de carrière ou une réorientation complète nécessitaient une formation longue. Au sein de l'artisanat, les vingt heures imposées par le DIF et le plan d'organisation de l'entreprise apparaissent, en revanche, incompatibles.

M. Jean-Claude Carle, président - Ne reconnaissez-vous pas, implicitement, les limites de l'obligation légale ?

M. Pierre Martin - Absolument.

M. Pierre Burban - J'ajouterai qu'un DIF est inutile dans le cas d'une reconversion. Un CIF demeure en effet mieux adapté. Le DIF ne peut se substituer aux dispositifs existants. Par ailleurs, le DIF reste effectivement une obligation légale. Il résulte d'un accord signé le 5 décembre 2003, à la suite des négociations de septembre 2003. Nous émettons cependant des réserves quant à sa mise en oeuvre, en particulier au sein des petites entreprises.

M. Jean-Claude Carle, président - Les petites entreprises créent des emplois.

M. Pierre Burban - Les petites entreprises créent effectivement des emplois. Nous devons donc discuter avec les partenaires sociaux d'une possible évolution du dispositif. Le droit unique, universel, égalitaire pour chaque salarié ne fait que renforcer nos réserves. Tous les salariés ne bénéficient pas, en effet, d'acquis identiques et ne demandent pas une formation analogue.

M. Jean-Claude Carle, président - Le rôle du chef d'entreprise reste de produire ou de vendre, non de se charger du parcours juridique et fiscal des formations. Les petites et moyennes entreprises n'ont-elles pas l'obligation de se doter d'un accompagnement dont la mission serait de mettre en place ces dispositifs ?

M. Pierre Martin - Absolument. Les obstacles liés à l'emploi sont identiques. Je ne développerai pas ce sujet dans le cadre de cette mission consacrée à la formation. Toutefois, le manque de perception chez le chef d'entreprise de l'évolution de son activité, du devenir de son entreprise, suscite des difficultés dans le recrutement à accomplir autant que dans les formations à mettre en oeuvre. Le dirigeant d'entreprise devrait, idéalement, établir son plan de formation en début d'année. La pratique, dans un certain nombre de structures artisanales, demeure tout autre. Vous avez raison de souligner l'aide dont le chef d'entreprise devrait bénéficier pour mettre en place son plan de formation. Les organisations professionnelles et les chambres consulaires ont ainsi entrepris d'importantes actions de soutien. Toutefois, aujourd'hui encore, les entreprises qui accèdent aux formations appartiennent à une même petite minorité.

M. Jean-Claude Carle, président - Les OPCA ne devraient-ils pas gérer les efforts d'accompagnement ?

M. Pierre Martin - La question est délicate.

M. Jean-Claude Carle, président - Devant cette mission, les questions délicates n'existent pas.

M. Pierre Martin - Les OPCA peuvent constituer un appui.

M. Jean-Claude Carle, président - J'ai utilisé le conditionnel.

M. Pierre Martin - Les OPCA constituent déjà un appui. Les OPCA de l'artisanat, par exemple, organisent des réunions décentralisées, imaginent des représentativités régionales afin de soutenir les artisans. Je ne suis pas certain, cependant, que les OPCA possèdent les moyens humains d'agir davantage. Dans l'OPCA des services, par exemple, une dizaine de métiers représentés possèdent des spécificités (chauffeur de taxi, coiffeur, prothésiste dentaire). Les organisations professionnelles et les chambres consulaires possèdent davantage de moyens que les OPCA pour mettre en oeuvre les missions spécifiques à chaque métier. En qualité d'ancien président d'OPCA, je connais particulièrement bien cet aspect du problème

M. Jean-Claude Carle, président - La question apparaît d'autant plus importante que les secteurs de l'artisanat créent des emplois. Des personnes peu qualifiées, en recherche d'emploi, connaîtront des difficultés à se reconvertir sans formation dans des domaines tels que la coiffure ou le jardinage. Les directions des ressources humaines des grandes entreprises ne rencontrent certes pas d'obstacles de cette nature pour former leurs salariés. Les PME de l'artisanat restent cependant à l'origine de nombreuses offres d'emplois auxquelles pourrait accéder un jeune public en situation d'échec scolaire.

M. Serge Dassault - Vous vous intéressez au personnel des entreprises artisanales qui veut se perfectionner. Pouvez-vous évoquer la formation des chômeurs souhaitant accéder à l'emploi par les activités du bâtiment ou de la restauration, secteurs où la demande de personnel n'est pas satisfaite, et la formation des jeunes qui sortent de l'éducation nationale en situation d'échec scolaire ?

M. Pierre Martin - Les chiffres sont éloquents. En France, l'artisanat forme 57 % des apprentis. Depuis plusieurs années, nous pratiquons une politique de promotion incessante, de rapprochement avec l'éducation nationale, de manifestations. La semaine de l'artisanat, par exemple, s'est déroulée la semaine dernière. Nous avons organisé des forums. Je suis personnellement intervenu devant 250 élèves d'un IUT pour évoquer les attraits de notre secteur, la possibilité d'entrer en formation ou de compléter une formation grâce à des passerelles mises en place par nos soins. En cette période de papy-boom, nous essayons également de sensibiliser le jeune public à l'importance de la transmission d'entreprise. Je vous répondrai donc, monsieur le sénateur, que nous nous intéressons à tous les publics.

Les assises de la jeunesse au Conseil économique et social ont démontré que les problèmes de l'entrée en apprentissage naissent au niveau de l'orientation. Les jeunes diplômés le confirment. Dans ce domaine, nous devons faire face à des carences de l'éducation nationale. Nous essayons de compenser ces manques par des actions directes auprès du jeune public. Sans vouloir susciter de polémique politicienne, nous nous étonnons du sort réservé à l'apprentissage junior. Les actions qui permettent la découverte des métiers, des entreprises, des activités au sein de l'artisanat ou ailleurs nous paraissent, en effet, fondamentales.

Pour répondre à votre question, je soulignerai également une performance survenue ces dernières années : sur des classes d'âge à faible démographie, l'apprentissage a progressé.

Nous pratiquons également des actions ciblées sur les chômeurs, des partenariats avec l'ANPE pour apporter les compléments de formation dont peuvent avoir besoin les personnes en recherche d'emploi, des formations de courte durée selon les branches professionnelles, souvent en collaboration avec les centres de formation. Les GRETA dans le secteur du bâtiment, par exemple, s'engagent volontiers vers ce type de formations.

M. Serge Dassault - Comment orienter les chômeurs vers le monde de l'artisanat ? Hormis l'ANPE, possédez-vous des relais dans les communes, les départements ?

M. Pierre Martin - Chaque département suit la ligne qu'il s'est fixée. Les partenariats changent selon l'interlocuteur. Les engagements n'apparaissent pas toujours identiques. Par ailleurs, je suis président d'une chambre de métiers. J'ai donc abordé le problème sous différents angles. Nous avons établi des partenariats et des liens indispensables avec les missions locales. Nous participons à la mise en place des maisons pour l'emploi, par l'intermédiaire des organisations professionnelles et des chambres consulaires. Dans mon département, qui possède plusieurs antennes décentralisées, nous travaillons avec les pays, l'intercommunalité, selon un maillage naturel. Nous essayons ainsi de faire venir des apprentis vers les branches en recherche de personnel, principalement le bâtiment et l'hôtellerie-restauration.

M. Serge Dassault - Possédez-vous des relais dans l'Essonne ?

M. Pierre Martin - Oui. M. Bernard Carlier, président de la chambre des métiers, pourrait évoquer ces relais devant vous.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous lui demanderons de prendre contact avec notre collègue.

M. Pierre Martin - Laissez-moi vous préciser que je ne souhaite pas dresser un tableau idyllique de la situation. L'honnêteté m'incite à vous indiquer par exemple qu'en Bourgogne, où je me suis engagé en compagnie d'un certain nombre de mes collègues dans le domaine de la formation, nous ne ciblons pas l'emploi des chômeurs. Nous essayons, au contraire, de mettre à la disposition des personnes en recherche d'emploi des formations de courte durée afin de les aider à intégrer rapidement un poste de travail.

M. Serge Dassault - Les différents acteurs de la formation doivent-ils s'adresser à la chambre des métiers ?

M. Pierre Martin - Oui, ainsi qu'aux organisations professionnelles, en particulier celles du bâtiment.

M. Jean-Claude Carle, président - Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions à poser à M. Martin ?

Abordons les problèmes de la formation initiale, à laquelle notre mission s'intéresse également en raison de l'évidence de ses liens avec la formation continue, et des perspectives de carrière. Vous évoquiez une carence dans le domaine de l'orientation. Comment améliorer cette situation ? Résulte-t-elle exclusivement des insuffisances de l'éducation nationale ou, également, de l'attitude des parents, de la communauté éducative au sens large, dans laquelle j'inclus les professions ?

M. Pierre Martin - La faute n'incombe pas uniquement à l'éducation nationale et à son système d'orientation. Toutefois, nous ne devons qu'à nous-mêmes et aux moyens dont nous nous sommes dotés d'avoir amélioré nos performances. Au-delà du slogan « L'artisanat, première entreprise de France », nous finançons dans les établissements scolaires, à travers un fonds de promotion, une taxe parafiscale qu'acquitte chaque entreprise artisanale, des campagnes de communication sur les métiers, les savoirs, la formation. Grâce à cette action, depuis quelques années, la situation s'est améliorée. Néanmoins, la marge de progression reste importante. Dans mon département notamment, certains établissements nous demeurent inaccessibles. Nous organisons également, à Auxerre, un forum des formations et des métiers. 4 000 jeunes y participent. Le conseil général finance leur déplacement par bus. Malheureusement, ensuite, les jeunes sont abandonnés à l'entrée du parc des expositions sans aucune préparation. Aucun enseignant ne les accompagne. Les professionnels, les établissements de formation sont présents, sans pallier toutefois le manque d'encadrement et de préparation.

Ma soirée en compagnie des représentants de l'IUT constitue, à mes yeux, un exemple plus intéressant. Les enseignants avaient préparé les jeunes en les informant de la nature et des attraits de l'artisanat. Libre à eux, ensuite, de se forger une opinion, en posant des questions, en s'intéressant. Leur curiosité et leurs appréciations naissent d'une connaissance préalable du secteur.

Dans ce domaine, l'éducation nationale me paraît présenter une lacune. En effet, nous ne possédons pas, à l'exemple de l'Allemagne, un système dual qui permet une découverte facilitée des entreprises et des différentes activités de l'artisanat. Je trouve dommage qu'en France, cette prise de connaissance des secteurs professionnels se déroule sans concertation et sans organisation commune.

Nous avons donc décidé d'organiser des actions sans la contribution des partenaires publics. Le fonds de promotion a ainsi financé de petites voitures répondant au nom d'Artimobiles. Leur technologie embarquée, le système informatique, leur permettent de présenter au jeune public les différents métiers de l'artisanat. Nous avons voulu ces véhicules très colorés, dotés d'un design particulier pour réussir à intéresser le jeune public.

Je pense avoir répondu à une partie de vos interrogations. La mentalité des familles, quant à elle, évolue plus rapidement, notamment sous la contrainte des réalités actuelles. Aujourd'hui, la grande entreprise, malheureusement, détruit davantage d'emplois qu'elle n'en crée. Bien que regrettable, cette situation est appelée à se prolonger. L'administration, pour sa part, ne remplace pas l'ensemble de ses collaborateurs partant en retraite. Nous connaissons tous la situation de l'État dans ce domaine. Les familles, dès lors, s'intéressent aux secteurs subsistants, notamment les services à la personne et l'artisanat, qui gardent un fort potentiel dans le domaine de la création d'emplois et de l'intégration dans la société. Aujourd'hui, un jeune formé et détenteur d'un CAP peut ainsi décider de changer de métier sans conséquences négatives sur son avenir professionnel. En règle générale, en effet, l'insertion demeure plus facile pour les jeunes qui exercent déjà un métier, y compris lorsqu'ils décident d'en changer. L'évolution de la considération des familles envers l'artisanat apparaît donc réellement plus rapide aujourd'hui, en raison de la disparition par ailleurs de certains débouchés.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette évolution des mentalités nécessite d'avoir préalablement informé les familles des fortes probabilités qui existent de trouver un emploi dans le secteur de l'artisanat.

M. Pierre Martin - C'est exact. Aujourd'hui, je peux vous affirmer que ces familles sont informées. Lorsque nous organisons des forums de trois jours, en effet le samedi les jeunes viennent en compagnie de leurs parents, qui prennent ainsi connaissance des possibilités liées à notre secteur, nos messages se propagent. Nous devons cependant poursuivre nos efforts, jusqu'ici insuffisants dans les branches professionnelles qui souffrent d'un problème d'image. Le bâtiment, par exemple, a souhaité agir davantage que les minima exigés dans le domaine de l'apprentissage. L'hôtellerie-restauration multiplie ses activités. Nous nous situons donc dans une dynamique prometteuse.

M. Jean-Claude Carle, président - Le PRDF, le plan régional de développement des formations professionnelles des jeunes et des adultes, ne constitue-t-il pas un outil utile pour améliorer la situation, si l'on y associe l'intégralité des partenaires et la communauté éducative, l'éducation nationale, les parents et les professions ?

M. Pierre Martin - Je suis favorable à l'utilisation des PRDF. Des différentes approches existantes, j'opterai pour l'engagement de la branche professionnelle dans le cadre d'un contrat d'objectifs, élargi ensuite à l'ensemble de l'artisanat. Ma région agit de la sorte. Je souhaite que nous développions nos collaborations avec les conseils régionaux. Seules les régions, en effet, permettent de bien appréhender les besoins, l'adéquation emploi - formation. Nous privilégions déjà cet aspect en Bourgogne, indépendamment des alternances politiques.

M. Jean-Claude Carle, président - Ne peut-on pas imaginer d'aller plus loin que le simple contrat d'objectifs, en associant, dans le cadre du PRDF, à la signature de la région et de l'État dans sa double dimension (éducation et préfet de région), le partenaire que représente le monde professionnel ?

M. Pierre Martin - Si, bien sûr.

M. Jean-Claude Carle, président - Un tel contrat poserait bien entendu un certain nombre de difficultés. Aujourd'hui toutefois, la loi permet d'expérimenter ce type de projet. J'ai moi-même exercé ce droit avec succès. J'en ai conclu qu'une incitation plus forte nécessite encore de gravir quelques paliers. A ce jour, un PRDF auquel le monde professionnel n'est pas associé se place uniquement sur l'offre de formation, sans tenir compte des besoins de l'économie, notamment et surtout des besoins de l'économie locale.

M. Pierre Martin - Je suis totalement d'accord avec vous.

M. Jean-Claude Carle, président - Chers collègues, n'avez-vous plus de questions ? J'en suis surpris. Les auditions vous ont-elles épuisés depuis ce matin ?

Mme Isabelle Debré - J'ai une question à vous poser sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Vous évoquez le jeune public qui se rend à vos rencontres par bus sans encadrement. Constatez-vous, dans ce cadre, un absentéisme important ?

M. Pierre Martin - Non.

Mme Isabelle Debré - Le jeune public est-il motivé ?

M. Pierre Martin - Les jeunes participent à nos forums simplement parce que la classe se déplace. Ils montent dans le bus et viennent. Ils ne vont pas errer dans la ville.

Mme Isabelle Debré - Plus précisément, comment apprécient-ils ce genre de sorties ?

M. Pierre Martin - Cela dépend de l'attractivité du métier et des personnes présentes. Lors de ces sorties, les centres de formation professionnelle jouent un rôle majeur. Les démonstrations, par exemple, captivent le jeune public. Il se regroupe autour des stands et suit les manifestations organisées. En revanche, il se désintéresse totalement des stands institutionnels. Chaque forum peut également mettre en place des concours qui amplifieront l'attractivité sur le public présent. Le concours de fleuriste, les concours liés aux métiers du bâtiment (pose d'ardoises et autres) lors du dernier forum, ont ainsi connu un franc succès.

Mme Isabelle Debré - Vous parvenez donc à inciter, à motiver le jeune public, au contraire de nombreux autres secteurs. J'entends évoquer, pour la première fois depuis le début des auditions, un moyen d'incitation. Je pose sans succès la question de la motivation à la fin de chaque séance. Votre concept de concours est simple, unique et efficace.

M. Pierre Martin - Absolument.

Mme Isabelle Debré - C'est important.

M. Pierre Martin - Nous devons organiser ce type d'incitation lors des forums. Quand j'étais enfant, je voyais travailler, sur mon chemin vers l'école, les artisans de ma ville. Une proximité se créait entre ces artisans et le reste de la population. Aujourd'hui, les artisans, dont les commerçants, sont de moins en moins nombreux. La vision de la pratique de leurs métiers est ainsi devenue rare. Les menuisiers, par exemple, vivent en dehors des villes. Les enfants n'ont donc plus la possibilité de les observer. Les concours de cuisine ou de pâtisserie, entre autres, sont organisés lors des forums pour ressusciter l'intérêt du jeune public.

J'ai évoqué, précédemment, l'exemple de l'IUT devant lequel je suis intervenu. En octobre dernier, je me suis également rendu à l'université de Dijon afin d'expliquer aux étudiants nos valeurs, nos métiers, notre intérêt à rencontrer de futurs repreneurs d'entreprise. Dans le cadre de travaux réalisés conjointement avec l'Institut supérieur des métiers de Bourgogne, un club des dirigeants d'entreprise a ainsi concrètement suscité des vocations. Je vous citerai les exemples d'une jeune fille titulaire d'un DESS de lettres, aujourd'hui en apprentissage de pâtisserie-chocolaterie, et d'un garçon bénéficiant d'un niveau de formation identique aujourd'hui en apprentissage de cuisine au sein du plus grand restaurant de Dijon. Nous nous intéressons donc à tous les publics, issus de classes de troisième ou diplômés de l'Université.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Dans mon département du Rhône, la Confédération de l'artisanat et de petites entreprises du bâtiment est à l'origine de réalisations dignes d'intérêt au sein des collèges. De petites maisons destinées à recevoir des artisans en retraite venus présenter le métier qu'ils exerçaient sont, par exemple, édifiées dans les halls des collèges.

M. Pierre Martin - Ces artisans en retraite sont formés.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Ils sont formés à la pédagogie.

M. Pierre Martin - De plus, la formation est peu coûteuse.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - La formation est en effet peu coûteuse.

M. Pierre Martin - Ces initiatives me paraissent intéressantes. Les maisons dépliées qui dévoilent les métiers d'électricien, maçon, couvreur, sont attractives.

M. Jean-Claude Carle, président - Ces forums me semblent nécessaires mais pas suffisants. Ils ne suscitent de réel intérêt que préparés avec minutie, encadrés de professeurs et débriefés. J'ai le souvenir d'un forum de l'orientation en Rhône-Alpes qui avait attiré environ 10 000 collégiens. Son rendement toutefois était resté faible. Il ressemblait davantage au Salon de l'automobile, les enfants remplissant leurs sacs de documentation prise sur les stands de l'armée sans davantage d'explications. Nous avions cependant créé l'événement nous permettant ensuite de mieux préparer les manifestations qui allaient suivre.

La profession se doit également de relayer l'intérêt suscité chez les enfants en leur faisant, par exemple, sentir l'odeur des copeaux si leur choix se porte sur le métier d'ébéniste, en leur faisant découvrir ces univers que nous avons connus mais auxquels ils ne sont plus confrontés.

La valeur d'exemple reste indispensable. Les Olympiades des métiers existent pour nous le rappeler. Les premières Olympiades, organisées en Rhône-Alpes, nous avaient montré combien ce concept captive le jeune public. La mission devra s'y intéresser tout particulièrement.

M. Pierre Martin - La finale des Olympiades se déroule samedi et dimanche prochains à Amiens.

M. Jean-Claude Carle, président - Allez-y. Le spectacle est passionnant. Je garde un grand souvenir des Olympiades des métiers d'Amsterdam.

M. Pierre Martin - J'apprécie vos propos. Je pensais, lors de mon exposé, aux Olympiades des métiers. La répercussion médiatique de cet événement demeure cependant insuffisante.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Localement, au niveau des régions, par exemple en Rhône-Alpes, l'impact est réel.

M. Pierre Martin - C'est exact. Cela ne l'est malheureusement pas au niveau des médias nationaux, qui demeurent une caisse de résonance autrement plus importante.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Nous nous devons cependant de travailler au niveau des collégiens car les collégiens ne se déplacent pas sans leurs familles, contrairement aux lycéens. Nous avons étudié les limites des déplacements des collégiens en compagnie de leurs classes et de leurs familles, souvent limités aux samedis. Nos efforts doivent donc porter sur les forums régionaux.

M. Pierre Martin - C'est exact.

M. Jean-Claude Carle, président - Messieurs merci. N'hésitez pas à nous faire part par écrit de points supplémentaires que vous souhaiteriez aborder. Nous rendons notre rapport en juillet. Nous aurons donc l'opportunité de les considérer avec intérêt.

M. Pierre Martin - Merci à vous et merci de votre écoute.

Audition de MM. Alain LECANU, secrétaire national chargé du pôle emploi-formation, et Marcel BROUARD, responsable du secteur travail-emploi-formation de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) (28 mars 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous accueillons M. Lecanu, accompagné de M. Brouard. Merci d'avoir accepté d'intervenir devant notre mission, dont la tâche consiste en un état des lieux de la formation professionnelle qui nous permettra de rédiger des propositions ayant pour but d'éradiquer les difficultés que nous rencontrons depuis plusieurs années. Les différents intervenants ayant répondu favorablement à notre invitation exercent des responsabilités en matière de formation professionnelle qui en font des experts reconnus. La CFE-CGC incarne, en particulier, un partenaire important dans ce domaine. A ce titre, nous sommes impatients d'entendre votre intervention. Je vous invite à vous exprimer librement pour nous indiquer vos positions. Elles nous aideront dans nos conclusions et nos propositions. Je vous cède la parole. Mes collègues vous poseront ensuite leurs questions. Toutefois, nous ne pourrons aborder tous les problèmes au cours de l'heure qui va s'écouler. Je vous invite donc, si vous désirez préciser un point, à nous faire parvenir, par la suite, une contribution écrite, ou à revenir devant nous. Nous tiendrons compte de chaque élément pour obtenir le panorama le plus large possible avant de remettre notre rapport au mois de juillet prochain. Monsieur Lecanu, nous vous écoutons.

M. Alain Lecanu - Merci monsieur le président. Je n'ai pas choisi de vous décrire une nouvelle fois le panorama général de la formation professionnelle. Mes prédécesseurs à cette place s'en sont sans doute chargés. J'aborderai donc immédiatement les thématiques qui nous intéressent. En premier lieu, la CFE-CGC a certes signé l'accord de la fin de l'année 2003. Toutefois, la situation n'a pas évolué aussi rapidement que nous l'attendions. Nous avons dû attendre la loi complémentaire de mai 2004. Selon les branches, la mise en oeuvre du dispositif a nécessité une durée comprise entre plusieurs mois et une année entière. Nous avons donc perdu trop de temps pour, aujourd'hui, bénéficier du recul nécessaire à un constat précis des changements effectués. Un bilan à l'issue des cinq premières années, c'est-à-dire à la fin de l'année 2008, est d'ailleurs prévu en accord avec les partenaires sociaux. Les principaux paramètres dont nous souhaitons l'estimation ont été définis en étroite collaboration afin d'en optimiser les résultats. Les nombreuses attaques que nous subissons quant à cette date tardive nous ont incités cependant à réaliser un premier bilan partiel qui sera disponible à la fin du mois de septembre 2007. Nous tentons toutefois d'évoluer au rythme que nous estimons nécessaire à la qualité de nos études.

Certaines sources avancent que la formation professionnelle souffre d'une trop grande complexité et d'une trop grande opacité, préjudiciables à son efficacité. Selon nous, les difficultés restent relatives, en regard des différents schémas existant aujourd'hui. En effet, les acteurs de la formation - entreprises, différentes branches professionnelles, salariés, demandeurs d'emplois - maîtrisent le système dans sa complexité même. Les services sont ainsi rendus avec constance et succès, au-delà des freins existants. La CFE-CGC admet que des améliorations demeurent indispensables. Nous prônons ainsi, notamment à l'échelon régional, la création d'une structure commune qui permettrait un éclairage des positions des partenaires sociaux. Je préfère évoquer une structure commune plutôt que des appellations déjà existantes et galvaudées - guichet unique, maisons de la formation et maisons de l'emploi. Un regroupement nous paraît donc nécessaire au niveau régional interprofessionnel. Lors des négociations concernant les statuts des AGEFOS et des OPCAREG, nous avons tenté d'aboutir à ce réseau unique. Notre projet demeurait cependant plus réservé que les schémas préconisés dans les rapports de la DGEFP, incluant le FONGECIF dans les réflexions à mener. La cohérence régionale des AGEFOS et des OPCAREG nous paraît davantage constituer une priorité afin d'en diminuer les frais de gestion. Leurs missions en termes d'information, de communication et de gestion de la formation restent, en effet, identiques. J'ajouterai que différents acteurs autres que la CGE-CGC préconisent cette structure unique. Une réflexion commune élargie pourrait également aboutir, à l'exemple de la protection sociale, à un regroupement d'un certain nombre d'OPCA, dont la taille dans le domaine de la collecte serait ainsi rendue suffisante. La visibilité s'en trouverait améliorée, les frais de gestion diminués selon la règle de l'effet de taille. Nous soulignons cependant la nécessité de procéder à ce type de plan de regroupement selon une cohérence des métiers. Par exemple, l'OPCA des papiers et des cartons et l'OPCA du bois pourraient voir leurs activités regroupées. Une réflexion sur le seuil de collecte au-delà duquel l'OPCA apparaîtra viable reste cependant à mener.

Après les propositions de la CFE-CGC concernant la complexité de la formation, je souhaite maintenant vous présenter nos positions quant à l'opacité supposée de la gestion de ses fonds. Dans chaque OPCA, les commissaires aux comptes valident les résultats financiers. L'administration reçoit régulièrement les informations relatives à ces comptes. Des détournements se sont certes produits ces dernières années, notamment au sein de l'OPCAREG d'Ile-de-France. La présidence de la CFE-CGC a toutefois entrepris de mettre à jour et de corriger ces écarts et de pallier, également, les dysfonctionnements administratifs, de gouvernance et de gestion existants. Les aides au paritarisme, quant à elles, inscrites dans les frais de gestion, permettent la formation de nos représentants au sein des OPCA. Je tiens à souligner l'efficacité de ces formations de suivi de trésorerie de nos différents administrateurs.

L'efficacité du dispositif de la formation professionnelle s'évalue en définitive sur deux points essentiels, les résultats escomptés et la situation de comparaison. En 2003, la CFE-CGC a défini sa conception de la formation en termes d'évolution des métiers, d'adaptabilité aux postes et d'obligation pour le salarié de se former. A ce jour, en revanche, l'obligation de résultat au niveau de l'employabilité demeure nulle. Nous regrettons cette situation préjudiciable à la sécurisation des parcours professionnels. Nous prônons donc la création d'un lien resserré entre formation et employabilité.

Les partenaires sociaux ont également considéré l'efficacité par l'accès à l'information, notamment l'inscription du principe d'un entretien de deuxième carrière pour les seniors, ou la prise en compte des temps partiels. Cependant, la priorité donnée au personnel non qualifié nous surprend. Nous préférerions définir et soutenir la catégorie des personnes les plus éloignées de l'emploi. Ainsi, un agent de maîtrise ou un cadre formés aux besoins d'une entreprise pour laquelle ils ont ensuite travaillé de nombreuses années, qui subiraient un accident de parcours, seraient davantage éloignés de l'emploi que des personnes peu ou moins qualifiées. Les difficultés que rencontrent les cadres demandeurs d'emplois pour obtenir des formations jugées trop longues ou trop coûteuses par l'UNEDIC justifient la position de la CFE-CGC.

Le DIF pour sa part suscite de nombreux débats. La CFE-CGC considère manquer de recul quant à l'appréciation à donner à ce dispositif. Je peux néanmoins préciser que les vingt heures obligatoires nous apparaissent insuffisantes. Nous préconisons donc un nombre d'heures de formation supérieur. Cependant, nous nous refusons à conclure au manque de pertinence de la mise en oeuvre du DIF. Nous recommandons, je le répète, davantage de recul et un nombre d'heures de formation supérieur. Toutefois, notre réflexion sur la sécurisation des parcours professionnels et la formation des demandeurs d'emploi nous incite d'ores et déjà à appuyer la création d'un DIF transférable dans la branche professionnelle et interbranches. Ce droit doit être lié à la personne plutôt que réservé dans l'entreprise. Un dispositif qui évolue, le compte épargne-temps, peut alimenter notre réflexion et nous fournir des perspectives quant à la possibilité d'appliquer cette notion de transférabilité au DIF.

Dans le domaine de la formation des chômeurs, la CFE-CGC considère inutile une éventuelle fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC. Nous nous déclarons davantage favorables à un rapprochement opérationnel d'efficacité entre ces deux administrations. Les deux semaines qui s'écoulent dans certaines régions entre une inscription aux ASSEDIC et la convocation dans une agence de l'ANPE nous paraissent ainsi inacceptables. Les distorsions sur l'appréciation, sur le bilan du parcours du demandeur d'emploi, compliquent également son retour sur le marché du travail. Les actuels rapprochements opérationnels sont certes efficaces. Toutefois, le déficit d'information demeure un obstacle. Je siège à l'UNEDIC et au conseil d'administration de l'ANPE. Mon expérience m'incite à penser que l'ANPE privilégie les contrats aidés par rapport aux contrats professionnels. Récemment, un demandeur d'emploi de trente-cinq ans m'a assuré que les contrats de professionnalisation étaient réservés aux personnes de moins de vingt-six ans. Cette anecdote ajoute à mon étonnement quant à la méconnaissance des offres destinées aux sans-emploi.

Par souci d'efficacité, l'articulation entre les régions et les ASSEDIC quant aux fonds de la formation nécessite d'être révisée. Le rôle de chacun doit être redéfini afin d'améliorer la complémentarité entre les deux structures. Mon expérience du réseau reliant l'ASSEDIC et l'UNEDIC m'encourage à considérer que la situation ces dernières années a progressé. La mise en oeuvre du PARE, la réflexion sur les formations homologuées et les formations conventionnées ont suscité de nombreuses conventions entre l'État, les régions et les ASSEDIC, à l'origine d'une amélioration notable. Toutefois, la place de l'AFPA me semble par trop négligée. Le problème de la gouvernance régionale, également, demeure. Le retard accumulé dans l'intégration de l'AFPA à cette réflexion ne doit pas devenir irréversible.

Les délais ou les dates d'entrée en formation sont également à l'origine de nombreuses difficultés. Philippe Dole, que vous recevrez peut-être ici, dans son rapport sur le contrat de transition professionnelle, souligne qu'une formation prévue à date fixe peut être différée de deux ou trois mois par manque de stagiaires. Le quart de la durée d'une formation de douze mois peut ainsi être supprimé. Quand, par ailleurs, les efforts incitent à gagner une ou deux semaines, une réflexion apparaît indispensable.

Les métiers en tension, enfin, connaissent un effet balancier. Un extrême a fait place à un autre extrême. Un certain nombre de demandeurs d'emploi qui, après une courte formation, auraient la possibilité de réintégrer un métier qui ne serait en tension, ne bénéficient pas d'une formation capable d'adapter leur niveau au poste proposé. Beaucoup de métiers proposant des emplois, en effet, n'offrent pas les formations adaptées parce que ne répondant pas à l'urgence d'une situation de tension. Nous devrons veiller à restituer davantage de moyens à ces métiers à fort potentiel bien que n'étant pas en tension. Trop souvent, dans ces domaines, certains retours à l'emploi ne nécessitant qu'une formation courte et pouvant se produire rapidement sont freinés.

Je vous ai ainsi présenté brièvement un certain nombre de points que je souhaitais aborder en votre compagnie.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci monsieur Lecanu. Je pense que votre exposé générera de la part de mes collègues un certain nombre de questions. Je commencerai par vous demander des précisions au sujet du DIF. Ce dispositif se met certes en route et il est difficile de porter un jugement sans le recul nécessaire. Selon vous, toutefois, le nombre d'heures demeure trop faible. D'autres intervenants nous ont affirmé l'inverse. Le problème de la transférabilité se pose également. La voie de la mutualisation dans laquelle le fonds unique de péréquation (FUP) pourrait jouer un rôle important n'apparaît-elle pas préférable ? Vous nous expliquerez ce que vous en pensez. Ma seconde question, après celle concernant le DIF, portera sur l'affirmation de certains de nos intervenants selon laquelle la formation professionnelle bénéficie moins aux demandeurs d'emploi les moins qualifiés. Je tiens à souligner qu'en la matière, je préfère votre terme de personnes éloignées de l'emploi. Dans certains secteurs, la mise à niveau de personnels qualifiés, en raison de l'évolution des techniques et des technologies, peut en effet nécessiter une formation. N'en bénéficiant pas, ces personnes pourront être considérées comme éloignées de l'emploi. Que pensez-vous également de ce type de situation, nullement profitable aux différents acteurs de notre société ?

M. Alain Lecanu - Sur ce second point, je me bats régulièrement dans toutes les instances où je siège afin de souligner cette notion de personnes les plus éloignées de l'emploi. La définition de l'éloignement de l'emploi d'un chômeur reçu par les ASSEDIC reste l'élément premier et pertinent vers lequel s'orienter.

M. Jean-Claude Carle, président - Si vous me le permettez, laissez-moi vous dire que je suis d'accord avec vous. J'ai remarqué ce type de situation dans mon département. Des personnes munies d'une qualification, un CAP dans la mécanique par exemple, demeurent éloignées de l'emploi parce qu'aujourd'hui un niveau supérieur, baccalauréat professionnel ou BTS, ainsi que des notions d'informatique sont indispensables à l'exercice des métiers liés à ce secteur. Ces personnels sont néanmoins qualifiés.

M. Alain Lecanu - En effet, ils sont qualifiés.

M. Jean-Claude Carle, président - Ils sont qualifiés. Toutefois, ils demeurent éloignés de l'emploi. S'ils ne le sont pas aujourd'hui, ils le seront demain. Certains le sont déjà.

M. Alain Lecanu - Absolument. Cependant, je ne minimise pas dans mon propos la nécessité de former les personnels sans qualification.

M. Jean-Claude Carle, président - Bien entendu. Ces personnels, en effet, peuvent être considérés comme davantage encore éloignés de l'emploi.

M. Alain Lecanu - Cependant, l'adoption de cette philosophie permettrait la mise en oeuvre d'un système plus cohérent pour tous.

M. Jean-Claude Carle, président - Ce terme d'éloigné de l'emploi me paraît également moins stigmatisant pour les personnes sans qualification.

M. Alain Lecanu - Absolument. La transférabilité du DIF, quant à elle, ne pourra être mise en oeuvre qu'après un règlement clair et définitif des problèmes fiscaux liés à ce dispositif.

M. Jean-Claude Carle, président - Pouvez-vous préciser votre pensée ?

M. Alain Lecanu - La situation a fait l'objet d'études approfondies. M. Brouard vous en donnera les références exactes.

M. Marcel Brouard - Vous évoquez sans doute les études de la commission permanente du Conseil national de la comptabilité.

M. Alain Lecanu - Absolument. Ces études portaient sur la manière de comptabiliser les heures et de la nécessité ou non de les provisionner.

M. Jean-Claude Carle, président - Je comprends.

M. Alain Lecanu - Ces études portaient également sur le statut fiscal, au niveau des OPCA, du DIF volontaire ou complémentaire. La situation, après deux ans de questionnements approfondis, n'apparaît pas clarifiée. Les sommes en jeu sont pourtant énormes, après six ans de mise en oeuvre et à raison de 120 heures par salarié. Cet aspect, dans un premier temps, doit être résolu. Ensuite, conclure à la nécessité d'une gestion mutualisée, du type de celle en cours dans les AGEFOS, ne nous choquerait pas, à la condition d'une économie paritaire et suivie. En revanche, le problème du passage d'une branche à l'autre n'en serait pas résolu. L'existence du FUP constitue une piste.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette piste demeure une suggestion. En effet, rendre l'argent au ministère des finances, aujourd'hui, constitue la pire des solutions. Cette démarche manque d'efficacité.

M. Alain Lecanu - Dans le domaine de la formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Dans le domaine de la formation, j'en suis certain. Dans d'autres secteurs, la situation apparaît pire encore.

M. Alain Lecanu - Prenons garde à nos déclarations, notamment au sujet des excédents. Les dispositifs se mettent en place. Demain, peut-être, la situation s'inversera jusqu'à un manque de moyens si les méthodes fonctionnent. Soyons optimistes sur ce sujet.

M. Jean-Claude Carle, président - Je préfère des excédents à des sommes mal utilisées. Des excédents qui reviennent au ministère des finances, toutefois, ne me satisfont pas.

M. Alain Lecanu - Je suis d'accord avec vous.

M. Marcel Brouard - J'aimerais citer un exemple. L'État utilisa, en effet, les excédents apparus dans les comptes de l'AGEFAL à son propre compte. Quelques années plus tard, un décalage entre la trésorerie et les engagements pris incita les partenaires sociaux à demander à l'État d'intervenir pour empêcher le système de disparaître par manque d'argent.

M. Jean-Claude Carle, président - Empêcher les événements d'évoluer vers une situation du type de celle rencontrée dans les cas de l'AGEFAL ou l'AGEFIPH constituerait la meilleure des interventions. Mes chers collègues, avez-vous des questions ?

Mme Isabelle Debré - Je souhaiterais obtenir votre opinion au sujet du nombre d'OPCA. Une de vos collègues considérait indispensable un regroupement de ces structures en deux réseaux interprofessionnels. Cette question reste certes délicate. Je souhaiterais cependant vous entendre sur cette proposition, émise par un autre syndicat.

M. Alain Lecanu - J'ai évoqué cette question furtivement dans mon exposé. Je suis favorable au regroupement des OPCA. Une interrogation demeure cependant quant à leur quantité réelle. La statistique la plus répandue indique l'existence d'une centaine d'OPCA. En réalité, l'AGEFOS fonctionne grâce à un unique OPCA national. Les vingt-deux structures régionales ne constituent que des délégations de cette entité centrale fonctionnant comme des services de proximité.

M. Jean-Claude Carle, président - Ces structures régionales sont-elles cependant incluses dans la statistique que vous citiez de l'existence d'une centaine d'OPCA ?

M. Alain Lecanu - Absolument. Ces vingt-deux structures sont comptabilisées dans la centaine d'OPCA présumées.

Mme Isabelle Debré - Ne sont-elles pas cependant totalement indépendantes ?

M. Alain Lecanu - Elles ne sont pas indépendantes.

Mme Isabelle Debré - Les finances, en revanche, sont-elles indépendantes ?

M. Alain Lecanu - Non.

Mme Isabelle Debré - La gestion est-elle centrale ?

M. Alain Lecanu - Oui, contrairement aux OPCAREG qui fonctionnent avec des agréments locaux et nécessitent vingt-deux OPCA.

Mme Isabelle Debré - Cependant, au-delà de cet argument, quatre-vingts OPCA demeurent.

M. Alain Lecanu - Quatre-vingts OPCA demeurent, oui. Je reste favorable au regroupement. Je n'ai voulu qu'apporter une précision.

Mme Isabelle Debré - Chacun prêche pour sa paroisse.

M. Alain Lecanu - Le regroupement au niveau interprofessionnel reste particulièrement nécessaire.

M. Jean-Claude Carle, président - Excusez-moi. Je souhaite que vous m'apportiez une précision. Le chiffre de cinquante-six OPCA est-il plus proche de la réalité en retirant les vingt-deux OPCA de l'AGEFOS et les vingt-deux OPCA de l'OPCAREG ?

Mme Isabelle Debré - Prenons garde au fait que les OPCA des OPCAREG restent indépendantes.

M. Jean-Claude Carle, président - Le cas des OPCAREG se présente, en effet, différemment.

M. Alain Lecanu - Les OPCAREG fonctionnent réellement avec vingt-deux OPCA.

Mme Isabelle Debré - Les OPCA, dans ce cas, sont indépendants. Seule la situation des AGEFOS se présente différemment.

M. Alain Lecanu - Cette situation n'altère en rien notre réflexion. Je souhaitais simplement apporter une précision.

Mme Isabelle Debré - Le nombre d'OPCA s'élève donc à quatre-vingts unités.

M. Alain Lecanu - C'est exact. C'est pourquoi nous souhaitons remettre en cause le réseau régional. Plus généralement, à l'exemple du regroupement de caisses de la protection sociale, nous souhaitons un regroupement d'OPCA afin d'atteindre un niveau de collecte le plus pertinent possible qui limiterait les frais de gestion. Cependant, j'émets une réserve : regrouper pour regrouper apparaît inutile ; privilégier les activités des OPCA reste indispensable. Un mariage entre la métallurgie et la banque serait par exemple vain. En effet, ces domaines ne reposent pas sur des métiers et des besoins identiques. L'exemple est cependant mal trouvé car le niveau de collecte de ces secteurs apparaît largement suffisant. Je souhaitais simplement souligner qu'une réflexion doit être menée au sujet du recouvrement des plus petits OPCA afin de les regrouper jusqu'à leur donner un seuil critique et pertinent. Le problème de la définition de ce seuil apparaîtrait alors. Aujourd'hui, différents chiffres sont avancés. J'ai ainsi entendu la proposition de 150 millions d'euros. Peu d'OPCA subsisteraient si cette position était adoptée. Après l'étude de la taille des OPCA, le seuil proposé par la CFE-CGC s'établit à environ 50 millions d'euros de collecte, en veillant, j'insiste, à la cohérence des métiers d'activités.

Mme Isabelle Debré - Pensez-vous par ailleurs que la formation salariée est suffisante ? Quelles propositions avancez-vous pour la renforcer ? Vous affirmiez que les vingt heures du DIF apparaissaient insuffisantes.

M. Alain Lecanu - Excusez-moi de vous interrompre. Je n'affirme pas que les vingt heures soient insuffisantes. J'ai indiqué que, selon la CFE-CGC, un nombre d'heures supérieur apparaissait indispensable à la réussite de certaines formations. La pertinence de nombreuses formations commence seulement dès la centaine d'heures de disponibilité. Une quantité d'heures inférieure autorise davantage une adaptabilité à un poste existant qu'un réel progrès.

Mme Isabelle Debré - Que pensez-vous d'une éventuelle capitalisation permettant des formations de soixante à quatre-vingts heures ?

M. Alain Lecanu - La CFE-CGC soutient ce type d'initiatives.

Mme Isabelle Debré - Le dialogue interne n'en devient-il pas indispensable ? Le DIF, dès lors, ne constituerait-il pas une avancée sociale ? Comment, selon vous, améliorer ce dialogue dans l'entreprise et transformer ainsi le DIF en véritable progrès social ?

M. Alain Lecanu - La CFE-CGC considérera le DIF comme une avancée sociale quand le nombre d'heures apparaîtra suffisant pour le rendre pertinent.

Mme Isabelle Debré - Vous évoquiez la capitalisation du CET. Pouvez-vous développer et adapter votre argumentaire sur le cas du DIF ?

M. Alain Lecanu - J'ai inscrit cet argumentaire dans un schéma de transférabilité qui a permis de monétariser le CET. De nombreux agents de maîtrise, notamment dans l'agroalimentaire ou les casinos, capitalisaient en effet cinq ou six mois de CET non monnayables. Nous avons incité à la monétarisation de ce dispositif.

Mme Isabelle Debré - Je souhaitais vous demander si le CET, aujourd'hui, était monétarisé dans sa totalité.

M. Alain Lecanu - Je crois que oui.

Mme Isabelle Debré - Je crois que la monétarisation doit s'effectuer en plusieurs étapes.

M. Alain Lecanu - Vous me faites douter.

Mme Isabelle Debré - Je subis moi-même ce doute depuis une quinzaine de jours sans pouvoir m'en défaire. La question m'a été posée sans que je puisse y répondre. Grâce à vous, je me sens moins seule aujourd'hui. Je continue d'ignorer si la totalité des cinq ou six mois peut être monnayable en une unique étape.

M. Jean-Claude Carle, président - Demandez au principal intéressé, le ministre de l'emploi.

Mme Isabelle Debré - Ce sujet reste important.

M. Jean-Claude Carle, président - Absolument. Il concerne aussi la formation.

M. Alain Lecanu - Cette décision remonte à deux ou trois ans.

Mme Isabelle Debré - Lors de nos dernières auditions, nous avons abordé le sujet de la transférabilité. En revanche, le fractionnement de la monétarisation constitue décidément une énigme.

M. Alain Lecanu - Je ne peux vous répondre.

Mme Isabelle Debré - Revenons aux vingt heures, s'il vous plaît. Dans certaines entreprises, grâce à un dialogue social approprié, les résultats d'une formation courte peuvent-ils être optimisés ?

M. Alain Lecanu - Absolument.

Mme Isabelle Debré - Un problème se pose néanmoins si une personne demandant à bénéficier par anticipation de son DIF décide de quitter l'entreprise. Qu'en pensez-vous ?

M. Alain Lecanu - Le directeur des ressources humaines et le salarié demandant à bénéficier par anticipation de son DIF doivent éprouver une confiance réciproque.

Mme Isabelle Debré - Ce cas reste-il fréquent ?

M. Alain Lecanu - Il existe. Néanmoins, ce dispositif ne me choque pas. J'ai, pour ma part, bénéficié de soixante heures de formation par anticipation. Ce dispositif ne me choque pas.

M. Jean-Claude Carle, président - Ce dispositif ne me choque pas non plus.

Mme Isabelle Debré - Il ne me choque pas du tout.

M. Jean-Claude Carle, président - Il ne me choque pas car la confiance entre le directeur des ressources humaines et le salarié demandant à bénéficier par anticipation de son DIF reste fréquente. De plus, l'intérêt de la formation doit être partagé entre le salarié et l'entreprise.

Mme Isabelle Debré - Absolument.

M. Jean-Claude Carle, président - La question de ma collègue me semble davantage pertinente dans le cas des demandeurs d'emploi. Les formations peuvent en effet constituer un prétexte pour bénéficier d'effets de seuil sur les prestations qui leur sont versées. Des contraintes deviennent alors nécessaires afin d'enrayer ce mécanisme.

M. Alain Lecanu - Des garanties deviennent nécessaires.

M. Jean-Claude Carle, président - Des garanties, exactement. Je voudrais revenir sur le déficit d'information que vous évoquiez en direction du salarié, auquel j'ajouterai les petites entreprises. Quelles améliorations prônez-vous ? Cette mission de communication envers les salariés et les entreprises pourrait-elle être confiée aux OPCA ?

M. Alain Lecanu - De nombreuses actions de communication ont été entreprises au niveau des OPCA. Je ne me souviens pas exactement du montant des sommes investies. Je peux simplement vous affirmer que le ministère a entrepris de nombreuses campagnes de communication sur le contrat de professionnalisation, y compris en direction des entreprises.

M. Jean-Claude Carle, président - J'évoquais une démarche plus concrète d'accompagnement. Une entreprise souhaitant former un salarié peut-elle bénéficier d'une aide active de l'OPCA pour mettre son dossier sur pied ? Je pense aux petites et moyennes entreprises. Aujourd'hui, un dirigeant d'une PME perd énormément de temps dans le maquis fiscal, juridique et administratif. L'OPCA peut-il lui venir en aide pour le soulager et soulager, par la même occasion, le salarié ?

M. Alain Lecanu - Les experts-comptables ou les cabinets de gestion ont beaucoup à accomplir dans ce domaine. Les chambres des métiers, quant à elles, ont agi pour permettre de revitaliser la communication et soutenir les petites entreprises. Cependant, je constate en premier lieu la méconnaissance des dispositifs. Avant d'aider à la mise sur pied des dossiers, nous devons porter à la connaissance du public les différents dispositifs existants en améliorant le service public de l'emploi. Je le répète, la situation actuelle nous semble inadmissible.

(Présidence de Mme Isabelle Debré)

M. Marcel Brouard - Je souhaite revenir sur ce qui vient d'être dit. Les OPCA agissent déjà dans le domaine de l'accompagnement. Cependant, les partenaires sociaux et la DGEFP sont conscients de la nécessité d'entamer une discussion visant à définir le périmètre et le rôle exacts des OPCA. Le travail des OPCA comporte en effet deux limites : leur rôle d'interface entre les entreprises et les structures qui proposent des formations reste limité pour des raisons fiscales - les OPCA accomplissent en la matière la tâche d'accompagnement dévolue habituellement à des entreprises privées - ; les OPCA ne doivent pas prendre la place des employeurs - les employeurs doivent conserver la responsabilité de l'employabilité de leurs salariés. Si demain, les OPCA gèrent l'intégralité du processus, en choisissant et en payant le dispositif, l'employeur se désintéressera du coût, de la qualité et du retour sur investissement de la formation. Nous devons donc demeurer vigilants quant aux limites à ne pas franchir.

Mme Isabelle Debré - Abordons, s'il vous plaît, un autre sujet. Selon vous, comment évaluer la qualité et l'efficacité des formations ? Toutes sortes de propositions peuvent être vendues aux entreprises. Avez-vous des solutions pour évaluer la qualité et l'efficacité des dispositifs ? L'efficacité, en effet, demeure uniquement décelable à l'issue du processus. Certains de vos prédécesseurs auditionnés par cette mission nous ont avoué avoir investi dans des formations inutiles et en avoir subi de graves préjudices. Les mauvaises formations font simplement perdre de l'argent et du temps. Cependant, les conséquences apparaissent parfois bien plus graves.

M. Alain Lecanu - J'ai siégé au sein d'une ASSEDIC. Des instances paritaires ad hoc permettent d'y détecter les besoins des entreprises, les gisements d'emplois et de mettre en oeuvre les formations adéquates. Le premier critère de la pertinence d'une formation demeure le taux de retour à l'emploi. Si, à l'issue du processus, ce taux reste faible, la formation ne correspond pas aux nécessités des entreprises.

Mme Isabelle Debré - Le recul indispensable à cette évaluation n'apparaît-il pas démesuré ?

M. Alain Lecanu - Non. L'évaluation, après une première salve, reste rapide. Les appels d'offre préalables nous aident. La pertinence de la formation nous apparaît ensuite grâce aux commentaires des entreprises. Ces précisions constituent la première source quant à la qualité d'une formation. Mon expérience de l'ASSEDIC me prouve la justesse de ce mécanisme.

Mme Isabelle Debré - Votre confiance est grande.

M. Alain Lecanu - Concernant cet aspect, oui. Quant aux besoins de l'entreprise dans le domaine de la formation du salarié, chaque structure reste maîtresse de ses décisions en termes d'employabilité et d'adaptation aux postes. Je ne sais pas sur quels critères objectifs certains dispositifs pourraient se voir écartés de la liste des formations proposées aux entreprises.

Mme Isabelle Debré - Nous avons souvent rencontré ce grave problème lors de nos auditions. Durant les premières séances, ma surprise était grande. Je m'aperçois cependant depuis, que les dérives graves ne sont pas rares, notamment des dérives sectaires.

M. Alain Lecanu - Le problème de l'agrément se pose.

M. Marcel Brouard - En effet, aucun système d'agrément n'existe en France.

Mme Isabelle Debré - Nous sommes au coeur du problème. Comment concevoir un système d'agrément performant ?

M. Marcel Brouard - La loi quinquennale oblige les organismes de formation, y compris de formation professionnelle des salariés, à se doter d'un agrément. Malheureusement, le décret n'est jamais paru.

Mme Isabelle Debré - De quelle année cette loi date-t-elle ?

M. Alain Lecanu - Cette loi date de 1993.

M. Marcel Brouard - Au-delà de l'anecdote, nous sommes amenés à nous demander sur quels critères les agréments dans le domaine des formations très courtes et très pointues peuvent reposer. Les organismes résistent pour ne pas avoir à diminuer leurs volumes de formation. Les partenaires sociaux ont proposé de diminuer les volumes en maintenant l'offre financière globale. La solution satisfaisant tous les acteurs du secteur reste à définir.

Mme Isabelle Debré - Une dernière question s'il vous plaît. Quelles sont vos propositions pour accompagner la reconversion et la mobilité professionnelles dans une logique de sécurisation des parcours ?

M. Alain Lecanu - Je pourrais évoquer ce sujet une heure durant. Nous avons engagé une réflexion sur la sécurisation des parcours professionnels et les améliorations à apporter au régime d'assurance chômage selon le principe du contrat de transition professionnelle. En amont, bien sûr, l'entreprise se doit de procéder constamment à des formations au sein de son personnel. En aval, la philosophie du contrat de transition professionnelle - principe de formation, de passage en entreprise, de besoin de formation - nous convient. Ce contrat, en effet, inscrit avec pertinence la formation dans un schéma d'entreprise. Une formation pour une formation, en revanche, reste inutile. Nous nous positionnons donc en faveur de l'extension du dispositif du CTP : articulation, formation, adaptabilité au poste et validation en entreprise. Nous avons ainsi également approuvé une récente modification autorisant les entreprises à recruter les stagiaires de la formation professionnelle au sein des entreprises d'intérim. Cette démarche autorise des passages en entreprises qui diffèrent des habituels contrats à durée déterminée.

Mme Isabelle Debré - Je n'ai plus d'autres questions.

M. Alain Lecanu - J'ai essayé d'être concis.

Mme Isabelle Debré - Je vous en remercie. Votre concision me permet en fait de vous poser une dernière question. La CFE-CGC, en sa qualité de syndicat, estime-t-elle que le progrès social se trouve renforcé, le dialogue social facilité au sein de l'entreprise par la mise en oeuvre de ces dispositifs ? Il me semble que oui.

M. Alain Lecanu - Oui, car ces dispositifs sont à l'origine de la création d'un élément important de la GPEC que nous n'avons pas évoqué aujourd'hui, l'entretien annuel professionnel. Au sein de la GPEC, la CFE-CGC réfléchit aux moyens de réaliser, tous les cinq ans, un bilan professionnel qui s'apparenterait à un bilan de compétences présentant toutefois davantage d'efficacité. Aujourd'hui, le bilan de compétences approfondi, en effet, demeure lent et peu influent dans le sens où il constitue une photographie d'une carrière professionnelle à un moment précis et figé. Le bilan de compétences réel, pour sa part, demeure long, fastidieux et coûteux.

Mme Isabelle Debré - La solution serait un bilan incluant les principes les plus efficaces de ces deux éléments.

M. Alain Lecanu - La CFE-CGC s'est prononcée pour ce type de bilan à mi-chemin entre les deux entités que je viens de vous décrire. Il constituerait un point de passage du salarié vers une réorientation professionnelle. Je vous cite un exemple : après cinq ans dans le même poste, un salarié peut parfois ne plus apporter d'évolution à ce poste ; dans le même temps, ce poste peut ne plus enrichir professionnellement le salarié. La CFE-CGC est donc très attachée à la notion de point de passage que sous-tend l'entretien de compétences. Ce bilan compléterait tout au long des carrières professionnelles la mise en place d'un passeport orientation-formation dès la formation initiale, dès la classe de troisième, qui dirigerait les élèves vers des filières à fort potentiel et non plus dans des voies sans issue. Dès lors, l'élève bénéficierait d'un accompagnement jusqu'à l'entreprise et durant sa vie professionnelle entière facilitant et approfondissant l'efficacité du bilan de compétences.

Mme Isabelle Debré - Merci beaucoup monsieur Lecanu pour cet exposé très intéressant.

Audition de M. Jean-Louis NEMBRINI, directeur général de l'enseignement scolaire, assisté de Mme Elizabeth ARNOLD, sous-directrice des formations professionnelles, et de M. Bernard SAINT-GIRONS, directeur général de l'enseignement supérieur, au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (11 avril 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Mes chers collègues, je vous propose de débuter ces auditions. Nous avons le plaisir et l'honneur d'accueillir M. Jean-Louis Nembrini, directeur de l'enseignement scolaire, assisté de Mme Élizabeth Arnold, sous-directrice des formations professionnelles, ainsi que M. Bernard Saint-Girons, directeur de l'enseignement supérieur au sein du ministère de l'éducation nationale. M. Saint-Girons représente le ministre Gilles de Robien qui n'a malheureusement pu se libérer aujourd'hui. Nous sommes particulièrement heureux de vous recevoir, messieurs, dans la mesure où la formation initiale est déterminante dans la formation professionnelle. Elle conditionne, en effet, l'accès à la formation professionnelle continue.

Notre mission a pour vocation de dresser un état des lieux de la formation en France. Nous sommes donc intéressés à connaître votre point de vue. Les auditions effectuées serviront de fondement aux propositions que nous formulerons, aux côtés de nos investigations et des visites que nous effectuons sur le terrain. Je vais donc vous laisser la parole si vous le voulez bien. Au terme de votre exposé, nous vous soumettrons à un certain nombre de questions. Je vous rappelle également que vous pourrez nous faire parvenir tous les compléments d'information que vous souhaiterez. Nous les étudierons avec intérêt et nous les annexerons au rapport. Je vous propose de laisser la parole à M. Nembrini en premier, puisque l'enseignement scolaire débute avant l'enseignement supérieur.

M. Jean-Louis Nembrini - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité. Je vous prie, en préalable, d'excuser ma connaissance incomplète de ce dossier. Je n'ai été nommé à cette fonction que depuis quinze jours. Je dispose certes d'une connaissance générale de ces questions mais j'ai préféré venir accompagné de Mme Arnold. Elle est, en effet, sous-directrice des formations professionnelles à la direction générale de l'enseignement scolaire. Elle pourra ainsi suppléer à mes défaillances éventuelles. Je ne doute pas que M. Saint-Girons pourra compléter également mon intervention au regard de son expérience de recteur d'académie.

Je voudrais tout d'abord aborder la situation de la formation professionnelle initiale en France. En effet, le contexte économique qui prévaut en France a conduit à un réexamen de notre système de formation professionnelle initiale. Je souhaiterais ainsi établir un état des lieux de celui-ci. L'enseignement professionnel attire en France un élève sur trois à la sortie du collège. Il offre des formations de niveau quatre et de niveau cinq, en lien direct avec l'emploi. De fait, nous préparons les élèves à un grand nombre de diplômes : 213 CAP, 35 BEP et 62 baccalauréats professionnels. Ces formations exigent ainsi une mise à jour permanente, rendue possible grâce à un partenariat très développé avec les représentants des entreprises. Par ailleurs, les publics concernés sont très variés puisque ces formations s'adressent aux jeunes scolarisés et aux apprentis, ainsi qu'aux adultes en formation continue ou aux demandeurs de validation des acquis de l'expérience. La présentation succincte, que je viens d'effectuer, permet de saisir la portée de la formation professionnelle initiale en France.

Les lycées professionnels, conçus pour répondre aux besoins de ces formations, sont en majorité très bien équipés grâce à un effort financier important des régions. Je voudrais également ajouter que l'enseignement professionnel fait réussir les élèves, en dépit de l'image négative qu'il véhicule. Ainsi, 79 % des élèves obtiennent leur CAP ou leur BEP. De même, 75 % des 93 000 candidats au baccalauréat professionnel ont obtenu leur diplôme l'année dernière.

Je souhaiterais revenir sur cette image négative attachée à la formation professionnelle. Cette dernière est généralement associée à la notion d'échec scolaire. Je crois que cela tient au fait que trop souvent, les élèves sont orientés vers des filières qu'ils n'ont pas choisies. Nous avons ainsi abordé la question de l'orientation des élèves avec les recteurs d'académie, ce matin. Nous aimerions impulser un nouvel élan en associant les parents et les enfants dans le choix des parcours, opéré dès le collège. L'orientation vers la formation professionnelle doit, en effet, être un choix raisonné. La généralisation des entretiens d'orientation, dès la classe de troisième, est ainsi en cours. De même nous nous efforçons d'associer les familles à ces entretiens. Par ailleurs, nous essayons de multiplier les partenariats avec le monde économique. A ce sujet, il nous semble que l'option de découverte professionnelle de trois heures, instaurée lors de la rentrée 2005, est appelée à se généraliser. En effet, de 80 % à 90 % des collèges de France sont capables d'offrir cette option de découverte de la vie professionnelle. Je crois que cette option est particulièrement importante parce qu'elle constitue un moyen, offert aux élèves, d'entrer en contact avec les acteurs de la vie professionnelle. Ce dispositif est certes perfectible, mais il est sans précédent dans l'histoire de l'éducation nationale. Les entretiens d'orientation en classe de troisième sont, en outre, complétés par la mise en place d'entretiens d'orientation en classe de première. Ce dispositif couvre non seulement les lycées d'enseignement général et d'enseignement technologique mais également la formation professionnelle. Ainsi des entretiens similaires sont organisés pour les élèves qui suivent une formation en baccalauréat professionnel ou en BEP.

Le principal défaut de la formation professionnelle initiale tient toutefois à son incapacité à conserver un certain nombre de ses élèves. En dépit des réussites que nous affichons, nous avons le devoir d'aborder les problèmes que nous rencontrons. Il faut ainsi que nous puissions améliorer les dispositifs afin que tous les élèves soient assurés de disposer d'une qualification dès lors qu'ils intègrent la formation professionnelle. Les taux d'abandon au sein de la formation professionnelle initiale sont, en effet, élevés pour les filières peu attractives. Cette situation est particulièrement forte en ce qui concerne les filières disposant de réels débouchés mais qui ne font pas l'objet d'un choix de la part des élèves. C'est notamment le cas du bâtiment ou de la confection industrielle. A contrario , on enregistre des abandons dans le cas des filières qui offrent très rapidement des emplois aux élèves qui se sont engagés dans une formation. C'est ainsi le cas de l'hôtellerie puisque les élèves sont démarchés par les entreprises, alors qu'ils n'ont pas terminé leur formation. De telles démarches sont préjudiciables au projet de formation tout au long de la vie. En effet l'insertion professionnelle s'opère alors à court terme. Or il nous semble que la formation initiale devrait être conçue comme le point de départ de la formation tout au long de la vie.

Le second problème que nous devons aborder est celui des 140 000 jeunes qui sortent sans certification du système éducatif. Il nous semble qu'il y a une corrélation à opérer avec les 15 % d'élèves qui quittent l'enseignement primaire sans maîtriser les savoirs fondamentaux. Je fais référence à la lecture, à l'écriture, ainsi qu'à la maîtrise du français et des rudiments d'une langue étrangère. Je ne fais ainsi qu'énumérer les sept grandes compétences du socle commun de connaissances et de compétences, en cours d'instauration dans notre système éducatif. En effet, ce socle commun a été institué par le décret du 11 juillet 2006. Or, l'application de ce décret requiert une refonte complète des enseignements dispensés à l'école et au collège. Je me ferai un plaisir de vous donner plus d'informations à ce sujet si vous le souhaitez.

L'un de nos objectifs prioritaires est le maintien d'une offre de formation de niveau 5 adaptée à certains élèves, notamment à ceux qui sont en difficulté. Nous souhaiterions également développer le « cylindrage ». Ce terme désigne l'enchaînement des parcours au sein de la formation professionnelle initiale. Il s'agit ainsi d'assurer que des formations de BEP puissent déboucher sur des formations de bac pro correspondant. Nous espérons ainsi développer la qualité de l'emploi et assurer la formation tout au long de la vie par le biais de cette organisation. En effet, les emplois dans le secteur tertiaire sont de plus en plus exigeants, au point que la seule détention d'un BEP n'est plus suffisante.

Un autre objectif prioritaire porte sur la diversification des parcours. Nous aspirons ainsi à redéfinir les enseignements en les organisant autour de modules de formation. Il nous semble que cette réorganisation introduirait la souplesse nécessaire pour intégrer les difficultés que peuvent rencontrer les élèves. Ainsi, ces derniers pourraient être assurés de disposer d'un socle de compétences quand bien même ils seraient dans l'obligation de sortir de la formation professionnelle initiale sans obtenir de qualification. Nous souhaitons également développer le baccalauréat professionnel en trois ans. En effet, ce dispositif instauré depuis trois ou quatre ans n'a pas encore pris toute son ampleur. Or, il me semble qu'il permettrait l'instauration d'une voie d'excellence au sein des lycées professionnels, débouchant sur les licences professionnelles. Un tel dispositif permettrait ainsi de redonner aux lycées professionnels un statut comparable à celui des lycées d'enseignement général. De même, nous aspirons à promouvoir le modèle du lycée des métiers. Il permet en effet d'établir des labels de qualité dans la formation professionnelle. Il favorise également la rencontre entre les différents dispositifs de formation autour d'un métier. Ainsi, il rend possible le renforcement du lien essentiel entre formation professionnelle initiale et formation professionnelle continue.

Je souhaiterais conclure mon intervention par l'évocation des dispositifs de validation des acquis de l'expérience. Le développement de ces dispositifs est particulièrement important comme en atteste l'accélération des demandes formulées. Ainsi, nous avons enregistré 4 000 demandes de validation des acquis de l'expérience en l'an 2000, alors que nous en avons enregistré 18 000 en 2006. Ces chiffres soulignent la progression de la demande mais ils sont également révélateurs des progrès qui doivent être accomplis en la matière.

En outre, l'intégralité du dispositif de formation professionnelle initiale doit s'appuyer sur le réseau de formation continue de l'éducation nationale. Il n'est pas inutile de rappeler que ce dernier est le premier réseau de formation continue en France. Il nous semble que l'enjeu est de faire diminuer le nombre de jeunes qui sortent du système scolaire sans bénéficier de qualification. Il est, en effet, anormal que 140 000 jeunes quittent l'éducation nationale sans qualification alors que l'État et les régions investissent autant de moyens dans l'enseignement. L'absence de qualification pèse tout au long de la vie puisqu'elle se fait également sentir dans l'accès aux dispositifs de formation continue. Les modalités de réintégration des canaux de la formation continue sont tellement coûteuses qu'il devient presque impossible d'assurer une seconde chance à ces personnes.

Enfin, il faut renouveler les emplois dans des métiers pour lesquels il existe un risque de pénurie. Je pense, en particulier, au secteur médical, au secteur du bâtiment et aux métiers de la restauration. C'est sur ce point que je souhaitais terminer ma présentation. Je laisse donc la parole à mes collègues, si vous le désirez monsieur le président.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie monsieur Nembrini. J'invite M. Saint-Girons à prendre la parole.

M. Bernard Saint-Girons - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité. Je souhaiterais indiquer en introduction que je n'ai pris mes fonctions que récemment. J'étais auparavant recteur dans plusieurs académies, dont celle de Créteil, au cours des quatre dernières années.

Dans mon propos liminaire, je souhaiterais indiquer que la rencontre de l'université et de la professionnalisation s'inscrit dans une longue histoire. Son fondement peut être trouvé dans la création des DUT au cours des années 1960. Cette histoire s'est prolongée avec la création des DESS en fin de cursus universitaire. Enfin, la création des instituts universitaires professionnalisés correspondait à une démarche expérimentale de création d'un niveau intermédiaire entre les IUT, de niveau bac+2, et les DESS, de niveau bac+5. Cette longue histoire n'est toujours pas terminée. Le rapport Hetzel, remis il y a quelques mois, souligne que les universités ont progressé en matière de professionnalisation. Toutefois, le chemin à parcourir reste encore long. En effet, l'identification des formations tant par les futurs étudiants et leur famille que par les entreprises est encore insuffisante. L'exigence d'une meilleure lisibilité de la formation universitaire est un problème récurrent. La raison tient, notamment, au fait que les intitulés des diplômes ont été évolutifs et insuffisamment explicites. Dès lors, les débouchés potentiels, ainsi que les métiers concernés par ces formations, sont insuffisamment identifiés.

L'histoire de la professionnalisation au sein des formations universitaires s'inscrit dans une longue durée pour la formation initiale. Elle est en revanche beaucoup plus récente pour la formation continue. Toutefois, l'affirmation de la double mission de formation initiale et de formation continue dévolue à l'enseignement supérieur a été opérée dès 1971. Il est en effet évident que les deux missions sont liées mais la césure entre les deux est ancrée dans le temps. De fait, l'université apparaît comme un prestataire de services parmi d'autres dans le domaine de la formation continue. Au regard de cette histoire esquissée à grands traits, il convient d'identifier l'actualité du problème.

La mise en place du LMD, dans le cadre du processus de Bologne, ne se limite pas à la seule inscription des formations universitaires dans un schéma européen. Ce processus permet également de renforcer la professionnalisation. Il constitue de même un facteur de développement de la formation continue. L'instauration des licences professionnelles atteste de la professionnalisation croissante de la formation universitaire. Nous dénombrons aujourd'hui 1 500 licences habilitées qui forment entre 35 000 et 38 000 étudiants. Or le processus d'habilitation de ces licences professionnelles s'opère dans le cadre de conférences réunissant des universitaires ainsi que des représentants des professions concernées. Ces conférences sont ainsi l'occasion de partager l'expertise de ces différents acteurs. Ainsi l'habilitation est accordée en raison de la qualité des enseignements dispensés mais également en raison des perspectives d'insertion professionnelle. Ainsi, l'effectivité de l'insertion professionnelle au regard des prévisions effectuées constitue un élément de l'évaluation quadriennale des licences professionnelles. Une démarche homothétique est retenue pour procéder à l'évaluation de la formation dispensée dans les masters.

Cette démarche est également importante pour la formation continue. Ainsi, l'architecture des formations permet d'introduire une flexibilité dans les parcours de formation. En effet, la définition de modules d'enseignement permet, pour la première fois dans l'histoire de l'Université, de personnaliser les formations dispensées. Le LMD met ainsi à la disposition des universités un outil clair. Elles peuvent, de fait, offrir des parcours de formation sur la base de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Ainsi des diplômes peuvent être validés pour partie ou dans leur intégralité sur la base des acquis de l'expérience. Il est notamment significatif que 40 % des diplômes sont complètement validés dans le cadre du VAE. Les universités se sont, de fait, appropriées cet outil dans la définition de leurs stratégies d'enseignement.

Ces nouveaux outils sont fondamentaux, il reste toutefois à opérer un saut qualificatif. En effet, une évolution des mentalités est nécessaire car la césure entre la formation initiale et le passage à la formation continue reste forte. Il est désormais acquis que les mutations technologiques imposent des mises à jour des compétences dans un grand nombre de professions. De ce point de vue, il est intéressant de noter que les écoles d'ingénieurs s'emploient à faire évoluer, en permanence, les formations dispensées. Toutefois, la formation continue tarde à évoluer du stade du concept vers celui de la réalisation effective. Or nous disposons de nombreux atouts pour opérer cette évolution. En effet, les outils sont désormais adaptés et les savoirs faire sont graduellement intégrés dans les établissements d'enseignement supérieur. Il reste à convaincre les étudiants et les parents que la césure entre le temps des études et celui du travail est désormais révolue. Il faut ainsi organiser la combinaison de ces deux activités. Or cette distinction est plus notablement abolie dans les formations de très haut niveau que dans celles dont la technicité est moins avérée. Il a ainsi été établi que le nombre de jours de formation pour un titulaire de CAP est très faible, de l'ordre d'une semaine, alors qu'il est supérieur pour les titulaires de diplômes plus élevés. Dès lors, il me semble que les efforts doivent porter sur l'évolution des mentalités dans la mesure où les outils adéquats existent désormais.

M.  Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie, monsieur Saint-Girons. Nous allons donc vous soumettre à un certain nombre de questions. En ce qui me concerne, j'ai noté que M. Nembrini a évoqué le nombre élevé de diplômes et de spécialités existant actuellement. Je souhaiterais savoir s'il ne serait pas possible de procéder à un effort de simplification en la matière. En effet, je crains que les jeunes ne soient encombrés par la prolifération de diplômes et de qualifications.

Vous avez également évoqué, monsieur Nembrini, les problèmes du BEP dans le secteur tertiaire. Ne pensez-vous pas qu'il est légitime de s'interroger sur le devenir de ce diplôme ? De fait, il est difficile de déterminer s'il a pour ambition de favoriser l'insertion professionnelle ou s'il a pour but d'assurer la poursuite des études. Le BEP apparaît ainsi comme un élément qui vient compliquer les parcours de formation.

Vous avez abordé l'apprentissage qui reste une voie marginale même s'il tend à se développer. En effet, il est présenté comme la voie de la réussite alors qu'il est abordé comme la seule voie ouverte pour les élèves en difficulté scolaire. La valorisation de cette formation ne passerait-elle pas par son appropriation par l'éducation nationale ?

Enfin, ma dernière question est relative à l'orientation. On assiste en effet à une logique d'orientation subie par échecs successifs au détriment d'une logique d'orientation choisie. Quels seraient les moyens à mettre en place pour améliorer la situation ?

Je ne doute pas que mes collègues, ainsi que le rapporteur, se feront un plaisir de vous adresser d'autres questions.

M. Jean-Louis Nembrini - Je tiens à vous répondre mais j'invite Mme Arnold à compléter mon intervention si elle le souhaite. Je crois également que le nombre de diplômes existants est trop important. L'enseignement professionnel a en effet été considéré comme un enseignement trop spécialisé, au détriment des compétences générales. La multiplication des diplômes, que j'ai évoquée à dessein, pose un problème fondamental. Je crois qu'il faut opérer une simplification des titres dans la perspective d'une ouverture vers la généralisation. En effet, la technicité croissante des métiers requiert paradoxalement la maîtrise de savoirs généraux. Il faut donc que tous les jeunes maîtrisent un socle commun de connaissances et de compétences. Ce socle est en effet indispensable pour que les individus puissent évoluer au-delà de leur spécialisation initiale.

En ce qui concerne le BEP, je partage en partie votre analyse. En effet, ce diplôme a perdu son statut de formation professionnelle dans certaines filières puisqu'il n'offre plus de débouchés sur le marché de l'emploi. Cependant, je pense que le BEP a, en quelque sorte, une fonction sociale. Il constitue en effet un palier intermédiaire pour certains élèves en difficulté, leur permettant d'accéder au baccalauréat professionnel. J'ai bien conscience que cette réponse peut paraître fragile mais elle reflète la réalité, telle qu'elle apparaît dans les entretiens conduits avec les jeunes. Le développement d'une orientation choisie permettrait sans doute d'éliminer cet échelon. En effet l'orientation choisie permet de définir un parcours qui offrira des garanties de réussite. L'ouverture de l'école au monde professionnel conjuguée à l'instauration de stages permettant de découvrir des métiers, et à des entretiens d'orientation peut ainsi dessiner une voie de réussite.

La définition de cette voie de réussite suppose toutefois l'adaptation des moyens offerts aux jeunes. Les nouveaux dispositifs, actuellement mis en place, me semblent satisfaisants. Je crois en revanche que l'enseignement et le corps enseignant doivent s'ouvrir à l'entreprise. L'activité professionnelle ne doit pas être opposée au travail scolaire. Or il peut être difficile pour des enseignants qui, comme moi, n'ont jamais quitté l'école de se figurer la réussite par l'entreprise. Je pense ainsi que les professeurs principaux devraient s'ouvrir à l'activité professionnelle dans le cadre de la formation continue. L'activité professionnelle ne doit pas être considérée comme un enfermement quand bien même elle intervient rapidement dans la vie. Nous avons ainsi mis en place avec M. Saint-Girons un stage obligatoire en entreprise, au sein des instituts universitaires de formation des maîtres. Ce stage conditionnera la titularisation des futurs enseignants des écoles, des collèges et des lycées. Dès lors, tous les enseignants pourront parler du monde professionnel à leurs élèves. Il me semble en effet essentiel de ne pas laisser la charge d'orienter les élèves vers l'entreprise aux seuls enseignants des lycées professionnels.

M. Bernard Saint-Girons - Je souhaiterais intervenir à mon tour, si vous le permettez monsieur le Président. En effet, je voudrais aborder la question de l'apprentissage que vous avez soulevée. Je crois que l'éducation nationale pourrait s'approprier l'apprentissage par la création d'un centre de formation des apprentis (CFA) académique. J'ai ainsi présidé à la création d'un CFA académique sans murs à Créteil. L'ensemble des établissements ont la possibilité de faire appel à ce CFA. De la sorte, les enseignants et les personnes issues des corps d'inspection peuvent finaliser le projet pédagogique et construire la relation avec l'entreprise. L'éducation nationale doit, en effet, utiliser l'ensemble des outils à sa disposition. Je fais ainsi référence à la modularisation des enseignements, à l'apprentissage et au développement de passerelles permettant de mieux identifier les besoins de l'entreprise. Je pense, à cet égard, que les plans régionaux de développement de la formation ont vocation à contribuer à l'appropriation de ces outils par l'éducation nationale.

La solution du CFA sans murs me semble susceptible d'offrir l'expertise nécessaire pour réaliser les projets de formation portés par différents acteurs. Nous avons ainsi pu mettre en place, dans l'académie de Créteil, des formations du CAP au BTS. L'apprentissage présente l'intérêt de conférer aux étudiants l'autonomie minimale sans laquelle il leur est impossible de développer un projet de formation. Les « petits boulots » ne prédisposent pas nécessairement à la poursuite d'études. En effet, certaines familles ne disposent pas des moyens de porter le projet de formation de leurs enfants. Il me semble dès lors que l'apprentissage constitue un élément déterminant de l'égalité des chances. L'établissement peut en effet créer des relations suivies avec l'entreprise et permettre l'accès à des stages de qualité. De sorte, l'égalité peut être assurée entre les groupes sociaux ainsi qu'entre les genres.

Il me semble important de préciser que des universités, telles que Paris XII ou Marne-la-Vallée, se sont engagées dans des processus d'appropriation de l'apprentissage. Ainsi, l'université de Marne-la-Vallée a construit son image autour de la professionnalisation. Elle a donc mis en place un dispositif d'apprentissage sur l'intégralité du parcours LMD.

M. Jean-Claude Carle, président - Le plan régional de développement des formations (PRDF) n'est-il pas le lieu idoine pour négocier et articuler les formations professionnelles ?

Mme Elizabeth Arnold - Je vous prie de m'excuser, monsieur le président, mais je souhaiterais apporter quelques précisions aux éléments déjà abordés.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous en prie.

Mme Elizabeth Arnold - Je voulais compléter l'intervention de M. Nembrini au sujet de la multiplicité des certifications. L'existence de plus de 200 CAP s'explique par le fait que le ministère de l'éducation nationale a vocation à être un conservatoire des métiers. Nous dénombrons ainsi un très grand nombre de CAP à tout petit flux, très spécialisés dans les métiers artisanaux et les métiers d'art. Or il nous incombe de les préserver au regard de notre mission de service public.

Par ailleurs, le ministère a mis en place une formation pour les enseignements généraux communs à l'ensemble des CAP, afin de remédier à la multiplicité des titres. Nous essayons également de définir un parcours permettant le passage du BEP vers le baccalauréat professionnel en se fondant sur ces enseignements généraux. En outre, nous souhaiterions ramener le nombre total de BEP de trente-cinq actuellement à une vingtaine. Toutefois, cela requiert de mener des négociations serrées avec les représentants des professions concernées. Nous souhaiterions, en effet, élever le degré de généralité des BEP afin de les conduire vers des baccalauréats professionnels.

En outre, nous nous efforçons de développer notre travail autour de deux axes. D'une part, nous préparons l'évolution des diplômes au sein des commissions professionnelles consultatives. Il s'agit d'un travail permanent de création et de suppression de diplômes. De même, nous essayons d'opérer la modification des contenus pédagogiques. D'autre part, nous entretenons des contacts réguliers avec les autres ministères certificateurs, notamment ceux de l'emploi et des affaires sociales. Le but est d'assurer l'harmonisation de nos certifications. Or cette démarche est difficile et requiert des négociations serrées.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous prie de m'excuser mais je n'ai pas bien compris. Existe-t-il des différences de certification entre les diplômes délivrés par le ministère de l'éducation nationale et ceux délivrés par les autres ministères ?

Mme Elizabeth Arnold - Non, il est possible que je me sois mal exprimée. Les autres ministères disposent de leurs propres certifications et de leurs propres diplômes. L'enjeu de notre démarche est de multiplier les passerelles entre ces différentes formations, par le biais d'équivalences. Nous essayons ainsi d'améliorer la définition de parcours.

M. Jean-Claude Carle, président - Pourriez-vous nous donner des exemples, s'il vous plaît ?

Mme Elizabeth Arnold - Dans le secteur des affaires sociales, on dénombre un CAP dédié à la petite enfance et un BEP carrières sanitaires et sociales.

Mme Isabelle Debré - Ce BEP n'offre aucun débouché.

Mme Elizabeth Arnold - En effet, ce BEP nous pose un problème. Nous aspirons donc à le rénover.

M. Jean-Claude Carle, président - Quelles sont les raisons qui empêchent l'existence d'un seul diplôme ? Chacun défend-il son pré carré ?

Mme Elizabeth Arnold - Dans l'exemple que j'ai retenu, nous sommes en présence de deux ministères certificateurs différents : le ministère de l'éducation nationale et le ministère des affaires sociales. De fait, les réseaux de formation reposant sur des associations sont distincts. Or ces formations payantes servent à assurer la survie d'associations dont l'équilibre financier est précaire. Les modifications dans les diplômes peuvent ainsi mettre en péril l'existence de réseaux de formation qui ne dépendent pas du ministère de l'éducation nationale. Ainsi, le ministère de l'éducation nationale peut prendre la décision d'ouvrir une formation dans le champ de l'action sanitaire sociale, avec l'accord des recteurs d'académie et des régions.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette formation sera alors intégrée dans le PRDF.

Mme Elizabeth Arnold - En effet, elle sera alors intégrée au PRDF et dispensée gratuitement.

Mme Annie David - Par qui sera alors validée cette formation ?

Mme Elizabeth Arnold - Elle sera validée par nous. J'imagine que vous n'avez pas encore auditionné de représentants du ministère des affaires sociales.

M. Jean-Claude Carle, président - En effet, nous ne les avons pas encore reçus.

Mme Elizabeth Arnold - Je ne peux malheureusement pas entrer dans les détails en raison de ma méconnaissance de ce secteur. Toutefois, je puis vous dire que certains diplômes sont délivrés par le ministère de l'éducation nationale alors que d'autres sont délivrés par le ministère des affaires sociales. Les établissements qui dispensent les formations de ce ministère certificateur doivent alors opérer une déclaration. Dans les faits, cette déclaration s'apparente à un agrément puisque la région consulte alors la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS). Or la Drass peut rendre un avis défavorable pour des raisons multiples et variées. De fait, les procédures instaurées au niveau régional sont complexes, indépendamment de la question de l'articulation entre les diplômes.

M. Jean-Claude Carle, président - Est-ce pour cette raison que les formations dans le secteur sanitaire et social n'étaient pas incluses dans le PRDF à l'origine ? Avaient-elles été oubliées ?

M. Bernard Saint-Girons - Ces formations sont désormais intégrées dans le PRDF dans la mesure où le gisement d'emplois dans ce secteur est désormais considérable. Or les formations dispensées par le ministère des affaires sociales ne suffisent pas à répondre au besoin. Il s'est ainsi avéré nécessaire d'opérer un maillage rationnel du territoire dans ce domaine.

J'en profite pour répondre à votre question, monsieur le président ; sur l'outil PRDF. Cet outil est essentiel car il met en relation la politique de l'État et la politique locale. Il est ainsi l'instrument de mise en cohérence des exigences de la politique de l'emploi au niveau national et des priorités régionales. Le PRDF permet ainsi de dépasser les généralités pour aborder les éléments concrets que sont les cartes de formation. Il permet ainsi de débattre du problème de l'affectation des élèves qui quittent les classes de troisième pour intégrer une formation. Le PRDF permet ainsi d'opérer la rencontre entre la carte des lycées et celle des moyens de transport public. En effet, la région peut recréer une unité puisqu'elle dispose de la compétence sur la définition du PRDF et sur les transports publics. En effet, il peut être plus simple d'affecter un élève dans un autre département en raison des réseaux de transport public.

M. Jean-François Humbert - Je souhaiterais réagir à l'intervention de Mme Arnold. La multiplicité des ministères en charge de la formation n'est-elle pas source de difficultés ? Ne pourrait-on pas faire en sorte que le ministère de l'éducation nationale assure la définition du contenu des diplômes sur avis des ministères concernés ? De même, ne faudrait-il pas confier au ministère de l'éducation nationale le monopole de la validation des diplômes ?

M. Jean-Louis Nembrini - Il me semble que le ministère de l'éducation nationale pourrait avoir cette responsabilité en concertation avec les autres ministères.

M. Jean-François Humbert - Il faudrait un seul ministère en charge de la définition des contenus et de la certification.

Mme Elizabeth Arnold - Nous dénombrons sept ministères formateurs actuellement.

M. Bernard Saint-Girons - Je souhaiterais ajouter un élément, au risque de rendre le débat plus complexe. Je pense en effet que les référentiels de formation devraient être définis au plus près des employeurs tant pour la formation initiale que pour la formation continue. Dès lors, une réflexion s'impose sur la manière d'instaurer un dialogue avec les employeurs.

Il me semble, par ailleurs, que la remarque du sénateur Humbert porte également sur l'instauration d'un seul ministère compétent pour la formation continue. Je pense ainsi qu'il ne faut en aucun cas dissocier les formations générales des formations professionnelles. L'intervention de M. Nembrini indique combien il a été difficile de décloisonner les parcours. Il serait ainsi regrettable de conduire à une dissociation entre les licences professionnalisées et les licences générales. Je pense en effet que les licences générales devraient contenir des éléments de professionnalisation afin de rendre plus opératoires les savoirs fondamentaux. Ainsi les diplômes généraux menant à la recherche, sont également des formations professionnalisantes.

M. Jean-François Humbert - Je partage votre opinion. J'estime ainsi que le ministère de l'éducation nationale devrait être le seul ministère responsable en matière de formations.

M. Jean-Louis Nembrini - Je suis d'accord avec vous, sous réserve que la définition de ces diplômes s'opère en concertation avec les autres ministères. La logique du guichet unique pourrait utilement être appliquée dans ce domaine. En effet, le ministère de l'éducation nationale associe la formation initiale, la formation continue et la VAE.

Mme Isabelle Debré - Je pense que l'instauration d'un guichet unique permettrait d'évaluer les formations et les diplômes. Le BEP carrières sanitaires et sociales, par exemple, n'offre aucun débouché. Il convient donc soit de le supprimer soit de le faire évoluer dans la mesure où il donne de vains espoirs à des jeunes.

Mme Christiane Demontès, rapporteur-adjoint - Il me semble, à vous entendre, que la dévalorisation des formations professionnelles perdure dans l'imaginaire collectif. Il faut orienter des élèves obtenant de bons résultats en fin de troisième vers la formation professionnelle. Le problème est que le système scolaire repose aujourd'hui sur une forte hiérarchisation des filières. La formation professionnelle doit ainsi être revalorisée. Ainsi, le jugement sur la valeur du BEP doit être nuancé. Certains BEP ne permettent pas l'insertion professionnelle mais d'autres offrent, en revanche, des débouchés. Je constate que certains titulaires de BEP obtiennent ainsi de meilleurs postes que des titulaires de baccalauréat professionnel, dans la région Rhône-Alpes.

Je souhaiterais également que vous m'indiquiez la place dévolue à la formation professionnelle initiale dans l'éducation nationale. Je suis en effet en charge de la formation professionnelle dans la région Rhône-Alpes et je constate que le rectorat supprime des postes et des sections dans les lycées professionnels. Il demande en revanche l'ouverture de sections correspondantes dans les CFA. Or l'apprentissage ne permettra pas l'accès aux diplômes pour tous les jeunes. En effet, seul un quart des jeunes sont en formation professionnelle dans le cadre de l'apprentissage, alors que les autres sont sous statut scolaire. Il me semble impossible d'inverser la proportion en raison de l'absence d'employeurs disposés à accueillir des jeunes en apprentissage. Je souhaiterais ainsi savoir ce que vous pensez de l'alternance, sous statut scolaire, dans la formation professionnelle initiale.

M. Jean-Louis Nembrini - Il me semble que ma position rejoint la vôtre. Le BEP peut en effet être une voie d'excellence pour des élèves se trouvant notamment dans des sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA). En revanche, certains BEP n'offrent plus de débouché professionnel.

La formation en alternance est bien souvent assimilée à une orientation précoce des élèves opérée dès le collège. Or, le ministère de l'éducation nationale appréhende l'alternance comme un moyen de redonner le goût de l'enseignement général. Des expérimentations ont été menées en vue d'orienter des élèves en situation d'échec scolaire vers la formation en alternance. Or les résultats tendent à prouver que ces jeunes retrouvent le goût pour les études générales. En effet, les stages donnent une dimension concrète à des savoirs abstraits. L'alternance ne doit pas être conçue comme une orientation précoce mais comme un moyen d'activer le goût pour la maîtrise du socle commun de connaissances et de compétences. Cette approche n'est pas incompatible avec le projet d'une école obligatoire jusqu'à l'âge de seize ans, mettant un socle commun à la disposition de chacun.

Mme Annie David - Je comprends la volonté de ramener l'ensemble des formations sous l'égide d'un seul ministère certificateur. Toutefois, l'accès à certaines formations, notamment dans le domaine des carrières sanitaires et sociales, s'opère par concours. Ainsi l'accès au métier d'aide soignante ou d'auxiliaire puéricultrice se fait par le biais d'un concours, contrairement au parcours de formation du BEP carrières sanitaires et sociales. En outre, ces formations sont payantes et dispensées par des professionnels de la santé. Je pense ainsi qu'il est difficile d'intégrer ces formations sous le contrôle de l'éducation nationale.

Vous avez également déclaré que les enseignants devaient être ouverts sur le monde économique. Or il me semble que la vocation des professeurs est d'enseigner et non d'opérer l'orientation des élèves. Je ne vois pas comment un professeur principal peut définir le parcours d'orientation de trente-cinq élèves en plus de ses activités d'enseignement. En outre, les entretiens d'orientation doivent être organisés le soir afin d'associer les parents exerçant une activité professionnelle. Il me semble ainsi préférable de s'appuyer sur les personnels des centres d'information et d'orientation (CIO) et des centres d'orientation paralégale et sociale pour les immigrants (COPSI). Cependant, ceux-ci sont en nombre insuffisant et ne disposent pas des moyens nécessaires pour pouvoir assurer leur mission essentielle d'orientation. Je ne vois dès lors pas comment associer les enseignants à cette mission d'orientation, à moins d'ajouter un module dédié à cette nouvelle activité au sein de la formation dispensée dans l'IUFM.

M. Jean-Louis Nembrini - Je tiens à préciser que nous n'aspirons pas à centraliser toutes les formations au sein de l'éducation nationale. Il s'agit en revanche de présenter un guichet unique pour la certification des diplômes et des examens. Dès lors, des formations peuvent être organisées par d'autres autorités que le ministère de l'éducation nationale. Ainsi, 20 % des élèves sont formés par des établissements privés liés à l'État par un contrat, dans l'enseignement général. Le principe est donc que l'État définit les programmes et assure la certification des diplômes.

Par ailleurs, je pense qu'il existe actuellement un partage des rôles entre le professeur principal et le conseiller d'orientation dans la définition des parcours personnels. En effet, le conseiller d'orientation s'occupe de l'orientation vers les lycées professionnels alors que le professeur principal est responsable de l'orientation au sein de l'enseignement général. Or je crois que cette distinction doit être abolie car elle conduit à une distinction entre une « voie royale » et une voie annexe. La réforme de l'orientation que nous souhaitons opérer doit ainsi s'appuyer sur une redéfinition du rôle du professeur principal. La fonction de professeur principal doit ainsi être revalorisée en s'appuyant sur la formation. Nous devons donc allouer de nouveaux moyens pour assurer que la fonction d'orientation soit considérée à égalité avec la fonction d'enseignement.

M. Bernard Saint-Girons - Je suis étonné de constater que le problème de l'orientation est, à tort ou à raison, systématiquement soulevé par les élèves et les étudiants. Ils mettent ainsi en avant l'insuffisance de l'information et le déficit d'orientation. J'ai dirigé au cours de ma carrière un service commun universitaire d'information et d'orientation (SCUIO). Or, le degré de satisfaction a toujours été limité en dépit des moyens que nous avons essayé de déployer. Cette insatisfaction tient à la dissociation opérée entre l'acte pédagogique et l'acte d'orientation. L'expérience d'orientation active développée par soixante universités, tend à confirmer mon appréciation. L'orientation active consiste à exiger des étudiants qu'ils déposent un dossier présentant leur cursus, leurs résultats et leur projet en préalable à leur inscription auprès d'une université. Ainsi, cette expérience peut être concluante si les responsables de filières s'investissent directement dans le processus de sélection en évaluant la pertinence du parcours. En revanche, elle sera un échec si cette tâche est confiée à un spécialiste de l'orientation car elle induirait une dissociation avec l'acte d'enseignement.

En effet, un enseignant d'éducation physique est plus à même d'apprécier le projet d'un élève qui souhaiterait s'inscrire en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) qu'un conseiller d'orientation. Or, il me semble qu'il est capable d'indiquer à un élève qui n'a jamais exercé d'activité physique, au cours de son parcours de lycéen, que son projet ne s'appuie pas sur les prérequis nécessaires. De même, un étudiant qui n'a pas obtenu un baccalauréat scientifique avec mention bien s'expose à un risque d'échec s'il souhaite s'inscrire en médecine. L'enseignant a alors la possibilité de recommander une inscription dans un parcours LMD de biologie. L'activité de conseil des enseignants permet ainsi de prévenir d'éventuels échecs.

Mme Sylvie Desmarescaux - J'aimerais connaître les dispositions que va prendre l'éducation nationale consécutivement à la suppression du CAP secrétariat comptabilité.

Par ailleurs, je souscris à votre volonté d'ouvrir l'éducation nationale vers les entreprises. Je songe ainsi au travail commun opéré par les enseignants et les employeurs dans les docklands de Londres. Or je souhaiterais savoir si l'éducation nationale compte instaurer des camps de jeunesse à l'instar de l'exemple britannique.

M. Jean-Claude Carle, président - J'invite le sénateur Dupont à poser sa question.

M. Jean-Léonce Dupont - Il me semble que le problème fondamental de la formation réside dans son lien avec l'économie. La défiance vis-à-vis du monde économique est en effet un élément structurant de la culture française. Je prendrai deux exemples à l'appui de mon assertion. D'une part, 70 % des parents souhaitent que leurs enfants intègrent la fonction publique. D'autre part, la France est le seul pays de l'OCDE dans lequel l'entreprenariat n'est pas perçu comme un vecteur du progrès. Dès lors, les relations entre le monde de l'enseignement et le monde économique sont complexes. L'amélioration ne peut ainsi être que graduelle.

Les trois jours de stage de découverte en entreprise que vous avez évoqués me semblent ainsi intéressants. Toutefois, j'ai pu constater en ma qualité de parent d'élèves que les principes affichés souffrent de leur concrétisation Ainsi, ces stages peuvent éloigner les élèves de l'entreprise au lieu de les rapprocher. En effet, les professeurs n'avaient pas la disponibilité suffisante pour choisir des entreprises de qualité. De même, les entreprises n'étaient pas préparées à recevoir ces stagiaires. Ainsi, il me semble qu'il serait utile d'accueillir les stagiaires en opérant une présentation générale de l'entreprise. Je crois qu'un entretien individuel à la fin du stage serait également nécessaire. L'impréparation générale conduit à offrir des stages très variables, dont le fondement principal reste le relationnel des parents. Je souhaiterais ainsi savoir comment aménager l'environnement de ces trois heures généralisées de découverte en entreprise pour ne pas connaître les mêmes travers.

En ce qui concerne l'enseignement supérieur, le principe est que les enseignants sont valorisés par la publication de leurs travaux de recherche. Ainsi toutes les autres tâches, qu'elles soient administratives ou relatives au développement de la formation continue, sont peu valorisantes. Je souhaiterais ainsi savoir quelles mesures pourraient être prises pour valoriser l'investissement des universitaires dans la formation continue.

M. Jean-Louis Nembrini - Je souhaiterais aborder la question des modalités de suppression d'un diplôme devenu obsolète. Il convient en préalable de réorienter la demande de formation des élèves. Ainsi, en ce qui concerne le CAP secrétariat comptabilité, les candidats doivent être incités à rejoindre un baccalauréat professionnel.

Mme Isabelle Debré - Votre développement rejoint ma question précédente. En effet, je souhaiterais savoir pourquoi on ne supprime pas le BEP carrières sanitaires et sociales, qui a perdu sa raison d'être.

M. Jean-Louis Nembrini - Je vous prie de croire que le processus de suppression d'un diplôme est long et complexe. En effet, il s'agit également de réorienter les enseignants en charge de dispenser la formation supprimée. Nous procédons actuellement au réexamen des baccalauréats sciences et techniques industrielles (STI). Ainsi, des baccalauréats technologiques vont être requalifiés en baccalauréats professionnels. De fait, des enseignants de lycée technologique devraient être réorientés vers des lycées professionnels. Or la reconversion de 2 000 à 3 000 fonctionnaires prendra du temps.

En outre, le stage obligatoire en entreprise pour les enseignants est inspiré d'exemples étrangers. J'ai ainsi accompagné M. de Robien, ministre de l'éducation nationale, au cours de ses déplacements en Suède, en Autriche ou en Belgique. Nous examinerons ainsi l'initiative menée dans les docklands de Londres lorsque le rapport sera publié.

Par ailleurs, il ne me semble pas que la défiance vis-à-vis du monde économique soit l'apanage de l'éducation nationale. La défiance entre l'éducation nationale et l'entreprise est réciproque. Je crois dès lors qu'il faut rapprocher ces deux mondes. Nous essayons d'encourager la concertation entre des représentants de l'entreprise et des responsables de l'enseignement au sein du ministère de l'éducation nationale. Nous nous situons ainsi dans la ligne définie par la mission Perdriel au sein du Conseil pour la diffusion de la culture économique (CODICE). Ainsi nous allons organiser la collaboration entre des responsables de haut niveau du monde économique et des responsables de l'éducation nationale. Les travaux porteront ainsi sur la formation des enseignants afin de les préparer à l'organisation de stages en entreprise. Il faut également que les entreprises acceptent de traiter différemment des jeunes de seize inscrits dans des dispositifs variés. De même, les stages en entreprise des enseignants doivent faire l'objet d'une analyse préalable. En effet, il serait inutile de leur confier une tâche technique sous prétexte de leur faire découvrir la pénibilité du monde du travail. Il s'agit au contraire de leur permettre d'appréhender le processus de formation tout au long de la vie au sein de l'entreprise.

Je crois toutefois que le virage culturel est en train d'être pris. Ainsi le projet de réforme des IUFM, contenant la proposition d'un stage obligatoire en entreprise, n'a pas rencontré d'opposition de principe au sein du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER). De même les cellules école-entreprise des rectorats peuvent organiser le rapprochement entre ces deux mondes.

M. Bernard Saint-Girons - Je souhaiterais insister sur le fait que la carte des formations dans le second degré ou dans le supérieur requiert une gestion dynamique. Il est ainsi inutile de laisser perdurer des formations au seul motif que la reconversion des enseignants pose problème. Les académies doivent ainsi mener une politique ambitieuse de formation et de gestion des ressources humaines.

Par ailleurs, je souhaiterais nuancer l'assertion selon laquelle les formations sont déconnectées des besoins des entreprises. Ainsi l'habilitation de licences professionnelles repose sur un rapport établi par un groupe mixte composé de spécialistes de l'enseignement et de l'entreprise. L'insertion professionnelle devient un élément de cette évaluation, conformément aux prescriptions de la loi organique relative aux lois de finances.

Enfin, je souhaiterais relativiser le rôle des publications dans l'évaluation des universitaires. En effet, les universités disposent d'un quota de promotion locale pour assurer la valorisation des enseignants impliqués notamment dans des activités de formation continue.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie madame et messieurs pour vos interventions. Je vous invite à nous faire parvenir tout document que vous jugerez utile.

Audition de MM. Patrick PELLETIER, président, et Jean-Pierre MICHEL, vice-président, de l'Association nationale des conseillers en formation continue (ANACFOC) (11 avril 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous avons le plaisir d'accueillir MM. Pelletier et Michel, qui représentent l'association nationale des conseillers en formation continue. Ces derniers sont des acteurs importants de la formation professionnelle continue notamment au sein des groupements d'établissements publics locaux d'enseignement (GRETA). Je vous propose de vous laisser maintenant la parole. Nous vous poserons ensuite un certain nombre de questions.

M. Patrick Pelletier - Je souhaiterais introduire mon propos en présentant quelques chiffres relatifs à la formation continue en France.

La formation professionnelle représente un investissement annuel de 5,4 milliards d'euros, en augmentation constante. Toutefois, les réseaux de service public, dont celui de l'éducation nationale que nous représentons, ne connaissent pas eux d'augmentation de leurs ressources. On dénombre actuellement 1 300 conseillers qui travaillent dans les 280 GRETA pour former les adultes en France métropolitaine et dans les territoires d'outre-mer. Notre association regroupe 600 conseillers en formation continue, soit la moitié des effectifs globaux des GRETA. Elle a pour vocation d'apporter une réflexion sur la place du réseau de formation continue de l'éducation nationale, et son évolution.

Nous sommes actuellement inquiets par la situation du réseau de formation professionnelle de l'éducation nationale. En effet, l'activité des formations des adultes est en hausse de 8 % à 9 % par an. Or les financements du réseau des services publics, constitué par l'association nationale de formation des adultes (AFPA) et par les GRETA, sont en baisse. Nous assurons une mission de service public en dispensant une formation continue pour les publics en difficulté. Toutefois, nous sommes confrontés à une baisse des moyens qui nous sont alloués alors que les publics en grande difficulté requièrent des moyens importants pour retrouver une employabilité. En outre, nous agissons conformément aux règles du code de l'éducation nationale en assurant une présence sur l'ensemble du territoire, y compris dans les endroits les plus reculés. Nous estimons ainsi que notre présence est un élément essentiel du développement du territoire. En effet, l'activité de formation continue n'est pas rentable dans un grand nombre de zones. Elle ne peut, dès lors, être assurée que par des opérateurs de service public.

Par ailleurs nous essayons de respecter les objectifs définis par le Conseil européen de Lisbonne ; celui-ci a fixé l'objectif de 12 % de la population adulte en formation. Nous sommes, toutefois, loin d'atteindre cet objectif en dépit des moyens alloués par l'Union européenne. En revanche, le service public est pleinement investi dans la recherche et le développement pour les programmes de formation lourds. Il nous semble que cette mission est conforme à notre vocation de service public. Toutefois, ces programmes requièrent des investissements lourds en termes d'infrastructure ou d'ingénierie pédagogique. Nous avons, par exemple, développé la formation individualisée avec des unités capitalisables ainsi que les centres permanents de formation individualisée. Or, ces concepts d'ingénierie pédagogique que nous avons développés sont tombés dans le domaine public.

Toutefois, il devient de plus en plus difficile de travailler sur ces volets généraux et transversaux en raison de la dernière réforme de la formation professionnelle. Le cloisonnement des activités en branche rend les modalités des actions de formation plus complexes. Ainsi, les formations transversales deviennent extrêmement complexes à mettre en oeuvre dans la mesure où chaque branche dispose de ses propres spécifications. Ainsi, le volume horaire requis pour une formation peut être très variable. De même, le droit individuel à la formation (DIF) est plus ou moins une priorité en fonction des branches. L'activité de formation est ainsi de plus en plus sectorisée au point que les qualifications acquises ne peuvent plus être transférées d'un secteur à l'autre. De même, les certificats de qualification professionnelle (CQP) ne sont reconnus que dans leur branche. De fait, il faut conduire une nouvelle opération de formation pour assurer le passage d'un individu d'un secteur à l'autre. Or, les conducteurs de machines automatisées, par exemple, occupent les mêmes postes quel que soit le secteur. Les concepts restent en effet les mêmes en dépit des différences dans le poste occupé, de sorte qu'une nouvelle formation ne s'impose pas nécessairement. Les projets européens portent sur des compétences transversales qui peuvent être transférées d'une branche à l'autre, voire d'un pays à l'autre. Le dispositif actuel de formation continue ne permet donc pas de remplir les objectifs européens.

Nous souhaiterions que les dispositifs de formation sortent d'une logique d'offre pour entrer dans une logique de demande. Notre objectif est de répondre aux besoins des secteurs de l'économie et des régions afin d'accompagner le développement territorial. Ainsi, nous aspirons à mettre rapidement en place des dispositifs de formation continue afin de répondre aux besoins, sans que ces dispositifs soient pérennes. En effet, nous pouvons accompagner le développement de certains secteurs et transférer les outils pédagogiques de la formation continue vers la formation initiale.

De même, il convient d'organiser la collaboration au sein du service public de la formation continue. Ainsi, les GRETA, qui connaissent une situation difficile actuellement, ont besoin d'évoluer. Je pense ainsi qu'il est important qu'ils ne disparaissent pas afin d'assurer leur mission de service public sur l'ensemble du territoire. Ainsi, il pourrait être intéressant de mettre en commun les moyens avec l'AFPA.

En outre, nous souhaiterions que le service public de la formation continue reste présent sur l'ensemble du territoire. Il est ainsi indispensable d'assurer son financement par une hausse des subventions ou par l'accès à des offres de formation rentables. En effet, les financements publics mis actuellement à sa disposition sont insuffisants pour permettre la conduite des études de recherche et de développement dans l'ingénierie pédagogique. Le marché est en effet compartimenté entre un secteur public en charge des formations lourdes et coûteuses, qui ne sont pas rentables, et un secteur privé rémunérateur. Or ce dernier ne mène pas d'opérations de recherche et de développement. Le secteur public est, pour sa part, confronté à une hausse du coût des personnels assurant les opérations de recherche et de développement. En effet, nous sommes désormais obligés d'acquitter l'ensemble des charges patronales sur les enseignants présents en postes gagés, au sein des GRETA. Ainsi, une heure de formateur coûte désormais 150 euros, ce qui est invendable sur le marché. Nous estimons ainsi que les moyens nous font défaut pour assurer notre mission de service public.

Enfin, il nous semble indispensable de sortir de la logique de branche qui empêche la transférabilité des compétences. En effet, le dispositif du répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) tend à développer un nombre croissant de certifications alors que sa mission initiale était de les réduire. Ainsi, il existe trois demandes de certificats de qualification professionnelle (CQP) dans le domaine des techniciens de la musique actuelle alors qu'un seul serait suffisant. Il nous semble dès lors essentiel de porter l'accent sur les compétences transférables entre les secteurs au lieu de développer la spécialisation à l'intérieur des secteurs.

M. Jean-François Humbert - Vous souhaitez ainsi que les compétences soient transférables au profit du secteur public.

M. Patrick Pelletier - Je ne souhaite pas que les compétences soient transférables au seul profit du service public. Ce dernier n'est qu'un opérateur parmi d'autres dont l'un des objectifs est d'accompagner le développement territorial. Il me semble toutefois que cette mission ne peut être effectuée qu'en assurant le transfert des compétences individuelles d'un secteur à l'autre.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie monsieur Pelletier. Souhaitez-vous compléter cette intervention monsieur Michel ?

M. Jean-Pierre Michel - Je souhaitais préciser que l'idée de formation tout au long de la vie repose sur l'éducation tout au long de la vie. La notion de transversalité a pour corollaire la maîtrise de savoirs fondamentaux. Ainsi, l'apprentissage d'un processus suppose la maîtrise des outils de la lecture qui ressort plus de la compétence de l'éducation que de celle de la formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie monsieur Michel. Vous nous avez indiqué au cours de votre présentation, messieurs, que la part de la formation professionnelle était en augmentation à l'exclusion du service public. Je souhaiterais en connaître la raison. Le service public est-il insuffisamment compétitif ? La cause tient-elle au fait que les marchés sont de plus en plus réduits ?

Par ailleurs, nous partageons votre constat sur le passage d'une logique d'offre à une logique de demande. Toutefois, nous aimerions savoir ce que vous préconisez pour assurer cette transition.

Enfin, je souhaiterais connaître l'état d'avancement de la réforme du statut actuel des GRETA. Avez-vous progressé sur la réforme du statut juridique des GRETA, caractérisée par une insécurité juridique flagrante ? De même, je serais intéressé à connaître le statut des conseillers en formation continue. Pourriez-vous nous présenter ce statut ainsi que l'état d'avancement de votre réflexion à ce sujet ? Ensuite, je me propose de laisser à mes collègues le soin de vous poser des questions.

M. Patrick Pelletier - Plusieurs raisons nous ont conduits à constater une diminution de notre chiffre d'affaires. En premier lieu, la réduction du nombre des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) et la sectorisation croissante de la formation continue ont conduit à une multiplication des organismes de formation très spécialisés. De fait, les dispositifs de formation sont de plus en plus ciblés en direction de publics restreints. Dès lors, le service public de la formation continue se retrouve exclu de ces marchés. En deuxième lieu, nous constatons une augmentation de nos coûts de production, selon la terminologie économique. Le coût de nos heures de formation est de plus en plus élevé. Nous sommes donc réduits à diminuer le nombre de nos intervenants et à utiliser les conseillers en formation comme coordonnateurs ou gestionnaires de structures. Ces derniers ne peuvent donc plus assurer leur mission d'agents de développement, ce qui nous empêche d'être à l'écoute de la demande. Le réseau des GRETA est ainsi, pour toutes ces raisons, le plus cher du marché.

M. Jean-François Humbert - Un certain nombre de GRETA se retrouvent donc en déficit.

M. Patrick Pelletier - Des GRETA sont en effet proches de fermer leurs portes.

M. Jean-François Humbert - Le problème des GRETA est lié à la rémunération des formateurs.

M. Patrick Pelletier - Les coûts salariaux sont très élevés mais nous n'avons pas de moyens d'ajustement. Les personnels que nous employons sont soumis au statut de la fonction publique régi par des règles de fonctionnement très strictes. Ainsi, nos formateurs ne font pas trente-cinq heures hebdomadaires d'enseignement pendant quarante-cinq semaines, au cours de l'année.

M. Jean-François Humbert - Vous savez comme moi que l'un des problèmes des GRETA est lié au montant de la rémunération versée aux formateurs.

M. Patrick Pelletier - La rémunération des formateurs n'est pas le seul problème. Aujourd'hui, nous avons de plus en plus souvent recours à des personnels au statut précaire. Nous utilisons par ailleurs des enseignants rémunérés en heures supplémentaires. Mais cette dernière catégorie de personnel est justement celle qui nous coûte le moins cher. Nous redeviendrions compétitifs en employant cette seule catégorie de personnel. Rémunérer les enseignants en heures supplémentaires nous pose toutefois un problème. Ils ne viennent en effet que pour assurer leurs heures de formation et ne participent pas à la réflexion sur l'ingénierie pédagogique. Les OPCA, qui sont en quelque sorte nos donneurs d'ordre, financent la recherche et le développement dans les organismes de formation des branches. Or, nous n'avons pas accès à ces financements et l'État ne nous finance pas le temps passé à la recherche et au développement de nouvelles formations.

M. Jean-Claude Carle, président - Je souhaiterais que vous nous précisiez le statut de vos formateurs.

M. Patrick Pelletier - Nous disposons de quatre grandes catégories de personnel formateur intervenant. La première catégorie regroupe les titulaires de l'éducation nationale qui viennent assurer des vacations en heures supplémentaires. Cette catégorie est la moins coûteuse dans la mesure où nous n'acquittons que des suppléments de cotisations patronales. En effet, nous n'avons que les heures de vacation à rémunérer, contrairement aux formateurs permanents que nous devons rémunérer y compris pendant les périodes sans stagiaire.

M. Jean-Claude Carle, président - Quelle est la proportion de ces formateurs ?

M. Patrick Pelletier - Ils effectuent actuellement 40 % des heures d'enseignement dispensées en moyenne. Cette proportion devrait toutefois s'accroître à l'avenir.

La deuxième catégorie de personnel est constituée des titulaires de l'éducation nationale en postes gagés. Ces enseignants étaient mis à disposition des GRETA et représentaient la majorité de nos formateurs auparavant. En effet, nous n'avions jusqu'ici que le salaire brut à acquitter puisqu'ils étaient rémunérés par l'éducation nationale. Toutefois, l'État nous demande de payer les charges patronales depuis un an. Cette réforme a induit une hausse de 45 % des coûts qui conduit les GRETA à renoncer à cette catégorie de personnel. La situation actuelle est regrettable dans la mesure où ces enseignants disposaient d'une formation pédagogique. Ils étaient en outre volontaires pour assurer la formation des adultes. Enfin, ils pouvaient travailler sur la recherche et le développement en dehors de leurs heures d'enseignement.

M. Jean-François Humbert - Quel est le surcroît de rémunération versé à un enseignant détaché auprès des GRETA par rapport à un enseignant dans un lycée ?

M. Patrick Pelletier - Ils ne reçoivent aucune rémunération supplémentaire. On se contente de rembourser leur salaire au rectorat. Ils ne perçoivent un complément de rémunération que s'ils effectuent des heures supplémentaires. Ainsi, nos collègues qui retournent en formation initiale bénéficient d'horaires moins contraignants pour une rémunération similaire.

M. Jean-Pierre Michel - Ces enseignants détachés peuvent retourner dans le système de la formation initiale. Celle-ci bénéficie ainsi de l'expérience qu'ils ont acquise dans le développement de l'ingénierie pédagogique, mais on peut également faire toute sa carrière en formation d'adultes.

M. Patrick Pelletier - Le fait de travailler dans le domaine de la formation pour adultes ne représente aucun avantage financier. En revanche, certains enseignants apprécient d'intervenir auprès de ce type de public.

M. Jean-François Humbert - Comment expliquez-vous que des enseignants acceptent de travailler plus pour une rémunération équivalente ?

M. Patrick Pelletier - Ils ont le goût pour ce type d'enseignement. En outre, beaucoup de professeurs présents dans les lycées ne se contentent pas d'assurer leurs dix-huit heures hebdomadaires d'enseignement. Ils mènent également des activités non rémunérées en parallèle.

M. Jean-Pierre Michel - Je souhaiterais préciser que les dix-huit heures de travail hebdomadaire ne concernent que l'activité d'enseignement face aux élèves.

M. Patrick Pelletier - Les enseignants participent tous à des activités de préparation des projets pédagogiques ou de nouveaux diplômes. Or, les diplômes évoluent très rapidement, ce qui conduit nombre d'enseignants à préparer de nouveaux BTS ou de nouveaux baccalauréats professionnels, par exemple.

M. Jean-Claude Carle, président - Des enseignants répartissent-ils leur temps d'enseignement à égalité entre la formation initiale et la formation continue ?

M. Patrick Pelletier - Il existe quelques cas d'enseignants présents dans les deux formations mais ils sont très rares. En effet, les enseignants disposent d'un planning hebdomadaire en formation initiale qui est assez incompatible avec les fluctuations d'horaires dans la formation continue.

M. Jean-François Humbert - Si j'ai bien compris votre réponse, un enseignant n'a aucun avantage à enseigner dans un GRETA. Il fait donc plus d'heures de travail sans contrepartie.

M. Jean-Pierre Michel - Il n'y a aucun avantage en effet. Toutefois, la situation est similaire pour les enseignants qui choisissent d'exercer dans les zones d'éducation prioritaire (ZEP) ou dans les prisons.

M. Jean-François Humbert - Je souhaiterais simplement savoir si un professeur choisit d'aller enseigner dans un GRETA par goût pour cette activité ou parce qu'il a un intérêt à le faire.

M. Jean-Pierre Michel - La formation continue fait partie des trois missions fondamentales de l'éducation nationale aux côtés de la formation initiale et de l'insertion.

M. Patrick Pelletier - J'ai enseigné à des classes de sixième et je puis vous assurer qu'il est agréable de renouveler son activité en changeant de public.

M. Jean-Claude Carle, président - Je trouve cette attitude très salutaire et je déplore qu'elle ne soit pas si répandue.

M. Jean-Pierre Michel - J'ai enseigné en maternelle et je suis très heureux d'avoir la possibilité d'explorer de nouvelles facettes de l'enseignement.

M. Jean-Claude Carle, président - Quelles sont les autres catégories de personnel employées par les GRETA ?

M. Patrick Pelletier - Des enseignants ont également signé avec le GRETA un contrat à durée déterminée. Ce type de contrat est requalifié en contrat à durée indéterminée au bout du cinquième renouvellement. Les barèmes de rémunération pour cette catégorie de formateurs sont nettement moins élevés que pour des enseignants titulaires de l'éducation nationale. Ils ne sont pas salariés du GRETA mais ils sont employés par le lycée support du GRETA.

La quatrième catégorie regroupe les enseignants vacataires, pour lesquels nous supportons l'ensemble des charges patronales.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous nous avez indiqué que la première catégorie représentait environ 40 %. Quelles sont les proportions des autres catégories ?

M. Patrick Pelletier - Les titulaires sur postes gagés représentent environ 30 % de nos personnels. Les autres catégories sont plus volatiles donc difficiles à quantifier.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous avons désormais une vision claire du statut des enseignants des GRETA. Nous aimerions dès lors connaître le statut juridique des GRETA.

M. Patrick Pelletier - Le GRETA est un groupement d'établissements conformément à son acronyme. Ainsi, des établissements d'enseignement se regroupent dans une zone afin de répondre à la demande de formation formulée sur ce territoire. La structure du GRETA ne dispose d'aucun statut juridique. Ainsi, l'ensemble de ses finances est géré par un établissement support qui est un établissement public local d'enseignement (EPLE), autrement dit un lycée. L'établissement support est généralement le plus gros lycée de la région qui assure la comptabilité du GRETA en annexe de ses propres comptes. Ce budget annexe est géré par le conseil d'administration du lycée qui, dans la plupart des cas, ignore la raison pour laquelle le budget du GRETA est sous son autorité. En effet, le conseil d'administration regroupe les parents d'élèves du lycée ainsi que les représentants de la collectivité de rattachement. Ce conseil d'administration doit ainsi voter le budget et signer les conventions conclues par l'établissement avec les entreprises ou nos partenaires. Il doit également signer les contrats des formateurs.

M. Jean-Claude Carle, président - Le chef d'établissement qui est également le président du conseil d'administration engage ainsi sa responsabilité.

M. Patrick Pelletier - En effet.

M. Jean-Claude Carle, président - Dispose-t-il en retour d'une gratification ?

M. Patrick Pelletier - Tout à fait, il dispose d'une gratification tout comme l'agent comptable.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous souhaiterions savoir quelles sont les évolutions possibles. En effet, nous nous trouvons face à une grande incertitude juridique et nous aimerions connaître vos propositions en vue de sortir de ce flou juridique. Nous aspirons en effet à assurer la sécurité des personnels et des présidents du conseil d'administration.

Mme Annie David - J'imagine qu'il y a deux directions au sein du GRETA. En effet, le chef d'établissement et l'agent comptable de l'établissement support sont responsables pour des tâches administratives. J'imagine qu'il existe toutefois un directeur du GRETA.

M. Jean-Pierre Michel - La situation est variable en fonction des GRETA. Dans certains cas, la direction est assurée par l'établissement support. Il existe toutefois un bureau qui rassemble les chefs d'établissements de la zone du GRETA, ainsi que des conseils inter-établissements (CIE) qui regroupent l'ensemble des établissements adhérents au GRETA. Toutes les décisions transitent par l'ensemble de ces instances sans que ces dernières ne disposent d'un pouvoir décisionnel. En effet, seul le conseil d'administration de l'établissement support dispose du pouvoir de prendre les décisions. La prise de décision est ainsi considérablement ralentie par la nécessité de consulter l'ensemble de ces organes. Toutefois, on constate que les acteurs collaborent pour aller dans la même direction, ce qui facilite le fonctionnement des GRETA.

M. Jean-Claude Carle, président - Quelles sont vos propositions pour améliorer le système ?

M. Patrick Pelletier - La majorité des activités assurées par les GRETA sont assurées par des EPLE. Ces derniers sont le plus souvent des lycées techniques ou des lycées professionnels et marginalement des collèges. Ces établissements disposent d'infrastructures, notamment des ateliers. Il nous semble dès lors que nous devons nous appuyer sur les infrastructures existantes. En outre, ces établissements sont déjà présents sur l'ensemble du territoire. Enfin, il nous semble important de constituer un réseau national afin d'assurer le transfert des innovations dans le domaine de la formation.

Nous souhaiterions en outre que chaque chef d'établissement soit responsable des actions de formation se déroulant à l'intérieur de ses locaux, quel que soit le public concerné. Toutefois, un établissement ne peut gérer seul la formation adulte. En effet, il ne peut atteindre seul la masse critique lui permettant d'avoir du personnel à temps plein afin de se développer. En outre, la présence de plusieurs établissements dans les grandes villes pourrait conduire à des risques de concurrence exacerbée sur certains types de formation et à de grands vides en ce qui concerne d'autres types de formation. La concurrence pourrait ainsi être intense pour la formation dans le secteur tertiaire, l'informatique ou les langues étrangères. Nous aimerions dès lors instaurer une structure régulatrice de coordination et de gestion. Le modèle des lycées agricoles ne peut s'appliquer. En effet, les lycées agricoles ne se font pas concurrence dans la mesure où ils sont spécialisés. Ainsi, on dénombre trois établissements de ce genre dans la région Champagne-Ardenne dont l'un est spécialisé dans la culture, l'autre dans la viticulture et le dernier dans l'élevage. Nous aspirons ainsi à opérer une coordination de l'offre de formation continue sur le territoire.

Nous n'avons pas autorité pour définir le statut juridique des GRETA. Nous reconnaissons toutefois la nécessité d'accorder la personnalité juridique aux GRETA. Nous avions ainsi préconisé la création du statut d'EPLE sans les murs pour ces entités.

M. Jean-Claude Carle, président - Cela correspond au modèle des unités de formation par apprentissage (UFA).

M. Patrick Pelletier - Le modèle serait en effet similaire à celui des UFA. Il nous permettrait de disposer d'un conseil d'administration pour prendre les décisions et d'un directeur pour les exécuter. Cette solution permettrait de détacher les GRETA d'un établissement support et de bénéficier d'une direction entièrement dédiée à la gestion de la formation pour adultes. Il existe toutefois d'autres propositions dont l'une consisterait à ériger les GRETA en groupements d'intérêt public (GIP).

M. Jean-François Humbert - Vous venez d'évoquer la rupture avec l'établissement support du GRETA. Souhaitez-vous maintenir un lien avec les lycées de la zone ou voulez-vous organiser la rupture avec l'EPLE ?

M. Patrick Pelletier - L'EPLE nous semble être la base des actions de formation. En revanche, la structure juridique que nous évoquons devrait organiser la coordination entre les différents établissements dispensant la formation pour adultes au sein d'un même territoire. Ainsi, la structuration du dispositif doit être modulable en fonction du territoire concerné. En effet, l'offre de formation n'est pas la même dans la Creuse ou dans le Limousin qu'à Paris ou à Créteil. Ainsi, l'offre pourra être multi-activités dans la Creuse avec une large couverture géographique et plus spécialisée et plus restreinte géographiquement à Paris.

M. Jean-François Humbert - Ne pensez-vous pas que cette différenciation de l'offre soit contradictoire avec l'idée du service public ?

M. Patrick Pelletier - Nous restons sous la tutelle du recteur d'académie qui pilote avec les conseillers académiques la politique de la formation sur son territoire. A ce titre, le recteur d'académie serait membre de droit du conseil d'administration de la nouvelle entité juridique.

M. Jean-François Humbert - A quelle entité juridique faites-vous référence ?

M. Patrick Pelletier - Je me réfère à un futur EPLE « formation continue » ou à un GIP. Toutefois, la détermination du statut juridique ne nous appartient pas.

M. Jean-François Humbert - Il existe deux modèles différents de personnalité juridique. Avez-vous une préférence pour l'un des deux ? Il est en effet manifeste que nous ne pouvons pas continuer avec la situation existante. Or, nous aimerions connaître votre point de vue sur la personnalité juridique qui permettrait d'assurer la continuité de l'action des GRETA dans la mesure où vous êtes au coeur du dispositif.

M. Jean-Pierre Michel - Je voudrais tout d'abord préciser que notre volonté première est de rester ancrés dans la notion de service public. Nous appartenons en effet au ministère de l'éducation nationale. En outre, nous nous appuyons sur les établissements publics d'enseignement. Toutefois la structure des GRETA ne fonctionne pas dans sa forme actuelle. Les causes sont l'absence de personnel dédié à la formation continue, à l'exception des conseillers en formation continue. Ainsi, les personnels de gestion et de direction ne se consacrent pas uniquement à la formation continue. Qui plus est, les GRETA ne disposent pas de personnalité juridique pour assurer les décisions. Enfin, nous devons également répondre à la notion de territoire pour accompagner la mise en place des maisons de l'emploi. Or, la prise en compte du territoire suppose d'apporter des réponses différenciées en fonction des bassins d'activités.

Notre préférence va au concept d'EPLE sans les murs. En effet, cette structure permet de répondre à notre mission de service public. Elle nous offre également la possibilité de bénéficier de personnels de direction et de gestion dédiés à la formation continue. Dès lors, cette entité nous permettrait de répondre à nos valeurs de service public tout en nous offrant une réelle emprise sur le territoire afin de répondre rapidement à des demandes de formation.

M. Patrick Pelletier - Je tiens à indiquer pour répondre à votre question que la structure qui a notre préférence est l'EPLE sans les murs.

M. Jean-Claude Carle, président - À quel niveau envisagez-vous la création d'un GIP ?

M. Patrick Pelletier - Le GIP nous semble avoir une pertinence s'il répond à une logique territoriale à l'instar de l'EPLE. Ainsi, le niveau académique ne nous semble pas pertinent en raison du nombre d'établissements susceptibles de délivrer de la formation pour adultes. Ainsi, l'exemple de l'académie de Créteil illustre la difficulté à coordonner l'activité d'un trop grand nombre d'établissements.

Mme Annie David - Il me semble que la question de la place dévolue, par l'éducation nationale, à la formation professionnelle et à la formation tout au long de la vie prend toute son importance. En effet, l'objectif d'instauration d'une formation tout au long de la vie, qui constitue une réponse aux échecs scolaires initiaux, doit rester l'une des missions du service public de l'éducation nationale. Toutefois, je souhaiterais savoir quelle est la place que l'éducation nationale accorde à la formation pour adultes.

M. Jean-François Humbert - Ne pensez-vous pas qu'il faudrait envisager un retour dans le giron du ministère de l'éducation nationale au lieu d'une forme de séparation ?

M. Patrick Pelletier - En premier lieu, je tiens à préciser que nous n'avons jamais quitté l'éducation nationale. En outre, les conseils régionaux qui sont les propriétaires des infrastructures des EPLE nous demandent de recourir à leurs installations. Par ailleurs, nous tenons à ce que notre point d'ancrage reste l'EPLE.

Mme Annie David - Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par la notion d'EPLE sans murs ?

M. Patrick Pelletier - Nous souhaitons éviter de créer des structures indépendantes du réseau de formation de l'éducation nationale. Ainsi, la notion d'EPLE sans murs nous permettrait de nous concentrer sur la coordination des établissements de formation. Les lieux de réalisation des actions de formation nous semblent être les structures actuelles. Nous ne souhaitons pas recréer de nouveaux locaux dans la mesure où les régions et l'AFPA nous ouvrent leurs locaux. Au contraire, nous souhaiterions valoriser les infrastructures déjà existantes. La notion de structure sans murs renvoie ainsi à une personne juridique entièrement dédiée à la gestion. Elle pourra ainsi conclure des conventions avec des clients qu'il s'agisse des conseils régionaux, des entreprises ou des branches. Elle pourra également conclure des conventions avec les établissements sur des domaines très variés, tel que l'embauche du personnel ou le suivi des formations dispensées. Nous nous inscrivons ainsi dans la logique de contractualisation qui est commune à l'ensemble des services publics.

M. Jean-Claude Carle, président - C'est la même logique que celle des UFA qui sont des centres de formation des apprentis (CFA) sans murs.

Mme Annie David - Toutefois, les UFA sont dans les lycées.

M. Patrick Pelletier - La localisation géographique n'a pas d'importance pour les établissements sans murs.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous suggère de poser une dernière question. Je vous invite toutefois, messieurs, à nous faire parvenir tout document que vous jugerez utile. Nous les examinerons avec soin et nous les annexerons au rapport. Je cède la parole à M. Humbert.

M. Jean-François Humbert - Pourrait-on envisager de renforcer les liens entre le service public de l'emploi et le service public de la formation ? En effet, un certain nombre de conventions ont été accordées aux GRETA dans le cadre d'opérations de reconversion de personnel suite à des plans de sauvegarde de l'emploi. Faut-il renforcer les liens existant entre le service public de l'emploi et celui de la formation ou faut-il laisser jouer la concurrence ?

M. Patrick Pelletier - Tout d'abord, la concurrence ne nous fait pas peur et nous semble saine. Je crois qu'il faudrait surtout envisager un rapprochement des GRETA avec l'AFPA, même si les deux entités ne sont pas encore prêtes à se confondre. La collaboration avec les structures de l'AFPA sur le terrain est excellente. Le problème se situe plutôt au niveau des ministères de tutelle dans la mesure où le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'emploi cherchent à conserver leurs prérogatives.

M. Jean-Claude Carle, président - Je souhaiterais que vous abordiez en conclusion le statut des conseillers en formation continue.

M. Patrick Pelletier - Les 1 300 conseillers en formation continue sont des enseignants de l'éducation nationale mis à la disposition du réseau des GRETA. Il s'agit de titulaires de l'éducation nationale pour 60 % d'entre eux et de contractuels pour le reste. Ils sont financés sur le budget de l'État et conservent leur statut d'origine. Or, cette absence de statut nous pose un problème dans la mesure où nous considérons que l'ingénierie pédagogique pour la formation des adultes est un métier à part entière. A ce titre, je tiens à préciser que nous devons passer un an de formation en alternance pour obtenir le titre de conseiller en formation continue. Or, nous n'arrivons pas à rentabiliser cette année de formation dans le cadre actuel. Nous aimerions ainsi que le ministère de l'éducation nationale accorde un statut à part entière aux conseillers en formation continue. Cette reconnaissance serait d'autant plus aisée qu'il existe déjà un statut équivalent auquel nous n'avons pas accès. Nous vous ferons parvenir un document à ce sujet, présentant les inconvénients que nous rencontrons aujourd'hui en termes de mobilité et de carrière.

M. Jean-Pierre Michel - En outre, nous avons un problème vis-à-vis de la LOLF, dans la mesure où nous ne sommes pas considérés comme des enseignants en face d'élèves. Nous sommes dans des statuts de cadre.

M. Patrick Pelletier - En effet, nous ne sommes pas portés dans les bonnes fonctions selon les critères définis par la LOLF. Le problème est que les conseillers en formation continue n'interviennent plus face à des élèves mais se concentrent sur les tâches d'organisation et d'ingénierie pédagogique ou financière. Nous nous situons ainsi plutôt dans des statuts de cadre ou d'ingénieurs en formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Peut-on établir un parallèle avec des statuts existant au sein du système de formation initiale ? Je pense notamment aux conseillers d'information et d'orientation ou aux principaux de collège. Dans quelles catégories sont-ils placés par la LOLF ?

M. Jean-Pierre Michel - Ils entrent dans la catégorie des personnels de direction pour les principaux de collège.

M. Jean-Claude Carle, président - Souhaitez-vous disposer d'un statut équivalent ?

M. Patrick Pelletier - Le statut auquel nous aspirons existe déjà. Il s'agit du statut d'ingénieur technicien de recherche et de formation (ITRF), qui est toutefois réservé au personnel des universités et des rectorats. Ils disposent ainsi d'une filière dénommée conseillers en formation regroupant les ingénieurs de recherche et les ingénieurs d'étude. En outre, l'attribution de ce statut permettrait d'établir un lien entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, qui existe déjà au travers des licences professionnelles.

M. Jean-Claude Carle, président - Quel serait le coût induit par ce changement de statut ?

M. Patrick Pelletier - Le changement de statut ne coûterait rien. Nous avons étudié la question et nous vous ferons parvenir les documents. En effet, les grilles indiciaires sont identiques. La seule différence tient au fait qu'un professeur certifié appartenant au corps des conseillers en formation continue ne sera jamais agrégé. En revanche, cette possibilité lui sera ouverte s'il appartient au corps des ingénieurs d'étude, il pourra prétendre à un statut d'ingénieur de recherche.

M. Jean-Pierre Michel - En outre, l'instauration des licences professionnelles a conduit à exclure les conseillers en formation continue de formations qu'ils ont conçues. En effet, l'Université reprend alors ces formations, qui ne sont plus accessibles à nos stagiaires.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie, messieurs. Je vous invite à nous faire parvenir les documents que vous jugerez utiles afin de compléter votre intervention.

Audition de M. Xavier BAUX, président de la Chambre syndicale des organismes de formation en alternance (CSOFA) (11 avril 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie, monsieur Baux, d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes président de la chambre syndicale des organismes de formation en alternance et, à ce titre, vous êtes au coeur du dispositif de formation professionnelle. Nous sommes donc très heureux de vous entendre.

M. Xavier Baux - Je souhaiterais en préalable présenter la chambre syndicale des organismes de formation en alternance. Elle a été créée en 1994 à l'initiative de centres de formation qui assuraient la formation en alternance dans le cadre des contrats de qualification. Un certain nombre de nos adhérents travaillent également sur la formation continue en entreprise, sur le DIF ou dans l'enseignement supérieur privé. La vocation de notre chambre est toutefois de promouvoir et de défendre l'alternance. Cette vocation nous différencie de nos collègues de la formation professionnelle, qui regroupent majoritairement des organismes spécialisés dans la formation continue en entreprise. J'estime dès lors que nous sommes davantage représentatifs de la formation en alternance des jeunes.

M. Jean-Claude Carle, président - Quels sont les types d'acteurs de la formation que vous représentez ?

M. Xavier Baux - Nous représentons des organismes de formation dont l'activité principale est la formation en alternance dans le cadre des anciens contrats de qualification désormais dénommés contrats de professionnalisation.

M. Jean-Claude Carle, président - Quels sont ces organismes ? Regroupez-vous les CFA ?

M. Xavier Baux - Les CFA sont cofinancés par les conseils régionaux alors que nous sommes des acteurs indépendants. Toutefois, certains de nos adhérents sont des CFA.

M. Jean-Claude Carle, président - Pourriez-vous nous donner des exemples ?

M. Xavier Baux - L'organisme A, par exemple, est spécialisé dans la formation linguistique et s'adresse à une entreprise par le biais du DIF ou par la formation en entreprise. Il s'agit dès lors d'un organisme de formation. En revanche, l'organisme B prépare des BTS ou des baccalauréats professionnels en alternance par le biais des contrats de professionnalisation. Nous représentons ainsi cette dernière catégorie d'organismes.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Vous serait-il possible de nous donner le nom de quelques organismes?

M. Xavier Baux - Je peux vous citer la compagnie de formation au travers de son système Pigier ou l'Institut de formation continue (IFC) que je représente. Je peux également vous citer le groupe Plus Values à Paris ou l'Institut de formation commerciale (IFCOM). La caractéristique principale de ces différents organismes tient au fait qu'ils travaillent principalement avec des jeunes dans le cadre du contrat de professionnalisation.

Je souhaiterais dresser un constat de la réforme de 2004, dont les résultats sont pour le moins médiocres voire gênants. Avant cette réforme née de l'accord national interprofessionnel (ANI), le dispositif du contrat de qualification fonctionnait bien tant quantitativement que qualitativement. On dénombrait ainsi entre 180 000 et 200 000 contrats de qualification conclus chaque année. En outre, les usagers de ce dispositif étaient plutôt satisfaits. En effet, les études conduites par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) indiquaient que le taux d'insertion professionnelle durable s'élevait à 85 % dans les vingt-cinq ou vingt-sept mois suivant une formation suivie en alternance. En outre, les jeunes bénéficiaient d'une probabilité supérieure de 56 % d'obtenir un CDI par rapport aux autres types de formation.

En outre, ce système de formation était le moins coûteux en termes d'effort financier consenti par la collectivité nationale. J'ai l'impression que le volet relatif à la formation des jeunes a été délaissé dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle opérée en 2004. Les débats ont surtout porté sur les questions de la formation dans le temps de travail ou du DIF. Il me semble que la question de la formation des jeunes a été traitée sous un biais comptable. En effet, la réforme du contrat de qualification ne s'imposait pas. En revanche, certains acteurs pouvaient avoir un intérêt à organiser la fongibilité des fonds dédiés à l'alternance avec ceux dédiés à l'apprentissage. Quoi qu'il en soit, le bilan de cette réforme est clairement en deçà des espoirs que l'on pouvait fonder. Il est même inquiétant au regard de la priorité affichée de favoriser l'emploi et l'insertion des jeunes.

Les chiffres établis par la DARES laissent ainsi apparaître que la réforme a conduit à une diminution des contrats d'alternance conclus en France. Ainsi, on déplore la disparition de 20 000 contrats conclus annuellement par rapport à l'ancien système. Les résultats sont donc loin des déclarations faites par M. François Fillon. Il annonçait ainsi la conclusion de 180 000 contrats dès la première année alors que seuls 92 000 contrats ont effectivement été conclus. Ces résultats sont d'autant plus regrettables que la réforme avait donné lieu au lancement d'une campagne de communication. En outre, la progression de l'apprentissage est effective en France même si elle est restée assez lente.

La perte de ces 20 000 contrats tient en grande partie à l'apparition des contrats orphelins. Cette appellation désigne la situation des jeunes qui ont défini un projet professionnel et qui disposent d'un organisme de formation ainsi que d'une entreprise pour les accueillir mais dont le contrat d'alternance n'est pas financé. En effet, la politique de branche peut priver de financement certains types de contrats. Ainsi, le fonds d'assurance formation ingénierie, études et conseil (FAFIEC), géré par l'organisme collecteur paritaire agrée (OPCA) de l'informatique et des services, a refusé de financer des formations en alternance. De fait, les employeurs déçus se détournent des dispositifs de formation en alternance. Il est toutefois difficile d'estimer le nombre exact de jeunes qui sont ainsi renvoyés en première année de faculté ou à l'agence nationale pour l'emploi (ANPE).

Les conséquences de cette réforme auraient pu être encore accentuées. Toutefois, des responsables politiques ainsi que des partenaires sociaux ont pressenti le danger et ont accordé aux branches le droit de financer des contrats diplômants. De même, certains responsables politiques sont intervenus pour inciter les branches professionnelles à assouplir leurs critères de financement des contrats en alternance.

M. Jean-Claude Carle, président - Il faudrait ainsi restaurer la combinaison des contrats d'apprentissage et des contrats de professionnalisation pour améliorer la situation.

M. Xavier Baux - Je crois que la combinaison des deux a toujours été opérée. En outre, les contrats de qualification ont permis d'améliorer l'image de l'alternance en France. En effet, les contrats de qualification et l'alternance ont récemment investi le secteur tertiaire. Il est dès lors difficile de soutenir que les publics concernés par ces deux types de dispositifs sont différents. Je connais ainsi très peu de CFA qui n'ont pas eu recours au contrat de qualification. Ainsi, les formations de management des unités commerciales ou d'assistantes de direction ne touchent pas de public différent selon que l'on a recours à l'apprentissage ou au contrat de professionnalisation.

M. Jean-Claude Carle, président - La combinaison des deux dispositifs permettait aux organismes de formation de disposer du nombre minimum de stagiaires pour ouvrir une formation.

M. Xavier Baux - Vous avez raison. Il me semble que l'un des points fondamentaux est de pouvoir offrir des formations diplômantes aux jeunes. Or, ces formations diplômantes représentent 80 % des contrats d'alternance. Ainsi, la diminution du nombre de contrats d'alternance conclus a une incidence sur le parcours professionnel des jeunes. Elle a également une incidence sur l'appareil de formation. En outre, les formations diplômantes représentent un gage minimal de qualité ainsi qu'un viatique pour la vie professionnelle. En effet, nous savons que les jeunes vont devoir changer plusieurs fois de secteur professionnel ou géographique au cours de leur vie professionnelle. Je ne pense pas dès lors que les formations spécialisées de six mois comprenant 15 % seulement de temps de formation constituent un bon instrument pour les préparer à intégrer la vie professionnelle. Il me semble essentiel de maintenir les formations diplômantes.

Par ailleurs, je constate que la fongibilité a principalement consisté à faire glisser des fonds de l'alternance vers des CFA qui avaient été mal gérés.

M. Jean-Claude Carle, président - A l'inverse, la fongibilité a permis de maintenir des filières de bon niveau dans des CFA qui étaient bien gérés.

M. Xavier Baux - Vous avez tout à fait raison. Je souhaiterais préciser un point au sujet des formations diplômantes. Je tiens ainsi à préciser que nous n'avons rien contre les formations qualifiantes. En revanche, il nous semble qu'il ne faut pas mettre les jeunes dans des ghettos ne réunissant que des publics en situation d'échec scolaire. Ainsi, les organismes doivent mélanger formations qualifiantes et formations diplômantes. Il est en outre important de disposer de filières plus institutionnelles aux côtés de formations plus volatiles.

M. Jean-Claude Carle, président - Avant la réforme de 2004, on pratiquait une certaine mixité entre l'apprentissage et l'alternance. Qu'est-ce qui s'opposerait aujourd'hui, en dehors des textes, à ce qu'une telle mixité soit reconduite ? Peut-on se heurter à une différence dans les programmes pédagogiques ou dans les horaires ?

M. Xavier Baux - Dans un certain nombre de filières, les différences sont évidentes. Ainsi, dans les métiers artisanaux, il est acquis que la tradition de l'apprentissage est plus performante. En revanche, dans le secteur tertiaire, les formateurs et les contenus pédagogiques sont similaires. En outre, les rythmes d'alternance sont identiques et les entreprises accueillent à la fois des jeunes dans le cadre du dispositif de l'alternance et dans celui de l'apprentissage. Il n'y a dès lors aucune barrière pédagogique ou aucune différence de public. En définitive, ce sont les textes qui sont à l'origine des distinctions entre les apprentis et les jeunes insérés dans des formations diplômantes.

Mme Sylvie Desmarescaux - J'ai l'impression que l'apprentissage renvoie plutôt aux métiers artisanaux, ou dans les TPE alors que l'alternance me semble plutôt concerner les grosses structures.

M. Xavier Baux - Il existe une tradition de l'apprentissage dans l'artisanat, dont l'histoire est longue. Par ailleurs, la tradition de l'apprentissage est également présente dans certains métiers industriels. Ainsi la métallurgie a toujours privilégié l'apprentissage. En revanche, l'alternance est plutôt l'apanage des PME. Toutefois, la différence entre les modes de formation est imperceptible en ce qui concerne le secteur tertiaire. En effet, les méthodes pédagogiques, les formateurs et les diplômes sont identiques.

Mme Sylvie Desmarescaux - Les jeunes sont-ils informés de cette situation ? En effet, on voit rarement des jeunes rechercher, par exemple, un poste de boucher en alternance par le biais du contrat de qualification.

M. Xavier Baux - Il me semble que cette situation tient au fait que peu de jeunes veulent devenir boucher à Roubaix. L'image de certains métiers a été dévalorisée dans l'esprit des jeunes sans que cela ne soit lié au mode de formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vais adopter une posture radicale l'espace d'un instant. Que se passerait-il s'il n'existait plus qu'un seul contrat ?

Mme Annie David - Il me semble que l'apprentissage s'adresse à des jeunes en formation initiale alors que le contrat de qualification concerne des jeunes qui sont en dehors du système scolaire. J'ai dès lors l'impression que c'est la rupture dans le parcours scolaire qui amène à s'orienter vers le contrat de qualification.

M. Xavier Baux - Ces distinctions théoriques n'ont aucune incidence concrète sur le terrain. L'organisme que je dirige reçoit toutes sortes de jeunes. Ainsi, certains ont arrêté leurs études pendant un an alors que d'autres ont conclu leur parcours universitaire par un échec. Toutefois, nous accueillons également des jeunes qui sortent de terminale et qui essayent de trouver leur voie par le biais de l'alternance.

Mme Annie David - Si je vous ai bien compris, il est ainsi possible de conclure un contrat de professionnalisation à tout moment dans le parcours d'un jeune, y compris à sa sortie du collège.

M. Xavier Baux - En effet.

Mme Annie David - On peut donc accéder à un contrat de professionnalisation sans passer par une période de chômage.

M. Xavier Baux - Tout à fait.

Mme Annie David - Je pensais qu'il était nécessaire d'avoir un temps de rupture dans le parcours pour pouvoir s'orienter vers l'apprentissage.

M. Jean-Claude Carle, président - La différence réside dans le financement de l'apprentissage. Il est assuré soit par les OPCA, soit par l'entreprise.

M. Xavier Baux - Le CFA est cofinancé par une branche professionnelle et la région. Quant au contrat de professionnalisation, il est financé par les OPCA qui récupèrent la part alternance des entreprises. Il n'y a pas de période probatoire par le chômage, et heureusement. J'avais été reçu, il y a quelques années, au Sénat et nous avions évoqué ce point. Dans un pays à l'histoire moins alambiquée que le nôtre, nous disposerions d'une seule réserve de fonds et d'un seul contrat en alternance, ce qui simplifierait les choses. Mais je ne pense pas que cela soit aujourd'hui possible. Néanmoins, nous pourrions, d'une part, essayer de simplifier la situation, d'autre part, lever un certain nombre de freins. Il est en effet désolant que dans le cas d'un jeune qui a cherché un employeur pendant deux mois et qui a trouvé un patron qui accepte de le garder, l'OPCA annonce finalement à cet employeur qu'il ne finance plus les BTS Informatique de gestion par exemple. Ce me semble tout à fait invraisemblable. Nous aurions pu trouver le moyen de dire aux branches professionnelles via leurs OPCA qu'il s'agit de leurs cotisants et qu'elles se doivent donc de financer la formation d'un jeune qu'un employeur souhaite embaucher car il en a besoin. Ou alors, nous pourrions faire en sorte que, dans le cas contraire, un fonds de réserve ou un OPCA interprofessionnel prenne en charge ce contrat. Il ne s'agit pas là d'une position corporatiste mais d'une position de citoyen. Dans le type de situation décrite ci-dessus, l'incompréhension du jeune vis-à-vis de l'organisation du système est incommensurable. Or, c'est exactement ce qui se passe depuis la réforme. Dans une certaine mesure, le pouvoir exorbitant donné aux branches a conduit à un certain nombre de dérives et a, de surcroît, abouti au fait qu'un certain nombre de contrats possibles n'ont pas été financés, allant ainsi à l'encontre de la politique de territoire. Ceci constitue à mon sens le problème le plus urgent à résoudre en matière de formation des jeunes.

M. Jean-Claude Carle, président - Pouvez-vous nous donner un ou deux exemples du pouvoir exorbitant des branches ?

M. Xavier Baux - Cela signifie que les branches professionnelles décident aujourd'hui de tout, c'est-à-dire de l'ensemble des règles du jeu, notamment de la durée du contrat, des publics éligibles et des taux de financement.

M. Jean-Claude Carle, président - Si l'entreprise adhère à la branche, ceci est aberrant.

M. Xavier Baux - En effet, c'est aberrant. Et pour prendre l'exemple du FAFIEC (l'OPCA de la branche informatique et services), certains chefs d'entreprise lui ont téléphoné pour l'interroger sur les motifs pour lesquels ils se voyaient dicter leur politique de recrutement, sur les raisons pour lesquelles ils entendaient chaque matin des publicités pour le contrat de professionnalisation alors qu'ils se voyaient opposés des refus de financement lorsqu'ils souhaitaient recruter des jeunes préparant un BTS. J'ai rencontré un grand nombre d'employeurs dans ce cas-là. Certains se battent un peu, téléphonent pour se plaindre à leur OPCA ; d'autres finissent par renoncer au système de l'alternance.

Mme Muguette Dini, rapporteur-adjoint - Que répond l'OPCA ?

M. Xavier Baux - L'OPCA répond que la politique est définie de manière paritaire et fixe, notamment, les publics et les formations éligibles.

M. Jean-Claude Carle, président - L'entreprise en question peut-elle changer d'OPCA ?

M. Xavier Baux - Non, elle ne le peut pas. J'avais évoqué ce problème très longuement avec Gérard Larcher qui avait d'ailleurs fait une déclaration publique sur ce sujet. Je crois qu'il était très sincère quand il avait dit qu'il ne fallait pas « que nous en restions là. Dans notre pays, lorsqu'un employeur est prêt à signer un projet de formation, il faut que cela puisse se faire : ou l'on prendra l'argent dans le fond de réserve ou on donnera la possibilité à l'entreprise de faire financer le contrat par un autre OPCA ». Mais cela ne s'est pas fait et nous en sommes toujours au même stade. Cette situation est source de toutes les dérives : les jeunes finissent par accepter n'importe quoi ; les entreprises renoncent à l'alternance mais proposent de prendre les jeunes en stage en les rémunérant à 30 % du SMIC ; les organismes voire des OPCA montent des groupements d'employeurs dépendant d'un autre OPCA et n'ayant pas vocation à s'engager dans ce type de démarche pour pouvoir mettre un jeune à disposition de l'entreprise qui ne peut pas bénéficier d'un financement pour la formation qu'elle propose. En conséquence de cela, l'on observe également des dérives à l'intérieur de la branche car, pendant que l'on refuse des financements pour la formation de jeunes en BTS par exemple, on surfinance d'autres formations continues, ce qui est une manière de laisser l'argent en circuit fermé à l'intérieur de la branche. Le pouvoir conféré aux branches constitue un moyen de sortir de la mutualisation. Nous ne sommes pas dans l'esprit voulu par l'ensemble de notre système de formation et nécessaire du fait de l'urgence de la situation en matière d'emploi des jeunes.

Mme Sylvie Desmarescaux - Ce que vous dites est inquiétant. Mais ne parlez-vous que de votre secteur ou de la situation au niveau national ?

M. Xavier Baux - Ce que je décris concerne le niveau national. Ce qui signifie que cette formation ne se fait pas du tout. En 2006, par exemple, aucune entreprise d'informatique n'a pu recruter un commercial en informatique faisant un BTS management des unités commerciales ou un BTS d'informatique de gestion via le contrat de professionnalisation. La réponse théorique consiste à dire que des possibilités existent néanmoins via le contrat d'apprentissage. Sauf que, compte tenu du maillage des CFA, les possibilités existantes sont réduites d'autant. Nous avons perdu en 2006 un nombre de contrats très important. J'ai moi-même vécu cette situation sur le terrain. Et j'ai d'ailleurs engagé un certain nombre de responsables politiques à venir voir quelle était la situation, et à venir se confronter à un jeune que l'on a accompagné pendant deux mois dans sa recherche d'un employeur, qui a enfin trouvé et à qui on annonce que ce n'est finalement pas possible.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous avons le même problème avec les PRDF.

M. Xavier Baux - C'est un problème de nombre de participants dans les groupes et de nombre de groupes. Nous n'avons pas les mêmes contraintes budgétaires que les organismes que nous représentons. Et il n'appartient qu'à nous d'ouvrir un groupe pour une formation qualifiante ou d'ouvrir une classe. C'est ce qui nous a permis pendant des années d'offrir des formations pointues, adaptées à la demande d'une entreprise de la région parce qu'à côté, nous pouvions organiser des groupes plus conséquents et plus transversaux comme des groupes de secrétaires ou de commerciaux. Pour prendre un exemple concret, je forme depuis trois ans des jeunes femmes dans le domaine de la paye et des ressources humaines avec un taux d'insertion professionnelle de 100 % compte tenu de l'importante demande dans ma région émanant des entreprises et des cabinets comptables. Mais il ne peut s'agir que de petits groupes. Nous avons formé sept jeunes femmes la première année, dont une grande partie était au chômage ou travaillait en tant que caissière dans la grande distribution, souvent après une licence. Nous en avons formé huit la seconde année puis dix la troisième année. Mais je n'aurais jamais pu organiser de tels groupes si je n'avais pas eu la possibilité de monter une classe de BTS informatique de gestion ou de management des unités commerciales rassemblant chacune vingt élèves environ. Cette possibilité est indispensable à la survie de notre profession. Et, en disant cela, j'ai tout à fait conscience de ne pas tenir un discours corporatiste car je pense que, dans un système de formation bien construit, l'on doit pouvoir qualifier les gens tout en leur délivrant un diplôme.

Quand on regarde l'énergie qui a été dépensée sur le volet jeune, en ingénierie administrative et pédagogique de notre côté, en publicité et en campagne de communication du côté du Gouvernement, et en adaptation et information du côté des entreprises et que l'on aboutit à une baisse de 20 000 contrats en alternance, je trouve cela hallucinant. Et je ne dis pas cela en tant que professionnel mais en tant que citoyen.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette baisse de 20 000 contrats est-elle essentiellement liée à la rigidité des contrats ?

M. Xavier Baux - Cette baisse est liée au fait qu'un certain nombre de contrats ne peuvent plus être menés à bien. Si la majorité des branches professionnelles a dérogé, en autorisant des contrats diplômants de vingt-quatre mois (cette durée est essentielle puisque c'est elle qui permet majoritairement les contrats diplômants), d'autres ne l'ont pas fait. Certaines formations ne peuvent donc tout simplement plus se faire parce que la branche ne veut plus financer. Je peux citer l'exemple des infographistes ou des graphistes qui étaient auparavant formés pour l'imprimerie via des BTS de communication visuelle.

Une intervenante - Quelle est la raison avancée par les branches concernées ?

M. Xavier Baux - Elles argumentent en indiquant payer les formations destinées aux métiers les plus utiles au sein de leur branche. Cet argument se défend d'un point de vue théorique. Mais rappelons que dans ce système, nous ne plaçons personne dans des filières sans issue. Qu'est-ce qui interdirait au FAFIEC de financer des Bac+2 ?

M. Jean-Claude Carle, président - Le FAFIEC contribue-t-il à alimenter le FUP ? C'est-à-dire, avance-t-il l'argument de ne pas pouvoir tout financer tout en reversant des crédits au FUP ?

M. Xavier Baux - Je ne le sais pas mais je pourrai regarder. En tout état de cause, dans un certain nombre de branches professionnelles et compte tenu des systèmes de fongibilité, l'argent a été dépensé sans compter sur certaines formations. Le jeune chef d'entreprise du Vaucluse dont je parlais précédemment s'est vu rembourser certaines formations à 50 euros de l'heure, et ce, afin que l'argent reste dans la branche.

Je ne vois pas ce qui aujourd'hui nous interdirait de nous mettre d'accord sur deux principes très simples :

- un employeur, un jeune, un projet de formation validé = un contrat, que la branche finance ou non ;

- l'harmonisation des pratiques.

D'un OPCA à l'autre et même parfois d'une antenne à l'autre, les documents sont différents, ce qui constitue une perte d'argent et de temps considérable.

Il existe deux OPCA interprofessionnels : le réseau des OPCAREG et l'AGEFOS PME. Quoi qu'il en soit, nous pourrions imaginer plusieurs moyens pour financer la mutualisation. M. Larcher avait pour sa part pensé à la faire financer par le FUP, ce qui me semblait être une bonne idée.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette solution présente un côté pervers dans la mesure où elle peut encourager les mauvais élèves.

M. Xavier Baux - Bien entendu.

M. Jean-Claude Carle, président - Je partage néanmoins tout à fait ce que vous dites sur le principe selon lequel un jeune + un employeur + un centre de formation ne peut aboutir à un refus. Mais le même problème se pose en formation initiale.

M. Xavier Baux - En termes d'alternance, le problème est moindre. Dans la formation initiale, l'un des aspects du problème tient au fait que, sur dix jeunes, sept entrent en psychologie ou en sociologie alors que nous avons besoin de bouchers. Mais dans notre domaine, nous sommes toujours en adéquation avec le milieu professionnel puisque le contrat ne peut être signé que si un employeur s'engage. La problématique est donc différente et devrait être plus simple. Nous sommes dans des zones sur lesquelles il y a de l'emploi.

M. Jean-Claude Carle, président - Que diriez-vous si on envisageait un « verrou » plus sévère, à savoir que le financement de la formation ne pourrait pas être refusé dès lors que l'entreprise s'engage sur un CDI à l'issue de la période d'alternance.

M. Xavier Baux - Ce serait à mon sens une bonne chose, d'autant que le système du contrat de professionnalisation actuel repose, d'une part, sur le dynamisme de nos organismes ; nous sommes en effet des sortes « d'ANPE bis » pour les jeunes que nous nous devons d'insérer sous peine de disparaître du marché. Il repose, d'autre part, sur un certain nombre de chefs d'entreprise qui jouent le jeu. Il faut dire qu'aujourd'hui, compte tenu des possibilités existantes sur les bas salaires, le système est devenu beaucoup moins incitatif qu'il ne l'était, il y a quelques années. Les salaires des jeunes ont augmenté du fait de la hausse des minimums conventionnels dans un certain nombre de branches professionnelles. Il n'y a, en outre, plus de primes à l'embauche. Mais certains patrons voient cela comme un investissement et souhaitent signer un CDI ensuite.

Mme Annie David - Ne rencontrez-vous pas de difficultés pour trouver des employeurs pour certains jeunes ? Nous pouvons tous citer des exemples, notamment concernant les BTS : des jeunes viennent nous voir en nous disant avoir trouvé l'organisme de formation mais pas d'employeur acceptant de signer un contrat.

M. Xavier Baux - Nous rencontrons bien sûr des difficultés de ce type.

Mme Annie David - Certains niveaux de diplôme sont-ils plus sensibles que d'autres à cette difficulté ?

M. Xavier Baux - Non, cette difficulté est liée à une conjoncture morose, notamment dans les régions sinistrées du point de vue de l'emploi. Elle vient aussi du fait qu'au fil des ans, le système est devenu de moins en moins incitatif. Aujourd'hui, une entreprise qui recrute un jeune pour n'en disposer qu'à 60 % du temps alors qu'elle le paye de 65 % à 70 % du salaire minimum conventionnel sans prime à l'embauche et ce alors que les exonérations ont diminué hésite à le faire. Si l'on voulait renforcer le système, l'on pourrait le rendre un peu plus incitatif, en proposant par exemple la prise en charge du premier salaire.

Mme Annie David - Constatez-vous une discrimination particulière ? Certains publics ont-ils plus de difficulté que d'autres à trouver un employeur ?

M. Xavier Baux - Pas réellement. Pour notre part, nous travaillons beaucoup avec des jeunes de milieu modeste, pour beaucoup issus de l'immigration. Dans l'ensemble, je ne peux pas dire qu'il y ait de discrimination à ce niveau-là, ni d'ailleurs du point de vue des niveaux de formation. Je ne crois pas qu'il soit plus difficile de placer un jeune titulaire d'un BEP en Bac pro qu'un jeune titulaire d'un DUT ou d'un DEUG en troisième année. Tout dépend plutôt du tissu économique et du caractère plus ou moins incitatif du dispositif à l'intérieur de la branche professionnelle.

M. Jean-Claude Carle, président - N'hésitez pas à nous faire part des réalités, chiffres à l'appui. C'est ce qui nous permettra de faire avancer les choses. Je le répète, je partage tout à fait votre point de vue : si l'on réunit un jeune, un employeur et un organisme de formation, il est choquant qu'on puisse se heurter à un refus de financement du contrat, d'autant que l'employeur s'engage sur l'insertion professionnelle en CDI.

(Présidence de M. Jean-François Humbert, vice-président).

M. Jean-François Humbert, vice-président - Avez-vous d'autres remarques à faire ?

M. Xavier Baux - Je souhaitais en effet revenir sur deux ou trois points. Ma caractéristique est de travailler sur le terrain. Lorsque je parle de jeunes en difficulté, j'étais avec eux hier et je serai avec eux demain, ce qui n'est pas toujours le cas des autres intervenants que vous avez reçus.

Certains éléments me paraissent justifiables d'un point de vue théorique mais se présentent sous un angle différent sur le terrain. Je pense notamment à la question des jeunes en grande difficulté ou sans qualification. Sur le terrain, il n'y a pas d'élément précis ou repérable permettant de décrire spécifiquement ce qu'est un jeune en difficulté. Les jeunes sans aucune formation sont très peu nombreux. Et un jeune en difficulté n'est pas forcément un jeune qui n'a pas été jusqu'au baccalauréat. Il peut s'agir par exemple d'un jeune titulaire du baccalauréat, issu d'un milieu modeste, qui sait que l'Université n'est pas faite pour lui et qu'il n'a pas les moyens d'y rester longtemps sauf à vivre une vie précaire, qui commence par travailler six mois chez Mac Donald avant de réfléchir à son avenir. Le fait de dédier tel ou tel contrat à des jeunes en très grande difficulté constitue une manière théorique de cloisonner les choses qui n'a pas lieu d'être sur le terrain. Ainsi, le système de l'alternance doit pouvoir s'appliquer à tous les jeunes, c'est-à-dire aussi bien à un jeune qui - après un DEUG ou une licence puis six mois en tant que caissier chez Carrefour - souhaite s'insérer dans la vie professionnelle de manière plus durable qu'à un jeune titulaire d'un CAP et issu d'une banlieue difficile.

Par ailleurs, nous voyons de plus en plus de jeunes de plus de vingt-six ans - qui ne sont pas des chômeurs indemnisés - arriver vers nos organismes et cherchant à se former via l'alternance. Certains d'entre eux pourraient être insérés très aisément car ils sont généralement motivés, mûrs et ont souvent suivi un premier cycle d'étude et une première expérience professionnelle. Or, nous n'avons pas de réelles solutions à leur proposer. L'on pourrait peut-être envisager de prolonger le dispositif sur un ou deux ans compte tenu de l'allongement des difficultés à s'insérer dans la vie professionnelle.

M. Jean-François Humbert, vice-président - Dans quelle situation se trouvent ces jeunes ? Occupent-ils un emploi qu'ils n'ont pas choisi ou sont-ils à la recherche d'un emploi ?

M. Xavier Baux - Je peux vous donner un exemple très concret. J'ai reçu une jeune femme hier, issue d'un milieu modeste, titulaire d'un Bac ES et d'une licence AES qu'elle a obtenue en travaillant en parallèle. Sa licence ne lui a pas permis de trouver un emploi. Elle estime avoir des connaissances mais peut-être trop généralistes et signale n'avoir jamais fait d'informatique. Elle signale par ailleurs que la personne dont elle gardait les enfants lui avait proposé de rester un an de plus, ce qu'elle avait accepté. Mais ne souhaitant pas faire cela toute sa vie, elle s'est adressée à nous dans l'objectif de suivre une formation RH en alternance. Cette demande est typique d'un public peu présent il y a cinq ou dix ans mais dont l'effectif tend à grandir de manière significative. Or si cette jeune femme pouvait bénéficier des conditions dont elle aurait bénéficié il y a un an, je suis à peu près certain qu'elle pourrait s'insérer.

Je souhaitais également souligner l'extrême diversité et le caractère très chaotique des conditions dans lesquelles nous - formateurs - exerçons notre métier. Dans la majeure partie des cas, une entreprise qui signe un contrat de professionnalisation demande à l'organisme de préparer l'essentiel du dossier. Or aujourd'hui, quinze feuillets sont au minimum nécessaires pour signer un contrat de professionnalisation. S'il manque une virgule, le dossier peut être renvoyé par l'antenne régionale de l'OPCA à laquelle il a été adressé. Il me semble qu'un effort de simplification et de visibilité s'impose. Qu'est-ce qui interdirait à l'ensemble des OPCA d'adopter la même procédure, claire et lisible par tous ? Nous y gagnerions un temps précieux que nous pourrions consacrer à la recherche d'employeurs.

Enfin, il existe encore aujourd'hui des directions départementales du travail et de l'emploi qui ne jouent pas le jeu de la formation et refusent des contrats pour des raisons anodines, comme par exemple pour deux jours de retard ou pour des questions liées à la lecture des conventions collectives et aux coefficients du jeune. Certes, il leur appartient de vérifier la validité des contrats mais cela ne doit pas se faire au détriment de l'emploi. Ainsi, lorsqu'une direction départementale exige d'une entreprise qu'elle fasse monter un jeune dans la convention collective, impliquant par là-même de le payer jusqu'à 1 900 euros par mois alors qu'il n'a aucune expérience, l'entreprise finit par laisser tomber et le jeune se retrouve sans rien. Les directions départementales doivent effectivement faire leur travail mais doivent également être incitées à jouer le jeu de l'emploi prioritairement et à se situer dans l'esprit de la loi plus que dans la lettre.

Je vous remercie de m'avoir écouté et vous enverrai dès demain un certain nombre de chiffres ainsi que des exemples de dérives.

M. Jean-François Humbert, vice-président - Je vous remercie.

Audition de MM. Jean-Claude TRICOCHE secrétaire national chargé de la formation professionnelle, et Jean-Marie TRUFFAT, conseiller national, de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) (11 avril 2007)

M. Jean-François Humbert, vice-président - Nous allons sans tarder passer à votre présentation Nous aurons ensuite sans doute quelques questions à vous poser, si vous le voulez bien.

M. Jean-Claude Tricoche - Je vous remercie de nous auditionner. Nous avons prévu de vous faire part rapidement de la position de l'UNSA sur la problématique de la formation tout au long de la vie. Nous resterons ensuite à votre disposition pour répondre à vos questions. La formation est en constante évolution dans la mesure où elle est liée à l'éducation, à l'emploi, à l'économie. Le sujet de la formation est, de ce fait, toujours en chantier. Il n'est par ailleurs pas anormal de s'interroger sur la pertinence de notre système en termes de productivité, c'est-à-dire de notre capacité à permettre aux individus de bénéficier d'une première formation pour entrer sur le marché du travail, à s'adapter aux évolutions technologiques et économiques des organisations et à faire face aux mobilités choisies ou contraintes en sécurisant les parcours professionnels.

L'UNSA est une organisation un peu atypique. Nous ne sommes pas représentatifs au titre de l'arrêté de 1966 et sommes donc moins impliqués dans la gestion paritaire de la formation. Notre regard est un peu plus indépendant que celui des gestionnaires même si nous sommes également gestionnaires de quelques OPCA. Nous en avons donc la pratique et savons ce que cela génère comme analyse ou comme position. Je ne peux pas croire que le fait que la formation assure une partie des financements d'une organisation n'ait pas quelques conséquences.

De notre point de vue, la formation traduit la capacité à articuler formation initiale et formation continue pour que le slogan « la formation tout au long de la vie » soit quelque chose de concret pour les individus. Et sans m'attarder trop sur la formation initiale, on peut néanmoins s'interroger sur la productivité du système qui implique essentiellement l'État et les collectivités locales mais qui connaît des ratés. Trop nombreux sont les jeunes qui sortent sans qualification sur le marché du travail, qu'ils viennent de l'enseignement secondaire ou supérieur, ce qui ne prédispose pas à une bonne insertion professionnelle ni à en préparer les évolutions et la sécurisation des parcours. L'on ne peut donc pas se satisfaire de la situation en la matière. Il ne s'agit pas pour autant de jeter l'anathème mais il nous faut progresser sur ce point, en diversifiant les modes d'accès à la connaissance et au savoir, en développant davantage les formations en alternance, en en améliorant la visibilité, en se souciant davantage d'orientation et surtout, en impliquant mieux le monde économique lors de la formation initiale. Il faut également pouvoir mieux gérer la situation des jeunes en difficulté qui arrivent sur le marché du travail.

Malheureusement, la réforme de 2004 n'a pas pris en compte cette dimension. Je fais partie des partenaires ayant participé aux négociations avec le ministère du travail au sein de la commission permanente du conseil national de la formation. Nous avions à cette occasion attiré l'attention du Gouvernement sur la nécessité de tenir compte de cette problématique en introduisant la possibilité de redéployer une partie des moyens de la formation initiale sur les jeunes sortant prématurément du système de formation ou qui en sortent non qualifiés. Nous avions intitulé cette démarche « la formation qualifiante différée ». Celle-ci se justifie par le fait de pouvoir donner une deuxième chance à ceux qui n'ont pas pu suivre le même rythme que les autres en formation initiale, une fois que le jeune a pu être confronté à la réalité du travail et à ses difficultés. De notre point de vue, cela s'inscrit en outre dans un souci d'égalité. En effet, d'aucun parle de système égalitaire dans le sens où il permettrait à chacun de bénéficier de la totalité du droit à l'éducation alors que certains jeunes n'en bénéficient que d'une partie. La possibilité de pouvoir offrir une formation différée nous semble une nécessité pour l'emploi et la formation des individus mais relève également de l'égalité républicaine.

Il faut également se pencher sur le sujet de l'insertion des jeunes. Le problème n'est pas qu'il n'existe pas de politique en la matière mais qu'il en existe peut-être trop. Personne n'a de vision d'ensemble de la pertinence et de l'efficacité des dispositifs servant à l'insertion des jeunes. Les diverses mesures s'empilent. Les politiques ont un objectif d'efficacité immédiate des dispositifs mais personne ne se soucie de la productivité à terme de telle ou telle mesure ni de savoir s'il convient de la modifier ou de la supprimer. Nous aimerions introduire plus de clarté dans le système afin que les jeunes et les acteurs sachent quels sont les deux ou trois dispositifs existants.

Nous avions ainsi proposé de ne maintenir qu'un seul contrat de formation en alternance « formation-insertion en alternance » qui aurait alors rassemblé le contrat de qualification et le contrat d'apprentissage. Il nous avait été répondu à l'époque que cette proposition était hors sujet. Mais force est de constater que les contrats d'apprentissage se développent vers l'insertion et que les contrats de professionnalisation servent souvent de formation différée. En dehors de la réglementation, la différence entre les deux dispositifs n'apparaît pas clairement, ni aux jeunes ni aux chefs d'entreprise. Il nous semble qu'un seul dispositif reposant sur la qualification et l'insertion confèrerait plus de clarté à l'ensemble.

Par ailleurs, l'on ne peut parler de sécurisation des parcours professionnels que si l'on sécurise la première entrée sur le marché de l'emploi. Les études le prouvent : les jeunes qui entrent non qualifiés sur le marché du travail peinent encore sept ans après. Ce handicap se répercute des années durant.

Une fois inséré dans l'emploi se pose le problème de la formation continue. Le système actuel, malgré la réforme de 2004, repose encore sur un concept obsolète, à savoir le concept de l'emploi à vie consistant à entrer dans une entreprise pour y faire toute sa carrière. Lier le dispositif de la formation à l'entreprise et à l'emploi avait un sens à l'époque où ce principe restait valable. Cela en a de moins en moins avec l'apparition de la nécessaire mobilité professionnelle et de la notion de flexibilité dans l'emploi. L'entreprise suivra de moins en moins la carrière d'un individu. Le système doit donc être construit en partie à partir des individus. A ce titre, une réforme reste à mener. Or, les partenaires sociaux ont eu du mal à s'engager dans la négociation, d'autant que le législateur ne s'est pas donné les moyens d'agir. Les choses ont été trop vite. La loi étant calquée sur l'accord, certaines parties sont aujourd'hui inapplicables. Je peux citer l'exemple du DIF qui reste très complexe dans son application. Les partenaires sociaux se sont en effet entendus sur le dispositif mais pas sur les moyens de l'appliquer, qui -de fait- sont restés flous. Cette difficulté rejaillit aujourd'hui sur les entreprises et les salariés. Le système n'a pas abouti. Le législateur aurait dû lever ces zones d'ombre. De notre point de vue, un équilibre devrait être trouvé entre ce que négocient les partenaires sociaux et la place du législateur. Il faut bien dire que nous sommes un peu isolés lorsque nous proposons le tripartisme. Pourtant, ce système fonctionne bien au sein de l'OIT.

La problématique consiste à construire un système de formation tenant compte des réalités. Actuellement, un salarié en activité doit pouvoir s'adapter aux évolutions internes de son entreprise, qu'elles touchent à l'emploi, à l'organisation du travail et des métiers, ou aux orientations. Cette problématique n'est pas nouvelle mais s'est très fortement intensifiée. Et, de notre point de vue, l'entreprise est responsable de l'ensemble de ces dispositifs, avec la participation des salariés. C'est un point sur lequel nous ne reviendrons pas même s'il doit pour partie être aménagé.

Mais il faut tenir compte du fait qu'il n'y pas forcément concordance d'intérêts entre l'employeur et le salarié. Pour ce dernier, l'intérêt de développer certaines compétences pour assurer son employabilité sur le marché du travail ne correspond pas forcément à l'intérêt immédiat de l'employeur. L'employeur ne peut pas garantir l'employabilité à vie. De ce fait, nous pensons qu'il convient de rattacher une partie des possibilités de formation à l'individu. Le DIF traduit l'émergence de cette notion. Mais les partenaires sociaux n'ayant pas pu aller au bout de cette idée, le dispositif reste encore complètement attaché à l'entreprise. L'initiative du salarié est très cadenassée, d'autant plus que le droit ne peut s'exercer que s'il est lié à un dispositif d'accompagnement qui lui donne vie. Pour qu'un salarié peu qualifié prenne l'initiative de demander une formation, il faut qu'il y voit clair, qu'il ait une appétence pour la formation, qu'on lui indique les possibilités de formation et les objectifs. Un tel projet nécessite d'être construit et accompagné sans quoi le droit peut rester lettre morte. Ceci explique d'ailleurs que, dans notre pays, malgré des dépenses non négligeables, la formation continue ne concerne que les salariés les plus qualifiés. Le système frise la caricature dans le sens où les moins qualifiés sont ceux qui supportent le plus la flexibilité de l'emploi et la précarité. Et l'on ne peut pas dire que le système soit bien piloté par les partenaires sociaux dans la mesure où il n'a pas prouvé son efficacité. L'effort de formation ne s'est pas réorienté vers les publics en ayant le plus besoin, ce qui prouve les failles du dispositif. A mon sens, ce dernier est certes financé mais pas piloté.

Pour revenir sur le droit au DIF, celui-ci doit être développé mais doit auparavant être rendu à l'initiative totale de l'individu. Une offre d'accompagnement doit parallèlement être mise en place, afin de donner un minimum de visibilité au salarié concerné, sur son entreprise ou sur le marché du travail. Chaque individu doit avoir les moyens de faire le point sur ses compétences par rapport à l'entreprise et au marché du travail et de prendre connaissance des compétences qui lui permettraient de retrouver un emploi en cas de mobilité forcée. Il faut donc construire des outils sans quoi le droit ne s'exercera pas. L'entretien de l'employabilité relève en partie de l'employeur mais aussi des individus et des structures qui l'accompagnent. En ce sens, les partenaires sociaux feraient mieux de mettre en oeuvre des dispositifs d'information et d'orientation pour les salariés plutôt que de gérer de l'argent.

Ce droit exercé par les individus pour entretenir leur employabilité peut être alimenté par l'entreprise mais également dans le cadre du droit de tirage sur la formation initiale ou encore par les pouvoirs publics territoriaux en fonction de l'économie locale ou nationale.

Les moyens d'accompagnement de la construction de ce parcours doivent être les plus proches possibles. S'il faut favoriser les mobilités géographiques, il ne faut inciter les salariés à sortir de leur ville que lorsqu'ils sont sécurisés professionnellement sur leur territoire. Sécuriser localement favorise l'aptitude à une mobilité géographique. L'anticipation est également primordiale, dans chaque secteur et dans chaque territoire. Un effort de prospective s'impose pour que les individus puissent se projeter. L'effort réalisé par les partenaires sociaux de constituer des observatoires est louable mais leur dimension ne doit pas rester macro. Ces observatoires doivent pouvoir se décliner en fonction des métiers, des secteurs et des territoires. Or, en matière d'anticipation, nous avons beaucoup de retard. L'anticipation se limite aux situations d'urgence. D'ailleurs, le dispositif de la GPEC est encore lié aux plans de sauvegarde de l'emploi. Progressivement, il faudrait pouvoir anticiper les évolutions de l'emploi à trois ou cinq ans. Les prospectives 2015, aujourd'hui disponibles, sont tellement générales qu'elles ne permettent aucune décision concrète de la part des salariés.

Mais ces aspects touchent à la stratégie des entreprises. Or, il est difficile d'informer à l'avance sur des projets de rachats, de ventes ou de transferts. Les pays qui enregistrent de meilleurs résultats en la matière sont ceux dans lesquels les partenaires sociaux travaillent en confiance et sont capables de respecter la confidentialité. Cette confiance n'existe pas dans notre pays ; se pose en outre la question de la légitimité des partenaires sociaux. Les comités d'entreprise notamment n'ont pas cette capacité à travailler en confiance et à pouvoir ainsi anticiper, ce qui pose un réel problème. Les employeurs considèrent qu'ils ne doivent rien révéler sur l'évolution des emplois sans quoi ils courent à la catastrophe tandis que les organisations syndicales considèrent qu'elles ne sont pas informées. Sur ce point, il reste beaucoup à faire.

Je souhaite enfin traiter des OPCA. Ces organismes font l'objet de questions récurrentes et la Cour des comptes s'est elle-même prononcée sur le sujet. Il semble aujourd'hui difficile de proposer de retirer la gestion des fonds de la formation aux partenaires sociaux ; cela nécessiterait un sacré courage politique.

M. Jean-François Humbert, vice-président - Cette décision pourrait-elle avoir des résultats ou l'échec serait-il assuré ?

M. Jean-Claude Tricoche - Actuellement, l'essentiel de l'effort des partenaires sociaux est assis sur la collecte et la captation par les professions des sondages. Mon OPCA regroupe dix-sept branches, soit dix-sept féodalités. Chaque branche, par le système des sections professionnelles, gère la partie qui lui incombe. Seul le CIF échappe à l'emprise des secteurs. L'aspect solidarité est donc très limité, d'autant que l'utilisation des surplus des fonds mutualisés n'est pas aisée, sauf à passer par le FUP. La question consiste à savoir si le rôle des partenaires sociaux consiste ou non à collecter des fonds ? De mon point de vue, tel n'est pas le cas. Leur rôle consisterait plutôt à dépenser l'argent et à veiller au rapport entre les dépenses et les effets produits.

M. Jean-François Humbert, vice-président - Le président Jean-Claude Carle m'a laissé une question qu'il souhaitait vous poser. Faut-il regrouper les OPCA de branche au niveau régional afin de leur donner une taille critique leur permettant de développer leurs services aux entreprises et aux salariés ? Quels services pourraient-ils alors offrir ?

M. Jean-Claude Tricoche - On sait que deux types d'OPCA subsistent sur le territoire -l'AGEFOS et les OCPAREG- ce qui constitue une anomalie que le législateur n'a jamais voulu régler. Or cela n'est pas justifié mais les employeurs ne parviennent pas à se mettre d'accord entre eux. Une première étape consisterait à ne maintenir qu'un OPCA interprofessionnel au niveau régional, ce qui suppose que l'essentiel des fonds soit connu et disponible au niveau régional. Comment construire des politiques régionales sans vision claire des fonds régionaux servant à mettre en oeuvre ces politiques ?

Des OPACIF régionaux ont été mis en place. Les FONGECIF devraient de notre point de vue se charger de la collecte du 0,5 % DIF et professionnalisation car la mise en oeuvre nous semble avoir une logique régionale. Ainsi, nous n'aurions plus affaire qu'à une collecte interprofessionnelle du plan au niveau régional. Et pendant un certain temps, une collecte relevant d'OPCA nationaux pourrait perdurer pour répondre aux politiques de branches, mais avec un resserrement des dispositifs. Ceci contribuerait à multiplier les effets productifs. Et les coûts de fonctionnement pourraient indéniablement être réduits compte tenu de l'effet de la taille critique. J'y suis très attaché dans la mesure où chaque euro dépensé en fonctionnement ne finance pas la formation. On pourrait améliorer le dispositif en limitant le nombre d'OPCA de branche au niveau national, en favorisant le rassemblement interprofessionnel et en mutualisant complètement les fonds obligatoires (CIF, DIF, professionnalisation).

Quant au rôle des OPCA, il faudrait que les gestionnaires passent moins de temps à collecter et à répartir les fonds et qu'ils mettent en oeuvre un service aux salariés voire même aux demandeurs d'emploi. Les informations à recueillir sur les évolutions, la visibilité, l'accompagnement, les différents types de formation et les parcours possibles seraient de leur ressort. Tel est le champ des évolutions. Et de mon point de vue, ces dernières pourraient être menées à bien sans heurter le marché des prestataires de services. De notre point de vue, tel est le minimum que devrait accomplir le législateur. Cela permettrait de donner un coup de pied dans la fourmilière.

Mme Isabelle Debré - C'est un minimum assez exigeant.

M. Jean-Claude Tricoche - Il fâcherait beaucoup de gens. Mais les fâcheries ne durent jamais longtemps et le dispositif fonctionnerait bien mieux, dans l'intérêt public. Tel est le rôle du législateur. Les partenaires sociaux agissent pour leur part en fonction de leur corporation et l'intérêt général ne va pas de soi.

Mme Annie David - Ce que vous proposez est assez radical. Si j'ai bien suivi votre proposition, vous souhaitez que le FONGECIF collecte les fonds destinés à la formation continue et qu'il ne subsiste qu'une OPCA interprofessionnelle régionale qui serait, d'une part, prestataire pour accompagner les salariés et qui anticiperait, d'autre part, les évolutions de l'emploi. Pour prendre l'exemple de ma région actuellement confrontée à la fermeture de plusieurs papeteries, la GPEC est effectivement mise en place dans l'urgence, au moment où les salariés sont privés d'emploi. Vous proposez pour votre part que la GPEC soit réalisée en amont, à trois ans au moins et que les OPCA en aient la gestion. Il me semble pourtant que la GPEC relève davantage du ressort des employeurs que des partenaires sociaux dans la mesure où ce sont eux qui détiennent les emplois. Comment faire en sorte que les employeurs jouent le jeu de la GPEC ? Comment faire en sorte que la GPEC permette aux salariés de suivre des formations dans le but de conserver un emploi voire même « une assurance d'emploi et de formation tout au long de la vie ».

Mme Isabelle Debré - Je ne vois pas comment, dans le système que vous proposez, appliquer une GPEC sur une entreprise seulement. Cette GPEC devrait être gérée au niveau de la branche.

Je n'ai en outre pas très bien compris votre intervention sur la transférabilité du DIF.

M. Jean-Claude Tricoche - Lorsque l'on parle de sécurité sociale professionnelle, la vision est un peu univoque alors que les entreprises et les métiers sont très divers. Les slogans ont tendance à déboucher sur une solution unique qui ne peut pourtant pas s'appliquer à tous les cas. Lorsque nous parlons d'anticipation, cela relève à notre sens de phénomènes variables, en fonction des spécificités de l'entreprise. Un groupe comme AXA peut très bien régler les imprévus par la mobilité sur son marché interne. Certaines sociétés ne licencient jamais mais leurs salariés sont très mobiles. Non seulement la taille mais aussi le champ d'intervention de l'entreprise interfère dans la problématique d'anticipation. Dans certains cas, il s'agit de préparer la sortie de salariés ; dans d'autres, il s'agit de favoriser la mobilité interne.

Dans la fonderie qui se caractérise par la présence de quelques entreprises de grande taille et de nombreuses entreprises de petite taille, l'anticipation commence à porter ses fruits. Alors que la branche ne s'en souciait pas, force a été de constater que les emplois diminuaient de manière drastique et que certains salariés détenant des savoir-faire liés au coeur de métier sortaient des entreprises. L'anticipation est devenue déterminante. Le dispositif est porté par la branche. Elle met en oeuvre les outils et aide les entreprises à anticiper leur problématique de gestion des stocks, des entrées et des sorties. En dehors de la taille de l'entreprise, il faut tenir compte de la problématique de territoire. Dans l'hôtellerie restauration, si l'anticipation n'est pas réalisée au niveau régional avec les acteurs sociaux et les pouvoirs publics, comment faire pour aider les employeurs à anticiper les évolutions ?

La gestion ne consiste pas seulement à préparer des plans de sauvegarde de l'emploi ; il s'agit aussi d'anticiper les besoins de recrutement, et l'employabilité des salariés en développant chez eux des compétences qui leur permettront, le cas échéant, d'assurer une mobilité.

J'ai, pour ma part, géré quelques plans de sauvegarde de l'emploi en région parisienne, notamment dans les grands magasins. J'ai eu face à moi des salariés qui avaient vingt-cinq ans d'entreprise et qui n'avaient jamais bénéficié d'aucune formation. Pour faire autre chose, une préparation et un accompagnement étaient absolument nécessaires.

Anticiper consiste à repérer les secteurs ayant des difficultés pour donner en amont les capacités aux salariés à rebondir sur le marché du travail. Or on ne le fait pas aujourd'hui. Je connais bien le secteur de la papeterie. Dans le meilleur des cas, les salariés sont formés aux nouvelles machines.

Pour revenir sur le DIF, celui-ci n'est pas transférable à ce jour car il reste attaché à l'employeur. Un salarié qui quitte son employeur, pour licenciement ou démission, doit consommer son DIF ou engager son DIF au moment du préavis. Dans le cas contraire, le salarié perd son droit au DIF sauf quelques cas minoritaires dans lesquels des accords de branche prévoient la transférabilité du DIF. Dans ce cadre, les branches s'interrogent sur la mutualisation des fonds correspondants. En mutualisant l'obligation DIF, le problème du transfert ne se pose plus. Si le coût du DIF est financé sur une caisse commune, le transfert du DIF peut s'effectuer sans que le nouvel employeur ait à assumer un droit à formation que le salarié a accumulé chez un employeur précédent.

M. Jean-François Humbert, vice-président - Est-ce que le dédit formation permettrait d'améliorer la transférabilité du DIF ?

M. Jean-Claude Tricoche - A mon sens, seule l'assurance du financement permettrait de favoriser la transférabilité du DIF. Je ne crois pas aux autres solutions. L'AGEFOS et quelques branches sont en train de créer un compte spécifique de fonds mutualisés dédiés à la gestion du DIF. En effet, la transférabilité ne peut pas fonctionner si la question du financement n'est pas réglée. Et à mon sens, la transférabilité ne doit pas seulement fonctionner au sein d'une même branche. En matière de formation, le salarié est prisonnier de son entreprise et de sa branche. Comment peut-il être acteur de sa formation dans de telles conditions ? Pour responsabiliser le salarié en matière de formation, celui-ci doit avoir de l'autonomie par rapport au DIF. Il ne s'agit pas pour autant de faire n'importe quoi avec le DIF. Mais la loi précise bien que le DIF s'utilise dans le cadre du L. 900-2 et 3 : la nature des formations est cadrée.

Certaines entreprises publiques comme privées prévoient l'utilisation du DIF dans le cadre des formations inscrites au plan de formation ; le droit à l'initiative a donc bel et bien disparu, sauf cas particulier. Et cette situation est due au fait que la question du financement n'a pas été réglée par la loi.

M. Jean-François Humbert, vice-président - Pourriez-vous nous parler des négociations de branche en matière de formation professionnelle ? Comment fonctionnent-elles ? Quels thèmes y sont abordés ? Quels sont ses principaux résultats en matière d'accès à la formation et d'orientations prioritaires ? Quelles sont ses limites ?

M. Jean-Claude Tricoche - Les négociations de branche en matière de formation sont les négociations les plus actives en France, d'une part, parce que les négociations interprofessionnelles nationales ne sont pas fréquentes pour des raisons que chacun peut comprendre, d'autre part, parce que le droit à négociation de l'entreprise n'est pas reconnu en France. Tout repose sur la dimension de branche. Nous ne récusons pas ce champ de la négociation. La branche est un outil utile. Mais les salariés effectuent de moins en moins l'ensemble de leur carrière au sein d'une branche ; ils sont de plus en plus mobiles et l'on souhaite même, au nom de la flexisécurité, que ceci devienne un phénomène normal dans une carrière. Mais ceci nécessite que les accords soient négociés au niveau auquel ils s'appliquent.

Prenons des exemples de négociation de branche. Pour ce qui est du DIF, quasiment rien n'est négocié au niveau de la branche, excepté l'éventuelle transférabilité. En dehors de cela, tout est renvoyé sur l'entreprise. Pour ce qui est des accords de professionnalisation, ils se limitent à prévoir les dispositifs dérogatoires pour les durées de contrat et de formation ; la fixation des financements est laissée aux OPCA. En effet, nombre d'éléments ne se décident plus au niveau de la branche car ils touchent à la stratégie propre des entreprises. Il en est ainsi du DIF qui devrait pourtant, à mon sens, relever davantage de la négociation interprofessionnelle au niveau des territoires, ce qui n'existe pas dans notre pays.

Par ailleurs, il n'existe pas de droit à négociation au niveau de l'entreprise en matière de qualification et de développement de cette qualification. Nombre de pays fonctionnent pourtant de cette manière. J'ai pu mesurer l'hostilité des employeurs français à cet égard puisque j'ai participé au comité de rédaction de la recommandation de l'OIT sur la « gestion des ressources humaines et formation tout au long de la vie » qui intègre notamment la possibilité de négociations collectives sur la formation tout au long de la vie au niveau international. Mais nous n'avons jamais pu y intégrer la notion de négociation d'entreprise qui a entraîné l'opposition systématique des employeurs français. Ceux-ci considèrent en effet que, payant la formation, ils n'ont pas à négocier sur ce sujet.

Une de nos revendications consiste à introduire le droit à la négociation sur la formation dans l'entreprise. En effet, de notre point de vue, cela va de pair avec l'anticipation, l'employabilité et la visibilité.

M. Jean-François Humbert, vice-président - Vous avez déjà répondu à certaines de nos questions. Si vous l'acceptez, nous nous permettrons de vous adresser quelques questions complémentaires, sur lesquelles vous pourrez nous apporter des réponses écrites. Compte tenu de l'heure, je préfère que nous arrêtions là.

M. Jean-Claude Tricoche - Je ne vois pas d'inconvénient à ce principe. Votre travail nous intéresse au premier chef. La question consiste à savoir si vous envisagez un toilettage ou une refonte plus en profondeur.

Pour diminuer les réticences, il faudrait commencer par réformer le financement des organisations syndicales. Nous avons discuté de ce point avec plusieurs candidats à la présidentielle et sur ce sujet, nous sommes d'accord avec Nicolas Sarkozy. Les organisations syndicales jouent un rôle de partenaire social au-delà de leur mandat ; dans ces conditions, le financement doit être public et transparent.

Faisons en sorte que les financements soient assurés d'une autre manière et avec plus de transparence ; faisons en sorte que la formation soit financée par un fond dédié et que les acteurs soient plus indépendants du système pour être plus critiques et avoir envie de l'évaluer.

Mme Isabelle Debré - Faisons en sorte que les syndicats aient davantage de légitimité. Il est anormal que dans notre pays, il n'y ait pas 8 % de salariés syndiqués alors que les syndicats ont une puissance importante.

M. Jean-François Humbert, vice-président - Je vous remercie.

Audition de M. Jacques CHARLOT, directeur général du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) (25 avril 2007)

M. Jean-Claude Carle, président -  Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions. Je vous remercie de l'assiduité dont vous faites preuve. Nous accueillons, ce matin, M. Jacques Charlot, directeur général du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

Notre mission commune d'information sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle a pour objectif de dresser un état des lieux de la formation professionnelle, aussi bien initiale que continue, afin d'émettre des propositions visant à améliorer la formation professionnelle de nos concitoyens. Le CNFPT est un acteur important de la formation professionnelle, à la fois prescripteur et organisateur de formations. Il se tient au carrefour de l'administration et des élus. En outre, la question de la formation des élus s'avère également primordiale.

M. Charlot, je vous propose, dans un premier temps, de nous exposer votre vision de la formation professionnelle assurée par le CNFPT. Dans une deuxième partie, nous débattrons du sujet et nous vous poserons quelques questions. Si vous souhaitiez nous faire part d'informations complémentaires que nous n'aurons pas eu le temps d'aborder lors de cette audition, vous pourrez nous les transmettre par écrit. Notre mission rendra son rapport au début du mois de juillet prochain.

M. Jacques Charlot - Merci M. le président de m'accueillir. Nous sommes très flattés de cette invitation. Une audition au Sénat constitue un symbole fort pour un établissement comme le CNFPT qui se tient au service des collectivités territoriales. En outre, l'audition du CNFPT dans le cadre d'une mission concernant la formation professionnelle souligne la reconnaissance de notre rôle dans ce domaine.

En effet, le CNFPT a longtemps souffert de l'image d'une école éloignée de la formation professionnelle. La loi du 19 février 2007 sur la formation dans la fonction publique territoriale nous met face au défi de faire évoluer notre établissement vers le monde de la formation professionnelle. Pourtant, au regard de sa date de création, de son mode de financement et de sa structure d'origine, le CNFPT est globalement issu de la formation professionnelle. Son financement, à 1 % sur la masse salariale, constitue, à l'évidence, un mode de financement se référant à la formation professionnelle des salariés de ce pays. Sa structure d'origine assurait la formation des personnels communaux. Dans le cadre de la construction de la fonction publique territoriale et des premières lois de décentralisation, le Centre de formation des personnels communaux est devenu le centre national de la fonction publique territoriale. Il a perdu lors de ce changement le terme « formation » dans son sigle. Son rôle s'est étendu à une multitude de missions complémentaires autour de l'emploi, des concours et même de la gestion. A cette occasion, sa fonction d'acteur de la formation professionnelle a commencé à se distancier.

Une des missions essentielles du CNFPT est de donner une cohérence de fonction publique à un secteur d'emploi qui regroupe entre 56 000 et 57 000 employeurs pour 1 800 000 fonctionnaires. La dimension unitaire se trouve principalement apporter par la formation. La loi relative à la création de la fonction publique territoriale y a ajouté des facteurs d'homogénéité, notamment en matière de concours et de formation initiale avant recrutement pour certains cadres d'emploi. Entre 1987 et 2006, le CNFPT a donc oscillé entre un rôle d'administration de la fonction publique territoriale, à la fois fourni par les textes et parfois autoproclamé, et une mission de réponse aux besoins de formation professionnelle du secteur.

La loi de février 2007, initiée par le Sénat, clarifie la vocation du CNFPT. Outre les partages de compétences entre les centres de gestion et le CNFPT, ce texte législatif offre un nouvel éclairage en matière de formation. Il confirme à certains cadres d'emploi la spécificité de bénéficier de statuts d'élèves en particulier pour les conservateurs et les administrateurs. Ces personnels deviennent employés du CNFPT le temps de leur formation obligatoire, avant leur recrutement par des collectivités territoriales. Cette loi transforme l'offre de formation pour les autres fonctionnaires afin de l'adapter aux défis du monde de demain. Cette modification consiste à fournir un petit peu moins de formation en début de carrière et à assurer une plus large formation tout au long de la vie professionnelle. En effet, le système antérieur de formation proposait une formation initiale qui couvrait les connaissances qu'un salarié utiliserait sur les deux tiers de sa carrière. La nouvelle loi a réduit les formations d'intégration de début de carrière, pour développer celles qui sont proposées au cours du parcours professionnel. Il est indispensable de faire entrer le concept de la professionnalisation dans le domaine de la fonction publique territoriale. Cette professionnalisation permet l'efficience des services publics et assure l'employabilité du personnel territorial.

Cette loi change profondément les objectifs du CNFPT. Nous devons mettre en place des formations négociées, en remplacement des formations prescrites ou administrées. Nous disposons de bases solides pour relever ce défi. Notre établissement paritaire et trentenaire a su construire un mode de formation qui ne détient pas de corps enseignant. Le CNFPT fait appel à un fichier comprenant 30 000 noms de formateurs potentiels, dont 10 à 12 000 sont activés chaque année. Ils interviennent pour quelques heures par an afin de dispenser des formations. En outre, nous faisons appel à des organismes privés. Leur sélection se fait dans le respect du code des marchés publics qui impose l'établissement d'un cahier des charges et une mise en concurrence des offres. Notre mode de fonctionnement, si nous le comparons à d'autres écoles de la fonction publique, s'avère, dès l'origine, proche du fonctionnement de la formation professionnelle.

L'autre thème de la loi du 19 février 2007 réside dans le développement du principe des parcours de formation. Nous devons construire une ligne continue, donner un objectif à l'ensemble des formations proposées. Ces parcours de formation doivent permettre la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle. Ils peuvent parfois s'étendre sur plusieurs années en débouchant éventuellement sur un diplôme ou sur une véritable qualification indispensable pour occuper certains postes. La loi indique que certaines formations professionnelles obligatoires sont liées à des prises de poste. Les décrets préciseront les types de poste concernés.

Ce principe de cycle professionnel qui s'installe va profondément modifier le catalogue du CNFPT. Notre offre va se réduire. Les envois de nos catalogues dans les collectivités territoriales, qui donnent parfois lieu à des inscriptions hasardeuses, vont être progressivement remplacés par une offre ciblée. Afin de répondre aux exigences liées au principe du parcours professionnel, notre offre de formation répondra à des situations professionnelles définies, à des besoins précis des collectivités.

De plus, une nouvelle demande émerge et s'amplifie : la recherche de formation sur mesure. Nous mettons en place des formations destinées à des ensembles de collectivités afin de les accompagner sur leurs projets d'organisation de politique publique, pour lesquels un diagnostic de besoin de formation des agents à été établi. Par exemple, les collectivités peuvent nous réclamer des formations pointues dans des domaines comme les finances, l'expertise ou l'agenda 21. Notre établissement va devenir de plus en plus un accompagnateur des projets des collectivités. Actuellement, nous le sommes déjà sur 25 % de nos activités. Cette proportion augmentera fortement dans les années à venir.

Cependant, le nouveau contexte de la formation professionnelle, affirmant que la personne formée est actrice de sa formation, met la négociation entre salarié et employeur au coeur de la formation. Le droit individuel à la formation (DIF) en constitue un bon exemple. La formation professionnelle doit donc faire l'objet de négociations en amont du CNFPT.

Le dernier sujet que je souhaite aborder et qui me semble spécifique à la fonction publique territoriale est la question de l'expertise professionnelle. Aujourd'hui, le monde de l'action publique dans le domaine des services fonctionne en faisant encore référence à l'expertise des services de l'État. Quelle sera demain la situation des fonctionnaires territoriaux dans les services ? Peuvent-ils être reconnus en tant qu'experts sur un sujet donné ? Peuvent-ils partager leur expérience ? Cet enjeu est primordial pour la fonction publique qui compte plus de 55 000 employeurs. Le partage de l'expérience des uns et des autres, la mutualisation des réflexions de chacun s'avèrent pour l'instant portés par l'État, en particulier à travers ses écoles de service public. Les écoles du ministère de l'équipement se sont entièrement repositionnés sur le fonctionnement en réseau des experts de l'ingénierie en matière de travaux publics. Cette question de l'expertise se posera dans les années à venir aux responsables de la formation professionnelle des agents de la fonction publique territoriale. Notre établissement étudie ses perspectives de développement pour répondre à cette exigence de la loi.

Le budget actuel du CNFPT s'élève à environ 300 millions d'euros par an. La fonction publique territoriale emploie 1 800 000 fonctionnaires. Nous recevons 617 000 stagiaires chaque année, pour une durée moyenne de formation au sein du CNFPT de trois jours. Ces chiffres représentent 50 % des moyens développés par les collectivités territoriales dans le domaine de la formation professionnelle, que ce soit en termes de coût ou de durée. Lorsque les collectivités donnent 1 % de leur masse salariale au CNFPT, elles dépensent parallèlement la même somme pour des formations proposées par d'autres organismes. Néanmoins, ce chiffre varie selon les catégories de collectivités. Les communes financent moindrement la formation professionnelle ; les structures d'intercommunalité et les régions y participent plus largement.

Les formations dites obligatoires ou prescrites représentent 25 % de notre activité. Cette part va se réduire. Nous devrons développer un plus grand nombre d'actions sur la formation continue. Notre budget de formation connaît une très forte croissance. Cette augmentation est liée à la hausse, de 5 % par an, de la masse salariale dans les collectivités territoriales. En outre, sur les dernières années, le CNFPT a réussi à comprimer ses frais de gestion. Ainsi, nous avons pu accroître le budget consacré à la formation de 30 % en 2007.

Je vous rappelle que le CNFPT remplit des missions en matière d'organisation de concours pour toutes les catégories A et A+. Il s'occupe de la gestion de la bourse de l'emploi pour les fonctionnaires de catégories A et assure la gestion des fonctionnaires momentanément privés d'emploi. Ce suivi des fonctionnaires dépourvus de poste, environ 190 personnes actuellement, représente une mobilisation de personnel modique et un volume financier faible. Cette fonction est très connue dans le monde des collectivités territoriales. Elle sera transférée aux centres de gestion.

En résumé, 60 % du budget du CNFPT est directement redistribué sous forme de formation. Je tiens à souligner que le budget de formation pour les collectivités territoriales ne comprend pas la charge de la masse salariale, c'est-à-dire que le CNFPT ne prend pas en charge le salaire du fonctionnaire pendant sa formation ni la rémunération de son remplaçant. C'est pourquoi, la comparaison avec les structures de formation des ministères ou de l'hospitalière s'avère difficile à établir. Elle doit tenir compte de cette donnée. Les structures de la formation hospitalière intègrent les frais de la masse salariale. En revanche, le CNFPT prend en charge les frais de déplacement ou d'hébergement, mais l'impact de la masse salariale ne se retrouve pas dans son budget de 300 millions d'euros.

Le CNFPT possède vingt-neuf délégations essentiellement mobilisées autour de la formation continue. Nous détenons cinq écoles : quatre écoles nationales d'application pour les cadres territoriaux de catégorie A et un institut national des études territoriales pour les élèves de catégorie A+, qui se situe à Strasbourg. Cet institut remplit la fonction d'une école puisque la majorité des personnes qui la fréquentent possède le statut d'élève, tandis que nos écoles nationales d'application pour les cadres territoriaux offrent le statut de stagiaire à ceux qui suivent les formations.

Pour conclure, je souhaite insister sur l'orientation marquée que nous donne la loi du 19 février 2007. Nous essayerons d'être à la hauteur de cette réforme. J'espère que la fonction publique territoriale sera en avance dans le domaine de la formation des fonctionnaires sur les autres organismes de formation de la fonction publique. En effet, l'organisation des collectivités territoriales entraîne un lien très fort entre la formation dispensée et l'emploi occupé. En cas de disjonction entre la formation et l'emploi, la sanction tombe très vite sur le terrain.

Dans le cadre de la dernière loi de décentralisation, la formation des personnels transférés est un défi pour le CNFPT. Lorsqu'un fonctionnaire est transféré de l'État vers les collectivités territoriales, il bénéficie d'un dispositif de formation, le plus souvent par tuteur interne. Nous avons mis en place un programme spécifique, par exemple en matière de sécurité, pour les fonctionnaires décentralisés de l'État vers les conseils généraux ou régionaux. Ces formations sont directement liées à l'emploi occupé alors que précédemment les formations dispensées connaissaient un lien avec l'emploi moins intense.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci monsieur Charlot pour votre exposé. Je désire revenir sur un aspect. Vous nous avez dit que le 1 % consacré à la formation professionnelle des fonctionnaires territoriaux n'intègre pas la masse salariale. Pourriez-vous nous détailler ce point ?

M. Jacques Charlot - Le 1 % de la masse salariale, représentant à peu près 300 millions d'euros pour le CNFPT, correspond au prélèvement effectué sur les collectivités territoriales employant au moins un salarié à temps plein. Durant la formation, le salaire du fonctionnaire en formation n'est pas compris dans cette somme. Le fonctionnaire reste rémunéré par son employeur. Ce point est important à prendre en compte lorsque nous effectuons des comparaisons avec les autres formations. Parfois, certains soulignent l'absence de formation dans les collectivités territoriales, en comparant un ministère qui consacre X % à la formation de son personnel alors que les collectivités n'y consacrent que 1 %. Le rapport est facilement de un à deux. Les ministères intègrent souvent la masse salariale du temps passé en formation. Cette comptabilité est d'ailleurs saine. Ces fonctionnaires ne sont pas en poste pendant ces périodes. Dans le secteur privé, les entreprises le prennent en compte également. Il faudrait ajouter la masse salariale au budget consacré à la formation par la fonction publique territoriale.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Dans une comptabilité exacte, devant apparaître dans la LOLF, nous devrions rajouter au budget du CNFPT consacré à la formation, la masse salariale assumée par les collectivités durant le temps de formation des fonctionnaires. Ainsi, nous pourrions effectuer des comparaisons pertinentes avec les ministères ou avec le privé.

M. Jean-Claude Carle, président - Si nous voulons homogénéiser les données, nous devons réintégrer le temps passé par les stagiaires dans les 300 millions d'euros du budget de la CNFPT.

M. Jacques Charlot - Je rappelle que notre établissement n'a pas vocation à prétendre à un monopole en matière de formation. Nous mutualisons 1 % de la masse salariale afin de répondre aux besoins des collectivités, qui par ailleurs n'auraient pas accès aux formations sans ce dispositif mutualiste. Cependant, une étude récente montre que les collectivités consacrent un budget équivalent pour des formations suivies auprès d'autres structures. Ces chiffres n'incluent également pas la masse salariale des personnels en formation. Pourtant, la masse salariale du personnel de la fonction publique territoriale en formation représente chaque année près de trois journées par fonctionnaire.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Existe-t-il un calcul consolidé de la masse salariale du temps passé en formation pour les personnels territoriaux ?

M. Jacques Charlot - Le calcul consolidé s'avère difficile à réaliser. Il nous faudrait connaître la situation de chacun des agents venant au CNFPT. Nous pourrions peut-être tenter une évaluation par coût moyen lié au cadre d'emploi. Les informations dont nous disposons nous donnent leur catégorie, A, B ou C. En revanche, nous ignorons s'ils sont en début ou plutôt en fin de carrière.

En outre, un autre aspect qui n'est pas pris en compte dans le budget est le coût du remplacement du fonctionnaire en formation. Le secteur privé intègre cette donnée. Il ajoute à la masse salariale du salarié parti en formation celle de son remplaçant. L'ANFH, qui forme le personnel hospitalier, suit ce mode de calcul.

Mme Isabelle Debré - Vous avez peu parlé de la VAE et du secteur concernant la petite enfance. Pourtant, les élus municipaux sont confrontés à de nombreux problèmes de recrutement dans ce domaine. La prise en compte de la VAE, l'existence de vrais inspecteurs capables de valider ces acquis de l'expérience pourraient offrir à des agents territoriaux de véritables progressions de carrière.

M. Jacques Charlot - La loi de février 2007 signale que le CNFPT doit organiser la VAE dans la fonction publique territoriale. Cette mission est extrêmement lourde à assumer pour notre établissement. Des milliers de diplômes peuvent être envisagés. Depuis deux ans, nous avons mis une priorité sur la VAE pour le personnel travaillant dans les secteurs de la petite enfance et de l'aide aux personnes âgées. Cette initiative ne se ressent sans doute pas encore sur la situation de l'emploi dans les collectivités territoriales car les changements prennent du temps à se concrétiser sur le terrain. Nous allons initier un dispositif de formation par apprentissage pour les aides puéricultrices. Nous avons conscience des besoins phénoménaux sur le sujet.

Le travail sur la VAE est extrêmement complexe pour le CNFPT. Nous disposons d'une VAE sur le diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS). Pour une région comme l'Auvergne, le suivi des VAE pour les personnes travaillant dans ce secteur occupe une personne à temps plein à la délégation pour quarante personnes diplômées sur une formation de dix-huit mois. Ce dispositif de validation des acquis de l'expérience est un dispositif d'avenir. Cependant il demeure encore trop lourd et trop exigeant. Nous devons vérifier que du côté des ministères délivrant les diplômes, le dispositif ne soit pas trop verrouillé.

Le président André Rossinot a imposé au CNFPT la définition de priorités. Nous avons choisi le secteur de la petite enfance et celui de l'aide aux personnes âgées. Néanmoins, nous devons être vigilants en nous assurant que l'univers de la formation professionnelle des adultes ne se confronte pas à un mur face à l'univers des diplômes et des formations initiales. Les formations initiales se protègent de l'arrivée de personnes en poste montrant des velléités pour obtenir des diplômes en se présentant au titre d'un acquis professionnel. Le CNFPT, y compris sur des diplômes délivrés par le ministère du travail, sent qu'il doit convaincre. La VAE ne pourra se développer qu'au prix d'un assouplissement des formations initiales ou généralistes. Les futurs enjeux résident dans les croisements entre les deux mondes de formation : initiale et professionnelle.

Pour vous donner un exemple, nous rencontrons dans les collectivités territoriales des directeurs de services techniques, très bons techniciens pilotant des équipes nombreuses, capables de gérer une voirie, de prendre en compte le développement durable. Ces personnes au cours de leur carrière souhaitent faire valoir leur acquis de l'expérience et être reconnues comme ingénieurs, si elles ne le sont pas initialement. Je ne pense pas que l'École nationale des ponts et chaussées accepte de leur délivrer le diplôme d'ingénieur. J'ai rencontré récemment la direction de l'École spéciale d'architecture. Il semble évident que cette école n'est pas prête à favoriser l'obtention du diplôme d'architecte par VAE, ce qui pourtant existait auparavant.

Mme Isabelle Debré - Les élus locaux sont souvent à la limite de la légalité pour l'ouverture des crèches. En effet, nous manquons du personnel qualifié obligatoire. La VAE s'avère donc indispensable pour nos collectivités dans ce secteur.

M. Jacques Charlot - La loi de février 2007 met très clairement la formation professionnelle dans les collectivités territoriales au service de l'emploi. Elle va donc nous permettre de progresser pour lutter contre ces difficultés. Le dispositif mécanique, qui rattachait concours, formation et emploi de façon globale, distendait le lien entre formation et emploi. Demain, la formation et l'emploi seront pleinement liés. Nous pourrons alors, grâce à la formation professionnelle, reconvertir du personnel sur les secteurs en tension afin de répondre aux besoins. Le système existant de qualification dans le secteur de la petite enfance est au maximum de ses capacités numériques. Nous allons soumettre prochainement au conseil d'administration un CFA des métiers de la petite enfance, afin d'augmenter par l'apprentissage le nombre d'assistantes maternelles en fonction. Ce dispositif démarrera en Île-de-France où les tensions sont les plus fortes. La proportion de contractuels dans certains secteurs montre bien que le système de production de fonctionnaires est défaillant.

M. Jean-Claude Carle, président - Comment envisagez-vous la création de ce CFA ? Sera-t-il national ou départementalisé ? Pensez-vous vous appuyer sur les structures existantes ?

M. Jacques Charlot - Le projet est à valider par le conseil d'administration. Nous envisageons un dispositif hors les murs. La création de ce CFA réside dans un accord entre la région Île-de-France, les CFA et le CNFPT afin de garantir un contact entre les collectivités territoriales pour assurer l'alternance. Le CNFPT n'a pas l'intention d'assurer une formation en interne. Cependant, nous répondrons à tous les besoins exprimés.

M. Jean-Claude Carle, président - Les collectivités territoriales ne cotisent pas à la taxe d'apprentissage. Comment financerez-vous cette formation ?

M. Jacques Charlot - Un accord entre les collectivités territoriales et la région Île-de-France doit être trouvé.

Mme Sylvie Desmarescaux - Je suis élue d'une commune de 3 200 habitants. Je fais suivre des formations au personnel communal, en particulier dans le domaine de l'électricité et de la manipulation de nacelle. Lorsque j'effectue des devis comparatifs avec des sociétés privées organisant ces formations, le CNFPT s'avère toujours plus onéreux que les organismes privés agréés, qui en outre se déplacent. Pourtant, le CNFPT reçoit des subventions diverses. Les communes cotisent au CNFPT pour finalement prendre des sociétés agréées privées pour former les fonctionnaires territoriaux.

M. Jacques Charlot - Je regrette que ma délégation n'ait pas pu vous convaincre, qu'en retour de votre cotisation, vous ne pouviez recevoir une prestation qui vous satisfasse. Néanmoins, le CNFPT n'est pas uniquement un collecteur du 1 %. Il assure également des missions de service public comme la gestion de l'emploi. Par conséquent, il ne redistribue pas l'argent directement. Le CNFPT n'est pas en mesure d'acheter des places dans des formations pour les collectivités territoriales. En outre, depuis trente ans, le CNFPT a veillé à ne pas se doter d'un corps de formateurs. Nous assurons un volume d'affaires équivalent à celui de l'AFPA. Cet organisme emploie 14 000 salariés pour délivrer ses formations. Le CNFPT utilise chaque année 12 000 formateurs externes à notre établissement. Par conséquent, lorsque vous nous mettrez en concurrence sur des formations comme la sécurité, nous sommes forcément plus chers puisque dans la pratique nous allons faire appel à un organisme. Le CNFPT ajoute ensuite des frais de structures qui inévitablement rendent les prix proposés plus élevés. Cette situation constitue un vrai handicap pour le CNFPT.

Je vais vous donner un exemple des difficultés rencontrées par le CNFPT. L'île de la Réunion n'arrivait pas à former les fonctionnaires territoriaux en raison du coût élevé des billets d'avion pour faire venir des formateurs dans ce département d'outre-mer. Le CNFPT a alors joué le rôle d'une coopérative d'achat. Il a fait le tour de l'île pour aller à la rencontre des collectivités afin de recueillir leurs besoins de formation. Il a ensuite défini des priorités de formations. La première année, nous avons organisé une formation sur le code des marchés publics en déplaçant un bureau d'étude sur l'île pour former dix-huit personnes sur le sujet. Le CNFPT a donc payé les billets d'avion et l'hébergement. Cette année, notre intervenant est allé directement voir les collectivités en leur offrant la même formation mais pour un prix moindre puisqu'il l'assure de manière indépendante.

Aujourd'hui, les élus de la Réunion reprochent au CNFPT d'être plus cher. Pourtant, notre établissement a effectué le travail de prospective pour définir les besoins de formation. Ainsi, notre rôle de coopérative d'achat est pris en défaut par les contacts directs pris entre les formateurs et les collectivités territoriales. Nos frais de structure liés à notre présence sur l'ensemble du territoire entraînent un surcroît de coût des formations. Par conséquent, nous n'arrivons pas à peser sur le marché. Nous ne pouvons pas jouer le rôle de l'UGAP de la formation. Cependant, je souhaite que les délégations du CNFPT rencontrent les maires des communes afin de répondre à des besoins particuliers auxquels les organismes privés de formation ne répondent pas.

M. Jean-Claude Carle, président - La comparaison avec l'UGAP n'est pas forcément bonne.

M. Jacques Charlot - Néanmoins, nous pourrions tendre vers une structure d'achat. Madame Desmarescaux, imaginons que vous décidiez d'acheter ces formations en plus de votre cotisation. C'est-à-dire de payer ces formations. Le CNFPT fait acte de candidature à votre consultation en vous proposant une offre payante moins chère que les autres établissements. A la suite de cette démarche, le CNFPT engage lui-même une deuxième consultation, en appliquant le code des marchés publics, afin de trouver des formateurs puisqu'il n'en possède pas en propre. Ainsi, si nous envisageons que vous passez outre votre cotisation de 1 % pour la formation et que vous payez directement les formations recherchées, un double système d'appel d'offre et de mise en concurrence se met en place.

Sans transformer le CNFPT, nous pourrions considérer que les mises en concurrence du CNFPT vaillent pour la mise en concurrence des collectivités territoriales, sous forme de délégation de service public ou de mandat. Il serait bon que, via un dispositif officiel de convention ou de mandat, la mise en concurrence du CNFPT vaille pour la collectivité territoriale ; sous réserve que le CNFPT soit garant d'une transparence et d'une mise en application du code des marchés publics.

Mme Sylvie Desmarescaux - Au niveau des petites communes, nous n'effectuons en général pas de consultations officielles. Ces formations ont coûté 1 200 euros à la commune. Notre choix s'est effectué en regardant les catalogues des organismes de formation et en demandant des devis à des sociétés que nous connaissons.

M. Jacques Charlot - En revanche, le CNFPT organise toujours une mise en concurrence pour ces formations. Dans une des versions de la loi de modernisation de la fonction publique, cette possibilité de délégation des mises en concurrence avait été envisagée, avec un dispositif in house, c'est-à-dire en considérant que les écoles de services publics de l'État sont directement dépendantes de l'État et donc que leurs consultations valent pour l'État et pour les ministères porteurs. Si tous les plans de formation étaient donnés en consultation globale, le CNFPT pourrait peser sur le marché de la formation et être alors moins cher.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Dans l'ensemble de vos actions, quelle est la part consacrée à la préparation des concours internes ?

Analysez-vous la manière dont les collectivités organisent et conçoivent leurs formations ? Dans le secteur privé, les salariés les moins formés initialement sont également ceux qui bénéficient le moins de la formation continue. Observez-vous une inégalité catégorielle d'accès à la formation ?

Comment organisez-vous l'ingénierie de la formation elle-même, les contenus des formations ?

M. Jacques Charlot - Pour le budget 2005, la préparation aux concours représente 30 % de nos actions de formation. Cette activité s'avère donc importante et est l'activité d'origine du CNFPT. Cependant, nous la régulons. Nous cherchons à offrir des préparations aux concours à du personnel qui a le potentiel pour être admissible. En effet, la préparation aux concours joue souvent un rôle de régulateur social. Une collectivité peut se servir de ces préparations comme recours pour des fonctionnaires qui n'ont pas obtenu la promotion souhaitée. Le CNFPT risque alors de crouler sous la masse des fonctionnaires inscrits aux préparations. C'est pourquoi, nous limitons volontairement la part de cette activité dans notre budget.

Concernant l'organisation des collectivités territoriales, l'importance des formations initiales fausse l'analyse que nous pourrions effectuer pour l'instant. Les catégories C, qui représentent 78 % du personnel de la fonction publique territoriale, constituent 48 % à 51 % des stagiaires du CNFPT. A l'évidence, nous formons les plus formés initialement. Cependant, nous devons pondérer ces données avec la part importante des formations obligatoires qui ne concernent pas les fonctionnaires de catégorie C. La loi de février 2007 a réduit ces formations obligatoires mais les a étendues aux catégories C. J'estime qu'il existe une amélioration au sein des collectivités territoriales sur leurs stratégies de formation de personnel. Les collectivités deviennent performantes sur le sujet et exigeantes vis-à-vis du CNFPT.

La loi du 19 février 2007, avec le DIF et les formations « professionnalisantes », remet d'actualité les plans de formation. Dans l'avenir, nous devrons anticiper les besoins et négocier en amont une stratégie de formation au sein des collectivités territoriales. Au regard de l'évolution des collectivités territoriales, de leur situation financière et de leur démographie, nous sortons des trente glorieuses de la fonction publique. Nous quittons une période où les collectivités ont beaucoup recruté, en choisissant leur personnel. Nous connaîtrons des tensions importantes, en matière financière comme en matière de possibilité de recrutement. Par conséquent, la formation va être au coeur de l'employabilité et de l'efficacité du personnel des services des collectivités territoriales. Les questions de ressources humaines vont tenir le rôle qu'ont pu jouer les finances lors des vingt dernières années. Les collectivités sont devenues exemplaires dans la gestion des finances. Elles devront le devenir en matière de gestion des ressources humaines lors des prochaines années. Nous ne pourrons pas répondre à tous les besoins avec les méthodes utilisées sur les quinze dernières années.

Sur le sujet de l'ingénierie de formation, le CNFPT emploie 2 000 personnes sur vingt-neuf structures. Notre personnel assume deux tâches principales : aller dans les collectivités pour comprendre et anticiper leurs besoins, puis effectuer l'ingénierie de formation. Cette ingénierie devient complexe. Elle doit intégrer des modules qui permettent la VAE. Nous mettons en place des parcours de formation pour répondre aux besoins sans imposer aux agents de suivre l'ensemble du cursus. Par exemple, nous proposons un programme de formation pour l'entretien des équipements sportifs. La formation complète s'étale sur plusieurs semaines. Cependant, un fonctionnaire peut suivre sur deux jours uniquement la partie qui concerne l'entretien des aires de jeux. Le CNFPT recrute des agents territoriaux qu'il forme à l'ingénierie de formation. Nous disposons d'un centre et d'une stratégie de formation interne. Le président André Rossinot nous demande d'être exemplaires sur le sujet.

M. Jean-Claude Carle, président - Je souhaite revenir sur les propos que vous avez tenus en début d'exposé. Vous nous dites que la loi récente renforce le lien avec l'emploi, ce qui est évidemment souhaitable. Cependant, vous reconnaissez que la proportion de votre budget consacrée à la préparation aux concours représente 30 %. En vous inspirant du secteur privé en termes de gestion de ressources humaines, pouvez-vous améliorer la gestion des flux d'entrée et de sortie aux concours ? Nous savons que sur cent personnes qui se préparent à un concours, seules deux à dix seront admises, non pas en raison de leurs compétences mais parce que les besoins en personnel sont limités. Chacun détient le droit de suivre une formation. Néanmoins, nous devons tenir compte des besoins et limiter le nombre d'inscrits à certaines formations.

M. Jacques Charlot - Un établissement comme le CNFPT cherche en permanence un équilibre précaire entre une logique de métiers, qui exprime le mieux les besoins en termes d'emploi, et une logique de fonction publique de carrière. Le CNFPT n'a pu produire un répertoire des métiers dans la fonction publique territoriale qu'en 2004, après de fermes négociations. En effet, la particularité de la fonction publique réside dans le fait qu'un attaché territorial peut aussi bien travailler dans un service juridique qu'être secrétaire d'une collectivité territoriale ou responsable du développement durable.

Ainsi, au sein du CNFPT coexiste un double système : un système lié aux métiers qui relève d'un fonctionnement de « branche professionnelle », et un dispositif statutaire. Le dispositif statuaire imposé souffre d'embolie permanente. Nous essayons de le gérer au mieux. Le CNFPT pourrait créer pendant deux ans un effet de satisfaction chez les fonctionnaires en consacrant 70 % de son budget à la préparation des concours. Néanmoins nous aurions à la sortie, des concours qui filtreraient considérablement. Ce système repose sur la logique de la fonction publique de carrière. En transférant les concours aux centres de gestion, les parlementaires ont souhaité distinguer la préparation et l'organisation des concours. Cependant, nous sommes toujours dans une logique de concours pour lesquels les sorties sont très sélectives. En revanche, le CNFPT développe massivement la logique de formation professionnelle liée à l'emploi et d'amélioration de l'employabilité sur des métiers définis.

M. Jean-Claude Carle, président - Certes, les sorties au concours sont restreintes. Cependant, la préparation aux concours des candidats représente un coût conséquent. Il n'est pas logique de former trop de personnes. Ne pouvons-nous pas réguler le nombre d'agents pouvant participer aux concours ?

M. Jacques Charlot - La préparation aux concours joue un rôle de régulateur social. Actuellement, nous mettons en place les préparations aux concours pour les catégories A et A+ en fonction des potentialités du territoire. Il existe des régions en France où les centres de gestion n'organisent pas de concours pour des raisons diverses. Cependant, le CNFPT met en place des préparations aux concours pour des personnes qui iront passer leurs concours dans d'autres régions. Si nous nous situions dans une volonté de réelle régulation mécanique, nous n'organiserions pas de préparation dans les régions n'offrant pas de concours. Cela entraînerait une détérioration du climat dans les services.

En outre, la question des concours conduit à se poser d'autres problèmes. Que pouvons-nous mettre en place pour les personnes inaptes à suivre les préparations aux concours ? La fonction publique territoriale compte 11 % de personnes illettrées. Le CNFPT a mis en place des formations « bas niveau » en amont de la préparation aux concours. La fonction publique territoriale connaît ce type de problème car elle effectue souvent un recrutement de proximité. Les communes réalisent des embauches à vocation sociale. Cette démarche est parfaitement honorable.

M. Jean-Claude Carle, président - Existe-t-il des modules de formation à destination de ces agents pour les amener à acquérir les connaissances de bases ?

M. Jacques Charlot - Nous travaillons sur ce sujet avec des structures plus performantes que nous dans ce domaine, comme l'AFPA ou les GRETA. Ces formations nécessitent un accord collectivité par collectivité. Dans la majorité des délégations du CNFPT, nous disposons de procédures d'accompagnement des agents qui ne sont pas acceptés aux préparations aux concours. Auparavant, il existait une présélection, sous forme de tests, pour accéder aux préparations aux concours. Ceux qui ne franchissaient pas cette première étape s'interrogeaient fortement sur leurs capacités. Aujourd'hui, nous réalisons des accompagnements ad hoc avec des tuteurs dans les services , prenant en compte le souci de discrétion face à ces situations, pour améliorer le niveau de base de ces agents.

Mme Sylvie Desmarescaux - Nos employés communaux, qui suivent des formations et y consacrent du temps, se plaignent de l'absence de conséquence par la suite pour leur avancement de carrière. Les formations ne leur permettent pas d'avancer dans les grades de la fonction publique. Concernant le personnel illettré de la fonction publique, quel est l'intérêt de pousser ces personnes à suivre des formations au regard de leurs capacités le plus souvent limitées ? Leur employabilité s'avère faible. Elles ne sont pas en mesure de connaître une progression de carrière. Leur recrutement répond à des motifs de solidarité sociale.

M. Jacques Charlot - Nous réalisons des formations pour ces agents à la demande des collectivités. Le sujet de l'illettrisme ne peut pas être traité de façon statutaire ou obligatoire. Ce problème relève d'ailleurs plus de la responsabilité de l'enseignement que de la formation professionnelle.

Concernant la répercussion des formations sur la progression de carrière, le sujet est délicat. Le lien est à construire par la loi ou le règlement. Le CNFPT se place du côté des employeurs. La formation a pour but d'améliorer l'employabilité pour répondre aux besoins des collectivités. La mise en place d'une progression de carrière liée au suivi de formations me paraît hasardeuse. Vous auriez des agents qui connaîtraient une progression de carrière grâce aux formations suivies mais sans qu'il n'y ait de lien avec leur travail effectif dans leur service. En revanche, nous pourrions développer l'évaluation de l'impact des formations sur la façon dont les services fonctionnent.

M. Jean-Claude Carle, président - Le CNFPT intervient-il dans le domaine de la formation des élus ?

M. Jacques Charlot - Nous ne sommes pas labellisés pour assurer ce type de formation. Cependant, nous pouvons proposer des formations conjointes à destination des fonctionnaires et des élus, en partenariat avec un établissement labellisé pour la formation des élus.

M. Jean-Claude Carle, président - La VAE pourrait être mieux mise en avant pour les élus afin d'assurer une meilleure représentation démocratique. En effet, l'entrée en vie politique est conditionnée par sa sortie. Il me paraît essentiel de permettre à un élu de se reconvertir en lui assurant une valorisation de son expérience acquise au cours de son mandat. Ce sujet mérite un autre débat.

Monsieur Charlot, nous vous remercions pour votre exposé très intéressant.

Audition de MM. Bernard MONTEIL, président, et Hervé BARBOTIN, secrétaire général, de l'Office professionnel de qualification des organismes de formation (OPQF) (25 avril 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous poursuivons ces auditions en accueillant M. Bernard Monteil et M. Hervé Barbotin. Merci d'avoir accepté d'intervenir devant notre commission, dont la mission consiste en un état des lieux de la formation professionnelle. Ces auditions et les visites que nous menons sur le terrain nous permettront de rédiger des propositions dans les domaines où cela s'avère nécessaire afin d'enrayer les difficultés touchant la formation professionnelle.

M. Bernard Monteil - L'OPQF est un acteur de la formation professionnelle. Son objet porte sur la délivrance de certificat de qualification aux organismes de formation quels que soient leur statut et leur taille. Notre office indépendant regroupe les principaux acteurs de la formation professionnelle, c'est-à-dire les prestataires, les clients, les commanditaires de formation, qu'ils soient publics ou privés. Je laisse le soin à M. Barbotin de vous présenter l'histoire de l'OPQF. Cette structure, très franco-française, est difficilement appréhendable pour nos collègues européens lors de nos rencontres.

M. Hervé Barbotin - Le concept des offices professionnels de qualification (OPQ) trouve son origine après la seconde guerre mondiale. Le ministère de l'équipement de l'époque souhaitait mettre en place un dispositif permettant de clarifier l'offre dans le secteur du bâtiment. Il s'est adressé à la branche professionnelle et à ses représentants, la Fédération française du bâtiment. Ces derniers ont créé un système, avec l'appui des pouvoirs publics, permettant de reconnaître le professionnalisme et le sérieux des prestataires dans ce domaine. Ce premier office délivra des certificats de qualification aux professionnels du bâtiment. Ce concept s'est ensuite étendu à divers secteurs d'activités. Aujourd'hui, nous connaissons huit OPQ en France, travaillant tous dans des corps de métiers bien identifiés. Les plus connus sont Qualibat, officiant dans le domaine du bâtiment, et Qualifelec.

En 1994, le ministère du travail, la DGEFP et la Fédération française de la formation professionnelle, se sont inspirés de cette initiative pour créer l'OPQF. Face à l'offre de formation hétérogène, éclatée et diversifiée, le besoin d'ordre s'est fait ressentir. Un protocole a tout d'abord été mis en place permettant la création de l'office professionnel de qualification des organismes de formation.

Les OPQ n'existent pas ailleurs en Europe. En Angleterre et en Allemagne des tentatives proches voient le jour. Cependant, ces structures peuvent être qualifiées de business. En France, tous les OPQ sont des associations sous la loi de 1901 à but non lucratif.

M. Bernard Monteil - Depuis 1994, les missions principales de l'OPQF portent sur l'évaluation et le développement du professionnalisme des organismes de formation. Le professionnalisme, dans le contexte des dispositifs de formation, a pour objectif de fournir une garantie de qualité auprès des différents acteurs, les stagiaires, les financeurs, les entreprises et les autres prestataires. Il nous paraît fondamental de pouvoir affirmer si un organisme offre ou non des garanties de professionnalisme.

La notion de professionnalisme couvre un ensemble d'éléments, englobant les démarches qualité. Dans le domaine de la formation, les approches qualité s'avèrent souvent trop mécaniques, car la formation n'est pas un service comme les autres. En effet, cette prestation s'appuie principalement sur la qualité des personnes formatrices. Quel que soit le type de formation choisi, individualisé, en groupe, à distance, il existe toujours une relation essentielle entre le formateur et le stagiaire. Par conséquent, la qualité et l'efficacité d'une formation s'appréhendent forcément en fonction des compétences de la personne qui crée un contact direct avec les personnes formées. La qualité de la formation va également être dépendante de la relation qui s'établit entre les stagiaires et leur formateur. L'ensemble des participants participe à la réussite de la formation. Lorsqu'une formation n'atteint pas les objectifs visés, les stagiaires peuvent également y jouer un rôle, par manque d'implication par exemple. Cette notion de coconstruction de la réussite de la formation est primordiale. Le professionnalisme s'appuie aussi sur les contenus et l'ingénierie des formations. Cependant, une formation bien conçue n'atteint pas systématiquement le résultat escompté. A la fin d'une action de formation, lorsque nous l'évaluons afin d'analyser si les résultats obtenus correspondent à ceux attendus, le rôle et la responsabilité de celui qui est formé demeurent essentiels.

Enfin, une formation doit souvent répondre à des objectifs contradictoires. Les objectifs visés par la personne en formation ne sont pas systématiquement identiques à ceux de son entreprise commanditaire de la formation. La situation est semblable dans le cas d'une formation destinée aux demandeurs d'emploi. Le financeur, conseil général ou régional, n'exprime pas les mêmes attentes que le stagiaire. Nous devons toujours effectuer un compromis pour analyser si les formations répondent à la fois aux objectifs des personnes formées et des commanditaires et financeurs, ainsi qu'aux attentes sociétales de lutte contre le chômage dans le cadre des formations reconversion.

M. Hervé Barbotin - Le professionnalisme est une notion subjective. Notre méthode s'avère différente des certifications de services et de personnes. Les certifications de personnes délivrées en France reconnaissent à une personne physique un niveau de compétences selon un référentiel défini. Les certifications de services type AFNOR attestent qu'un organisme délivre une prestation, par exemple de recrutement, selon un référentiel élaboré par l'AFNOR. Il existe donc une conformité entre le déroulement de la prestation de service et un référentiel. La certification ISO consiste à mettre en place une organisation interne à l'entreprise ou à une collectivité selon un référentiel de type ISO. Ce dispositif structurant participe à l'organisation de l'entreprise.

La qualification de l'OPQF qui reconnaît le professionnalisme des organismes de formation se différentie profondément des certifications décrites précédemment. Nous assurons les compétences, le sérieux, la satisfaction des clients d'un organisme à un moment donné. Notre qualification constitue une photographie du mode de fonctionnement de l'entreprise à un instant précis. Il se rapproche d'un bilan comptable effectué une fois par an. Nous cherchons bien sûr à développer le professionnalisme des organismes de formation. Cependant, nous n'avons aucune vocation structurante ou organisationnelle à travers notre qualification. Cette reconnaissance de qualification est valable trois ans. Tous les trois ans, nous instruisons de nouveau la demande de qualification de l'organisme de formation.

M. Bernard Monteil - Le dispositif développé par l'OPQF pour évaluer les entreprises s'appuie sur une procédure rigoureuse comprenant trois phases : l'instruction, la délibération, la décision.

M. Jean-Claude Carle, président - Intervenez-vous en amont de la labellisation de l'organisme de formation ? Aujourd'hui, un organisme qui se crée se contente de se déclarer auprès de la préfecture de son département. Aucune autre démarche de reconnaissance n'est demandée. L'OPQF joue-t-il un rôle avant que l'entreprise n'entame son processus de reconnaissance de qualification ?

M. Bernard Monteil - La particularité du système français réside dans le fait que n'importe quelle structure peut s'installer comme organisme de formation et obtenir son numéro d'agrément en préfecture sans autre procédure obligatoire. La seule garantie prise par l'OPQF est une garantie de durée. Un organisme demandant sa qualification doit posséder au moins deux ans d'existence. Pour pouvoir être admis à l'instruction pour la qualification, une entreprise doit présenter deux années d'activité dans le domaine de la formation. Nous attribuons alors une qualification provisoire pour un an. Ce n'est qu'à partir de cinq ans d'existence, qu'un organisme pourra obtenir la qualification dite régulière délivrée pour trois ans. Cette démarche n'intervient pas en amont, mais elle permet d'apprécier le professionnalisme de l'organisme, à partir de son expérience.

M. Jean-Claude Carle, président - Avec votre expérience, considérez-vous que certains échecs pourraient être prévenus, si la constitution d'un organisme de formation devenait plus encadrée et ne se limitait pas à la seule déclaration en préfecture ? Pouvons-nous améliorer le mode de création des organismes de formation ?

M. Bernard Monteil - La déclaration en préfecture me paraît assez inutile. La formation pourrait fonctionner comme les autres secteurs d'activité et les entreprises se contenter des démarches habituelles de création d'entreprise. Cependant, notre contexte s'avère très réglementé. 45 000 numéros d'agrément existent aujourd'hui, alors que seuls 6 000 ou 7 000 organismes exercent réellement une activité de formation régulière. Les autres entreprises proposent de temps en temps des formations et même parfois jamais. Elles ont demandé leur agrément au cas où elles auraient l'opportunité d'assurer des formations. Mais, cette activité ne constitue pas l'objet principal de leur activité. Par exemple, un consultant qui s'installe pense qu'il est préférable qu'il détienne son agrément, afin de pouvoir réaliser une formation si jamais un client le lui réclame un jour. Nous pourrions donc agir sur le processus de déclaration d'agrément en interdisant ce type d'inscription.

Ensuite, sur les 7 000 organismes existants et en activité, certains connaissent un volume d'heures de formation faible, de l'ordre de 30 000 euros à 50 000 euros de chiffre d'affaires par an. L'OPQF a fait le choix implicite de ne pas fournir de qualification aux organismes présentant un chiffre d'affaires situé en dessous de 75 000 euros par an. Mon avis personnel est que ce chiffre devrait être multiplié par deux pour réellement assurer de la solidité de l'organisme.

En outre, je tiens à souligner que nous ne proposons pas la qualification de personne mais d'organisme. Nous considérons que la structure détient une valeur ajoutée par rapport aux personnes. Certes, les personnes y travaillant doivent être éminemment compétentes. Nous pensons que l'existence de l'organisme permet aux formateurs de partager leurs compétences, de progresser et de se tenir à jour de leurs connaissances, en assurant un minimum de recherche et développement, même si ces termes ne s'interprètent pas de la même manière pour ce secteur d'activité.

En revanche, une autre approche pourrait être envisagée postérieurement à la qualification de l'organisme. L'OPQF pourrait jouer un rôle de contrôle et d'évaluation globale, en intégrant l'ensemble des éléments qualitatifs sur le professionnalisme.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Sur les 7 000 organismes de formation en activité, combien présentent un chiffre d'affaires supérieur à 75 000 euros par an ?

M. Bernard Monteil - Les organismes réalisant chaque année un chiffre d'affaires supérieur à 75 000 euros représentent moins de 5 000 entreprises.

M. Hervé Barbotin - Les chiffres varient considérablement. Les structures qualifiées par l'OPQF, allant de l'AFPA à la CEGOS en passant par l'IFG et les petites structures, représentent un chiffre d'affaires égal à 40 % des dépenses de prestations de formation opérées par les commanditaires.

M. Bernard Seillier, rapporteur - La qualification que délivre l'OPQF peut-elle devenir une sorte d'agrément ? Cela constituerait-il un apport pour le secteur de la formation ?

M. Bernard Monteil - L'objectif de l'OPQF n'est pas de prétendre à devenir un organisme d'agrémentation. Ce n'est pas notre rôle. Cependant, nous y contribuons indirectement. Il me semble souhaitable que la formation réponde aux logiques de marché habituelles. Je suis soucieux que l'évaluation dans la continuité existe, plutôt qu'un agrément en amont. Certains organismes de formation avec une très bonne réputation peuvent du jour au lendemain être critiqués. Nous nous situons dans un métier très humain. Il suffit qu'un formateur détenant une compétence forte quitte l'entreprise pour que la réputation de l'organisme soit modifiée.

C'est pourquoi, une démarche évaluative régulière et suivie demeure indispensable. Cette évaluation dans la continuité s'avère primordiale tant pour le petit organisme de cinq à dix formateurs travaillant uniquement avec des fonds privés, que pour la grosse structure employant des centaines de salariés et fonctionnant exclusivement sur des fonds publics. Personnellement, j'estime que les organismes travaillant seulement sur des fonds publics constituent une aberration. Il existe malheureusement des dérives, surtout lorsque l'organisme est implanté régionalement. Cette situation crée une opacité dans le marché de la formation. L'absence d'une observation neutre, impartiale, objective et indépendante conduit à des risques de dérives.

M. Jean-Claude Carle, président - Estimez-vous que la périodicité de trois ans est satisfaisante pour garantir la qualification d'un organisme ?

M. Hervé Barbotin - Cette périodicité de trois ans est complétée par un suivi annuel. Chaque année, les organismes de formation qualifiés doivent répondre à un questionnaire que nous avons établi. Il nous permet de repérer les différentiels pouvant survenir au cours de l'année.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Au regard de ce questionnaire, êtes-vous en mesure de retirer la qualification à un organisme avant l'expiration du délai de trois ans ?

M. Hervé BARBOTIN - Le retrait de la qualification constitue une des conséquences possibles de ce questionnaire annuel.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Vous nous avez présenté la multitude de labels, certifications, qualifications et homologations qui existent en France. Nous rencontrons une difficulté à hiérarchiser ces normes les unes par rapport aux autres. Pourrions-nous, par une démarche législative, imposer une sorte de label supérieur s'appuyant sur le principe du suivi de l'évaluation de la qualité ?

M. Hervé Barbotin - Nous disposons déjà de la réforme du code des marchés publics. Elle a introduit, dans son article 45, la possibilité pour l'acheteur de réclamer la production de certification professionnelle. Dans le domaine de la formation, la garantie à fournir est celle de l'OPQF.

La valeur du label est également produite par les acheteurs, le marché et l'environnement. L'OPQF n'est pas un organisme qui s'inscrit seul dans le domaine de la formation. Nous travaillons avec les OPCA, la DGEFP, la fédération de la formation professionnelle, l'ARF, le GARF, l'ANDCP. L'ensemble des acteurs principaux de la formation professionnelle continue de travailler avec nous, soit dans nos instances, soit à l'occasion d'événements particuliers. La crédibilité de notre dispositif, à travers l'indépendance et l'immersion dans le paysage de la formation, vient de la proximité avec ces partenariats constants.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous travaillez exclusivement sur la formation professionnelle continue ? Vous n'entretenez pas de relations avec des écoles hors contrat ?

M. Bernard Monteil - Nous qualifions les organismes pour leurs activités de formation continue et de formation professionnelle de type contrat de professionnalisation.

M. Hervé Barbotin - Notre qualification exclut la formation initiale relevant de l'éducation nationale. En revanche, des universités créant des départements de formation professionnelle peuvent relever de notre qualification. C'est également le cas des centres du CNAM ou des organismes de formation des chambres de commerce.

M. Jean-Claude Carle, président - Notre souci n'est pas de mettre des contraintes supplémentaires. En revanche, nous souhaitons protéger les personnes désirant faire appel à un organisme de formation des marchands de vent. Dans le domaine de la formation initiale, les exemples des écoles réclamant 10 000 euros sur deux ans aux familles pour une formation déplorable ne manquent pas. Concernant la formation continue, nous voulons surtout prévenir les très petites entreprises, qui créent des emplois et expriment de forts besoins de formation, contre ces abus. Comment pouvons-nous agir en amont ? Une garantie bancaire ou un dépôt permettraient-ils d'éliminer les organismes pas sérieux du secteur ?

M. Bernard Monteil - Parmi les mesures qui aideraient et assoupliraient l'efficacité du dispositif, la création de label ne paraît pas satisfaisante. En revanche, une approche fournissant un socle est indispensable. Il est logique qu'un conseil régional ou une entreprise souhaitent s'assurer que les organismes de formation remplissent certains critères. Cependant, nous ne devons pas alourdir les démarches administratives. Un organisme, qui travaille avec trois conseils régionaux et une dizaine de grosses entreprises, devra remplir vingt dossiers différents, car chaque établissement réclamera des informations spécifiques. La mise en place d'un socle commun permettrait d'éviter cette multitude de tâches administratives contraignantes.

Il n'existe pas d'opposition entre la qualification délivrée par l'OPQF et la certification fournie par la norme ISO. L'OPQF s'est positionné sur les points clés du professionnalisme qui apportent tous les compléments à la norme ISO assurant la structure de l'organisation. Les deux labels constituent une garantie forte permettant la mise en place d'une relation de confiance. Un commanditaire doit donc être suffisamment rassuré par l'une de ces certification ou qualification pour ne pas avoir à demander des informations, déjà vérifiées, hormis quelques précisions spécifiques aux organismes concernés.

Concernant la garantie bancaire, l'OPQFC se montre vigilant. Parmi nos critères de qualification, nous effectuons une analyse approfondie des comptes et des bilans des trois dernières années. Nous ne cherchons pas à nous transformer en analyste financier. En revanche, nous souhaitons mesurer le potentiel de pérennité de l'organisme. Une structure qui possède des fonds propres insuffisants ou se situe en situation de pertes depuis plusieurs années risque de ne pas être en mesure d'assurer les formations qu'elle propose. Ainsi, nous avons refusé des qualifications à des organismes présentant des situations financières négatives. Cependant, je ne suis pas convaincu qu'un dépôt de garantie permette d'éviter ces problèmes.

M. Hervé Barbotin - Dans le secteur du conseil en management pour lequel nous délivrons également des qualifications, nous demandons des attestations d'assurances très particulières. Dans le cadre de la formation, nous ne nous sommes pas posé la question de cette demande de garantie financière.

M. Bernard Monteil - Cette garantie se trouve dans l'analyse des comptes que nous effectuons et dans notre travail de vérification pour nous assurer que l'organisme dispose bien des outils pour organiser les formations qu'il délivre. Par exemple, nous vérifions que les formateurs en informatique possèdent des salles suffisamment équipées en ordinateurs.

M. Jean-Claude Carle, président - Le risque se situe principalement dans les formations de type coaching, management, et non au niveau des formations purement professionnelles. Quel est le pourcentage d'entreprises auxquelles vous retirez votre qualification par manque de conformité à vos exigences ?

M. Hervé Barbotin - Le processus de qualification se déroule dans le temps : il démarre par le dépôt d'un dossier, est suivi par l'analyse d'un expert, puis par le passage devant une commission, pour se terminer par l'examen du comité de décision qui délivre ou non la qualification. Ce parcours du combattant permet de réaliser un véritable tri. Un dossier non conforme n'atteint pas le stade du comité de décision. Or, nous ne réalisons pas de statistiques sur les premières étapes du processus. Nous effectuons des statistiques au niveau final, c'est-à-dire lors de l'examen par le comité de qualification. Le comité élimine 5 % des dossiers qu'il reçoit.

Cependant, nous ne qualifions pas de façon uniforme. Nous qualifions en fonction de domaine d'activité spécifique : informatique, langues, management... Chaque organisme de formation peut détenir une ou plusieurs qualifications selon les filières qu'il propose. Un organisme peut obtenir une qualification pour l'informatique et se la voir refuser pour le marketing. A ce niveau, nos statistiques montrent que nous refusons 10 % à 15 % des demandes de qualification.

M. Bernard Monteil - La façon dont se déroule la qualification se passe un peu comme un étudiant qui présente sa thèse de doctorat. Il se rend devant le jury lorsque son directeur de thèse l'y autorise. Les organismes se présentent devant l'OPQF quand ils sont prêts à être qualifiés. Un processus d'autocontrôle existe.

M. Jean-Claude Carle, président - Je souhaite connaître la fréquence des retraits de qualification et leurs motifs ?

M. Hervé Barbotin - Nous refusons donc 5 % des dossiers au stade du Comité de qualification. Ensuite, nous déqualifions d'autorité 6 % des organismes par an. Les raisons de ce retrait de qualification divergent. L'organisme peut ne plus disposer des ressources financières ou avoir quasiment cessé son activité de formation. Ces retraits de qualification s'avèrent largement compensés par les nouvelles demandes que nous recevons chaque année.

M. Bernard Monteil - Le chiffre de 6 % de retrait peut paraître faible. Cependant, il est lié aux fortes précautions prises par l'OPQF au départ. En outre, certains organismes, qui s'aperçoivent qu'ils risquent de ne pas obtenir la qualification, arrêtent d'eux-mêmes le processus de demande de qualification.

M. Jean-Claude Carle, président - Ils arrêtent leur demande de qualification, mais peuvent continuer à proposer leur formation.

M. Bernard Monteil - Nous ne détenons pas de pouvoir sur ce terrain.

M. Hervé Barbotin - Nous ne possédons pas ce pouvoir, mais nous représentons quand même un poids certain. Les OPCA, comme l'AFDAS qui gère la formation continue des intermittents du spectacle, réclament aux organismes de formation qu'ils répertorient la qualification OPQF. Un tri est donc effectué par les acteurs de la formation professionnelle. Un organisme qui perd sa qualification ne pourra plus travailler pour ces OPCA.

M. Jean-Claude Carle, président - Quels sont les motifs de retrait de la qualification ?

M. Hervé Barbotin - Les raisons de disparition de notre fichier sont multiples : l'absorption d'un organisme par un autre, la dégradation financière d'un organisme, l'abandon volontaire de la qualification OPQF. Cette situation est rare puisque les OPCA réclament la qualification OPQF. Nous rencontrons également un autre motif de retrait de la qualification, qui s'avère très marginal mais préoccupant. Il s'agit de la pénétration du marché de la formation par des mouvements sectaires. Nous travaillons avec la MIVILUDES, mission chargée de la lutte contre les sectes, pour réaliser des investigations sur les formations dans le domaine du coaching et du management. Nous disposons de peu d'éléments pour diagnostiquer une dérive sectaire au sein d'un organisme. En outre, dans la plupart des cas, l'organisme lui-même ne présente pas de position sectaire. Ce sont un ou plusieurs formateurs qui présentent des comportements dérivés. Notre travail sur les aspects financiers des organismes de formation aide à repérer ces risques. La MIVILUDES nous a indiqué qu'un des meilleurs moyens pour identifier un organisme sectaire est de vérifier ses sources de financement.

M. Bernard Monteil - Nous effectuons également un travail d'enquête auprès des clients et des stagiaires des organismes de formation. Nous recueillons ainsi leurs perceptions sur la réalisation de la formation, leur degré de satisfaction, et les bénéfices qu'ils en ont retirés. Nous recevons quelques retours négatifs de personnes insatisfaites de la formation reçue. Dans ces situations, nous nous livrons à un réexamen du dossier de l'organisme. Les radiations immédiates sont exceptionnelles. En général, nous prenons contact avec l'organisme pour comprendre l'insatisfaction de la personne formée. Parfois, la cause s'avère ponctuelle, un formateur n'a pas été compétent par exemple. L'organisme peut alors nous présenter un plan de mesures correctives. Sinon, l'OPQFC procède à la déqualification.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous déplacez-vous parfois sur le terrain, au sein des organismes de formation ?

M. Hervé Barbotin - Nous nous sommes rendus une fois au sein d'un organisme suspecté de dérives sectaires. En revanche, de manière générale, nous ne réalisons pas d'audit des organismes de formation.

M. Bernard Monteil - Nous sommes en contact régulier avec les responsables des organismes. Lorsque nous ressentons des doutes sur la qualité d'un organisme, nous sollicitons une visite. Cependant, nous n'avons ni les moyens ni les objectifs de jouer un rôle d'inspection.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous est-il arrivé de retirer la qualification pour un motif de dérive sectaire ?

M. Bernard Monteil - Nous n'avons pas retiré de qualification, mais nous en avons refusé sur des doutes de dérives sectaires. Le sujet est délicat à appréhender. Il est possible que nous nous soyons fait piéger par des organismes.

M. Hervé Barbotin - Nous utilisons internet comme source d'information. Cependant, le travail d'investigation peut être biaisé. Un stagiaire mécontent d'une formation peut exprimer ses récriminations sur la toile en tenant des propos excessifs. Nous devons rester prudents et lucides. En outre, nous réfléchissons avant de solliciter la MIVILUDES, car l'enquête qu'elle entreprend s'avère très lourde et peut avoir des répercussions importantes pour l'organisme de formation.

Mme Sylvie Desmarescaux - Pendant deux ans, les organismes de formation fonctionnent sans reconnaissance, puisque la qualification OPQF implique de posséder au minimum deux années d'existence. Comment ces organismes arrivent-ils à travailler sans cette référence ? Les élus locaux sont-ils suffisamment informés de cette situation ?

M. Bernard Monteil - Pour répondre aux demandes des organismes jeunes ou en cours de constitution, nous avons mis en place un certificat probatoire. Nous étudions le dossier du candidat comme pour un recrutement. Nous regardons ses compétences, avec un CV détaillé concernant les expériences dans les domaines touchant les formations qu'il souhaite prodiguer. Nous lui demandons un business plan pour connaître la façon dont il envisage de fonctionner pour les deux prochaines années, les moyens dont il dispose et la manière dont il pense trouver ses clients. Ce dispositif constitue une évaluation a priori de sa capacité d'exister professionnellement et donc d'assurer les formations.

En tant qu'élu local, lorsque vous rencontrez un organisme récent, vous pouvez leur demander si, au moins, ils ont entrepris cette démarche de certification probatoire.

Mme Sylvie Desmarescaux - Des associations de personnes peuvent-elles proposer des formations sans disposer d'aucun agrément ?

M. Bernard Monteil - Elles peuvent assurer des formations mais les stages qu'elles proposent ne relèvent pas des fonds de la formation professionnelle.

Mme Sylvie Desmarescaux - Dans les communes, nous ne disposons pas de fonds de formation.

M. Bernard Monteil - La meilleure solution pour évaluer les formations reçues par votre personnel municipal est de recueillir leurs observations et leurs appréciations. Vous pouvez constater si vos agents sont satisfaits ou non et, ainsi, vous forgez votre propre opinion sur les qualités de l'organisme de formation. Cependant, lorsque vous recherchez un organisme de formation, la détention d'un certificat probatoire peut vous rassurer. J'estime que l'obtention d'un certificat probatoire montre que l'organisme a entrepris les démarches nécessaires pour faire reconnaître ses compétences et se situe donc dans une approche positive de professionnalisme.

M. Hervé Barbotin - Les organismes peuvent indiquer sur leur papier à en-tête la détention du certificat probatoire. Vous êtes également en droit de leur réclamer la production du certificat original de capacité.

M. Jean-Claude Carle, président - Cependant, nous ne devons pas noircir la situation du marché de la formation. Si nous pouvons améliorer le système en amont, nous essayerons par nos propositions.

M. Bernard Monteil - En effet, nous rencontrons une majorité de personnes professionnelles dans ce milieu. Les incompétents ou les escrocs demeurent des exceptions.

M. Jean-Claude Carle, président - Messieurs, nous vous remercions.

Audition de MM. Christian CHARPY, directeur général, et Jean-Marie MARX, directeur général adjoint, de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) (25 avril 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Messieurs, je vous rappelle que notre mission désire établir un état des lieux de la formation professionnelle dans notre pays. Nous poursuivons nos auditions en vous laissant la parole.

M. Christian Charpy - L'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) est clairement impliquée dans l'ensemble du dispositif de formation. Dans un premier temps, je vous donnerai quelques données de cadrage sur la formation professionnelle et le chômage. Puis dans une deuxième partie, je préciserai le rôle de l'Agence en matière de définition et de prescription de formations et ensuite j'évoquerai quelques sujets de discussion sur lesquels l'Agence souhaite attirer l'attention de la commission.

- Données sur la formation et le chômage

Concernant, l'entrée en formation des demandeurs d'emploi, nous connaissons une baisse des chômeurs entamant une formation. Sur l'année 2005, selon la DARES, 637 000 demandeurs d'emploi sont entrés en formation, soit 10 % de moins qu'en 2003 et 2004. Les chiffres de l'ANPE confirment cette tendance pour l'année 2006, puisque la baisse est de 9 % par rapport à 2005. Cependant, nous observons également une chute de 10 % des demandeurs d'emploi s'inscrivant à l'ANPE. Par conséquent, la diminution des personnes suivant une formation ne semble pas totalement illogique.

Nous avons étudié les motifs de sortie du chômage vers l'emploi, vers la formation ou vers d'autres dispositifs. 10 % des inscrits à l'Agence quittent le chômage pour commencer une formation, ce qui représente 330 000 personnes chaque année. Les reprises d'emploi déclarées s'élèvent à 100 000 personnes par mois, soit 25 % à 30 % du total des sorties.

Ces données proviennent de sources administratives. Certaines personnes quittent le chômage sans donner de raison. Parmi elles, il y en a vraisemblablement qui reprennent un emploi ou partent en formation. Lorsque nous enquêtons avec la DARES, nous constatons qu'environ 45 % des personnes reprennent un emploi et 10 % suivent une formation. Par conséquent, chaque mois, 55 % à 60 % des inscrits à l'ANPE sortent du chômage pour travailler ou suivre une formation. La tendance générale est donc une baisse des entrées en formation des chômeurs sur les trois dernières années.

D'autre part, nous avons connu une forte modification des dispositifs de la formation professionnelle et des modes d'entrée en formation, en particulier pour les demandeurs d'emploi. Le premier élément majeur de ce changement réside dans le processus de décentralisation et le transfert des compétences de formation professionnelle vers les régions. Je n'insisterai pas sur cet aspect que vous connaissez parfaitement.

Le deuxième point important porte sur la suppression, en 2005, des stages d'accès à l'entreprise (SAE) qui s'adressaient exclusivement aux demandeurs d'emploi et représentaient 10 000 entrées chaque année vers des formations. Ce dispositif permettait aux demandeurs d'emploi d'intégrer une entreprise pour suivre une formation à la fois dans l'emploi et à l'extérieur, et bénéficier ensuite d'un emploi durable.

La troisième modification, très significative pour notre public, est la transformation du dispositif de financement de la formation par l'UNEDIC. L'UNEDIC finance deux types de formation, les formations homologuées et les formations conventionnées. Nous connaissons une très forte réduction des formations homologuées, décidée par les partenaires sociaux dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage. En 2004, 101 000 personnes ont bénéficié de formations homologuées ; en 2006, ce chiffre est tombé à 14 000 bénéficiaires. En revanche, les formations conventionnées ont connu une progression. Cependant, cette hausse s'avère moins marquée. Nous sommes passés de 31 000 bénéficiaires en 2004, à 42 000 en 2006. Par conséquent, le nombre de personnes suivant une formation conventionnée ou homologuée par l'UNEDIC présente une diminution de plus de 50 %.

Cette réforme de l'UNEDIC vise une amélioration de l'efficacité des formations proposées pour le retour à l'emploi. Les partenaires sociaux ont estimé que les formations homologuées étaient moins efficaces que les formations conventionnées pour le retour à l'emploi.

M. Jean-Claude Carle, président - Quelle est la différence entre les formations homologuées et les formations conventionnées ?

M. Jean-Marie Marx - Concernant les formations homologuées, l'UNEDIC fournit une homologation à des formations préexistantes. Par exemple, les stages financés par un conseil régional ou les actions de formation de l'AFPA peuvent recevoir une homologation, en fonction de critères définis par les partenaires sociaux. Une liste des formations homologuées est établie pour chaque ASSEDIC. Le plus souvent, ces formations portent sur des secteurs d'activité en tension. Dans les faits, l'homologation constitue un financement complémentaire de l'action de formation. Ce financement additionnel permet de prendre en charge certains frais de la formation, comme les dépenses d'hébergement ou de déplacement, qui habituellement restent à la charge du demandeur d'emploi. Plus exceptionnellement, l'homologation permet la création de places supplémentaires. Par exemple, un conseil régional finance quatorze places de formation dans le cadre d'un stage ; parallèlement, l'ASSEDIC et les partenaires sociaux décident d'ajouter trois ou quatre places de plus pour des demandeurs d'emploi indemnisés.

Les formations conventionnées constituent un achat classique de formation. Un appel d'offre est émis. Les organismes de formation y répondent. L'UNEDIC choisit d'acquérir un certain nombre de places dans ces stages de formation, comme le fait un conseil régional dans le cadre de ses appels d'offre.

M. Christian Charpy - La grande différence entre ces deux dispositifs porte sur le rôle décisionnaire de l'ASSEDIC. Dans le cas des formations homologuées, l'ASSEDIC apporte un complément de financement à une formation qui n'est pas définie par elle. En revanche, les formations conventionnées sont la conséquence directe d'un appel d'offre auprès de prestataires de formation, sur la base des critères définis par l'ASSEDIC, qui finance le stage dans sa totalité.

Ce repositionnement entraîne une réduction de l'offre de formation. Les formations proposées se situent sur des secteurs en tension, comme maçon ou cariste. Cette situation nous conduit à nous questionner sur nos choix. Devons-nous proposer des formations professionnelles uniquement sur les secteurs d'activité en tension ? En d'autres termes et en caricaturant, ne risquons-nous pas de fabriquer une nation de maçons et de plombiers ?

Le quatrième élément important du changement de ces dernières années porte sur la régression des allocataires de l'allocation recherche emploi-formation (ARE). Le nombre de demandeurs d'emploi indemnisés suivant une formation et bénéficiant de l'ARE est passé de 226 000 en 2004 à 206 000 en 2005. Ce chiffre continue de régresser en 2006.

Un cinquième aspect essentiel concerne les nouveaux dispositifs mis en place récemment. La convention de reclassement personnalisé (CRP), créée en avril 2005, fait suite à la loi de cohésion sociale. Elle permet aux personnes licenciées économiques de choisir entre une situation de chômage classique et une CRP. Avec le premier choix, la personne s'inscrit à l'ANPE et perçoit 57 % de son salaire antérieur. Dans le cadre d'une CRP, le contrat de travail du salarié est rompu deux mois plus tôt, c'est-à-dire qu'il n'effectue pas sa période de préavis et devient stagiaire de la formation professionnelle. Le dispositif d'accompagnement est meilleur puisqu'il bénéficie d'une mobilisation conséquente des moyens de formation. En outre, le stagiaire reçoit une indemnité représentant 80 % de son dernier salaire durant les trois premiers mois, puis 70 % après. Il existe une obligation pour les employeurs des entreprises de moins de mille salariés de proposer ce dispositif. Néanmoins, le salarié demeure libre d'accepter ou de refuser cette proposition.

Le taux d'adhésion à ce dispositif tourne autour de 35 % à 40 %. Il n'est donc pas très élevé. Ce dispositif est comparable aux conventions de conversion. Ce taux d'adhésion modeste, en dépit d'une indemnisation plus importante, peut s'expliquer par le fait que, lors des deux premiers mois, le salarié touche 20 % de moins que s'il effectuait son préavis. A l'inverse, il reçoit une indemnisation supérieure lors des huit mois suivants. Par ailleurs, les employeurs ne sont sans doute pas très incitatifs car ils perdent l'exécution du préavis, alors même qu'ils doivent verser aux ASSEDIC ce qu'ils auraient payé au salarié. Depuis avril 2005, les CRP ont concerné 65 000 personnes. Nous nous situons à un rythme d'adhésion de l'ordre de 4 000 par mois.

Récemment, l'État a créé un dispositif CRP+, que nous appelons le contrat de transition professionnelle (CTP) qui ressemble à la CRP. Cependant, il s'avère mieux doté, avec une indemnisation supérieure pour le salarié, des moyens de formation plus développés et un accompagnement mieux encadré.

- Les interventions de l'ANPE dans le domaine de la formation professionnelle

L'ANPE dispose d'une bonne connaissance du marché du travail à court et moyen termes. Elle peut donc jouer un rôle de conseil auprès des financeurs. Nous avons participé dans de nombreuses régions à la définition et à l'élaboration du plan régional de formation. Nous souhaitons d'ailleurs développer cette mission et tenir également ce rôle auprès des ASSEDIC. L'ANPE s'engage fortement dans cette direction en définissant les besoins de formations pour les métiers de demain.

En outre, point souvent méconnu, l'Agence est le premier prescripteur de formations en France. En 2006, nous avons prescrit des formations pour 856 000 personnes. Ce chiffre s'élevait à plus d'un million en 2005. Notre action de prescription incite les demandeurs d'emploi à suivre des stages de formation, financés par la région ou l'UNEDIC et réalisés par l'AFPA.

Parallèlement, les demandeurs d'emploi tendent souvent vers un projet professionnel qui n'est pas totalement formalisé. Ce projet professionnel peut passer par l'élaboration d'un programme de formation. Nous avons donc mis en place avec l'AFPA un service intégré d'élaboration du projet de formation, le S2. Il permet d'envoyer un demandeur d'emploi présentant un projet professionnel vers les psychologues de l'AFPA pour vérifier si son projet de formation correspond à ses capacités et à ses besoins. Ce dispositif de service intégré d'appui au projet professionnel a concerné 197 000 chômeurs en 2006. Pour plus des deux tiers des personnes qui entrent en S2, une élaboration d'une solution de formation qualifiante est mise au point. Par la suite, la formation peut aussi bien être réalisée par l'AFPA que par d'autres organismes. Ce dispositif nous paraît essentiel car il offre au demandeur d'emploi en période de reconversion l'opportunité d'établir son projet de formation professionnelle.

L'ANPE intervient également dans le cadre du parcours de retour à l'emploi. L'Agence s'est engagée depuis le 1 er janvier 2006 dans la mise en place d'un suivi personnalisé intensif des demandeurs d'emploi. Les chômeurs rencontrent chaque mois, à partir du quatrième mois, le même conseiller de l'ANPE. En outre, nous avons décidé avec l'UNEDIC de créer des parcours spécifiques de retour à l'emploi en fonction de la distance à l'emploi que présente le demandeur d'emploi. Trois catégories existent : proche de l'emploi, loin de l'emploi, et ceux présentant un risque modéré de chômage de longue durée. L'avantage est que chacun de ces parcours définis offre des modalités spécifiques d'intervention de l'ANPE. Par exemple, les personnes proches de l'emploi, qui connaissent le chômage depuis une période récente, ne présentent pas vraiment de besoins de formation. Une simple vérification de leurs compétences professionnelles s'avère suffisante. Il est plus utile de leur fournir le maximum d'offres d'emploi. En revanche, pour les personnes loin de l'emploi, l'objectif consiste souvent à formaliser un projet professionnel pouvant transiter par une formation. A chaque étape du dispositif, nous mobilisons les moyens de formation. L'accompagnement est pris en charge par l'Agence ou par des organismes sous-traitants. La mise en parcours présente l'avantage d'organiser la formation dans un parcours professionnel contrôlé, vérifié et suivi par un conseiller.

Nous disposons également d'outils complémentaires pour les personnes peu éloignées de l'emploi, mais dont le profil ne correspond pas suffisamment aux besoins de recrutement des employeurs. Intitulés action de formation préalable à l'emploi (AFPE) et action préparatoire au recrutement (APR), ces systèmes, assez comparables, conduisent à proposer aux employeurs de prendre en charge un demandeur d'emploi, qui continue à bénéficier de son allocation de chômage ou de son statut de stagiaire de la formation professionnelle s'il n'est pas indemnisé. Pendant les trois mois du stage, le salarié est donc dans l'entreprise en étant rémunéré par les ASSEDIC ou par l'État, avec un complément donné à l'employeur afin d'assumer les dépenses de formation complémentaire. En contrepartie, l'entreprise s'engage à embaucher, en CDI ou en CDD de plus de six mois, le salarié à l'issue du stage. Ce dispositif concerne, en 2006, 24 000 demandeurs d'emploi indemnisés.

Nous intervenons également sur la prospection des contrats de professionnalisation, créés par l'accord puis la loi sur la formation professionnelle tout au long de la vie. L'Agence recueille des propositions d'offre de contrat de professionnalisation. En 2006, 57 000 contrats ont été collectés et satisfaits par l'ANPE, soit 26 % de plus qu'en 2005, sur un total de plus de 150 000 contrats de professionnalisation. Par conséquent, l'Agence réalise de 35 % à 40 % des offres de contrat de professionnalisation. Nous pouvons améliorer ce dispositif en matière de promotion des contrats de professionnalisation pour les adultes. En effet, le public non classé jeune reste faiblement représenté. Sur les 57 000 contrats collectés en 2006, seules 10 000 personnes adultes en ont bénéficié. A l'échelle nationale, ce chiffre s'élève à 25 000. J'estime que nous pouvons accroître considérablement ce type de contrat.

- Les perspectives de l'ANPE

L'ANPE a vocation à s'intéresser à tous les demandeurs d'emplois, indemnisés ou non, bénéficiaires de minima sociaux ou non. Notre volonté est de garantir une certaine égalité de traitement, quelle que soit la situation du demandeur d'emploi au regard de l'assurance chômage. C'est pourquoi, nous avons mis en place l'APR, action équivalente à l'AFPE pour les personnes non indemnisées. En outre, nous souhaitons développer un travail approfondi avec les conseils régionaux, afin que leurs cartes de formation présentent des dispositifs spécifiquement destinés aux chômeurs non indemnisés. Aujourd'hui, ces derniers ne sont pris en charge nulle part ailleurs. En outre, l'État s'est largement désengagé des dispositifs dans le cadre de la décentralisation. Ainsi, la première volonté de l'Agence est d'offrir une garantie d'égalité d'accès aux formations entre personnes indemnisées et non indemnisées.

De plus, nous avons le sentiment que pour les allocataires du RMI et les chômeurs en fin de droits, la carte de formation n'est pas adaptée. Ces catégories ne sont pas prises en compte dans les dispositifs de formation. Nous menons donc une action d'expertise, de conseil et de lobbying auprès des conseils régionaux afin qu'ils créent des structures adaptées. L'Agence a conçu des parcours spécifiques d'accompagnement pour les personnes se situant très loin de l'emploi. Parfois, des demandeurs d'emploi présentent des difficultés sociales, médicales ou d'addictions. Cette prestation s'intitule mobilisation vers l'emploi. Elle assure un accompagnement social des demandeurs d'emploi en grande difficulté et ouvre des perspectives vers des actions de formation permettant de retrouver le chemin de l'emploi.

Nous pensons qu'à l'avenir, une meilleure coordination entre les différents financeurs est indispensable. Au regard de la diversité des financeurs, partenaires sociaux, ASSEDIC, conseils régionaux, l'Agence désire qu'il ne subsiste ni redondance, ni lacune. C'est pourquoi, l'ANPE souhaite être présente auprès de ces trois partenaires afin de détecter les complémentarités et, surtout, d'éviter les absences de financements dans les dispositifs de formation. Des conférences régionales de financeurs pourraient voir le jour afin d'assurer une bonne répartition des tâches en matière de financement pour les actions de formation.

Face à la diversité des financements et des prises en charge, le dispositif d'orientation et de formation doit être simplifié et réellement coordonné. Les demandeurs d'emploi se perdent dans les méandres du système. La logique du guichet unique, qui porte sur l'indemnisation et le placement du demandeur d'emploi, doit s'étendre, sans monopole, aux entrées en formation. Dans ce cadre, les questions relatives au rapprochement opérationnel entre l'UNEDIC et l'ANPE, ainsi qu'une meilleure coordination entre le service d'orientation de l'AFPA et l'Agence se posent. Tous ces aspects méritent d'être renforcés et simplifiés au bénéfice des demandeurs d'emploi. Il existe déjà des outils sur internet comme OFFA qui donne accès à l'ensemble des formations dans une région ou le Centre INFFO qui a son propre site internet. Ces initiatives doivent se développer et se professionnaliser.

Nous considérons que les demandeurs d'emploi peuvent être mieux suivis. Le dossier unique du demandeur d'emploi (DUDE) permet l'accès à l'ensemble du parcours du demandeur d'emploi. Il comprend les données relatives aux indemnisations, aux placements auprès des employeurs et aux dispositifs de formation proposés par l'AFPA ou par d'autres intervenants. Dans ce cadre, la convergence entre l'ANPE et l'UNEDIC va tenir un rôle fondamental.

En conclusion, la formation devient un point majeur pour tous les acteurs du domaine, que ce soit dans le cadre de la sécurisation des parcours professionnels ou de la sécurité sociale professionnelle. Sur ces dernières années, nous avons mis en place des outils de coordination. Nous devons aller plus loin dans cette direction. Cependant, nous intervenons en aval du système scolaire et universitaire. Par conséquent, nous prenons en charge les personnes qui arrivent à nous. Nous ne jouons aucun rôle dans le processus qui conduit chaque année 150 000 jeunes à sortir du système de formation initiale sans diplôme et sans formation. Cette situation constitue pour nous un handicap dans le traitement du retour à l'emploi.

Pouvons-nous nous positionner plus en amont et travailler en partenariat avec les rectorats et les universités ? Nous nous y essayons. Néanmoins, le succès n'est pas toujours au rendez-vous. Dans certaines régions, nous disposons d'accord avec le rectorat pour intervenir dans les conseils d'orientation. Nous bénéficions aussi de dispositifs de travail en complémentarité avec les universités. Cependant, des fossés culturels demeurent que nous devons combler rapidement au bénéfice des jeunes et des demandeurs d'emploi.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous souhaitez une meilleure coordination avec l'éducation nationale. Il me paraît alors essentiel que L'ANPE participe au plan régional de développement des formations (PRDF). Cet outil peut être en mesure de coordonner les formations initiales et continues. En outre, votre Agence se situe au coeur des besoins du monde économique. Sa participation à l'élaboration du PRDF semble indispensable.

Vous êtes le premier prescripteur de formation. En 2006, vous avez permis à 850 000 demandeurs d'emploi de bénéficier d'une formation professionnelle. Cependant, vous estimez qu'une meilleure coordination entre les financeurs est nécessaire. Comment envisagez-vous la mise en place d'une conférence régionale des financeurs ? Quels sont les partenaires pouvant participer à cette initiative ?

Ma dernière question porte sur les résultats obtenus par les demandeurs d'emploi à la suite du suivi d'une formation. Effectuez-vous une évaluation des formations dispensées ?

M. Christian Charpy - Depuis deux ans, nous avons renforcé notre présence dans l'élaboration du PRDF. Nous avons signé des conventions, par exemple avec la Basse-Normandie, qui nous autorisent à financer un emploi au sein du conseil régional. Ce poste nous permet de participer à la rédaction du PRDF. Ce dispositif donne de très bons résultats sur l'adaptation de la carte de formation aux besoins des demandeurs d'emploi. Il fonctionne sur plusieurs régions, mais n'est pas encore généralisé à l'ensemble du territoire. Parfois, certains conseils régionaux, comme le Centre ou l'Alsace, nous confient la gestion des chèques-formation. Nous devenons alors habilités par le conseil régional à mobiliser directement les outils de formation du conseil régional. Par conséquent, concernant l'élaboration du PRDF, le rôle de l'ANPE s'accroît.

M. Jean-Marie Marx - Nous participons également aux travaux des observatoires régionaux emploi-formation qui alimentent les réflexions en amont du PRDF. Sur les sujets de la coordination des différents acteurs du domaine et de la conférence régionale des financeurs, nous avons connu des expérimentations récentes dans le cadre des contrats de transition professionnelle. En région Bretagne par exemple, l'ensemble des acteurs financeurs de la formation professionnelle, la région, les ASSEDIC, les partenaires sociaux par l'intermédiaire des organismes collecteurs des fonds consacrés à la formation professionnelle et l'État se sont retrouvés autour de la table pour partager leurs diagnostics et ensuite prendre des décisions en matière d'achat et de financement des parcours de formation.

Un manque de coordination risque de nous entraîner vers une situation présentant des lacunes pour certains publics et certains acteurs. En outre, un contexte concurrentiel peut s'installer. En effet, deux acteurs de la formation professionnelle peuvent acquérir une même formation à des prix différents. Des économies peuvent être réalisées grâce à une bonne coordination. De plus, elle assure également une certaine transparence concernant l'achat de formations.

Sur le sujet majeur de l'évaluation des résultats, nos pratiques ne s'avèrent malheureusement pas suffisamment coordonnées. Nous constatons que ces évaluations sont effectuées principalement par les prestataires de formation eux-mêmes. Par conséquent, les données dont nous disposons ne présentent pas un caractère totalement fiable et objectif. Les critères pris en compte pour évaluer les stages ne sont pas toujours identiques. Les taux de retour à l'emploi ou de reconversion varient fortement en fonction des éléments analysés. En matière d'évaluation de résultats des actions de formation, il est primordial de définir des critères et des indicateurs partagés, permettant de comparer fidèlement l'impact des actions de formation.

M. Christian Charpy - Dans une optique de baisse du chômage, l'action de formation doit conduire à l'emploi. La meilleure évaluation reste donc l'accès à l'emploi des bénéficiaires de la formation professionnelle. Dans ce domaine, nous devons accomplir des progrès. Lorsque nous envoyons des demandeurs d'emploi vers un organisme de formation, nous ne devons pas attendre la fin de la formation pour accompagner le stagiaire dans sa recherche d'emploi. Jusqu'à récemment, nous attendions la réinscription à l'ANPE de la personne pour démarrer son suivi. Aujourd'hui, nous testons une prise en charge pilote dans certaines agences. Nous contactons les personnes que nous avons placées en stage deux mois avant la fin de leur formation, afin de leur proposer des offres d'emploi correspondant à la formation qu'ils viennent de recevoir. Cette démarche d'anticipation va être généralisée à l'ensemble de l'ANPE au mois de septembre prochain. Chaque demandeur d'emploi envoyé en formation sera reçu par son conseiller personnel, deux mois avant la fin de sa formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Au sujet de la conférence des financeurs, quel pilote voyez-vous pour la coordonner ?

M. Christian Charpy - Puisque l'État a décidé une décentralisation de la formation professionnelle vers les régions, il me paraît cohérent de confier cette mission de pilotage au président de la région concernée, en collaboration avec le Comité économique et social régional. Cette conférence doit associer l'ensemble des financeurs, les ASSEDIC et l'État. Il existe déjà le service public de l'emploi régional (SPER) qui est présidé par le préfet de région. Il possède une vision d'ensemble des dispositifs de retour à l'emploi et de formation. Dans certaines régions, le préfet de région a décidé d'élargir la réunion du SPER aux représentants de la région.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Quelles stratégies déployez-vous pour assurer une bonne correspondance entre les formations proposées et les structures du marché de l'emploi ? Réussissez-vous à anticiper les formations les plus porteuses, et les profils qui seront recherchés par les employeurs dans les prochaines années ?

Concernant la répartition des fonds de la formation professionnelle, nous nous interrogeons sur une possibilité de transfert de fonds des formations pour les salariés vers celles destinées aux demandeurs d'emploi. Les résultats de notre investigation et des auditions que nous avons conduits montrent qu'il existe une forte disparité d'accès à la formation professionnelle. Plus les personnes sont initialement qualifiées et travaillent à des postes élevés, plus elles bénéficient de formation continue. Inversement, les moins qualifiés restent les moins formés. Pouvons-nous inverser cette tendance par une modification de la répartition des fonds de la formation professionnelle ?

Certaines rumeurs circulent aujourd'hui à propos de la fusion de l'ANPE et de l'UNEDIC. Pouvez-vous nous dresser un premier bilan qualitatif sur la mise en place des maisons de l'emploi, des guichets uniques, de toutes ces tentatives de rapprochement entre les acteurs qui apparaissent sur le territoire ?

M. Christian Charpy - Pour répondre à votre première question sur les entreprises qui embauchent, nous ne devons pas confondre les secteurs qui créent des métiers et ceux qui recrutent. Certains secteurs, comme l'automobile ou les industries traditionnelles, perdront des emplois de manière conséquente dans les années à venir. Cependant, compte tenu de la démographie de ces entreprises qui conduira à des départs en retraite massifs, ces sociétés exprimeront un besoin de recrutement important. Par conséquent, nous ne devons pas donner le sentiment que les secteurs qui créeront des emplois et dans lesquels les jeunes peuvent s'engager se situent uniquement dans l'informatique ou les services à la personne. Les métiers traditionnels connaissent aussi un besoin fort de recrutement.

Mes propos s'appuient sur l'étude réalisée par le conseil d'analyse stratégique sur les métiers à l'horizon 2015 et sur les travaux du bureau d'informations et de prévisions économiques (BIPE) qui s'intéressent au marché de l'emploi en 2025. Leur approche très sectorielle met en évidence cette distinction entre les secteurs qui créent des emplois et ceux qui recrutent. Le danger reste fort de voir les organismes de formation s'engager uniquement sur les métiers d'avenir en oubliant les secteurs traditionnels. Dans une telle situation, les entreprises classiques risquent de faire appel à de la main d'oeuvre étrangère ou d'ajuster leur activité aux effectifs disponibles, entraînant une importante perte de production industrielle en France et une prolongation de la désindustrialisation française. Nous devons garder à l'esprit que nous ne pouvons pas former uniquement pour les métiers créant des emplois.

En outre, nous avons la volonté, au niveau de chacune des régions et pour les différents bassins d'emploi, de mettre en place un outil informatique intitulé « mon marché du travail ». Ce logiciel définit les secteurs de recrutement par bassin d'emploi en fonction des prévisions d'activités et d'évolution des secteurs d'activité. Ainsi, les conseillers de l'ANPE pourront orienter les demandeurs d'emploi vers les métiers qui recrutent et leur proposer les outils de formation adaptés.

Comme vous l'avez signalé, nous constatons que les dispositifs de financement de la formation professionnelle bénéficient principalement aux personnes disposant d'un emploi. Les demandeurs d'emploi, qui manifestent un plus grand besoin de formation, se retrouvent avec une portion congrue de l'ensemble des dépenses consacré à la formation professionnelle. Pourtant, des outils existent, mais ils demeurent insuffisamment utilisés. Le droit individuel à la formation (DIF), dispositif extrêmement utile, reste faiblement transférable et peu mutualisé. Lorsqu'un salarié quitte une entreprise, son DIF est soldé par le versement en salaire des heures de formation accumulées dont il n'a pas disposé. Des discussions sont en cours sur la possibilité d'inclure une règle permettant le transfert du DIF. Cependant, la question du bénéficiaire de ce transfert n'est pas résolue. Devons-nous créer un organisme de mutualisation ? Doit-on mettre en place des chèques formation ? Les solutions sont à inventer afin que les salariés se retrouvant au chômage puissent bénéficier de leur DIF accumulé lors de leurs périodes d'emploi.

Concernant l'évolution des structures de rapprochement entre l'ANPE et l'UNEDIC, nous avons aujourd'hui deux cents maisons de l'emploi labellisées. Une cinquantaine d'entre elles ont signé des dispositifs de financement. Les maisons de l'emploi qui fonctionnent existaient souvent auparavant, ou alors elles se situent dans des logiques de coordinations. Les nouvelles maisons de l'emploi ayant une existence concrète s'avèrent encore peu nombreuses ou très récentes. Un bilan est donc difficilement réalisable pour nous. J'estime que la DGEFP peut fournir une meilleure analyse sur cette question que l'ANPE. Néanmoins, l'ANPE est systématiquement présente dans toutes les maisons de l'emploi.

Au-delà des maisons de l'emploi, une logique complémentaire s'exprime à travers la mise en place des guichets uniques réunissant l'UNEDIC et l'ANPE. Le demandeur d'emploi peut ainsi effectuer l'ensemble de ses démarches, inscription, entretien d'indemnisation et début du suivi de placement, dans un même lieu. Actuellement, 157 guichets uniques existent physiquement. Dans quatre-vingt-cinq d'entre eux, nous assurons une prestation qui permet au moins à 50 % des personnes reçues de réaliser leurs différentes démarches administratives dans le même temps et dans le même lieu. D'ici le mois de juin 2007, le nombre de guichets uniques sur le territoire s'élèvera à environ 350. Par conséquent, nous constatons que la structure du guichet unique, favorisant une coordination au niveau local, fonctionne de façon plutôt satisfaisante.

Le rapprochement des structures de l'ANPE et de l'UNEDIC au niveau national constitue un débat politique. Ce projet est porté ou évoqué par les candidats à l'élection présidentielle. Les partenaires sociaux ne sont pas très favorables à cette fusion.

Nous entendons souvent dire que nous manquons de personnel pour accompagner les demandeurs d'emploi dans leur retour vers l'emploi. Or, 28 000 personnes travaillent à l'ANPE, 15 000 à l'UNEDIC, 11 000 dans les missions locales. Nous pouvons y ajouter les salariés des plans locaux pour l'insertion et l'emploi (PLIE), ainsi que les employés des autres cotraitants comme Cap-emploi et l'APEC. La totalité des salariés de ce secteur s'élève à plus de 50 000 travailleurs. Ce chiffre est inférieur à celui de la Grande-Bretagne qui dispose de 70 000 personnes pour suivre les 800 000 demandeurs d'emploi inscrits dans ce pays. En Allemagne, la Bundesagentur emploie 75 000 salariés, qui s'occupent de l'ensemble du dispositif de suivi des chômeurs Outre-Rhin. Nos effectifs s'avèrent donc inférieurs à ceux de nos voisins. Cependant, ils ne sont pas dérisoires. Le problème principal réside dans un éparpillement des moyens humains et matériels. Devons-nous évoluer de la coordination approfondie que nous connaissons aujourd'hui à une fusion ? Ce choix sera réalisé par le Gouvernement. Sans attendre, il faut que les acteurs du secteur travaillent ensemble en définissant des objectifs communs.

Cependant, le Président de la République, lors de ses voeux pour l'année 2007 aux forces vives, avait évoqué la création d'un organisme unique chargé de l'indemnisation, du placement et de l'orientation. En d'autres termes, la fusion doit-elle intégrer l'AFPA ? L'AFPA travaille sur deux aspects de la formation professionnelle : le dispositif d'orientation, employant environ 800 psychologues, et le service assurant les formations. Il me semble déraisonnable de vouloir intégrer l'ensemble de l'AFPA à une structure réunissant l'ANPE et l'UNEDIC. L'ANPE et l'UNEDIC unifiées n'ont pas vocation à se transformer en prestataires de formation.

En revanche, les psychologues de l'AFPA, qui réalisent des tests d'orientation pour les demandeurs d'emploi, pourraient être rapprochés de l'ANPE. Deux thèses coexistent : certains estiment qu'il est préférable de disposer de psychologues du travail proches des demandeurs d'emploi ; d'autres considèrent que les psychologues doivent rester proches des formateurs. Je pense que si nous devons fondre l'UNEDIC et l'ANPE, il n'est pas utile d'ajouter de la complexité à ce nouvel outil en intégrant la branche orientation de l'AFPA.

M. Jean-Claude Carle, président - Comment expliquez-vous la différence de coût concernant la commande publique sur les mesures d'accompagnement ? Les chiffres dont nous disposons montrent que l'ANPE consacre de 600 euros à 700 euros par demandeur d'emploi, tandis que l'UNEDIC, à travers des prestataires privés, dépensent environ 3 500 euros pour un chômeur. Existe-t-il des raisons à une telle différence ?

M. Christian Charpy - Ce sujet sensible prête à polémique. L'ANPE participe d'ailleurs à ces discussions vives car l'intervention d'opérateurs privés dans le fonctionnement interne de l'Agence suscite des tensions avec les conseillers d'agence et les associations syndicales.

Le budget de l'Agence rapporté au nombre de demandeurs d'emploi suivis s'élève en effet autour de 600 euros ou 700 euros par an. Mais le service n'est pas strictement comparable au service fourni par les opérateurs privés. Lorsque nous intervenons pour le compte de l'UNEDIC, dans le cadre de la prise en charge de la CRP, nous facturons cette prestation environ 800 euros. Nous devons recevoir le demandeur d'emploi tous les quinze jours et mener des actions de formation complémentaire.

En outre, nous contractons également avec des sous-traitants pour réaliser des dispositifs d'accompagnement. Ces prestataires, ADECCO par exemple, peuvent parfois être les mêmes que ceux auxquels l'UNEDIC fait appel. Dans ces situations, nous versons aux sous-traitants environ 1 500 euros pour une prestation de deux mois. Ce service d'accompagnement n'est pas assuré de l'obtention d'un résultat. Si la démarche n'aboutit pas à un retour à l'emploi, le chômeur revient au sein de l'ANPE.

Les opérateurs privés travaillant avec l'UNEDIC connaissent des obligations plus contraignantes. Une prestation réussie, c'est-à-dire aboutissant à un retour à l'emploi du chômeur, est facturée environ 3 500 euros. Le paiement s'effectue en trois versements : un premier versement lors de la prise en charge, un paiement lors de l'entrée dans l'emploi et le versement du solde si le demandeur d'emploi est demeuré plus de six mois en poste dans l'entreprise. La prestation est donc nettement plus chère. Cependant, elle impose une obligation de résultat pour percevoir l'ensemble de la somme prévue.

L'ANPE, en tant qu'opérateur public, est attentive aux prix proposés par les prestataires dans le cadre des marchés publics. De plus, l'Agence ne fait pas appel aux mêmes partenaires. En termes de prestations effectuées, les différences semblent mineures. Le travail d'accompagnement consiste à rencontrer régulièrement le demandeur d'emploi. Selon les dispositifs, les rendez-vous proposés par les prestataires privés peuvent aller jusqu'à trois fois par semaine. L'ANPE, pour sa part, demande à ses conseillers de recevoir les demandeurs d'emploi tous les quinze jours dans le cadre des accompagnements intensifs. La réelle différence entre les prestataires privés et l'Agence réside dans le nombre de personnes suivies. L'ANPE dispose en moyenne d'un conseiller pour cent vingt demandeurs d'emploi. Le dispositif renforcé permet d'augmenter l'encadrement à un conseiller pour soixante chômeurs. Les opérateurs privés fournissent un conseiller pour trente demandeurs d'emploi.

Nous jugeons les services des opérateurs privés onéreux. La question essentielle est de savoir si le travail qu'ils fournissent est plus efficace que celui réalisé par l'ANPE. Une première évaluation effectuée par l'UNEDIC a montré que si les personnes prises en charge n'avaient pas suivi ce dispositif, 85 % d'entre elles auraient été jusqu'au bout de leur période d'indemnisation. L'UNEDIC en a conclu qu'elle avait économisé 24 millions d'euros. De son côté, l'ANPE a comparé deux groupes de chômeurs : l'un dont le suivi était réalisé par l'ANPE et l'autre dont l'accompagnement était assuré par des prestataires privés sous-traitants de l'UNEDIC. Nous avons observé les résultats à six mois, neuf mois et un an. Ils s'avéraient quasiment identiques. Nous devons reconnaître que ces deux études étaient marquées par une volonté de la part de chaque organisme de montrer qu'il était le meilleur. Les résultats doivent donc être objectivés.

Par conséquent, nous avons décidé de commander une enquête à un organisme d'évaluation, le centre d'économétrie de polytechnique. Cette étude sera dirigée par le chercheur Bruno Crépon. Un outil aléatoire décidera d'envoyer les demandeurs d'emploi présentant un risque de chômage de longue durée vers un des trois types de prises en charge : un accompagnement classique effectué par l'ANPE, un suivi renforcé proposé par l'Agence, ou une prestation assurée par un opérateur privé. Ainsi, nous constituerons des groupes homogènes de demandeurs d'emploi.

Néanmoins, nous rencontrons deux limites. Le demandeur d'emploi n'est pas obligé d'accepter un suivi par un partenaire privé. Suite à une exigence des partenaires sociaux lors de la mise en place de ce dispositif, le chômeur a le droit de refuser la prestation privée. Sur le terrain, nous observons un refus de la part de plus de 50 %. Par conséquent, en termes d'évaluations, certes les demandeurs d'emploi auront été sélectionnés au hasard, mais seuls les volontaires seront suivis par un prestataire privé. La seconde difficulté que nous rencontrons vient de la baisse du chômage que nous connaissons actuellement. Les flux d'entrée dans le chômage deviennent moins importants qu'ils ne l'étaient. Nous risquons de rencontrer des bassins d'emploi dans lesquels nous ne tiendrons pas nos engagements d'envoyer un nombre suffisant de chômeurs vers certains prestataires privés. De même, nous connaissons une déformation de la situation qui conduit à diriger l'essentiel des demandeurs d'emploi vers les opérateurs privés. Le public des personnes prises en charge dans le cadre des actions d'accompagnement renforcé de l'ANPE est constitué à 80 % de chômeurs non indemnisés et à 20 % de chômeurs indemnisés. Or, les caractéristiques de ces deux populations ne sont pas vraiment identiques.

Les données de cette évaluation seront disponibles à la fin de l'année 2007. Elles nous permettront de mieux cerner les résultats des différents dispositifs.

En conclusion, je tiens à souligner que l'ANPE n'est pas opposée à l'intervention des opérateurs privés. Cependant, nous souhaitons que l'orientation passe systématiquement par l'Agence afin qu'elle reste une porte d'entrée unique à ces accompagnements, pour ne pas créer d'inégalité de traitement entre les demandeurs d'emploi indemnisés et ceux qui ne le sont pas. Cette question peut donner lieu à des discussions entre l'ANPE et l'UNEDIC. Néanmoins, ces désaccords demeurent très modérés et nos organismes collaborent de manière satisfaisante.

M. Jean-Claude Carle, président - Une autre polémique touche ce domaine. Les organismes de formation se plaignent d'être écartés de la commande publique. Que pensez-vous de ces observations ?

M. Christian Charpy - Ce sujet est sensible car nous sommes un gros acheteur de prestations d'accompagnement vers l'emploi, suivi classique ou prestation d'évaluation. Nous effectuons tous les trois ans des appels d'offre. En 2006 et début 2007, nous avons connu des soucis juridiques avec des organismes qui n'avaient pas été retenus aux termes des appels d'offre.

Il est vrai que, puisque nous sommes un des principaux commanditaires de prestations, lorsque nous décidons de changer de prestataire, la conséquence pour l'organisme non sélectionné peut être dramatique. Son existence même peut être mise en cause. J'avoue avoir été surpris, d'un point de vue strictement juridique, que les organismes du dispositif d'accompagnement de formations aient été écartés de l'appel d'offre de l'UNEDIC mais cette position a été validée par le juge.

M. Jean-Marie Marx - De nombreux organismes de formation, en particulier en milieu rural, qui étaient les seuls présents sur leur territoire, se sont fortement impliqués sur des opérations variées, comme celles à destination des jeunes par exemple. Ces structures ont développé des compétences évidentes dans le domaine de l'accompagnement du retour vers l'emploi de certains publics. Parallèlement, les entreprises de travail temporaire ont vu leurs possibilités d'intervenir sur le marché du placement s'ouvrir et être reconnues. Les organismes de formation présents aujourd'hui remplissent leur mission de manière tout à fait comparable à ce que réalisent les autres.

M. Christian Charpy - Nous passons des commandes dans le cadre des marchés de formation. Nous dépensons près de 500 millions d'euros chaque année. En ce qui concerne l'accompagnement des demandeurs d'emploi, nous sous-traitons cette prestation à des organismes de travail temporaire, à des organismes de formation, et parfois même à des organismes sociaux à caractère non lucratif. Nous ne connaissons pas de restriction. Au demeurant, j'estime paradoxal qu'au moment où nous décidons d'ouvrir le marché de l'accompagnement des chômeurs aux opérateurs privés, nous le restreignons en fonction des catégories d'intervention de ces personnes. En outre, le refus d'autoriser les organismes de formation à travailler dans le domaine du placement me paraît étrange. En effet, la meilleure manière d'évaluer l'efficacité d'une formation réside dans l'observation du taux de retour à l'emploi. Ces organismes me semblent donc naturellement intéressés à réaliser des prestations d'aide au retour à l'emploi.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette situation m'interpelle. Le seul critère qui paraît justifié une telle interdiction est de considérer que les organismes de formation risquent de ne pas chercher réellement à placer les personnes dans l'emploi, afin de les maintenir dans un cursus de formation, poussant ainsi l'ANPE, l'UNEDIC ou les régions à l'achat de stages.

M. Christian Charpy - Nous pourrions émettre les mêmes critiques vis-à-vis des entreprises de travail temporaire. Nous leur confions des gens en accompagnement de retour à l'emploi. Ils peuvent se constituer un fichier de demandeurs d'emploi susceptibles d'assurer des missions d'intérim auprès de leurs clients plutôt que de les insérer durablement dans l'emploi. Nous sommes extrêmement attentifs aux entreprises de travail temporaire qui réalisent des prestations d'évaluation de compétences professionnelles tout en étant prestataire de service pour l'UNEDIC. Nous veillons à ce que l'entreprise ne nous facture pas abusivement l'évaluation de compétences professionnelles pour les personnes prises en charge dans le cadre d'un accompagnement sous-traité par l'UNEDIC.

M. Jean-Claude Carle, président - Notre mission doit réfléchir à ce problème.

Messieurs, je vous remercie de votre éclairage sur les actions de l'ANPE. Nous attendons les données des évaluations de résultats dont vous nous avez parlé concernant le taux de retour à l'emploi des demandeurs d'emploi ayant bénéficié d'une formation.

Audition de MM. Claude COCHONNEAU et Christian DECERLE, vice-présidents, Patrick FERRÈRE, directeur général, et Mme Sylvie GIRAUD, chargée de mission, de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) (25 avril 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Madame et messieurs, je vous souhaite la bienvenue et sans tarder je vous cède la parole.

M. Claude Cochonneau - La problématique de la formation agricole est à aborder de deux manières différentes et complémentaires. La première approche se concentre sur les salariés et la seconde approche sur les exploitants. En général, les débats sur le renouvellement des actifs de ce secteur regroupent dans un même ensemble les exploitants et les salariés. Toutefois, tant en ce qui concerne les aspects de formation que pour la problématique du renouvellement, les deux niveaux de ces métiers restent différents.

A court terme, entre 2007 et 2010, 30 % des actifs agricoles atteindront l'âge de la retraite. Ce chiffre témoigne de l'ampleur du défi qui nous attend en matière de renouvellement des actifs en général, et conditionne notre réflexion sur l'évolution des formations. Par conséquent, aujourd'hui, nous souhaitons nous tourner vers des publics nouveaux.

Le secteur agricole présente deux particularités. Tout d'abord, il se compose de petites entreprises en matière d'emploi et de salariés. En effet, sur les 145 000 entreprises recensées, seules 3 500 emploient plus de dix salariés. Ensuite, notre salariat s'avère être hautement saisonnier. Sur les 1,2 million de salariés agricoles, 300 000 travaillent à temps plein et 850 000 ont le statut de saisonnier. Nos fermes se situant encore à la campagne, réparties sur tout le territoire national, l'emploi est par définition diffus. Le secteur agricole est d'ailleurs l'un des plus atomisés.

Aujourd'hui, la loi reconnaît la FNSEA comme la seule organisation représentative des employeurs de main-d'oeuvre en agriculture. Les dernières élections syndicales ont largement conforté cette position de leader que nous entendons assumer autant que par le passé.

Le premier type de démarche mis en place, la formation continue, peut constituer un bon outil d'insertion des jeunes. Les activités que notre secteur propose facilitent l'insertion par l'exercice de métiers divers, souvent à multiples entrées, dans lesquels les jeunes sont susceptibles de trouver leur place malgré des échecs scolaires répétés ou à l'issue de formations initiales générales. Leur insertion est d'autant plus facile que nous pouvons leur proposer une formation spécifique et pointue dans des domaines qu'ils souhaitent approfondir. Afin de favoriser l'insertion des jeunes, nous utilisons les outils de contrat de professionnalisation et les certificats de qualification professionnelle (CQP). La formation continue permet de fidéliser les saisonniers, qui représentent la majorité du salariat. Les entreprises consacrent beaucoup de temps à former des jeunes pour des tâches très courtes, s'étalant de quelques mois à quelques semaines, voire quelques jours. La formation professionnelle les spécialise et leur apporte un niveau de compétence qui leur donne envie de revenir et incite les employeurs à les réemployer en priorité par la suite. Ainsi, bien qu'ils n'aient pas du travail toute l'année, ils reviennent d'une année sur l'autre, parfois pour des saisons assez longues. Dans cette optique, nous avons engagé beaucoup de démarches localement afin de compléter à la fois les compétences et les saisons. Ainsi, un salarié pourra travailler une saison chez un maraîcher avant de poursuivre immédiatement chez un arboriculteur localisé dans un même périmètre géographique. Par conséquent, un emploi saisonnier d'une durée habituelle de un ou deux mois peut finalement aller jusqu'à six voire huit mois de travail dans une zone géographique raisonnable. Les employés sont donc tirés vers une durée de travail la plus longue possible.

Dans cet objectif, nous avons assoupli le congé individuel de formation, dont bénéficient les employés exerçant dans le cadre d'un contrat à durée déterminée (CIF-CDD), et créé le CIF professionnalisant pour les salariés en contrat à durée déterminée qui ne souhaitent pas immédiatement intégrer un cursus de formation longue. Afin d'améliorer également l'employabilité des salariés permanents, nous avons mis en place un système de majoration du droit individuel à la formation (DIF), permettant à un certain public d'y accéder plus facilement et pour une plus longue durée grâce à des transferts intra-branches du DIF, des périodes de professionnalisation, et des validations des acquis de l'expérience (VAE). Ces outils doivent valoriser l'emploi et les salariés, et les inciter à rester dans la branche. En effet, il est difficile de trouver les salariés, et ceux-ci ont souvent le statut de saisonnier. Les dispositifs mis en place nous permettent de les former, de les professionnaliser puis de les fidéliser dans la branche. Un tel processus aboutit parfois à la transformation d'un contrat saisonnier en contrat CDI. Par la suite, l'idéal serait de poursuivre la formation et d'augmenter leur niveau de compétences.

L'organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) national de la branche agricole, le fonds national d'assurance formation des salariés des exploitations et entreprises agricoles (FAFSEA), se charge de l'organisation de ces démarches, selon les orientations définies par la Commission paritaire nationale de l'emploi en agriculture (CPNE). Ce travail permet de bien répondre à la demande. Notre accord de formation professionnelle a obtenu la mutualisation entre les dispositifs afin de répondre aux besoins spécifiques de la branche, notamment en ce qui concerne la taille des entreprises. Il ne s'agit pas là de services à la carte, mais la diversité de nos entreprises interdit la mise en place de démarches identiques à celles des grandes branches de l'industrie et des professions libérales.

Les partenaires sociaux et les administrateurs nationaux et régionaux sont engagés dans la gestion et l'organisation des formations. Nous n'avons pas d'administrateurs spécifiques. Nous spécialisons nos administrateurs, mais ceux-ci assument d'autres missions extérieures. Ils jouent le rôle des professeurs de la formation que nous n'avons pas. Il n'y a d'ailleurs pas de financement spécifique pour les formations. Ces frais entrent dans le cadre général de nos syndicats. Nous gérons une collecte maîtrisée avec la MSA, qui reste un percepteur formidable malgré les reproches que nous pourrions parfois lui faire. Elle nous évite les pertes à la source : aujourd'hui, les entreprises cotisent à près de 100 % de leurs charges de formation. Nous avons aussi organisé la gestion prévisionnelle de l'emploi. Les partenaires sociaux ont mis en place un système de cotisation permettant de réunir des moyens pour faire de la prospective sur l'évolution de l'emploi, comme nous l'avions promis aux syndicats de salariés demandeurs dans le cadre d'un accord saisonnier. Aucune ressource publique n'étant disponible, nous avons créé nos propres ressources et avons accepté au niveau de la profession une contribution diffusée entre salariés et employeurs sur la base de moyens de gestion prévisionnelle mis en oeuvre tels que des études rendues publiques, adaptées pour évaluer l'évolution de nos besoins. Cela importe d'autant plus qu'au sein de la FNSEA, nous commençons à considérer que, si les problèmes de charges, la mondialisation ou encore la PAC, freinent le développement du secteur agricole, le déclin représente une menace encore plus dramatique. Aujourd'hui, nous communiquons de plus en plus vers les autres secteurs de l'économie et l'ensemble de la société afin d'attirer des travailleurs dans nos métiers. La formation contribue à l'attractivité du secteur, et permet à des individus issus d'autres milieux que le milieu agricole de s'y insérer. La formation professionnelle constitue un outil indispensable au métier.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci monsieur le président.

M. Christian Decerle - Bien que cette idée puisse paraître banale, il convient de rappeler que le métier d'agriculteur connaît une importante évolution, dans un environnement dans lequel chacun dépend des grandes décisions négociées sur les scènes nationale et internationale. Dans ce contexte, la formation professionnelle se révèle déterminante pour améliorer les capacités d'adaptation. La richesse de l'enseignement professionnel agricole en France se caractérise par son originalité et son efficacité extraordinaires et prouvées sur l'ensemble des territoires, dans le public comme dans le privé. Chaque futur exploitant agricole a pu trouver à proximité de son origine géographique la formation dont il avait besoin.

Jusqu'à aujourd'hui, l'évolution démographique avait sans cesse desservi les nombres de chefs d'exploitation. Désormais, la situation des actifs agricoles semble stabilisée mais menacée encore dans le temps. Le métier d'agriculteur évolue dans la mesure où les actes de gestion, d'administration, d'exploitation, de mise à jour des informations incitent le chef d'exploitation à déléguer davantage une partie de son travail à une main-d'oeuvre extérieure.

Le niveau de formation des agriculteurs a toujours été le niveau 4. Toutefois, il a toujours connu une forte augmentation. Aujourd'hui, de plus en plus d'exploitants s'installent avec un niveau BTS voire un diplôme d'ingénieur. Dans le cadre de la « formation tout au long de la vie », les exploitants agricoles auront à maintenir leur niveau de formation, de compétences, d'adaptation. A cette fin, ils bénéficieront des fonds de formation des chefs d'exploitation par l'intermédiaire de Vivea. Toutefois, cette partie de la formation nécessitera une attention particulière.

M. Patrick Ferrère - Comme l'a dit M. Cochonneau à propos du fonctionnement précis de la formation des salariés, les petites entreprises sont confrontées à de nombreuses difficultés. Elles peinent à faire payer leurs cotisations. Par conséquent, le régime agricole est payé par le régime social, la MSA. Ainsi, personne n'y échappe. En théorie, la formation professionnelle est éligible au mois de février pour la masse salariale de l'année suivant l'année actuelle. La MSA la paie à trimestre révolu. Les entreprises la paient également plus rapidement, dans la mesure où elles le font lorsqu'elles règlent leurs charges sur les salaires décaissés au cours du trimestre précédent. Un tel processus assure une certaine ressource financière, permettant qu'aucun des petits contributeurs ne soit délaissé.

Un autre problème vient du fait que les petits contributeurs n'ont pas à acquitter un congé individuel de formation. Il existait un organisme détenteur de fonds mutualisés pour faire de la formation. Cependant, celui-ci faisait face à l'époque à d'importantes difficultés au sujet de l'alternance et des congés individuels. Le congé individuel répond à la demande même des salariés. Dans certains secteurs en difficulté, tels que l'agriculture l'année dernière, les demandes de congés individuels visent en réalité à libérer du temps pour suivre une nouvelle formation. Si seules les entreprises de grandes tailles cotisent, un problème majeur s'impose. Le législateur a résolu ce problème en autorisant exceptionnellement la fongibilité et la mutualisation entre l'ensemble des activités. Tous les autres OPCA doivent normalement gérer de façon financièrement indépendante la section « plan de formation », la section « professionnalisation », la section « congés individuels de formation », et la section « congé individuel de formation pour les contrats à durée déterminée ». Les potentiels excédents des différentes sections sont attribués à l'État pour ceux de la section « plan », tandis que les autres vont au Fonds Unique de Péréquation (FUP). Ce fonds a remplacé AGEFAL/COPACIF. Dans la mesure où nous avons obtenu la fongibilité entre les dispositifs, nous n'avons plus à verser de fonds au FUP. En contrepartie, nous recevrons peu de fonds supplémentaires de l'ancien COPACIF ou de l'ancien AGEFAL. Il reste toutefois difficile de faire comprendre à une myriade de petites entreprises les nécessités et avantages des formations.

Un petit employeur a besoin de formation et ignore l'essence de celle-ci. Il est continuellement confronté à des problèmes. Par conséquent, notre tâche a été de laisser s'exprimer ces individus sur leurs problèmes et d'analyser les impacts d'un acte de formation sur la résolution de leurs difficultés. Par exemple, les rosiéristes de Doué-la-Fontaine n'estiment pas avoir besoin de formation pour leurs salariés. Pourtant, aujourd'hui, ils sont confrontés au fait que les grandes surfaces dévalorisent le produit rosier. Les rosiéristes préfèrent alors se concentrer sur la vente directe sur exploitation. La vente sur exploitation augmente la responsabilité du salarié dans la serre ou sur le terrain. Il doit également apprendre à accueillir du public et à vendre. La formation du salarié aiderait les exploitants dans cette démarche. Dans chaque région, les employeurs reçoivent gratuitement un catalogue de formations « plan mutualisé » détaillé secteur par secteur. Ils soumettent alors leurs salariés à ces formations. La prise en charge pédagogique est gratuite et les frais annexes et les salaires sont remboursés sur une base forfaitaire. Ce travail est effectué dans le cas d'un OPCA national, mais la déconcentration du processus en améliore l'efficacité. Le national commande tout mais délègue une enveloppe financière par section, en plan de formation par exemple. Il applique des critères objectifs, tels que la masse salariale, le nombre d'entreprises ou de salariés, et répartit l'enveloppe région par région. Chaque commission régionale, composée de partenaires sociaux, rediscute de leurs objectifs et des instruments qu'ils envisagent de mettre en oeuvre. Des collaborateurs les accompagnent et les soutiennent dans la gestion des appels d'offre à lancer en fonction des besoins exprimés, dans l'ensemble du processus d'accompagnement des employeurs et des salariés et dans la mise en place des dispositifs. Du fait de la déconcentration du système, ces collaborateurs ne bénéficient que d'un pouvoir d'accompagnement local. Ils ne détiennent aucun pouvoir décisionnel. En effet, par définition, un OPCA national est chargé de gestion au niveau national. Toutefois, il est avantageux de soumettre les partenaires sociaux régionaux face à une enveloppe déterminée, d'objectifs spécifiques et de priorités à arbitrer. En effet, la limitation des ressources les conduit à chercher des cofinancements auprès des autorités régionales. Les chiffres 2005 du FAFSEA reflètent ce succès : plus de 30 millions d'euros provenaient des cofinancements de partenaires régionaux. Les partenaires sociaux bénéficiaires d'une enveloppe savent qu'ils peuvent réaliser un nombre de stages précis. Pour pouvoir augmenter le nombre de stagiaires, ils devront faire part de leurs besoins supplémentaires aux régions. Les autorités acceptent plus aisément de délivrer des financements lorsque les demandes sont justifiées. Elles ne refusent généralement pas de soutenir l'effort de formation, par les stages en particulier.

L'agriculture a été pionnière en matière de formation dans les petites entreprises. L'accord collectif étendu de 1982 a en effet créé une obligation par la MSA de mise en place de fonds pour les plans de formation concernant l'ensemble des petites et grandes entreprises. La loi ne l'a rendu obligatoire pour toutes les petites entreprises que dix ans après. Notre savoir-faire dépassait cependant celui d'autres secteurs.

Il est difficilement possible de disposer de partenaires autres que les OPCA ou les secteurs professionnels capables de négocier. Aujourd'hui, les opérateurs sont si disséminés qu'il devient malaisé de trouver des partenaires prêts à engager des « process intelligent formations ». La tentative de fixer les populations sur un territoire est ardue. En montagne, certains travailleurs sont salariés agricoles pendant six mois avant de s'occuper du remonte-pente les six mois suivants. La formation ne prépare généralement qu'à une unique activité. Le salarié agricole recevra une formation agricole qui ne le préparera pas à effectuer une seconde activité. De la même façon, s'il est serveur dans un restaurant, il paiera dans un OPCA qui refusera de payer sa formation pour rejoindre le secteur agricole par la suite. Pour résoudre ces difficultés, il conviendrait de trouver des opérateurs moins nombreux ou des passerelles plus faciles. Dans ces cas particuliers, les possibilités de fixer les gens sur un territoire sont bloquées. Le système reste jusqu'à présent incapable de répondre aux besoins complémentaires, mais répartis sur plusieurs secteurs d'activités, d'un même individu.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Les difficultés et appréhensions que vous éprouvez pour l'avenir sont claires. Toutefois, je m'interroge plus précisément sur les perspectives d'emploi et les besoins de formation professionnelle. Quels sont, en outre, les systèmes concrets facilitant les reconversions dans le secteur agricole ? Je pense également aux jeunes en difficulté qui, après une phase de remise à niveau, ne poursuivraient pas nécessairement leur parcours dans l'agriculture.

M. Claude Cochonneau - Les réformes actuelles tiennent compte du fait que, jusqu'à présent, les salariés étaient souvent issus du milieu agricole. Il s'agissait d'aides familiaux ou encore d'exploitants qui avaient fait de mauvaises affaires. Malheureusement, nous ne sommes pas les seuls à recruter dans ce milieu. L'agriculture subit la concurrence du bâtiment et des travaux publics. Or généralement, ces personnes savent aussi bien manipuler un engin agricole qu'un engin de travaux public ou que des engins sur les autoroutes et les chantiers. Notre vivier, déjà réduit, est sollicité par d'autres secteurs. Ceux-ci proposent souvent des conditions salariales et de travail plus attractives que les nôtres. Dans le contexte économique actuel, nous ne pouvons malheureusement pas mettre à profit le système et offrir des salaires plus attractifs pour récupérer ces travailleurs.

Hier, les formations organisées visaient un public de professionnels de l'agriculture. Aujourd'hui, les programmes tiennent compte d'un public différent. Sur quinze jeunes en formation, quatre ou cinq peuvent être issus du milieu agricole et connaître le milieu, quand les autres arrivent de métiers différents.

Nous faisions et continuons à faire de l'insertion sans le savoir. Beaucoup de métiers saisonniers n'exigent pas de qualification particulière de base. Tout le monde peut y participer. Ainsi, lorsque les gens employés pour les cueillettes effectuent leur tâche, quel que soit leur niveau de formation, qu'ils possèdent le brevet ou le bac, qu'ils soient étudiants ou chômeurs, ils seront jugés sur le nombre de caisses remplies à la fin de la journée. Nous ne leur demandons rien d'autre. En réalité, beaucoup de personnes se retrouvent et retrouvent des repères dans les métiers de cueillette, alors qu'ils se sentiraient vraisemblablement perdus dans d'autres métiers. Nous faisons donc de l'insertion sans nous en rendre compte. Nous nous posons actuellement la question d'une insertion volontaire et plus poussée. Certaines entreprises se spécialisent dans cette activité, comme par exemple des entreprises de légumes. Elles ciblent leur public de salariés. Leurs résultats s'avèrent pour l'instant assez probants. Le secteur agricole, notamment la cueillette, présente l'avantage d'offrir des missions relativement simples et quantifiables sur une journée. Les travailleurs en difficulté trouvent plus facilement de nouveaux repères que s'ils effectuaient un travail dans un garage ou à la chaîne, dans lequel ils ne verraient pas nécessairement le but concret de leur mission. A la fin de la journée, voire à la mi-journée, les cueilleurs savent se positionner par rapport à leurs collègues en fonction de la quantité amassée. Parfois, les cueilleurs ne font qu'une demi-journée. Ainsi, un viticulteur du bordelais a vu un de ses salariés quitter l'exploitation après une demi-journée. En viticulture, on voit des salariés quitter l'exploitation après une demi-journée de vendanges. Certains jeunes qui viennent vendanger réalisent en effet que cette tâche ne leur correspond pas.

Afin d'améliorer l'insertion, nous mettons également en place, en partenariat avec le FAFSEA, des dispositifs de lutte contre les problèmes d'illettrisme ou de maîtrise de la langue française. Les liens existant entre le métier et la nature, et la relative simplicité des tâches, facilitent l'apprentissage de choses basiques, comme la réception d'ordres écrits. Prenant conscience de ces effets, nous nous professionnalisons dans notre rôle d'insertion.

M. Bernard Seillier, rapporteur - J'imagine que l'opération de lutte contre l'illettrisme est pilotée à l'échelle nationale.

M. Claude Cochonneau - Cette opération est gérée à la fois aux niveaux local et national. Toute initiative peut être nationale, mais il y a nécessairement une réalité locale. Parfois une initiative locale nous incite à mettre en place une stratégie nationale, et à la redéployer par ailleurs. Parfois l'initiative nationale se déconcentre au niveau local.

M. Christian Decerle - Les effectifs d'enseignement professionnel agricole restent constants, avec une part de fils d'agriculteurs en constante diminution. Le public accueilli a donc évolué. Il est important de noter que les jeunes diplômés de ces écoles trouvent pour 80 % d'entre eux un emploi stable dans le secteur agricole ou para-agricole dans les quatre ans suivant la fin de leurs études. L'enseignement professionnel agricole contribue à accueillir et à bien orienter les jeunes.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Les enseignements sont-ils adaptés en permanence en fonction des besoins, en procédant, le cas échéant, à certains regroupements ? Toutes les formations donnent-elles lieu à une certification ? Existe-t-il un diplôme dans le domaine de la VAE ?

M. Christian Decerle - Une commission professionnelle consultative se réunit au niveau du ministère de l'agriculture. Elle fait régulièrement le point sur l'évolution et la réadaptation des diplômes. Ces processus sont aussi longs que lourds mais les formations s'adaptent de fait. L'originalité de l'enseignement agricole vient de la combinaison de l'alternance, de l'apprentissage, et de la valorisation des acquis de l'expérience capitalisable. L'adaptation de la formation permet de personnaliser les parcours de formation en fonction des profils mais pour qu'ils s'achèvent néanmoins tous sur le même diplôme.

M. Bernard Seillier, rapporteur - La mutualisation est-elle suffisamment large ?

Mme Sylvie Giraud - Tout dépend des certifications. Certaines ne sont éligibles qu'à un diplôme. La logique n'est pas la même en formation initiale, contrat de professionnalisation ou alternance. Les publics varient, mais les centres de formation ont intérêt à viser plusieurs publics afin d'augmenter leur rentabilité.

Outre les certifications d'État, la branche agricole de la commission nationale paritaire de l'emploi (CPNE) a créé les CQP. Elle est désormais chargée de mettre en place cette certification dont la profession s'est emparée. Le processus est beaucoup moins long, dans la mesure où aucune connaissance générale n'est exigée. L'apprentissage des mathématiques, du français ou de l'histoire-géographie disparaît au profit d'un enseignement pratique et essentiel. Le CQP se décompose en modules : un coeur de métier est commun à toute la France, puis les régions s'adaptent selon leurs spécificités. Les pratiques du CPQ en viticulture diffèrent en Alsace, en Bourgogne, en Aquitaine, en Languedoc ou en PACA. Les partenaires sociaux locaux s'emparent de ces modules pour créer leurs propres modules que nous validons à l'échelle nationale. Une grande souplesse existe. Les publics ne rentrent pas en formation longue telles que les formations diplômantes. Les centres de formation, encore essentiellement concentrés sur les formations professionnelles continues même si les VAE se multiplient, peuvent moduler à l'échelon local les référentiels et effectuer des positionnements des stagiaires avant l'entrée en formation. Ce système fait preuve d'une réelle flexibilité. L'accord formation professionnelle continue du 2 juin 2004 a fait une place déterminante à la VAE, à laquelle le FAFSEA a dédié des financements. Un barème de prise en charge des certifications professionnelles a été établi et le forfait d'accompagnement ne concerne pas exclusivement les centres d'accompagnement. Nous souhaitons essentiellement soutenir les salariés qui ne sont pas équipés d'ordinateurs ou de photocopieuses. Nous voulons rendre les échanges et les déplacements possibles. La CPNE a réellement pris en compte la typologie des publics pour s'adapter. Les jurys ont également été pris en charge par la création de fonds dédiés à leur formation et à l'exercice de leur mission de jury. En effet, sans un jury composé de professionnels en activité, le processus de certification devient inutile.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous avons vu que le secteur de l'agro-alimentaire bénéficiait d'un système de formation spécifique. La double activité des saisonniers est-elle prise en compte en formation initiale ?

Mme Sylvie Giraud - Les saisonniers traversent différents secteurs pour y effectuer des saisons. Ainsi, en Bretagne, des collaborations sont organisées avec les stations de ski. Cependant, de telles organisations restent compliquées à mettre en oeuvre. Les publics ne sont en rien comparables, ce qui influe sur les formations dispensées. Il reste toujours possible de trouver des domaines transversaux. La mise au travail, la communication, la prise de responsabilités, la prise de notes, les consignes, concernent tous les métiers. Toutefois, la spécificité du métier à la tâche empêche les rapprochements : gérer une remontée mécanique et cueillir une pomme requièrent des compétences incomparables.

M. Patrick Ferrère - Dans le secteur agroalimentaire, la loi de 1994 sur la réforme de la formation professionnelle a conduit, avec la création des OPCA, à un nombre déclinant d'organismes mutualisateurs. L'objectif était de développer des organismes qui pouvaient obtenir cent millions de francs de collecte. En 2006, selon les chiffres, le FAFSEA avait récolté près de 150 millions d'euros. Cela n'est toutefois pas représentatif de la masse salariale, essentiellement agricole. Hors de l'agriculture stricto sensu, c'est-à-dire la production agricole, au sein du FAFSEA, se retrouvent les vins et spiritueux tels que les champagnes, les maisons de Cognac, Pernod-Ricard, mais aussi tout le monde forestier, réunissant les entreprises de travaux forestiers et l'office national des forêts (ONF), l'ensemble du monde du cheval et tout le monde des courses. Le FAFSEA joue aussi le rôle d'opérateur du PMU, du PMH, de l'ensemble des sociétés de courses et des hippodromes. Enfin, certaines activités annexes sont à la limite du secteur agricole : les parcs zoologiques, le paysage, les entreprises de travaux agricoles et forestiers et les espaces verts. Ainsi, une partie de l'agroalimentaire, notamment les vins et spiritueux, se regroupe au sein du FAFSEA. L'agroalimentaire lui-même se compose de l'agroalimentaire coopératif qui est un OPCA 2 et l'agroalimentaire privé qui est à l'AGEFAFORIA. Le problème de l'industrie agroalimentaire, coopérative ou privée, vient de l'éclatement d'un secteur plus important que celui du secteur agricole. Cet éclatement est dû à la grande puissance des fédérations de branches socialement autonomes. Ainsi, si nous signons, nous engageons les fédérations de producteurs de blé, de lait ou de fruits. Les producteurs de l'Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA) jouissent d'une plus grande liberté. Si les vins et spiritueux souhaitent aller au FAFSEA, ou si la meunerie va à la l'AGEFO-PME, il n'est possible que de le constater. Tous les secteurs de l'industrie agro-alimentaire n'appartiennent pas à l'AGEFAFORIA.

Deux éléments posent un problème dont l'issue n'est pas prévisible.

La loi de 1994 a pu laisser penser que le législateur voulait donner la priorité à la notion de branche. Il demandait aux branches de s'organiser au travers d'organismes collecteurs. Le droit du travail dispose qu'un secteur professionnel incapable de s'organiser tombe dans l'interprofession qui joue le rôle de facto de voiture-balai. Aujourd'hui, en réalité, des secteurs organisés choisissent l'interprofession comme opérateur. Cela pose un réel problème. Certains secteurs considèrent l'AGEFOS-PME et les OPCA comme des ennemis publics qui chassent l'entreprise pour accumuler des cotisations sans adopter de démarche professionnelle. Ils agissent sous la tutelle de ces PME ou de partenaires sociaux inscrits dans des démarches de formation professionnelle continue, dans l'intérêt tant des employeurs que des salariés. Ces démarches globalisantes ne prennent pas en compte les toutes petites entreprises. Prendre en compte la masse salariale qu'elles représentent ne serait pas rentable : ainsi, aller chercher les 0,2 % de masse salariale que représente un vendeur de chaussures en bas de la rue de Seine coûterait plus que cela ne rapporterait, si l'on prenait en compte l'envoi du dossier, l'élaboration des documents, le dépôt du chèque. En revanche, se battre pour récupérer une très grosse entreprise comme Danone et faire du hors champ en démarchant les plus grandes entreprises, peut rapporter une somme non négligeable.

Le second problème vient de la définition de la masse critique qui caractérise le bon opérateur. Dès 1997-1998, la DGEFP a pris conscience que les 100 millions de francs prévus devraient plutôt s'élever à 400 millions. Une somme plus faible entraverait la fiabilité. Les frais de gestion représentent déjà une grosse somme et cela n'a pas changé depuis 1994. Le législateur aurait dû concentrer afin de rendre les choses plus cohérentes, puissantes, et permettre un travail efficace sur l'ensemble des territoires.

A ces deux difficultés majeures s'ajoutent d'autres problèmes. Le ministère de l'agriculture est devenu ministère de l'agriculture et de la pêche. Les sénateurs ont créé une loi incitant les partenaires sociaux à créer un OPCA des cultures marines. Cet OPCA représentait à sa création 5 millions de francs de collecte. Des pêcheurs et des marins cotisent donc dans un OPCA qui représente 5 millions de francs et qui emploie une personne à tiers temps dont le bureau se situe sur la criée de Concarneau. Une action de formation coûte très chère. La France est relativement éclatée, et la plupart des activités, sauf peut être les industries minières, se répartissent sur l'ensemble du territoire français. D'importants moyens sont nécessaires pour pouvoir rendre service aux entreprises, même lorsqu'elles siègent dans un endroit éloigné du coeur économique.

Le FAFSEA a un contrôleur d'État et un commissaire du Gouvernement, depuis l'époque où il touche des fonds publics. Les partenaires sociaux n'ont pas souhaité demander leur suppression. Au contraire, compte tenu des masses financières gérées, nous plaidons pour que soient maintenus ces deux fonctionnaires. Nous en avons d'ailleurs déjà eu besoin pour remettre les choses en place il y a quelque temps.

Enfin, l'interprofession, dont nous ne faisons pas partie, a signé un accord sur la formation professionnelle afin d'utiliser 0,75 % des fonds de formation professionnelle pour alimenter le FONGEFOR dont les partenaires sociaux de l'interprofession se partagent l'argent. A la FNSEA, une telle chose n'existe pas. Les partenaires sociaux ne sont indemnisés qu'à partir du moment où ils assistent à des réunions sur convocation. Il n'y a aucun fonds de formation professionnelle affecté dans une bourse partagée entre les partenaires sociaux. Le FAFSEA a été mis en place de façon parfaitement transparente et en collaboration avec les partenaires salariés. De ce fait, le salarié qui vient aux réunions convoquées par le FAFSEA, est sous le statut d'un organisme paritaire. Par conséquent, son salaire est pris en charge et remboursé à l'employeur, de même que ses frais de déplacement. Cela assure la présence régulière des salariés en activité professionnelle à nos réunions. Ils n'ont plus de raison valable de ne plus y assister. Nous avons préféré maintenir cette organisation afin d'éviter que l'argent ne soit partagé entre l'ensemble des partenaires salariés sans que les gens qui font fonctionner l'organisme en bénéficient.

M. Bernard Seillier, rapporteur - De telles observations nous intéressent beaucoup dans le cadre de cette mission.

M. Alain Gournac - Qui, du fournisseur ou de la branche, prend en charge le matériel de plus en plus sophistiqué ? Les fils ne reprennent plus automatiquement les fermes de leurs parents. Comment formez-vous concrètement l'individu qui prendra la relève ? Qui fait de la formation à la défense de la nature, à l'utilisation de produits moins agressifs ? A qui fait-on appel lorsque l'on a besoin d'un regain de formation ? Vous référez-vous à la région, au département, à un pôle central, ou envoyez-vous quelqu'un dans les exploitations ?

M. Claude Cochonneau - Les marchands de matériel n'assurent pas la formation. Seuls les chefs d'entreprise ou les exploitants se préoccupent de la formation du salarié. Les programmes en tiennent compte. Ainsi, lorsque sont arrivées les machines à vendanger, toutes fonctionnaient de la même manière. Le FAFSEA a évidemment organisé des stages de conduite et entretien de la machine à vendanger. Les programmes de formation sont élaborés par les administrateurs locaux. Ils se réunissent avec les salariés, présentent les nouvelles actions de formation du catalogue, évaluent le développement technique et envisagent différentes formations en fonction de ces nouveautés. Les formations se déroulent à l'échelle régionale. Un catalogue est diffusé dans chaque région avec des fiches d'inscription recensant les centres de formation régionaux, l'objectif étant d'éviter autant que possible les frais de déplacement. Il arrive également que le formateur se déplace.

Les réglementations évoluent très rapidement dans le domaine environnemental. Nous proposons des formations spécifiques.

M. Alain Gournac - Dans la mesure où les sénateurs réglementent, je connais les directives à ce sujet. Toutefois, je souhaiterais connaître leur impact, et les nouveaux produits qui peuvent se développer.

M. Claude Cochonneau - Les catalogues proposent des formations spécifiques, pour l'utilisation des produits phytosanitaires dans la vigne par exemple. De nombreuses précautions sont prises pour protéger à la fois les personnes et la nature. Ce type de formation est bien intégré dans les mentalités.

M. Jean-Claude Carle, président - Qu'en est-il de l'impôt à la reprise ?

M. Claude Cochonneau - Nous avons des CIF. Régulièrement, dans le cadre de nos deux fonds de formation, nous acceptons des congés individuels de formation dont la perspective est d'acquérir le niveau de formation suffisant pour devenir exploitant et bénéficier des aides à l'installation.

M. Jean-Claude Carle, président - Cela vaut pour la recherche de succession. Il y a également des programmes régionaux d'installation.

M. Patrick Ferrère - Aujourd'hui, de plus en plus de jeunes qui s'installent passent par des périodes de salariat dans la mesure où l'aide familiale n'existe plus. Les fils d'agriculteurs ont un statut de salarié, soit chez leurs parents, soit dans une exploitation voisine. Ayant acquis des droits de salariés, des systèmes de congés individuels de formation leur permettent de bénéficier de formations diplômantes et de se préparer à des diplômes tels que le certificat de capacités agricoles et rurales (CCTAR) leur permettant de gérer une entreprise.

En ce qui concerne l'amortissement du matériel, il convient d'abord de remarquer que le FAFSEA comme Vivéa fonctionnent avec un système d'appels d'offre. Pour la machine à vendanger, par exemple, les exploitants émettent le souhait de former leurs salariés à cette nouvelle machine. Les collaborateurs du FAFSEA sélectionnent alors deux ou trois centres de formation en capacité de répondre. En réalité, le monde de la formation devient de plus en plus concurrentiel et professionnel. Aujourd'hui, le prix du matériel, de même que celui des CD ou des DVD, rentre dans le coût pédagogique. La multiplicité des stages permet pour le centre de formation d'amortir le prix de cet investissement. Parfois, des agriculteurs acceptent d'être également formateurs. Ils acceptent alors des gens sur leurs propres exploitations et utilisent leur propre matériel, davantage sophistiqué.

M. Alain Gournac - Je suis allé dans une ferme et j'y ai vu du matériel incroyable. Ils utilisent l'informatique, je m'en doutais. Mais j'ai vu des choses extraordinaires.

Mme Isabelle Debré - Finalement, des jeunes de vingt-quatre ou vingt-cinq ans ont aujourd'hui parfois besoin d'une formation sans rapport avec l'agriculture. J'ai été surprise de voir le niveau actuel de formation nécessaire.

Mme Sylvie Desmarescaux - Originaire des Flandres intérieures, région encore très agricole, je rencontre des agriculteurs qui se disent envahis par la lourdeur des dossiers. Des formations existent-elles pour ces agriculteurs, pour les employeurs ou les cultivateurs ?

M. Christian Decerle - Les agriculteurs bénéficient en tant que chefs d'exploitation d'un fonds de formation pour lequel ils cotisent. Ils restituent des fonds dans les régions et les départements. Il appartient aux élus d'administrer et d'orienter ces fonds de formation. Un groupe d'agriculteurs confrontés à des complexités de cet ordre et souhaitant se donner les moyens d'y répondre plus facilement peut obtenir des financements.

M. Patrick Ferrère - Il est important de ne pas mélanger développement et formation dans l'agriculture. Il existe un impôt correspondant à un pourcentage du chiffre d'affaires fait par tous les agriculteurs, payé annuellement vers le mois d'avril, au moment de leur récapitulatif de TVA, et affecté à un compte d'affectation spécial du trésor. Cet argent contribue au développement, c'est-à-dire à la fois à la vulgarisation, à l'accompagnement personnel ou encore à la recherche appliquée. Les chambres d'agriculture, au même titre que certains organismes prévoyant de déposer des projets sur ce sujet, sont accompagnées par ces financements. Depuis la réforme de 1994 sur la formation professionnelle, il semble impossible d'agir à la fois en matière de développement et de formation. Un dossier actuellement en réalisation permettra aux agriculteurs d'utiliser un petit mémento pour remplir leur déclaration PAC sur Internet. A chaque étape, il leur sera expliqué la procédure à suivre et les informations à donner pour éviter de devoir recommencer au début. Un tel travail est financé par le développement. Toutefois, il ne devrait pas donner lieu par la suite à des dépenses de formation au travers de Vivea, dans la mesure où des agents dans les chambres et dans les organisations professionnelles sont payés pour effectuer ce travail de vulgarisation. Il s'agit bien d'une formation, mais dans le domaine du développement, puisque le but est de rendre l'agriculteur plus autonome dans la gestion de son exploitation.

M. Yann Gaillard - J'ai été alerté par l'allusion faite dans cet exposé à la forêt. Je conçois fort bien qu'elle fasse partie du monde agricole, tant pour les entreprises de travaux forestiers que pour les forêts privées. Toutefois, vous avez évoqué l'ONF, alors qu'il s'agit d'un établissement public.

M. Patrick Ferrère - En effet, l'ONF est un établissement public. Tous les cadres sont fonctionnaires, donc de statut public. En revanche, les ouvriers sont tous de statut privé. Cela explique les problèmes de représentativité syndicale que l'on peut rencontrer. L'ONF comptabilise 6 000 contrats de travail pour les ouvriers. Ceux-ci auraient la maladie de la main bleue à force de tenir la tronçonneuse, mais tous sont de droit privé. L'ONF paie le FAFSEA pour la masse salariale de ces ouvriers, mais non pour les salariés de droit public, bien évidemment.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie d'être venus jusqu'à nous. Si vous souhaitez transmettre des documents supplémentaires ou contributions écrites, nous travaillons jusqu'en juillet sur ce dossier.

Audition de Mme Laurence PAYE-JEANNENEY, administratrice générale et M. le recteur Jérôme CHAPUISAT, directeur délégué, du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) (25 avril 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Mesdames et messieurs, notre mission d'information est composée de représentants des commissions des finances, des affaires sociales et des affaires culturelles du Sénat. Nous travaillons depuis plus de deux mois et souhaiterions remettre nos conclusions dans le courant du mois de juillet. Nous sommes heureux que vous ayez accepté de nous rejoindre. Nous vous donnons la parole pour exprimer vos points de vue au sujet de la formation professionnelle avant que le rapporteur et les autres sénateurs ici présents ne vous posent des questions.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Je vous ai apporté quelques dossiers concernant l'établissement. J'administre le Conservatoire national des arts et métiers qui mériterait de jouir d'une plus grande notoriété. Le CNAM est un établissement d'enseignement supérieur vieux de deux siècles. Il a été créé par l'abbé Grégoire en pleine Révolution afin d'éclairer l'ignorance des plus pauvres et de développer les sciences neuves et utiles. Plus de deux siècles après sa création, l'établissement reste dédié à la formation professionnelle supérieure tout au long de la vie. Je vous remercie de nous auditionner parce que nous nous sentons particulièrement concernés par les problématiques aujourd'hui traitées. Comme dans tout établissement universitaire, à côté de la formation professionnelle est organisé un pôle de recherche. Cette recherche, ouverte sur le monde professionnel, correspond à la recherche partenariale et technologique. Traditionnellement, le CNAM abrite en son sein le Musée des arts et métiers, que je vous recommande de visiter si vous ne l'avez pas encore fait. Il remplit donc une mission de diffusion de la culture scientifique et technique. Ces trois missions de formation, recherche et diffusion, justifient que le conservatoire conserve son nom. Il a été créé dans l'idée que tout inventeur devait déposer en un lieu, sous vitrine, un exemplaire de son invention, avant d'expliquer le processus d'invention devant un amphithéâtre. Les amphithéâtres étaient à l'époque déjà ouverts à tous les concitoyens. Ils se retrouvaient régulièrement au cours de leçons du dimanche qui faisaient recettes à Paris. En l'an 2000, nous avons renoué avec cette tradition en abritant l'Université de tous les savoirs. Tous les jours de l'année 2000 sans exception, une conférence de très haut niveau sur les sciences et les techniques s'est tenue. Depuis, sous diverses formes, nous organisons plus de 300 événements par an ouverts au grand public.

Le CNAM est un établissement d'enseignement supérieur placé sous la tutelle du ministère de l'éducation nationale, mais entièrement dédié à la formation professionnelle supérieure. Pour assister aux cours du conservatoire, il faut pouvoir justifier au minimum du niveau baccalauréat et être sur le marché de l'emploi, en activité ou en cessation d'activité. Il n'y a aucune condition de diplôme mais un niveau minimum est requis. Le CNAM est un établissement original dans la mesure où, contrairement aux universités, locales, implantées dans un lieu, l'établissement est réparti sur l'ensemble du territoire, et même outre-mer, jusqu'à la Nouvelle-Calédonie. Cela justifie l'expression « Le soleil ne se couche jamais sur le CNAM ». Il se divise en vingt-huit centres régionaux placés sous la compétence des régions. Le CNAM est un établissement de l'enseignement supérieur, fonctionnant en réseau entre un établissement public financé par l'État et un réseau de centres régionaux, auquel s'ajoutent quelques centres à l'étranger. Ils sont organisés sous forme d'association. En effet, la formation professionnelle étant de la compétence des régions, le système d'association permet aux régions de financer par subventions publiques à part entière les centres régionaux ne recevant aucune subvention de l'État. L'État ne finance que la maison mère, la tête de réseau chargée de la conception de l'offre. Dans le domaine de la formation, l'offre est dispensée sur l'ensemble du territoire sous la responsabilité de l'établissement public, responsable du contrôle qualité. Toute formation dispensée, lorsqu'elle est validée par un certificat ou un diplôme, l'est par l'administrateur général lui-même, sous le contrôle des professeurs de l'établissement public. Il s'agit donc d'une des missions des enseignants du CNAM. Comme les professeurs au Collège de France, les professeurs titulaires de chaires bénéficient d'un service allégé parce qu'ils assument la conception, la validation et la qualité de toute l'offre dispensée sur l'ensemble du territoire.

Le CNAM est une université des métiers. Afin d'optimiser la formation professionnelle, il est ouvert sur divers secteurs d'activité. Le CNAM correspond en fait au Collège de France des techniques. Enfin, il est une université de la deuxième chance. Cet établissement a longtemps joué le rôle de fer de lance de la promotion supérieure du travail, et il demeure aujourd'hui le premier établissement dispensant une formation tout au long de la vie dans le domaine professionnel. Nous employons le terme d' « auditeurs » pour insister sur le fait que les individus assistant aux cours ne sont pas des étudiants. Nos auditeurs peuvent être actifs ou en cessation d'activité, mais sur le marché de l'emploi. Ils viennent chercher des compétences dans notre établissement. Dans un tel système, il est nécessaire qu'ils puissent obtenir un diplôme. Ainsi, comme toute université, nous délivrons licences, masters, et doctorats (LMD) traditionnels de l'État ainsi que les certifications recensées dans le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Nous délivrons également des certifications et des diplômes d'établissement.

Même si les missions du CNAM sont trop mal connues, il est ouvert sur tous les secteurs. Contrairement à la croyance selon laquelle notre établissement forme seulement les techniciens souhaitant devenir ingénieurs, formation qui fut longtemps la gloire de la maison, les deux tiers de nos élèves suivent aujourd'hui des enseignements dans les champs les plus actuels et qui offrent le plus d'emplois. Il s'agit plus précisément des domaines de l'économie, de la gestion, de l'informatique et des services. Aujourd'hui, un quart seulement de nos formations sont dispensées dans le secteur industriel. Le CNAM s'adapte aux besoins du marché de l'emploi. Son organisation lui permet d'ailleurs de répondre à la demande. Nous sommes capables de proposer des formations en fonction des besoins, des demandes régionales et locales. Notre ambition est d'irriguer le territoire et de nous imposer comme partenaires des régions. Nous accompagnons le développement des territoires. Pour cela, nos centres régionaux pilotent un dispositif de centres d'enseignement. Les 150 établissements doivent aller au plus profond des territoires, notamment dans les villes moyennes où l'accès à la formation professionnelle et supérieure reste fortement limité. En effet, les universités sont très majoritairement localisées dans les grandes villes.

Notre ambition est de permettre à tout auditeur d'accéder à toutes les offres du CNAM. La formation se déroule soit dans les locaux de l'établissement, soit, grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), sur le lieu de travail, à domicile ou dans le lieu que l'auditeur choisit. Les NTIC ont élargi les méthodes pédagogiques. Toutefois, la formation dans les établissements du CNAM est essentielle. Nos auditeurs ont besoin d'un accompagnement. Les NTIC doivent permettre d'enrichir les heures de présence au CNAM et d'éviter de trop fréquentes séances de regroupement qui représentent parfois une difficulté pour les individus en activité. Il y a peu de temps encore, nous dispensions davantage de cours du soir. Aujourd'hui, avec l'évolution du temps de travail, ces cours du soir ont été remplacés par des cours « hors temps de travail », qui ont parfois lieu dans la journée. Le CNAM, établissement très en pointe depuis toujours, s'organise en modules de formation pour que les élèves puissent venir ou partir au gré de leurs besoins. Les auditeurs n'ont pas de parcours linéaires, ils viennent et reviennent. Bien avant la mise en place des cursus modulaires en universités, le CNAM proposait déjà un système d'enseignement par unités de valeur.

Le CNAM compte aujourd'hui 85 000 auditeurs répartis dans l'ensemble des centres régionaux. Certains établissements se sont développés à l'étranger où la demande d'exportation du modèle est très forte. Il n'existe pour le moment pas d'équivalent du conservatoire à l'étranger. Nous sommes les seuls à proposer ce modèle consacré à la formation professionnelle supérieure tout au long de la vie avec un statut d'établissement et d'université mais néanmoins déployé avec des partenaires tels que les collectivités territoriales, et notamment régionales, et le monde économique et social. Les centres régionaux vont chercher sur le terrain les compétences dont ils ont besoin pour constituer le corps enseignant. Les centres régionaux gérés par les associations recrutent à la fois dans les universités locales et dans le monde professionnel. Le fonctionnement sous forme d'association rend optimale notre capacité d'adaptation, plus forte que si nous avions des établissements publics employant des fonctionnaires exerçant au même endroit tout au long de leur carrière. Les régions et nos partenaires et même notre tutelle ne comprennent pas toujours les avantages de l'association et négligent les centres du CNAM par rapport aux universités traditionnelles. Nous essayons d'expliquer aux collectivités que le CNAM est le seul établissement d'enseignement supérieur déjà détenteur de compétences décentralisées. Lorsque je les rencontre, je leur explique qu'il est dommage de ne pas exploiter plus ces avantages.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous ferons passer le message.

M. Jérôme Chapuisat - Afin de vous donner un complément d'information se rapportant spécifiquement à l'objet de votre commission, j'ai ajouté au dossier qui vous a été transmis un document synthétisant le coeur et l'originalité de notre mission de formation professionnelle supérieure. Cet exercice est intéressant dans la mesure où il permet de préciser les méthodes utilisées pour dépasser les traditionnelles distinctions entre formation initiale et formation continue, entre différentes modalités de formation, donnant une consistance particulière à une mission historique qui s'est maintenue constamment au cours du temps. Ce qui, il y a cinquante ans, faisait la singularité du CNAM, est devenu le modèle de référence pour de nombreux organismes et de nombreuses dispositions législatives ou réglementaires.

Au sujet de la formation professionnelle supérieure, il faut s'efforcer de la distinguer des formations d'enseignement proches à certains égards mais qui ne définissent pas exactement notre essence. Ainsi, le terme professionnel, réservé dans la tradition française à un établissement scolaire, convient en partie à notre établissement bien qu'il ne dispense pas d'enseignement professionnel au sens strict. Il existe également des concepts périphériques aux nôtres. Ainsi, nous sommes proches d'un enseignement technologique, mais nous ne nous y identifions pas. La formation continue définie par le modèle inscrit dans la loi 1971, rebaptisée depuis 2004 « formation tout au long de la vie », présente certaines particularités fortes dont nous nous rapprochons. Nous dispensons un enseignement supérieur sans nous identifier à un enseignement supérieur professionnel. Notre mission n'est pas de faire des DESS, ni de proposer des masters professionnels, mais de dispenser un enseignement qui ne ressemble pas nécessairement à l'enseignement universitaire professionnalisant. La nuance importe beaucoup à nos yeux. L'université remplit sa mission première à travers un enseignement supérieur professionnel construit sur des cycles courts de professionnalisation à la disposition d'étudiants ayant suivi un parcours d'enseignement général. Notre rôle ne consiste pas à imiter ce que fait bien l'université et qui ne nous donnerait aucune valeur ajoutée.

Le CNAM ne délivre pas non plus exclusivement de formation continue au sens de la loi de 2004. Si, en tant qu'établissement relevant du ministère de l'éducation nationale, nous sommes en mesure de délivrer des diplômes relevant du dispositif LMD, nous disposons en outre d'un volumineux portefeuille de titres relevant du RNCP ou de dispositifs de certifications propres à l'établissement. Cela favorise l'accueil d'individus à leur propre initiative ou à l'initiative de leur employeur. Ils recherchent chez nous les compétences dont ils ont besoin. En cours de formation, beaucoup prennent goût à l'exercice et poursuivent alors jusqu'au diplôme. La fréquentation du CNAM n'est pas toujours motivée par l'obtention d'un diplôme, mais beaucoup de nos inscrits en découvrent l'intérêt au cours de leur formation. Les entreprises envoient d'ailleurs un grand nombre d'auditeurs dans l'objectif d'améliorer leurs compétences, et elles réalisent rapidement que l'obtention d'un diplôme peut fournir une valeur ajoutée pour elle en créant une possibilité de transférabilité. Alors que l'étudiant fréquente l'université dans l'espoir d'obtenir un diplôme, l'auditeur vient au CNAM à la recherche d'une compétence et découvre en cours de formation les vertus d'un diplôme auquel il s'efforce d'accéder en suivant des parcours plus longs, plus variés, fragmentés parfois en étapes, des arrêts, des stop-and-go, que notre organisation pédagogique rend possible.

Notre mission ne se singularise pas seulement par l'originalité de son organisation pédagogique mais fondamentalement par ses méthodes de travail. Notre enseignement relève de la formation professionnelle par les méthodes utilisées et par les intervenants, dans la mesure où des professionnels enseignent à des professionnels. La population universitaire académique ne représente qu'une faible minorité. Parmi les 6 000 enseignants au CNAM, 550 sont issus de l'université et les autres viennent du milieu professionnel pour enseigner à des salariés ou à des auditeurs aspirant à la reprise d'une activité professionnelle. L'enseignement se déroule selon des procédés plus inductifs que déductifs, plus techniques qu'académiques, pour atteindre des objectifs différents de ceux de l'enseignement supérieur professionnel. Nous sommes attachés à cette identification de notre mission autour du concept de formation professionnelle supérieure dans la mesure où il nous distingue et définit notre originalité tout en correspondant parfaitement à ce que nous essayons de faire au quotidien pour nos 85 000 auditeurs.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Cette diversité permet-elle néanmoins la détermination d'un profil relativement homogène en fonction de certaines caractéristiques telles que l'âge ou le niveau de qualification parmi les auditeurs ?

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Il n'existe pas de profil type. La moyenne d'âge est de trente-trois ans, mais les auditeurs ont entre vingt et soixante-cinq ans. Les hommes sont toujours en majorité mais la proportion de femmes tend à augmenter.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Avez-vous des recommandations à formuler pour une meilleure articulation de la formation initiale et de la formation continue ou tout au long de la vie ? D'après votre expérience, des réformes devraient-elles être mises en oeuvre dans la formation initiale pour valoriser davantage tous les savoir-faire que vous développez par la suite et pour éviter certaines erreurs en amont ?

M. Jérôme Chapuisat - Tant que la formation initiale sera considérée, comme le fait l'enseignement supérieur français, comme un produit fini, l'essentiel de la démarche de formation tout au long de la vie sera ignoré. La formation initiale est essentielle, en fonction du niveau et des capacités de chacun. Toutefois, elle ne doit pas être conçue, construite et dispensée comme un produit fini. Le CNAM part justement du principe qu'il n'existe pas de produit fini dans la formation. L'entrée dans la vie active a pu être provoquée par diverses raisons, après un baccalauréat obtenu difficilement par exemple. De la même façon, chacun peut avoir vocation à reprendre par la suite une formation différente de la formation continue définie par la loi de 1971 mais qui est continuée dans la mesure où la raison d'être du CNAM est l'absence d'une formation initiale comme produit fini.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Le système de formation permanente en France est régi par la loi de l'offre de formation. Le CNAM peut-il être accusé de tomber dans ce travers ? Comment la tendance pourrait-elle être inversée afin de diversifier la formation en fonction des secteurs ou des entreprises ? Les formations que vous dispensez sur le territoire présentent déjà cette souplesse. Il semble donc impossible de vous accuser de tomber dans le travers de la logique de l'offre, prédéterminée par rapport à la réalité. Toutefois, je me devais de vous poser la question officiellement.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Nous essayons de combattre ce risque de façon permanente en répondant autant que possible à la demande et en nous détachant d'une politique unique de l'offre. Cela justifie l'originalité de notre structure d'association et de souplesse. Nous avons engagé récemment un processus appelé processus d'assises régionales, consistant à se rendre dans toutes les régions au contact de nos partenaires, collectivités locales ou entreprises, afin d'analyser leurs besoins et d'examiner la bonne adaptation de notre offre. Le processus est en cours et son efficacité nous a encouragés à le prolonger et à le poursuivre dans d'autres régions.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Cette ouverture va-t-elle jusqu'à imaginer un service d'assistance systématisée de définitions, d'anticipation, dispensé aux entreprises ou au public demandeur de formation ?

M. Jérôme Chapuisat - Tout à fait. L'une de nos missions consiste à aider l'individu, l'entreprise, la branche, voire les structures de service régionales qui se tournent vers nous, afin de redéfinir des projets personnels de formation ou d'identifier des besoins et des réponses adaptées à ces besoins. Nous faisons ça régulièrement.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Par exemple, l'évolution du secteur automobile entraîne des difficultés pour les garagistes qui ne parviennent plus à s'adapter et à réparer les voitures. La branche nous a donné pour mission d'analyser la formation à mettre en oeuvre pour que les garagistes souhaitant atteindre un niveau de technicien voire d'ingénieur puissent bénéficier d'une offre adaptée, les faisant évoluer dans leur métier en mettant à jour leurs compétences. Au départ, la branche s'était adressée à une université se définissant comme plus technique, technologique, moderne et adaptable que les autres. Toutefois, celle-ci a proposé des licences professionnelles préconçues. La branche s'est alors tournée vers le CNAM, estimant qu'il était le seul établissement capable de concevoir une ingénierie en collaboration directe avec elle. Nous essayons donc de collaborer avec la branche pour évaluer les besoins des garagistes et mettre en oeuvre les formations nécessaires afin qu'ils puissent évoluer dans leurs compétences et dans leurs parcours professionnels. Une telle collaboration s'avère plus difficile à réaliser que la conception de diplômes génériques préconçus.

M. Alain Gournac - Quelles sont les relations entre le CNAM et l'éducation nationale ? Certains enseignants travaillent-ils la semaine dans leur entreprise avant de dispenser leurs cours lors de leurs moments libres ? L'enseignement est-il gratuit ? Si une entreprise souhaite faire former les cadres de son entreprise, est-ce l'entreprise qui s'adresse à vous et règle les frais de formation ?

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Nous sommes sous la tutelle institutionnelle de l'éducation nationale, ce qui implique d'étroits contacts. J'ai rencontré récemment le nouveau directeur général des enseignements supérieurs auquel j'ai demandé de reconnaitre la spécificité de l'établissement au sein des différents services placés sous sa direction.

Nous entretenons également d'étroites relations avec les autres établissements de l'enseignement supérieur, notamment parce que nous n'avons pas dans les régions nos propres enseignants et qu'il nous faut aller les chercher tant dans le monde professionnel qu'académique. Les enseignants universitaires viennent dans nos centres CNAM en fonction de la demande et des besoins. Toutefois, ces relations ne sont pas aisées. Actuellement, les universités sont fortement encouragées par l'éducation nationale à développer la formation professionnelle par l'organisation de licences et masters professionnels. 5 % de la formation professionnelle est assurée par des établissements publics dans le supérieur, donc la marge reste large. Je trouve cela extrêmement important et louable que les universités évoluent vers la formation professionnelle, mais il est important que les enseignants puissent venir enseigner au CNAM afin que nos élèves bénéficient, lorsqu'ils en ont besoin, de leurs compétences académiques. Malheureusement, certains présidents d'université, s'opposent à ce que leurs professeurs enseignent au CNAM. Je trouve cela d'autant plus déplorable que nous sommes situés dans la même maison. En tant que membre de la conférence des présidents d'université, j'ai proposé à tous mes collègues président d'université, de signer un accord cadre réglementant précisément et de façon transparente nos relations, pour permettre cet échange académique et enseignant.

M. Jérôme Chapuisat - Notre pays souffre gravement du manque de relations régulières entre le monde de l'éducation nationale et le monde de la formation professionnelle. En région, et je l'espère demain à l'échelle nationale, nous entretenons davantage de contacts avec le monde de la formation professionnelle dont nous nous sentons souvent plus proches et mieux compris. Toutefois, nous restons pour le moment sous la tutelle du ministère de l'éducation nationale. Nous ne souhaitons pas supprimer cette tutelle mais l'élargir, afin de passer sous le regard bienveillant du ministère chargé de la formation professionnelle et sous celui du ministère chargé de l'industrie, secteurs dans lesquels nos activités se déploient largement. Nos contacts avec l'éducation nationale demeurent à ce jour inefficaces. Nos contacts avec le monde de la formation professionnelle ne sont pour le moment pas formalisés. Ils ne sont pas organisés sous forme de tutelle mais par des mécanismes d'entretiens et partenariats. La mise en place de ces derniers s'avère plus facile en région par le biais des directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP) avec lesquelles nous avons d'importants contacts, par le biais des conseils régionaux compétents en droit commun en matière de formation professionnelle. Nous sommes mieux compris par les partenaires régionaux que par notre ministère de tutelle.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Nous souhaiterions effectivement une telle évolution. Nous serions parfois plus à l'aise et les discours des ministres n'en deviendraient que plus cohérents. Nous devons toutefois conserver notre statut d'établissement d'enseignement supérieur pour pouvoir continuer à délivrer les diplômes. Nos élèves en ont besoin tant dans le système français que dans le système international. Cette dualité est complexe. Ainsi, dans les régions, nous dépendons soit des coordinateurs de formation professionnelle, soit du recteur qui joue en principe également le rôle de tutelle mais souvent nous comprend et nous connaît mal. Nous sommes contraints de ré-expliquer les problèmes. Cet écartèlement me convainc et convainc l'ensemble de la maison de la nécessité d'une révision des statuts. Une double ou une triple tutelle serait probablement plus adaptée à notre mission.

M. Alain Gournac - Comment se passe le règlement des frais de formation ? Une société peut-elle vous déléguer la formation de ses employés et régler les frais elle-même ?

M. Jérôme Chapuisat - Tout à fait. 50 % de nos auditeurs prennent individuellement l'initiative de venir au CNAM. Cela correspond à notre vocation historique. Les 50 % des personnes restantes nous rejoignent à l'initiative de leur entreprise qui finance leur formation en puisant dans les fonds de formation professionnelle au sens traditionnel du terme. Nos actions ne correspondent cependant pas aux actions habituelles de formation professionnelle, définies dans les lois de 1971 puis de 2004.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Comme nous n'avons pas d'étudiants, nous ne sommes pas soumis au tarif étudiant. La formation n'est donc pas gratuite. Toutefois, l'individu qui vient spontanément paie moins cher que celui qui vient sur initiative de l'entreprise. Cela entraîne quelques problèmes. En effet, certains auditeurs assistent à la formation en cachette de leur entreprise. Il arrive que l'entreprise ne veuille pas dire que leurs employés suivent une formation, notamment pour les PME, ou que les individus ne souhaitent pas informer leur entreprise qu'ils assistent à une formation. Nous essayons de travailler à la réconciliation de la demande individuelle et de celle de l'entreprise, parce que nous pensons qu'il est dangereux qu'un individu se forme sans l'avis de son employeur.

M. Alain Gournac - Si les enseignants sont des professionnels, quels sont leurs statuts ? Sont-ils contractuels, vacataires ?

M. Jérôme Chapuisat - Le corps enseignant se compose de 6 000 personnes, dont 5 450 issues du monde professionnel qui viennent enseigner au CNAM entre cinquante et soixante heures dans l'année. Ces professionnels viennent du monde de l'entreprise, ils sont engagés dans la vie active hors de l'université et du CNAM. Ils dispensent des enseignements différant fortement de la palette que nous-mêmes proposons. Nous employons également 550 enseignants ayant le statut de fonctionnaires permanents. Contrairement à d'autres universités, nous n'interdisons pas à nos enseignants fonctionnaires d'exercer des activités extérieures correspondant de préférence à leur domaine d'enseignement et de recherche. Au contraire, nous les y incitons très fortement. Un enseignant du CNAM enfermé dans son amphithéâtre et dans son laboratoire négligerait une partie de sa mission. Ils sont donc fortement incités à aller à l'extérieur ou à rester en contact avec l'extérieur pour se renseigner sur les méthodes et événements survenant dans d'autres établissements.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Cela ne concerne que l'établissement public. Les personnels du CNAM sont aujourd'hui affectés à l'établissement public, donc à la tête de réseau. Le corps spécifique de professeurs titulaires de chaires est original parce qu'il réunit des individus issus de l'entreprise et du monde économique plutôt que d'être composé d'acteurs académiques. Outre ces acteurs spécifiques, nous employons des professeurs d'université et des maîtres de conférence traditionnels recrutés selon les voix normales. Tous sont chargés, au sein de l'établissement, de la conception de l'offre de production qui sera dispensée sur l'ensemble du territoire.

M. Yann Gaillard - J'ai mené une enquête pour la commission des finances du Sénat sur les grands établissements de la culture, dont la cité des sciences et de l'industrie, qui relève à la fois de la culture et de la recherche. Bien que cet organisme ne relève pas de l'éducation nationale, entretenez-vous des relations régulières avec cet organisme ? Je souhaiterais également savoir votre position dans la LOLF. Celle-ci va-t-elle faciliter la circulation des missions qui ne seront plus organisées par ministères mais par missions ? Enfin, je me pose une question anecdotique : où est le pendule de Foucault ?

M. Jérôme Chapuisat - Le pendule est conservé au musée du CNAM.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Nous formons un « Groupe des cinq » qui réunit les institutions relevant totalement ou partiellement du ministère de l'éducation nationale : le Muséum d'histoire naturelle, le Palais de la découverte, la Cité des sciences et le CNAM, le Musée du quai Branly vient aussi de nous rejoindre. Les responsables de ces institutions se rencontrent régulièrement afin d'harmoniser les politiques en matière de développement de la culture, en particulier en ce qui concerne la technique, et les politiques muséales. Nous menons des missions connexes malgré notre diversité. Ainsi, le CNAM est le seul à posséder une collection d'objets techniques et nous avons un grand projet commun dans le nord francilien de cité du patrimoine. J'espère que ce projet verra le jour. Il est important de nous soutenir mutuellement. Nous avons d'ailleurs toujours fait preuve de notre volonté de nous ouvrir sur les partenaires souhaitant travailler avec nous. La collaboration avec la cité des sciences fonctionne bien actuellement malgré quelques déséquilibres. Ainsi, leur musée emploie 1 200 personnes alors que nous n'avons que 75 emplois pour notre musée. Le Palais de la découverte en a plus de 300. En réalité, il s'agit d'une raison supplémentaire de s'entraider pour augmenter nos forces.

M. Jérôme Chapuisat - Comme tous les établissements publics, nous sommes « lolfés », comme le définit une terminologie barbare nouvelle. L'ensemble de nos activités relève de la mission enseignement supérieur-recherche puisque nous sommes un établissement sous tutelle du ministère de l'éducation nationale. Cela crée un obstacle au fonctionnement d'enseignement en réseau. En effet, les deux tiers de notre activité se déroulent dans les centres régionaux, placés dans un contexte de financement majoritairement fourni par les conseils régionaux au travers d'enveloppes destinées à la formation professionnelle et non à l'enseignement supérieur. Le cadre contraignant de la LOLF rend difficile la consolidation de tout ce processus et amoindrit les chances d'avoir une vision complète de ce que nous sommes. Malgré ces contraintes inévitables, nous souhaiterions pouvoir réexaminer ces éléments. Nous sommes dans une situation compliquée. L'établissement public tête de réseau, et dans le cadre de la LOLF, établissement d'enseignement supérieur-recherche, a des missions bien identifiées. Toutefois, le reste du réseau que nous ne pouvons négliger puisqu'il représente les deux tiers de notre activité, échappe à ce dispositif et relève des crédits de formation professionnelle des régions.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous évoquiez la possibilité de mettre en place une triple tutelle et de ne plus vous limiter à celle du ministère de l'éducation nationale. Une triple tutelle ne présenterait-elle pas de limites encore plus contraignantes ou au contraire, générerait-elle encore plus d'autonomie et de liberté ?

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Je souhaite depuis très longtemps que l'établissement bénéficie d'une plus grande autonomie. En effet, il me semble parfois terrible que le CNAM n'ait pas l'autonomie de ses choix personnels, que leurs enseignants soient choisis ailleurs, que les personnels techniques soient affectés par le rectorat de Paris alors qu'ils travaillent pour tout le territoire. De nombreuses situations mériteraient un traitement différent que celui que l'actuel système met en place. Je fais partie de ceux qui souhaitent une plus grande autonomie des établissements d'enseignement supérieur. Je regrette certaines régressions. Ainsi, jusqu'à l'an dernier nous assurions la paie de nos personnels et on vient de nous la retirer. Ces désagréments peuvent parfois se révéler aberrants. Je souhaite une forte autonomie, et je souhaite que cet établissement, qui dispose d'un statut de grand établissement, dérogeant par là de l'université, puisse fonctionner librement avec un vrai patron qui prenne des décisions que l'on puisse juger a posteriori.

Le ministère de l'emploi nous paraîtrait plus adapté parce que nous avons le souci de former des gens pour un emploi. L'idéal, que j'ai rencontré au Luxembourg, serait d'avoir un ministre de l'éducation nationale qui soit en même temps ministre de l'emploi ! Cela résoudrait le problème. L'éducation nationale s'occuperait alors réellement de l'emploi.

M. Jean-Claude Carle, président - Je ne peux que souscrire à ce que vous dites. Je pense que l'éducation nationale a peut être un peu oublié sa mission première.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Nous nous sentons parfois à l'étroit au sein du ministère de l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle, président - J'ai bien compris.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Je peux vous donner des exemples. Nous avons un beau projet : préoccupés par les étudiants envoyés « par défaut » dans les facultés de lettres et autres disciplines non scientifiques, nous collaborons avec des entreprises à la recherche d'employés afin d'orienter vers elles ces jeunes en amont. Nous essayons d'analyser les profils d'emplois et d'aller recruter dans les domaines littéraires les élèves titulaires d'un baccalauréat depuis deux ou trois ans. Nous leur offrons immédiatement un contrat de professionnalisation et une formation adaptée à l'emploi dans l'entreprise intéressée. L'objectif est donc de construire une offre de formation destinée à des élèves issus des grandes universités littéraires auxquels on ne propose actuellement que de continuer leurs études pour atteindre le bac+5 ou le bac+7, et qu'ils ne pourront pas par la suite trouver d'emploi dans l'éducation nationale. Ainsi, le Président du CNAM, M. Gérard Mestrallet, a constaté que 20 000 emplois destinés à des bac+2 se créeront dans le secteur bancaire dans les années qui viennent. Un bac+7 ne serait pas nécessairement adapté. Il est également possible de réorienter ces étudiants littéraires vers des métiers plus techniques. Ainsi, en Lorraine, une usine de PSA a embauché douze jeunes filles titulaires d'un baccalauréat littéraire comme conductrices de ligne dans cette usine qui ne trouvait pas les travailleurs nécessaires. Nous les avons formées, et elles ont fait preuve de grandes capacités. Elles sont très appréciées, et elles vont continuer à gravir les échelons dans l'entreprise. De la même façon, avec la fédération du bâtiment, nous encourageons des jeunes filles à se diriger dans le secteur du bâtiment où la demande est insatisfaite. Des jeunes filles peuvent prendre conscience que devenir maçon dans le bâtiment apporte autant d'intérêt que de travailler à la caisse d'un supermarché ! Il est nécessaire de conduire vers les métiers traditionnels ou émergeants toutes les personnes et toutes les catégories.

Enfin, le CNAM est l'un des établissements intégrant le plus d'étrangers de première génération. Il s'agit là encore d'une de nos missions. Nous avons aujourd'hui une double implantation : une au coeur de Paris dans l'ancienne abbaye royale des champs, l'autre se trouve à Saint-Denis. Cette implantation nous permet d'orienter nos politiques vers ces quartiers dits « difficiles », où le CNAM a des possibilités et une responsabilité. Des élèves qui n'osent pas aller à l'université osent plus facilement venir au CNAM. Nous l'avons constaté durant l'université de tous les savoirs. Ces grandes conférences, données tous les jours de l'an 2000 sans aucune exception, samedi et dimanche compris, avaient beaucoup de succès. Les gens osaient venir au CNAM. Certains nous ont dit qu'ils n'osaient plus se rendre dans l'université parisienne qui a pris la suite.

M. Jean-Claude Carle, président - Avez-vous des statistiques relatives par exemple à la population immigrée ?

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Oui. Nous approchons les 30 %. Nous avons d'ailleurs été sollicités pour devenir une école de l'intégration. Souvent, le CNAM effraie moins que l'université.

M. Jérôme Chapuisat - Il s'agit de l'une nos spécificités. Nous accueillons les personnes qui viennent nous voir. Avant même de les inscrire, nous essayons d'identifier leurs besoins grâce aux dispositifs traditionnels de bilan de compétences, d'analyse, d'accompagnement et de suivi. Au contraire de l'université, l'inscription au CNAM ne se fait pas à un guichet. Le nouvel auditeur est accueilli par des gens à son écoute, qui l'aideront à formaliser son projet lui-même. Il ne s'agit pas de l'inscription dans une cohorte qui fonctionnera de façon mécanique, mais d'accompagner un projet individuel, personnel et professionnel, qui correspondra exactement à la personne. Celui qui dispose de peu de temps suivra des cours un soir par semaine, celui qui dispose de davantage de temps aura davantage de cours. De telles précautions diminuent le risque à venir. Par définition, en effet, le projet correspond précisément à l'individu qui le suivra.

M. Jean-Claude Carle, président - Les jeunes qui viennent ont-ils déjà un projet ?

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Oui. Certains pensent qu'ils l'ont et nous le peaufinons avec eux. Toutefois, leur venue signifie qu'ils ont eu envie de quelque chose à un moment donné.

M. Jean-Claude Carle, président - Cela n'expliquerait-il pas le meilleur taux d'intégration par rapport à l'université ?

M. Jérôme Chapuisat - Probablement, oui. C'est certainement l'une des raisons pour lesquelles il est plus facile de s'intégrer dans ce dispositif.

M. Jean-Claude Carle, président - Mettez vous les projets en relation avec les débouchés ? Vous arrive-t-il de dissuader certaines personnes de suivre un projet qui risque d'échouer ?

M. Jérôme Chapuisat - Bien sûr. Nous n'avons pas l'obligation d'inscrire les gens. Ils viennent sur motivation personnelle ou de l'employeur. Par conséquent, nous sommes en mesure de critiquer leur idée et de les réorienter sur d'autres projets. Je ne reproche pas aux universités de ne pas le faire, dans la mesure où, par définition, elles ont vocation à accueillir tout le monde. Elles ont donc cette contrainte que nous n'avons pas.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Nous ne sélectionnons pas, mais nous orientons. Nous accompagnons et essayons de bâtir avec chaque élève qui vient au CNAM son projet professionnel. C'est une belle ambition qui justifie le déblocage d'un bouquet de services qui accompagnent la formation. Il faut accueillir, orienter, expliquer les divers débouchés, bâtir avec eux, accompagner, les encourager à venir, à revenir. Il faut établir le temps qu'ils peuvent y consacrer, déterminer s'ils peuvent avoir un enseignement sur place ou à travers les NTIC. J'ai mis des informations dans le dossier à ce sujet. Le CNAM insiste sur l'importance de l'enseignement à distance, mais refuse de faire uniquement cela. Il est nécessaire de faire un enseignement « présentiel enrichi », permettant aux individus travaillant et contraints occasionnellement de rater un cours, d'utiliser les NTIC pour le rattraper, continuer à suivre le programme et poser des questions. Les cours sur place permettent aux gens de se rencontrer, de discuter, d'échanger des expériences. Les NTIC bouleversent complètement notre pédagogie dans les territoires. Elles nous permettent de distribuer facilement les enseignements à distance, y compris en Nouvelle-Calédonie ou à l'étranger. Nous avons donc du nous adapter. Nos auditeurs demandent très souvent à pouvoir bénéficier de l'enseignement à distance et de l'enseignement présentiel. La combinaison des deux semble donc optimale.

M. Jean-Claude Carle, président - Quelle est la proportion d'hommes et de femmes ?

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Notre public se compose de 30 % de femmes et de 70 % d'hommes. Des variations existent en fonction des régions. Ainsi, la Nouvelle Calédonie accueille plus de femmes que d'hommes. Nous avons en outre quelques centres à l'étranger, notamment dans les PED. Depuis longtemps, il existe un centre au Liban, qui passe outre les différences religieuses et s'est maintenu malgré les événements. Les pays d'Afrique du Nord nous sollicitent beaucoup. Si nous nous montrons capables d'évoluer, le modèle « CNAM » pourrait se diffuser. Cela nécessite bien sûr que nous ne proposions pas de projets clef en main, mais que nous négociions avec nos partenaires locaux pour analyser leurs besoins et former des enseignants locaux.

M. Bernard Seillier, rapporteur - J'ai un rêve que je ne sais comment matérialiser. Je vous connais bien, puisque je suis sénateur de l'Aveyron et que le CNAM possède un établissement à Millau. D'une manière générale, le CNAM représente pour moi un établissement de référence dans tous les domaines de la formation et de la pensée. Lorsque je vois un livre traitant d'un problème de société, quel qu'il soit, je l'achète immédiatement, sachant que les arguments s'appuieront sur des éléments solides. Votre force vient justement du fait que vous centrez tout ce que vous faites sur la substance des métiers. Vous n'imaginez rien qui se détache de la réalité concrète d'aujourd'hui et de demain. Y aurait-il dans l'architecture générale des institutions de formation permettant de faire du CNAM un élément des bonnes pratiques, dans lequel les formateurs d'organismes et de formations professionnelles puissent se rendre, non pour subir une tutelle mais pour obtenir une formation concrète ? Vos qualités viennent vraisemblablement de votre enracinement dans la formation professionnelle de promotion sociale. Vous respectez une philosophie de l'action et de la formation parfaitement enracinée. Mon rêve serait donc d'identifier le CNAM comme établissement de référence démocratique que chacun pourrait fréquenter.

M. Jérôme Chapuisat - Nous nous sentons de plus en plus entrer dans une logique nous faisant passer d'un système dans lequel nous étions étroitement ancrés dans l'éducation nationale vers un système dans lequel nous sommes en phase avec les compétences des régions, même en ce qui concerne la région Ile-de-France qui ne mérite aucun traitement différencié. Nous nous demandons comment le modèle CNAM pourrait composer l'élément clé de la montée en puissance des régions dans le domaine de la formation professionnelle, comment le processus pourrait s'articuler, s'il nécessite la mise en place de services publics de formation professionnelle, ou s'il passe par d'autres schémas. Les responsables politiques sont chargés de ce débat, mais nous rêvons nous aussi que nos efforts constituent l'un des éléments de la montée en puissance de la compétence des régions dans la formation professionnelle. Nous demeurons convaincus qu'un tel sujet sera mieux traité dans le cadre des régions qu'il ne l'a été jusqu'à présent dans le cadre de la compétence de l'État.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Pour cette raison, nous souhaitons vivement que les régions s'en saisissent. Il s'agit également d'un processus de lisibilité. Les assises régionales doivent améliorer la compréhension. Nous étions un établissement méconnu parce que les principes des établissements de formation spécifique restent plus difficiles à expliquer. Même si nous devons subir des critiques, le CNAM reste le plus grand établissement de formation tout au long de la vie. Il est nécessaire de le savoir et de le faire savoir.

M. Jean-Claude Carle, président - Si vous souhaitez compléter, vous pouvez nous transmettre des documents supplémentaires. De même, je vous serais gré de nous transmettre les statistiques sur l'intégration.

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Ce sont des chiffres extrêmement difficiles à obtenir.

M. Jean-Claude Carle, président - Je conçois vos difficultés. J'ai été rapporteur dans une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs. Ce type de sujet est extrêmement sensible mais nécessite une bonne connaissance des statistiques.

Audition de MM. René BAGORSKI, conseiller confédéral, Paul DESAIGUES, conseiller confédéral chargé de la formation initiale et continue, et Michel CARDIN, chargé de la formation initiale et continue au comité régional Poitou-Charentes, de la Confédération générale du travail (CGT) (9 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Bagorski, conseiller confédéral de la CGT. Je vais donc vous laisser la parole pour nous exposer le point de vue de son organisation. Au terme de votre exposé, notre rapporteur, mes collègues et moi-même vous soumettrons un certain nombre de questions. Notre mission d'information a pour vocation de dresser un état des lieux de la formation professionnelle et, au vu du diagnostic posé, d'avancer un certain nombre de propositions. Notre objectif est de rendre notre rapport à la mi-juillet. L'ensemble des points ne seront évidemment pas abordés aujourd'hui. Je vous rappelle que vous pourrez nous faire parvenir tous les compléments d'information souhaités. Ceux-ci seront portés au rapport. M. Bagorski, je vous remercie de votre présence et vous laisse la parole.

M. René Bagorski - M. le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité. Paul Desaigues est conseiller confédéral chargé de la formation initiale et continue et Michel Cardin est responsable emploi formation en région Poitou-Charentes et premier vice-président du CESR dans cette région. Je suis moi-même conseiller confédéral. Nous tenons à l'expression de « formation initiale et continue » car ces deux mondes, loin d'être séparés, s'avèrent complémentaires.

Ma courte introduction ne brassera pas l'ensemble des sujets, mais sera centrée sur le coeur des prérogatives des partenaires sociaux. Je tenterai d'élargir ce thème par la suite.

La formation professionnelle ne doit être ni une fin en soi, ni une niche économique pour certains acteurs, ni encore moins un marché concurrentiel, mais d'abord une réponse à des besoins sociaux. La multiplicité des acteurs (État, régions, partenaires sociaux) et le périmètre de responsabilité de chacun suggèrent parfois que des systèmes s'opposent alors qu'ils devraient être complémentaires. Les partenaires sociaux, constatant les besoins, ont, lors de la négociation de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 5 décembre 2003 sur « l'accès à la formation tout au long de la vie », clairement posé deux principes : développer les compétences collectives des entreprises et développer les compétences et qualifications des salariés pour assurer leur employabilité tout au long de leur carrière professionnelle. Pour atteindre ces objectifs, ils ont mis en avant la notion de salarié acteur de son parcours professionnel, imaginé des financements, des dispositifs (dont la professionnalisation), des moyens tels que l'entretien professionnel, le bilan de compétences, la VAE ou la période de professionnalisation permettant l'initiative des salariés. Ils ont créé un droit attaché à la personne, le DIF. Ces éléments ont été prévus dans le cadre d'un contrat de travail où perdure le lien de subordination rappelant, par là même, les obligations des employeurs et ne faisant pas reposer sur le seul salarié la responsabilité de son « employabilité ».

La CGT a signé cet accord car ces deux principes lui paraissent pertinents. Ils constituent des moyens à mettre en oeuvre pour répondre à des besoins sociaux et s'inscrivent dans notre revendication d'un nouveau statut du travail salarié dont la sécurité sociale professionnelle fait partie. Développer les compétences collectives de l'entreprise signifie, pour la CGT, assurer la pérennité de celle-ci sur son marché, maintenir et développer l'emploi et renforcer l'attractivité du territoire. Développer les compétences et les qualifications des salariés tout au long de leur vie s'inscrit dans notre revendication de sécurité sociale professionnelle, dont je voudrais rappeler ici quelques principes. Chaque salarié doit :

- bénéficier de droits attachés à sa personne, garantis, collectivement transférables et opposables à tout employeur ;

- consacrer au minimum 10 % de son temps travaillé à la formation professionnelle, c'est-à-dire, pour une carrière d'une quarantaine d'années, quatre ans ;

- obtenir au minimum en fin de carrière une certification d'un niveau supplémentaire à celle dont il disposait à son entrée sur le marché du travail (cette certification doit évidemment être reconnue sur le marché du travail, notamment par le répertoire national) ;

- doubler sa rémunération entre le début et la fin de sa carrière.

Pour que ces principes soient atteints, une chaîne d'acteurs doit se mettre en place. Une fois la décision politique prise par les partenaires sociaux, les OPCA jouent un rôle majeur d'opérateur et d'interface chargé de mettre en oeuvre les politiques décidées par les partenaires sociaux tant au niveau interprofessionnel que professionnel. Néanmoins, quelques difficultés subsistent. Les règles relatives aux OPCA n'entrent pas dans le périmètre de l'ANI de 2003. Ils ont un rôle de collecteur répartiteur défini par le plan quinquennal de 1993.

Aujourd'hui, les entreprises et leurs salariés ont besoin d'OPCA capables d'assurer un réel service de proximité, de les aider dans la réalisation de leurs projets tant collectifs qu'individuels et d'être au carrefour entre les différents acteurs et financeurs, notamment les pouvoirs publics, l'État et les conseils régionaux. Si on excepte les FONGECIF qui ont une place particulière en tant que gestionnaire du CIF et qui, à travers leur service d'information, de conseil et d'accompagnement, apportent une vraie valeur ajoutée aux salariés, le rôle et la place des autres OPCA doivent être revus.

Peut-on continuer encore longtemps avec des OPCA dont la collecte n'atteint pas le seuil minimum ? Peut-on continuer longtemps avec des OPCA qui n'ont pas de délégation territoriale ? Peut-on continuer longtemps avec des OPCA dont le souci premier est d'assurer leur propre pérennité ? Peut-on continuer longtemps avec des OPCA n'ayant pas le périmètre financier suffisant pour répondre aux besoins de leurs entreprises et ne vivant que grâce aux fonds de péréquation ? Peut-on continuer longtemps avec des OPCA dont les seuls interlocuteurs sont les employeurs ? Peut-on enfin continuer longtemps à avoir deux OPCA interprofessionnels dont la seule légitimité est d'être l'émanation de l'une ou de l'autre organisation patronale ?

La CGT pense qu'il est temps de réformer l'ensemble du système, de mettre en place les moyens là où ils sont le plus nécessaires, quelle que soit la taille de l'entreprise (nous sommes en effet très attachés à la formation dans les TPE, l'accord étant en premier lieu destiné aux TPE et PME, malgré le manque actuel de statistiques sur ce sujet), le secteur d'activité et le territoire. Les salariés et les chômeurs doivent en outre bénéficier des mêmes droits d'accès à la formation. Si les OPCA devaient perdurer, nous demandons à ce que leur nombre soit réduit, qu'il n'existe plus qu'un seul OPCA interprofessionnel, que leurs rôles et missions soient revus à l'aune de l'ANI de 2003 et que soit mis fin aux opérateurs patronaux le cas échéant.

Est-il nécessaire que des structures purement patronales mettent en oeuvre les politiques décidées par les conseils d'administration paritaires des OPCA ? A la CGT, nous pensons que non ! Nous pensons d'ailleurs que, compte tenu de la multiplicité des financeurs (État, conseils régionaux, Europe, entreprises, UNEDIC, ménages...), il serait préférable de gérer les fonds de manière tripartite, dans le cadre d'un pôle public financier régional composé des représentants de l'État, des conseils régionaux et des partenaires sociaux.

Nous pensons par ailleurs que la multiplicité des organismes de formation constitue un des freins à la mise en oeuvre des décisions politiques. 53 000 ont été répertoriés en 2005, 43 000 ayant effectivement effectué des actions de formation, 6 000 à 8 000 vivant pleinement de leur activité. Quel est le véritable objectif de la formation, faire vivre des structures ou mettre en oeuvre les formations prévues par les accords ?

Trois ans après la réforme, alors qu'un de ses maîtres mots était la « personnalisation des parcours », les fédérations d'organismes de formation se battent encore pour revenir aux anciens contrats de qualification. Nous voudrions leur rappeler ici que l'objectif est d'accompagner les plus exclus vers l'emploi, de maintenir les plus fragiles dans l'emploi et de faciliter l'accès à tous à une formation professionnelle leur permettant d'être opérationnels tout au long de leur vie professionnelle. Toute l'énergie déployée pour revenir au système précédent retarde l'objectif de personnalisation souhaité par les négociateurs.

La CGT pense qu'il est nécessaire de mettre fin à cette gabegie financière et à cette multiplicité d'acteurs. L'objectif à atteindre est de répondre aux besoins collectifs, individuels et territoriaux, et non de développer les structures intermédiaires. Nous sommes pour un grand service public de l'information, de l'orientation, de l'emploi, de la formation et de la certification dont la mission serait de répondre à l'ensemble des besoins sociaux et dans lequel des structures comme l'ANPE, l'AFPA ou les GRETA assureraient pleinement leur mission de service public.

Nous pensons qu'il est nécessaire de réfléchir à l'amélioration des synergies et des complémentarités entre les différents acteurs (État, conseils régionaux, partenaires sociaux) et de revenir à une logique où l'objectif de la formation est d'accéder à l'éducation permanente, de favoriser la promotion sociale et de répondre aux besoins sociaux.

Mon introduction est relativement courte et ciblée sur notre périmètre. Il est évident que j'ai évoqué notre rôle de conseiller en « formation initiale et continue » et que les formations en alternance sont de deux types (contrats de professionnalisation et apprentissage relevant de la formation initiale). Nous sommes tout à fait disposés à répondre à vos questions. Je n'ai pas insisté sur le rôle des différents acteurs à l'aune de la loi du 13 août 2004 qui accorde des responsabilités importantes aux régions. Pendant toute la négociation, la CGT s'est battue pour créer un vrai maillage branche-territoire. Or, ce point constitue précisément un des manques de l'ANI, puisque, d'un côté, la branche représente la colonne vertébrale et, de l'autre, l'interprofessionnel serait un « champ à défaut ». Pourtant, le territoire est désormais le périmètre pertinent. L'exemple de la région Rhône-Alpes qui dispose de vingt-sept contrats territoriaux emploi formation (CTEF) montre que la problématique de bassin d'emploi dépend d'une bonne synergie des acteurs et d'une définition de leurs propres priorités, permettant la réalisation du projet.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie, M. Bagorski. Messieurs, souhaitez-vous compléter les propos de votre collègue ? Avant de laisser la parole à notre rapporteur, je voudrais revenir sur les OPCA. M. Bagorski, vous nous avez fait part de votre souhait de ne pas les cantonner au seul rôle de collecteur-répartiteur. Vous aimeriez qu'ils assurent un véritable service de proximité. Quel est, pour vous, le niveau de cette « proximité » ? Vous plaidez également pour un seuil minimum d'efficacité. A quel niveau fixez-vous ce seuil ?

M. René Bagorski - Il me paraît difficile de parler de seuils. Nous devons avant tout nous assurer de l'existence de moyens permettant de répondre aux besoins des entreprises et des salariés. Sur une centaine d'OPCA, vingt-cinq sont des FONGECIF, vingt-cinq sont issus du réseau du MEDEF (OPCAREG), une quarantaine ou une cinquantaine sont des OPCA de branche. Dans ce périmètre, certains sont capables d'aller au-delà de leur seul rôle de collecteur-répartiteur, d'autres sont simplement des collecteurs-répartiteurs servant de centres de gestion à certaines entreprises pour financer des actions de formation. Aujourd'hui, le rôle d'un OPCA ne peut pas être celui-là. L'OPCA doit exercer des missions de conseil par rapport à l'ensemble du dispositif prévu par l'ANI. Je reprends les deux clés d'entrée que j'ai déjà citées : le développement des compétences collectives et le développement des compétences individuelles. Compte tenu de la complexité du système, l'OPCA doit jouer un rôle de conseiller auprès des employeurs, ne serait-ce que pour les aider à construire leur plan de formation. Ce plan de formation comprend trois types d'actions. Certaines, telles que les actions d'adaptation au poste de travail, relèvent de l'obligation de l'employeur. Je rappelais il y a un instant que cet accord a pour cadre le contrat de travail, c'est-à-dire un lien de subordination. Ensuite, deux types d'action permettent de donner une qualification supplémentaire au salarié. Informer l'employeur sur le dispositif et les moyens à sa disposition s'avère extrêmement important. Informer les salariés tant des dispositifs au sein de l'entreprise que ceux existant au dehors nous paraît un aspect oublié de la mise en oeuvre de l'ANI et de la loi du 4 mai 2004 dans laquelle il est pourtant clairement affirmé que les OPCA doivent informer les employeurs et les salariés. Nous sommes d'autant plus loin d'atteindre cet objectif que, dans le cadre de leur rôle d'opérateur, les OPCA considèrent que le seul interlocuteur est l'employeur, et non l'entreprise comprise comme l'employeur et les salariés.

M. Jean-Claude Carle, président - Les OPCA ne jouent-ils pas suffisamment ce rôle d'information ?

M. René Bagorski - Certains assurent correctement cette mission. Deux OPCA interprofessionnels ont fédéré un certain nombre de branches et assurent un service de proximité. Nous nous trouvons rapidement confrontés à la question de la définition et du périmètre d'un OPCA. Un OPCA peut-il aller aussi loin dans des missions de conseil sans pour autant se placer sur le champ concurrentiel ? Un OPCA est en effet une association qui a une mission particulière et qui n'est pas en concurrence avec les cabinets de consultants dont le métier est proprement de conseiller. Nous souhaitons, face à une situation marquée, la multiplicité d'acteurs qui contribue à un système dans lequel l'argent est attribué à des acteurs intermédiaires, distinguer les actions nécessaires de celles qui ne le sont pas. Si les OPCA devaient perdurer, leurs missions d'information et de conseil devraient être renforcées. Les OPCA devraient en outre se situer au carrefour des différents financeurs (État, régions, Europe, entreprises) et répondre aux besoins de l'entreprise en tant que collectif, finalité de toute politique de formation, et aux besoins propres des salariés en tant qu'individus grâce à l'augmentation de leur niveau de compétences. La CGT est convaincue que l'argent de la formation professionnelle représente du salaire différé et un moyen pour l'individu d'obtenir une promotion sociale au sein de l'entreprise, mais aussi de construire un projet valorisé à l'extérieur, notamment dans le cadre des besoins du bassin d'emploi.

M. Bernard Sellier, rapporteur - M. Bagorski, j'ai écouté attentivement vos très riches propos liminaires. Pour m'assurer d'avoir compris votre réflexion, je souhaitais vous demander qui vous regroupiez dans le grand service public que vous envisagez. Quelle est en particulier la place dévolue aux OPCA ? Ce grand service public rassemblerait-il l'ensemble des partenaires participant au financement et à la définition des stratégies de formation professionnelle ?

M. René Bagorski - Nous pouvons imaginer deux clés d'entrée. L'une d'entre elles est de partir de l'existant pour mettre en place des missions de service public. L'autre est de créer un système neuf doté d'objectifs clairement assignés, intégrant des missions d'information, d'orientation, d'emploi, de formation, etc. Nous observons en effet, face à la multiplicité d'organismes de formation, que le fonctionnement du système dépend de la pérennité des structures et de la réponse aux besoins. Nous avons évidemment besoin de finaliser et de construire ce grand service public. Nous souhaitons que l'ensemble des acteurs dans leur périmètre puissent mettre en synergie un certain nombre de moyens pour répondre à des besoins sociaux. La colonne vertébrale de mes propositions est l'idée que la formation professionnelle constitue une réponse à des besoins sociaux et au « triptyque » d'employabilité du salarié, de l'entreprise (assurer sa pérennité sur son marché) et du territoire (assurer son attractivité et sa compétitivité). Le champ est donc extrêmement large. La définition des besoins se faisant à différents niveaux, nous ne pouvons pas conserver une juxtaposition d'organismes, d'où notre proposition d'un grand service public qui soit le lieu d'observation et de mise en oeuvre des réponses à ces différents besoins.

M. Bernard Sellier, rapporteur - Avez-vous formalisé ces propositions dans un document ?

M. René Bagorski - Nous sommes en train d'y travailler. Notre revendication porte sur la sécurité sociale professionnelle et le nouveau statut du travail salarié. Pour que ces propositions se concrétisent, nous sommes en train de réfléchir aux acteurs qui seront nécessairement impliqués. Je voudrais revenir sur le rôle de l'AFPA, notamment sur le fait que l'AFPA soit désormais sous la tutelle des régions. L'AFPA reste inscrite au livre I du code du travail comme partie intégrante du service public de l'emploi. Jusqu'à preuve du contraire, ses missions n'ont pas disparu et l'AFPA est chargée de l'accueil, de l'information, de l'orientation et de la formation. Cette chaîne réalisée par l'AFPA est une chaîne de réponses à des besoins. La dévolution de certaines missions de formation professionnelle sous forme d'appels d'offres et l'attribution fréquente des marchés au moins-disant au niveau qualitatif nous gênent particulièrement. Pour prendre l'exemple des centres de bilans de compétences, qui ont réalisé pendant des années le bilan de compétences approfondi pour l'ANPE, certains d'entre eux ont perdu leur marché. Ceux qui l'ont conservé ont diminué leurs prix. Croyez-vous que nous soyons crédibles sur ce point ? Des associations de lutte contre l'illettrisme ont perdu des marchés car elles proposaient un tarif horaire de 6,50 euros, alors que d'autres affichaient 4,50 euros. Nous souhaiterions que les critères d'attribution soient la réponse aux besoins. Pour employer l'expression de « parcours de formation », il faut donner les moyens à ceux qui sont chargés d'accompagner les salariés d'accomplir un travail qualitatif, et non quantitatif. Or les statistiques de la formation professionnelle donnent davantage l'impression d'une suprématie du quantitatif sur le qualitatif.

M. Bernard Sellier, rapporteur - Vous avez rappelé les raisons pour lesquelles vous avez signé l'ANI de décembre 2003 et souligné ce que vous en attendiez. Êtes-vous en mesure de dresser un bilan de l'application de cet accord ?

M. René Bagorski - Le bilan sera prochainement tiré à la fin du CNFPTLV. Le premier bilan est extrêmement positif : 450 négociations de branche ont eu pour thème la formation professionnelle. Or, la formation professionnelle n'est pas obligatoire dans le cadre des négociations professionnelles. Au cours de ces négociations, chacun a réfléchi sur le périmètre de son territoire et la détermination des publics et certifications prioritaires. Cependant, l'adéquation des prestataires, notamment des offres de formations au sein du périmètre concerné, n'est pas toujours optimale. Je rappelle mes propos de l'introduction et souligne que certains organismes de formation se battent pour un retour au contrat de qualification. Nous pouvons nous demander si leur objectif est de pérenniser leur structure ou de répondre aux besoins définis par les partenaires sociaux. Or la définition politique est prise par les partenaires sociaux dans le cadre d'un ANI ou d'un accord de branche. Les OPCA sont des opérateurs chargés de trouver les organismes de formation pour mettre en oeuvre cette politique et non des organismes choisissant eux-mêmes les formations dans l'optique du taux de remplissage de leurs formations. Je crois que les difficultés actuelles sont dues au fait que les organismes de formation ne sont pas encore en adéquation avec l'objectif de personnalisation. Pourquoi avons-nous mis fin au système des contrats de qualification qui étaient devenus la « formation initiale bis » pour des jeunes d'un niveau Bac ou Bac+2 et leur permettaient de devenir rapidement opérationnels ? L'accord de 2003 que reprend la logique de la professionnalisation part du constat que 100 000 à 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif à un niveau V ou même à un niveau II, mais n'ont pas de professionnalisation et ne sont donc pas « compatibles » avec le marché du travail. En fonction du point de départ de chacun, nous devons, grâce à différents outils, notamment la professionnalisation, lui permettre d'accéder à l'emploi. L'objectif de toute formation est en effet d'accéder à l'emploi et de rester dans l'emploi tout au long de la carrière professionnelle. Pour établir un lien avec la sécurité sociale professionnelle, si des périodes de transition demeurent, l'entreprise doit être responsabilisée quand elle licencie et l'ensemble des acteurs donner les moyens aux salariés de retourner dans l'emploi. L'objectif n'est évidemment pas d'obtenir un emploi d'une qualification inférieure, mais de se situer dans une optique de promotion.

M. Bernard Sellier, rapporteur - J'aimerais que vous précisiez l'articulation branche-région. Quel est le territoire pertinent pour la concertation et l'harmonisation de l'ensemble des politiques de formation professionnelle ? Vous avez cité la région Rhône-Alpes et ses vingt-sept CTEF. Existe-t-il un « territoire institutionnel » pertinent ?

M. René Bagorski - Je crois d'abord que le territoire pertinent est fonction du périmètre de pouvoir de chacun. Une entreprise est aujourd'hui entourée de trois niveaux, dont deux normatifs : le niveau de la négociation et du dialogue avec les partenaires sociaux, notamment lié à une approche sectorielle et la loi. Deux lois, celle du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie et celle du 13 août 2004 sur les responsabilités locales des régions fixent en effet le périmètre de la formation professionnelle. La contractualisation entre l'Europe, l'État, les régions et les organisations professionnelles et syndicales constitue le troisième niveau. Le niveau pertinent est celui qui sera déterminé par un besoin clairement identifié. Une synergie des moyens peut ensuite se mettre en oeuvre. Le maillage branche-territoire aux niveaux d'un bassin d'emploi, d'un département, d'une région et de la nation sera alors permanent.

M. Bernard Sellier, rapporteur - L'identification claire des besoins implique-t-elle différents niveaux dans cette identification ?

M. René Bagorski - Je crois que les organisations syndicales de salariés doivent être reconnues comme des acteurs du même niveau que les autres. Pour prendre l'exemple des contrats d'objectifs territoriaux et des engagements de développement emplois compétences, nous sommes souvent intégrés au système une fois qu'ils ont déjà été définis, mais rarement en amont. Nous demandons que le lien de subordination du contrat de travail ne perdure par à l'extérieur de l'entreprise dans le dialogue social et la relation entre les différents partenaires. Nous revendiquons d'être au même niveau que les autres acteurs dans le cadre de la définition des besoins.

M. Bernard Sellier, rapporteur - Le constat que la formation ne peut former est fréquent. Confirmez-vous ce jugement ou le contexte actuel serait-il susceptible d'inverser cette tendance ? A quelle condition le DIF par exemple pourrait-il y contribuer ?

M. René Bagorski - Au regard des statistiques réalisées depuis l'accord de 2003, l'accès à la formation pour tous ne semble pas être devenu la norme. L'accès est toujours plus aisé pour les cadres et les employés, et moins pour les ouvriers et les personnes non qualifiées. Je souhaiterais revenir sur l'objectif de l'ANI et la définition des besoins. Je pense qu'il est très important de permettre l'accès à tous, c'est-à-dire d'informer et accompagner l'ensemble des salariés, à travers les différents dispositifs. Nous pourrions quasiment imaginer une « chaîne ». J'ai récemment rencontré en Haute-Savoie des salariés de l'entreprise Thales et du secteur de la métallurgie. Un salarié me disait avoir travaillé trente-quatre ans, sans avoir jamais suivi de formation. Or un PSE est en train d'être négocié dans son entreprise. Ce salarié est reconnu dans ses compétences à son poste de travail. Mais si l'entreprise ferme, rien ne peut les justifier sur le marché du travail. L'accord de 2003 avait pourtant affirmé que le bilan de compétences n'était pas un outil couperet, mais était utile pour faire le point sur les compétences d'un salarié. En outre, la VAE permet de reconnaître que le travail est formateur, la structure scolaire n'étant pas seule à développer les connaissances. Dans le projet collectif de l'entreprise, le plan de formation doit prendre en compte les besoins de ces salariés, les aider à formaliser, structurer et certifier leur parcours pour qu'il soit reconnu en interne, y compris au niveau salarial, mais aussi sur le marché du travail. Je crois que de trop nombreuses personnes sont encore malheureusement dans le cas du salarié que je viens d'évoquer. J'ai aussi rencontré un salarié de Thales qui a un CAP de cuisinier. Malgré ses dix-sept ans de travail, il n'a acquis aucune autre qualification. Nous devons songer au même salarié travaillant dans une petite entreprise, et dont le CV serait sans doute insuffisant sur le marché du travail. Nous devons aujourd'hui reconnaître, quelle que soit la nature de l'entreprise, le caractère formateur du travail et le certifier. Pour cela, les moyens, y compris financiers, existent. Ces moyens financiers doivent précisément être consacrés à ce type d'actions et non à la création de nouvelles niches.

M. Jean-Claude Carle, président - Pensez-vous que nous devons modifier les critères de la VAE ?J

M. René Bagorski - Pour nous, la VAE est définie par la loi de janvier 2002 et permet d'obtenir un diplôme ou un titre CQP reconnu dans le RNCP. Il s'agit à nos yeux du socle intangible : la VAE dotée de cette certification reconnue est ainsi « monnayable » sur le marché du travail. Certaines branches proposaient qu'un salarié puisse utiliser son droit à la VAE, à initiative personnelle, pour obtenir une certification parfois uniquement reconnue au sein de l'entreprise. C'est pourquoi la CGT n'a pas signé un avenant de juillet 2004 sur la VAE. Nous estimons, compte tenu du délai obligatoire entre deux VAE, que la VAE doit être reconnue au minimum par la branche et par le RNCP. Dans le cas contraire, la VAE ne serait qu'une réponse à un besoin de l'entreprise ou de son sous-traitant, sans permettre au salarié de valider son parcours et d'être reconnu sur le marché du travail.

Mme Isabelle Debré - La reconnaissance de la VAE par la branche est-elle une condition préalable à votre signature d'un avenant ? Sur ce point précis, je partage tout à fait votre opinion : il me paraît anormal que la VAE ne soit valable que dans une seule entreprise.

M. René Bagorski - Le niveau de la branche peut être pertinent à condition que la certification soit inscrite au RNCP. Dominique de Calan affirme par exemple que les CQP du secteur de la métallurgie sont le fruit d'une négociation et d'une réflexion des partenaires sociaux et ont donc une légitimité. Cependant, si un salarié quitte cette branche, son CQP n'est plus reconnu. Le socle des CQP doit donc être suffisamment large pour permettre au salarié d'avoir sa propre mobilité, indépendamment de la nature et du secteur d'activité des entreprises.

Mme Isabelle Debré - Je partage votre opinion. La VAE doit évoluer car nous rencontrons aujourd'hui des difficultés, également en tant qu'élus locaux, à la faire valoir, par exemple dans le domaine de la petite enfance et des affaires sociales. Pourtant, la VAE est un outil très important dont le fonctionnement pourrait être facilement amélioré, ce qui me paraît d'autant plus regrettable.

M. René Bagorski - Avant de laisser la parole à Paul Desaigues, je crois que le problème actuel est de distinguer ce qui est imputable à la formation professionnelle de ce qui ne l'est pas. Le prochain accord sur la métallurgie inscrira certainement un certain nombre de CQP au RNCP. Cet avenant de juillet 2004 n'a pas été étendu parce qu'il n'est pas conforme à la loi de janvier 2002. Je crois que l'administration et la CGT souhaitent, toutes deux, une évolution identique. Nous ne voulons pas que le système se transforme en « auberge espagnole » dans laquelle chacun parviendrait, pour répondre à son propre besoin, à obtenir du salarié qu'il utilise un de ses droits. Ce droit à la VAE doit continuer de relever de l'initiative du salarié, et non de celle de l'entreprise ni du secteur d'activité.

M. Paul Desaigues - Je souhaiterais faire une ou deux remarques complémentaires. Notre propos est d'outiller le salarié pour qu'il puisse construire un parcours professionnel et avoir un emploi tout au long de sa vie. Nous rejoignons la position du recteur Jérôme Chapuisat qui affirmait lors d'une précédente audition que le diplôme apporte une plus-value à la formation et constitue une condition de sa transférabilité. La problématique des CQP n'est pas lue ainsi, de même que la question que vous posiez précédemment sur le besoin d'évolution de la VAE. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de revoir le descriptif de la VAE, mais plutôt ses conditions d'accessibilité. Aujourd'hui, l'accès à la VAE est d'autant plus aisé que la formation initiale est élevée. Il faudra certainement renforcer les dispositifs d'accompagnement. L'ensemble du système doit également contribuer à une bonne information. Dans le secteur de la métallurgie, nous nous sommes progressivement rendu compte qu'il était absurde de conserver des CQPM captifs et nous avons créé des CQPI (certificat de qualification professionnelle inter-industries). Le millième CQPI a d'ailleurs récemment été remis. Ce dispositif est très intéressant et a, par exemple, permis à des salariés du secteur du textile de conserver leur emploi de conduite de process en sortant de leur filière. Nous avons une approche transversale pour le secteur public. Le salarié doté d'un diplôme reconnu pourra avoir un parcours professionnel mixant secteurs public et privé et des reconnaissances identiques. La branche animation a réalisé pendant quatre ans un fin travail de réflexion sur les niveaux II et III et a mis en place à la fois des diplômes et des CQP, conçus comme des points d'entrée dans l'accès au diplôme. Cette démarche correspond parfaitement à une stratégie modulaire du type de la VAE et est conforme à nos aspirations. Le CQP est problématique seulement lorsqu'il est captif et ne peut pas être universellement reconnu.

M. Michel Cardin - Je souhaiterais apporter un complément. Les conditions de mise en oeuvre sont un frein au développement de la VAE. Je partage l'opinion qui vient d'être exposée. Au regard du développement de la demande tant de la part des salariés que des non-salariés, les outils permettant une bonne mise en oeuvre sont encore déficients pour deux raisons : la difficulté d'accompagnement de l'individu dans son parcours de validation et les coûts d'un parcours de validation. De ce fait, les entrées sont moins nombreuses que les demandes, le nombre de validations étant encore moindre. Nous devons mettre en place un dispositif de VAE parfaitement intégré au sein des différentes instances en charge de la validation. Pour prendre l'exemple de l'éducation nationale, la validation est une tâche s'ajoutant à ses missions normales et assurée par les mêmes personnels. La question de l'accompagnement se pose donc fortement : quels disponibilité et type de personnel souhaitons-nous ? Nous rencontrons en effet un vrai problème de jurys, les employeurs y participant difficilement. Je crois que nous devrions réfléchir, non sur la VAE en tant que telle, mais sur les modalités de sa mise en oeuvre, en termes d'accompagnement humain et de moyens financiers. Le financement reste en effet un véritable frein pour les individus désireux d'entreprendre une VAE.

M. Bernard Sellier, rapporteur - Je souhaiterais vous poser une dernière question : quelle est votre opinion sur le projet de fusion des OPCAREG et de l'AGEFOS-PME qui permettrait, aux yeux de certains, de réaliser des économies d'échelle ?

M. René Bagorski - L'ensemble des organisations syndicales de salariés ont en avril 2005 adressé un courrier à la CGPME et au MEDEF pour plaider la mise en place d'un seul OPCA interprofessionnel. La position de la CGT n'a à cet égard pas évolué. Nous considérons que nous ne nous situons par dans un marché concurrentiel et nous ne souhaitons pas d'outils répondant uniquement aux besoins d'un seul acteur, le conseil d'administration. Nous sommes au contraire favorables à une synergie de moyens en réponse aux besoins territoriaux et professionnels. Nous ne voulons pas supprimer l'un et garder l'autre, mais mettre en place un OPCA interprofessionnel regroupant l'ensemble des acteurs, ne privilégiant pas l'un au détriment de l'autre. Chacun a en effet montré, par le travail qu'il a effectué, sa compétence.

M. Jean-Claude Carle, président - Messieurs, je vous remercie pour vos interventions. Le sujet n'ayant évidemment pas été épuisé, je vous invite à nous faire connaître tout point particulier que vous jugerez utile.

Audition de MM. Jean-Paul DENANOT, président du conseil régional du Limousin, président de la commission formation professionnelle de l'Association des régions de France (ARF) et Yves AUBERT, directeur général adjoint chargé de la solidarité au Conseil général du Val-d'Oise (9 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous avons le plaisir d'accueillir MM. Denanot, président du conseil régional du Limousin et président de la commission formation professionnelle de l'ARF et Aubert, directeur général adjoint du conseil général du Val-d'Oise et qui supplée François Scellier, président du conseil général du Val-d'Oise, secrétaire général adjoint de l'assemblée des départements de France (ADF), qui a eu un empêchement. Messieurs, vous connaissez l'objet de notre mission commune d'information sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle. Notre objectif est de réaliser un diagnostic de ce secteur investi par de nombreux acteurs et publics. Le bilan que nous dresserons sera accompagné de propositions le cas échéant. Les collectivités locales, en particulier les régions, ont reçu par la loi des compétences en matière de formation professionnelle. Les départements ont quant à eux des compétences en matière d'insertion et de formations sanitaires et sociales. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons vous écouter. Notre objectif est de rendre ce rapport vers la mi-juillet, avant les vacances estivales. Je vous propose de vous laisser tout de suite la parole. Notre rapporteur et mes collègues vous poseront ensuite quelques questions.

M. Jean-Paul Denanot - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à cette audition. Je crois que la formation professionnelle est effectivement une question fondamentale et complexe, car elle s'insère dans d'autres dispositifs plus larges, tels que la formation initiale, l'orientation et l'emploi. Je souhaiterais évoquer de manière approfondie cette chaîne marquée par la notion d'interdépendance. Les questions d'orientation et de détermination des matières enseignées au collège apparaissent fondamentales. A partir de quelle matière oriente-t-on les jeunes vers la formation professionnelle ou générale ? Nous devons réfléchir à la présence du technologique et du professionnel dans les lycées et les universités. Nous pourrons peut-être évoquer ces questions complexes plus tard.

Il me paraît d'abord important de comprendre que la formation professionnelle n'est qu'un des maillons du dispositif. Les problématiques d'insertion sont davantage liées aux départements. La question est complexe du fait de la multiplicité d'acteurs, dont le nombre est sans doute excessif selon moi. Il est en effet difficile de se retrouver dans les méandres du système de formation générale et professionnelle, même pour les spécialistes. L'ensemble des observateurs sont frappés par cette complexité. Bien qu'« ancien » dans le secteur, je mesure moi-même la difficile compréhension du fonctionnement du système. Je crois qu'il existe de nombreuses marges de progrès possibles dans l'organisation des passerelles, les financements, la formation et l'orientation. Nous devons nous appuyer sur les dispositifs nouveaux tels que la VAE et la GPEC qui sont, à mes yeux, deux atouts importants. Le système reste encore trop lourd, complexe, et manque d'efficacité du fait notamment de la multiplicité d'acteurs et de financeurs. Les entreprises tiennent un rôle majeur dans le financement. La répartition entre les organismes collecteurs de branche et les organismes collecteurs territoriaux constitue une difficulté supplémentaire pour créer les passerelles nécessaires entre les branches professionnelles et les territoires, d'où la proposition que la région joue un rôle de coordination. Lorsque je suis devenu président, un certain nombre d'acteurs publics et privés de la formation se sont spontanément adressés à moi pour me faire part de leur volonté de clarifier le système et me demander de coordonner les politiques. Dans la mesure des moyens disponibles, j'ai réussi à fédérer ces acteurs (l'État, qui doit conserver un rôle majeur, les régions et les partenaires sociaux), en créant un groupement d'intérêt public sur les questions de formation professionnelle et d'orientation. Ce GIP comprend l'État, la région à parité et l'ensemble des partenaires sociaux. Je crois que cette avancée s'est révélée intéressante pour coordonner les dispositifs. L'ensemble des acteurs continuent à disposer de ses propres moyens. Malheureusement, l'ASSEDIC, qui est un des financeurs importants de la formation professionnelle, ne nous a pas rejoints.

M. Jean-Claude Carle, président - Pour quelle raison ?

M. Jean-Paul Denanot - L'ASSEDIC ne nous a pas adressé un refus, mais attend des clarifications. Son absence me semble regrettable. L'ASSEDIC a rapidement pris conscience qu'il fallait accentuer la formation professionnelle des demandeurs d'emploi pour assurer leur réinsertion, ce qui constitue un bon axe de travail. Aujourd'hui, une coordination de l'ensemble des acteurs est nécessaire. Au conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, nous avons observé que les financements des régions et des ASSEDIC aux politiques publiques de formation varient très fortement d'une région à une autre. Dans des régions, l'ASSEDIC finance les politiques à hauteur de 10 %, dans d'autres à 60 %. Les raisons de cette situation sont sans doute locales et multiples, mais ce degré de dispersion est anormal. Nous devons donc clarifier le rôle de chacun.

En outre, les branches professionnelles complexifient parfois les passerelles. Si chacune ne souhaite former que dans sa branche professionnelle, toute idée de sécurisation des parcours professionnels est vouée à l'échec. Ces questions de passerelles horizontales entre les branches et de lieu d'exercice de la coordination doivent être résolues afin que nous puissions avancer. Je relève une demande forte de sécurisation des parcours professionnels de la part du public, des salariés, des entreprises et des partenaires sociaux. S'il est sans doute vrai que chacun comprend cette expression à sa manière, le principe d'une utilisation de l'argent de la formation professionnelle pour l'élaboration de parcours professionnels constitués de temps travaillé, de temps de formation, de temps de validation d'acquis et peut-être de temps d'insertion ou de travaux d'utilité collective me semble partagé. Nous devons réfléchir à l'organisation même du parcours professionnel de chaque individu, ce qui touche à la problématique de l'orientation et des organismes qui en sont chargés, c'est-à-dire les CIO en formation initiale et l'ANPE, les missions locales et les PAIO qui jouent un rôle de plus en plus important dans ce domaine, en tant que prescripteurs de parcours. Nous devons clarifier les rôles des différents acteurs, prescripteurs, financeurs et organismes de formation et améliorer l'efficacité de l'ensemble des dispositifs. Le salarié ou le demandeur d'emploi, souvent perdu, doit être placé au centre de ce système. Je ne souhaite pas approfondir ce sujet. Les questions ultérieures nous permettront sans doute d'aborder un certain nombre de problématiques.

Je voudrais en revanche évoquer deux points touchant directement les régions. Si l'apprentissage est devenu une question complexe du fait de la multiplicité d'acteurs, la loi confie normalement aux régions le droit commun en cette matière, l'État intervenant pour l'enregistrement des contrats. Ce rôle me paraît naturel, compte tenu du caractère régalien du droit du travail. Cette compétence a cependant été attribuée aux régions qui l'ont refusée pour cette raison même. Ce sont donc aujourd'hui les chambres de commerce qui sont chargées de l'enregistrement des contrats. J'ai pu discuter de ce point avec Gérard Larcher et lui faire part de la complexification regrettable de la gestion des contrats d'apprentissage. Il m'a promis d'oeuvrer pour une simplification et une clarification des dispositifs.

Par ailleurs, l'apprentissage entre aujourd'hui directement en concurrence avec les lycées professionnels. Ce problème est d'autant plus sérieux dans les régions peu peuplées. J'ai exprimé mon sentiment sur ce sujet à Gérard Larcher. Il est en effet difficile de former des groupes de trois ou quatre apprentis ou de trois ou quatre lycéens, ce qui occasionne des suppressions de postes et des transferts à des lycées professionnels ou à l'apprentissage. Les conflits sont relativement permanents sur ce point. La question de la complexité du financement de l'apprentissage se pose en arrière-plan. Si les régions sont compétentes en matière d'apprentissage, je ne vois pas pourquoi elles ne seraient pas destinataires de la taxe d'apprentissage. Nous devons y réfléchir. Une redistribution solidaire est peut-être nécessaire. Les régions ont sans doute besoin d'être plus directement destinataires de la taxe d'apprentissage. Elles disposent également d'une compétence transférée par les lois du 13 août 2004 en matière de formations sanitaires et sociales qui nous pose de nombreuses difficultés. Les effectifs à renouveler les prochaines années seront très importants et il faudrait sans doute travailler en collaboration avec l'éducation nationale. Aujourd'hui, l'éducation nationale forme des BEP Carrières sanitaires et sociales qui ne débouchent sur aucun métier. Nous tentons de développer l'idée qu'elle pourrait former les aides soignants et peut-être des infirmiers. Le chantier ouvert est important. L'ensemble des acteurs devront être impliqués. Les métiers d'aide à la personne constituent en effet une mine de futurs emplois.

M. Jean-Claude Carle, président - M. le président, je vous remercie. M. le directeur, je crois que les formations sanitaires et sociales relèvent de la compétence des départements. Pouvez-vous nous exposer votre opinion sur ce point ?

M. Yves Aubert - Je vous remercie monsieur le président. Je vous prie d'excuser le président Scellier, empêché. Je rappellerai des éléments présentant la vision de l'ADF et quelques éclairages issus de l'expérience valdoisienne. Comme le président Denanot l'a affirmé, les départements s'inscrivent dans le cadre de la loi et reconnaissent la compétence dévolue aux régions. Pour autant, celles-ci ne peuvent agir en cavalier seul. L'enjeu est en effet d'organiser la mise en oeuvre du système de formation efficacement et dans la plus grande concertation possible. Cet objectif est partagé par les différents acteurs. Je souhaite informer la commission d'une initiative, le président Denanot pouvant également compléter les éléments dont je vous ferai part. Les deux commissions de l'ARF et de l'ADF engageront prochainement un travail en commun approfondi pour articuler les besoins et les réflexions en matière de formation. La formalisation est actuellement très variable d'un département ou d'une région à une autre. Si l'objectif et la volonté sont partagés, le chemin à accomplir au niveau territorial est important. Je souhaite souligner deux enjeux pour les départements : la qualification des personnels, du fait de l'évolution des besoins, des publics, des compétences et de l'émergence de nouveaux métiers et services de plus en plus personnalisés (démarches individualisées dans le cadre de l'APA, démarches de compensation du handicap). L'accueil, l'étude des besoins, des plans d'autonomie ou de compensation font l'objet d'une personnalisation croissante, ce qui suscite un fort enjeu de professionnalisation pour les agents du conseil général concerné, ainsi que l'ensemble des acteurs associatifs, ou des structures telles que les CCAS, en termes de services à domicile et d'aide à la personne. Ces services et leurs personnels doivent être fortement modernisés et professionnalisés.

En matière d'accompagnement social, des évolutions sont perceptibles, le département ayant repris le plein exercice en matière de RMI et de fonds solidarité logement. Les différentes structures intervenantes, en particulier associatives, doivent être professionnalisées. Le Val-d'Oise se situe dans une logique dite de commande publique, les attentes que nous avons des différents opérateurs étant mieux définies dans les cahiers des charges. L'une de nos attentes porte sur le caractère professionnel, ce qui nous amène à travailler avec les associations sur les qualifications de leurs personnels. Les enjeux de formation ou de VAE sont à cet égard majeurs. En outre, l'évolution des besoins en matière de qualification des personnels est également marquée par la personnalisation des services, le travail en réseau, c'est-à-dire le développement social et la nécessité de savoir articuler son intervention avec les autres.

Outre l'enjeu de qualification des personnels, les publics en insertion constituent le deuxième enjeu important. Plus de la moitié des bénéficiaires du RMI ont en effet un niveau troisième au maximum, 23 % ont un niveau Bac et plus. Si le public du RMI reste un public relativement diversifié, je voudrais souligner à travers ces chiffres l'enjeu de la qualification pour ces publics. En outre, deux tiers des bénéficiaires du RMI n'ont pas d'expérience professionnelle (15 %) ou ont une expérience professionnelle pas ou très peu qualifiée. Dans le Val-d'Oise, nous avons commandé une étude au CREDOC portant sur 1 000 bénéficiaires du RMI qui a montré que le niveau de formation joue un rôle majeur sur la sortie du dispositif. Les allocataires du département, bien qu'un peu plus diplômés que les allocataires métropolitains restent peu formés : 44 % n'ont pas de diplôme ou au plus le certificat d'études primaires, 17 % rencontrent beaucoup de difficultés en lecture, écriture ou calcul. Les personnes les moins diplômées sont par ailleurs particulièrement nombreuses à rester dans le dispositif. Ces chiffres illustrent la dimension des besoins de ces publics en insertion. Je voudrais insister sur l'importance de la concertation entre le département et la région. Les bénéficiaires du RMI peuvent évidemment bénéficier des initiatives mises en place par la région en matière de formation et des offres des organismes de formation. Pour autant, nous constatons que l'enjeu du parcours d'insertion est d'articuler quasiment simultanément une formation ciblée en amont et/ou en aval et l'accès à l'emploi. Ceci implique de la souplesse et de la réactivité. Or les besoins du terrain peuvent souvent nécessiter d'improviser et de construire rapidement une réponse en termes de formation. La concertation que nous mènerons avec la région Île-de-France dans les prochains mois devra donc intégrer cette souplesse et cette réactivité au sein de la construction de fond d'une offre de formation.

Je souhaiterais évoquer quelques expériences pour illustrer et compléter mes propos. Nous avons ainsi commandé une étude en 2004 à un cabinet de consultants sociologues qui a mené 150 entretiens approfondis de bénéficiaires. Ceux-ci ont majoritairement qualifié l'offre de « virtuelle », regrettant l'absence de débouchés. Nous retrouvons dans ce sentiment la célèbre appellation de « stages parking ». L'enjeu n'est donc pas de proposer de la formation aux bénéficiaires du RMI, car nous proposons trop souvent de « la formation pour la formation » sans la connecter à un accès à l'emploi. La sortie du « virtuel » doit nous guider dans la refondation de notre politique de l'insertion. Nous devons redéfinir et adapter l'ensemble des parcours à la diversité des bénéficiaires dont témoignent les statistiques, notamment en créant des parcours professionnalisés pour les bénéficiaires les plus éloignés de l'emploi et des parcours renforcés vers l'emploi avec l'appel à des opérateurs spécialisés, pour accélérer l'accompagnement des bénéficiaires dont l'accès à l'emploi est jugé plus aisé.

Au sein de ces parcours, la formation joue un rôle majeur. Nous avons ainsi mis en oeuvre un certain nombre d'actions en complément de celles déjà proposées. Dans le Val-d'Oise, l'AFPA nous est apparu l'acteur le plus intéressant et le plus actif de l'ensemble du service public pour l'emploi. Le président Scellier signera d'ailleurs la semaine prochaine avec l'AFPA un protocole de partenariat portant sur des actions relatives aux services d'aide à domicile. Nous terminons en ce moment notre travail sur une convention triennale qui a impliqué l'AFPA et qui prévoit la formation à ces métiers d'une centaine de personnes par an. Nous allons la renouveler grâce au concours du FSE. Le conseil général a recruté 290 personnes en contrat aidé, en particulier 210 personnes sur des emplois TOS au sein des collèges. La formation sera financée grâce au concours de l'AFPA en 2006 et un appui de la DDTEFP. Cet appui ne se renouvellera pas en 2007. La formation et la certification aux métiers des TOS, d'auxiliaires de consultation pour les PMI répondent pourtant à de vrais besoins et nous avons conçu avec l'AFPA des programmes de formation adaptés. D'autres actions sont envisagées avec l'AFPA, notamment sur les métiers du BTP et de la logistique. Les besoins se manifestant par exemple pour la plate-forme aéroportuaire de Roissy nous amènent à apporter en collaboration avec l'AFPA des solutions rapides en termes de formation à ces métiers logistiques. Nous avons également conçu une initiative en partenariat avec la chambre des métiers portant sur la formation aux métiers de la boulangerie, pour répondre aux besoins de bénéficiaires du RMI. La chambre des métiers dispose d'un plateau très intéressant en la matière. Ni l'ASSEDIC, ni la région n'avaient pourtant répondu à ses appels, sans doute du fait d'une certaine inertie. Le conseil général s'est donc engagé à titre expérimental en espérant que la réussite de cette action entraînerait les autres partenaires. Je crois que le bilan qui commence à se dégager est positif, mais nous rencontrerons bientôt la région pour développer davantage ce type d'actions pour répondre aux besoins des salariés et de l'ensemble des publics et à l'émergence de nouveaux métiers. La concertation doit permettre, y compris grâce à des partenariats financiers, d'obtenir cette nécessaire souplesse et réactivité au niveau territorial afin de faciliter l'accès à l'emploi et mieux accompagner les bénéficiaires du RMI.

M. Jean-Claude Carle, président - Monsieur le directeur, je vous remercie. Avant de passer la parole à notre rapporteur, je voudrais évoquer de nouveau le télescopage actuel entre les lycées professionnels et l'apprentissage dans le Limousin mais aussi dans d'autres régions plus peuplées telles que ma région des Rhône-Alpes. Gérard Larcher s'est étonné de cette séparation entre l'apprentissage et l'éducation nationale. L'éducation nationale ne pourrait-elle pas se saisir davantage de l'apprentissage grâce à une mutualisation d'un certain nombre d'équipements ? Les régions, responsables du PRDF, pourraient jouer le rôle de coordinateur. Face à la multiplicité des acteurs, on observe dans les expériences évoquées par M. le directeur la mise en place d'un certain nombre de formations, les compétences relevant cependant de la région. Se pose donc le problème de la cohérence du niveau d'application. M. le président, la région doit-elle être le chef de fil de ces formations à travers le PRDF ? Le bon niveau de mise en oeuvre des actions doit-il être le bassin de formation ou le bassin d'emploi ?

M. Jean-Paul Denanot - Sans doute. Nous sommes d'ailleurs en train de travailler sur les bassins de formation et d'emploi. Nous avons pris conscience que les territoires s'appropriaient mal cette problématique de la formation professionnelle lors de la réception de projets de contrats de pays. La formation est en effet souvent absente du travail sur les bassins. Vous avez parfaitement raison de poser plus largement la question de l'éducation nationale et de l'apprentissage. Le Limousin est assez atypique à cet égard, la plupart de ses centres de formation d'apprentis étant situés auprès des lycées professionnels. Cette situation permet une certaine cohérence entre l'apprentissage et les lycées professionnels. Je souhaiterais, malgré la résistance institutionnelle et professionnelle, que les lycées deviennent davantage des lycées des métiers, c'est-à-dire soient dotés des trois composantes : formation initiale traditionnelle, apprentissage et formation professionnelle tout au long de la vie. Ceci permettrait de réaliser des économies d'échelle de moyens. Les lycées professionnels pourraient en outre disposer d'une meilleure vision de la situation en matière de formation. La résistance à un tel type de projet reste cependant forte, notamment de la part du personnel enseignant. En tant qu' « ancien » de l'éducation nationale, je tente de convaincre de l'intérêt de tous du groupement des trois publics (élèves de la formation initiale, stagiaires de la formation professionnelle et apprentis) surtout en milieu rural. J'ai mis en place ce groupement à titre professionnel et ai pu constater les économies d'échelle réalisées et la meilleure réponse apportée aux besoins des citoyens. Nous devons encore réfléchir aux mesures de stabilisation des personnels et d'accompagnement, notamment en termes de diversité des rythmes. Ces mesures n'éviteront peut-être pas la concurrence, mais permettront sans doute de l'atténuer.

Nous avons beaucoup travaillé en Limousin en collaboration avec les lycées professionnels sur les CFA, en partant de l'initiative de mon prédécesseur. Je crois que les autres régions commencent désormais à prendre conscience que la mise en place d'un CFA auprès d'un lycée professionnel est possible et permet une certaine simplification. Néanmoins, certains professionnels expriment leur forte opposition. Le paysage est en effet très complexe (CFA, chambres de commerce, branches professionnelles). L'intervention de M. Aubert montre bien les difficultés de créer une dynamique entre l'insertion sociale et professionnelle. Je crois que les deux sont pourtant intimement liés et que ces points doivent être débattus et clarifiés. Aujourd'hui, la question de l'AFPA qui vient d'être évoquée est « ubuesque » par rapport à la loi de décentralisation du 13 août 2004, la commande publique de l'AFPA étant transférée aux régions au 1 er janvier 2009.

D'ores et déjà, dix-huit des vingt-deux régions ont réalisé le transfert le 1 er janvier 2007. Il est en effet cohérent que les régions aient à leur disposition l'AFPA, puisqu'elles sont compétentes en matière de formation professionnelle. Le Val-d'Oise n'est pourtant pas le seul département ayant directement travaillé avec l'AFPA. Je me demande qui, de l'AFPA, de la région ou de la commande de l'État, assure le financement. Si ce point mérite d'être clarifié, les vraies questions devront également être posées. L'AFPA profite du dispositif en ayant de multiples clients : départements, régions et État. Il serait préférable que les départements et les régions s'entendent sur la cohérence des parcours. M. Aubert l'a parfaitement souligné. De nombreuses parties de parcours sont malheureusement inutiles et rares sont les parcours cohérents. Je souhaite laisser à votre disposition ce livre portant sur la cohérence des parcours et dont j'ai écrit une partie. J'ai par exemple observé dans ma carrière sept ou huit stages d'insertion successifs, ne débouchant sur aucune insertion, la question de la qualification ayant été oubliée. Nous devons cesser ce gâchis. Les parcours doivent être cohérents et aboutir à une qualification. Enfin, je voudrais attirer votre attention sur la première année de sortie du dispositif éducatif, qui représente « l'année de tous les dangers ». Comment les diplômés issus du système éducatif entrent-ils sur le marché de l'emploi ? Sommes-nous capables de trouver des systèmes permettant une meilleure adéquation entre l'offre et la demande ? Nous devons étudier en amont la question de l'orientation initiale, prévoir des parcours cohérents dès la sortie du système éducatif et, pour cela, nous concerter et déterminer précisément les compétences de chaque acteur.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie. J'aimerais vous interroger sur les carrières sanitaires et sociales. Le BEP a-t-il encore son utilité ? Ne doit-on pas là encore procéder à une simplification ?

M. Jean-Paul Denanot - Je crois que vous avez raison de poser cette question. Je suis toujours frappé de constater que ce diplôme n'a aucun débouché. Après le BEP, un an de CAP d'aide soignant permet d'obtenir une réelle qualification et un emploi. Pourquoi l'éducation nationale n'irait-elle pas jusqu'au bout de sa logique en prévoyant un CAP d'aide soignant après le BEP ? Pour en avoir fait l'expérience en tant que formateur de l'éducation nationale, je suis bien conscient que les deux ministères sont en conflit. J'ai voulu au titre de la formation continue créer une formation d'aide soignant, ce qui s'est révélé particulièrement complexe. J'y suis parvenu en mettant en avant que l'éducation nationale n'avait aucune raison de ne pas participer à la préparation du CAP d'aide soignant au titre de la formation continue. J'ai travaillé avec les hôpitaux volontaires. L'idée d'un travail commun entre ces deux grands ministères a fini par être acceptée.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette situation explique en partie que les formations sanitaires et sociales n'aient pas été introduites au sein du PRDF.

M. Jean-Paul Denanot - Effectivement. Les questions de la VAE pour les professions réglementées ne sont également toujours pas résolues.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie. Monsieur le rapporteur, je vous donne la parole.

M. Bernard Sellier, rapporteur - Monsieur le président, je suis intéressé par l'initiative que vous avez prise en Limousin, en créant un GIP sur la formation et l'orientation et je souhaitais vous demander si vous envisagiez une extension possible de cette initiative. Comment faire la jonction avec la problématique du rapprochement entre les financeurs ? Plusieurs personnes que nous avons auditionnées nous ont parlé d'une conférence des financeurs pour mettre en commun les financements adaptés.

M. Jean-Paul Denanot - Je crois que l'ensemble des acteurs attendent davantage de coordination au niveau régional. Les régions ont pour l'instant tenté de répondre à cette sollicitation de manière très diverse. Les conférences des financeurs sont une solution adoptée par de nombreuses régions. Je voulais moi-même initialement organiser une telle conférence, mais celle-ci n'a pu ensuite avoir lieu. En partenariat avec l'État et le préfet, j'ai mis en place un GIP État-région qui associe également l'ensemble des acteurs (partenaires sociaux, missions locales, ANPE...), à l'exception de l'ASSEDIC. Nous disposons ainsi d'un lieu de ressources sur la formation au niveau territorial, que nous avons d'ailleurs appelé « centre de ressources ». Les régions ont cherché à mener ce type d'initiative à la demande consensuelle de l'ensemble des acteurs qui souhaitaient davantage de lisibilité dans le paysage de la formation professionnelle. Quatre ou cinq GIP se sont donc mis en place (Centre, Provence-Alpes-Côte d'Azur...), ainsi que des conférences des financeurs dans d'autres régions (Rhône-Alpes, Poitou-Charentes...). Les différents acteurs ont largement pris conscience de la nécessité de se concerter afin de définir des orientations politiques suffisamment claires et non contradictoires entre les financeurs. Il me semble en effet particulièrement regrettable de constater que des fonds publics sont utilisés en concurrence les uns par rapport aux autres. Néanmoins, la création d'une institution régionale par la loi simplifierait grandement le système en évitant tout recours au volontariat.

M. Bernard Sellier, rapporteur - Qu'en est-il des maisons de l'emploi ?

M. Jean-Paul Denanot - L'ANPE et les missions locales assurent déjà l'accueil. Les maisons de l'emploi, à l'exception de celles qui sont installées depuis longtemps, trouvent donc difficilement leur place. C'est le cas par exemple d'une maison de l'emploi en Limousin qui existe depuis vingt ans, les autres tentatives ont en revanche toutes avorté dans cette région. Il ne faut donc pas multiplier les dispositifs. Nous avons besoin d'un dispositif d'orientation financière, de formation, d'orientation et d'écriture des parcours professionnels individuels. L'objectif est de coordonner les grandes orientations de la part des financeurs et d'élaborer des parcours individuels intégrant un dispositif de formation.

M. Yves Aubert - La situation du Val-d'Oise ressemble à la description que vous venez de dresser des maisons de l'emploi. Aujourd'hui, les quatre projets labellisés sont encore loin d'être opérationnels et rencontrent des difficultés pour trouver leur place. Nous pouvons cependant penser que ces maisons sont théoriquement compétentes pour identifier les besoins locaux, déterminer les outils de déclinaison et insuffler de la souplesse et de la réactivité. Néanmoins, ces maisons de l'emploi sont encore largement des projets « dans les cartons ».

M. Jean-Claude Carle, président - Monsieur le président, je partage votre opinion sur les maisons de l'emploi. Celles qui fonctionnent le mieux sont celles mises en place avant le processus de labellisation, bien que celui-ci ne soit pas en lui-même néfaste et que les financements soient en général pertinents.

M. Jean-Paul Denanot - Ces financements créent des besoins qu'il faudra pérenniser.

M. Jean-Claude Carle, président - Ils créent effectivement un besoin et un confort. Or parfois « l'inconfort » permet une plus grande mobilisation des acteurs.

M. Bernard Sellier, rapporteur - La question de la concertation entre l'ADF et l'ARF a en effet posé problème aux conseils régionaux. L'incertitude sur le profilage définitif de la responsabilité en matière d'orientation, de formation et d'insertion constituait la raison de l'hésitation sénatoriale et c'est pourquoi les missions locales n'ont pas été affectées de manière prématurée. Pourtant, l'orientation et la stratégie ne peuvent être séparées et la question existe.

M. Jean-Paul Denanot - Monsieur le rapporteur, lorsque le Sénat n'a pas procédé au vote, la logique aurait voulu que les régions arrêtent de financer les missions locales. La position actuelle me paraît illogique.

M. Bernard Sellier, rapporteur - Je crois que la situation est transitoire. Je souhaitais par ailleurs connaître votre opinion sur le service public de l'emploi au niveau local. Quel rôle doit exercer l'État dans la formation professionnelle ? J'ai bien entendu les réponses que vous avez apportées en matière de concertation. Le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie peut-il par exemple faire office de régulateur central du système ?

M. Jean-Paul Denanot - J'avais également évoqué la question du service public de l'emploi avec M. Larcher. Je jugeais en effet difficilement compréhensible que l'AFPA fasse partie du service public régional, alors que les régions n'y participent pas. J'avais demandé que les régions soient informellement invitées au service public de l'emploi. J'aurais cependant souhaité un véritable co-pilotage État-région, à l'instar du GIP et je crois qu'il faudra tendre vers cet objectif. Aujourd'hui, les politiques sont partagées entre l'État et la région, chacun exerçant son propre rôle. Gérard Larcher n'a pas pu prendre de mesures en ce sens, la loi étant déjà votée. Le système comporte donc une anomalie : les régions financent le service public de l'emploi mais leur présence n'a pas été institutionnalisée. Je tiens ici à rendre hommage à Dominique Balmary car il n'était pas aisé de prendre initialement des décisions au conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. J'ai quant à moi joué mon rôle de représentant des régions au sein de ce conseil, qui comprenait des partenaires sociaux aussi différents que M. de Calan de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) et les représentants syndicaux de salariés. Ce lieu de concertation est aujourd'hui devenu incontournable. Si les intérêts des uns et des autres sont parfois contradictoires, ce collège rassemblant l'État, les régions, les partenaires sociaux et quelques personnalités me semble un lieu de travail efficace. Ce conseil devrait sans doute être un peu plus écouté ou davantage prescriptif, mais l'idée générale me paraît pertinente.

M. Yves Aubert - Le conseil général du Val-d'Oise participe au SPE : le lien entre l'insertion et l'emploi le justifie. Au plan national, l'ADF et l'ANPE ont défini un cadre commun de collaboration sur les questions d'insertion. Cette initiative se traduit dans le Val-d'Oise par une convention de partenariat, et une mise à disposition de six agents de l'ANPE au sein des équipes d'insertion du conseil général. Le rôle de ces conseillers ANPE est important du fait de l'organisation par territoire. Cette situation existe depuis le 1 er janvier 2004 et a été redéfinie par les départements. Ces conseillers disposent d'une expertise sur l'articulation entre les parcours de formation et l'insertion des bénéficiaires. J'ai évoqué la situation de l'AFPA et je n'y reviendrai pas. Je relève une dimension pragmatique qui a bien fonctionné, bien que vous rappeliez à juste titre le cadre institutionnel.

M. Bernard Sellier, rapporteur - Avez-vous des expériences innovantes et efficaces en matière d'insertion et de formation professionnelle initiées au niveau régional ou départemental ? Ma question vise à connaître des bonnes pratiques qui pourraient être étendues.

M. Jean-Paul Denanot - Nous avons mis en place en Limousin des structures permanentes de formation, ce qui pose la question du service public de la formation. Les ateliers pédagogiques personnalisés existent partout en France et sont souvent financés par l'État et la région. Le Limousin reprend ce modèle d'individualisation des parcours. A travers cette structure permanente, l'objectif est de créer des centres permanents de formation professionnelle dans les secteurs tertiaire, industriel ou le bâtiment. Plus récemment, compte tenu de la pression dans notre région des problématiques d'aide à la personne, nous avons créé des plates-formes spécialisées de formation aux métiers d'aide à la personne. Ce dispositif commence à porter ses fruits. Les besoins exprimés par l'ensemble des associations sont en effet très importants et je crois que nous avons réussi à y répondre par des structures permanentes souples. Les stages ne se déroulent pas par exemple à date fixe : nous avons mis en place un système d'entrées-sorties permanentes, intégrant des formations annualisées.

Cet exemple m'amène à poser la question du service public de la formation en région. Nous attendons actuellement une éventuelle évolution de la jurisprudence. Les régions pourront-elles continuer à passer une commande publique ou seront-elles systématiquement obligées de mettre en place des formations sous le régime de l'appel d'offres ? Cette question s'est posée au sein de l'ARF, d'autant plus que les pratiques des régions sont assez diverses. Ce point mérite une réflexion. Un service public de formation en région peut-il être mis en place ? Je crois que ce n'est pas forcément le seul instrument de formation et qu'il peut y avoir par la suite des formations plus spécialisées. Le type de service public évoqué qui comprend des centres permanents professionnels et des APP et qui serait le noyau du système de formation en région peut-il continuer à être financé au titre de la subvention ? Il peut en effet être considéré comme un service public d'intérêt général et non comme un service d'intérêt économique. Aucune réponse n'a été pour l'instant apportée à cette question pourtant fondamentale. Nous attendons que la France clarifie sa position à cet égard, afin de savoir si nous continuons à subventionner certains organismes ou non. Je n'exclus pas forcément de l'expression « service public de formation » les organismes privés. Cette question se pose avec beaucoup d'acuité, car la situation actuelle aboutira à de réelles difficultés en 2009 sans subvention de l'AFPA. Le passage d'un système de commande publique à l'AFPA à un système de mise en concurrence de l'AFPA avec d'autres organismes serait regrettable au niveau social.

M. Yves Aubert - J'évoquais dans ma précédente intervention la refondation de la politique de l'insertion. La volonté de définir des parcours cohérents et plus adaptés à chaque bénéficiaire se traduit notamment par la création d'un nouveau parcours emploi. Je relève la prise de conscience des services instructeurs, des services sociaux qui restent référents dans l'ensemble du parcours et ne sont cependant pas spécialistes de l'emploi. Nous avons adapté le dispositif pour que ces services soient compétents pour la première mission de pré-orientation et qu'ils passent ensuite le relais pour le parcours emploi à un opérateur spécialisé dans l'évaluation et la construction de ce parcours. Ces opérateurs sont recrutés sur appel d'offres, ce qui constitue une nouveauté. Une fois que ce parcours a été défini, les objectifs précisés et le plan d'action élaboré avec le bénéficiaire, un deuxième opérateur spécialisé dans le placement et recruté sur appel d'offres prend le relais. Cette séparation de l'évaluation et du placement est assez innovante, par rapport au dispositif de l'ASSEDIC.

Je soulignais également dans ma précédente intervention l'initiative que nous avions engagée avec l'AFPA, en particulier pour les métiers d'aide à domicile. Il me paraît intéressant de citer quelques éléments chiffrés : 190 demandeurs d'emploi ont été recrutés pour la formation aux métiers d'aide à domicile à partir de cinq plateaux techniques maillant le territoire du département. Nous avons enregistré 96 % de réussite à l'examen final et 68 % d'insertion durable dans l'emploi. En travaillant sur des objets bien ciblés et en mettant en place les moyens nécessaires, des objectifs conséquents peuvent être atteints. Nous tentons aujourd'hui de diffuser l'idée, à travers l'expérience du conseil général, de contrats aidés comme « contrats sas » vers des emplois durables. Ceci suppose une action de formation, que nous mettons en oeuvre au sein du conseil général et que nous tentons de « vendre » aux potentiels employeurs, y compris du secteur marchand. Le département du Val-d'Oise s'engage avec l'agence nouvelle des solidarités actives de Martin Hirsch dont font partie une dizaine de départements qui ont lancé des initiatives expérimentales autour du RMI. Un des axes de travail est de créer, en collaboration avec l'employeur, marchand ou non marchand, des contrats aidés sur mesure, tant en termes de contrat, que de package (accompagnement, tutorat, formation) afin de faciliter l'intégration dans l'emploi. Nous travaillons actuellement sur chaque cible d'employeur pour nous adapter le mieux possible à leurs besoins.

M. Jean-Paul Denanot - Nous avons récemment organisé un séminaire au sein de l'ARF. Je vous laisserai le document relatant cinq ou six expériences de régions qui pourraient vous intéresser.

M. Bernard Sellier, rapporteur - Je souhaiterais encore vous poser deux questions, monsieur le président. Par rapport au bilan que vous dressez des PRDF et leur articulation avec les contrats d'objectifs mettant en commun les efforts des collectivités territoriales, quelles sont les actions réalisées au niveau régional ? Ces actions contribuent-elles réellement au développement du territoire ? Par ailleurs, à quel endroit du triptyque que vous avez évoqué se situe l'évaluation pour améliorer la qualité des dispositifs et des offres de formation professionnelle ?

M. Jean-Paul Denanot - Le PRDF est un outil intéressant à construire car il exige une concertation de l'ensemble des acteurs. Il reste malheureusement souvent une construction théorique. Je souhaite transformer ce PRDF en actions sur le terrain, ce qui est complexe pour deux raisons. En premier lieu, les branches professionnelles ne sont pas toujours capables d'exprimer leurs besoins. Je me suis battu, y compris avec mes services, en faveur d'une signature rapide des contrats d'objectifs par l'ensemble des branches professionnelles. C'est un engagement réciproque de la branche et de l'organisme formateur. Les formations ne doivent plus être « sans lendemain », l'argent étant trop précieux et les besoins importants. Pour « former juste », les régions doivent connaître précisément les besoins. Les branches professionnelles ont souvent des visions à très court terme, bien que nous relevions, pour un certain nombre d'entre elles, des besoins récurrents (bâtiment, hôtellerie-restauration). Les PRDF ne doivent donc pas uniquement rester théoriques.

A ce premier obstacle, s'ajoute une certaine résistance de l'éducation nationale. Or la loi nous charge d'élaborer le PRDF avec le concours de l'éducation nationale. Lorsque les cartes de formations sont connues, les recteurs sont comptables de leurs moyens. En outre, l'autonomie des établissements est jalousée par les différents acteurs. Ces éléments rendent difficile l'évolution de la carte des formations. J'avais suggéré à la rectrice précédente de travailler ensemble (rectorat, ministère de l'agriculture et régions) sur une évolution de la carte des formations au cours d'une période de trois ans. Cette démarche n'a fonctionné qu'un temps. Le recteur décide en effet unilatéralement d'ouvrir ou de fermer les sections, alors qu'une concertation devrait se tenir. Je m'adresse donc au législateur pour qu'il rende le PRDF prescriptif. Si le schéma régional d'aménagement durable du territoire ne devient pas prescriptif, il demeurera « sur les étagères ». La mise en oeuvre des PRDF, pourtant construits dans une grande concertation, rencontre de nombreuses difficultés, du fait de la double contrainte de l'appareil de formation et des branches professionnelles.

M. Jean-Claude Carle, président - Je crois que le PRDF est un outil difficile à mettre en place mais passionnant et très utile. Dans la région Rhône-Alpes, sa mise en oeuvre en collaboration avec les recteurs et les organisations professionnelles s'est révélée difficile. Je crois qu'un certain nombre d'organismes professionnels doivent pré-signer le PRDF afin de lui donner sa vraie dimension. Mais ne devrions-nous pas aller au-delà ? Le PRDF ne devrait-il pas également engager l'État, le recteur et le préfet ? Cet engagement permettrait sans doute de réduire les télescopages entre les lycées professionnels et l'apprentissage et de mieux partager les missions. Chacun conserverait ses propres compétences mais s'engagerait sur un document. Cette valeur d'engagement pourrait être étendue à d'autres acteurs que la région et l'État.

M. Jean-Paul Denanot - Il s'agit d'une demande très forte des régions. Par ailleurs, je crois que nous pouvons distinguer deux types d'évaluation. Celle des formations elles-mêmes est réalisée assez régulièrement et de manière efficace. L'évaluation des politiques de formation semble en revanche bien plus complexe. Le système est très dispersé, comme l'ont montré les propos tenus lors de cette audition. Souvent le « nez dans le guidon », nous n'avons pas le réflexe d'évaluer les politiques de formation. Nous le faisons au titre de l'application du PRDF devant l'Assemblée plénière de la région, mais cette évaluation, selon moi, ne suffit pas. Les impacts de la formation sur le milieu économique devraient être mieux analysés.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie, messieurs, d'avoir participé à cette confrontation, qui montre bien la complexité et la nécessité de faire évoluer le système de formation.

Audition de M. Jean WEMAERE, président, et de Mme Marie-Christine SOROKO, déléguée générale, de la Fédération de la formation professionnelle (FFP) (9 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - L'objectif de notre mission est d'établir un diagnostic de l'état de la formation professionnelle en France, avant de formuler des propositions pour améliorer les dispositifs en place dans ce domaine, que la formation soit initiale ou continue. Je vous laisse la parole, monsieur Wemaere.

M. Jean Wemaere - Merci monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs.

La mission de la fédération de la formation professionnelle est de regrouper des opérateurs de formation privés. Les acteurs les plus actifs en effet en matière de formation professionnelle dans notre pays ne sont pas les acteurs publics. Plus des deux tiers des prestations de formation sont réalisés par des opérateurs privés. La fédération assume par conséquent la responsabilité d'organiser ce secteur, qui concerne un métier nouveau. Il convient donc de l'organiser, d'élaborer des règles sociales ou économiques, et de réfléchir à l'évolution des métiers et à la professionnalisation des acteurs. Nous sommes en outre chargés de représenter et de promouvoir le domaine de la formation professionnelle au sein du MEDEF ou de la fédération des métiers de l'intelligence par exemple. Je suis personnellement membre de la commission économique du MEDEF.

Notre fédération réunit 350 opérateurs privés de tout statut, qu'il s'agisse de sociétés commerciales ou d'associations. Le volume de prestations sur le marché est supérieur à un milliard d'euros. Chaque année, deux millions de personnes sont concernées par les actions de formation proposées par les opérateurs de la fédération.

Le champ de la formation est particulièrement complexe. Le système français est d'ailleurs particulier en Europe. Nous sommes présents dans treize pays, et notamment en Europe. Il apparaît que le système français est sans doute le plus complexe. Il se caractérise en effet par son opacité, qui ne facilite nullement l'efficacité du système.

Le premier constat est par conséquent la nécessité de s'efforcer de donner davantage de lisibilité et d'efficacité au système. Dans cette optique, je souhaite formuler quatre propositions :


• replacer la motivation des individus au coeur des questionnements ;


• décloisonner les dispositifs ;


• donner de la lisibilité et stimuler la concurrence, afin de susciter l'initiative et l'innovation dans ce secteur ;


• mettre en place un observatoire des évaluations.

Replacer la motivation au centre du système.

Aujourd'hui, l'assistance prévaut dans le système de formation professionnelle. En effet, l'individu ne paie jamais sa formation mais elle est financée par l'entreprise, l'ASSEDIC ou les régions. L'individu est dans ce contexte relativement peu moteur de la démarche. Or, pour apprendre de façon satisfaisante, il est nécessaire d'être motivé. Rendre l'individu responsable de sa formation contribuerait sans doute à stimuler sa motivation.

Les expériences européennes témoignent en ce sens. La conférence de Lisbonne avait fixé comme objectif de faire progresser la part de la recherche et de la formation jusqu'à atteindre 3 % du PIB. Puisque les États ne pouvaient pas mener seuls les actions qui s'imposaient, il est apparu nécessaire de mettre en oeuvre les politiques d'incitation fiscale et de solvabilité de la demande. Introduire des possibilités de déductibilité fiscale, comme l'ont fait certains pays d'Europe du Nord, permettrait d'encourager les individus et d'assurer le maintien de leur employabilité. Cette démarche s'inscrit dans le sens de l'évolution du DIF.

Le droit individuel à la formation est cependant lié au contrat de travail, et non à la personne. A terme, il semble indispensable de faire basculer ce droit lié au contrat à un droit de la personne, en permettant une solvabilité, par le moyen de chèque formation ou une incitation fiscale.

Décloisonner les dispositifs.

Les acteurs du secteur sont multiples : les branches et les partenaires sociaux, les opérateurs publics ou privés notamment. Or les dispositifs préemptent la manière de former.

Si les formations à distance, par exemple, restent peu développées en France, sans doute est-ce du fait que la réglementation portant sur la formation a mis du temps à s'adapter à ce nouvel outil introduit par les nouvelles technologies.

Le décloisonnement des dispositifs doit permettre à chacun de suivre des parcours de formation financés par les OPCA, les régions, afin de permettre une plus grande souplesse. Il est en outre nécessaire de décloisonner les dispositifs afin de faciliter notre propre action. Le CESI est un des opérateurs les plus importants pour la formation des ingénieurs. Il est contraint de gérer plusieurs dispositifs fiscaux pour assurer des formations en apprentissage. Les formations en alternance supposent en effet des systèmes fiscaux différents, alors que les publics sont homogènes.

C'est pourquoi le décloisonnement des dispositifs devrait permettre d'assurer une certaine sécurité dans les parcours de l'individu.

Favoriser la lisibilité du secteur et stimuler la concurrence.

Sans doute le nombre des OPCA est-il bien trop important. La lisibilité serait plus grande si le nombre des OPCA était inférieur à ce qu'il est.

Plus important, il faudrait que les destinataires des formations connaissent mieux les conditions d'éligibilité aux différents dispositifs, et que la réglementation ne change pas au gré des collectes ou des niveaux de remplissage des opérateurs de branche. Lorsqu'un opérateur de branche connaît une baisse des effectifs de ses stagiaires, l'OPCA a tendance à favoriser l'accès à cet opérateur.

Le fonctionnement doit être plus transparent et éviter la confusion des genres. L'AFPA est une institution bicéphale, qui s'occupe parfois du secteur public de l'emploi et d'autres fois de la formation professionnelle. Il semble nécessaire de donner à l'AFPA un statut qui lui permette d'assurer des tâches qui relèvent de l'orientation ou du suivi et de l'évaluation au sein du service public de l'emploi. En tant qu'organisme de formation, acteur de marché, elle doit respecter les règles qui y sont valables. La même préconisation pourrait être formulée pour les universités par exemple.

Une plus grande lisibilité permettrait de placer tous les acteurs à égalité et de faire que la compétition, source d'innovation, soit aussi fertile que possible.

Mettre en place un observatoire des évaluations.

Nous disposons de moyens importants et nous pourrions assez facilement améliorer l'efficacité globale du système. Pour ce faire, nous devons nous doter d'un observatoire de l'évaluation et définir des critères. Un de ces critères pourrait être le ratio sommes consacrées à la formation/heures de formation, d'autres pourraient concerner la durée des parcours ou le type de validations. Ces données permettraient d'évaluer les dispositifs et de mesurer l'efficacité collective du système.

M. Jean-Claude Carle, président - Pour obtenir un agrément afin de réaliser des formations, il suffit de remplir une déclaration. Ne conviendrait-il pas d'être plus précis ?

M. Jean Wemaere - La loi concernant la formation, la loi Delors, n'a pas souhaité soumettre la création d'un organisme de formation à des contraintes. Au contraire, elle visait à permettre que chaque individu souhaitant transmettre un savoir puisse le faire. C'est pourquoi il est aujourd'hui très facile de créer un organisme. La régulation s'effectue par la mesure de la performance des acteurs.

En réalité, il n'existe pas 40 000 opérateurs de formation. Si 40 000 déclarations d'existence ont été effectuées, les organismes actifs sont bien moins nombreux. Il convient de distinguer ceux qui ont effectué une déclaration et ceux qui existent économiquement. Seulement 1 000 opérateurs ont un chiffre d'affaires supérieur à 3 millions d'euros.

Nous ne sommes pas favorables à l'instauration d'un numerus clausus. Au contraire, nous sommes favorables à la plus grande facilité de création, ce qui n'exclut pas les contrôles qualitatifs de la profession.

M. Jean-Claude Carle, président - Sans vouloir instaurer un numerus clausus, ne faudrait-il pas mettre en place certaines garanties minima . Il est en effet possible de penser que certains acteurs ne cherchent pas à dispenser une formation sérieuse. Ne faudrait-il pas, par exemple, instaurer des critères de sécurité financière comme une garantie bancaire ? Une telle mesure permettrait d'éviter que les entreprises ou les destinataires des formations n'engagent pas de dépenses qui ne seraient pas honorées.

M. Jean Wemaere - Notre fédération a mis en place un fonds de garantie, qui permet de prendre en charge les éventuelles défaillances des opérateurs. Il est envisageable de généraliser un dispositif similaire pour l'ensemble de la profession. Un tel fonds constituerait une sécurité pour une personne qui paie un organisme qui ne peut honorer la formation. Cette mesure semble tout à fait raisonnable.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Vous avez mis en place un système de certification des organismes de formation qui permet de valider les connaissances et compétences acquises par un stagiaire. Comment ce mécanisme s'articule-t-il avec les autres reconnaissances de titres.

M. Jean Wemaere - Il existe en France de nombreux mécanismes de certification, de diplômes. Nous avons souhaité réfléchir à une méthodologie permettant d'assurer qu'une personne a acquis des compétences déterminées à la suite d'une action de formation. Nous avons ainsi mis en place une méthodologie et nous avons chargé un organisme extérieur de vérifier que l'organisme qui prétendait utiliser cette méthodologie en était réellement capable, afin de certifier que la personne qui a suivi une formation a vraiment acquis des compétences. Ce mécanisme suppose que les organismes mettent en place un dispositif relativement contraignant, qui conduit à évaluer la personne concernée avant la formation, puis de réaliser un examen de validation.

Cette démarche rencontre un réel succès, puisqu'elle est demandée par les personnes qui suivent les formations et par les entreprises qui financent les formations. Il nous manquait jusqu'alors un outil d'évaluation des prestations.

Mme Marie-Christine Soroko - Il convient de souligner le fait qu'il existe des titres et diplômes pour des parcours longs. L'avantage du CP-FFP que nous avons instauré est de valider tout type de formation, puisqu'il s'agit d'un référentiel qui s'adapte à toute durée.

Un des adhérents de la fédération, par exemple, réalisait des formations pour exercer le métier de « credit manager ». Les formations qu'il proposait duraient une dizaine de jours. Il était cependant nécessaire, avant d'engager la formation, de vérifier que les personnes qui se présentaient disposaient des pré-requis nécessaires. A la fin de la formation, les personnes ayant suivi la formation pouvaient se présenter aux entreprises avec un document assurant que la personne concernée pouvait exercer la fonction de « credit manager ». Il n'existait cependant pas de certification des acquis de telles formations. Le CP-FFP permet de certifier qu'une personne a acquis les compétences nécessaires pour exercer le métier concerné, grâce aux connaissances dont elle disposait déjà et à une formation relativement courte.

Acquérir une telle certification dans un établissement public aurait nécessité un temps bien plus long. Les compétences des personnes n'auraient sans doute pas été évaluées en amont et le cursus suivi aurait suivi six mois ou un an.

Il convient de souligner que ces certifications sont prises en compte dans le cadre du DIF et de la VAE.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Comment évalue-t-on les organismes de formation ? Serait-il, à votre avis, nécessaire de créer une autorité indépendante chargée d'évaluer et de réguler l'offre ?

M. Jean Wemaere - Le meilleur critère d'évaluation, nous semble-t-il, est la fidélité des clients, la reconduite des actions de formation. Si nos clients continuent à nous faire confiance, sans doute est-ce parce que nous leur apportons une valeur ajoutée réelle. La régulation s'effectue donc normalement, par la loi de l'offre et de la demande.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Les relations entre les organismes de formation et les organismes collecteurs ont-elles évolué, notamment depuis le rapport Brunhes ?

M. Jean Wemaere - Les collecteurs financent la formation quand nous sommes chargés de la réaliser. Les deux acteurs ont cependant besoin l'un de l'autre. Le rapport Brunhes visait à évaluer les tensions qui pouvaient exister entre les deux parties, du fait qu'elles suivent des règles différentes, afin de faciliter la fluidité du système. Ce rapport a permis de créer un choc chez les collecteurs, en mettant au jour certains dysfonctionnements liés à la bureaucratie ou à la lenteur du traitement des dossiers ou des paiements.

Les organismes de collecte fonctionnent selon des logiques de paritarisme alors que nous suivons des logiques d'entreprise. Ces deux logiques ne sont pas toujours identiques. La fédération a toujours signé des protocoles et des partenariats avec les principaux organismes collecteurs afin de faciliter les relations et commencer à gérer leur dématérialisation. Nous cherchons en effet à réduire la consommation de papier afin de travailler davantage avec les outils informatiques. Nous avons en ce sens établi plusieurs partenariats, avec les principaux organismes collecteurs.

Mme Marie-Christine Soroko - Nous souhaitons que ce type de relations se développe, afin de permettre une simplification du travail administratif et de sécuriser les délais de paiement. Ce dernier point constitue un grave problème dans la mesure où il suffit que manque une pièce pour que l'organisme collecteur renvoie le dossier à l'organisme de formation. Or l'avance effectuée par les organismes de formation est un poids véritable. Il est indispensable, pour résoudre ces problèmes, que les relations avec les OPCA soient plus fluides et que les délais de paiement soient réduits.

M. Jean Wemaere - Il faut rappeler que les prestations que nous proposons sont assurées par des individus qu'il est nécessaire de rémunérer. Or les prestations financées par les organismes collecteurs sont toujours payées une fois le service effectué. De surcroît, plus la formation est longue et plus le paiement est tardif. Il faut parfois attendre 60, 90, voire 180 jours avant de recevoir le paiement. Ces délais engendrent des coûts qui pénalisent l'innovation au sein du dispositif. Les sommes versées aux banques du fait des retards provoqués par la bureaucratie constituent en effet un manque à gagner pour l'efficacité générale du système.

Mme Marie-Christine Soroko - Les OPCA prennent en charge certaines formations à 100 %. Pour ce faire, les OPCA doivent recevoir l'accord de la CPNE de la branche. Or les modalités de prise en charge évoluent au gré de la collecte des OPCA. Les organismes de formation ne sont pas suffisamment informés de ces évolutions. Un organisme peut en effet travailler avec différents OPCA. Si les modalités de prise en charge sont différentes pour chaque OPCA et changent très régulièrement, et que les modalités de prise en charge ne sont pas rendues publiques, l'organisme de formation ne peut pas toujours renseigner correctement l'entreprise qui lui demande une formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous avez signalé que les délais de paiement atteignaient parfois quatre-vingt-dix jours. Ne serait-il pas possible d'améliorer la situation en utilisant un texte relatif à la sous-traitance qui fixe à trente jours les délais de paiement ?

M. Jean Wemaere - Ce serait souhaitable, mais ce n'est pas le cas.

Mme Marie-Christine Soroko - Il existe une disposition qui fait que l'OPCA peut accorder une avance. Cette possibilité est rarement utilisée.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Existe-t-il un statut qui englobe l'ensemble des intervenants des démarches de formation ? Serait-il nécessaire d'en créer un ?

M. Jean Wemaere - Les parcours qu'ont suivis les formateurs sont très variés. Les formateurs n'exercent pas ce métier dès la fin de leurs études supérieures. Ils l'exercent souvent à la suite de hasards. Il s'agit en effet d'une profession relativement nouvelle.

Il existe une convention collective qui concerne les organismes de formation. Elle définit le statut de la personne qui intervient en formation, et fixe sa rémunération. Ses termes restent cependant très généraux.

Il nous appartient de réfléchir à des cursus de formation afin de normer le statut de formateur et le faire évoluer. Nous avons en ce sens créé le premier certificat professionnel de formateur consultant.

Mme Marie-Christine Soroko - Le premier jury siègera à la fin du mois de juillet. Une quinzaine de candidats se présentent.

M. Jean Wemaere - Il revient aux organismes de formation de réfléchir sur l'évolution du métier de formateur.

Mme Marie-Christine Soroko - Nous travaillons à la mise en place d'un observatoire des métiers et des qualifications. Nous réfléchissons également à l'adéquation de la définition de métiers avec leur réalité au sein des entreprises. Nous réalisons par conséquent un important travail d'analyse des métiers de la formation au sens large.

M. Jean Wemaere - Notre traditionnel coeur de métier, la transmission de savoir, semble se relativiser par rapport à des actions menées en amont et en aval : les actions d'évaluation, de suivi individuel et de validation en particulier. L'utilisation des nouvelles technologies contribue également à l'évolution de nos métiers vers un accompagnement individualisé.

Mme Marie-Christine Soroko - Il est remarquable que le métier s'élargisse vers des fonctions connexes.

M. Jean Wemaere - Les activités des organismes s'élargissent également et concernent par exemple la logistique et la prise en charge complète des actions de formation.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Ces évolutions sont-elles le résultat d'une lacune des entreprises, qui vous oblige à développer des actions d'accompagnement individuel ?

M. Jean Wemaere - Chaque entreprise se spécialise sur son propre métier. Peu à peu, l'amélioration des performances des ressources humaines, pour laquelle la formation joue un rôle majeur, est confiée à des professionnels. Unilever, par exemple, a entièrement externalisé la gestion de ses ressources humaines.

M. Jean-Claude Carle, président - Pouvez-vous préciser le rôle des CPNE ?

Mme Marie-Christine Soroko - Chaque branche professionnelle est dotée d'une commission paritaire nationale de l'emploi, chargée d'élaborer l'accord formation de chaque branche et des priorités de formation que la branche établit pour les entreprises. Une CPNE peut par exemple décider de ne prendre en charge que les personnes qui ont atteint un niveau au moins équivalent à bac +3.

La CPNE ne communique pas sur ses décisions. Elle en informe l'OPCA, qui informe un peu tard les organismes de formation.

M. Jean Wemaere - Nous avions souhaité mettre en place un site Internet sur lequel chaque OPCA aurait pu communiquer les conditions d'éligibilité aux actions de formation. Les acteurs n'ont pas joué le jeu, malgré la pression des pouvoirs publics.

Mme Marie-Christine Soroko - Cette mission avait été confiée au Centre INFFO, qui ne dispose sans doute pas des moyens pour le faire. La collecte de ces informations est particulièrement complexe.

Peut-être est-il possible de s'attendre à ce que la diminution du nombre des accords formation à signer entraîne une diminution des changements opérés par les CPNE.

M. Jean Wemaere - Il convient par ailleurs de souligner l'ambiguïté des rôles des représentants des syndicats au sein des organismes collecteurs, que l'on retrouve également dans les organismes de formation.

Les organismes collecteurs ont d'ailleurs tendance à favoriser, pour des raisons financières, l'organisme de la branche.

M. Jean-Claude Carle, président - Il revient donc à la CPNE de décider souverainement du nombre de personnes qui vont bénéficier des formations, des thèmes qui y seront abordés et de leur coût, sans que les autres acteurs, les régions ou l'ANPE par exemple, y soient associés.

M. Jean Wemaere - Tout à fait.

Mme Marie-Christine Soroko - L'ANPE s'occupe de la formation des demandeurs d'emploi, alors que les OPCA s'occupent de la formation des salariés. Les deux domaines sont tout à fait cloisonnés aujourd'hui. Les financements croisés entre des OPCA et des territoires sont particulièrement rares. Nous les appelons cependant de nos voeux.

M. Jean-Claude Carle, président - Même lorsque les OPCA ont une dimension territoriale ?

Mme Marie-Christine Soroko - En effet.

M. Jean Wemaere - Le secteur de la formation est le résultat d'accords collectifs. Sur ce mode de fonctionnement par branche a été plaqué un dispositif régional qui n'a pas trouvé de lien avec la logique de branche.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous avez évoqué l'évolution de votre métier, qui se tourne davantage vers l'accompagnement. Les publics qui en ont le plus besoin manquent justement, souvent, d'un accompagnement véritable. Les problèmes d'accueil et d'hébergement qu'ils peuvent en outre rencontrer sont des freins à leur formation. Qui doit se charger d'essayer de lever ces différents freins ? La loi oblige les lycées à accueillir les lycéens dans les lycées professionnels, lesquels doivent par conséquent construire des internats. Il n'existe cependant aucune obligation pour les jeunes suivant les mêmes formations par la voie de l'apprentissage. Ne serait-il pas pertinent de mettre en place des obligations similaires pour les autres formations professionnelles ?

M. Jean Wemaere - L'AFPA s'occupe de l'accueil des personnes. Il existe d'autres structures qui sont chargées d'accueillir les populations migrantes. Il n'existe cependant pas de structure pour accueillir toutes les personnes qui pourraient en avoir besoin. Peut-être les financements sont-ils insuffisants pour ce faire.

Mme Marie-Christine Soroko - Nous pouvons nous demander si de telles structures sont nécessaires dès lors que le financement des formations s'effectue par bassin d'emplois ou au niveau de la région. Les personnes qui rencontrent le plus de difficultés s'engagent souvent dans des démarches de pré-qualification, qui dépendent d'organismes implantés dans des bassins d'emplois. Il n'est alors pas toujours nécessaire de prévoir des solutions d'hébergement pour les personnes concernées.

M. Jean-Claude Carle, président - Il me semble que la réponse qui doit être apportée à cette question ne doit pas l'être de façon verticale. Sans doute, serait-il effectivement possible d'utiliser une notion telle que celle de bassin de formation. Les personnes les moins formées ne sont pas les seules à rencontrer des difficultés pour effectuer des formations à cause de problèmes d'hébergement.

Mme Marie-Christine Soroko - Pour les demandeurs d'emploi, l'UNEDIC a débloqué des fonds spécialement dédiés à l'hébergement et à la mobilité des personnes indemnisées qui devaient se former dans un lieu éloigné. Les dispositifs existent donc, même s'ils sont sans doute trop peu connus. Le financement en tuyau d'orgue fait cependant que le demandeur d'emploi qui n'est pas indemnisé par l'UNEDIC ne bénéficie d'aucune de ces prestations.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Pensez-vous qu'il serait nécessaire que certains acteurs soient exclus des appels d'offres de formation ?

M. Jean Wemaere - Dès lors que tous les organismes se trouvent à égalité, il n'est pas nécessaire d'exclure les acteurs publics.

Mme Valérie Létard - Les comités paritaires nationaux définissent les critères d'éligibilité aux formations. Que se passe-t-il lorsque certaines sommes disponibles ne sont pas consommées, par exemple parce que les critères retenus ont été trop restrictifs ?

M. Jean Wemaere - La fongibilité est la première règle ; il faut alors chercher à savoir si ces fonds pourraient être utilisés pour autre chose. S'il est impossible de les utiliser, ils sont transférés vers un fonds de péréquation.

Mme Valérie Létard - Il n'est donc pas possible de revoir les critères d'éligibilité lorsque les fonds ne sont pas consommés.

Mme Marie-Christine Soroko - Ils peuvent être modifiés par la CPNE en cours d'année. Le plus souvent cependant les critères sont modifiés lorsque l'argent manque, plutôt que lorsque les sommes disponibles sont trop importantes. Cependant, la CPNE peut tout à fait faire le choix de modifier les critères d'éligibilité plutôt que reverser les sommes au FUP.

Il semble normal que les partenaires sociaux décident des priorités des branches. Cependant, la situation se complique parce que les priorités peuvent changer tous les six mois, par exemple parce que les entreprises effectuent des choix différents, ou parce qu'elles ne sont pas suffisamment informées.

Mme Valérie Létard - C'est pourquoi vous dénoncez les difficultés que vous rencontrez pour obtenir les informations adéquates.

Mme Marie-Christine Soroko - En effet, nous ne sommes pas informés. C'est pourquoi nous avions souhaité que les décisions de CPNE soient systématiquement affichées dans un site Internet.

En outre, les décisions de CPNE ne sont pas toujours aisément lisibles. Il est arrivé que les partenaires eux-mêmes contestent certaines interprétations. Tous les acteurs doivent faire face à ces difficultés et les organismes de formation ne peuvent pas suffisamment anticiper le sort qui sera fait aux dossiers qu'ils présentent.

En outre, lorsque les organismes travaillent avec plusieurs OPCA, les difficultés sont multipliées.

M. Jean Wemaere - Il nous semble qu'il serait utile de créer un contrat unique d'insertion professionnelle. Les dispositifs devraient être harmonisés lorsque n'existera plus qu'un seul contrat.

Mme Marie-Christine Soroko - Il existe en effet, aujourd'hui, environ vingt-cinq dispositifs de contrats aidés. Il serait judicieux de créer un unique contrat qui puisse inclure une part de formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Le FUP pourrait-il être plus utile qu'il ne l'est aujourd'hui ?

M. Jean Wemaere - Lorsque ce fonds n'est pas utilisé, les sommes sont reversées au Trésor public.

Nous pourrions imaginer que le FUP contribue à financer les actions de certains organismes de formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Une mutualisation semble nécessaire puisque tous les acteurs ne disposent pas des mêmes moyens. Cependant, le reversement des sommes s'explique par une mauvaise appréciation ou une mauvaise définition en amont. La situation est préoccupante si ces cas de figure sont récurrents.

Mme Marie-Christine Soroko - Lorsqu'une CPNE commet une erreur en fixant des priorités pour la branche, les fonds manquent ou restent inutilisés.

M. Jean-Claude Carle, président - Comment faire pour éviter autant que possible que les CPNE se trompent ?

Mme Marie-Christine Soroko - Les négociations des CPNE dépendent des partenaires sociaux de chaque branche.

M. Jean Wemaere - La création d'un observatoire de la profession permettrait une remontée plus rapide des informations concernant les décisions portant sur les critères d'éligibilité. Il serait en outre possible d'évaluer la cohérence de l'ensemble du système. Il n'est pas possible d'obtenir une telle vision d'ensemble pour l'instant.

Mme Marie-Christine Soroko - Les décisions des CPNE sont connues par les OPCA plusieurs mois après qu'elles ont été prises.

Mme Valérie Létard - Ces délais pour informer les acteurs constituent une perte de temps. Les organismes de formation disposent-ils de délais pour utiliser les moyens disponibles, lorsque les règles du jeu changent ?

Mme Marie-Christine Soroko - Nous sommes informés lorsque les dossiers que nous déposons sont ou non pris en charge.

M. Jean-Claude Carle, président - Le plus surprenant me semble être l'incohérence de ce type d'appréciation des choses. Les entreprises ne gèrent pas leurs besoins de cette façon. Il est étonnant que les branches et les secteurs ne s'inspirent pas des modes de fonctionnement des entreprises.

Audition de MM. Gabriel MIGNOT, président, et Patrick KESSEL, directeur, du Centre INFFO - Centre pour le développement de l'information sur la formation permanente (9 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - M. le président, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et, sans tarder, je vous cède la parole.

M. Gabriel Mignot - Après avoir travaillé à la Cour des comptes puis au plan pendant dix ans, j'ai été délégué à l'emploi et directeur de l'UNEDIC. Ce parcours explique que j'aie été sollicité pour présider Centre INFFO, où j'achève mon troisième mandat.

Centre INFFO est une institution modeste, par sa mission et par sa taille.

La mission de Centre INFFO est de capitaliser et diffuser l'information sur la formation continue. Centre INFFO ne crée pas les informations qu'il diffuse. Il regroupe une centaine de personnes. Son budget annuel s'élève à 8,5 millions d'euros.

La mission et les produits de Centre INFFO.

Centre INFFO a été créé en 1976. Il a succédé au centre national d'information sur la productivité, créé après-guerre pour promouvoir les méthodes modernes de production. Cette mission initiale ne semblant plus nécessiter la mobilisation d'un organisme spécifique, les pouvoirs publics ont fait le choix de créer Centre INFFO. Il s'agit d'une association parapublique constituée par décret. Elle rassemble les ministères intéressés, les partenaires sociaux et certaines personnalités qualifiées. Cette configuration est restée stable jusqu'au début du XXI e siècle.

Les statuts de l'association ont été révisés en 2003, ainsi que le décret qui l'a créée. La principale innovation est une ouverture du conseil d'administration aux régions : trois sièges d'administrateurs sont occupés par des représentants des régions. Le décret a en outre clarifié les rapports entre l'association et sa tutelle, exercée par le ministère de l'emploi et du travail. L'administration en charge de l'exercice de cette tutelle est la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle. Le conseil d'administration est composé de quatre collèges : administrations d'État, régions, partenaires sociaux, personnalités qualifiées.

Dès lors le contrat d'objectifs pour 2007-2010 définit comme suit la mission de l'association : « l'association de Centre INFFO a pour mission, dans le cadre des politiques en matière de formation professionnelle tant nationales qu'européennes et territoriales d'élaborer, de capitaliser, de diffuser l'information et la documentation d'intérêt national à destination plus particulièrement des pouvoirs publics et des partenaires sociaux. Cette mission est réalisée en liaison avec les dispositifs régionaux d'information. Sa mission est également de développer et de diffuser les supports d'information, de formation et de documentation à destination de l'ensemble des acteurs et des bénéficiaires de la formation professionnelle. »

Centre INFFO traite d'abord des informations concernant le droit de la formation professionnelle. La connaissance et la mise en forme de l'ensemble du droit de la formation professionnelle continue, qui dépend de la législation et réglementation de l'État restent des points forts de Centre INFFO. Le Centre traite aussi de l'ensemble du droit conventionnel, en particulier depuis l'accord national interprofessionnel signé en 2003, et de l'ensemble du droit « régional », c'est-à-dire de l'ensemble des dispositions juridiques ou financières prises par les régions, dans le cadre de leurs compétences de droit commun en matière de formation professionnelle.

Centre INFFO propose différents produits. Le recueil en continue des dispositions juridiques concernant la formation professionnelle permet d'élaborer et d'alimenter des outils documentaires et des bases de données, un thésaurus du droit de la formation par exemple. Grâce à ces bases de données, le Centre peut conduire des actions d'information par le biais notamment de la production de documents. Les fiches pratiques de la formation professionnelle, mises à jour régulièrement, constituent le principal produit de Centre INFFO. Ce service compte 7 000 abonnés. Ces fiches sont aujourd'hui disponibles sous forme informatique.

Le Centre réalise par ailleurs un quotidien d'information, diffusé chaque matin par voie informatique. Ce document est composé de dépêches qui rendent compte des principaux événements intéressant les acteurs de la formation professionnelle.

Il existe également un bulletin bimensuel appelé Info Flash. Il permet de revenir sur les actions publiques et les initiatives des régions et de branches intervenues récemment.

Il édite aussi une revue qui s'adresse davantage aux professionnels et aux chercheurs, Actualité de la formation professionnelle. Cette revue présente des dossiers spécialisés ou des articles de fonds, rédigés par des professionnels ou des chercheurs.

Centre INFFO informe également par le moyen de sessions de formations, qui s'adressent essentiellement aux professionnels du domaine, gestionnaires de personnels ou de centres de formation notamment. Parmi les thèmes abordés lors de ces formations, les questions liées à la fiscalité ou l'organisation de sessions de formation.

Centre INFFO fournit par ailleurs des prestations de services à la demande. Parmi nos clients figurent notamment l'AGEFIPH, chargée de la formation des personnes handicapées, ou le centre national de la formation professionnelle pour le compte duquel est constituée une base de données de l'ensemble des accords professionnels de branches ou d'entreprises.

Les utilisateurs « clients » de Centre INFFO.

Traditionnellement, le public de Centre INFFO était constitué par les professionnels du secteur de la formation professionnelle, les opérateurs, les gestionnaires de personnels ou les formateurs par exemple. A l'origine, Centre INFFO n'avait pas vocation à s'adresser au grand public. Cette limitation n'est cependant plus de mise. A partir de 2004, les pouvoirs publics ont expressément demandé à Centre INFFO de s'adresser ainsi au grand public.

Certes, les informations du Centre étaient disponibles sur Internet et étaient par conséquent accessibles en fait à tous. La question n'était pas celle du droit de diffuser de l'information, mais portait surtout sur la nature de l'information à diffuser, qui ne peut être la même lorsqu'on s'adresse au grand public que celle qu'on met en forme à l'intention des professionnels.

Centre INFFO est un organisme unique, dépourvu de services décentralisés ou de correspondants institutionnels. Les correspondants locaux de Centre INFFO sont les centres d'animation, de ressources et d'information sur la formation (CARIF) ou les structures qui les remplacent. Les CARIF sont des structures financées à la fois par l'État et par les régions. Aujourd'hui, les relations entre les CARIF et les régions ont été établies par des contrats passés entre les régions et l'État. Certaines régions ont choisi de créer leurs propres institutions. Le plus souvent, les CARIF subsistent comme des organismes placés sous double tutelle. La crainte des CARIF de disparaître au profit de Centre INFFO a été telle au cours des années passées qu'il reste difficile d'établir une coopération franche entre les deux types d'organismes. Comme président de Centre INFFO, j'ai toujours regretté cette situation. Aussi, me suis-je réjoui lorsque la DGEFP à donné instruction aux DRTEFP de promouvoir une collaboration entre CARIF et Centre INFFO, collaboration justifiée à la fois par un souci de bonne gestion des fonds publics et d'un meilleur service aux usagers.

Les moyens dont dispose le Centre.

Centre INFFO compte 107 salariés. Six d'entre eux proviennent de l'association Agora, dissoute par le ministère de l'emploi. Cette équipe chargée de l'e-formation, la formation à distance, a été intégrée à Centre INFFO le 1 er janvier 2007. Les équipes sont réparties entre une direction de la production et des liaisons avec les partenaires, une direction juridique, qui alimente les bases de données juridiques, et une direction administrative et financière.

Le budget de Centre INFFO s'élève à environ 8 millions d'euros. Il est financé pour moitié par une subvention et par des ressources propres assurées par la vente des produits réalisés par le Centre. Un contrat d'objectifs que nous venons de signer avec le Gouvernement, prévoit les ressources propres, qui représentent aujourd'hui un peu moins de 50 % du budget, devront être égales à la subvention en 2010.

La subvention de l'État n'est pas affectée à un produit particulier. Les contrôleurs souhaitaient qu'il soit possible de savoir si certains produits sont subventionnés alors que d'autres sont réalisés grâce aux ressources propres. Ce débat a été en partie surmonté puisque nous avons montré que Centre INFFO en fait ne peut rien vendre sans capitaliser d'abord des masses d'informations et sans les retraiter de façon homogène. Il n'est possible d'obtenir des ressources propres que si l'investissement pour recueillir et traiter l'information produite par les autres a été réalisé au préalable. Autrement dit, la subvention permet à Centre INFFO d'exercer sa mission, la même information étant diffusée par différents produits vers des cibles différentes.

L'actualité et les perspectives.

Un nouveau contrat d'objectifs a été signé pour la période 2007-2010. Il a été élaboré avec le ministère de l'emploi à la fin de l'année 2006 et signé en avril 2007. Ce contrat fixe les axes prioritaires de l'action de Centre INFFO pour la période à venir :

- renforcer la position de pôle de référence pour les professionnels ;

- investir de nouveaux champs, de nouveaux publics ;

- travailler sur de nouveaux domaines d'information, notamment sur le complexe emploi-métier-qualification-formation ;

- développer des partenariats, avec les régions en particulier, mais également avec les branches et les différents services de l'État intéressés ;

- ajuster ses prestations adaptées, c'est-à-dire revoir le bien-fondé des productions actuelles et identifier de nouveaux besoins.

Le contrat d'objectifs comprend un volet gestion et un volet financement. Il incite notamment à reconduire la pratique d'une commission de suivi chargée d'établir une série d'indicateurs censés rendre compte de l'activité du Centre. Cette commission se réunit une ou deux fois par an afin d'apprécier le respect des orientations par la direction du Centre.

Il est prévu que le Centre mette en oeuvre une comptabilité analytique en bonne et due forme. Jusqu'à présent, la situation financière du Centre a été facilitée par les conditions de son changement de siège en 2001 : la vente de son ancien siège de deux étages à la Défense, la construction d'un nouveau siège à proximité du Stade de France. La fiscalisation de Centre INFFO justifie dès lors que celui-ci vende des produits de nature concurrentielle. La défiscalisation de la plus-value de la vente des deux étages a permis de construire un nouvel immeuble sans faire appel aux finances publiques.

Parmi les chantiers en cours, il convient avant tout de mentionner le Portail national de l'orientation et de la formation. Ce produit sera en effet destiné au grand public, à la demande de M. Larcher. Ce dernier a en effet souhaité que soit mis en place un site Internet permettant à tout le monde d'accéder à une information pertinente sur les métiers, les qualifications qu'ils requièrent et les formations adaptées. D'un point de vue juridique, ce portail est placé sous la responsabilité juridique et financière conjointe de l'État, des partenaires sociaux et des régions. Ces entités constituent le comité de pilotage, qui a confié la réalisation de ce portail à Centre INFFO, qui est maître d'oeuvre sans être responsable des orientations générales. Afin de mettre en oeuvre ce projet, nous avons passé un accord avec les régions. D'autres accords ont été établis avec les partenaires sociaux, chargés de gérer les dispositifs conventionnels. Aujourd'hui, ce portail reçoit entre 250 et 300 000 visites chaque mois. Il diffuse des informations sur la formation professionnelle de treize régions et de quinze branches professionnelles. Nous en compterons vingt à la fin de l'année. Le développement de cet outil est par conséquent tout à fait satisfaisant.

Il est intéressant de noter que ce projet supposait que les producteurs d'informations se mettent d'accord pour la rendre visible sur un site commun, et pour l'actualiser. Ils ont également dû accepter une certaine harmonisation assurant un langage minimal commun afin que l'internaute puisse voyager entre les sites des divers producteurs des informations de base.

La commande comprenait aussi un objectif d'orientation. Nous avons estimé qu'il n'était pas possible de fournir une information pertinente pour une orientation individuelle stricto sensu par le moyen d'un portail national. Nous fournissons une information de base aux internautes, qui, une fois leurs demandes précisées, peuvent s'adresser directement aux acteurs pertinents. L'internaute doit donc pouvoir s'adresser à des opérateurs et des services capables de traiter le sujet abordé en direct. L'ONISEP nous a apporté une aide précieuse en acceptant que le site reprenne l'ensemble de ses données. Comme il est dit plus haut, treize régions ont en outre accepté que leurs sites Internet soient intégrés au portail national. Quinze branches participent également. Elles seront vingt à la fin de l'année.

Les informations portent sur le contenu des métiers, les conditions professionnelles à réunir pour les pratiquer ainsi que sur les formations disponibles ou les lieux où s'informer sur les formations.

Les principales difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre et le développement de ce portail concernent les relations de Centre INFFO avec les régions. Un accord de principe a été signé avec elles. Les trois régions présentes au conseil d'administration ont respecté l'ensemble de leurs engagements, en fournissant effectivement les informations nécessaires, mais puisque l'ARF ne dispose d'aucun moyen de pression sur les régions, nous devrions engager des discussions avec l'ensemble des vingt-cinq régions pour obtenir 100 000 euros. Nous souhaitons qu'un mécanisme ou une disposition particulière permette, lorsqu'une région a donné son accord, d'obtenir les financements requis sans devoir recourir à des conventions annuelles.

Ce chantier doit être perçu de façon positive, puisqu'il a été l'occasion pour des partenaires très variés de mettre à la disposition du public des informations utiles. En parallèle au portail, nous avons pu mettre en place une base de données qui permet de comparer les aides à la formation accordées dans dix-huit régions.

Pour l'instant, aucune campagne d'information n'a été menée pour faire connaître ce portail au public.

L'avenir.

Depuis une dizaine d'années, je suis frappé par la modestie des commandes de l'État. Or, il s'agit d'un acteur important, qui intervient notamment dans le cadre de sa politique de l'emploi. Les dispositifs comprenant des actions de formation sont nombreux. Or, le Centre INFFO est peu utilisé, et même parfois entre en concurrence avec certaines structures de l'État, puisque ce dernier diffuse sur le site de ministères des informations que le Centre vend par ailleurs.

La place des régions et des CARIF semble également problématique. En principe, la présence des régions au conseil d'administration du Centre est le signe d'une évolution favorable. Nos contacts avec le président de la commission formation de l'ARF sont par ailleurs excellents. Il est cependant compliqué de s'adresser à vingt-cinq interlocuteurs dès lors qu'il s'agit d'évoquer des questions concrètes, par exemple, l'articulation des bases de données, la recherche pour la suppression des doublons et la contribution au financement du projet. Nous espérons que l'implication des régions dans Centre INFFO facilitera les relations avec les CARIF. Nous estimons que toute information de portée régionale devrait être recueillie par ces organismes, avant d'être mise à disposition de l'ensemble des autres partenaires et des internautes via le portail de Centre INFFO. Notre intention n'est nullement de recueillir directement l'information auprès des régions. Cependant, la méfiance subsiste dans quelques régions.

Ces difficultés sans doute transitoires ne doivent pas ternir le caractère particulièrement novateur du projet. On notera en particulier l'accord de l'ARF sur le fait que le projet devait permettre à l'internaute de prendre connaissance des mesures mises en oeuvre dans les diverses régions.

J'ai évoqué plus haut la question de l'orientation : les pouvoirs publics insistent sur le besoin d'information pour l'orientation. Le conseil d'administration reconnaît le lien entre les deux démarches. Cependant, nous soulignons le fait que la mission de Centre INFFO et son caractère national limitent sa capacité d'initiation en matière d'orientation professionnelle. Nous nous efforçons simplement de répondre au besoin de disposer d'une information homogène et accessible, afin que les personnes intéressées puissent s'adresser ensuite aux institutions et services qui sont capables de leur apporter des réponses concrètes adaptées à leurs besoins. Cette mission est extrêmement importante ; l'extrême variété et la multiplicité des organismes censés orienter ou former les personnes accentuent le besoin d'une information homogène et transparente à un niveau général.

La dimension européenne des questions de formation reste modeste à Centre INFFO. Nous travaillons pour le ministère dans le cadre du Centre européen d'information sur la formation professionnelle. Je crois cependant qu'une place plus grande devrait être accordée à la dimension européenne dans nos dispositifs d'information. Il serait en effet utile de mieux connaître les mesures prises par nos partenaires dans le domaine de la formation et de faciliter les mouvements des personnes en Europe. La présidente de l'organisme chargé de l'animation des programmes européens tel Erasmus est administrateur de Centre INFFO. Un effort supplémentaire devrait cependant être consenti en ce domaine.

La nature des ressources propres pose un autre problème. Il s'agit en effet de savoir quels sont les produits qui, en ce domaine, peuvent être payants, et lesquels doivent rester gratuits. Par exemple, le portail que j'ai évoqué précédemment ne peut être que gratuit. Le financement de cet outil ne peut être réalisé que par le moyen d'une subvention ou par un accord contractuel. Les fiches pratiques, produit qui a fait la réputation du Centre et assure une part importante des ressources propres sont financées par abonnement. Mais comme les autres produits écrits - diffusés de plus en plus sous une forme électronique -, le marché est en régression. Une réflexion est engagée pour savoir comment concilier la gratuité des produits grand public et l'équilibre financier du Centre sans accroître la part des subventions. De nouveaux modes de financement, de nouveaux produits répondant aux besoins des professionnels doivent être imaginés et testés. Même si l'équilibre financier est durablement assuré.

Les missions que doit remplir Centre INFFO sont relativement simples : valoriser le travail des autres acteurs et l'exprimer d'une façon homogène pour le rendre mieux visible par les professionnels ou le grand public. Le Centre a, par le passé, fait la preuve de ses capacités d'adaptation, en modifiant la nature de ses produits ou en développant le recours aux outils numériques. Il reste cependant fragile, du fait de son mode de financement, et parce que la méthode coopérative que suppose son action repose sur la bonne volonté des différents acteurs. Il est parfois difficile de surmonter la méfiance de certains opérateurs, ou le fait qu'ils souhaitent conserver leurs informations. Cette méthode est cependant la seule valable pour remplir ses objectifs.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie pour cet exposé extrêmement complet, mais aussi de la coopération qui a pu voir le jour entre Centre INFFO et notre mission.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Votre position centrale, et le fait que vous entriez en contact avec de nombreuses informations, vous permettrait-elle de mettre en relation l'offre de formation avec la demande ?

Le système de formation professionnelle, du fait de la multiplicité des dispositifs qui le composent, est extrêmement complexe. Pourriez-vous nous suggérer des simplifications ? Quelles seraient vos propositions en matière de décloisonnement, de fongibilité ou de guichets uniques ?

Vous jouez un rôle privilégié d'appréciation et d'évaluation, même si ces questions ne sont pas directement intégrées dans vos missions. Vous estimez-vous capables de conduire une évaluation à partir des différents retours qui peuvent vous parvenir ?

Par ailleurs, souhaitez-vous formuler des propositions pour améliorer la gouvernance globale du système ?

M. Gabriel Mignot - Une de nos orientations est de développer une capacité d'expertise et de conseil. Les professionnels actifs dans ces domaines nous surveillent toutefois avec attention. Nous sommes convaincus que le capital d'informations que possède Centre INFFO pourrait être exploité, non pour juger les travaux des différents acteurs, mais pour mettre en valeur certaines bonnes pratiques. Nous allons organiser un séminaire où la question du développement d'une telle activité sera abordée.

Par ailleurs, si l'État et ses grands établissements publics tels que l'ANPE ou l'UNEDIC, et les régions acceptaient d'être transparents et d'utiliser des nomenclatures communes, une étape de clarification majeure serait franchie. Nous pensons que la situation va progressivement s'améliorer pour aboutir à une meilleure lisibilité.

Nous n'avons jamais pensé que nos moyens étaient suffisants pour confronter offre et demande de formation. Les problèmes techniques que supposerait cette mise en relation sont considérables. Il faudrait en effet que les organismes de formation déclarent systématiquement leurs places libres et à quelles conditions on peut les occuper. Il existe d'ailleurs un outil, le système OFAA, concernant l'ANPE et l'assurance chômage qui a pour objectif de remplir cette mission ; l'ensemble des organismes qui souhaitent bénéficier des aides et d'une intervention de l'ANPE ou de l'assurance chômage doivent respecter une procédure et des protocoles communs pour la présentation et la mise à jour de leurs dossiers. Mais on notera qu'il s'agit d'un outil réservé aux « professionnels » de ces deux institutions. Lorsque ce dispositif fonctionnera de façon satisfaisante, un progrès important aura été réalisé.

M. Patrick Kessel - Je suis un ancien journaliste de l'Agence France Presse. Mon objectif est, à Centre INFFO, de diffuser rapidement une information sourcée, respectueuse de l'éthique d'agence d'information, et qui peut être utilisée par des acteurs différents. Cette mission est aussi celle du Centre. Une information diffusée par Centre INFFO a été vérifiée et doit pouvoir être utilisée par l'ensemble des partenaires sociaux, qui nous font confiance.

L'information diffusée par le Centre est neutre, c'est pourquoi le conseil d'administration ne constitue pas un enjeu entre les différents partenaires. Mais l'information peut par ailleurs être un outil, voire une arme. Les bases de données pourraient par exemple être orientées. C'est pourquoi le travail réalisé par le Centre est tellement important. Il est vrai que la France est très riche en informations sur la formation, mais trop d'informations tue l'information et le citoyen peut s'y perdre.

Il existe 515 missions locales et PAIO en France, 227 maisons de l'emploi labellisées, et 70 autres seront créées l'année prochaine. Il existe une dizaine de cités des métiers, une cinquantaine de MIF, vingt-cinq CARIF qui disposent parfois de numéros verts pour s'adresser au public. Dans ces conditions, il est normal que la désignation du centre pour mettre en oeuvre le portail national de l'orientation et de la formation ait donné lieu à certaines résistances. Nous nous sommes par exemple demandé si un organisme national pouvait encore assurer l'égalité de l'accès des citoyens à l'information lorsque la formation est régionalisée. La réponse à cette question n'est pas simple. Nous avons élaboré un partenariat avec l'ARF qui précise la volonté de permettre à tout individu, quel que soit son lieu de résidence, d'accéder à l'information nécessaire à la réalisation de son projet de formation professionnelle.

Le portail, lancé avec le soutien de M. Larcher, s'inscrit dans cette ambition, puisqu'il vise à permettre à un citoyen, quelle que soit sa région d'habitation, de facilement disposer d'une information sur l'orientation. Une personne peut, par exemple, à partir de l'identification de quelques uns de ses centres d'intérêts, repérer les métiers et les formations qui leur sont liés. Or, ce travail même est complexe puisque les définitions des métiers sont différentes selon qu'elles sont établies par les ANPE, l'ONISEP, les branches. Cette diversité et cette complexité nous obligent à mettre à la disposition de tout citoyen les outils d'information simples pour pouvoir s'adresser aux interlocuteurs compétents.

Il est important de préciser que nous ne nous contentons pas de diriger les personnes vers d'autres sites, nous les mettons en lien direct avec des interlocuteurs aussi proches que possible de leur domicile.

Le développement de cet outil est permis grâce au soutien de l'État, des régions et des partenaires sociaux. Il reste néanmoins à lever certaines réticences avec des régions. Même si nous avons signé un accord avec l'ARF, cela nous contraint à négocier avec chaque conseil régional. Les relations avec les élus ne sont pas toujours aisées, lorsqu'ils craignent pour l'existence d'autres structures régionales notamment. Dans ce cadre, le Sénat, composé de représentants des citoyens qui connaissent bien les régions, peut soutenir efficacement nos efforts.

Certaines régions ne souhaitent toujours pas diffuser une information sur des formations qu'elles financent et qui intéresseraient l'ensemble des citoyens lorsque les listes d'attente pour bénéficier de ces programmes aidés sont déjà importantes.

L'exemple de ce portail déjà visité par 300 000 personnes par mois en moyenne illustre bien l'intérêt d'une mise en coopération des moyens d'information sur la formation professionnelle grâce à une bonne définition des complémentarités entre les différents acteurs. Le réseau d'information y gagnerait en simplification et en efficacité et les citoyens se verraient mieux garantir l'accès à l'information de qualité, objective et rigoureuse dont ils ont besoin.

M. Jean-Claude Carle, président - A l'origine, le public auquel s'adressait le Centre INFFO était composé de professionnels, ce qui est un signe de la complexité du secteur. Aujourd'hui, il faut s'avoir s'adresser au grand public et en particulier à ceux qui en ont le plus besoin, qui sont souvent les moins informés et qui rencontrent les plus grandes difficultés pour recevoir une information utile. C'est pourquoi votre rôle est fondamental, pour peu que vous sachiez rendre lisible un système extrêmement complexe.

Audition de MM. Francis DA COSTA, président de la commission formation, Bernard FALCK, directeur de l'éducation et de la formation, Alain DRUELLES, chef du service formation professionnelle, du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) (9 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Je vous cède la parole.

M. Francis Da Costa - Je souhaite en premier lieu vous remercier de m'auditionner cet après-midi dans le cadre de votre mission commune d'information. En tant que président de la commission formation du MEDEF, mais aussi animateur à ce titre des travaux du comité paritaire national pour la formation professionnelle (CPNFP), et vice-président au titre du collège employeurs du fonds unique de péréquation (FUP), je voudrais insister sur l'importance de vos travaux, notamment eu égard aux réflexions en cours sur l'éducation et la formation professionnelle.

Je souhaiterais en premier lieu vous rappeler le rôle du MEDEF, des organisations interprofessionnelles et, plus largement, des partenaires sociaux, par rapport à la formation tout au long de la vie professionnelle.

Ensuite, je voudrais tirer un premier bilan de la réforme de la formation professionnelle mise en oeuvre au cours des trois dernières années.

Enfin, je voudrais apporter des précisions ou des commentaires à certaines remarques formulées devant vous au cours des différentes auditions que vous avez menées ces derniers mois.

En conclusion, j'évoquerai quelques réflexions d'ordre général pour l'avenir.

Le rôle des partenaires sociaux dans le domaine de la formation tout au long de la vie professionnelle

La formation tout au long de la vie professionnelle est un concept auquel les partenaires sociaux ont donné corps par leur accord national interprofessionnel (ANI) du 5 décembre 2003. Le législateur l'a ensuite repris dans la loi du 4 mai 2004.

Je voudrais insister sur l'exemplarité de la méthode : une négociation interprofessionnelle a été suivie d'une loi transposant les dispositions de l'accord unanime des partenaires sociaux. Cet accord a ensuite donné lieu en 2005 à 450 accords traitant de la formation professionnelle conduite dans 250 branches professionnelles. Il a ensuite été décliné au niveau interprofessionnel. A l'exception de la loi quinquennale de 1993, l'accord a d'ailleurs toujours précédé la loi en matière de formation professionnelle.

Personne ne conteste la philosophie de l'ANI du 5 décembre 2003 qui vise d'une part, à permettre un accès à la formation pour l'individu, d'autre part, à mettre en place un accès à la formation par l'entreprise, ainsi qu'une voie conjointe. Cet accord consacre l'articulation de plusieurs objectifs :


• permettre à chaque salarié d'être acteur de son évolution professionnelle grâce aux entretiens professionnels, aux bilans de compétences ou à la validation des acquis de l'expérience. Un projet professionnel peut ainsi être élaboré à l'aide d'un passeport formation et en tenant compte des travaux des observatoires prospectifs des métiers et des qualifications ;


• favoriser l'acquisition d'une qualification tout au long de la vie professionnelle pour les jeunes, les demandeurs d'emploi et à certains salariés dans le cadre du contrat et de la période de professionnalisation ;


• développer l'accès des salariés à des actions de formation conduites tout au long de leur vie professionnelle dans le cadre du plan de formation laissé à l'initiative de l'employeur, du DIF à l'initiative du salarié avec l'accord de son employeur et du congé individuel de formation à l'initiative du salarié en liaison avec son employeur.

Rappelons que les premiers niveaux de formation ne sont pas spontanément demandeurs de formation. Tout dispositif portant uniquement sur une initiative individuelle ne saurait par conséquent réduire les inégalités d'accès à la formation.

L'ANI du 5 décembre 2003 consacre le passage d'une logique de stage à une logique de parcours de formation personnalisé. Celui-ci est le résultat d'une négociation globale, ayant forcément fait l'objet d'un compromis entre les différents signataires. Il est indispensable de prendre en compte cette réalité du dialogue social et de veiller au respect des grands équilibres.

Les huit organisations d'employeurs et de salariés représentatives au plan national et interprofessionnel ont confié au comité paritaire national pour la formation professionnelle (CPNFP) les missions d'assurer la maintenance de leurs accords interprofessionnels sur la formation, d'en préciser les modalités d'application et d'assurer la liaison avec les pouvoirs publics. Les commissions paritaires nationales pour l'emploi (CPNE), au niveau des branches professionnelles, et les commissions paritaires interprofessionnelles régionales de l'emploi (COPIRE), au niveau régional, doivent également assurer des rôles bien définis respectivement sur les plans sectoriel et régional. Par conséquent les organisations interprofessionnelles, CPNFP, CPNE et COPIRE doivent assurer des missions portant sur les politiques de formations.

Il existe quatre-vingt-dix-huit organismes paritaires collecteurs, les OPCA et les OPACIF pour le congé individuel de formation. En 1990, 600 agréments avaient été accordés à 255 fonds d'assurance formation, organismes mutualisateurs et collecteurs agréés. Les organismes paritaires collecteurs doivent jouer un rôle essentiel dans la collecte auprès des entreprises et le financement des actions en faveur des salariés et des autres publics prioritaires, en fonction des décisions et des orientations des organisations signataires des accords qui ont constitué les OPCA. Ceux-ci sont des outils essentiels pour la mise en oeuvre sur le plan financier des politiques de formation décidées dans les branches professionnelles et au niveau interprofessionnel.

Par ailleurs, le fonds unique de péréquation a été installé début 2005. Il prenait la succession de l'AGEFAL et du COPACIF afin de mettre en oeuvre sur un plan financier les décisions politiques prises par le CPNFP et d'assurer la péréquation entre les différentes OPCA sur le champ de la professionnalisation.

Il existe donc une véritable gouvernance paritaire du dispositif de formation professionnelle, mis en oeuvre à l'initiative des partenaires sociaux, en relation avec les pouvoirs publics et, dans le cadre du conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, des échanges se déroulent entre l'ensemble des parties prenantes, Etat, partenaires sociaux, conseils régionaux.

La mise en oeuvre de la réforme.

Les mesures de l'accord national interprofessionnel de 1970 et de la loi de 1971 se sont mises en oeuvres progressivement. Il en est de même pour l'accord de la fin de l'année 2003 et de la loi du 4 mai 2004, même si les premiers éléments dont nous disposons sont extrêmement encourageants.

L'étude de juillet 2006 de MM. Cahuc et Zylberberg ainsi que le rapport du CERC sur la période courant de 1993 à 2005 formulent des propositions qui, à la date où ils ont été publiés, ne peuvent prendre en compte l'impact de l'ANI du 5 décembre 2003, et par suite de la loi de 2004. Les données sur l'année 2005 et 2006 n'étaient en effet pas encore disponibles. Il est par conséquent tout à fait prématuré et déplacé de proposer une nouvelle réforme du dispositif de formation professionnelle sans disposer d'une première évaluation de celle qui se met en place, fondée sur des données quantitatives et qualitatives objectives.

Les partenaires sociaux avaient initialement prévu de réaliser un bilan au cours de la cinquième année d'application de l'ANI, en 2008. Ils ont toutefois décidé début 2007, dans le cadre du CPNFP, de s'atteler dès maintenant à une première évaluation, qui est en cours de réalisation et devrait permettre de disposer d'éléments significatifs au cours du deuxième semestre de cette année.

Le ministre du travail et le délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle vous ont fait part des premiers éléments concernant la mise en oeuvre de la réforme.

143 000 contrats de professionnalisation ont été enregistrés en 2006, ce qui correspond à une augmentation de 50 % par rapport à 2005 et à une croissance par rapport au dispositif précédent des contrats de qualification, qui était regretté par de nombreuses personnes. Dans le même temps, l'apprentissage a poursuivi sont développement. 276 000 nouveaux contrats ont été signés en 2006. Le nombre des apprentis en formation est ainsi passé à 405 000, en progression de 10 %. La campagne de promotion de l'alternance, menée par le MEDEF lors du second semestre 2006, ainsi que la forte mobilisation des branches professionnelles et des MEDEF territoriaux ont sans aucun doute contribué à ces excellents résultats.

374 000 périodes de professionnalisation ont été comptabilisées en 2006, ce qui représente une progression de 55 % par rapport à 2005.

Ces deux nouveaux dispositifs ont par conséquent réalisé d'excellentes performances, malgré l'agitation des cassandres lors de leur lancement.

Le congé individuel de formation (CIF), par ailleurs, poursuit sa montée en puissance. 41 000 CIF CDI ou CDD ont été comptabilisés en 2006.

En 2005, 130 000 salariés avaient usé de leur droit individuel à la formation. La progression en 2006 et 2007 devrait être conséquente. Les données précises ne seront connues qu'à l'automne. Les premiers DIF 20 heures n'ont pu se mettre en oeuvre qu'en mai 2005, soit un an après la loi de 2004. En 2007, les salariés disposent de 60 heures de DIF utilisables, soit plus de huit jours de formation, ce qui représente un capital significatif susceptible d'accélérer les demandes. Une enquête réalisée en février 2007 montre que 80 % des salariés connaissent le DIF, et que 56 % d'entre eux mobiliseront ce droit lorsqu'ils auront trouvé la formation correspondant à leurs besoins.

En outre, la validation des acquis de l'expérience devrait concerner 60 000 bénéficiaires en 2007, contre 20 000 en 2004.

Outre les dispositifs issus de l'ANI de 2003 et de la loi de 2004, je souhaite vous fournir quelques indications au sujet des dispositions prises par les partenaires sociaux pour simplifier et clarifier le dispositif de financement de la formation professionnelle.

J'ai rappelé que, dans les années quatre-vingt-dix, 600 agréments avaient été accordés à 255 fonds d'assurance formation, organismes mutualisateurs ou collecteurs agréés. Il n'en existe plus aujourd'hui qu'une cinquantaine, en considérant que les vingt-six FONGECIF n'appartiennent qu'à un unique réseau, et en prenant en compte le regroupement de vingt-quatre OPCAREG, effectif depuis le début de l'année 2007. Le MEDEF et les syndicats de salariés ont en effet décidé en 2006 de regrouper les OPCAREG avec l'organisme paritaire interbranches, OPCIB. Le nouvel ensemble représente plus de 350 millions d'euros de collecte et permet d'organiser efficacement l'articulation entre des politiques de branches adhérentes à OPCIB et le niveau territorial. L'ensemble des organismes collecteurs gère 5,1 milliards d'euros et assure un service aux entreprises, quelle que soit leur taille, et en particulier aux TPE et aux PME, en réalisant les formalités administratives et financières de la formation pour leur compte.

Le taux de participation des entreprises de plus de dix salariés à l'effort de formation professionnelle s'établit autour de 3 % de leur masse salariale, niveau supérieur de plus de 80 % à l'obligation légale.

L'ANI de 2003 se met par conséquent en oeuvre de manière efficace. Il a tout simplement été nécessaire d'attendre que les accords de branche négociés en 2004 et en 2005 soient étendus afin que les dispositifs tels que la professionnalisation ou le DIF se déploient, en même temps que les partenaires sociaux ont décidé de relever les contributions des entreprises relatives à la formation professionnelle continue. La contribution alternance avant notre accord était établie à 0,4 % de la masse salariale. Nous avons décidé d'augmenter le taux de cette contribution à 0,5 % de la masse salariale. Cette contribution vise à couvrir le financement du contrat des périodes de professionnalisation et du DIF prioritaire. Ce relèvement de taux de contribution, décidé par les partenaires sociaux sans attendre que les dispositifs fonctionnent à plein régime a conduit naturellement, mais temporairement, à produire des excédents de trésorerie. Ces excédents des OPCA, selon des dispositions fixées par la réglementation, ont été versés entre 2004 et 2006 au fonds unique de péréquation, dont les partenaires sociaux ont décidé d'encadrer les possibilités de péréquation concernant le contrat de professionnalisation, afin que ce contrat se mette en oeuvre en fonction de ses caractéristiques propres, et non en fonction de celles des précédents contrats d'alternance. Les contrats de professionnalisation ont en effet vocation à répondre à une demande des salariés et des entreprises, et ne sont pas là pour satisfaire une offre de formation. C'est pourquoi, temporairement, le fonds unique de péréquation réunit des sommes importantes. La montée en puissance de la professionnalisation et du DIF devraient rapidement réduire à zéro les versements des OPCA au FUP dès 2007, au plus tard en 2008. Les fonds ainsi disponibles au FUP ont fait l'objet d'un accord entre l'État et le CPNFP sur les priorités telles que la validation des acquis de l'expérience, les bilans de compétences, l'illettrisme, le contrat de professionnalisation en faveur des demandeurs d'emplois, les périodes de professionnalisation en faveur des seniors, la préparation par l'AFPA aux contrats en alternance. Ils ont en outre été ponctionnés à hauteur de 175 millions d'euros par la loi de finances de 2007 en faveur de l'AFPA, ce que les partenaires sociaux ont vivement déploré, demandant que ce prélèvement confiscatoire des fonds de la formation destinée aux salariés ait un caractère exceptionnel.

La participation des entreprises à l'effort de formation professionnelle s'établit globalement à 24 milliards d'euros en 2004. 9,5 milliards d'euros sont versés par les entreprises, premier financeur de la formation professionnelle continue. 4,1 milliards sont versés par l'État. 2,7 milliards sont dépensés par les régions. 5,4 milliards sont versés par les collectivités publiques en tant qu'employeurs. 1,3 milliard d'euros sont versés par l'UNEDIC. Un milliard d'euros sont dépensés par les ménages prenant eux-mêmes en charge des coûts de formation.

La part des conseils régionaux a progressé depuis cette date, alors que celle de l'État se réduisait en proportion.

Les responsabilités des conseils régionaux en matière de formation professionnelle se sont accrues. Ces responsabilités n'ont d'ailleurs cessé de croître depuis 1983. Elles concernent l'apprentissage et la formation continue des jeunes demandeurs d'emplois depuis 1993, la formation des adultes demandeurs d'emploi depuis 2002, et, depuis 2004, les régions sont responsables de l'information et du conseil au sujet de la VAE. D'ici à 2008, elles devront assurer le transfert des activités de l'association par la formation professionnelle des adultes, ainsi que le transfert des formations sanitaires et sociales. L'ensemble de ces compétences s'inscrit dans le cadre du plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF), auquel les organisations professionnelles et interprofessionnelles doivent être étroitement associées. L'objectif de ce PRDF, en conformité avec la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité, est de définir des orientations à moyen terme en matière de formation professionnelle des jeunes et des adultes, en prenant en compte les réalités économiques régionales, afin d'assurer l'accès ou le retour à l'emploi, et la formation professionnelle, des jeunes et des adultes. Le champ de coopération avec les conseils régionaux le plus important pour les organisations professionnelles et interprofessionnelles est celui de l'apprentissage. Par la taxe d'apprentissage, les entreprises assurent la moitié du coût de la formation en apprentissage, alors que l'autre moitié est prise en charge par les conseils régionaux. Ces éléments ne tiennent pas compte des salaires versés par les entreprises, qui s'élèvent à 2,5 milliards d'euros, et des allégements de charges consentis par l'État. Cette coopération est contrastée selon les régions qui, dans l'ensemble, ont adopté une position favorable au développement de l'apprentissage, même si certaines ne prennent pas suffisamment en compte les besoins des entreprises, les possibilités d'insertion professionnelle ou le rôle des CFA de branches ou interprofessionnelles.

Nous déplorons le fait qu'au cours des dernières années, les réformes successives aient taxé les entreprises de façon toujours plus importante : suppression des exonérations, surtaxe pour les entreprises de plus de 250 salariés n'ayant pas embauché un quota de jeunes en alternance, tout en réduisant le champ de la libre application de la taxe d'apprentissage. Il est indispensable de renforcer le partenariat entre les entreprises, les conseils régionaux et l'État pour développer l'apprentissage. Les politiques de branche et les politiques interprofessionnelles en matière d'apprentissage doivent pouvoir s'appuyer sur une capacité de cofinancement. Il ne serait pas admissible que la collecte de la taxe d'apprentissage, perçue sur les salaires versés par les entreprises, ne soit pas gérée par les organisations professionnelles et interprofessionnelles.

Commentaire de quelques remarques formulées au cours des précédentes auditions

L'orientation constitue un enjeu fondamental d'une future réussite professionnelle. Il est indispensable de donner suite au rapport remis récemment par Pierre Lunel, délégué interministériel à l'orientation, afin de limiter les sorties sans diplôme ni qualification du système scolaire, ou la sortie de l'université sans diplôme ou avec un diplôme qui ne permet pas une insertion professionnelle.

L'articulation entre la formation initiale et la formation continue devient une réalité dans le cadre de la formation tout au long de la vie professionnelle, avec la mise en place progressive du passeport professionnel, l'entretien professionnel biennal, la validation des acquis de l'expérience, notamment. Les contrats en alternance permettent d'assurer une excellente transition entre une formation initiale et la formation continue. Les organismes de formation ont toutefois des efforts à réaliser pour s'adapter à cette nouvelle donne, qui implique une individualisation et une personnalisation des dispositifs. Afin de répondre aux attentes des entreprises, il est indispensable de raisonner en fonction des compétences et de la qualification, et non seulement en fonction des connaissances et des savoirs. Le développement des certificats de qualification professionnelle a accompagné le succès des DUT ou des licences professionnelles auprès des PME, ce qui est le signe de l'attente des entreprises, et de la nécessité d'y apporter une réponse.

L'instauration d'un contrat en alternance unique n'est pas une bonne idée, alors que les partenaires sociaux ont souhaité les distinguer nettement. Le contrat d'apprentissage est une voie de formation initiale à part entière, permettant de préparer un diplôme ou un titre. Le contrat de professionnalisation, d'un format plus ramassé, s'inscrivant dans une durée de six à douze mois, pouvant être portée à vingt-quatre mois par accord avec une durée de formation de 15 % de la durée du contrat pouvant être portée à 25 %, s'adresse aux jeunes sans qualification professionnelle ou aux jeunes souhaitant compléter leur formation initiale, ainsi qu'aux demandeurs d'emploi lorsqu'une professionnalisation s'avère nécessaire pour favoriser leur retour vers l'emploi.

Certains organismes de formation ont considéré que le passage du contrat de qualification au contrat de professionnalisation laissait de nombreux contrats orphelins. Nous avons accordé une grande attention à ce sujet. De nombreux contrats de qualification n'étaient en fait qu'une poursuite d'études. Dans ce cas, le contrat d'apprentissage, relevant de la formation initiale, devrait répondre à cet enjeu sauf décision autre au cours des négociations de branche. La négociation avait parfois été restrictive sur les certifications qui ne concernaient pas leur coeur de métier. Des avenants ou décisions de CPNE ont rapidement remédié à cette situation. Le CPNFP a mis en place dès septembre 2005 une procédure d'examen des contrats orphelins, qui a permis d'en examiner 410, et de demander aux OPCA de reconsidérer leur décision, si nécessaire.

L'accord national interprofessionnel du 5 décembre 2003 est fondé sur le rôle des branches professionnelles et sur la dimension territoriale. Celle-ci est assurée sur le plan politique par les COPIRE, et sur le service de proximité assuré par les branches et les OPCA de branche, ainsi que par les deux réseaux interprofessionnels de collecte, l'OPCIB-IPCO pour le MEDEF et l'AGEFOS-PME pour la CGPME.

L'OPCIB-IPCO et l'AGEFOS-PME sont tous deux spécifiques. La coordination entre les deux réseaux est assurée par une instance paritaire nationale de coordination, IPNC. Le MEDEF et la CGPME ne sont pas favorables à une fusion des deux réseaux, ces deux OPCA étant déjà numéro 3 et 1 en termes de volume de collecte. Nous ne sommes pas non plus favorables à un système de prélèvement national des contributions de formation des entreprises. Le lien entre l'entreprise et son OPCA doit en effet être maintenu afin d'assurer un service de qualité.

Je vous ai rappelé que nous sommes passés de 600 à 50 organismes collecteurs en quinze ans. Le mouvement révèle un effort exceptionnel de rationalisation. Peut-être, est-il encore possible de réduire ce nombre en relevant le seuil minimal de collecte, actuellement fixé à 15 millions d'euros. Il faudra cependant tenir compte de la complémentarité ou de la cohérence des politiques de branches menées dans les OPCA, qui résulterait des éventuels regroupements. Par ailleurs, les fonds des OPCA sont visés par un commissaire aux comptes, et placés sous le contrôle de la DGEFP et de la Cour des comptes. Il est par conséquent difficile de trouver en France des organismes qui soient davantage contrôlés que les OPCA.

En raison de leurs compétences renforcées dans le domaine de la formation professionnelle, les conseils régionaux se considèrent de plus en plus comme des chefs de file et sont tentés de mettre en place de leur propre initiative de nouveaux dispositifs. Nous rappelons que la formation sous contrat de travail relève des entreprises et de leurs représentants. La contractualisation avec le conseil régional ne peut avoir pour cadre que les dispositions conventionnelles, législatives ou réglementaires en vigueur, notamment les contrats d'objectifs et de moyens et les contrats d'objectifs territoriaux. Toute initiative relative à la sécurisation des parcours professionnels doit être appréhendée dans un cadre national. Nous ne sommes par conséquent pas favorables à la mise en place institutionnalisée de conférences des financeurs.

Certaines remarques des personnes auditées ont porté sur le DIF et sur sa transférabilité. Le DIF monte en puissance et les chiffres concernant l'année 2007 le confirmeront assurément. Il est par conséquent prématuré de modifier un dispositif, qui est le résultat d'une très longue négociation, avant même d'avoir pu évaluer sa mise en oeuvre. Le DIF n'a pas vocation à se substituer à d'autres dispositifs. Je rappelle que le congé individuel de formation permet aux salariés qui le souhaitent de suivre une formation longue. Le nombre de ces formations suivies a d'ailleurs fortement progressé au cours des dernières années, les OPACIF ayant vu leurs ressources croître significativement du fait du passage de 0,1 à 0,2 % de la masse salariale des entreprises de plus de dix salariés.

La transférabilité du DIF est prévue dans un tiers des accords de branche et dans différents accords d'entreprises. Les modalités de la transférabilité sont très variées ; elle peut être totale ou partielle au sein d'une même entreprise, ou être valable entre entreprises du même groupe. Lors des négociations menées entre 2001 et 2003, la transférabilité a été écartée par la partie patronale. En effet, assurer la transférabilité financiarise le droit, alors que l'objectif est qu'il s'exerce selon des modalités définies, en favorisant l'initiative du salarié. En outre, la transférabilité généralisée nécessiterait de provisionner le DIF, qui deviendrait une dépense certaine et grèverait le compte des entreprises.

Remarques conclusives et propositions d'amélioration.

En conclusion, il apparaît que la réforme de la formation professionnelle est en marche et qu'il est nécessaire de la laisser se déployer, afin que les partenaires sociaux puissent en tirer le bilan à la fin de l'année 2007, avant d'envisager des modifications en profondeur de dispositifs que les entreprises, les différents acteurs et les bénéficiaires s'approprient progressivement. L'accord de 1970, la loi de 1971, ont mis plus de dix ans pour s'installer. Il n'est donc pas raisonnable de demander que l'accord de 2003, la loi de 2004 et les 450 accords conclus en 2004 et 2005 produisent immédiatement leurs effets.

Je souhaite toutefois formuler quelques propositions et remarques. Les dispositions de l'ANI du 5 décembre 2003 portant sur la formation qualifiante différée, article 4-1, méritent d'être examinées avec la plus grande attention. L'ouverture d'une concertation avec les pouvoirs publics sur un abondement financier y était notamment mentionnée.

En outre, les réflexions en cours sur la sécurisation des parcours professionnels, dans le cadre de la délibération sociale à l'initiative du MEDEF ou au sein du conseil national de la formation professionnelle, pourraient avoir une incidence sur la formation professionnelle selon les dispositions dont décideront les partenaires sociaux le moment venu.

L'ensemble des OPCA doit répondre aux attentes d'un service de proximité, selon les modalités les plus appropriées.

Les passerelles établies entre l'assurance chômage et la formation professionnelle, comme celles réalisées dans l'accord CPNFP UNEDIC-ANPE sur le contrat de professionnalisation en faveur des demandeurs d'emploi, demandent à être évaluées avec la plus grande attention.

Notre système de formation dans son ensemble est encore trop marqué par la conception de la formation initiale de face à face pédagogique, et n'intègre pas suffisamment l'individualisation, la gestion de groupes hétérogènes. La recherche et l'innovation en ingénierie pédagogique, à l'instar de ce qui se pratique dans des pays tels que le Canada, doivent être favorisées à tous les niveaux.

Je vous remercie de votre attention et répondrai volontiers à toutes vos questions.

M. Jean-Claude Carle, président - Je partage le point de vue qu'il est nécessaire de laisser au DIF le temps de fonctionner pleinement. Cependant, il est peut-être possible d'apporter quelques améliorations. Vous avez fait part de votre opinion au sujet de la transférabilité et de ses effets éventuels pour l'entreprise. La mutualisation existe dans certains pays. Une certaine mutualisation ne pourrait-elle être envisagée, par exemple par le moyen du FUP. Aujourd'hui en effet, les crédits non utilisés sont versés au Trésor public, ce qui constitue un constat d'échec.

Les conseils régionaux sont chargés de mettre en oeuvre le PRDF. Certains n'ont peut-être pas compris quelle était l'importance de cet outil. Ne serait-il pas possible de poursuivre les efforts afin que les professionnels soient davantage associés, lors de la convention du PRDF, de façon à y attribuer, par exemple, une valeur d'engagement.

Les CPNE définissent les politiques de chacune des branches en matière de flux et de niveau des formations. Or plusieurs interlocuteurs nous ont informés qu'ils étaient parfois pris au dépourvu face aux décisions des CPNE, par exemple lorsqu'elles décidaient de ne plus financer certains contrats. Ne serait-il pas utile d'améliorer le mode de fonctionnement du système pour éviter ces dysfonctionnements qui apparaissent comme des incohérences.

M. Francis Da Costa - Les commissions paritaires nationales emploi-formation relèvent des branches. En leur sein, les partenaires sociaux de la branche travaillent sur les métiers, les qualifications. Certaines branches avaient d'ailleurs déjà créé un observatoire des métiers et ont créé des observatoires prospectifs des emplois, métiers et qualifications. Finalement, c'est la grande réactivité des branches professionnelles face aux demandes des entreprises en matière de qualification et de compétences professionnelles qui est remarquable. En effet, à la différence de certaines institutions qui vont continuer pendant plusieurs années de dispenser des formations conduisant à l'obtention de diplômes pour exercer des métiers qui n'existent plus, la CPNE réagit très rapidement et répond aussi vite aux demandes exprimées par les entreprises de la branche. L'offre de formation ou le public ne sont pas toujours aussi rapides.

Le PRDF joue un rôle majeur. Je siège, en Haute-Normandie, au CESR, qui est consulté pour le PRDF. Les représentants de l'économie ont parfois du mal à se positionner parce qu'ils ne sont pas toujours invités comme ils le devraient à contribuer au PRDF. Le comité consultatif emploi régional formation professionnelle, est chargé de travaillé à ce PRDF, mais les entreprises et les syndicats de salariés n'y sont pas suffisamment associés. Si la collaboration était véritable, il serait envisageable de favoriser le développement de l'apprentissage, en sachant qu'il existe des emplois auxquels conduisent ces formations.

Au sujet de la transférabilité, je prendrais un exemple. La Poste a organisé la transférabilité du DIF avec ses filiales, mais dans un sens seulement. Si vous travaillez pour Chronopost et partez travailler pour la maison mère, vous conservez vos droits. Cependant, si vous quittez La Poste pour travailler à Chronopost, vous ne pouvez conserver vos droits. La budgétisation de ce DIF pose problème aux entreprises.

En outre, au cours des négociations, nous avons mis en avant le fait qu'un salarié postulant à un emploi sera moins compétitif que les autres, à compétences égales, si les heures de DIF auxquelles il peut prétendre sont bien plus élevées. Cette situation créerait par conséquent une distorsion de concurrence entre les salariés.

Certaines branches ont décidé de permettre la transférabilité. Elles y trouvent par conséquent un intérêt. Elles disposent par ailleurs déjà de caisses mutualisant certaines prestations.

Si une mutualisation du FUP était mise en oeuvre, une contribution supplémentaire serait créée. Il faut en outre ne pas oublier que les contrats de professionnalisation connaissent une forte croissance, comme la période de professionnalisation, ou le DIF prioritaire finançable. Dans ces conditions, il ne restera plus d'argent au FUP en 2008. C'est pourquoi, si nous souhaitions financer le DIF par le FUP, il faudrait créer une nouvelle contribution des entreprises. Le MEDEF s'opposerait à la création d'une telle contribution. Les entreprises de plus de dix salariés financent déjà la formation professionnelle à hauteur de 3 % de leur masse salariale. Il est inutile d'en ajouter.

M. Jean-Claude Carle, président - Il est certain que ce n'est pas par l'inflation budgétaire que le système pourra évoluer. Il reste cependant sans doute des économies à réaliser afin de permettre une certaine mutualisation.

Seriez-vous favorable à l'association du monde économique à l'élaboration du PRDF, et qu'il puisse avoir valeur d'engagement ?

M. Francis Da Costa - Je suis favorable à l'association des représentants des entreprises à la constitution de ce PRDF. Il faut prendre garde au fait que par « monde économique » on entend parfois un ensemble de personnes qui ont déjà contractualisé des engagements avec les conseils régionaux. Il faut envisager une association des branches représentant les entreprises en régions, qui représentent la véritable économie.

Il faut d'ailleurs remarquer que les contractualisations sont déjà une réalité. Les contrats d'objectifs et de moyens en région se traduisent par des engagements de la profession.

M. Jean-Claude Carle, président - Peut-être serait-il encore possible de progresser en ce domaine, le PRDF valant engagement des régions. Nous restons dans le cadre de compétences séparées, alors même que la loi de 1993 inscrit ce dispositif dans un cadre de compétence partagée.

M. Francis Da Costa - Il serait intéressant d'évaluer les PRDF.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette démarche a déjà été menée. Peut-être faudrait-il la renouveler ?

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je souhaite vous poser une question sur la pertinence du rôle de la branche dans la conduite de la politique de formation continue. La question des compétences transversales est souvent posée. De quel ordre, par exemple, sont les priorités définies par les branches, quel est leur degré de généralité ? Existe-t-il un risque de discordance entre le rôle de la branche et le mode de fonctionnement des OPCA ?

Le fait qu'une partie de la collecte opérée par les OPCA serve à financer les partenaires sociaux obère-t-il toute perspective d'évolution du système vers des structures territoriales plus efficaces pour répondre aux besoins exprimés ?

La notion d'entreprise formatrice et l'intégration dans l'entreprise de la formation continue vous semblent-elles pertinentes ?

M. Francis Da Costa - Le rôle de l'entreprise en tant que formatrice est clairement reconnu par la VAE. Nous avons en outre signé une convention avec M. Larcher afin de développer les démarches de validation des acquis de l'expérience. La VAE reconnaît le caractère formateur du travail dans l'entreprise, ou même de toute activité, puisqu'il est possible d'engager une démarche de VAE pour des activités qui sont pratiquées en dehors de l'entreprise.

Par ailleurs, l'ANI de 2003 reconnaît la capacité des entreprises à elles-mêmes former leurs collaborateurs.

0,75  % des sommes collectées sert à financer le paritarisme. Je ne vois pas pourquoi cela serait contraire à l'efficacité du système sur le territoire.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous posais cette question parce qu'elle m'a été posée par une journaliste. Il me semble, quant à moi, que la situation est claire et strictement contrôlée.

M. Bernard Falck - La possibilité de disposer d'une contribution au nom du paritarisme permet au contraire de déployer en région une équipe de vingt-deux coordinateurs régionaux de la formation professionnelle, salariés par le MEDEF. Leur mission est d'organiser la concertation avec les branches professionnelles et d'entretenir les relations avec l'ensemble des conseils régionaux et administrations déconcentrées de l'État. La contribution permet donc au contraire de renforcer le dialogue mené sur le territoire.

En outre, la contribution dont bénéficie le MEDEF fait l'objet d'un contrôle effectué par les commissaires aux comptes et la Cour des comptes. Les missions ainsi assumées concourent toutes au développement de la formation professionnelle continue.

M. Jean-Claude Carle, président - Il me semble qu'il existe une confusion entre le financement du paritarisme et le financement des organisations syndicales. Il convient de dédramatiser la situation.

M. Francis Da Costa - Vous posez la question des qualifications transversales parce que, dans un premier temps, les branches ont défini des priorités centrées sur les coeurs de métiers et les besoins de compétences insatisfaits à ce moment. Les acteurs des branches se sont cependant aperçus que cette orientation était trop restrictive. Certaines branches ont par conséquent élargi leurs critères de prise en charge.

Ces éléments concernent surtout la professionnalisation et le 0,5 % versé à ce titre par les entreprises de plus de 10 salariés.

Il est par ailleurs vrai que certaines branches ont décidé de ne plus financer de contrats de professionnalisation permettant d'acquérir, par exemple, un BTS-action commerciale. La réforme a été justement menée pour pouvoir faire ces choix. Il est par exemple normal que la branche ne finance pas ces formations initiales longues.

0,5 % de la masse salariale représente le tiers des obligations des entreprises aux efforts de formation. Une entreprise qui se verrait refuser la prise en charge par la branche d'une formation conduisant à l'obtention d'un CAP-vente par exemple, pourrait la financer dans le cadre de son plan de formation.

La politique de branche est cohérente, et vise à développer le coeur de métier et les principaux métiers de la branche. Les entreprises de la branche métallurgique acceptent toutefois de financer les formations de transporteurs, puisqu'elles utilisent des transporteurs. Certes, les entreprises travaillant dans le secteur du transport vont financer les permis de poids lourds ou superlourds, mais certaines branches peuvent faire figurer ces compétences parmi leurs priorités. Le même phénomène est remarquable dans le secteur du bâtiment par exemple. Il s'agit d'une véritable formation transversale, puisqu'il est possible d'être chauffeur dans de nombreuses branches.

M. Paul Girod - Disposez-vous, au sein du MEDEF, d'un système d'évaluation des formateurs, qu'ils soient privés ou publics par exemple ?

M. Francis Da Costa - Non. Les fonds que nous gérons ne sont que des excédents des entreprises, que nous rendons aux salariés et aux entreprises. L'entreprise est par conséquent totalement libre pour choisir son formateur.

En tant que chef d'entreprise, lorsque j'engage un organisme de formation, j'attends de lui qu'il apporte un résultat. Toutes les entreprises fonctionnent sans doute de cette manière. Reste qu'il est possible de commettre des erreurs. Il existe des labellisations, mais elles ne garantissent pas, comme les garanties qualité, la qualité du produit lui-même mais seulement le processus de fabrication de l'article.

Certains OPCA ont cependant instauré un catalogue de formations, qui permet aux entreprises de bénéficier de prestations de formation sur l'ensemble d'un territoire, et non seulement dans les grandes villes. Des accords ont été signés avec ces organismes capables de fournir une formation utile pour les entreprises et dont la localisation permettait que les transports ne constituent pas un frein à la formation des salariés en entreprise.

M. Alain Druelles - Pour mettre en oeuvre un outil d'évaluation, il est nécessaire de bien définir les objectifs poursuivis par la formation. Pousser à une meilleure définition des objectifs est justement un des objectifs de l'ANI.

Par ailleurs, le processus d'acquisition des compétences n'est pas toujours intégralement le résultat de l'action d'un formateur. L'acquisition de compétences ne se réduit pas à l'action d'un formateur, même lorsqu'il est présent dans de nombreux cas. Il faut souligner le fait que les formations continues restent encore trop prisonnières de modalités pédagogiques qui sont le propre de la formation initiale, le face à face pédagogique, alors que les modes d'acquisition de compétences sont multiples. Un formateur peut être autant accompagnateur qu'à proprement parler formateur, afin d'aider à acquérir des compétences.

En outre, il n'existe pas encore d'accréditation du formateur lui-même. Nous sommes d'ailleurs assez peu favorables à l'instauration de telles dispositions. Nous sommes cependant favorables au développement de politiques d'assurance qualité qui garantissent une vérification du processus d'intervention d'un formateur ou d'un organisme de formation.

M. Paul Girod - L'opinion est partagée qu'une part des sommes supposément consacrée à la formation sert en fait à maintenir les structures existantes en place, plus qu'à conduire des actions de formation.

M. Alain Druelles - Cette opinion est le résultat du mode de fonctionnement du paritarisme. Elle renvoie aux conditions de lisibilité des objectifs et des prises de décisions. Sans doute est-il possible d'améliorer la lisibilité des processus de décision.

Cette question renvoie également aux frais de gestion des structures en question, qui représentent 7 à 8 % des sommes collectées et gérées. Il est nécessaire d'apprécier ce chiffre à l'aune des missions remplies et des prestations apportées.

Les partenaires sociaux veillent en permanence à chercher les moyens d'améliorer ce dispositif, tout en assurant une certaine continuité pour que le système reste lisible par les entreprises et les salariés.

Sans doute reste-t-il possible de chercher à réaliser des économies de gestion. Ces marges de manoeuvre ne semblent cependant pas comparables aux critiques adressées au système.

M. Bernard Falck - Les OPCA doivent remplir des missions de proximité. Dès lors que des équipes sont en contact avec les entreprises et les salariés sur l'ensemble du territoire, les frais de structures sont différents de ceux occasionnés par des structures qui n'assurent pas ce service de proximité. Il convient par ailleurs de rappeler que les dispositions réglementaires amènent l'ensemble des organismes paritaires collecteurs agréés à assurer ce service de proximité.

Des regroupements permettraient-ils de réduire les frais de gestion ? Il existe une cinquantaine d'organismes collecteurs agréés. Peut-être est-il encore possible de réduire ce nombre, en regroupant des collecteurs qui n'auraient pas atteint une masse critique suffisante ou se trouveraient dans l'incapacité d'assurer un service de proximité. Cependant, dès lors que le périmètre de collecte est supérieur à 20 ou 30 millions d'euros, il est possible d'assurer un service de proximité de qualité, qui permet une présence territoriale pertinente, consciente des priorités des entreprises locales.

Lorsque les partenaires sociaux ont négocié l'accord national interprofessionnel du 5 décembre 2003, leur préoccupation a été que les informations soient de mieux en mieux adaptées aux besoins des salariés. Il est apparu nécessaire de passer d'un format standard à des formats plus personnalisés, afin que le salarié ne suive pas des formations qui viseraient à lui enseigner un savoir dont il disposerait déjà. Dans ce but, les partenaires sociaux ont exercé une certaine pression sur les organismes de formation, quel que soit leur statut. Le meilleur exemple de cette démarche est celui du contrat de professionnalisation, qui nécessite une personnalisation des démarches. Certains organismes de formation ont réagi assez négativement à ces nouvelles dispositions, qui remettaient en cause une situation standardisée, qui prenait plutôt comme point de départ l'offre de formation plutôt que la demande des entreprises. Les décideurs, au sein des entreprises, ont acquis une maturité suffisante ; ils raisonnent aujourd'hui en acheteurs soucieux de mesurer le mieux possible l'impact de la formation apportée. Ces éléments font qu'il existe une certaine pression sur les prix.

Audition de M. Jean-François BERNARDIN, président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) (16 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Merci d'avoir accepté notre invitation à participer à cette audition.

M. Jean-François Bernardin - Merci de nous recevoir, messieurs les sénateurs. Il me semble qu'il sera difficile de traiter le sujet en une heure tant l'information que j'ai à vous délivrer est riche.

M. Jean-Claude Carle, président - Il me semble évident, en effet, que nous n'aurons pas le temps de traiter l'ensemble du sujet en une heure. Cependant, vous pourrez compléter votre information en nous faisant parvenir tout document que vous jugerez utile et que nous analyserons en détail pour rédiger notre rapport.

M. Jean-François Bernardin - Je vais m'efforcer d'aller à l'essentiel. En dehors de notre rôle de représentation des entreprises, nous sommes également formateurs. Nous formons près de 100 000 apprentis par an. Nous accueillons dans l'ensemble de nos écoles environ 100 000 étudiants et élèves, de HEC aux écoles proposant des formations Bac+3, en passant par les petites écoles de niche très professionnelles. Nous sommes très souvent situés dans « l'interbranches », c'est-à-dire les formations qui couvrent l'ensemble des réseaux d'entreprise : la vente, la comptabilité ou encore le marketing. Nous dépassons souvent les niveaux 5 et 4. Nous avons été les premiers à appuyer l'idée que l'apprentissage n'était défendable que dès lors qu'il conduisait à une formation supérieure. Nous sommes acteurs de la formation professionnelle et recevons 500 000 stagiaires chaque année. Je suis présent devant vous aujourd'hui à la fois en tant que chef d'entreprise, représentant des entreprises et représentant d'un organisme de formation.

- Formation professionnelle et formation professionnalisante

La formation professionnelle recouvre désormais également la formation initiale, ce qui n'était pas le cas dans la décennie précédente. En ce qui concerne les crédits, nous séparons la formation professionnalisante de la formation professionnelle, qui recouvre les crédits de l'alternance, les crédits de qualification, de professionnalisation et le plan formation. J'utilise l'expression « formation professionnalisante » pour qualifier la formation préparant à un métier et « formation professionnelle » pour désigner la formation ultérieure.

Votre mission ne se limite pas à ce que l'on appelait autrefois la « formation professionnelle », c'est-à-dire la formation ultérieure à la formation initiale. Nous considérons donc que tout est complémentaire et consécutif : plus la formation initiale est professionnalisante et moins le besoin de formation professionnelle, notamment immédiatement à la sortie des études, est considérable.

- Un marché de l'emploi en constante évolution

Nous avons depuis longtemps conscience que l'un des problèmes majeurs que connaît la France en matière de formation vient d'une prise de conscience insuffisante des terribles changements du marché de l'emploi comparativement aux décennies et même aux siècles précédents. Nous sommes face à un marché de l'emploi extrêmement diversifié et en constante évolution. Les problématiques d'orientation professionnelle sont donc cruciales parce que nous situons mal la nature des emplois. Nous avons du mal à savoir concrètement quelles formations conduisent à l'emploi. Il y a un siècle, les voies menant au secteur du charbon, à celui du notariat ou encore à l'armée, étaient claires : on y parvenait en fonction de son mérite, de son sort social ou d'un ensemble d'autres paramètres. Aujourd'hui, plutôt que d'exercer un métier, on occupe un poste avec des fonctions qui sont, bien souvent, assez peu définies. Une personne peut tout à fait travailler à la Société générale sans pour autant être banquier ou même exercer un métier relatif à la banque. La multiplication des cursus universitaires - aujourd'hui, il existe plus de 5 000 diplômes - rend la question de l'orientation professionnelle d'autant plus déterminante et compliquée.

Du fait de la nature changeante du marché de l'emploi, peu d'individus seront amenés à exercer de manière identique le même métier tout au long de leur vie. La plupart des personnes soit exercent le même métier en le faisant évoluer, soit changent complètement de métier, de fonction ou d'entreprise plusieurs fois au cours de leur carrière professionnelle. Nous devons faire en sorte que notre système de formation prépare à la fois les individus à un métier immédiat et leur donne la possibilité d'évoluer et de s'adapter par la suite. Ce sont des notions qu'il convient de conserver à l'esprit afin de ne pas se perdre dans les mécanismes financiers de l'intéressement sans avoir les bases nécessaires à la réflexion.

- La nécessaire professionnalisation des cursus

La formation initiale doit également préparer à occuper un emploi. Après une longue analyse, cette affirmation fait aujourd'hui consensus. Les dysfonctionnements des systèmes d'éducation et de formation, que ce soit du point de vue du collège général, duquel on peut encore sortir sans formation, ou du point de vue du chômage des jeunes issus de l'enseignement supérieur, s'expliquent très largement par les erreurs d'orientation et le manque de professionnalisation des cursus. Cette problématique a émergé au moment de la crise du CPE. Des étudiants ayant plus ou moins bien réussi dans le secondaire ont pensé qu'il suffisait de s'engager dans le supérieur pour obtenir un emploi. Ceux-ci s'égarent dans des cursus universitaires dont l'utilité n'est pas réellement proportionnelle au nombre d'étudiants qui s'y insèrent, ou encore abandonnent leur formation avant l'obtention du diplôme. Le taux de chômage des jeunes qui quittent l'université sans diplôme est sans commune mesure avec celui de ceux qui en ont obtenu un, quel qu'il soit. 25 % des jeunes ayant abandonné leur formation en cours sont au chômage contre 8 % des diplômés, y compris ceux dont la formation n'est pas adaptée au marché de l'emploi.

Le temps de latence entre la fin des études et le premier emploi stable est considérable. Ce délai est profondément dû à l'absence de professionnalisation des diplômes universitaires actuels. Nous avons développé des filières d'apprentissage dans nos études propres et en coopération avec les universités. Sur les 2,2 millions d'étudiants de l'enseignement supérieur, 800 000 suivent déjà des formations professionnalisantes, que ce soit dans les IUT ou dans les grandes écoles. Nous créons parallèlement des filières d'apprentissage avec les universités, notamment avec l'Université Pierre et Marie Curie Paris VI.

Désormais, la question concerne les 1,2 million d'autres étudiants : comment transformer leurs cursus pour en faire des formations professionnelles ? Il est aujourd'hui matériellement impossible d'admettre 1,2 million d'apprentis supplémentaires dans le réseau de l'apprentissage. Tout diplôme, quel que soit le formateur, devrait comprendre une phase de professionnalisation dans sa dernière partie. J'ai discuté avec plusieurs directeurs d'université et les principaux responsables politiques sur ce sujet. Pour autant, il n'est pas nécessairement souhaitable de transformer tous les cursus actuels en cursus de professionnalisation. Ils doivent cependant comprendre une phase de professionnalisation sous des formes diverses. Elle pourrait notamment être opérée par des contrats de professionnalisation ou des stages si les conditions et l'encadrement sont bien définis.

- L'apprentissage

Nous avons toujours été de grands prosélytes de l'apprentissage. Nous avons pris connaissance du document intitulé « Un million d'apprentis en France, c'est possible » et avons également noté que Jean-Louis Borloo était arrivé à ce chiffre symbolique du million d'apprentis lors de récentes déclarations. Ce chiffre était naturellement propre à frapper les esprits. Nous avons toutefois fixé des conditions à l'apprentissage. C'était une erreur de penser qu'un étudiant pourrait suivre une formation générale puis se concentrer sur la formation professionnelle ultérieurement. C'est également une erreur de penser que la formation générale est inutile. L'un n'est pas exclusif de l'autre. Je l'ai écrit au Premier ministre et à Gilles de Robien lorsque nous avons évoqué la question de l'apprentissage junior. Nul ne doit entrer en apprentissage, y compris en niveau 5, sans être assuré de posséder le « socle commun de connaissances ». Penser qu'il suffit de donner un savoir-faire immédiatement utile, fût-il de niveau 5, est une grave erreur. On ne peut pas condamner un jeune à demeurer enfermé dans un même niveau de fonction et de salaire toute sa vie durant. Chacun doit disposer de la chance d'évoluer. On ne peut pas évoluer si on ne possède pas la culture générale, l'intelligence et la connaissance du monde que la formation générale dispense, même si l'on dispose d'une formation opérationnelle pointue. Nous considérons qu'il faut cesser de penser qu'il existe un cycle royal, dans lequel on ne s'inquièterait pas de former à un métier, et un cycle professionnel, qui ne formerait qu'à un métier sans possibilité d'évolution. Nous sommes passés d'un extrême à l'autre, de l'école qui forme l'esprit à l'école qui doit permettre l'exercice d'un métier. Les diplômés doivent pouvoir trouver un emploi rapidement en maîtrisant un savoir-faire mais également avoir la possibilité d'évoluer dans l'avenir s'ils en ont le désir.

Vous connaissez nos positions sur l'apprentissage. Nous avons toujours été convaincus qu'il constitue la meilleure formation, à condition que ce ne soit pas une formation « cul-de-sac », c'est-à-dire une orientation prématurée excessive fermant les portes d'un cursus supérieur au jeune. Le cycle 14-15 ans doit être organisé sous statut scolaire et le cycle 15-16 ans devrait comprendre la possibilité de revenir dans le cycle classique. Nous ne sommes pas favorables à un système d'orientation définitive trop hâtive. Un jeune de 14 ans n'a pas nécessairement une conscience précise de ce qu'il souhaite faire dans l'avenir. Les troncs parallèles de formation initiale doivent comprendre des passerelles.

Nous pensons également qu'il est possible d'entrer au niveau 5. Toutefois, notre responsabilité collective implique l'existence de filières permettant à l'étudiant de poursuivre ses études par la voie de l'alternance ou vers un cycle plus classique. C'est précisément ce que nous nous efforçons de réaliser. Nous animons notamment une formation cuisine dans une banlieue difficile, essentiellement choisie par des jeunes issus des minorités visibles. Il est très significatif de constater que tous les étudiants ont poursuivi leurs études par la suite. Ils ont tous trouvé un employeur et ont poursuivi leur formation par une mention complémentaire, notamment le CAP complémentaire, ou autre chose.

- Les fonds de modernisation et de péréquation

Nous avions beaucoup encouragé la création du fonds de modernisation. Ce travail, mené avec Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher, avait abouti à la signature d'accords nationaux sur son utilisation. Je dois préciser que sa gestion actuelle ne me semble pas réellement correspondre à l'esprit de ses fondateurs. Nous savions qu'en augmentant le quota, il serait possible de financer la formation d'environ 400 000 apprentis. Nous avions conscience d'atteindre la limite de rupture de la taxe d'apprentissage. En tant que chefs d'entreprise, nous avons donc accepté dans un silence pudique une augmentation de la taxe d'apprentissage par la suppression de certaines exonérations. Le fonds de modernisation devait garantir aux organisations gestionnaires d'atteindre l'équilibre de leurs finances à cinq ans en augmentant le nombre d'apprentis et en garantissant un emploi à la fin de la formation. Le risque à prévenir était que la partie « stage » ne devienne une manoeuvre de précarisation de la situation des apprentis qui rendrait disponible davantage de jeunes que les besoins ne le demandent. Nous avions donc envisagé des prévisions d'emploi à cinq ans de manière que l'État puisse contracter de façon tripartite avec les branches, les organismes formateurs et les conseils régionaux. Pour des raisons diverses, de nombreux préfets ont signé des accords dans lesquels l'aspect tripartite a été occulté. Nous craignons que les régions n'encaissent le fonds mais ne réduisent leurs efforts, comme ce fut le cas lors de l'augmentation du fonds de péréquation. Cette situation nous déplaît considérablement dans la mesure où les chambres de métiers avaient vivement encouragé l'augmentation de ce fonds. In fine, ce n'est pas une opération positivement globale.

Le fonds de péréquation, comme le fonds de modernisation, est prélevé sur la taxe. En conséquence, la taxe disponible de façon directe a diminué. La partie non affectée directement par les entreprises représente 50 % du quota. En réalité, en additionnant le fonds de péréquation et le fonds de modernisation, 50 % des quotas sont dérivés de l'affectation directe des entreprises vers les conseils régionaux. Nous avions pourtant montré, il y a quelques années, que l'augmentation du fonds de modernisation conduisait inexorablement à une réduction de l'effort des régions, tout en annonçant officiellement un effort accru.

Globalement, l'argent disponible pour l'apprentissage a donc diminué. L'État doit reprendre la main sur le fonds de modernisation. Il n'est pas question d'accepter une augmentation de la taxe qui permette aux régions d'en avoir la libre utilisation. L'État a tout à fait la possibilité de contracter avec les régions. Nous n'avons pas obtenu ce que nous demandions pour le fonds de modernisation. Nous avons présenté des plans de développement de 40 % du nombre d'apprentis conformément à nos engagements nationaux. En retour, on ne nous a concédé que quelques centaines d'euros sur des programmes de qualification, mais rien sur la garantie des effectifs. Cela ne correspond pas à l'esprit de ce que nous avions demandé et qui avait été accepté par le ministre. Nous assistons à une rupture du suivi du dossier.

M. Jean-Claude Carle, président -Vous avez dit que 50 % des quotas représentaient de l'argent inefficace.

M. Jean-François Bernardin - Naturellement, les régions ne brûlent pas cet argent... Le problème provient de ce que les régions considèrent cet argent comme leur appartenant, rendant inutiles les accords tripartites. Si on accepte d'augmenter la taxe d'apprentissage, encore faut-il que ce soit à destination de contrats d'objectifs pour développer les formations préparant aux métiers d'avenir. Par exemple, la Fédération des conducteurs de diligence n'a pas vraiment vocation à recevoir des fonds, même si les diligences sont écologiques et conviviales. A contrario, le secteur de la téléphonie mobile sera créateur de nombreux futurs emplois, même si certains peuvent ne pas apprécier ce type d'équipement. Nous devons consacrer l'argent à la formation aux métiers qui seront encore des métiers d'avenir cinq ans plus tard.

Nous sommes de grands collecteurs de la taxe d'apprentissage. Il convient cependant de ne pas confondre la collecte et les fonds disponibles. En effet, 80 % de la collecte des chambres sont ensuite utilisés par d'autres organisations. Nous sommes des organismes collecteurs et, à l'instar des chercheurs d'or, nous tentons de conserver quelques pépites pour financer nos formations. Encore faut-il que l'affectation et le contrôle du gouvernement soient ciblés vers des métiers offrant des perspectives d'avenir pour éviter la formation d'apprentis en surnombre.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui gère le fonds de péréquation ?

M. Jean-François Bernardin - Le fonds est géré par l'État, qui le répartit aux régions.

M. Jean-Claude Carle, président - L'État gère-t-il et répartit-il lui-même l'ensemble du fonds ?

M. Jean-François Bernardin - L'État l'affecte aux régions en fonction de clefs de répartition, notamment le nombre d'apprentis, que les régions discutent périodiquement. Les régions gèrent par la suite elles-mêmes les crédits. Certaines régions ont signé des accords tripartites, notamment la région Rhône-Alpes, mais d'autres non. Je ne suis même pas certain que cela ait changé grand-chose malgré tout, même pour les régions qui ont signé des accords tripartites. Je souhaite réellement que l'État reprenne la main sur cette gestion pour des raisons d'efficacité.

M. Jean-Claude Carle, président - Il me semble qu'on peut s'étonner que 50% des quotas ne soient pas directement efficaces par rapport au résultat recherché.

M. Jean-François Bernardin - Lorsque j'aborde cette question avec mes amis du MEDEF qui suivent le dossier attentivement, je leur explique que nous sommes sur le point de voir apparaître avec la taxe le même problème que celui survenu pour le « 1 % à la construction ». Petit à petit, cette formule a été perçue comme une taxe supplémentaire sur laquelle l'entreprise n'a plus la moindre incidence.

Je me rends bien compte, en tant que chef d'entreprise, que le quota pour étrangers est problématique dans la mesure où le préfet peut proposer aux salariés des logements localisés à l'autre extrémité de Paris. De fait, l'employé ne peut conserver son poste si on lui propose un logement très éloigné de son lieu de travail et la taxe perd tout son sens.

La taxe d'apprentissage est une dépense de l'entreprise destinée à la formation des salariés. Toutefois, pour développer l'apprentissage, il faut que les entreprises d'accueil soient motivées. Je ne crois pas au mécanisme « Gosplan concentré ». Du fait des évolutions du marché de l'emploi, le mécanisme doit être souple et facilement adaptable. Dans ma Chambre, nous supprimons 15 % des formations chaque année et en créons 15 % d'autres. Le problème de l'éducation nationale n'est pas tant le statut d'État des enseignants que la rigidité de ses structures. Si le ministre souhaite disposer d'une enquête sur l'avenir de la chaudronnerie, il doit en faire la demande, attendre que l'enquête remonte, soit dépouillée et analysée, puis il faut encore attendre que les conclusions redescendent... La décentralisation au profit des collectivités locales a montré son utilité, non pas parce que le personnel est plus compétent puisque ce sont les mêmes fonctionnaires, mais simplement parce que les structures sont plus proches du terrain. Nous avons amélioré les lycées parce qu'il n'était pas possible de résister localement à la pression devant l'état de délabrement des infrastructures alors que, vu de Paris, le plus grand fatalisme était de rigueur.

J'ai rencontré M. Denanot, président du conseil régional du Limousin et président de la commission formation professionnelle de l'Association des régions de France. Je lui ai expliqué longuement les changements nécessaires. Il souhaite le monopole de la collecte de la taxe d'apprentissage. Mais les régions disposent déjà de tous les moyens : il est impossible d'ouvrir une section sans l'accord du conseil régional ou sans qu'il équilibre les formations. Cependant, toutes les formations ne sont pas régionales. Nous nous sommes rapprochés des régions parce que nous ne croyons pas non plus au centralisme parisien des formations. Il faut accepter un système complexe dans lequel sont considérées les dimensions régionales et les dimensions nationales. Il est, par exemple, inutile de créer un centre de plasturgie par région. Dans ce cas, qui financera une école interrégionale si chaque région détient tous les crédits et tous les pouvoirs de décision ? Je gère l'ISIPCA, l'Institut supérieur international du parfum et de la cosmétique. Nous y formons les ingénieurs de la parfumerie mondiale à Versailles en alternance avec les fédérations. Qui financerait cette institution si elle était régionale ? Il faut donc accepter un système complexe avec des formations centralisées et d'autres régionalisées.

Nous sommes opposés au monopole des branches. Lorsque les branches centralisent leur gestion, elles ignorent la dimension régionale. Elles ignorent également 50 % des formations situées en interbranches. Nous avons écrit au Premier ministre pour témoigner de notre inquiétude que le ministre de l'agriculture ait accordé à la branche très marginale des paysagistes la fermeture de sa collecte de taxe d'apprentissage. Si cette décision est maintenue et généralisée, toutes les branches seront exonérées de la taxe d'apprentissage et plus personne ne formera les 50 % d'apprentis de l'interbranches. Nous passons des accords avec les branches mais essayons également de faire comprendre qu'il existe d'autres formations, que leurs propres entreprises utilisent. En 1995, un accord avait été signé avec les partenaires sociaux pour économiser 35 % de la taxe dans l'interbranche. Quelques jours plus tard, un amendement voté de nuit en avait dispensé l'essentiel des branches. Depuis, ce problème reste posé.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui pourrait gérer cette question, si ce ne sont ni les régions ni les branches ?

M. Jean-François Bernardin - Nous ne sommes pas partisans d'un vingt-huitième bouleversement de la taxe d'apprentissage malgré les demandes répétées d'états généraux du secteur par certains acteurs. Nous n'avons même pas encore achevé la mise en place des textes précédents qui sont loin d'avoir fini de produire leurs effets. La taxe d'apprentissage est le seul financement de formation dont nous puissions tracer l'utilisation. Depuis l'année dernière, plus personne ne peut verser directement aux écoles. Il faut aujourd'hui verser à un centre de collecte régional qui redistribue tous ces fonds publics en toute transparence. Auparavant, nous avions des difficultés à tracer les financements encaissés par les écoles. Cela possédait toutefois l'avantage d'encourager le côté pédagogique. Naturellement, les crédits sont toujours affectés aux écoles, mais l'affectation est réalisée à travers l'organisme collecteur. Ces centres doivent communiquer leurs comptes, les conseils régionaux doivent donc cibler la totalité des crédits. Nous avons tous les éléments, encore faut-il se donner la peine de les mettre en application.

Tous les organismes souhaitent collecter la taxe d'apprentissage : Bercy, qui argue que cela réduirait les coûts, les régions, les branches... Je ne pense pas qu'il faille changer le système. Toute notre capacité d'initiative provient des fonds libres collectés. Nous n'aurions jamais pu faire évoluer l'apprentissage si nous n'avions pas eu une certaine liberté. Si la collecte est centralisée, les comités Théodule d'affectation ne vont jamais autoriser de nouvelles formations. Je donne un exemple très concret. Nous avons signé des accords avec l'université de Saint-Quentin. A l'instar de Pierre et Marie Curie, c'est le CFA de la Chambre, mais il dépend de l'université pour des formations que nous ne proposons pas actuellement, notamment sur les nouveaux métiers de l'environnement. Ce sont des professeurs de l'université, c'est notre argent, mais nous n'arrivons pas à obtenir de la commission l'autorisation de créer le diplôme. Nous le ferons malgré tout parce que nous disposons des fonds, mais si nos crédits étaient suspendus, l'autorité refuserait le financement en absence de formation. La liberté de la taxe d'apprentissage prend en compte la liberté de l'entreprise et permet de ne pas gaspiller l'énergie pour savoir qui et dans quelles conditions financer.

M. Jean-Claude Carle, président - Combien de collecteurs existent ?

M. Jean-François Bernardin - Je ne sais pas dans la mesure où la réforme « N-1 » avait pour but de réduire le nombre de collecteurs. Nous avons d'ailleurs subi quelques servitudes à cette occasion puisque nous étions collecteurs nationaux de fait depuis l'origine de la taxe d'apprentissage. J'ai constaté que, malheureusement, le nombre de collecteurs avait augmenté à nouveau au fur et à mesure. Il existe de très grands et de petits collecteurs. Il ne faut pas confondre la collecte brute et le disponible. Je rappelle que 80 % de ce que nous collectons ressort par le biais d'affectations à d'autres organismes. Nous n'avons pas vocation à conserver l'argent qui ne nous est pas destiné. De temps en temps, pour des raisons d'affichage, des chiffres de collecte sont donnés et entretiennent la confusion entre les fonds collectés et les fonds affectés.

Je souhaite aborder rapidement la proposition de M. Maquemanne de consacrer le barème à la taxe d'apprentissage. Nous constatons tout d'abord un abus de langage, les propos ont été déformés. La formation professionnelle ne va pas détourner la taxe d'apprentissage. Le texte initial du 14 juillet 1925 a créé une taxe pour les formations professionnalisantes, dont l'apprentissage. Ce n'est pas une taxe destinée initialement à l'apprentissage qui aurait été utilisée de surcroît par les lycées professionnels ou les grandes écoles. Je suis favorable à une augmentation des crédits de l'apprentissage parce que ce sont les meilleures formules pour l'insertion professionnelle. Cependant, si ce processus est opéré aux dépens d'autres formations efficaces, cela n'a pas de sens. Nous accueillons 100 000 élèves en apprentissage dans nos écoles. Notre taux d'insertion est aussi bon qu'en apprentissage parce que nos écoles sont très professionnelles, de HEC à Fougères, qui accueille une toute petite école de réparation de montres suisses à très haute valeur ajoutée. La panoplie de nos formations est très large mais elles ne vivent que de barèmes. Si nous les supprimons, comment fonctionneront-elles ?

En ce qui concerne les lycées professionnels, nous pensons que les crédits actuels de l'éducation nationale sont suffisants. Nous sommes satisfaits que les lycées s'intéressent à l'apprentissage sans être certains que cet intérêt n'ait pas pour seul but de générer des recettes supplémentaires pour leurs propres établissements. Nous menons naturellement des expériences, y compris avec les lycées, mais les crédits des lycées professionnels me semblent suffisants. Le nombre d'élèves dans le secondaire professionnel est aujourd'hui approximativement identique à ce qu'il était en 1990. La taxe d'apprentissage ne me semble donc pas vitale. Par contre, les rapports entre les entreprises et les lycées professionnels sont extrêmement importants. En effet, c'est à l'occasion du versement de la taxe d'apprentissage que l'on discute des métiers et qu'il est possible de « professionnaliser » les lycées professionnels. Il faut une connexion avec les entreprises. C'est la raison d'être de la taxe d'apprentissage. C'est une des raisons pour lesquelles la taxe d'apprentissage peut être financée en matériel par les entreprises.

M. Jean-Claude Carle, président - Il me semble que cette mesure a été supprimée.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Le mécanisme est encore toléré.

M. Jean-François Bernardin - Nous entendons souvent que des écoles comme HEC n'ont pas besoin de barèmes. Mais cela ne signifie rien. Soit HEC est inutile, soit HEC bénéficie du barème et des cotisations des élèves. Il faut noter que l'école ne coûte rien à l'État. Dire que l'école est trop coûteuse alors qu'elle ne coûte rien à l'État n'a pas beaucoup de sens.

En ce qui me concerne, je vis l'apprentissage depuis douze ans. Chaque fois qu'une réforme des financements est prévue, toute évolution s'arrête. Dans ma propre Chambre, je consomme à peu près autant de taxe d'apprentissage que je bénéficie d'IATP. Cela implique que toute variation de la taxe d'apprentissage paralyse la Chambre. Chaque année, je suis suspendu, non seulement à ma collecte, mais également à la collecte des autres collecteurs. En juin, je dois affecter ce qui me reste mais je ne peux pas connaître le montant de ce qui me sera envoyé par les autres collecteurs avant septembre. La période entre juillet et septembre se caractérise donc par une grande incertitude relativement à une situation éventuelle de sur-financement ou de sous-financement.

Concrètement, je ne suis pas sûr d'équilibrer mes sections actuelles. Comment, dans ce cas, ouvrir de nouvelles sections pour répondre à l'impulsion de l'État ? Gérer un centre d'apprentissage n'est pas un business, il ne s'agit pas d'entreprises bénéficiaires, mais ce sont des entreprises de service public bénéficiant de financements divers. Si nous annonçons une nouvelle réflexion sur les systèmes de financement, toutes les décisions seront gelées pour deux à cinq ans. Il faut cesser de chercher à transformer le système et aller au bout de la réforme actuelle, qui n'est pas achevée.

Il avait été décidé que l'entreprise devait prioritairement affecter sa taxe d'apprentissage à l'institution qui assure la formation de ses apprentis jusqu'à concurrence du coût de la formation. Nous sommes favorables à cette mesure parce qu'elle permet de pallier le défaut de la taxe d'apprentissage, qui est son affectation à des objectifs, parfois, peu pédagogiques par les chefs d'établissement.

M. Jean-Claude Carle, président - N'y a-t-il pas justement un risque de dérives d'utilisation ? J'ai vu un cas où la taxe d'apprentissage était utilisée dans un lycée comme variable d'ajustement, notamment pour financer des travaux de rénovation...

M. Jean-François Bernardin - C'est ce que l'on peut appeler « l'argent de poche des proviseurs ». Je suis favorable à l'affectation la plus pédagogique possible, cela va de soi. Nous restons partisans de l'affectation jusqu'à concurrence du coût de la formation.

Nous avions signalé la nécessité de trouver un accord sur le coût de formation d'un apprenti, mais il n'a jamais été possible de mettre en place cette analyse. Il faut se poser la question de la comptabilité de la formation, notamment sur la question de l'immobilier. Les analyses ne convergent que sur les frais directs comme les coûts des enseignants. Dans la mesure où il n'est pas payé, le fonds technique n'a pas vraiment fonctionné. L'année suivante, il a été abandonné et on a décidé d'affecter 1 500 euros supplémentaires au-delà desquels l'entreprise décide d'elle-même. Nous travaillons donc sur le coût des élèves et les différences de coûts des formations qui peuvent être justifiées par la qualité, le statut des professeurs ou le nombre d'heures de face-à-face pédagogique. Il me semble nécessaire de fournir un travail collectif sur le rapport entre le coût des formations et leur utilité à long terme. Nous avons lancé des études pour savoir ce que deviennent les apprentis trois ans après la fin de leur formation. Exercent-ils toujours le même métier ? Si nous formons des apprentis qui changent de métier en moins de trois ans, la pertinence de la dépense de fonds public reste à démontrer.

Je pourrai vous faire parvenir une note plus précise sur ce sujet.

- Les inégalités de formation entre petites et grandes entreprises

Je serai plus bref sur la seconde partie de mon analyse relative à la formation initiale. Nous n'avons guère apprécié le centralisme des Organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA, lors de leur création. Jacques Barrot avait mis en place une commission d'évaluation des fonds de la formation professionnelle. J'avais remarqué à cette occasion que nous assistions à une chute des contrats de qualification. En outre, chaque modification entraîne un trou de deux ans. Nous étions favorables à une clarification des contrats de professionnalisation et de leur financement. La répartition des taxes n'a pas été gérée. Cela soulève la question de la mutualisation du financement.

J'avais fait remarquer que la centralisation des fonds de la formation par les OPCA aggravait l'inégalité de formation entre les grandes et les petites entreprises. Il y a quelques années, nous avons constaté que cette centralisation permet aux grandes entreprises de retenir davantage de fonds de l'OPCA qu'elles n'en versent, aux dépens des PME. Si une entreprise de vingt-cinq salariés située à Rodez souhaite discuter de son plan de formation avec l'OPCA à Paris, cela devient problématique. Généralement, elle se contente de payer sa taxe et de ne pas former ses salariés. Les patrons de petites entreprises sont peu formés eux-mêmes. Ils ne sont donc, par nature, pas très sensibles aux enjeux de formation. Ils ont tendance à considérer qu'ayant appris « sur le tas », leurs salariés peuvent procéder de façon analogue. De plus, il est matériellement plus difficile de gérer la formation continue dans une petite entreprise que dans une grande parce qu'on ne gère pas de grands nombres. On peut tout à fait se passer d'un salarié dans une entreprise de 10 000 personnes. C'est généralement beaucoup plus compliqué de se passer de son assistante pendant trois mois lorsqu'on est une entreprise de vingt personnes ou moins. Les conditions ne sont pas bonnes et la réforme du financement a aggravé la situation. Je continue de penser que l'éloignement du financement a aggravé les inégalités de formation.

Je peux citer l'exemple de Pechiney, où l'élaboration du plan de formation était un enjeu considérable des discussions sociales de l'entreprise. Il est possible à ce moment-là de débattre de l'avenir de l'entreprise, des métiers d'avenir ou encore des perspectives de modification des effectifs. Il faudrait donc ensuite qu'une autorité à Paris décide si l'argent de Pechiney est employé à bon escient ; mais quels seraient les critères ? Si Pechiney rencontre des difficultés à faire accepter son plan de formation, qu'en est-il de mon mécanicien de Rodez ? La situation est susceptible de devenir surréaliste. Je connais des responsables syndiqués de salariés qui critiquent ce mode de financement en demandant une information plus claire.

Le sujet de la formation tout au long de la vie nécessiterait une analyse plus approfondie. J'ai toujours été interloqué par le point de vue selon lequel on regarde en France la formation tout au long de la vie. Je comprends le besoin de se former tout au long de sa carrière professionnelle. Cependant, la formation n'est pas seulement une situation dans laquelle on a un élève, un professeur, une estrade et un tableau. On se forme au contact d'autres professionnels et on apprend également tout au long de sa vie de cette façon. J'ai toutefois constaté que le principal problème provient du financement. Si l'on souhaite vraiment donner une formation à ceux qui ont besoin d'être formés ou requalifiés pour retrouver un emploi, il faut y consacrer des sommes considérables. Si on alloue une faible somme à tout le monde, il ne reste plus de crédits pour ceux qui en ont vraiment besoin. Le droit à la formation étant proportionnel au salaire, cela permet aux cadres dynamiques de continuer à évoluer selon leurs désirs. Dès lors, on peut se demander si on a de l'argent pour tout. Former des cadres dynamiques est une bonne chose, mais dans le même temps, les nécessités premières sont-elles respectées ?

Certaines entreprises dépensent beaucoup plus parce qu'elles savent que leur richesse vient de la qualification de leurs personnels. Les besoins en formation d'une entreprise sont croissants en fonction du niveau technologique de son activité, ce qui est source de difficultés. De plus, ce sont principalement les grandes entreprises qui forment leurs salariés parce qu'elles disposent d'un personnel plus stable. Je ne suis pas un passionné de l'impôt mais je crois que notre système de taxes mutualisées est bon parce que nous participons ainsi à la formation de l'ensemble des salariés. En payant la taxe, je participe au financement de la formation de tous les salariés et, éventuellement, tous les contributeurs participent au financement de la formation de mes salariés. Plus une entreprise est grande et plus elle a les moyens humains d'organiser des plans de formation et de gérer les carrières des salariés. Dans les PME, le système familial féodal dans lequel des salariés peuvent demeurer très longtemps dans l'entreprise implique davantage d'aléas de carrière. Pour des raisons culturelles ou autres, le niveau d'investissement en formation est plus faible dans les petites et moyennes entreprises que dans les grandes. Au niveau national, nous atteignons en moyenne 3 % du total de formation.

Le débat sur la taxe d'apprentissage m'a toujours profondément surpris. Lorsque le quota était de 0,2, l'augmenter de 50 %, c'est-à-dire de 0,10, représentait un effort de 3 % pour les entreprises sur l'ensemble de leurs dépenses de formation. De surcroît, cela leur aurait certainement permis de réaliser parallèlement des économies puisque si les salariés sont initialement mieux formés, ils ont besoin de moins de formation par la suite.

M. Jean-Claude Carle, président - Il faudrait donc augmenter le quota ?

M. Jean-François Bernardin - Si nous enlevons 0,10 sur les allocations familiales, nous pourrons aborder la question... En défendant la taxe d'apprentissage, cela m'a toujours paru être un chiffre symbolique.

M. Jean-Claude Carle, président - Loin de moi l'idée de penser que c'est par l'augmentation de la taxe d'apprentissage que nous allons résoudre le problème. Une des seules choses dont je sois convaincu dans l'état actuel, c'est que la situation ne sera pas réglée par la simple inflation budgétaire.

Merci, monsieur le président, pour cette intervention. Il me reste encore une question.

Pour revenir à la formation initiale, il me semble en effet impératif de prendre en compte la variété des acteurs, des régions aux organismes de formation. Un outil me paraît être intéressant, le Plan régional de développement des formations (PRDF). Nombre de régions n'ont pas encore pris conscience de l'utilité de cet outil. Ne faudrait-il pas aller plus loin et lui donner valeur d'engagement pour l'ensemble des partenaires ? Cela pourrait permettre de résoudre les problèmes d'ouverture et de fermeture de classes et de trouver les entreprises qui peuvent accueillir les jeunes. Ce PRDF pourrait être l'expression d'une compétence partagée.

M. Jean-François Bernardin - Je partage votre conviction. Le pouvoir politique français a tendance à fonctionner seul. C'est vrai pour les problématiques économiques, ça l'est également pour les plans de formation. Nous avons les pires difficultés alors que nous sommes un gros organisme formateur et que nous demandons simplement à être associés au PRDF. Comment le conseil régional peut-il développer ces plans de formation sans les entreprises et les organismes formateurs ? C'est mystérieux. Nous travaillons sur ce sujet.

Nous avons obtenu des textes sur la réforme des Chambres qui nous obligent à réaliser des schémas sectoriels régionaux de formation afin de savoir quelles formations offrent des perspectives d'emploi. J'ai proposé d'intégrer progressivement dans notre schéma les chambres de métiers et les autres organismes formateurs. Le PRDF ne se limite pas à l'activité d'une Chambre ; il faut éviter les gaspillages. Si un centre de formation en cuisine est implanté à Épinay et que la Chambre de Paris décide d'en implanter un second à proximité, c'est un gâchis. Nous travaillons donc sur l'implantation des centres, d'où viennent les apprentis et où sont les entreprises d'accueil afin de créer un ensemble aussi cohérent que possible. Il nous faut un plan à cinq ans sur les perspectives d'emploi réelles. Nous avons parfois en France une vision très conservatrice. C'est pourquoi je suis contre le gel des financements par branche. En effet, nous financerions alors les métiers d'hier sans financer ceux de demain. Bien que la précision ne soit pas absolue, les courbes de l'emploi sur les deux dernières années permettent de connaître les tendances concernant les métiers dont nous aurons besoin dans cinq ans. Il faut ensuite réactualiser l'étude tous les deux ans environ afin de disposer d'une information précise et à jour.

M. Jean-Claude Carle, président - Il me semble que la loi a pu créer un cadre, une contrainte au sens positif du terme. Je pense que les régions n'ont pas su saisir du mécanisme institué par la loi de 1993 de façon à faire du PRDF un outil efficace et partenarial.

M. Jean-François Bernardin - Quelle que soit l'autonomie de gestion des collectivités locales, la région n'est pas une frontière. Des villes sont situées en bordure de région. Millau appartient ainsi juridiquement à la région Midi-Pyrénées mais les habitants travaillent essentiellement à Montpellier. Il est clair que l'activité économique ne s'arrête pas aux frontières régionales.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous sommes confrontés à des problèmes plus importants. Vous dites que nous finançons les métiers d'hier et non ceux de demain. Qui mieux que vous, professionnels, est susceptible de connaître les métiers dont nous aurons besoin, à la fois en qualifications et en flux, de cinq à dix ans ? Ni l'éducation nationale ni les élus locaux ne sont qualifiés pour répondre à cette question.

M. Jean-François Bernardin - Nous ne discutons pas de la primauté des élus. La seule question qui me préoccupe est l'opportunité de prendre la bonne décision au bon moment.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Vous avez délimité une carte du champ de bataille d'une grande complexité avec des acteurs variés. Les approches différentes entre le réseau des chambres et les branches peuvent parfois prendre des aspects conflictuels. Pourrait-on imaginer une simplification des processus de façon à améliorer la gouvernance ? J'ai été également sensible à votre mise en garde relative au blocage de plusieurs années suivant la mise en place de réformes. C'est pourquoi je ne souhaite pas proposer de bouleversement.

Vous venez d'évoquer l'anticipation des métiers d'avenir à cinq ou dix ans. Connaissez-vous, malgré l'aspect éminemment instable et évolutif de l'économie actuelle, quelques grands secteurs, comme le service à la personne, où nous pouvons investir sans crainte de l'excès ?

Je souhaite également vous poser une question sur les formateurs. Faut-il prévoir une amélioration du statut ou du profil des formateurs, peut-être par une sélection que vous pourriez opérer ? Je ne sais pas si la question est pertinente.

M. Jean-François Bernardin - Les Chambres sont des organismes sous statut, le titre 3, renégocié au moment des trente-cinq heures. L'activité des enseignants n'est pas exclusivement constituée du face-à-face pédagogique puisqu'ils doivent également disposer de temps pour la relation avec les entreprises et l'encadrement des élèves. C'est un aspect relativement coûteux parce que, bien qu'un statut national existe, la question est gérée localement. La qualité des professeurs est une préoccupation légitime. Nous avons la possibilité d'augmenter de façon significative la permanence des professeurs par des CDI. Nous pensons que le poids du supérieur ne doit pas être le même que celui du secondaire. Plus on forme de CAP et plus nous avons besoin de personnel permanent parce que les élèves ont besoin d'un appui plus important, y compris du point de vue social et humain.

En ce qui concerne les branches, nous avons d'importants plans de formation avec l'UMM, le bâtiment, la branche financière et le SYNTEC. Il ne faut pas confondre l'UMM et l'ensemble de la France. L'industrie a des préoccupations de formation très lourdes, gérées parfois de façon un peu excessivement centralisée. Toutes les branches ne sont pas organisées comme la nôtre. Nous passons notre temps à signer des accords entre nous pour éviter les conflits tout en préservant l'interbranches. L'avenir de l'industrie est de créer de la valeur ajoutée mais pas d'employer de nombreuses personnes. C'est la productivité de l'industrie qui permet de développer les services à la personne. Il va pourtant falloir financer les formations de services à la personne. Nous ne sortirons des services à la personne que si nous les professionnalisons par la formation. Dès lors, comment est-ce possible si chaque branche conserve son argent ? Les partenaires sociaux avaient signé un accord professionnel en 1995 pour mutualiser 35 % des crédits vers l'interbranches. Ils se sont ensuite fait exonérer de leur engagement par le Parlement à trois heures du matin... Ce problème n'est toujours pas réglé. Nous sommes prêts à travailler avec les branches, mais l'UMM n'est pas la seule branche.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Il faudrait revisiter cette situation.

M. Jean-François Bernardin - On pourrait admettre que les accords de 1995 reprennent vie. Le SYNTEC est l'auteur d'offensives considérables sur la collecte des fonds. On assiste presque à des situations de chantage avec des entreprises du SYNTEC.

M. Jean-Claude Carle, président - Que regroupe le SYNTEC ?

M. Jean-François Bernardin - Il regroupe essentiellement l'industrie informatique.

Par exemple, je n'arrivais pas à obtenir l'appui du SYNTEC pour une école d'informatique créée par les entreprises. Il m'a fallu m'adresser au SYNTEC par une lettre indiquant quasiment l'obligation de participer alors qu'aucun texte réel n'existe. Nous aurions très bien pu ouvrir l'école et ne pas recevoir la taxe d'apprentissage. La formation des jeunes est vraiment la grande cause nationale. Nous avons pleinement conscience que c'est l'un des plus graves dysfonctionnements de la France. C'est pourquoi les corporatismes sont inadmissibles dans ce domaine. En tant que Chambre, si un acteur différent est capable de fournir le travail que nous fournissons, cela ne me gênera pas de me séparer de mes prérogatives en la matière. Nous sommes des chefs d'entreprises militants qui se sont engagés dans la formation parce que personne n'en avait encore pris la responsabilité. Nous sommes disponibles pour tout accord de bon sens nécessaire.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci, monsieur le président. Faites-nous parvenir votre complément d'information dès que possible.

Audition de M. Alain GRISET, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers (APCM) (16 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Merci de votre présence. Je vous rappelle que le but de cette audition est de constituer la matière pour un rapport à paraître au mois de juillet sur les dispositifs de formation professionnelle. Nous allons maintenant aborder la question de l'artisanat avec M. Alain Griset, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers.

M. Alain Griset - Merci de prendre le temps de nous écouter nous exprimer sur un sujet aussi important que les dispositifs de formation professionnelle dans le cadre de l'artisanat.

Je tiens à rappeler avant toute chose que l'artisanat est aujourd'hui un secteur majeur de l'économie française. Il représente environ 900 000 entreprises et connaît une progression significative. En effet, on enregistre 10 % d'entreprises supplémentaires depuis l'an 2000. Pour notre secteur, la formation est fondamentale, qu'elle soit initiale ou continue. Les salariés du monde de l'artisanat doivent avoir une compétence et s'adapter aux évolutions de leur secteur de façon régulière. Nos métiers sont en constante mutation sur le plan technologique et pratique, sur le plan de leur développement.

- L'apprentissage, un système de formation adapté à l'artisanat

La formation initiale fait partie des missions régaliennes que nous exerçons en tant que chambre de métiers. L'utilité fondamentale de l'apprentissage comme système de formation efficace dans l'artisanat est aujourd'hui universellement reconnue. Il permet une intégration rapide dans le monde du travail des apprentis. Nous ne pouvons qu'être satisfaits que les entreprises, y compris les grands groupes du CAC 40, reconnaissent l'apprentissage comme un mode de formation efficace et véritablement prioritaire. Cependant, nous souhaitons également que les jeunes et leurs familles disposent d'une information précise sur les dispositifs de formation par l'apprentissage et que le Gouvernement nous soutienne efficacement. Nous devons aborder un certain nombre de difficultés pour que le dispositif soit le plus efficace possible. La formation représente la possibilité pour des hommes et des femmes de disposer d'une compétence utile dans une entreprise ; elle doit être réalisée avec un but clair. Lorsque des programmes de formation doivent être supprimés parce qu'ils sont devenus obsolètes, nous devons pouvoir le faire. A contrario , s'il faut créer une section, nous devons être réactifs. C'est la raison pour laquelle le dispositif doit s'appuyer sur une administration relativement légère afin de garantir la réactivité. La formation permet que les hommes et les femmes soient précisément adaptés aux besoins des entreprises. C'est pourquoi ce dispositif se doit d'être fondamentalement interactif.

- Les mesures mises en oeuvre

En ce qui concerne le dispositif actuel d'apprentissage, nous sommes satisfaits de quelques mesures mises en oeuvre depuis cinq ans, c'est-à-dire depuis le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, même si elles apparaissent encore insuffisantes. Il s'agit notamment du crédit d'impôt apprentissage représentant 1 600 euros par an et par apprenti. Cela constitue un réel soutien pour la formation. En outre, les mesures concernant le statut de l'apprenti lui-même ont été les bienvenues. Ce sont des mesures fiscales permettant à la famille de ne pas intégrer le revenu de l'apprenti dans sa déclaration de revenus.

- Les axes d'amélioration

Cependant, nous envisageons un certain nombre de problèmes que nous souhaitons voir résolus dans des délais les plus courts possibles. Tout d'abord, le financement de l'apprentissage est un système demeurant encore partiellement incohérent. Lors des lois de décentralisation qui ont accordé aux conseils régionaux la compétence de l'apprentissage, plusieurs éléments n'ont pas été pris en compte. En effet, la région est compétente en termes de formation par apprentissage, mais les textes demeurent flous sur la matière à financer et à quelle hauteur celle-ci doit être financée. Le financement des centres de formation demeure donc relativement peu clair. Nous souhaitons qu'un minimum de ressources, environ 35 000 euros par an, soit versé aux centres de formation afin d'éviter qu'ils ne se trouvent dans l'incapacité d'exercer leurs fonctions. Pour le fonctionnement des centres, la taxe d'apprentissage ainsi que l'organisme gestionnaire sont pris en charge avant la partie ajoutée par les conseils régionaux. Nous considérons qu'il faudrait cerner de façon plus claire l'obligation des conseils généraux quant à ce financement.

Nous n'avons pas de mot assez dur pour qualifier l'inadéquation de la taxe d'apprentissage avec les nécessités de formation d'aujourd'hui. Les Chambres forment aujourd'hui environ 30 % des apprentis mais ne collectent que 3 % de la taxe d'apprentissage, ce qui est tout à fait incohérent. Nos entreprises participent peu au financement et les grands groupes ont pris une habitude de recycler leur taxe d'apprentissage dans des formations qui ne sont pas des formations d'apprentissage.

De plus, l'implication des régions dans la formation par l'apprentissage dans le cadre de l'artisanat est très variable. La région Nord-Pas-de-Calais est un exemple positif mais de nombreuses autres régions considèrent que l'apprentissage n'a pas vocation à être particulièrement développé. Un fléchage plus direct vers la formation nous semble indispensable. En réalité, peu importe le mode opératoire, seul le résultat compte, à savoir une meilleure efficacité de la formation. Un versement direct vers les centres de formation pourrait être une solution alternative plus efficace, il faut y réfléchir. En tout état de cause, il est impératif qu'une majorité des fonds de la taxe d'apprentissage soit dirigée vers les centres de formation. C'est pour nous une revendication permanente. Il n'y a généralement pas de contestation des montants que l'on évoque. Les entreprises ayant pris certaines habitudes voient de façon très négative la perspective d'une réforme, mais nous considérons que le processus doit impérativement être plus clair et plus visible afin d'être plus efficace.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous dites que vous ne collectez que 3 % de la taxe d'apprentissage et formez 30 % des apprentis. Pour quelle raison ne collectez-vous que 3 % de la taxe ? Je suis très surpris.

M. Alain Griset - Les entreprises contributrices au titre de la taxe d'apprentissage ne nous la versent pas.

M. Jean-Claude Carle, président - Dans ce cas, où la versent-elles ?

M. Alain Griset - Elles la versent aux grandes écoles ou aux grandes structures de formation professionnelle, qui utilisent le produit de la taxe d'apprentissage pour d'autres objets que la formation professionnelle. Notre problème est notre incapacité à collecter davantage. Le fait que les sièges sociaux des entreprises gèrent parfois eux-mêmes le versement de la taxe d'apprentissage nous empêche souvent d'en bénéficier. Il faut admettre que la dernière réforme de la collecte n'a guère amélioré cette situation.

M. Jean-Claude Carle, président - Peut-on évaluer la part des 30 % d'apprentis que vous formez qui se dirige dans d'autres secteurs que l'artisanat ?

M. Alain Griset - Ils représentent une part très faible. Nous sommes ouverts à la diversification, mais le reclassement vers d'autres secteurs reste marginal dans les effectifs actuels. Ces 30 % sont les apprentis formés directement par la chambre de métiers.

Seule la loi peut modifier le dispositif de façon à le rendre plus efficace. Une demi-mesure incitative ne pourra pas être efficace dans ce domaine. Il est inutile de compter sur la bonne volonté des uns ou des autres pour débloquer une situation, certes confortable pour certains, mais très dommageable pour d'autres.

M. Jean-Claude Carle, président - Si je comprends bien la problématique, ce n'est pas la collecte elle-même mais le retour de la collecte qu'il faut modifier ?

M. Alain Griset - Peu importe le contenu de la réforme, seul le résultat doit être pris en compte. Le principal objectif est que le centre de formation bénéficie des crédits issus de la taxe d'apprentissage.

Jean-Pierre Raffarin a pris la décision d'exonérer de taxes les salaires des enseignants des centres de formation. Cette mesure devait améliorer les moyens de formation, mais ce ne fut pas le cas. Certains conseils régionaux comme celui du Nord-Pas-de-Calais ont affecté cette somme aux centres de formation, mais cela n'a pas été systématique. Cette mesure, appliquée en 2006, a finalement amélioré le financement des conseils régionaux. Il faut veiller à ce que toute mesure aboutisse bien au résultat recherché, sans dévier de l'objectif.

- Améliorer l'information et l'orientation en milieu scolaire

Au-delà des problèmes de financement, je voudrais dire quelques mots sur le système de l'apprentissage d'une façon plus générale. Nous sommes aujourd'hui encore confrontés à un dramatique problème d'information et d'orientation. Le système est totalement en dehors de la réalité des besoins, aussi bien des jeunes que des entreprises. La persistance de l'idée de la nécessité de l'obtention du baccalauréat pour réussir un parcours de formation, de préférence universitaire, est tout à fait significative. La plupart des jeunes ont leur baccalauréat. C'est presque devenu un droit. Cependant, la moitié des étudiants de niveau bac+1 sans diplôme n'ont que le droit de s'inscrire à l'ANPE. 200 000 jeunes sortent ainsi chaque année du système éducatif sans formation. Toutes les questions d'orientation doivent être totalement remises à plat. Il me semble aujourd'hui absolument impératif que les entreprises soient directement associées à la formation des jeunes, en particulier au collège.

Nous possédons des dispositifs pour permettre aux jeunes de quitter l'enseignement général, les DP3 et DP6, et se diriger vers l'apprentissage. Mais les procédures demandent l'accord explicite du proviseur, qui est souvent peu disposé à le donner. Les collèges ne s'ouvrent pas de bonne grâce à ces dispositifs. Nous sommes en France et l'entreprise reste très mal vue dans le milieu scolaire. L'objectif des pouvoirs publics doit être atteint. Un jeune de quatorze ou quinze ans ne doit pas nécessairement se diriger vers l'apprentissage, mais il doit disposer d'une réelle information sur les métiers dont on sait qu'ils sont susceptibles de l'embaucher dans l'avenir. Former des psychologues ou des sociologues en excès n'a pas de sens. C'est un gaspillage d'argent public et un drame humain pour les étudiants de vingt-trois ou vingt-quatre ans qui se retrouvent diplômés après cinq années d'études sans autre possibilité que de s'adresser à l'ANPE. Nous avons tous le devoir de faire en sorte qu'un jeune quittant le collège dispose d'une information suffisante pour choisir une filière de formation adaptée à ses capacités et à ses goûts et qui lui donne par la suite un métier. Beaucoup des problèmes de la France face aux jeunes sont dus à ce problème d'information et d'orientation en milieu scolaire.

Je me permets de répéter ici ce que j'ai expliqué au Premier ministre, Dominique de Villepin, il y a quelques mois. Je suis frappé de constater qu'on peut voter des lois qui ne seront jamais appliquées dès lors qu'elles ne conviennent pas à un exécutif quelconque qui peut refuser de les financer. Je prends l'exemple concret de l'apprentissage junior qui illustre bien mon propos. Les conseils régionaux ont en quasi-totalité pris la décision de ne pas apporter de financement à l'apprentissage junior. Le projet n'a donc pas pu être appliqué alors qu'il avait été voté en amont. J'ai pris mes responsabilités en juin 2006 et ai refusé de signer un engagement que les partenaires sociaux avaient pourtant tous signé avec Gérard Larcher parce que je savais que les financements ne seraient jamais dégagés par les conseils régionaux pour le projet. L'apprentissage junior a donc été voté et jamais appliqué. J'ai reproché au gouvernement de ne pas avoir constaté la position des régions avant même de mettre en place un dispositif demandant leur participation et de ne pas avoir mis en place un financement direct, d'autant plus que le financement de 20 millions d'euros du fonds de modernisation était disponible. Cela aurait permis de contourner le problème et de mettre en place un dispositif efficace. Le Gouvernement n'a pas souhaité procéder ainsi et la loi n'a pas été appliquée. Cette application aurait pourtant permis une information plus intéressante. C'était un bon dispositif qui aurait permis aux jeunes de demeurer dans le système scolaire, avec la possibilité de rejoindre un cursus plus classique s'ils le souhaitaient. Avec cet exemple, nous sommes clairement entrés dans une opposition à une loi républicaine et il me semble que le Gouvernement aurait dû prendre des dispositions pour appliquer la loi.

Quel que soit le thème abordé, il est donc indispensable que le système d'orientation et d'information soit totalement revu. Les entreprises doivent être en mesure d'indiquer aux jeunes les possibilités qui leur sont offertes.

Pour information, parallèlement aux diplômes de l'éducation nationale comme les CAP, les Bac Pro ou les brevets professionnels, il existe dans l'artisanat une filière que nous cherchons à développer : notre objectif est de développer des formations du niveau 5, du CAP jusqu'au niveau 2 et entrer dans le système LMD afin de permettre aux jeunes de retrouver la filière académique s'ils le souhaitent. Un jeune titulaire du baccalauréat peut obtenir un brevet de maîtrise par la suite, de même qu'un jeune diplômé titulaire d'un brevet de maîtrise peut rejoindre la formation académique et passer un BTS ou une licence pour compléter son cursus s'il le souhaite.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette pratique est-elle impossible à mettre en oeuvre aujourd'hui ?

M. Alain Griset - Elle est très difficile à réaliser parce que l'éducation nationale ne reconnaît pas tous nos titres. Les commissions paritaires consultatives, les CPC, ont tendance à vider de leur contenu les diplômes professionnels de l'éducation nationale, comme les CAP, pour leur donner des contenus plus généraux. Ainsi, pour beaucoup de professionnels, le CAP perd de sa valeur. Or le diplôme doit vraiment être professionnel. Les CPC sont des organes purement administratifs.

M. Jean-Claude Carle, président - Participez-vous à ces commissions ?

M. Alain Griset - Nos collègues en font partie de façon assez marginale. Elles sont essentiellement dirigées par l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui fait, dans ce cas, partie de ces commissions ?

M. Alain Griset - Essentiellement des fonctionnaires de l'éducation nationale ou autres. Les professions sont représentées, mais de façon très minoritaire. Nous souhaitons des CPC spécifiques pour les filières de l'artisanat, gérées majoritairement par des professionnels.

M. Jean-Claude Carle, président - Pourquoi les souhaitez-vous seulement pour l'artisanat ?

M. Alain Griset - Je ne voulais pas dire que ces commissions devaient être mises en place uniquement pour l'artisanat mais je souhaite que ces commissions soient spécialisées. Nous gérons un brevet de maîtrise en boulangerie. Il nous semble utile que soit mise en place pour ce brevet de maîtrise une CPC spécifique pour que le diplôme corresponde aux besoins de la profession. Il semble peu utile de proposer un brevet boulangerie incluant une formation générale considérable et une formation professionnelle limitée. Par exemple, si le jeune arrive à l'heure et dispose correctement ses outils en classe, la notation est organisée de telle sorte que cela suffise pour obtenir la moyenne. Il n'a finalement même pas encore réalisé un pain qu'il a déjà obtenu son CAP. C'est une pratique que les professionnels stigmatisent. Le diplôme doit correspondre à un savoir-faire professionnel, sinon cela n'a aucun sens.

M. Jean-Claude Carle, président - N'y a-t-il pas aujourd'hui trop de référentiels ?

M. Alain Griset - Il existe certainement beaucoup de référentiels. Par exemple, si le CAP ramoneur ne prend pas en compte la spécificité du métier, les autres référentiels de la formation ne sont pas utiles. Il doit naturellement exister un tronc commun dans les CAP mais une partie doit absolument être spécifique au métier pour que la formation soit adaptée. L'uniformisation excessive des diplômes et des titres ne me paraît pas une solution opportune pour donner à chacun la bonne qualification.

M. Jean-Claude Carle, président - La formation doit inclure les deux aspects.

M. Alain Griset - Nous formons à un métier. Il faut que le jeune puisse bénéficier d'une insertion professionnelle optimale une fois le diplôme obtenu.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui définit le contenu des CPC ?

M. Alain Griset - Il est défini par le ministère de l'éducation nationale. Nous avions demandé à Renaud Dutreil que les CPC concernant nos titres soient directement gérées par le ministère des entreprises plutôt que par l'éducation nationale.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je souhaite vous faire part d'une anecdote à ce sujet : mon cousin a rencontré beaucoup de difficultés pour obtenir son CAP de boucher à cause des matières générales alors qu'il était connaisseur en matière de viande.

M. Alain Griset - En effet, donner une importance à la connaissance générale est positif, mais cela ne doit pas être la priorité absolue. Il faut trouver un équilibre efficace.

M. Jean-Claude Carle, président - J'aimerais que vous abordiez la question de la formation professionnelle continue.

M. Alain Griset - La première problématique de cette question est relative au chef d'entreprise. Nous avons demandé à Renaud Dutreil une réforme de la formation continue des artisans. Le décret du Conseil d'État met en place d'un Fonds d'assurance formation unique national pour financer la formation technique professionnelle. Il donne ensuite aux chambres de métiers d'artisanat les moyens financiers directement issus de l'Établissement public pour mettre en place des formations de type général. Le décret prévoit la mise en place de ce dispositif le 1 er janvier 2008. Je suis persuadé que cette réforme rationalisant les fonds de la formation continue de l'artisanat va améliorer la situation des artisans et le nombre d'artisans formés.

Nous rencontrons davantage de difficultés au sujet de la formation continue des salariés. La bombe à retardement est le droit à individuel à la formation, le DIF. Moins de 10 % des chefs d'entreprises ou des salariés ont mis en place un compteur d'heures de formation depuis trois ans pour comptabiliser les vingt heures annuelles de formation allouées. Environ 80 % des salariés français ont un crédit de soixante heures qui atteindra 120 heures par salarié d'ici trois ans. Si tous les salariés demandent tous subitement dans trois ans à bénéficier de toutes leurs heures de formation, les entreprises ne parviendront pas à gérer la situation. La mise en application du DIF est un vrai problème. Malheureusement, le compteur des heures de formation tourne. Heureusement, le DIF n'est pas régulièrement appliqué parce que les fonds ne sont pas disponibles actuellement. Si une étude sérieuse n'est pas réalisée d'ici à trois ans, cette bombe à retardement risque fort d'exploser et de coûter fort cher.

M. Jean-Claude Carle, président - Comment envisagez-vous la situation ?

M. Alain Griset - Mes collègues ont signé l'accord du DIF. Je respecte donc cet engagement. Nous constatons néanmoins qu'il est difficile de mettre en oeuvre ces vingt heures de formation par an pour une entreprise comportant un ou deux salariés, d'autant plus que les moyens financiers ne sont pas disponibles. L'accord est généreux mais il n'est pas très réaliste dans son application. Nous essayons de mettre en place des outils pour simplifier la vie de l'artisan, en mettant en place des modules adaptés à la spécialisation, notamment en pâtisserie et boulangerie. On peut ainsi soulager l'entreprise de l'administration et de la gestion de ce DIF.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui met en place ce type de projets ?

M. Alain Griset - Ces projets sont essentiellement mis en place entre la chambre de métiers et les syndicats professionnels. Ils proposent des modules adaptés aux besoins réels des métiers concernés. Si un salarié souhaite disposer d'une formation autre que celles directement liées à son métier, nous n'avons pas le choix et cela peut constituer un réel problème. Malheureusement, nous n'avons pas les moyens financiers dans les OPCA pour répondre à toutes les demandes de DIF.

Parallèlement au DIF, les salariés de l'artisanat sont confrontés à un autre problème lié aux investissements en formation déployés par les conseils régionaux. Dans plusieurs régions, nos salariés ne peuvent accéder à ces fonds parce qu'on demande aux entreprises des plans de formation. Or il est impossible pour une entreprise de deux ou trois salariés de répondre à une telle demande. Nos salariés, qui ont réellement besoin de se former afin de pouvoir évoluer et acquérir de nouvelles compétences, sont donc confrontés à un problème global de financement de la formation continue. Nous affrontons donc ce double problème du temps à libérer pour nos salariés et du financement de la formation continue de ces mêmes salariés.

Je préfère rappeler que la France compte 2,5 millions d'entreprises, dont 98 % de moins de vingt salariés, l'artisanat représentant plus d'un tiers de ces 98 %. Les accords signés par les syndicats s'adaptent souvent plutôt à Renault ou France Télécom qu'à 98 % des entreprises françaises. C'est plutôt paradoxal.

M. Jean-Claude Carle, président - Il serait souhaitable de mettre en place une architecture complète afin de répondre à ce problème. Il faut pouvoir gérer ces problèmes de personnel et pouvoir continuer à le qualifier. Cela demande du temps, un investissement du chef d'entreprise et des collaborateurs et des moyens financiers. Il faut trouver une solution qui permette de former le chef d'entreprise et les salariés le plus rapidement possible. Il faut que des organismes de formation répondent en temps et en heure.

M. Alain Griset - En tant qu'entrepreneur, je suis favorable à la concurrence, même pour les organismes de formation, mais pas une concurrence sans contrôle. Lorsque nous faisons appel à un organisme de formation, nous ne disposons d'aucun moyen de vérifier qu'il est compétent. Nous avons même été confrontés à des cas particuliers de sectes utilisant ce moyen pour recruter des adhérents. C'est un problème considérable, mais connu. Un agrément et une vérification rigoureuse devraient donc être mis en place afin de s'assurer des compétences de l'organisme de formation.

M. Bernard Seillier, rapporteur - J'ai noté que vous aviez des responsabilités auprès de la Commission nationale des maisons de l'emploi. Quelle est votre opinion de terrain sur ces Maisons de l'emploi ? Peut-on en faire un début d'évaluation ?

M. Alain Griset - Tout d'abord, participer à la Commission nationale des maisons de l'emploi a été pour nous un réel parcours du combattant. Il a fallu que le ministre, Jean-Louis Borloo, insiste pour que les consulaires fassent partie du tour de table. Il a fallu faire face à une résistance considérable dans certains départements. Les ANPE, les ASSEDIC ou les PAE, considéraient qu'elle était, au mieux, le regroupement de leurs forces, au pire le développement de leurs forces dans certains cas, mais surtout pas un lieu de partenariat avec l'entreprise. L'idée d'origine était de permettre un accompagnement vers le retour à l'emploi par les structures traditionnelles mais également par une proximité avec les entreprises. Ce n'était pas la vision de ces organismes. Il a donc fallu les convaincre, ne serait-ce que pour disposer d'un petit bureau. Ce dispositif était nécessaire. Il a modifié le paysage en aidant les chômeurs à être au contact des entreprises. Le but n'est pas de gérer le chômage mais bien de donner du travail. Malheureusement, les organisateurs de cette commission sont les organismes gérant le chômage. Il est donc parfois difficile de nous imposer.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Au sujet du problème du chômage et de l'insertion des jeunes, j'ai partagé votre souci de l'action en faveur de l'excellence de l'apprentissage. Nous aimerions privilégier l'axe de l'apprentissage comme voie pour aider à sortir de la difficulté les laissés-pour-compte, notamment les jeunes qui n'ont pas bénéficié d'une formation initiale adéquate. Menez-vous une politique de terrain relative à l'insertion des jeunes en difficulté ?

M. Alain Griset - Nous y parvenons. Traditionnellement, le système d'orientation envoie vers l'apprentissage les jeunes en difficulté. Nous formons souvent des jeunes considérés comme perdus pour l'éducation nationale et nous en faisons, pour la moitié d'entre eux, des chefs d'entreprise qui réussissent en quelques années. Nous ne souhaitons toutefois pas nous limiter à ce public. C'est notamment pour cette raison que nous avions considéré qu'aborder la question de l'apprentissage pour les jeunes de quatorze ans lors du débat sur les problèmes des banlieues était mal venu en termes de communication et d'image de l'apprentissage. Nous voulons faire comprendre à des jeunes bacheliers ou des jeunes diplômés qu'après un diplôme de l'enseignement général, il est possible de se former à un titre professionnel. Aujourd'hui dans les chambres de métiers, un jeune sur quatre entre en formation au niveau 4, c'est-à-dire le niveau bac, et passe un titre ou un diplôme, parfois un CAP, parfois un nouveau titre de niveau 4 ou 3.

Notre communication vise à montrer l'apprentissage comme solution pour les jeunes diplômés, sachant que le reste du public nous est acquis d'office. Nous cherchons à donner la possibilité à ces centaines de milliers de jeunes qui ne peuvent pas se former dans le système académique classique d'acquérir un métier. Nous ne voulons pas contingenter et nous cherchons un public d'un meilleur niveau.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci de cette intervention. Nous sommes loin d'avoir fait le tour de la question. Si vous souhaitez voir évoqués d'autres aspects, envoyez-nous vos précisions écrites.

M. Alain Griset - Nous sommes à votre disposition.

Audition de Mme Marie-Thérèse GEFFROY, directrice, et de M. Hervé FERNANDEZ, secrétaire général, de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) (16 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Merci d'avoir accepté notre invitation. L'objet de cette réunion est de fournir au mois de juillet un état des lieux de la formation professionnelle dans son ensemble, initiale et continue. Nous constatons bien souvent que notre système, plutôt que d'intégrer, a tendance à écarter très tôt certains jeunes qui ne maîtrisent pas les fondamentaux que tout emploi exige. L'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme a vocation à aborder ce sujet. Nous ne pourrons pas aborder toutes les dimensions du sujet en une heure mais vous pourrez nous faire parvenir des informations complémentaires.

Mme Marie-Thérèse Geffroy - Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Nous sommes très honorés d'être reçus par votre mission dans le cadre de la politique de formation professionnelle. Telle que nous allons vous la présenter, la lutte contre l'illettrisme est bien une composante essentielle de la formation tout au long de la vie.

Nous essaierons ensemble de mettre au clair les définitions puis de vous donner des éléments chiffrés inédits jusqu'à 2006. Nous essaierons enfin de voir comment nous avons tenté de faire de la formation tout au long de la vie une composante essentielle de notre travail, notamment au travers des échanges de bonnes pratiques que nous mettons en oeuvre depuis quelques mois. On parle trop souvent d'illettrisme en général, en tenant des colloques et des réunions sans s'intéresser à ce qui réussit auprès des personnes concernées. C'est la tâche que nous nous sommes assignée en travaillant de manière pragmatique et concrète sur tous les terrains. Nous allons vous en présenter quelques aspects, notamment dans la lutte contre l'illettrisme au sein du monde du travail.

Nous avons réalisé un dossier que vous pourrez consulter. Vous y trouverez tous les documents auxquels nous faisons référence et sur lesquels nous nous appuyons.

- Définition de l'illettrisme

Pour que nous ayons les idées claires, parce que chacun voit souvent l'illettrisme de son propre point de vue, de sa compétence, de sa spécialité, nous avons cherché à clarifier les définitions. Pour aborder cette question, on nous renvoyait systématiquement à des travaux de 200 ou 300 pages qui ne permettaient pas aux décideurs de comprendre en quelques mots la nuance entre des situations pourtant bien différentes.

L'illettrisme recouvre celle des personnes scolarisées en France qui, à un moment de leur vie, après leur scolarité obligatoire, ne maîtrisent pas ou plus les compétences de base comme la lecture, l'écriture, le calcul, nécessaires à la vie courante. C'est une situation très différente de l'analphabétisme qui, bien que répandu dans de nombreux pays en voie de développement, concerne moins de 1 % des Français. Lorsqu'on n'a jamais été scolarisé, on n'a pas honte de dire qu'on ne sait pas lire ni écrire. On a tout à apprendre et on n'a pas encore échoué. La confusion est également souvent faite avec la situation des nouveaux arrivants en France, les immigrés qui ne parlent pas le français car on confond souvent illettrisme et immigration, ce qui conduit à beaucoup d'erreurs redoutables qui empêchent de conduire les politiques auprès de ceux qui en ont réellement besoin. La situation d'une personne qui se trouve dans un pays dont elle ne parle pas la langue est très différente des deux précédentes. On n'est pas illettré parce qu'on ne parle pas une langue étrangère. Les immigrés qui arrivent dans notre pays doivent apprendre le français, langue étrangère. Ils peuvent avoir des niveaux de connaissances et de compétences fort différents les uns des autres.

- La lutte contre l'illettrisme

Qu'est-ce que la lutte contre l'illettrisme ? Il s'agit de « réacquérir », à tous les âges de la vie la « base de la base ». Nous ne parlons que de consolider des compétences fonctionnelles pour faire face à des situations de la vie courante : circuler, lire une liste de courses, prendre un médicament, utiliser un appareil, suivre la scolarité de son enfant, retirer de l'argent dans un distributeur automatique, entrer dans la lecture d'un livre etc. Après une enquête en Ile-de-France, on a constaté que les trois quarts des personnes en situation d'illettrisme ne peuvent retirer seules de l'argent dans un distributeur automatique. C'est un niveau de compétences bien plus modeste que celui attendu à la fin de la scolarité obligatoire.

Dans le monde du travail, l'illettrisme se traduit par l'incapacité à lire un schéma, une consigne de travail ou de sécurité, des plannings, des horaires de travail, communiquer avec les clients ou les collègues...

On pense souvent que dans la mesure où la scolarité est obligatoire, tout le monde maîtrise ce modeste niveau. Les idées reçues sont très fortes en la matière. Interrogée par l'OCDE il y a une quinzaine d'années, la France avait affirmé qu'aucun Français ne souffrait d'illettrisme puisque l'école est obligatoire dans notre pays, comme si les moyens suffisaient à assurer les résultats, comme s'il n'y avait pas de multiples causes expliquant des difficultés en matière de compétences de base et leur apparition tout au long de la vie.

- État des lieux de l'illettrisme en France

Pour connaître l'importance exacte de l'illettrisme dans notre pays, les personnes qui doivent y faire face au quotidien, nous nous sommes attachés dès la création de l'Agence à la production de données chiffrées qui n'existaient pas jusqu'alors. Nous avons réalisé, puis introduit dans l'enquête « Information Vie Quotidienne de l'INSEE 2004-2005 », un module de mesure de l'illettrisme et exploité les résultats pour que, au-delà des chiffres, nous rendions disponibles des informations claires permettant de faire porter les efforts là où il le faut vraiment.

L'enquête 2004-2005 a porté sur la population âgée de dix-huit à soixante-cinq ans résidant en France métropolitaine. Depuis, les régions d'outre-mer s'y engagent.

Au-delà du chiffre global impressionnant 3 100 000 personnes soit 9 % de la population âgée de dix-huit à soixante-cinq ans et ayant été scolarisée en France, nous avons mis en évidence un certain nombre de caractéristiques qui vont à l'encontre de bien des idées reçues :

- la moitié des illettrés ont plus de quarante-cinq ans et le pourcentage croît avec l'âge ce qui signifie que les jeunes ne sont pas les premiers concernés ;

- les femmes, 41 % des personnes concernées, sont moins nombreuses que les hommes 59 % ;

- la moitié des illettrés vivent dans les zones rurales, ou faiblement peuplées, seulement 10 % dans les zones urbaines sensibles, ce qui signifie que même si dans les zones urbaines sensibles, le pourcentage est le double de la moyenne nationale, la politique de lutte contre l'illettrisme ne peut se confondre et se résumer à la seule politique de la ville. Pour toucher ceux qui sont concernés et déployer, elle doit se déployer sur tout le territoire ;

- tous les illettrés ne sont pas des exclus, 57 % soit près de 1,8 million d'entre eux ont un emploi. Chaque jour pour faire face à leurs tâches, ils mettent en oeuvre de très habiles stratégies de contournement pour cacher leur problème. Mais ils sont en situation fragile, à la merci du moindre changement. En s'appuyant sur les compétences qu'ils ont acquises sans avoir recours à l'écrit, il faut leur redonner confiance et leur permettre de s'engager dans la réacquisition des compétences de base. La lutte contre l'illettrisme touche de très près le monde du travail et s'inscrit dans un cadre de la formation professionnelle tout au long de la vie ;

- 74 % des illettrés parlaient uniquement le français à l'âge de cinq ans. Illettrisme et immigration ne se confondent pas. La plus grande partie de ceux qui sont confrontés à l'illettrisme ne sont pas des immigrés.

Les résultats de l'exploitation de l'enquête remettent en cause bien des idées reçues. Pour compléter ces commentaires, soulignons que trop souvent on pense que l'illettrisme touche ceux qui sont différents ou éloignés. L'enquête qui est conduite à la Martinique montre que si le pourcentage est plus élevé en métropole, on est loin d'un « tsunami » de l'illettrisme sur ce territoire d'outre mer.

Avant de passer la parole à Hervé Fernandez pour poursuivre le propos sur la lutte contre l'illettrisme dans le monde du travail, je rappellerai d'autres données chiffrées dont nous disposons grâce aux ministères de la défense et de l'éducation nationale - les chiffres à l'issue des tests auxquels sont soumis les garçons et filles de dix-sept ans lors de la JAPD, journée d'appel et de préparation à la défense - : 4,3 % en 2005 sont dans une situation que l'on peut qualifier d'illettrisme, 4,8 % en 2006.

Il faut bien sûr distinguer ces jeunes qui ne maîtrisent pas la « base de la base » des 10 % de la classe d'âge qui ont des difficultés face à l'écrit, mais ne sont pas illettrés.

M. Hervé Fernandez - Les résultats de l'enquête INSEE nous apportent des informations précieuses sur l'activité professionnelle des personnes en situation d'illettrisme. Elles sont employées dans des secteurs très différents. Lorsqu'on met en lumière la situation des personnes en situation d'illettrisme à proprement parler, on s'aperçoit qu'elles sont plus nombreuses que les personnes qui ne maîtrisent pas le français langue étrangère dans tous les secteurs, à l'exclusion de celui de l'habillement. Les OPCA, dans leur volonté d'en savoir plus sur les besoins en compétences des salariés des différentes branches professionnelles, se sont tournés vers l'Agence pour que nous leur fournissions des informations plus précises dans le cadre de leur fonction d'observatoire. Nous avons pu fournir à la branche du travail temporaire, à celle du bâtiment, à des grands groupes de sociétés, au Centre national de la fonction publique territoriale, à l'AFPA, des données plus précises sur la situation des salariés et stagiaires des secteurs concernés.

Sur quels leviers s'appuyer pour agir ? Nous pouvons maintenant regarder du côté des bonnes pratiques qui ont été identifiées et analysées ces cinq derniers mois sur tout le territoire, dans le cadre du Forum permanent des pratiques. Beaucoup d'entreprises ayant mis en place des solutions de formation de base - lire, écrire, compter - s'appuient sur les entretiens individuels, les plans de formation, les contrats et les périodes de professionnalisation. Le code du travail rappelle que la lutte contre l'illettrisme fait partie de la formation professionnelle tout au long de la vie (article 900-6). Toutes ces actions sont imputables sur la contribution à l'effort de formation versée par les entreprises. Depuis peu, les agents de la fonction publique territoriale notamment ceux qui sont en situation d'illettrisme, sont également concernés par la loi réformant la formation du 19 février 2007. Les actions de lutte contre l'illettrisme font partie des actions prioritaires.

Un autre levier important est celui de la négociation collective. Douze accords de branche sur les dix-sept que nous avons examinés font référence à la lutte contre l'illettrisme. On n'utilise pas toujours le terme « illettrisme ». Les branches professionnelles préfèrent l'évoquer dans le cadre de l'accès à la qualification, de la professionnalisation, du maintien de l'employabilité, de la maîtrise des écrits professionnels, la maîtrise des compétences de base, des termes qui renvoient à la maîtrise d'un socle nécessaire pour faire face à la lecture et l'écriture de façon autonome sur son poste de travail.

Dans certains cas, notamment dans la branche de la propreté, les partenaires sociaux ont choisi de consacrer 5 % des fonds mutualisés à la lutte contre l'illettrisme et à l'apprentissage du français. Dans d'autres branches comme celle du travail temporaire, le commerce de détail, l'aide à domicile, la métallurgie, l'industrie et la chimie, la restauration rapide, l'industrie agro-alimentaire, l'assainissement, les transports routiers et l'enseignement privé sous contrat, pour le personnel d'entretien, on choisit de favoriser l'accès à la formation sur les savoirs de base, de favoriser les actions d'acquisition, d'entretien et de perfectionnement des connaissances, y compris les compétences générales de base des salariés.

La loi de 2004 sur la formation professionnelle introduit une référence explicite dans le cadre de la négociation de branche sur la formation professionnelle, ayant lieu tous les trois ans, aux salariés qui ne maîtrisent pas les compétences de base. Un amendement sénatorial a permis d'introduire dans le code du travail, à l'article 934-2, cette référence aux branches professionnelles. Lorsqu'elles négocient, elles doivent s'intéresser prioritairement à la situation des salariés qui n'ont pas de qualifications, et plus particulièrement à ceux qui ne maîtrisent pas les compétences de base. Des moyens sont également mobilisés par les OPCA. Une quinzaine d'entre eux a engagé des programmes, souvent avec le concours du fonds unique de péréquation, dans le cadre de l'accord signé avec l'État et le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. C'est près de 20 millions d'euros qui ont été mobilisés contre l'illettrisme en un an. Un programme mené par le ministère de l'emploi visant à l'accompagnement des mutations économiques consacre aussi une partie de ses moyens au développement de la formation dans les entreprises. Les principales sources de développement se trouvent dans le cadre de la politique contractuelle au niveau des territoires, dans les engagements de développement des compétences.

Comme nous l'avons vu lors des échanges de bonnes pratiques, il existe également des initiatives conduites en direction des salariés pour les informer sur le droit individuel à la formation. Certains salariés décident en effet de se former sans que leur employeur ne soit au courant de leur démarche. Il existe aussi des solutions de formation mises en oeuvre et financées par les directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle et par les conseils régionaux. Les personnes ayant de sérieuses difficultés à lire et écrire sont également incitées à aller vers une validation des acquis de l'expérience, c'est-à-dire vers un diplôme, et peuvent bénéficier d'un accompagnement renforcé sur certains territoires. Cette tendance est très clairement apparue dans le secteur de l'hospitalisation privée et du service à la personne. Les exigences de qualification actuelles impliquent que les personnes qui souhaitent poursuivre leur activité dans ces secteurs ou y entrer, disposent d'un diplôme. Certains salariés, compétents sur leur poste de travail, mais ayant des déficits en lecture écriture peuvent connaître des difficultés lorsqu'il s'agit de renseigner un dossier de validation et de se présenter devant un jury. L'accompagnement renforcé qui a été mis en place pour ces derniers leur a permis d'obtenir un titre professionnel.

Mme Marie-Thérèse Geffroy - Nous allons aborder brièvement les actions de l'Agence en faveur de la prévention de l'illettrisme dans le monde du travail.

Nous avons signé des accords-cadres avec plusieurs OPCA. Les principaux accords ont été signés avec l'AGEFOS-PME, appliqué dans douze régions ; avec Habitat formation, secteur particulièrement touché avec le personnel qui travaille dans les sociétés de gestion d'immeubles, sociaux en particulier, et le CNFPT où le nombre de stagiaires depuis la signature a crû d'une manière considérable, de 200 à 1 900. Vous savez que les fonctionnaires de catégorie D qui ont été souvent reclassés en catégorie C rencontrent parfois des problèmes de compétences de base.

Pour convaincre les OPCA et les entreprises de se lancer dans des actions de prévention et de lutte contre l'illettrisme auprès de leurs salariés, nous avons conduit des extensions de l'enquête dans les branches professionnelles et dans un certain nombre d'entreprises. Depuis trois ans, nous avons édité des recommandations, « La formation de base, l'atout gagnant de votre entreprise », en évitant le terme de « lutte contre illettrisme », pour souligner l'objectif en vue et éviter de stigmatiser une situation douloureuse. Nous cherchons enfin la valorisation et la diffusion des bonnes pratiques dans le cadre du forum que nous avons organisé et l'inscription de la lutte contre l'illettrisme par les entreprises dans les plans régionaux de lutte contre l'illettrisme.

Les trois missions essentielles de l'Agence sont les suivantes : mesurer, organiser, outiller. On mesure avec l'enquête évoquée plus haut. Rappelons que pour l'avenir il faudra conserver les mêmes indicateurs pour conduire à l'horizon 2010 une enquête de même nature et pouvoir enfin mesurer l'évolution de l'illettrisme en France, ce qui n'est pas possible aujourd'hui. Nous devons également organiser dans les différents territoires l'action de ceux qui peuvent concourir à la prévention et à la lutte contre l'illettrisme. Cette action dépasse largement le cadre du monde du travail. Elle concerne les pouvoirs publics nationaux et territoriaux, les entreprises, la société civile. Dans ce dessein, nous avons proposé que les régions, l'État, les départements s'ils le souhaitent, signent des accords pluriannuels pour rendre lisible la contribution de chacun à la lutte contre l'illettrisme après avoir ensemble analysé des besoins et fixé des priorités - le volet « entreprise » est très présent dans les plans régionaux de lutte contre l'illettrisme - afin que nous puissions déterminer la part de la tâche qui revient à chacun et répartir le travail. Des plans régionaux ont été aujourd'hui signés dans plus de quatorze régions. Les signataires sont généralement le recteur, le président du conseil régional, le préfet de région et, quelquefois, des responsables de départements avec tous ceux qui participent à ce travail au sein du territoire.

Même si nous produisons des chiffres utiles pour informer et disposons d'une organisation régionale qui progresse, il faut s'assurer que ceux qui agissent ont les bons outils pour le faire avec succès et efficacité. On ne peut pas progresser en efficacité si on ne fait pas connaître et partager ce qui est efficace. Nous avons donc organisé la collecte et le partage des pratiques qui réussissent. Nous sommes une petite structure de douze personnes avec un budget d'un million d'euros. Nous nous sommes donc appuyés sur ceux qui font et ceux qui peuvent aider à faire. Nous avons bénéficié aussi de l'aide du Fonds social européen, le FSE, pour mettre en oeuvre le forum des bonnes pratiques d'une manière très concrète, très ancrée dans les territoires.

Entre décembre 2006 et avril 2007, nous avons adopté la même démarche en quatre étapes dans toutes les régions : choisir une seule pratique dans un des champs de la lutte contre l'illettrisme, constituer un atelier régional avec des gens de terrain, organiser des rencontres départementales et des rencontres régionales. Les grandes thématiques retenues touchent tous les champs et tous les publics concernés par la prévention et la lutte contre l'illettrisme. Chaque région a choisi en fonction de ses ressources, de ses priorités, une pratique très précise. Six régions ont choisi de travailler sur la lutte contre l'illettrisme dans le monde du travail. Ainsi, la région Centre a choisi la construction de parcours d'accès à la qualification des publics en difficulté avec l'écrit, les autres régions comme l'Ile-de-France ont largement mobilisé de nombreux acteurs du monde économique.

Concrètement, de la fin de 2006 au début de 2007, cette action s'est traduite par vingt-quatre rencontres dans les régions, quarante-deux dans les départements, 171 personnes fortement mobilisées dans les ateliers, 2 462 participants aux rencontres régionales, quarante et un articles de presse et reportages dédiés ayant permis l'information et la sensibilisation sur les problèmes d'illettrisme. Nous organisons la mise en commun de tout ce travail avec une grande rencontre à Lyon les 20, 21 et 22 juin. Elle sera à l'image de la rencontre sur la lutte contre l'illettrisme par les moyens culturels à laquelle le sénateur Bernard Seillier avait déjà participé en juin 2006. Elle mettra en relation ceux qui décident et ceux qui agissent à partir des pratiques concrètes.

Après cette brève présentation du problème, de son ampleur, des principales caractéristiques des personnes concernées et de la manière dont nous essayons de travailler pour trouver des solutions, ce qui me paraît essentiel de rappeler est que la prévention et la lutte contre l'illettrisme sont une composante essentielle de la formation professionnelle tout au long de la vie et qu'elles ne doivent pas être confondues avec la politique linguistique en faveur des migrants. Nous nous permettons de souligner cet aspect car nous avons quelques craintes. Le ministère du travail, de l'emploi et des affaires sociales, est partie prenante du conseil d'administration de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme. Nos moyens, certes modestes mais indispensables, nous étaient alloués par le ministère de l'emploi et la DGEFP au titre de « l'accompagnement des mutations économiques ». Pour 2007, ils ont été reversés par la DGEFP à la Direction de la population et des migrations sur la ligne « immigration et intégration ». C'est dire que, malgré une première diffusion des chiffres en juin 2006, la confusion existe encore et que la lutte contre l'illettrisme n'est pas intégrée comme donnée essentielle de la formation tout au long de la vie. Bien que proche, la politique linguistique en faveur des migrants est fondamentalement différente de la lutte contre l'illettrisme. Il ne faut pas oublier ce qui ne se voit pas parce que les personnes concernées ne veulent pas révéler leurs difficultés qui pourtant sont bien réelles. Nous sommes dans le champ de la formation tout au long de la vie.

Lorsque l'on conduit une politique de lutte contre l'illettrisme, nous l'avons vu avec les entreprises et les partenaires sociaux, la performance économique augmente pour l'entreprise et l'évolution professionnelle et personnelle du salarié est favorisée. Lorsqu'une personne est plus à l'aise dans son travail, elle est aussi plus à l'aise dans sa vie. L'investissement dans la formation en matière de lutte contre l'illettrisme a un triple effet positif : sur la situation professionnelle de l'intéressé, sur l'efficacité économique de l'entreprise et sur la société. Les personnes sont plus à l'aise dans la vie citoyenne et sociale. Tous ceux qui ont mis en oeuvre des actions de formation de base dans leur entreprise ont bien pris conscience de la manière dont elle leur permettait d'anticiper les changements et de prévenir les ruptures professionnelles afin d'éviter les situations d'exclusion. Lorsque des changements des organisations dans l'entreprise ou des fusions surviennent, ce sont souvent ceux qui sont en manque de connaissances de base qui sont le plus sujet au risque de sombrer dans l'exclusion. Ils perdent leurs repères et n'arrivent plus à se réinsérer dans de nouvelles situations professionnelles. Tous ceux qui ont des compétences et responsabilités dans le domaine de la formation professionnelle et de la formation tout au long de la vie sont donc concernés directement ou indirectement par la lutte contre l'illettrisme.

Il nous paraît vraiment très important que nous prenions bien conscience de ce qu'est le phénomène de l'illettrisme dans notre pays. Les esprits de ceux qui ont à en parler sont souvent imprégnés de considérations très académiques. Or, il y a plusieurs manières d'apprendre, d'acquérir des compétences. Ceux qui n'ont pas pu ou pas voulu intégrer le circuit classique de la formation académique dans leur jeunesse ne doivent pas être jugés à cette aune pour le reste de leur vie. Une personne en situation de lacunes graves en compétences de base peut réussir à être chef d'équipe dans une entreprise, parvenant à contourner sa difficulté. Elle possède donc une compétence professionnelle qui doit être reconnue et sur laquelle il faut s'appuyer pour qu'en confiance, elle réapprenne ce qui lui manque. Cette reconnaissance est un élément essentiel à intégrer.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci, madame la directrice, pour cet exposé très clair et chiffré qui permet d'avoir une idée très précise de la situation et de briser un certain nombre d'idées reçues et de confusions. Nous comprenons la nécessité de mettre en place un certain nombre de mesures et de bonnes pratiques à l'échelle des territoires, en particulier dans les campagnes puisque près de la moitié des personnes en situation d'illettrisme sont situées en zone rurale.

J'ai une question un peu plus générale, plus en amont de la lutte contre l'illettrisme. Puisque ces jeunes, pour la plupart, ont été scolarisés, ne peut-on pas envisager cette situation comme une défaillance du système de transmission du savoir ? Cela concerne également la famille. Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer que l'on arrive à un taux aussi élevé et comment peut-on y remédier ? Notre mission touche la formation continue, mais également la formation initiale. C'est, à mon avis, à ce dernier niveau que des actions peuvent être prises.

Mme Marie-Thérèse Geffroy - Bien sûr, nous nous sommes ici centrés sur la formation continue dans les exemples que nous vous avons présentés. Toutefois, une grande partie des actions de prévention de l'illettrisme à mener se situe dès l'enfance, et même la toute petite enfance.

Les associations, les réseaux qui prennent en charge les enfants et tout particulièrement les familles en difficulté savent bien que ce qui se passe avant l'école est essentiel. Je pense notamment à des associations caritatives comme Emmaüs, ATD-Quart Monde, mais également à des mouvements d'éducation populaires comme la Ligue de l'enseignement. On constate que tout ce qui se passe dès la petite enfance est excessivement important. La prévention ne commence pas à l'école et au CP, mais bien avant. Nous pourrons vous communiquer l'ensemble des travaux réalisés dans le cadre du forum des bonnes pratiques relatives à la prévention dès l'enfance. Les petits enfants auxquels on lit des livres quand ils sont très jeunes sont dans des conditions beaucoup plus favorables pour rencontrer les premiers apprentissages à l'école, notamment lors de l'entrée à l'école primaire, que ceux dont l'environnement familial est éloigné de l'écrit et où les conversations ne sont pas assez nombreuses. La prévention en matière culturelle et éducative se situe bien avant l'école. Lors de l'arrivée au CP, on ne peut pas dire que tout soit joué, mais beaucoup de choses le sont déjà. Si l'enfant trouve du sens dans ce qu'il fait à l'école, il aura beaucoup plus envie d'apprendre que s'il se sent dans un monde étranger à son univers familial.

Lorsque j'ai rédigé, en 1999, le rapport Lutter contre l'illettrisme, je me suis rendue notamment dans la banlieue d'une très grande ville et je voudrais évoquer un exemple qui m'a marqué. J'ai rencontré plusieurs enseignants et, notamment, la directrice d'une école primaire et son équipe de CP. C'était l'automne ; elle avait lu à des enfants de sa classe un texte sur les feuilles qui tombaient. Dans cette école, des platanes perdaient leurs feuilles dans la cour de récréation ; elle leur a donc montré ensuite les feuilles tombées dans cette cour. Elle a essayé de voir le rapport que faisaient les enfants entre le texte qu'elle venait de leur lire et la réalité qu'ils voyaient en jouant dans la cour. Un certain nombre d'enfants de familles très éloignées de l'écrit ne voyaient aucun rapport. Le fait que pour de si petits enfants, il y ait déjà deux mondes si différents est infiniment inquiétant. Lorsqu'on peut rapprocher ces mondes par un certain nombre d'initiatives des collectivités ou de ceux qui ont en charge la petite enfance, on peut faire en sorte de familiariser les tout petits avec l'écrit de manière efficace et prévenir le risque d'illettrisme.

Une autre expérience a été menée à la Martinique dans le cadre du forum des bonnes pratiques. Avec la double difficulté de la pratique du créole à la maison et des apprentissages fondamentaux à l'école en français, tout un travail est réalisé en liaison avec des associations autour des contes. Une animation dans les structures de petite enfance consiste notamment à lire des contes aux enfants mêlant français et créole de façon à ce que les enfants puissent percevoir le lien entre les deux. Le résultat est clairement visible en CP : les difficultés sont moindres parce que les enfants ont baigné dans ce mélange des deux langues. C'est la même problématique que pour les deux mondes évoqués plus tôt. Le taux de réussite en CP a sensiblement augmenté grâce à toutes ces actions en amont.

Je voudrais répondre à votre question, monsieur le président, en soulignant qu'il faut considérer à la fois ce qui se fait avant l'école, ce qui se fait dans l'école et ce qui se fait autour de l'école. Dans l'école, on s'assure que les enseignants ont des objectifs qu'ils s'attachent à tenir. Si ce qui se passe avant l'école compte beaucoup, ce qui se passe autour de l'école n'est pas la même chose pour tous les enfants de toutes les familles dans tous les quartiers. On voit bien ici l'importance de l'accompagnement à la scolarité et du travail des associations d'éducation populaires, des associations familiales et d'associations qui agissent pour les familles en difficulté. Nous essayons de tout rapprocher pour que ce qui se fait à l'école ait un sens dans la vie quotidienne. Pour aller plus loin et éviter que les enfants, lorsqu'ils sont plus grands, ne se lassent des apprentissages académiques parce qu'ils ne signifient plus rien, ou pas suffisamment pour eux, il semble également impératif d'encourager l'introduction d'activités professionnelles au sein de l'école avant la fin de la scolarité obligatoire. De cette façon, si l'accroche académique ne fonctionne pas, l'accroche professionnelle peut prendre le relais pour donner du sens à ce qu'est un apprentissage académique.

M. Jean-Claude Carle, président - Effectivement, le parcours unique, à l'instar de la pensée unique, a ses limites. Nous avons besoin d'accompagnement, de soutien.

Mme Marie-Thérèse Geffroy - Et de diversité.

M. Jean-Claude Carle, président - Oui, tout à fait.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Nous avons bénéficié d'un exposé très précis, complet et enthousiasmant. Je n'ai qu'une question. La prise de conscience du problème de l'illettrisme se développe-t-elle dans les administrations et les services publics avec lesquels vous devez travailler ? La reconnaissance du rôle de l'agence progresse-t-elle ? Ce que vous avez évoqué au sujet des lignes budgétaires est tout à fait navrant.

Plus directement, les ambiguïtés qui ont gouverné à la création de l'Agence nationale de la cohésion sociale sont-elles clarifiées ?

Mme Marie-Thérèse Geffroy - Merci pour cette question. Je ne voudrais pas adopter une approche en termes de structures ou de défense d'un établissement. Il s'agit d'autre chose. Nous pouvons concevoir la lutte contre l'illettrisme de deux façons. Nous pouvons adopter une approche structurelle, budgétaire, en affirmant que cette lutte doit être la propriété, la responsabilité d'une structure. Celle-ci conduit la lutte contre l'illettrisme dans notre pays, finance, organise des dispositifs, met en place des guichets. On organiserait donc un service public de lutte contre l'illettrisme. C'est la vision qui avait présidé à la création de la nouvelle agence « Égalité des chances », croisée avec le fait que cette nouvelle agence est sous une double tutelle, celle de la Direction population et immigration et celle de la Direction interministérielle de la ville (DIV). Traiter la lutte contre l'illettrisme avec les seuls responsables de la politique de la ville et de la politique de l'immigration peut s'avérer problématique puisque les indications claires dont nous disposons nous disent que illettrisme et immigration ne se confondent pas, pas plus qu'illettrisme et politique de la ville.

Dès la fin du mois de juin, nous allons publier un document précis « Illettrisme : les chiffres » qui, nous l'espérons, permettra de sortir des confusions.

La réalité est très complexe, l'illettrisme est diffus dans la société. Une politique de lutte contre l'illettrisme est une politique de prévention pour éviter que l'illettrisme ne prenne racine dès l'enfance, mais aussi une politique de lutte lorsque les situations sont installées. En regardant la réalité des personnes concernées par l'illettrisme, on voit bien qu'un seul organisme ne pourra pas financer et « prendre » la lutte contre l'illettrisme. L'ANLCI a été créée avec l'idée qu'une petite structure thématique légère d'information, d'organisation et d'outillage est la bonne solution.

La diversité des territoires et des situations des personnes concernées nous permet en effet d'affirmer qu'un organisme financeur et organisateur unique ne pourra pas gérer l'ensemble des problématiques de cette lutte. Les tâches doivent être réparties dans le cadre des compétences propres de chacun. Les administrations doivent s'emparer du problème et diffuser l'information auprès de leurs troupes. L'impression demeure trop souvent que chaque acteur réalise son petit travail de façon cloisonnée au sein de ses propres dispositifs sans s'occuper des adultes. Il faut essayer de rassembler et d'organiser les efforts de tous dans un cadre commun, notamment les plans régionaux de lutte contre l'illettrisme que nous avons proposés. Cela permettra d'envisager au niveau des régions, les actions réalisées par tous ceux qui dans leur coeur de métier, peuvent prendre une part à la prévention et à la lutte contre l'illettrisme. C'est une tout autre manière de concevoir l'organisation. Pour résoudre un problème complexe, nous pensons qu'une structure très légère qui donne à chacun les outils pour, dans son coeur de métier, mener à bien sa mission, est la bonne solution, mais elle ne correspond pas aux schémas administratifs habituels avec des moyens et des dispositifs à gérer.

Imaginez les moyens considérables qu'il faudrait déployer pour qu'une seule institution vienne à bout de ce problème. Or, une approche administrative classique et cloisonnée, faire disparaître l'ANLCI, ses douze personnes et son budget levier de 1,2 million d'euros qui permet la mobilisation de fonds beaucoup plus considérables, c'est la tentation encore présente dans certains esprits.

Nous avons naturellement des craintes. Nous avons reçu hier une lettre du directeur de l'Agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, à laquelle une partie des ressources de notre budget de fonctionnement a été reversée, ceci compliquant encore les circuits de financement. La lettre que nous avons reçue nous explique que l'ACSE accordera une subvention de fonctionnement à l'ANLCI dans le cadre de la formation linguistique des migrants. Cette confusion montre à quel point il est évident qu'un travail d'information doit être réalisé. Nous ne défendons pas l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme pour elle-même ; nous voudrions simplement faire comprendre que si l'on veut être efficace dans la lutte contre l'illettrisme, il faut prendre quelques minutes pour informer les décideurs et présenter les choses de façon chiffrée afin de connaître la situation des illettrés et s'organiser à partir de cette réalité. Au travers d'une grande campagne nationale, il faut informer sur la réalité de l'illettrisme en France, ce qui permettra de comprendre que pour faire porter les efforts partout où il le faut vraiment, il faut organiser la conjugaison des ressources. Ne pas demander toujours plus d'argent public, mais mobiliser aussi les partenaires qui souhaitent s'engager.

C'est possible ainsi, pour le forum des pratiques, nous avons obtenu également le soutien de notre partenaire, la Fondation des caisses d'épargne pour la solidarité, qui finance le séjour et la formation de formateurs qui vont participer au forum pour se professionnaliser et celui de la Fondation Orange. Vous comprenez bien que les personnes d'ATD-Quart Monde, d'Emmaüs ou de certains petits organismes de formation n'ont pas les moyens de se rendre trois jours à Lyon pour se professionnaliser. Il est impossible de les faire venir s'ils n'en ont pas les moyens. Pour faire en sorte qu'ils le puissent, les fondations partenaires nous allouent un budget important afin que nous puissions financer la professionnalisation de tous ces formateurs.

Notre stratégie, notre méthode de travail ne sont pas administratives. Elles se résument en une formule : « Réunir pour mieux agir ».

M. Jean-Claude Carle, président - Merci, madame la directrice. Je ne crois pas que l'on puisse trouver meilleur message de conclusion. Nous essaierons modestement de vous faire sortir de cette confusion parce qu'elle touche énormément de domaines de la formation.

Mme Marie-Thérèse Geffroy - Merci de nous avoir reçus.

Audition de M. André COTTENCEAU, chef de file formation, et Mme Marie-Dominique PINSON, responsable formation, de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) (16 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Merci d'avoir accepté notre invitation. Je vous cède sans tarder la parole.

M. André Cottenceau - Pour commencer, je tiens à vous informer que nous vous remettrons un document incluant notamment le Livre blanc de la CAPEB, qui présente des propositions et des engagements pour l'avenir, un quiz ludique, et un document officiel présentant la CAPEB et les artisans du bâtiment. Nous avons également joint notre feuille de route. Elle expose la résolution relative à la formation, approuvée par l'assemblée générale, et envoyée au ministère. Ces documents donneront des compléments d'information à notre intervention.

Notre implication dans la formation professionnelle est historique. Depuis toujours, nous dispensons une formation professionnelle dans le domaine des bâtiments et travaux publics (BTP) de façon à la fois théorique et pratique. Le chantier reste le lieu privilégié de notre activité. Quatre chiffres illustrent notre réussite. Tout le monde connaît la spécificité artisanale de notre pays, reconnue dans l'intitulé « première entreprise de France ». Dans le secteur du bâtiment, 98 % des entreprises, soit 325 000, emploient moins de vingt salariés. 68 % des actifs et 85 % des apprentis en formation travaillent dans ces petites entreprises. Celles-ci réalisent 61 % du chiffre d'affaires du bâtiment.

Après ce retour sur le contexte et le rappel des chiffres-clés, il convient de souligner un fait déterminant : nous sommes répartis sur tout le territoire et nous participons au développement de ce pays. Deux dimensions principales du développement sont à prendre en compte : la dimension professionnelle et la dimension sociale. La dimension professionnelle concerne l'acteur, celui qui bâtit, celui qui entretient, ou encore celui qui restaure. L'objectif est d'apprendre un métier, de devenir professionnel, compétent et qualifié, pour ensuite se regrouper et conduire un chantier. La dimension sociale vient de l'objectif de l'insertion par l'emploi dans notre société. Un slogan populaire clamait il y a quelques années que 80 % des jeunes d'une classe d'âge devaient obtenir leur baccalauréat. Nous préférons proposer l'obtention d'un emploi par 100 % des jeunes. Afin de réaliser cet objectif, nous travaillons sur le chantier, avec nos salariés. Contrairement à d'autres structures d'entreprise, nous avons l'avantage de rester à proximité des salariés et d'entretenir des échanges directs.

Le secteur du bâtiment a une histoire riche. Ainsi, depuis 2004, nous avons signé quatorze accords. Nous en avons depuis renouvelé un et nous en préparons un nouveau. L'amélioration de l'emploi dans la branche du bâtiment est un vaste projet auquel nous consacrons beaucoup d'efforts. Ainsi, suite à l'accord national du 5 décembre 2003 et à la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle et le dialogue social, la CAPEB contribue à la mise en oeuvre de la réforme de la formation tout au long de la vie. Celle-ci permet d'accompagner le développement des activités des entreprises, mais avant tout des capacités des hommes et des femmes travaillant dans ces entreprises. Cette réforme devrait même permettre de développer de nouvelles compétences. Nous avons mis en place un accompagnement, appelé « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » (GPEC), afin que, dans un cadre de formation défini et adapté, nous puissions développer les compétences des salariés et déboucher in fine sur une embauche. Le développement de partenariats est en cours, notamment avec l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

Aujourd'hui, nous ne souhaitons pas que tout soit remis en cause. Dans le secteur de l'artisanat, beaucoup de choses fonctionnent, bien que certaines précisions soient à apporter. Les petites entreprises actuelles s'adaptent et se réforment de la même façon que les grandes.

Les fonds d'assurance formation de l'artisanat du bâtiment (FAFAB) pour les entreprises employant plus de dix salariés, et les fonds d'assurance formation des salariés de l'artisanat du bâtiment (FAF-SAB) pour les entreprises de moins de dix salariés, ont été instaurés à l'initiative de la CAPEB en février 1989. A cette époque, la formation concernait uniquement les grandes entreprises. Le législateur avait considéré que les petites n'en avaient pas besoin. Or la formation se déroule en continu. Entre 2005 et 2006, le nombre d'actions de formation du plan a augmenté de 6 %. Aujourd'hui, la formation individualisée prime sur la formation collective.

Dans la mesure où il est impossible de revenir sur une loi, la CAPEB a décidé d'utiliser le droit individuel à la formation (DIF), qu'elle avait critiqué, comme lien direct entre le chef d'entreprise et le salarié de l'entreprise pour privilégier l'échange. Le dialogue a sans cesse lieu sur le chantier, mais le DIF permet de prendre le temps d'échanger davantage. Ce dialogue qui existait naturellement pourrait être matérialisé et bénéficier à tous. Dans nos accords, nous avons tenté d'inclure de la transférabilité dans les entreprises du bâtiment. Nous avons été les premiers à mettre le DIF en place et nous souhaitons qu'il reste dans la branche afin de fidéliser nos salariés. Nous estimons qu'il ne serait pas productif d'opérer cette transférabilité sur l'ensemble du secteur. Par conséquent, l'accord de branche du 13 juillet 2004, organisant une transférabilité partielle, nous convient. Dans les entreprises du bâtiment embauchant moins de dix salariés, 1 271 DIF ont déjà été mis en place entre 1994 et 2006. Le dialogue et l'échange, omniprésents chez nous, ont permis d'enclencher le processus du DIF plus facilement.

Dans le cas d'un OPCA de moins de dix salariés comme le FAF-SAB, les frais de gestion de l'OPCA sont calculés sur la base des décaissements et non sur la base du nombre de dossiers ou du travail réalisé. Ainsi, plus la consommation est importante, plus les dépenses sont importantes. Il faut rationaliser et cibler, plutôt que d'augmenter sans cesse les fonds d'assurance formation, faire en sorte que les fonds favorisent véritablement les salariés des entreprises du bâtiment.

La formation sur le terrain prend plus d'ampleur grâce à des cofinancements régionaux. Aujourd'hui, seules 25 % des entreprises s'investissent dans la formation. A l'avenir, ce chiffre pourrait atteindre 75 %. Compte tenu du nombre important d'entreprises, tout le monde, en même temps, ne pourra bénéficier des participations financières apportées par le fonds de formation. Celui-ci n'a d'ailleurs pas pour rôle de financer l'ensemble de la formation, il accompagne et incite à la formation, ciblant les priorités. Les mesures spécifiques dont bénéficieraient les entreprises s'investissant dans la GPEC devraient permettre de remédier à ce problème en complétant par des financements.

Les contrats de professionnalisation ont également fait l'objet d'une vaste réforme. Dans les entreprises employant moins de dix salariés, ils concernaient, en 2005, 3 800 personnes. En 2006, le nombre de contrats a progressé : ces contrats ont concerné 6 200 salariés. Notre histoire fait que, aujourd'hui, l'apprentissage s'effectue sur le chantier. Bien que je n'exclue pas la partie théorique dispensée dans des centres de formation, la première priorité reste le chantier. Actuellement, 76 % des contrats de professionnalisation permettent une qualification complémentaire. Ils débouchent sur des prises de responsabilités et s'inscrivent dans la grille d'un changement de qualification. Ils permettent avant tout de disposer d'une main-d'oeuvre qualifiée et employée.

Notre secteur a joué un rôle de pilote dans le processus d'expérimentation mis en oeuvre pour la validation des acquis de l'expérience (VAE) en 2002. Nous souhaitons le développer dans le cadre de la GPEC adaptée aux petites entreprises du bâtiment. Nous avons obtenu récemment l'inscription de l'un de nos titres au répertoire national de certification professionnelle (RNCP). Ce titre, gestionnaire d'entreprise artisanale du bâtiment, de niveau 4, a déjà été obtenu par plus de 1 800 artisans. Nous espérons pouvoir le faire valider par ceux qui ont acquis ces expériences sur le terrain sans pouvoir en bénéficier.

En amont des problématiques de développement, il nous faut évoquer les problématiques de l'orientation et des artisans messagers. A la CAPEB, nous considérons que l'orientation serait plus intéressante si elle était offerte par un organisme indépendant du système de formation. Les centres d'information et d'orientation (CIO), cependant, bien que dépendant du système de l'éducation, depuis quelques années ont fait des efforts.

M. Jean-Claude Carle, président - Pensez-vous que cette division vienne de l'organisation de l'éducation nationale, ou croyez-vous qu'elle est due à la méconnaissance des réalités économiques ?

M. André Cottenceau - La combinaison des deux facteurs est à l'origine de cette division. Ce que nous faisons reste également méconnu. La CAPEB a sa part de responsabilité. Pour cette raison, depuis dix ans, nous développons une approche ludique pour présenter les métiers par l'intermédiaire de 500 artisans. Ces artisans, pour la plupart jeunes et en activité, retraités pour certains, se rendent dans les établissements scolaires afin de présenter aux élèves la filière et les activités qu'elle pourrait leur offrir sur toute une vie. Nous ne sommes pas un secteur dans lequel les entreprises proposent uniquement des CAP. Nous nous inscrivons dans une démarche d'évolution professionnelle qui peut mener les jeunes étudiants au poste de chef d'entreprise. Ces opportunités d'évolution constituent le but de notre engagement. 13 200 lycéens ont participé en 2005 à notre projet. La démarche est également adaptée pour des classes de troisième. Deux choses manquent pour que la démarche des artisans messagers fonctionne parfaitement. Il faudrait en premier lieu que l'éducation nationale, par l'intermédiaire de ses recteurs, nous laisse intervenir dans les établissements. En second lieu, nous aurions besoin de quelques subsides nous permettant de financer l'ensemble des déplacements et de la démarche. Tous les chefs d'établissement ne sont pas prêts à accueillir notre projet. Dans mon secteur géographique par exemple, certains collèges importants ont les moyens financiers, d'autres, qui accueillent moins d'élèves, peinent à boucler leur budget, ce qui crée des effets de seuil. Cela paraît évident dans les discours, mais sur le terrain, les difficultés paraissent plus difficiles à surmonter.

M. Jean-Claude Carle, président - S'agit-il de réticences matérielles ou de réticences idéologiques ?

M. André Cottenceau - Il ne s'agit plus aujourd'hui d'idéologie. Si le directeur n'est pas en accord avec une telle démarche au départ, il est évident qu'il ne nous accueillera pas. Toutefois, l'équipe enseignante se montre souvent plus favorable à notre intervention. Les problèmes viennent majoritairement des conditions matérielles. Les contraintes matérielles, au contraire de l'idéologie, demeurent incontournables. Si nous n'avons pas les moyens, nous ne pouvons rien faire.

M. Jean-Claude Carle, président - Des aides d'accompagnement permettraient-elles de faire progresser votre démarche ?

M. André Cottenceau - Oui. Lorsque nous souhaitons nous rendre dans des établissements pour des interventions cofinancées par le conseil général, nous sommes plus favorablement accueillis dans la mesure où les établissements ne dépensent plus rien.

Après avoir orienté et témoigné de notre passion, nous avons songé à oeuvrer en faveur de l'apprentissage. Nous formons 84 % des apprentis du bâtiment. En 2006, ces apprentis étaient 89 000. En 2007, le chiffre est passé à 95 000. Les centres de formation se remplissent, ce qui pose des problèmes que nous allons tenter de résoudre.

M. Jean-Claude Carle, président - Avez-vous des centres de formation qui vous sont rattachés ?

M. André Cottenceau - Bien sûr. Le comité de concertation et de coordination de l'apprentissage du bâtiment et des travaux publics (CCCA-BTP) forme la moitié des 95 000 apprentis. L'autre moitié est majoritairement formée par l'éducation nationale. Malgré les discours contraires de nos collègues de l'éducation nationale, la France possède presque tous les dispositifs nécessaires, mais personne ne les connaît bien. Il conviendrait de regarder ce qui existe avant d'en créer de nouveaux.

L'apprentissage constitue une valeur sûre. Il existait bien avant l'éducation nationale. Des bâtiments très anciens restent « debout ». Ces remarques doivent cependant être nuancées par certaines réserves. Ainsi, l'apprentissage junior reste problématique, bien qu'il existe des centres d'accueil de ces jeunes. Certains de ces jeunes ont débuté dans des classes préparatoires à l'apprentissage (CPA) et sont aujourd'hui chefs d'entreprise. Leur succès témoigne de l'opérationnalité de notre démarche. Les savoir-faire fondamentaux qui leur sont enseignés nécessitent néanmoins préalablement la maîtrise de la lecture, de l'écriture et du calcul.

La formation continue des artisans nous paraît indispensable à la qualité et au développement de l'entreprise artisanale. Il faut également gérer les ressources humaines de l'entreprise, développer et transmettre. Le recul de vingt ans que nous avons désormais nous permet d'affirmer que mutualiser au niveau de la branche représentait à l'époque la meilleure solution. Nous espérons pouvoir dialoguer avec les dirigeants sur ce sujet pour lequel nous avons des propositions à faire. Nous constatons que ce qui était fait au niveau national ne peut plus l'être, dans la mesure où les régions ont les compétences dans le domaine de la formation. Afin de poursuivre notre mission, nous avons un vaste réseau de correspondants locaux et de structures réparties dans tous les départements français. Dans certaines régions, une équipe complète s'organise pour trouver des cofinancements. En effet, si les 335 000 entreprises souhaitent, à l'avenir, s'investir dans la formation, l'organisation d'un nouveau système sera nécessaire, entraînant des coûts supplémentaires.

Nous avons récemment décidé de déconcentrer le FAF-SAB, pour les entreprises jusqu'à dix salariés. 2006 a vu l'inscription de 6 000 entreprises et 39 000 salariés supplémentaires. 160  000 entreprises artisanales emploient moins de dix salariés, et il y a en tout 600 000 salariés. Le chantier paraît immense malgré les quelques progrès que nous avons déjà faits. La déconcentration nécessite des financements supplémentaires. En théorie, cela nous permettra de toucher davantage d'entreprises et d'améliorer notre efficacité. Nos frais généraux augmenteront. La formation toutefois n'est pas extensive et ne pourra être étendue infiniment. Nous développons nos partenariats avec les régions pour voir comment nous pouvons cofinancer les formations.

Notre secteur d'activité doit supporter un problème que personne n'avait anticipé. Dans les années soixante-dix, après la loi obligeant les élèves du primaire à poursuivre leurs études au collège, les entreprises artisanales ont vu partir les jeunes qui avaient des capacités puisqu'on leur proposait de faire des études et de choisir une autre branche ou un autre secteur d'activité. Aujourd'hui, il nous manque une génération, c'est pourquoi il faut convaincre des personnes qui ont exercé dans d'autres métiers pour venir dans les nôtres. Tous les efforts de recherche de personnel que nous effectuons visent à provoquer un regain d'intérêt, un nouvel attrait pour notre secteur activité auprès de jeunes titulaires d'un bac+2 ou +3. Il m'est même arrivé d'embaucher un bac+5. Ce dernier dirige aujourd'hui une entreprise de tailleurs de pierre qui fonctionne bien et qui embauche. Nous essayons de proposer des parcours à ces jeunes. Ces démarches permettront d'intégrer la branche BTP.

La CAPEB participe aujourd'hui à la gestion des OPCA des bâtiments, aussi bien de l'OPCA bâtiment pour des entreprises employant plus de dix salariés que le FAF-SAB pour celles en employant moins de dix. Des accords de branche organisent la formation continue des salariés. PROBTP collecte les fonds. Cette organisation s'avère efficace. En raison de l'importance du secteur artisanal dans le BTP, la branche s'est dotée de ces deux OPCA. Au regard du nombre d'entreprises et de dossiers à traiter, il sera vraisemblablement nécessaire de chercher de nouvelles pistes d'organisation. Les partenaires sociaux de la branche doivent se réunir pour prendre les mesures qui permettront d'être plus efficaces à l'avenir.

Malgré cette implication, un travail en partenariat avec d'autres nous paraît nécessaire. La CAPEB s'engage et émet des propositions. Aujourd'hui, les capacités de développement d'une entreprise artisanale dépendent de la capacité de ses dirigeants à se former et à former leurs équipes. A ce sujet, un élément problématique reste à résoudre. Un artisan qui emploie deux salariés et en envoie un en formation voit le tiers de sa production s'arrêter. Il est difficile d'imaginer que de grosses entreprises, comme Peugeot ou Alcatel, par exemple, envoient le tiers de leurs salariés en formation en même temps ! Des négociations sont nécessaires pour décider des mesures à prendre pour le financement du remplacement dans une TPE du salarié en formation, ou pour trouver un système d'amortissement. La formation représente un réel investissement. En l'absence du salarié, les bénéfices diminuent. La part hors salaires des frais généraux de l'entreprise n'a pas été perçue par les chantiers réalisés. Des négociations devront avoir lieu et nous avons à ce sujet des suggestions.

Depuis 2003, les artisans attendent des décrets concernant notre FAF. A l'époque, une ordonnance avait prévu sa mise en oeuvre.

Il serait nécessaire qu'en France, nous soyons considérés comme des acteurs, des actifs contribuant à la valeur ajoutée du pays. Cela justifie les cofinancements des régions plus ciblées vers les TPE.

La démarche de recrutement de salariés doit être accompagnée par une construction de projet d'entreprise. Dans la mesure où la CAPEB est structurée territorialement dans tous les départements, l'OP est la structure naturellement la mieux placée pour accompagner les entreprises grâce à des conventionnements. Nous représentons 100 000 entreprises sur 3300 000, soit un tiers. En tant que représentant de la CAPEB, je constate sur les chantiers que, contrairement à mes collègues, je dispose d'un levier dans le domaine de la formation et du développement. La proximité est réelle et décisive.

M. Jean-Claude Carle, président - Il convient de préciser qu'aujourd'hui, vous incarnez l'OP. Vous souhaitez donc être le coordinateur fédérateur de tous vos ressortissants.

M. André Cottenceau - Nous souhaitons aller au-delà de nos ressortissants. Aujourd'hui, sur le chantier, je discute avec d'autres collègues et je tente de leur apporter des solutions. L'objectif est que l'artisanat du bâtiment se développe.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous avez été favorables et avez décidé d'opérer une transférabilité du DIF à l'intérieur de la branche. Certains de vos collègues mettent en avant les avantages tout en y voyant également une bombe à retardement.

M. André Cottenceau - Il peut s'agir effectivement d'une bombe à retardement. La loi autorise le salarié à revendiquer son droit aux 120 heures de formation. La loi précise que le DIF doit être instauré en accord avec le chef d'entreprise. S'il refuse pour une quelconque raison, il reste toujours possible de négocier. Cette « bombe » n'est pas extraordinaire mais représente un certain danger. Un autre effet contrebalance ce premier effet. Un salarié souhaitant se faire embaucher par un nouveau chef d'entreprise et ayant effectué ses 120 heures de formation sera privilégié par rapport à celui qui n'en a effectué aucune. Il est possible de se battre sur ces sujets-là, mais nous essayons de le voir d'une manière positive. La formation est un besoin. Pour l'instant, la possibilité d'un DIF en dehors du temps de travail n'a pas été développée, malgré les avantages que cela représenterait.

M. Jean-Claude Carle, président - Quel est impact d'un salarié en formation dans une entreprise de trois salariés ?

M. André Cottenceau - Le problème se pose dans toutes les entreprises de moins de dix salariés.

M. Jean-Claude Carle, président - Il est possible d'organiser les formations en dehors du temps de travail, mais le problème de la formation ne peut-il pas être abordé autrement ? Le DIF est-il vraiment adapté à un secteur comme le vôtre ?

M. André Cottenceau - Nous ne l'avions pas demandé. Mais il est là. Le DIF va donc s'adapter. Nous sommes allés au-delà de ce que prévoyait la loi, en instaurant la transférabilité, et en y ajoutant des éléments concernant son financement. Toutefois, ce droit correspond à une démarche individuelle. Certaines grandes entreprises affirment avoir organisé une répartition du DIF entre l'ensemble des salariés. Cela ne nous intéresse pas. Cependant, aujourd'hui, il y a un crédit d'heures. Les salariés ont des demandes. Ils demandent une amélioration de leur bien-être dans leur métier et dans l'entreprise artisanale. Les premières formations du DIF concernaient la sécurité ou encore l'organisation.

Mme Marie-Dominique Pinson - Certains aspects de la technicité du DIF posent problème. Il n'est pas admis pour des actions de perfectionnement mais uniquement dans le cadre d'un développement de compétences. En réalité, un DIF devrait également être utilisé pour se perfectionner. Le DIF regroupe trop de contradictions. Il est un droit, ce qui provoque la crainte des chefs d'entreprise. Il devrait pourtant servir l'entreprise, le salarié dans l'entreprise et participer à la coresponsabilité des acteurs de l'entreprise. Or le DIF n'est pas encore perçu de cette façon. Cependant, le processus est en marche. Alors qu'il n'y avait pas de DIF, 1 200 ont été réalisés en un an. Cette stratégie est la bonne. Malheureusement, je n'ai pas l'impression que les salariés veuillent tous s'impliquer, devenir coresponsables et jouer un rôle de dynamisation de l'entreprise. Cela pose un problème sur lequel nous devons travailler, dans la mesure où le DIF est une mesure dynamisante à la fois pour l'entreprise et pour le salarié de l'entreprise. Le DIF est devenu un épouvantail, alors qu'il aurait fallu que tout le monde s'investisse dans sa mise en oeuvre. La culture de l'entreprise reste à développer en France. Il existe pour le moment une crainte de l'entreprise contre laquelle il faut lutter. La chance que représente le DIF n'est pas encore arrivée à maturité. Salariés et chefs d'entreprise n'ont pas encore relevé le défi. Toutefois, les trois ans de recul que nous avons sont insuffisants pour pouvoir juger de la qualité du projet.

M. Jean-Claude Carle, président - Il est vrai que la France a développé une culture de la grande entreprise sur laquelle s'est basé le système. Or aujourd'hui, l'espoir de plein-emploi ne repose pas sur ces grandes entreprises. La finalité des formations est de permettre aux individus de trouver un emploi et d'y évoluer. Toutefois, la loi impose à tout le monde de cotiser. Vous-mêmes cotisez auprès d'un OPCA ou de plusieurs OPCA. Cette cotisation vous donne le droit d'expression dans l'élaboration des choix. Vous exprimez-vous ? Ce que vous dites reste-t-il lettre morte ou bénéficiez-vous d'une écoute attentive ? Y a-t-il à ce sujet des choses à améliorer ?

Comme vous l'avez justement expliqué, en France, nous avons tous les dispositifs nécessaires, mais personne ne sait où les trouver. Il y a une vérité dans ce domaine qui reste ambiguë.

M. André Cottenceau - Nous avons abandonné un système très administratif, qui redoutait la mise en place de réformes et leurs potentiels échecs. Désormais, un nouveau système fonctionne, témoin d'une évolution positive. La valorisation du salarié, par le DIF notamment, apporte beaucoup à l'entreprise. Ainsi, je ne peux intervenir auprès de vous aujourd'hui que parce que je fais pleinement confiance à mes salariés restés à l'oeuvre sur les chantiers. Le système fonctionne, et nous voudrions le faire admettre, mais nos salariés ne le comprennent pas toujours. La proximité est déterminante.

M. Jean-Claude Carle, président - A qui voudriez-vous le faire admettre ? Il est visible que les problèmes persistent. Vos OPCA sont-ils en harmonie avec vos besoins ?

M. André Cottenceau - Je pense qu'ils ne le sont qu'à moitié. Je suis moi-même un des administrateurs des OPCA du BTP au sein du conseil de gestion desquels nous dialoguons. Il s'agit du même problème que pour l'administration. Tout le monde critique la complexité de l'administration, mais lorsqu'il y a un homme derrière l'administration, beaucoup de progrès sont faits. Les OPCA ne m'inquiètent pas. Au contraire, le processus évolue plutôt dans le sens voulu. Toutefois, la réussite ne sera possible qu'à condition que les conseils de gestion conservent le pouvoir. Or, au niveau de la branche, je reconnais que ce que nous avons mis en place peut être amélioré. Nos suggestions sur la formation permettront de faire évoluer la démarche dans le bon sens. Dans le bâtiment, nous ne croyons pas à l'interprofessionnel. Lorsque je vois les résultats sur le terrain, je n'ai pas envie de m'y investir à nouveau dans le cadre, par exemple, d'OPCA regroupés dans un organisme spécifique ou dans de grandes structures. Si l'interprofessionnel peut fonctionner dans d'autres secteurs d'activité, je suis convaincu qu'il ne peut être efficace pour nous.

Mme Marie-Dominique Pinson - Nous avons besoin d'une gestion des OPCA extrêmement rigoureuse, et la gestion paritaire s'avère extrêmement riche. Toutefois, la formation professionnelle n'est pas suffisamment respectée. Elle devient presque un moyen de régler d'autres problèmes, alors qu'il s'agit d'une démarche très sérieuse en elle-même. Elle permet d'apprendre à s'adapter tout au long de la vie professionnelle aux événements qui peuvent affecter autant les chefs d'entreprise artisans que les salariés qui suivent des parcours semés d'évolutions, de développements, d'accidents. Les capacités d'adaptation sont déterminantes. Il faut plus de réactivité dans les processus. Les OPCA abritent également un lieu de pouvoir, parce qu'ils gèrent des fonds. Par conséquent, les OPCA peuvent se montrer moins performants qu'ils pourraient l'être. Nous souhaitons tous une performance accrue de nos OPCA ; mais nous devons effectuer un travail très lourd. Nous devons agir, en nous montrant tous plus réactifs afin de mieux servir à la fois l'entreprise, le salarié, et notre pays. Parfois, pour optimiser, nous prônons les vertus du regroupement. Si le regroupement peut effectivement avoir des avantages, il convient de rester prudent pour ne pas faire des OPCA des énormes banques, des systèmes gérés imposants mais éloignés de nos préoccupations. Nous devons réformer pour parvenir à une juste réactivité disposant des moyens nécessaires. L'évolution d'un salarié dans une entreprise représente un enjeu évident. Cela nécessite une réflexion permettant de dépasser les blocages persistants.

M. Jean-Claude Carle, président - De façon moins diplomatique, la formation professionnelle n'est-elle pas aussi l'occasion de jeter les bases d'un consensus social ?

Mme Marie-Dominique Pinson - Vous avez un peu raison. Je suis peinée de dire cela, parce que je m'occupe de formation professionnelle depuis des années et que j'estime la servir. En réalité, la formation professionnelle sert quelquefois de monnaie d'échange. Il faut néanmoins éviter à tout prix qu'elle ne joue que ce rôle. Dans les petites entreprises comme les nôtres, cela n'est pas le cas. En revanche, dans les endroits ayant choisi la mutualisation, la formation professionnelle joue souvent ce rôle de monnaie d'échange. Les règles sont pour la plupart établies en référence aux grosses entreprises et les petites entreprises sont dans une impasse. Nous devons nous occuper d'un grand nombre d'entreprises, de dossiers et de personnes, mais nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour cela, bien que les petites entreprises versent autant que les grandes. La mutualisation doit être redynamisée afin que nous puissions accompagner ces petites entreprises.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je m'interroge sur les réformes éventuelles du système de financement. Certains de vos collègues auditionnés ont évoqué ce sujet. Ainsi, le président de la Fédération française du bâtiment avait souligné, lors de son audition devant la mission, qu'il fallait revoir les financements des centres de formation des apprentis et des sections d'apprentissage afin d'exploiter pleinement le potentiel de participation des entreprises à travers la taxe d'apprentissage. Le concept d'entreprise formatrice qui s'est développé a-t-il un sens ? Dans le secteur d'apprentissage, il me semble que ce concept n'est pas justifié mais qu'il résulte davantage d'une frustration vis-à-vis des résultats de l'éducation nationale.

M. André Cottenceau - Le concept d'entreprise formatrice illustre la responsabilité de la formation en entreprise partagée avec un centre de formation.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Vous avez évoquez l'importante VAE, avez-vous des améliorations supplémentaires à suggérer ?

M. André Cottenceau - La VAE nous pose problème ; parce que les méthodes de validation ne sont pas adaptées aux métiers du bâtiment. Il semble plus aisé de valider sous la forme d'un rapport rédigé que de déléguer un examinateur sur le terrain pour contrôler les compétences du travailleur. Nous envisageons de proposer un nouveau système de VAE à la fois efficace et raisonnable en coût. En France, vous n'êtes reconnus que si vous avez un titre ou un diplôme. Ainsi, si dans mon entreprise, un employé faisait preuve de capacités extraordinaires dans le bâtiment, il ne recevrait aucune reconnaissance jusqu'à maintenant. La VAE à cet égard semble donc intéressante. Dans ces circonstances, la vérification des acquis de l'expérience professionnelle représente une lourde tâche. Nous faisons face à une difficulté difficilement surmontable. Nous avons toutefois constaté les bienfaits de la procédure de VAE dans le secteur du bâtiment. En réalité, celle-ci existe naturellement dans notre secteur dans la mesure où il est possible de devenir chef d'entreprise. A côté du compagnonnage et de l'ensemble du métier, le chef d'entreprise prouve son rôle économique. Il bénéficie de reconnaissance et dirige des salariés. Cette promotion correspond depuis longtemps à une certaine forme de VAE non reconnue par un diplôme. L'artisanat reste l'un des rares secteurs qui permette d'évoluer comme chef d'entreprise ou de représentant d'ensemble du secteur. Je suis tailleur de pierre de métier. Après un parcours personnel, j'ai rejoint l'entreprise paternelle. Je suis aujourd'hui chef d'entreprise de neuf salariés, dont ma femme qui s'occupe du secrétariat, trois jeunes en apprentissage de niveau BP et deux contrats de professionnalisation. Je n'ai aucun mérite. J'ai fait ce que je pouvais faire. J'ai trouvé des outils et j'ai trouvé la CAPEB. Je me forme en dehors de mon entreprise. L'individualisation de la formation a souvent été reconnue comme un point positif. Or, déjeuner et échanger sur d'autres choses au moment des pauses avec douze ou quinze collègues apporte une certaine richesse.

En rejoignant le secteur du bâtiment, je me suis réjoui de l'existence d'une taxe pour l'apprentissage ! En observant son fonctionnement, j'ai douté de son efficacité. Quand une entreprise artisanale accueille un apprenti, l'apprentissage est important, mais le plus important est l'apprenti lui-même. Peut-être faudrait-il augmenter à nouveau la taxe d'apprentissage ! La réorienter dans un sens dont nous ne sommes pas certains. Ce sujet ne me préoccupe pas outre mesure pour le moment.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je vous remercie au nom du président, qui a dû s'absenter.

Mme Marie-Dominique Pinson - Si vous souhaitez sentir réellement ce que pensent les 500 délégués sur le terrain, le dossier contient une feuille présentant la résolution qui a été votée en assemblée générale il y a un mois. Il s'agit d'un document concret qui pourra vous informer sur le travail de base.

Audition de MM. Rémi BAILHACHE, président de la Chambre d'agriculture de la Manche, membre du bureau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), et Marc JEANLIN, chargé de la formation et du développement des compétences à l'APCA (16 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Merci d'avoir accepté notre invitation. Je vous cède la parole.

M. Rémi Bailhache, - En tant que président de la Chambre d'agriculture de la Manche, je travaille régulièrement avec votre collègue Jean-François Legrand, mon président de conseil général et sénateur. Depuis les dernières élections, je m'occupe plus spécifiquement de la formation à l'Assemblée permanente des chambres de l'agriculture. Je suis membre du bureau de cette assemblée, et je participe à la commission « recherche, développement et formation ». En effet, la règle générale et quasi permanente veut que dans les chambres de l'agriculture, la recherche et le développement soient toujours associés à la formation.

Je vais tenter de vous montrer comment les chambres d'agriculture s'impliquent dans le processus de formation du point de vue des salariés ou des chefs d'entreprise. Contrairement à ce qui se passe dans les chambres de commerce ou les chambres de métier, les chambres d'agriculture n'interfèrent que faiblement et ne s'impliquent que de manière minimale dans la formation initiale. Seules quatre ou cinq chambres s'impliquent davantage dans la formation au travers de l'apprentissage. Les chambres d'agriculture jouent toutefois un rôle à l'échelle nationale, au travers de l'école supérieure d'ingénieurs en agriculture (ESITPA), école consulaire de l'APCA localisée à Rouen. Je suis président délégué de cette école et chargé d'animer et coordonner son action. Elle regroupe aujourd'hui 450 élèves ingénieurs, mais nous sommes en train de construire une nouvelle école, qui formera 600 élèves ingénieurs. 120 élèves sont diplômés chaque année. Tous sont en formation initiale. Les chambres d'agriculture s'investissent dans la formation initiale dans ce cadre limité. Néanmoins, la plupart d'entre elles s'investissent dans la formation continue en mettant en oeuvre des stages de formation.

M. Jean-Claude Carle, président - De nombreux établissements agricoles sont dirigés par des professionnels. Êtes-vous impliqués dans les lycées agricoles ?

M. Rémi Bailhache - Nous sommes en effet impliqués, par l'intermédiaire de nos responsables professionnels. Cependant, contrairement aux chambres de commerce et de l'industrie (CCI), nous ne mettons pas directement en oeuvre la formation initiale. En revanche, nous contribuons au développement d'établissements tels que les lycées agricoles ou les maisons familiales. Ces structures dispensent des formations, et nos responsables professionnels y occupent souvent la fonction de président. En tant que président d'un lycée agricole, le pouvoir d'orientation et de mise en oeuvre est faible, mais le pouvoir de représentation, de mise en oeuvre politique et de travail, non sur les contrats, mais sur l'image et les projets préparés dans l'établissement en marge de la formation, est réel. Ce rôle nous offre une grande possibilité d'intervention. Nos responsables professionnels jouent par conséquent un rôle extrêmement important dans les organismes de formation qui se chargent soit des agriculteurs soit des jeunes s'orientant dans les autres métiers de l'agriculture.

Les chambres d'agriculture s'investissent davantage dans la formation continue. Elles participent notamment au fonds d'assurance formation VIVEA. Elles s'impliquent également dans la formation continue des salariés d'exploitation à travers le fonds national d'assurance formation des salariés des exploitations et entreprises agricoles (FAFSEA). Le FAFSEA est un système particulier dans lequel les chambres d'agriculture ne représentent pas les employeurs. Le syndicat des employeurs, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), est chargé de ce rôle. Toutefois, nous sommes réalisateurs de formations pour le compte et en collaboration avec le FAFSEA, ainsi que les partenaires sociaux qui organisent les formations pour leurs ressortissants. Les services de formation de près de vingt-cinq chambres d'agricultures sont certifiés. Chaque chambre d'agriculture possède un service formation plus ou moins important qui dispense ou construit pour d'autres des programmes de formation. L'APCA participe activement à la gestion et au fonctionnement de VIVEA. A l'échelle départementale, nous nous investissons souvent en tant que présidents des comités départementaux et régionaux VIVEA. VIVEA a remplacé le fonds d'assurance formation des exploitants agricoles (FAFEA) il y a quelques années. Au contraire dans le FAFSEA, nous ne sommes pas partie prenante directement parce que nous ne représentons pas les employeurs.

Pour financer la formation des chefs d'exploitation, ceux-ci paient tous à VIVEA une cotisation d'un montant moyen de 19 euros annuels. Cumulée à l'échelle nationale, cette somme offre un potentiel de 25 millions d'euros. Il existe également des possibilités de cofinancement par les fonds européens ou par les conseils régionaux. Nos formations bénéficient donc souvent d'un cofinancement dans le cadre régional ou européen. Le fonds de formation des exploitants fait face actuellement à un problème relatif à la diminution du nombre de cotisants. Il y a une dizaine de jours, lors d'une réunion du conseil d'administration auquel je participais pour la première fois en tant que nouveau responsable, nous avons été obligés de constater la diminution des recettes dédiées à la formation en raison de cette évolution démographique. Un travail de recherche de solutions articulant des recettes nouvelles, une meilleure utilisation de l'outil et une meilleure rationalité permettant des économies de fonctionnement, s'impose. Nous devons en outre essayer de mobiliser des ressources supplémentaires pour assurer la pérennité de ce fonds de formation.

Dans le milieu agricole, nous agissons en faveur des chefs d'exploitation. Depuis 1972, nous faisons preuve d'une réelle volonté d'avoir des chefs d'exploitation formés. Nous exigeons d'eux un niveau de formation correspondant au minimum au baccalauréat ou au niveau de technicien. Un tel niveau permet aux jeunes agriculteurs de s'installer. Une minorité de jeunes agriculteurs n'a pas acquis ce niveau de formation initialement. Elle peut alors l'acquérir au cours d'une formation continue. Nous souhaitons poursuivre cet effort. En effet, les chefs d'exploitation formés font preuve d'une plus grande capacité à appréhender les questions nationales voire internationales de marché. La formation nous semble constituer un axe essentiel de notre action. Comme l'évoquait mon introduction, la formation initiale en tant que telle ne constitue pas une mission prioritaire ni une volonté des chambres d'agriculture. Toutefois, nous nous y investissons parce qu'elle entre en relation avec les aspects de développement et de recherche. Les formations continues permettent de compléter, d'accompagner, de mettre en oeuvre des démarches et des réflexions de la part des agriculteurs sur leurs exploitations, en tenant compte des orientations politiques définies dans le cadre du développement. Le développement se définit à l'échelle départementale dans les comités de développement départementaux. A l'échelle de la région et de la nation, le développement s'effectue à travers des actions cofinancées par le fonds d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural (CASDAR) et mises en oeuvre dans des programmes régionaux de notre réseau.

Les exploitations agricoles sont très souvent classées dans la catégorie des très petites entreprises dans la mesure où elles emploient, dans la majorité des cas, moins de dix salariés. Seules les productions viticoles ou de fruits et légumes utilisent parfois plus de dix salariés et font exception. L'agriculture reste généralement constituée de très petites entreprises. Dans ces fonctions et ces exploitations qui nécessitent une main-d'oeuvre temporaire et saisonnière, nous sommes employeurs dans le cadre de contrats à durée déterminée (CDD). La cotisation du FAFSEA est essentielle pour ces exploitations employant des salariés temporairement et répartis sur des périodes parfois difficiles à appréhender.

M. Jean-Claude Carle, président - Quel est le niveau minium requis pour l'installation d'un jeune ?

M. Rémi Bailhache - Le baccalauréat professionnel agricole est le diplôme minimum requis si le jeune qui s'installe veut pouvoir bénéficier d'aides nationales dans sa démarche. Dans certaines circonstances, des aides régionales et départementales sont toutefois accordées à des agriculteurs s'installant avec une formation inférieure au Bac. Il faut également justifier d'une expérience acquise au cours d'un stage d'une durée de six mois.

M. Marc Jeanlin - Actuellement, 90 % des jeunes bénéficiant des aides justifient d'un niveau minimum de baccalauréat professionnel, ou pour les adultes du brevet professionnel responsable d'exploitation agricole (BPREA) qui leur offre le même niveau.

M. Jean-Claude Carle, président - Quels sont les débouchés dans les secteurs de l'agriculture et de l'agro-alimentaire ? Rencontrez-vous toujours des difficultés pour assurer le remplacement des gens qui quittent la profession ? Cela dépend-il des filières, de la situation géographique ?

M. Rémi Bailhache - Le remplacement des chefs d'exploitation pose effectivement problème. Les chefs d'exploitation ne sont pas toujours remplacés dans leurs exploitations, mais celles-ci peuvent parfois servir à installer des jeunes agriculteurs situés à proximité. Il est parfois possible de conforter ou de créer une nouvelle exploitation sous la direction de deux chefs d'exploitation, dans un cadre d'agriculture sociétaire. Nous avons aujourd'hui des difficultés pour proposer aux jeunes des exploitations d'une dimension économiquement suffisante et intéressante. Je perçois actuellement le problème avec la situation de mon fils qui essaie de s'installer. Il existe des exploitations à reprendre. Cependant, celles-ci ne disposent pas beaucoup de droits à produire ou sont excessivement chères. D'une façon schématique, le jeune agriculteur doit choisir entre la pauvreté, ou une seconde pauvreté suivant une longue période de forte capitalisation durant sa carrière. Il est aujourd'hui moins difficile de trouver de jeunes agriculteurs pour reprendre les exploitations qui se libèrent. En effet, celles-ci sont professionnelles. Leur faisabilité et leur rentabilité économiques sont différentes et se rapprochent des attentes du jeune agriculteur au sujet de son futur métier. Dans les chambres d'agriculture, nous travaillons sur la perception et sur l'image du métier d'agriculteur, afin que les jeunes issus des écoles d'ingénieurs ou des lycées agricoles s'engagent dans un métier dont les perspectives de qualité de vie équivalent celles des autres catégories socioprofessionnelles. Nous savons pertinemment que la perspective des trente-cinq heures n'est pas réaliste dans ce métier, mais il n'est pas non plus souhaitable de présenter à un jeune agriculteur un projet de vie dans lequel il travaillerait quatre-vingts heures par semaine. Nous faisons face sur ce point à une difficulté.

De plus en plus de jeunes issus d'autres milieux se destinent à la profession d'agriculteur. Ces jeunes n'ont pas toujours appréhendé toutes les difficultés du métier d'agriculteur. Nous intervenons à ce niveau, dans le cadre de la formation continue, pour leur faire découvrir l'ensemble du métier. Nous réformons actuellement le parcours à l'installation. Le monde agricole présente une particularité : à partir du moment où un jeune agriculteur rentre dans le circuit, il est accompagné de la naissance de l'idée à la concrétisation finale de son projet. Après la mise en place de celui-ci, il bénéficie encore d'un accompagnement des organisations professionnelles, groupements de producteurs, chambres d'agriculture, et autres organismes qui permettent d'atteindre un taux de réussite relativement important comparé aux résultats d'autres secteurs professionnels tels que l'artisanat ou le commerce, où les taux de réussite sont moins importants. Ce succès résulte de l'accompagnement permanent et du fait que l'investissement très important de départ sur l'exploitation est envisagé dans une perspective durable, de long terme, et non de moyen terme. Nous souhaiterions installer davantage de jeunes, mais cela implique de disposer des exploitations à leur offrir. Or le problème vient de la taille des exploitations qui sont soit petites et faciles à reprendre, soit grandes mais très chères. Ainsi, dans mon département, un jeune agriculteur souhaitant reprendre une exploitation suffisamment grande doit investir entre 500 000 et 800 000 euros.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette somme se rapproche des investissements nécessaires pour d'autres types d'entreprises.

M. Rémi Bailhache - Tout à fait.

M. Jean-Claude Carle, président - Les salariés ont-ils droit au DIF, et si oui, utilisent-ils leur droit au DIF ?

M. Marc Jeanlin - Oui. Toutefois, deux facteurs jouent en défaveur de l'utilisation du DIF. En premier lieu, nos niveaux de formation ne sont pas très élevés dans le secteur agricole. Or tout le monde sait que la formation va à la formation. Plus le niveau de formation d'un individu est élevé, plus il sera demandeur de formation. En second lieu, le secteur agricole emploie majoritairement dans le cadre de CDD. Les employeurs cotisent, bien que les saisonniers n'utilisent pas leur droit. Par conséquent, certaines ressources ne sont pas utilisées pour les salariés en CDD. En revanche, des mécanismes de replacement de ces fonds agissent en faveur des salariés en CDI.

M. Jean-Claude Carle, président - Les employés en CDI utilisent-ils le DIF ?

M. Marc Jeanlin - Ils ne l'utilisent pas encore beaucoup non plus.

M. Jean-Claude Carle, président - Quelles solutions pourraient pallier le fait que les salariés n'utilisent pas ce droit ? Y a-t-il d'ailleurs une réelle nécessité de formation des personnels en CDD ?

M. Rémi Bailhache - Une telle formation est nécessaire dans la mesure où l'agriculture moderne est plus administrée qu'il y a vingt ans. Nos collaborateurs et nos salariés se chargent parfois eux-mêmes de remplir, écrire, déterminer, utiliser les produits phytosanitaires. Il s'avère donc nécessaire de former ces collaborateurs en CDD ou en CDI sur un certain nombre de sujets pour lesquels nous sommes administrativement contraints à la réussite. Dans ce domaine, nous avons à mettre en oeuvre des choses intéressantes. Par la suite, il s'agit de convaincre, de permettre à chacun de s'investir. Nous devons proposer des modules de formation intéressants de façon à ce que l'employeur comme le salarié y trouvent leur compte, non d'un point de vue financier mais concernant l'intérêt de la formation. Nous devons réussir à les rendre intéressantes et attractives. La formation a sa place ; elle est nécessaire pour les employés et demandée par les employeurs. Ce sont cependant les salariés qui choisissent de suivre la formation. Un travail d'articulation serait donc le bienvenu.

M. Jean-Claude Carle, président - En matière agricole, quelle est la proportion de salariés rapportée au nombre de chefs d'exploitation ?

M. Marc Jeanlin - Le secteur purement agricole compte environ 600 000 exploitations professionnelles qui emploient en équivalent temps plein près de 200 000 salariés.

M. Bernard Seillier, rapporteur - L'APCA a-t-elle été associée aux négociations de l'accord national du 2 juin 2004 sur la formation en agriculture ? Quels étaient les autres partenaires ?

M. Marc Jeanlin - Non, pas du tout. Dans le secteur agricole, les négociations ont lieu entre les employeurs, essentiellement la FNSEA et plusieurs fédérations professionnelles spécialisées, et les organisations syndicales des salariés. Bien qu'elles suivent de loin les négociations, les chambres d'agriculture ne sont pas représentatives des employeurs. Par conséquent, elles ne participent pas aux négociations.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Votre souci vient des défauts d'une formation pour la formation. Le contenu même de la formation pose problème et appelle des réflexions purement pédagogiques sur le programme. Qui sont les véritables responsables de la formation ?

M. Rémi Bailhache - Lorsque l'on évoque les fonds de formation des agriculteurs, les véritables décideurs, non du contenu, mais des orientations de la formation, se trouvent au comité du fonds de formation avec l'APCA, la FNSEA, les jeunes agriculteurs (JA) et les autres syndicats, qui négocient dans des discussions d'orientation. A l'échelle locale, les programmes réels des formations sont définis respectivement dans chaque département. Il s'agit parfois de formations particulières, avec un même objectif mais différant légèrement d'un département à l'autre afin que la réalisation s'adapte en fonction des spécificités locales. Les chambres d'agriculture jouent alors un rôle important. Leur service formation est souvent sollicité pour élaborer des programmes de formation et, lorsque le programme de formation a été mis en place, les chambres d'agriculture en assurent la mise en oeuvre.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Y a-t-il des desiderata particuliers de la part de certains groupes d'exploitants ? Comment appréhendez-vous les arbitrages entre la filière biologique et les filières plus larges ? Des débats se développent-ils à ce sujet ?

M. Rémi Bailhache - Il y a nécessairement des débats. Le principal problème vient du fait que les formations proposées doivent répondre à une demande d'un nombre suffisant d'agriculteurs. Cependant, lorsqu'il s'agit de mettre le programme en oeuvre et de s'inscrire plus techniquement dans la formation, les difficultés apparaissent. Le secteur évoqué, le secteur biologique, crée souvent des difficultés, en particulier au moment de réaliser les stages proposés. Lorsqu'il faut passer à l'acte, s'inscrire et participer, la démarche n'est pas toujours aisée. Notre système d'organisation est à l'origine de ces difficultés. Nos exploitants se comportent avec leur individualité, chacun dans leur coin, sur leur propre formation. Au moment de proposer la formation, beaucoup d'exploitants s'y intéressent, mais lorsqu'il s'agit de participer, plus personne n'est là, parce que l'exploitation a besoin d'eux. Un problème climatique ou un autre problème peuvent nécessiter leur intervention et les empêcher de participer. Cette difficulté de gestion dans nos départements affecte moins les salariés d'exploitation. En effet, une fois la décision du stage prise, l'employeur doit s'arranger pour faire remplacer le salarié par un autre travailleur. Au contraire, la situation du chef d'exploitation rend la mise en oeuvre plus difficile. C'est lui qui décide et il arrive qu'au dernier moment, il ait besoin de son employé.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Les formations sont-elles lourdes ?

M. Marc Jeanlin - Non. Les formations sont courtes. Elles durent en moyenne deux jours et se répartissent en général sur des journées séparées afin de permettre aux agriculteurs de rentrer chez eux le soir pour apporter des soins aux animaux. Malgré cette organisation en périodes de courte durée et réparties en deux fois, un fort taux d'annulation persiste dans notre secteur et atteint près de 35 % en moyenne annuelle, avec de grands écarts entre les départements. Il est nécessaire que nous travaillions davantage sur ce problème. En effet, une formation qui n'a pas lieu représente pourtant un investissement coûteux, à la fois pour l'organisme qui a prévu la formation et pour l'instruction des dossiers, opérée par VIVEA, dans la mesure où toute une procédure de suivi des dossiers est mise en place pour garantir le bon déroulement de la formation et de ces résultats.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Les opérateurs de la formation sont-ils toujours bien identifiés ? Sont-ils toujours les mêmes ?

M. Marc Jeanlin - Près de 2 000 opérateurs de formation sont recensés pour VIVEA dans le secteur agricole. Parmi ces 2 000 opérateurs, les chambres d'agriculture réalisent 55 % des actions de formation. Les chambres bénéficient par conséquent d'une force d'impact très importante, mais à leur côté, une multitude de petits organismes réalisent également des actions de formation.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Ces opérateurs incluent-ils les Centres de formation pour adultes (CFPPA) ?

M. Marc Jeanlin - Les chambres sont les premiers opérateurs pour le perfectionnement tandis que les CFPPA ne réalisent qu'à peine 10 % de l'offre de formation de VIVEA et s'impliquent surtout dans les actions de formation de longue durée, qualifiante. Notre métier consiste à dispenser du perfectionnement de courte durée, en lien avec les actions de conseil, de formation, ce qui nécessite une très forte liaison entre nous.

M. Jean-Claude Carle, président - Les lycées agricoles ne pourraient-ils pas contribuer au perfectionnement ? Ne pourraient-ils pas apporter ces compléments de formation ?

M. Rémi Bailhache - Les lycées agricoles pourraient peut-être jouer ce rôle, mais cela nécessite l'intégration d'équipes de formation dans des créneaux possibles tout en respectant les engagements de formation initiale des lycées.

M. Marc Jeanlin - Un plus fort investissement des lycées et des centres de formation privés pourrait être souhaitable. Malheureusement, leur mode de fonctionnement n'est pas nécessairement approprié pour dispenser de la formation de courte durée. Une telle formation exige de la souplesse. Or un établissement de formation initiale a des programmes à appliquer et des enseignants titulaires de statuts. Par conséquent, il est moins facile de mobiliser des personnels pour leur faire dispenser des formations deux jours par semaine dans ce cadre-là. Cette difficulté ne paraît pas évidente à surmonter.

M. Rémi Bailhache - Les CFPPA s'investissent souvent à l'échelle départementale et proposent des stages préparatoires à l'installation d'une durée de quarante heures ou de soixante heures. Ces stages de plus longue durée sont programmés et organisés sur plusieurs journées par semaine suivant une forme invariable. Au contraire, la formation de courte durée est plus difficile à mettre en oeuvre.

M. Marc Jeanlin - Nos programmes de formation-perfectionnement se renouvellent presque totalement chaque année et sont élaborés au fur et à mesure, dans le but de répondre de façon optimale aux besoins des agriculteurs et des groupes d'agriculteurs exprimant une demande spécifique au sujet de certaines thématiques.

M. Rémi Bailhache - Le terme de groupe d'agriculteurs désigne à la fois les agriculteurs qui réfléchissent sur les thématiques de développement et émettent des demandes spécifiques et les acteurs présents directement sur le terrain qui s'occupent de développement et se chargent de la mise en oeuvre des programmes. Ces derniers sollicitent les chambres d'agriculture ou organisent eux-mêmes leurs formations et les suggèrent aux comités départementaux qui les valident. Cette dichotomie des groupes entraîne la multiplication du nombre d'opérateurs dans le système de formation tel qu'il est organisé aujourd'hui.

M. Jean-Claude Carle, président - Je suis conscient des difficultés que poserait la mise en place de formations dans les lycées agricoles. Ceux-ci ont d'autres engagements, de formation initiale en particulier. Néanmoins, j'imagine qu'il serait possible de mutualiser et d'utiliser au mieux les équipements, comme s'il s'agissait d'investissements. Cela pourrait commencer par la mise à disposition de salles ou l'intervention d'un enseignant. Ce type de mutualisation existe déjà mais concerne plus généralement les lycées présidés par un professionnel. L'éducation nationale ne contribue pas encore à ce genre de démarche et je pense que certaines mesures pourraient être prises pour faire avancer les choses.

M. Rémi Bailhache - Il est toujours possible de faire mieux et d'optimiser l'utilisation des moyens et des investissements. La mise en commun de matériel et les partenariats sur la construction de formations permettraient de mieux réussir et de réduire les risques d'inflation dans la mesure où nous utiliserions mieux les financements.

M. Marc Jeanlin - Nos formations sont en général des formations sans mur. Nous utilisons les structures existantes, les salles de lycées ou d'autres institutions telles que les antennes décentralisées de chambres ou les mairies. Autrefois, il nous arrivait de nous retrouver dans les arrière-salles de cafés, mais cela se fait peut-être moins maintenant. Très peu de chambres ont matérialisé leurs centres de formation dans des bâtiments en dur. Il n'en existe pas plus d'une dizaine sur l'ensemble du territoire français. Sur ce point-là, nous n'avons pas du tout la même orientation que nos collègues des chambres de métier et de commerce.

M. Bernard Seillier, rapporteur - La mutualité sociale agricole (MSA) propose de son côté des formations pour prévenir les risques d'accident liés à l'utilisation et à la conduite d'engins dangereux.

M. Rémi Bailhache - Tous les organismes d'assurance, comme Groupama ou MSA, proposent des formations autour de la prévention. Leur organisation n'est pas toujours facile non plus parce qu'elle s'inscrit dans un cadre spécifique. Il faudrait pouvoir dispenser de la prévention en réunissant dans un même stage de formation salariés et chefs d'exploitation, bien qu'ils dépendent de deux fonds de formation différents. Une telle démarche serait complexe mais plus performante, en particulier dans le cadre de la décentralisation et de la localisation qui nous fait pour l'instant défaut. En effet, le principal problème de nos formations vient du fait qu'il est nécessaire pour assister à la formation de se déplacer dans le chef-lieu du département ou de rejoindre un bout ou l'autre du département. La décentralisation des formations permettrait d'être plus opérationnels.

M. Marc Jeanlin - La MSA organise également des propositions pour introduire davantage de prévention dans les programmes de formation initiale. Elle participe actuellement à la rénovation des référentiels du baccalauréat professionnel responsable de formation agricole pour y introduire tout un travail de prévention. En outre, nous prévoyons de développer davantage ces thèmes-là dans les formations que les maîtres de stages exploiteront auprès des stagiaires ou des apprentis.

M. Jean-Claude Carle, président - Êtes-vous suffisamment associés à l'élaboration des programmes d'enseignement agricole ? Les départements et les régions vous y associent-ils ?

M. Rémi Bailhache - Cela dépend des endroits. Si nous avons des chambres d'agriculture présentes et qui s'investissent, notre action a nécessairement un impact dans la mesure où nous sommes reconnus comme opérateurs. Comme nous sommes connus, nous sommes sollicités. Le problème est alors de trouver des responsables prêts à s'investir eux-mêmes sur ce sujet qui ne leur semble pas toujours passionnant. En fonction du responsable qui se charge de cette mission, le résultat sera plus ou moins opérationnel. Nous restons toujours techniquement associés mais avec plus ou moins de bonne volonté.

M. Marc Jeanlin - Nous avons à la fois les programmes régionaux de développement des formations professionnelles (PRDF) qui concernent les établissements d'enseignement agricole, et un schéma prévisionnel national de l'enseignement agricole qui est décliné ensuite dans des projets régionaux de l'enseignement agricole. Nous possédons donc deux éléments de programmation qui doivent essayer d'entrer en phase conjointement, ce qui peut poser quelques problèmes d'articulation. Le système semble un peu lourd en raison de la coexistence de ces deux approches.

M. Jean-Claude Carle, président - Vos démarches restent cependant de taille humaine et très centralisées.

Vous vous plaigniez de l'insuffisance du budget. Estimez-vous que vous ne disposez pas de suffisamment de fonds ?

M. Rémi Bailhache - Cela n'est jamais assez.

M. Jean-Claude Carle, président - Bonne réponse.

M. Rémi Bailhache - C'est une réponse de Normand. Il faut être conscient que, dans nos établissements agricoles, nous risquons d'avoir à l'avenir un plus grand nombre d'étudiants formés reflétant la diversité des formations dispensées dans les lycées agricoles. Je ne suis pas mandaté par l'APCA pour porter ce message mais je tiens à souligner qu'un certain nombre de formations dispensées par les lycées agricoles, bien qu'elles soient intéressantes, ne débouchent pas sur beaucoup d'opportunités d'emplois. Ainsi, lorsque certains établissements forment des paysagistes au niveau du certificat d'aptitude professionnelle (CAP), ils prennent un risque parce que leur formation est en concurrence avec celle dispensée dans d'autres établissements. Les jeunes choisissent cette formation pour sa dénomination « glamour ». Malheureusement, l'obtention de leur diplôme n'aboutit pas à l'obtention d'un emploi. Bien sûr, il est mieux que ces jeunes se forment plutôt que d'errer dans la rue à ne rien faire. Le résultat n'en est pas pour autant satisfaisant, dans la mesure où le projet pour le jeune n'aboutit pas. Faut-il que le lycée agricole existe pour exister, ou qu'il existe dans l'objectif de former des jeunes qui s'engageront par la suite dans un métier dans le secteur de l'agriculture ? Cette question concernant l'essence des lycées agricoles est déterminante. Ces établissements, dans le milieu rural, incarnent un véritable pôle dans lequel l'ensemble des ruraux peut se former. Notre enseignement public et privé agricole et les maisons familiales assurent une autre mission que celle demandée à l'enseignement public généraliste. Nous continuons à nous interroger sur le bien-fondé de cette séparation des formations, tout en estimant que notre travail reste utile socialement même si on ne peut pas toujours assurer un métier à tous ces jeunes.

M. Jean-Claude Carle, président - Il ne faut pas faire la même erreur que le grand frère ou la grande soeur et choisir un métier sans débouchés.

Que pensez-vous de la filière équestre ?

M. Rémi Bailhache - Cette filière a de l'avenir même si elle n'est pas encore très développée. En Normandie, le cheval de trot, de galop ou de sport est un peu présent. Toutefois, un déficit de structures spécifiques pour former une quantité nécessaire de jeunes aux métiers de cette filière persiste. Des efforts de formation sont nécessaires parce qu'il s'agit d'un secteur qui propose des débouchés. Ce secteur présente un aspect de production lorsqu'il est confronté aux problématiques d'utilisation du territoire. Il prend une dimension économique si l'on s'intéresse à la valorisation par la compétition. Le cheval incarne également une idée particulière du tourisme et du loisir. Ces éléments incitent à former des jeunes capables de conduire et mettre en oeuvre des productions et des services autour du cheval.

M. Jean-Claude Carle, président - A l'inverse, ces filières très attractives n'ont-elles pas atteint un seuil dans certains secteurs ? Cette problématique se retrouve dans tous les métiers. Les filières les plus porteuses des lycées professionnels manquent d'élèves alors que les moins porteuses en ont trop. De la même façon, dans les lycées agricoles, les filières porteuses d'emplois sont celles qui ont le plus de difficultés à se remplir, alors que celles qui connaissent un déficit de débouchés sont trop pleines, comme celle de paysagiste. J'ai pu le constater lors d'une journée « portes ouvertes » dans un lycée de mon secteur. A une même table étaient diffusées des informations sur la filière des métiers paysagers et sur la filière de production. Toute la matinée, les visiteurs se sont portés sur la présentation de la filière paysagiste et très peu s'intéressaient la filière production.

M. Rémi Bailhache - Il s'agit d'un problème de fond. Comme on peut le voir dans les écoles privées ou publiques qui forment des ingénieurs dans le secteur de l'agriculture, il est de plus en plus difficile de recruter des jeunes compétents et capables de poursuivre leurs études jusqu'au bout dans les métiers liés à la production et à la technique. Comme sont dévalorisés les métiers manuels du bâtiment, les métiers liés à la production et à la technique ont une mauvaise image. Les enfants de sept à dix ans ont cette impression négative, et au moment de choisir leur orientation, privilégient des métiers qui leur paraissent plus nobles.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Quels sont les débouchés de l'école d'ingénieurs que vous pilotez ?

M. Rémi Bailhache - 20 % des étudiants que nous formons s'orientent dans les métiers de l'agriculture et de la production. Les autres, 80 %, se dirigent vers les métiers parallèles à l'agriculture. La banque et l'assurance sont deux grands pourvoyeurs d'embauches. Cela semble logique puisque ces services disposent de moyens. 30 % de nos élèves choisissent ces secteurs. Les 50 % restant travaillent dans l'agro-alimentaire. Quelquefois, certains ingénieurs issus de notre école effectuent un parcours atypique. Agro-alimentaire, service et production restent néanmoins les débouchés habituels. Nous avons cependant décidé d'investir dans la reconstruction des bâtiments de l'école située à Val-de-Reuil. Cette ville, située dans la banlieue de Rouen, est une ville nouvelle des années soixante-dix. Elle aurait dû être grande et belle et accueillir 100 000 habitants. En réalité, elle n'en compte que 10 000, réunissant plus d'une cinquantaine de nationalités. La gare se situe dans un champ de betteraves. Un tel environnement n'attire pas les jeunes. Nous avons donc décidé d'investir dans le centre de Rouen et de nous rapprocher de toutes les facultés de la ville. L'investissement s'élèvera à 23 millions d'euros.

Audition de Mme Monique BENAILY, présidente du Groupement des acteurs et responsables de formation (GARF) (16 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Merci d'avoir accepté notre invitation. Je vous cède la parole.

Mme Monique Benaily - Malgré ses cinquante ans d'existence, notre association, le groupement des acteurs et responsables de formation, n'est pas connue. Depuis plusieurs années, elle a pu promouvoir le professionnalisme nécessaire aux responsables de formations, et a favorisé, au sein de groupes de travail, l'échange sur des métiers, des pratiques, et des problématiques touchant leurs professions. Le GARF regroupe près de 800 professionnels représentant 600 entreprises. Parmi ces 800 adhérents, 80 % sont des directeurs et responsables de formation. Ils sont répartis en une trentaine de groupes de travail dispersés sur tout le territoire français. Ils se retrouvent régulièrement et s'organisent, dans chaque groupe, suivant une hiérarchie traditionnelle avec à leur tête un président. Ils peuvent ensuite éventuellement s'entourer d'autres acteurs qui favorisent leur bon fonctionnement. Le GARF est également l'un des membres fondateurs de la fédération européenne pour la formation et le développement (ETDF), qui a vocation à promouvoir les initiatives en faveur de la formation et du développement et aide les différents acteurs en Europe, pour qu'ils puissent évoluer le mieux possible dans leur action. J'interviens aujourd'hui en tant que présidente du GARF. Je vous présenterai des témoignages de membres responsables formation, adhérents du GARF. L'objectif n'est pas d'être représentatif de l'ensemble de la profession, mais j'essaierai de vous offrir une vision la plus ouverte possible de ce que les responsables de la formation adhérents du GARF m'ont dit.

En premier lieu, il convient d'évoquer la réforme sous l'angle du sens. Il est légitime de se demander si les acteurs sur le terrain ont bien compris le sens de cette réforme. De nombreux responsables de la formation professionnelle estiment que cette dernière constitue un moyen au service du développement des compétences des salariés et de la performance de l'entreprise. Certains peinent encore à comprendre le sens de cette réforme dans leur contexte quotidien. Bien qu'ils aient compris que la nouvelle loi définissait la formation comme un moyen de développer les compétences professionnelles au service de l'emploi, ils ne perçoivent pas la matérialisation pratique de cette conception. Les systèmes de formation restent encore très souvent centrés sur les enjeux ressources humaines (RH) traditionnels, tels que l'accompagnement des changements intervenant au sein de l'entreprise ou sur les marchés, ou la capacité à répondre aux aspirations individuelles de développement des collaborateurs. Les nouvelles finalités de formation, incluant une meilleure maîtrise de l'orientation professionnelle notamment dans les cas d'anticipation de rupture, ou le maintien en activité professionnelle, dans le cas de renouvellement des capacités des seniors voulant prolonger leur activité professionnelle, représentent pour beaucoup d'entre eux des finalités nouvelles ou, au moins, particulières. En outre, de nombreuses entreprises dissocient dans leur organisation et dans la fonction RH même, la prise en compte des problématiques de compétences et des problématiques de l'emploi. Par conséquent, les responsables formation ne sont pas tous des responsables emploi-compétences. Une citation de Pierre Caspar datant de 1996 me permettra d'achever ce premier constat : « Les problèmes posés à la formation sont de moins en moins des problèmes de formation. » Il s'inquiétait sur les attentes trop ambitieuses que tout le monde concevait concernant la formation professionnelle. Deux ans après le début de la mise en oeuvre de la loi du 4 mai 2004, les responsables de formation partagent ce sentiment et, sans rejeter les nouvelles finalités proposées, s'interrogent sur la capacité des systèmes de formation à relever les défis sociaux, pédagogiques et administratifs que requiert la mise en oeuvre de la loi sur la formation tout au long de la vie. Cette réflexion est une réflexion globale sur la possibilité de traduire dans la pratique et de façon opérationnelle, les nouvelles finalités.

Une réflexion sur les conditions permettant aux responsables formation de bénéficier le plus possible de la réforme enrichirait le débat. Une première analyse s'intéresse à la façon dont les responsables de la formation ont utilisé des démarches et des outils favorables à la concertation et à la coresponsabilité au sein de l'entreprise. Ces démarches et ces outils permettent de meilleurs résultats de la réforme. Ils insistent sur l'importance de la communication de l'esprit de la réforme au sein de l'entreprise. Les changements visibles ne sont donc pas les seuls points importants à mettre en avant. Ainsi, le DIF a engendré tant de discours qu'il est devenu un écran de fumée, empêchant de saisir les finalités précises du projet. Cette communication doit insister sur la codécision, afin de responsabiliser les salariés dans leurs choix même s'ils ne sont pas demandeurs de cette démarche. Pour l'instant, il n'y a pas de bouleversement entraînant les salariés à s'engager de façon active dans une démarche de formation. Il est donc important que le salarié devienne acteur de sa propre formation. Les nouveaux dispositifs, tel que le DIF, introduisent un cadre favorable à cette finalité. Ils ne représentent qu'un premier pas. Il demeure impossible pour le moment de parler de « salarié acteur ». Néanmoins, le DIF crée les conditions relationnelles nécessaires à l'engagement du salarié dans une démarche personnelle de formation. L'entretien professionnel est alors valorisé par les responsables de formation. Ceux-ci considèrent que cet outil offre l'opportunité de réfléchir à l'évolution professionnelle, dans le cadre de la relation managériale et dans l'intérêt partagé de l'entreprise et du salarié, en dehors de toute volonté de l'établissement.

Un second élément permettrait aux responsables de formation de tirer un bénéfice maximum de la réforme. Ils estiment en effet pouvoir jouer le rôle d'interface dans le cadre réglementaire et dans l'esprit de la loi. En effet, la réforme répond à des enjeux de l'entreprise, dans l'intérêt de l'entreprise. Ces acteurs doivent parfaitement maîtriser les différentes dispositions contenues dans la loi et les accords de branche, afin de pouvoir fixer les règles du jeu de la mise en oeuvre de la réforme au sein des entreprises. Cette bonne connaissance des dispositions contenues dans la loi et des accords de branche permet également une intégration des mises en oeuvre de la réforme dans le cadre élargi de la gestion des compétences dans l'entreprise. Certains nous ont signalé qu'à l'occasion de la mise en oeuvre d'une réforme concomitante, une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences a parfois été amorcée, requérant des liens plus forts entre emploi et formation.

Un troisième point permettrait aux responsables de mettre en oeuvre au mieux la réforme. Ils ont créé des partenariats qu'ils considèrent eux-mêmes comme réciproquement avantageux. Ces partenariats concernent d'une part les entreprises et les OPCA, d'autre part les instances représentatives du personnel et de la direction et, enfin, les managers et les collaborateurs. Les responsables formation souhaitent en effet développer une relation partenariale avec leur OPCA. Ils insistent sur le fait que, dans les PME et les PMI, l'OPCA joue le rôle d'un acteur ressource de premier plan. La réforme a permis de renouer un dialogue social entre les partenaires sociaux, alors que celui-ci avait été rompu sur d'autres sujets.

Enfin, les responsables formation considèrent que la loi a permis d'accélérer la mise en place d'une nouvelle approche centrée sur le recueil d'informations relatives aux besoins de formation, en responsabilisant les managers dans l'aide au développement de leurs collaborateurs. Ceux-ci deviennent alors plus acteurs de l'élaboration et de la conduite de leur projet professionnel.

Je souhaiterais néanmoins ouvrir une parenthèse au sujet de la circulaire relative à la définition de l'action de formation et au critère d'imputabilité. Les différents responsables de formation ont tous approuvé l'intégration explicite de la notion de « parcours individualisé » dans la circulaire. Cette démarche devrait redynamiser les pratiques d'ingénierie de formation et d'organisation de parcours. Celles-ci peuvent être construites dans une perspective personnelle, qu'il s'agisse de procédures préliminaires, comme par exemple l'analyse des besoins, ou qu'il s'agisse de procédures consécutives à l'apprentissage, comme par exemple l'évaluation-suivi ou la validation des acquis de l'expérience. Ces acteurs considèrent que la réforme leur permettra d'orienter davantage le processus vers la mise en oeuvre de cursus individuels et collectifs. Ils regrettent néanmoins que la circulaire propose une définition trop étroite de la notion d'action de formation, en ce qui concerne le caractère nécessairement pédagogique comme sur les mesures relatives à l'apprentissage sur poste.

Si l'on s'intéresse à l'impact du dispositif sur les politiques, la réforme a eu un impact sur les offres de formation. Elle a donné l'occasion aux entreprises de réorganiser cette offre et de penser l'articulation des différents dispositifs de formation afin de la positionner comme un levier au service de la politique de gestion des compétences dans l'entreprise. Elle a permis d'articuler le DIF avec des méthodes de professionnalisation. Les entreprises souhaitent développer le tutorat en accompagnement d'une formation, ou pour dépasser les difficultés d'un apprentissage. La réforme a réellement créé une opportunité de repenser l'offre de formation et de l'articuler à la gestion des compétences de l'entreprise.

Malgré les difficultés auxquelles les responsables de formation ont été parfois confrontés avec la mise en oeuvre de cette nouvelle loi, celle-ci les tire vers le haut. La réforme a néanmoins donné la possibilité à ces acteurs de prendre une place plus stratégique dans la fonction RH, en contribuant à une meilleure gestion des emplois et des compétences, et en utilisant au mieux les financements de la formation. La réforme a été l'occasion de mettre en place des indicateurs permettant d'apprécier la qualité de l'ingénierie financière.

Dans certains cas, la loi de 2004 a permis de faire évoluer l'organisation de la fonction RH dans les entreprises en répartissant différemment les rôles et les responsabilités. La réforme a incité les entreprises à revoir leur organisation, et, par conséquent, le processus de mise en oeuvre du développement des compétences ainsi que le rôle des acteurs qui en sont responsables. Ainsi, les entreprises se sont demandé s'il fallait confier le contrat de professionnalisation au responsable de formation ou au responsable de recrutement. Il a fallu déterminer la place des périodes de professionnalisation entre le champ du responsable de formation et celui du responsable de développement des carrières. Si les changements n'apparaissent pas clairement, cette réforme a, a minima, favorisé de plus grandes interactions entre les différents services RH des entreprises.

Les responsables de formation se montrent généralement très prolixes au sujet du rôle des OPCA. Lorsqu'ils émettent une appréciation positive sur le rôle des OPCA, ils jugent principalement le rôle de conseil et d'appui de ceux-ci aux dispositifs de formation et aux supports juridique. Ils font également un lien entre l'efficacité de l'action des OPCA et l'importance des fonds qu'ils gèrent. Ils positionnent cet organisme comme un partenaire de premier plan dans leur activité. En revanche, paradoxalement, les critiques s'expriment en écho aux aspects positifs évoqués précédemment. Les OPCA ne jouent pas toujours leur rôle de conseil. Ainsi, ils assument insuffisamment cette fonction face aux PME et aux TPE qui en ont pourtant le plus besoin. Bien que ce constat paraisse un peu précoce, il est possible d'en déduire une forte hétérogénéité d'organisation de ces organismes, tant en ce qui concerne leurs moyens que l'exercice de leur mission. Les responsables de formation reprochent aux OPCA des lourdeurs administratives ainsi qu'une opacité dans leur fonctionnement et dans leurs processus de décision. Ils s'interrogent sur l'intérêt de maintenir des situations différentes pour les différents types d'OPCA, interprofessionnels ou de branche. Ils se prononcent plutôt en faveur du maintien des OPCA branche, dans la mesure où les réformes accordent une place importante aux branches. En conclusion, les attentes sont les suivantes : les responsables formation souhaitent des services plus proactifs en matière de conseil aux entreprises, en faveur des projets de celles-ci. Ils recommandent également des relations client-fournisseur plus simples afin de soulager l'entreprise des contraintes administratives.

Les perceptions des responsables formation au sujet de la problématique du salarié acteur de sa propre formation sont contrastées. Le classement suivant paraît satisfaisant. En premier lieu, les responsables formation constatent que le salarié devient réellement acteur de sa formation lorsqu'il s'inscrit dans une dynamique de projet, en décidant de suivre, par exemple, une période de professionnalisation dans laquelle il voit une opportunité de promotion sociale grâce à l'acquisition de qualifications nouvelles. Dans ce cas précis, le salarié devient réellement acteur de sa formation. A l'opposé, il peut aussi se positionner comme un simple consommateur de formation. Le DIF devient l'occasion de tester un nouveau produit. Il n'y a pas de logique de projet mais la simple consommation d'un crédit d'heures disponibles. Pour devenir véritablement acteur de sa formation, le salarié a un fort besoin d'orientation. Le bilan de compétences s'inscrit dans cette démarche d'orientation professionnelle. Mais bien qu'il puisse avoir cette fonction, il apparaît parfois trop lourd ou trop connoté « employabilité externe ». Dans tous les cas, la plupart des responsables formation insistent sur la nécessité de créer les conditions de l'engagement dans le projet de formation en apportant une plus grande guidance et une plus grande orientation au salarié.

Au début de l'instauration de la réforme, les professionnels anticipaient tous de grandes difficultés à sa mise en oeuvre et n'avaient pas fait la part des choses. Les discours récurrents des responsables de formation soulignent la complexité de la réforme et les fortes contraintes administratives qu'elles entraînent. Cette complexité touche l'ensemble des acteurs. Elle affecte les chefs de service de formation qui, pour s'approprier les dispositions élémentaires et les accords de branche, ont dû investir et doivent continuer d'investir beaucoup de temps et d'énergie, mais aussi le manager et le salarié qui doivent comprendre les enjeux qui sous-tendent les dispositifs et les nouveaux positionnements de l'entreprise. La complexité est le fruit de zones d'ombre qui embarrassent les entreprises. Ainsi, le DIF est perçu comme un problème par des entreprises qui rencontrent des difficultés à prévoir et à utiliser ces formations. Elles ont le sentiment de perdre le contrôle sur les métiers de formation. Enfin, la possibilité de provisionner le DIF peut générer des positions déviantes par rapport à l'esprit de la loi. Ces déviations se traduisent par des DIF prescrits, voire imposés par l'entreprise, afin que les créditeurs s'en servent davantage. La réforme est vécue comme un dispositif générant de nombreuses contraintes administratives. La mise en place du DIF ou d'autres processus nouveaux a alourdi la responsabilité des cadres chargés de formation qui se plaignaient déjà d'en avoir beaucoup. Certains responsables s'interrogent sur la pertinence du maintien de l'exonération fiscale, considérant qu'elle n'a que peu d'effet direct sur l'effort de formation des entreprises.

Les responsables de formation adhérents au GARF ont formulé des attentes et des propositions sur la mise en oeuvre de la réforme. Ils soulignent la nécessité de renforcer l'information à destination des entreprises au sujet de la VAE. Ils considèrent que les entreprises ne comprennent pas cette démarche. Les professionnels de formation demandent également une simplification et une clarification de la réglementation exposant les règles d'applicabilité des plans de formation. Ils recommandent l'utilisation d'un vocabulaire plus proche de celui utilisé par les professionnels. En effet, la lecture de la circulaire s'avère généralement complexe. Dans ce registre de remarques, de nombreuses voix s'élèvent suggérant la suppression de l'alinéa 83 pour les entreprises qui éditent un bilan social. La plupart des informations se retrouvent en effet dans ces bilans sociaux.

Ils recommandent également de rendre déclarables les dépenses telles que les diverses modalités de l'exercice du point A, les autoformations et formations utilisant les nouvelles technologies de l'information et de la communication, les activités de recherche et de développement sur les méthodes pédagogiques ou encore les heures de formation et d'action de VAE. Ce dernier point semble déjà ancré dans les esprits de ceux qui ont travaillé sur la loi.

Les grandes entreprises engagées dans la compétition internationale considèrent qu'il serait plus pertinent de traduire l'effort de formation non en euros ou en pourcentage de la masse salariale mais en heures, permettant de renforcer le comptage à l'échelle européenne. Le DIF préfigure d'ailleurs cette façon de représenter l'effort de formation. Ainsi, ce processus unique de saisie pourrait avoir des utilisations multiples dans les protocoles de gestion, envers les instances représentatives du personnel, dans les départements comptables ou les départements fiscaux. L'entreprise produit désormais une déclaration dans laquelle elle affirme tenir à la disposition de l'administration l'ensemble des justificatifs d'un effort de formation s'élevant à hauteur de 1 % de la distribution. Les responsables souhaitent donc progresser dans le sens d'une simplification sans s'exonérer d'apporter des preuves supplémentaires.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui incluez-vous dans les responsables de formation ?

Mme Monique Benaily - Les responsables de formation, dans les diverses organisations des entreprises, sont généralement des adjoints des DRH qui contrôlent le périmètre développement des compétences. Une étude récente sur le rôle des responsables formation en entreprise a montré des différences. Certaines missions peuvent en effet être élargies. Ainsi, les responsables de formation travaillent parfois sur l'emploi. Une même appellation regroupe donc des réalités différentes.

M. Jean-Claude Carle, président - Par conséquent, cela ne concerne que les grandes entreprises. Ce terme provoquerait la colère des interlocuteurs précédents, représentants de PME. Ces structures sont effectivement plus petites mais elles créent beaucoup d'emplois.

Mme Monique Benaily - C'est vrai. Il faut toutefois ajouter que beaucoup de nos représentants au sein du GARF ne sont pas des responsables formation mais des responsables RH de PME et de TPE. Les appellations sont subjectives. En outre, la taille de l'entreprise ne justifie pas toujours la présence d'un cadre se consacrant uniquement à la formation. Ce sont alors des personnes plus généralistes qui en sont chargées. Elles doivent toutefois se donner les moyens de s'impliquer suffisamment pour parvenir à prendre une position importante dans l'entreprise.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Comment s'organise l'adhésion au GARF ? Combien y a-t-il d'adhérents ? Ont-ils un profil-type ? La démarche se fait-elle par entreprise ?

Mme Monique Benaily - Nous comptons près de 800 adhérents. Il peut y en avoir plusieurs par entreprise en fonction de la taille de celle-ci, puisque les grands groupes ont parfois plusieurs responsables formation. Nous accueillons également des responsables RH. Il faut rappeler que les adhérents sont des personnes individuelles. Ils sont donc 800 pour 600 entreprises.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Nous avons auditionné le chef d'un grand groupe qui expliquait que, dans son entreprise, le directeur de production définissait le contenu de la formation. Il affirmait que cette caractéristique était encore exceptionnelle. Voyez-vous se dessiner l'évolution de compétences dans la définition de la formation et de la sphère RH ?

Mme Monique Benaily - Cela existe davantage dans les grands groupes, où la liaison entre business et acteurs RH est très forte. Il est vrai que les patrons de métier sont de plus en plus sollicités pour s'engager vraiment dans des bilans de compétences de leurs équipes. Cela reste vrai dans les grandes entreprises et entraîne l'apparition de correspondants formation impliqués davantage dans l'opérationnel mais venant relayer la formation au sein de leurs équipes.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Pourriez-vous dresser une esquisse des premiers bilans de la réforme de 2004 ? Vous nous avez montré les incidences de la mise en oeuvre de cette réforme mais nous voudrions avoir votre opinion sur les résultats. Pensez-vous qu'aujourd'hui, en 2007, il faille poursuivre ou infléchir le processus ?

Mme Monique Benaily - Comme je l'ai exposé, les professionnels envisagent une simplification de la mise en oeuvre et de tout ce qui est en relation avec les contraintes administratives. Malheureusement, ces aspects nuisent aux potentialités positives offertes par cette réforme. Lorsque avec Jean Wemaere, président de la fédération de la formation professionnelle (FFP), nous avons élaboré un baromètre du DIF en organisant des trophées du DIF, nous avons réalisé qu'un certain nombre d'entreprises avaient su se saisir des opportunités offertes par la réforme pour mettre en place des choses à la fois cohérentes et positives, respectant le sens des finalités évoquées plus tôt. En revanche, beaucoup d'autres entreprises se sont senties perdues. Elles ne savaient pas comment manier cette réforme et ont buté sur les aspects relatifs à la mise en oeuvre administrative et à sa signification. Il faut aller dans le sens d'une simplification.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Quelle est l'initiative à l'origine du GARF ?

Mme Monique Benaily - Le GARF est né de la volonté de créer du réseau entre des acteurs souvent isolés. Même aujourd'hui, les personnes qui adhèrent aux GARF sont celles qui se sentent perdues dans cet univers. Elles ont très peu d'opportunités d'échange sur des problématiques très spécifiques de leur entreprise, et ont besoin de confrontation avec d'autres responsables.

M. Bernard Seillier, rapporteur - En dehors de cette mutualisation de la réflexion, êtes-vous invités et participez vous à d'autres organisations ? Êtes-vous déjà reconnus ?

Mme Monique Benaily - Les membres et moi-même regrettons de ne pas faire l'objet d'une plus grande reconnaissance. Les professionnels de la formation devraient davantage être écoutés et impliqués afin que l'ensemble des parties prenantes puisse apporter sa contribution.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Le GARF existe depuis cinquante ans. Il a donc précédé les lois sur la formation. Un événement, ou une personnalité particulière, a-t-il favorisé sa création ?

Mme Monique Benaily - Notre groupement a joué un rôle important dans le domaine de la recherche en lien avec l'apprentissage et la pédagogie. Nous avons participé à de nombreux travaux avec des universitaires. Le premier volet de reconnaissance de notre groupement a pris racine de cette façon. Ensuite, l'orientation forte visait à favoriser les échanges entre les praticiens, favoriser leur confrontation, et leur permettre de s'alimenter en leur proposant des débats sur l'actualité et sur ce qui existe au sein même de leurs fonctions.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Quelle est votre fonction ?

Mme Monique Benaily - Ma fonction dans l'entreprise est celle de directrice adjointe de la formation du groupe BNP Paribas.

M. Bernard Seillier, rapporteur - J'ai cru comprendre que les entreprises réagiraient positivement à la suppression de l'entreprise familiale.

Mme Monique Benaily - Beaucoup d'entreprises vont en réalité largement au-delà.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Un de nos administrateurs a visité votre site Internet et a constaté que l'un de vos axes de travail était « l'apprenance ».

Mme Monique Benaily - L'apprenance est utilisée pour signifier que tout est important dans le processus de formation. Il s'agit de responsabiliser le sujet. Nous nous efforçons de valoriser les conditions d'apprentissage afin que chaque personne puisse apprendre comme elle le souhaite, quand elle le souhaite, et avec tous les moyens nécessaires. Ce sont des lois de recherche particulièrement bien exprimées par M. Philippe Carré, professeur en sciences de l'éducation à Paris X avec lequel nous travaillons beaucoup, et qui nous paraissent appropriées et liées à la réalité de l'entreprise. En réalisation de la complexité de ces lois, le système d'orientation ne peut pas répondre à tous les besoins. Cela nécessite beaucoup de flexibilité. L'« apprenance » signifie qu'il faut être imaginatif, qu'il faut parvenir à penser à tout.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Y a-t-il une dominante de branche ou de secteur professionnel parmi vos adhérents ?

Mme Monique Benaily - Non. Je pense sincèrement que nous sommes très équilibrés.

M. Bernard Seillier, rapporteur - J'imagine que vous ne vous contentez pas de faire du service de renseignement. Vous devez avoir une réflexion et non pas uniquement une action de prospective. C'est en ça que votre intervention nous intéresse. La commission veut inverser la tendance d'une forme prédominante de l'offre pour essayer de penser la formation à partir de la formation initiale. Nous tentons de faire le repérage et de trouver les points d'appui. Un groupement comme le vôtre nous semble donc intéressant. Vous êtes restés équilibrés au niveau des OPCA.

Quelles propositions feriez-vous pour améliorer le système de formation en France ? Vous avez évoqué la dimension de simplification, mais avez-vous des remarques plus précises concernant la philosophie globale de la gouvernance, de l'articulation des responsabilités ? Vous avez souligné implicitement un lien entre les problématiques collectives rencontrées dans les entreprises. Avez-vous un message final à laisser concernant votre expérience dans l'industrie et votre expérience de responsable de groupe ?

Mme Monique Benaily - Au sujet de cette dimension collective et de la responsabilité sociale des entreprises qui est celle du rapport à l'emploi, les entreprises qui s'investiront dans ces démarches de GPEC produiront un effet accélérateur. Cela constituera un levier important. De nombreuses entreprises vont commencer à s'y impliquer mais beaucoup de travail reste à faire.

Il faut également s'intéresser à tout ce qui renvoie à l'offre. On considère souvent que l'offre détermine la demande. Toutefois, pour passer à l'étape suivante, il faudrait adopter une approche considérant la réalité d'une action de formation. Si nous souhaitons réellement renverser ce paradigme entre l'offre et la demande, il faudrait se montrer plus ambitieux que ne l'était la circulaire, et pouvoir offrir davantage, considérer que tout ce qui vient en amont et en aval d'une formation fait partie intégrante de la formation. Nous ne devrions pas autant restreindre l'accompagnement, toutes les formes de tutorat et l'encadrement pédagogique qui renvoient très souvent à des choses trop formalisées. Tout ce qui traite de l'action de conseil ou du coaching peut apporter un complément dans l'apprentissage des salariés. Il est nécessaire d'avoir une vision ouverte pour permettre aux responsables de formation d'être plus inventifs sur la manière dont ils vont se saisir de ces dispositifs, afin de parvenir à une construction qui réponde à la fois aux besoins des salariés et aux besoins des entreprises, dans un continuum et non plus dans des intervalles de temps très réduits qui n'ont pas d'impact dans la durée. S'il était possible d'aller dans cette direction et d'enrichir la définition même de l'action, la rendant plus audacieuse et permettant à des professionnels d'être plus exigeants sur la façon dont ils vont construire leur parcours et moins en attente de ce que l'employeur est disposé à leur proposer, les progrès seraient rapidement visibles.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Entretenez-vous des échanges et des réflexions sur la responsabilité sociale de l'entreprise avec des associations ou des groupements ?

Mme Monique Benaily - Nous développons énormément de partenariats. Chaque année, certains sont plus forts que d'autres en fonction des réformes. Nous entretenons notamment des liens étroits avec certaines associations comme l'association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel (ANDCP). Nous essayons autant que possible de créer des connexions pour offrir à nos adhérents la vision la plus ouverte et la plus large possible, afin qu'ils puissent ensuite y réfléchir pour eux. Nous avons au total près d'une trentaine de partenariats. Je ne pourrai pas tous vous les citer.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je souhaitais simplement connaître le principe des partenariats et leur lien avec la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Nous nous intéressons beaucoup à ces problématiques. Ainsi, nous travaillons sur l'insertion des jeunes en difficulté. Ces groupes de réflexion d'entreprise sont significatifs et au coeur de la responsabilité politique. Je visiterai votre site Internet. Merci aux administrateurs d'avoir bien identifié les partenaires.

Je suis frappé de voir que ces questions sont soulevées dans une situation extrêmement favorable d'un point de vue technique et en rapport avec l'esprit du temps sur lequel conclut le dernier rapport du Cercle.

TABLE RONDE
MM. Claude THÉLOT, conseiller-maître à la Cour des comptes, ancien président de la Commission du débat national sur l'avenir de l'école, Abdelaziz BOURAMALA, bénéficiaire de la VAE (Bonneville - Haute-Savoie), Mme Sabine BERNASCONI, conseillère municipale de Marseille, déléguée à l'emploi et à la formation professionnelle, Mlles Sabrina HEURTAUX et Julie GARCIA, étudiantes, MM. Éric de FICQUELMONT, ancien directeur des ressources humaines de Veolia environnement, Otto MÜLLER, direction de l'apprentissage du groupe Würth (RFA), et Marcel BREUNINGER, apprenti en alternance dans le groupe Würth, Jacques DELORS, président du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), André GAURON, conseiller-maître à la Cour des comptes, François AUMONT, Abdelmadjid MAHCENE et Jean-Baptiste PACCOUD, étudiants de l'EM Lyon, Francis DA COSTA, président de la commission formation du MEDEF, François FAYOL, membre du bureau national de la CFDT, Joël RUIZ, directeur général de l'AGEFOS-PME, Mme Laurence PAYE-JEANNENEY, administratrice générale du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) (29 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Mesdames et messieurs, je vous remercie d'avoir accepté de participer à cette table ronde. Je remercie particulièrement le président Jacques Delors, qui nous fait l'honneur de présider cette matinée. La table ronde s'inscrit dans les travaux de notre mission et constitue une étape de nos travaux qui s'achèveront vers la mi-juillet par la remise d'un rapport. Nous avons voulu aujourd'hui faire réagir un certain nombre de personnes autour de deux thèmes. Le premier, intitulé « d'une orientation subie à une orientation choisie », portera sur la formation initiale, tandis que le second, que nous avons souhaité appeler « d'une vision séparée à une vision partagée », sera centré sur la formation continue. Cette matinée de travail est retransmise en direct par la chaîne de télévision Public Sénat. Elle est également suivie par plusieurs médias que je voudrais remercier, car nous avons aussi besoin d'eux pour avancer dans nos travaux, puisque la communication et l'information y sont extrêmement importantes. A l'issue de la table ronde, nous garderons un moment pour que chacun puisse s'exprimer et poser des questions. Nous ne souhaitons pas ici parler « la langue de bois ». Nous autorisons au contraire le « politiquement incorrect » afin que la situation évolue.

Je laisse la parole au premier intervenant, Claude Thélot. Il a été président de la commission qui porte son nom et qui a vu un grand débat s'installer dans le pays et auquel un million de personnes a participé. Cette commission a produit un rapport et émis un certain nombre de propositions sur les possibilités d'améliorer le système éducatif. Je retiendrai une phrase prononcée lors de ce grand débat par une enseignante : « Notre école va bien pour les enfants qui vont bien. » Chacun reconnaît effectivement que les 12 millions d'enfants français ne progressent pas tous à la même vitesse et ce, malgré les efforts fournis. La France figure parmi les pays qui consacrent le plus de moyens pour la formation des jeunes, soit 1 500 euros par an et par habitant. De plus, nous avons réussi à réaliser certaines avancées, comme la massification de l'éducation. Aujourd'hui, près de 70 % des jeunes atteignent le baccalauréat. Il existe en revanche d'autres difficultés. Par exemple, un enfant d'ouvrier a dix-sept fois moins de chances d'atteindre l'enseignement supérieur qu'un enfant d'enseignant ou de cadre supérieur. De même, certains jeunes rencontrent des difficultés pour maîtriser les fondamentaux à leur entrée au collège et 150 000 d'entre eux sortent chaque année du système scolaire sans diplôme et sans qualification. De plus, de nombreux étudiants de première année quittent le cycle universitaire, tandis que de nombreux autres, au terme de leur cursus, se retrouvent aussitôt à l'ANPE plutôt que dans une entreprise, publique ou privée. Monsieur Thélot, pourquoi sommes-nous parvenus à cette situation et comment la faire évoluer ?

D'une orientation subie à une orientation choisie

Les failles du système éducatif

M. Claude Thélot - Merci de cette invitation. La première partie de cette table ronde est manifestement consacrée à la formation professionnelle initiale. Celle-ci, en tout cas dans le secondaire, est mal considérée. Notre politique dans ce domaine n'est pas couronnée de succès. Pourtant, chacun s'accorde à dire depuis vingt ans qu'il faut revaloriser notre enseignement professionnel. Si nous déclarons et pensons qu'il faut entreprendre cette action, il faut nous en donner les moyens. C'est selon cette idée que vous m'avez demandé, pour ouvrir cette table ronde, d'énoncer les aspects que la commission avait jugé nécessaires de développer. Plusieurs grandes mesures nous semblaient utiles et me paraissent indispensables dès lors que la politique de revalorisation de l'enseignement professionnel initial est prise au sérieux, qu'il s'agisse d'enseignement dans nos lycées professionnels ou d'apprentissage.

Deux de ces mesures concernent la scolarité obligatoire, avant le lycée professionnel, et trois autres portent sur la formation professionnelle. Les deux premières constituent des conditions nécessaires pour qu'une revalorisation de la politique de la formation professionnelle ait un sens.

- La maîtrise du socle commun de compétences à l'issue de la scolarité obligatoire

Il faut d'abord faire en sorte que la totalité d'une génération maîtrise correctement un certain nombre de fondamentaux. Cet objectif devrait constituer un engagement du pays à l'égard de sa jeunesse. Aujourd'hui, 10 % à 15 % de jeunes ne possèdent pas ces fondamentaux. Il est alors inutile de croire, ou de faire semblant de croire, qu'une politique de formation professionnelle à destination de ces jeunes sera réussie. La question du socle commun de compétences, qu'il convient de définir et qui pose la question de l'organisation de la scolarité obligatoire, est une première condition préalable. Je n'entre pas dans le détail, même si chacun de mes points mériterait un développement.

- Une éducation au choix

Nous ne sommes pas raisonnables vis-à-vis de la jeunesse de négliger à ce point ce qu'il faut appeler « l'éducation au choix ». En effet, le collège ne doit pas se limiter à un lieu d'apprentissage de certaines disciplines et connaissances, mais il doit également permettre aux élèves de réfléchir davantage à leur orientation. Cependant cette éducation au choix est mal réalisée. Elle devrait aider les jeunes, et particulièrement les plus démunis, à forger, non pas un projet professionnel, prématuré à cet âge, mais un projet de formation, présentant ce que l'adolescent a envie d'apprendre et le champ dans lequel il compte s'investir durant ses années d'études. Nous devrions alors prendre le quasi-engagement de suivre et d'honorer ce projet, d'abord au lycée. Dans le système éducatif, il faudrait donc écouter davantage la demande de formation que l'offre, qui dirige de façon trop stricte notre formation professionnelle.

Il faut également essayer de satisfaire d'autres conditions, au cours de la politique de formation professionnelle, c'est-à-dire au sein du lycée professionnel et dans l'apprentissage.

- Une plus grande flexibilité de l'offre

Ce point s'adresse aussi bien aux élus qui, depuis la décentralisation sont responsables dans les régions des établissements de formation, qu'à l'État, qui finance les moyens d'enseignement et rémunère en particulier les professeurs. L'offre d'enseignement professionnel initiale, représentée par des lycées professionnels, des classes et des professeurs, s'impose à la jeunesse. Je rappelle ce point capital, qu'il faut constamment avoir présent à l'esprit : le tiers des jeunes orientés dans les filières professionnelles n'a pas choisi sa spécialité. Cette orientation résulte en fait des places disponibles. L'offre de formation est donc trop rigide, et notre capacité à la rendre flexible et à écouter les besoins et les souhaits des jeunes est trop faible. Cet aspect vaut pour l'État, qui devrait mener une plus grande politique de reconversion de ses professeurs, et pour les élus qui devraient s'attacher davantage à rendre les sections et les disciplines, notamment industrielles, plus flexibles.

- Réorganiser l'enseignement professionnel

Cette réorganisation repose sur deux idées. D'une part, le CAP doit constituer un réel diplôme d'insertion dans la vie. Il doit être détaillé et modulaire, et pouvoir être passé à différents moments, y compris en formation continue. Il existe en effet des passerelles entre formation continue et formation initiale, que les deux tables rondes successives empêchent peut-être de tracer, mais dont il convient de se rappeler. D'autre part, le Bac pro constitue maintenant le diplôme d'insertion nécessaire. Le BEP, lui, devrait correspondre à un diplôme intermédiaire sur le chemin de l'insertion du Bac pro. Il est donc supposé offrir des filières professionnelles plus larges, susceptibles d'être organisées autour d'un secteur donné et capables d'offrir aux jeunes davantage de compétences générales pouvant être concrétisées dans divers métiers. Il ne faut toutefois pas s'imaginer qu'à une formation correspond un métier. La réalité du marché du travail est différente. Si toutefois elle était en phase avec cette logique, elle ne le serait plus cinq ans après. Les filières de formation professionnelle doivent donc être conçues de façon à permettre d'occuper des emplois différents.

- Favoriser l'alternance

Cette règle est admirablement observée dans l'apprentissage, et l'est trop médiocrement dans les lycées professionnels. En effet, certains éléments ne peuvent être appris à l'école et d'autres chez l'employeur. L'alternance consiste à articuler deux lieux de formation, l'un plus théorique et l'autre plus pratique. Le statut peut être différent : apprenti salarié sous contrat de travail ou lycéen professionnel intégrant des éléments d'alternance. Ces considérations supposent une présence et un investissement bien plus importants des entreprises, et plus généralement des employeurs, dans l'enseignement professionnel. Je crois que, contrairement à il y a dix ans, les esprits sont désormais mûrs pour cette évolution. Elle concerne les entreprises privées, mais aussi les entreprises publiques et l'État qui devrait dans ce domaine jouer davantage son rôle d'employeur. Il faut alors définir une alternance équilibrée, dans laquelle les volets théorique et pratique se répondent.

- Définir le statut du « lycéen professionnel »

Ce dernier point ne concerne que le lycéen professionnel, parce que le statut d'apprenti existe depuis longtemps dans notre pays et est de plus en plus attractif. Nous devrions donc sérieusement réfléchir au statut du lycéen professionnel, qui permettrait en particulier de concrétiser cette position intermédiaire entre le lycéen général et l'apprenti, à travers trois points très importants : le stage, qui ne doit pas être limité aux étudiants universitaires et doit être correctement encadré et validé, les conditions de travail, qui doivent être bien définies, même sans contrat de travail, et la rémunération, contrepartie des stages réalisés en plus grand nombre et dans une plus grande ampleur au titre de l'alternance.

Il me semble qu'une telle politique, que nous avions essayé de définir, n'est pas tellement conduite dans notre pays aujourd'hui, dans ses deux étapes : en amont, avant les filières professionnelles, et en aval, dans les filières professionnelles. Elle serait pourtant susceptible de revaloriser l'enseignement professionnel et de le rendre plus « choisi » et moins « subi ». Elle suppose naturellement une très grande ténacité, une volonté politique considérable et des moyens non négligeables, dès lors que l'idée de revalorisation est prise au sérieux.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie. Vous évoquez certaines pistes très intéressantes sur lesquelles nous reviendrons. Je vous propose de passer maintenant la parole à des jeunes qui vont nous faire part de leur expérience, soit parce que leur orientation n'était pas conforme à leurs souhaits, soit parce qu'ils ont rencontré des difficultés au cours de leur cursus scolaire et se sont trouvés en situation d'échec. Ils sont aujourd'hui réinsérés dans la vie active. M. Bouramala va ainsi témoigner de son opposition, lui qui a aujourd'hui réussi, à une orientation qui lui était imposée.

Témoignages des exclus du système de sélection et d'orientation ayant bénéficié d'une deuxième chance

M. Abdelaziz Bouramala - Je vous remercie de m'avoir invité. Je suis actuellement responsable de projets d'industrialisation dans l'entreprise Bosch Rexroth à Bonneville, en Haute-Savoie. J'ai passé un BEP microtechnique en 1992 et un Bac professionnel productique en 1994. J'ai alors intégré le groupe Bosch et suis progressivement monté dans la hiérarchie, avec de la volonté. Je me suis alors demandé s'il fallait que je valide mon expérience. Le GRETA est intervenu dans l'entreprise pour véhiculer l'information sur la VAE (validation des acquis de l'expérience) et j'ai été très intéressé par cette possibilité. J'ai donc voulu valider un BTS productique, que j'ai obtenu au bout de huit mois. Il m'a apporté une grande satisfaction et m'a permis d'évoluer dans l'entreprise. Pourquoi ai-je voulu passer ce BTS ? Arrivé en troisième, je n'étais pas un mauvais élève, mais ma situation personnelle ne m'a pas permis de continuer et j'ai dû choisir une voie rapide pour trouver un emploi dans une entreprise. Je me suis donc tourné vers la solution BEP-Bac professionnel. J'ai eu au fil des années quelques regrets à l'égard de cette situation. Je souhaitais « une revanche sur le passé ». Grâce à la VAE, j'ai pu valider mon expérience et les connaissances accumulées entre le Bac pro et maintenant.

Je souhaiterais par ailleurs rebondir sur les propos précédents. Il faut noter que la Haute-Savoie dispose d'un important bassin d'emplois, notamment industriels, mais de très peu de personnes qualifiées. Il est vrai que, dans cette région caractérisée par le décolletage et la mécanique générale, l'industrie est mal considérée, notamment par les parents. Cette vision tient peut-être à une méconnaissance de l'industrie ou à une image du passé sur l'industrie peu valorisante. Notre entreprise a cependant organisé quelques actions, notamment des portes ouvertes, pour réhabiliter cette image. Ces initiatives sont trop rares. Les entreprises devraient s'efforcer d'être plus transparentes pour que le public puisse voir comment elles fonctionnent, et ne les réduise pas à des postes derrière des machines-outils. Une entreprise comprend en effet également des services, des bureaux de méthode ou des bureaux d'étude. Il faut redonner confiance aux parents pour qu'ils n'hésitent pas à orienter leurs enfants vers des contrats d'alternance, des qualifications propres à l'industrie ou les travaux publics par exemple.

J'ai ainsi participé au projet « ouvre-boîte », qui invite des collégiens de troisième à passer une journée dans l'entreprise. Ils paraissent certes au début peu intéressés, mais lorsqu'ils sont convenablement pris en charge et que les différents domaines d'activité de l'entreprise leur sont expliqués, ils repartent respectueux de notre travail. Je pense d'ailleurs que chacun d'entre eux aurait pu trouver un futur emploi dans l'entreprise, puisque certains préféraient le dessin, et donc la conception, d'autres les mathématiques, et donc la méthode, d'autres encore les machines-outils. J'insiste donc sur la nécessité de transparence de la part des entreprises. Il faut également que les représentants de l'éducation nationale, par exemple les professeurs d'enseignement général ou technique, intègrent mieux les entreprises et montrent à quels métiers mènent les filières. Ainsi, le « mauvais élève » pourra « choisir » au lieu de « subir » et d'être systématiquement envoyé dans une filière professionnelle en fin de troisième.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie pour ce témoignage, qui met en évidence le bien-fondé de la VAE, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir. Je passe la parole à Mme Bernasconi, pour évoquer une expérience intéressante menée à l'initiative de la mairie de Marseille en collaboration avec les missions locales. Elle permet à des jeunes de renouer avec la vie professionnelle.

Mme Sabine Bernasconi - Je vous remercie d'avoir invité la ville de Marseille à apporter son témoignage. Marseille compte encore beaucoup de chômeurs, puisque notre taux de chômage se situe autour de 13,5 %. Il atteignait 21,8 % il y a dix ans, ce qui indique une évolution positive. La ville a choisi de mener une politique de l'emploi s'appuyant sur des dispositifs de terrain. Je suis accompagnée aujourd'hui de deux jeunes qui vont témoigner de leur situation et des perspectives d'avenir qu'ils ont pu retrouver grâce à des programmes d'accompagnement à l'emploi et à la mission locale de Marseille. Celle-ci reçoit chaque année plus de 16 000 jeunes en situation d'échec et de questionnement, qui cherchent à retrouver des perspectives d'emploi et à se réengager dans des parcours. Parmi eux, environ 4 000 reprennent des cursus de formation, alors qu'ils ont d'abord connu l'échec scolaire. Ils sont ouverts à la formation dès lors qu'elle leur offre des opportunités de métiers qu'ils sont en mesure de saisir.

Je souhaite d'ailleurs évoquer l'expérience « Défi jeunes », dont les représentants n'ont pas pu se joindre à moi, parce qu'ils sont en train de passer un examen. Cette action a été menée en collaboration avec la mission locale de la ville de Marseille et la Société générale, pour amener des jeunes en échec vers les métiers de la banque. Ceux-ci n'auraient jamais pu imaginer qu'ils travailleraient un jour dans un tel métier, tant il leur paraissait inaccessible. Avec la Société générale, nous avons décidé de mettre en place un parcours permettant de repérer des aptitudes. Sur cette base ont été établis des prérequis d'ouverture, d'élocution et de motivation. A partir de tests psychotechniques, des jeunes sans aucune qualification ont pu ainsi être engagés en contrat d'alternance dans un parcours qui doit les conduire du CAP jusqu'au BTS, pour les meilleurs d'entre eux. Ils sont ainsi devenus de véritables salariés de la banque, alors que la direction des ressources humaines d'une telle banque n'aurait jamais envisagé de proposer des ouvertures de postes sur la base de CV ne présentant aucune qualification. D'autres banques souhaitent maintenant suivre cet exemple.

Sans cette initiative, ces jeunes n'auraient visiblement jamais trouvé le chemin pour décrocher un emploi dans le système actuel, tel qu'il est construit. Douze jeunes ont été présélectionnés. Ils occupent actuellement des postes de premier niveau de qualification, en contact direct avec la clientèle ou dans le conseil clientèle au sein des centres d'appels. Ils passent aujourd'hui leur premier examen en tant que salariés de la banque et se sentent ainsi valorisés. Je répète que cette voie leur semblait totalement fermée et que la possibilité de pénétrer dans ces établissements se limitait pour eux à leur statut de client. Ils n'imaginaient pas pouvoir accéder au métier d'agent. Ils manifestent donc une très forte motivation, et pour l'instant, tous les tests blancs ont été réussis, alors qu'ils ne possèdent même pas un BEPC ou un CAP. Ces premiers résultats laissent augurer de bons résultats finaux.

Outre ce dispositif d'expérimentation, il existe d'autres dispositifs dans le cadre des CIVIS ou de l'aide à la création d'entreprise. Par exemple, Sabrina Heurtaux s'était engagée dans un cursus de création d'entreprise. Il est en effet toujours indiqué aux jeunes qu'il existe des possibilités pour les accompagner dans leur engagement. Or, elle s'est très vite aperçue qu'elle avait besoin de notions complémentaires. Elle possède aujourd'hui un projet professionnel, qu'elle n'avait pas véritablement défini avant d'être encadrée. Elle est engagée dans un parcours qui doit la mener vers l'emploi. L'autre jeune personne est, elle, en fin de parcours. Je signale que les employeurs n'ont pas laissé les jeunes qui ont réussi venir témoigner, parce qu'étant désormais salariés, ils auraient dû poser des jours de congé. Or ils n'ont pas rejoint l'entreprise depuis assez longtemps pour se le permettre.

M. Jean-Claude Carle, président - Obtiendront-ils tous un CDI ?

Mme Sabine Bernasconi - Oui, nous l'avons négocié avec la Société générale. Ce CDI est essentiel pour les jeunes, parce qu'il leur ouvre une perspective d'avenir. La qualité des contrats constitue un élément de motivation.

Mlle Sabrina Heurtaux - Bonjour. Merci de m'avoir invitée aujourd'hui. J'ai vingt-cinq ans et je suis réceptionniste en hôtellerie. Je possède un niveau Bac en lettres et sciences humaines. Je me suis adressée à la mission locale lorsque j'ai voulu créer une entreprise. Je me suis alors aperçue que je n'étais pas prête pour ce projet. J'ai donc voulu me réorienter. J'ai alors suivi une formation de réceptionniste et en ai obtenu le diplôme. Grâce à la mission locale, que je remercie, j'ai ensuite effectué un séjour en Autriche pour apprendre à parler allemand. Je maîtrise ainsi aujourd'hui l'anglais et l'allemand, ainsi que l'italien, que j'ai appris cette année. Je suis maintenant à la recherche d'un emploi de réceptionniste dans l'hôtellerie. Initialement, je voulais étudier le droit, mais j'ai dû rapidement trouver un emploi et donc une formation courte.

M. Jean-Claude Carle, président - Pourquoi n'avez-vous pas suivi des études de droit ? Ne vous plaisaient-elles pas ?

Mlle Sabrina Heurtaux - Si, mais lorsque je me suis renseignée, il m'a été indiqué que trois ans étaient nécessaires, ce qui était trop long pour moi.

Mlle Julie Garcia - Bonjour, j'ai dix-neuf ans. A la fin de ma troisième, j'ai décidé de devenir coiffeuse. J'ai donc passé mon CAP en deux ans en école privée, et non en alternance. J'ai voulu rechercher un emploi dans l'apprentissage pour passer mon brevet, mais j'étais trop jeune, puisque j'avais seize ans. J'ai donc un peu « décroché » pendant un an. L'année suivante, j'ai trouvé un maître d'apprentissage et passé ma première année, mais le salon a fermé. Je me suis alors retrouvée une nouvelle fois dans une impasse. J'ai donc décidé de m'inscrire à la mission locale, qui m'a redonné envie de chercher et m'y a aidée. En effet, mes deux déconvenues successives m'avaient un peu découragée. Je dois normalement entrer en formation en septembre pour repasser mon BEP en deux ans.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci. Il est intéressant de noter que l'expérience menée à Marseille associe trois partenaires incontournables : une collectivité locale, la mission locale et une ou plusieurs entreprises. Ce partenariat me semble tout à fait indispensable. Cette transition est idéale pour passer la parole à Éric de Ficquelmont, qui a également mis en place une initiative très intéressante chez Veolia, pour redonner une chance à des jeunes très souvent en rupture scolaire et permettre ainsi à l'entreprise de trouver le personnel qualifié qui lui faisait défaut.

Les initiatives des entreprises pour résoudre le problème

M. Éric de Ficquelmont - Merci, bonjour à tous. Je vais vous raconter une histoire qui a commencé il y a dix-sept ans et qui connaît aujourd'hui un vrai succès. Nous étions alors animés par une certitude : la nécessité d'une formation pour tous les collaborateurs.

Nous pensions que les entreprises de main-d'oeuvre ne pourraient continuer à exister que si elles possédaient de véritables compétences, quel que soit le niveau de qualification. A cette époque, la situation du chômage était plus dramatique qu'aujourd'hui. Nous avons alors jugé nécessaire que tous les collaborateurs, quels que soient leur niveau et leur âge, participent à une formation, initiale ou continue. La propreté et les transports ne représentaient pourtant pas nécessairement des modèles de progression professionnelle, puisque les professeurs menaçaient toujours les mauvais élèves d'être éboueurs. Lorsque nous avons lancé cette opération de formation initiale pour cette population, elle n'a pas été comprise par certains en interne, qui jugeaient que l'ANPE pouvait largement pourvoir aux besoins. Je leur ai répondu que si nous n'étions pas capables de former nos collaborateurs et de leur donner une véritable compétence, y compris pour les niveaux les plus bas, nous disparaîtrions. Nous pourrions être les meilleurs sur les plans technique, technologique, contractuel et financier, mais nous n'existerions plus sans les hommes et les femmes. Nous avions la certitude que notre profession était nécessairement disposée à connaître des évolutions.

Nous avions de surcroît deux convictions.

La première était qu'une relation très étroite entre l'entreprise et l'éducation nationale était nécessaire. Ces deux mondes avaient tendance à ne pas vouloir travailler ensemble. Chacun devait remplir son rôle : l'éducation nationale était chargée d'éduquer et l'entreprise de former. Cependant, au cours des dernières décennies, les compétences se sont mélangées. On a considéré que l'entreprise devait prendre en charge les jeunes sortant de l'éducation nationale et les former comme elle l'entendait sur du matériel pourtant obsolète, qu'elle n'avait plus depuis longtemps. L'éducation nationale a estimé que les fondamentaux n'étaient plus nécessaires pour cette population adaptable à la vie professionnelle. Or les professeurs n'étaient pas nécessairement aptes à former des publics sur le plan professionnel dans les entreprises.

La deuxième conviction concernait la nécessité d'accompagner le projet professionnel des jeunes. Nous pensions également que, contrairement aux idées reçues, il existe chez chaque jeune un véritable projet professionnel qui sommeille, comme nous l'ont d'ailleurs montré les témoignages des trois jeunes. Il est inexact de considérer que les jeunes d'hier étaient meilleurs que ceux d'aujourd'hui, puisque d'autres valeurs et d'autres forces interviennent. Il suffit seulement d'accompagner les jeunes et de leur donner les moyens d'atteindre leur projet professionnel, qui connaîtra des évolutions. D'ailleurs, nous formons tous plusieurs projets professionnels au cours d'une vie.

Enfin, à cette certitude et ces convictions s'ajoutaient cinq fondamentaux.

L'apprentissage : nous l'avons choisi pour notre politique de formation, contrairement à d'autres entreprises, car il impliquait un diplôme, c'est-à-dire une condition de solidité en France, mais aussi de liberté. En effet, le diplôme offre à chacun la possibilité de changer d'entreprise.

Le respect : les jeunes que nous avons rencontrés nous indiquaient qu'ils n'étaient pas respectés. Ils signifiaient ainsi qu'ils n'étaient pas compris, pas acceptés comme ils étaient, et pas rémunérés. Nous avons effectivement tous à l'esprit ces stages successifs où les jeunes sont exploités. De façon isolée, notre pays considère que le travail d'un jeune est par définition dévalorisé. Nous avons fait le pari de rémunérer tous ces jeunes en apprentissage au-dessus du salaire fixé par la loi, compris entre 70 % et 100 % du SMIC, selon l'âge et le niveau de formation.

La confiance : elle est très importante. Nous souhaitions indiquer aux non-diplômés qu'ils ne devaient pas être traités différemment des diplômés et qu'ils seraient également pris en charge lorsqu'ils seraient en alternance.

Une chaîne de solidarité : le recrutement des jeunes serait réalisé non pas par les centres de formation pour l'apprentissage, mais par les entreprises de nos groupes. Chaque jeune serait suivi par un tuteur tout au long de l'alternance. Ce passage de témoin trans-générationnel est essentiel pour faire comprendre à un jeune la vie d'entreprise. Il est très efficace, à condition de former les tuteurs à leur mission.

L'espoir : les jeunes étaient persuadés que les promesses à leur égard ne seraient pas tenues par les entreprises. Or nous souhaitions les aider à passer un diplôme, puis les embaucher ensuite en CDI. Je rappelle que la loi ne nous permet pas de le faire, car le diplôme obtenu par voie d'apprentissage offre une liberté totale. Il s'agit donc d'un engagement unilatéral de l'entreprise. Ce CDI est également un encouragement fondamental qui participe de la confiance et de l'espoir.

Lorsque nous avons lancé ce projet en 1990, nous avons été jugés déraisonnables, d'autant plus qu'il n'existait pas de formation dans les professions de la propreté et du transport. Or, cette absence a représenté une véritable chance, nous permettant de monter, avec l'éducation nationale, une architecture de formation initiale et continue (basée sur la VAE), à partir des référentiels métiers et pédagogie que nous avons créés. Nous avons ainsi réussi à constituer des modules de formation du CAP au Bac+5 et à créer quatorze diplômes. Nous avons noué une succession de partenariats, notamment avec les universités de Cergy-Pontoise, de Versailles et de Marne-la-Vallée. Le CAP représente le premier accès à nos métiers et le premier diplôme nécessaire selon nous pour une progression basée sur les fondamentaux. Je rappelle qu'en 1990, Jacques Toubon considérait le Bac comme le diplôme indispensable pour obtenir un emploi, même le plus basique.

Quels sont les résultats sept ans après ? Notre centre de formation, situé en région parisienne, accueille chaque année 700 apprentis, à tous les niveaux, et notamment aux niveaux 4 et 5 de l'éducation nationale. L'année dernière, le taux de présentation au diplôme était de 92 % (ce qui signifie que, pour diverses raisons, 8 % de nos collaborateurs quittaient notre entreprise), contre 70 % les premières années. De plus, le taux de réussite au diplôme atteint 95 %. Enfin, 80 % des collaborateurs que nous avons formés appartiennent toujours au groupe et y ont progressé.

En conclusion, j'affirmerai que nous avons obtenu ces résultats grâce à une véritable volonté politique de l'entreprise. Nous nous sommes également félicités de la trouver auprès de l'éducation nationale, en dépit des critiques habituelles à son égard, ainsi qu'auprès du conseil régional d'Ile-de-France, sans lequel nous n'aurions pu réussir à construire notre centre de formation par apprentissage d'entreprise. Je crois que de nombreuses entreprises de différentes tailles pourraient réaliser le même type d'approche. Cette initiative, qui n'a pas été évoquée pendant quinze ans, constitue aujourd'hui un modèle qui peut dessiner une voie complémentaire à celle des lycées professionnels et techniques de l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci. Il est vrai que nous ne parlons pas suffisamment des dispositifs qui fonctionnent. Or, cette initiative me semble tout à fait intéressante sur le fond, puisqu'elle relève d'une certaine philosophie de l'entreprise et des relations dans le monde du travail, basées sur le respect des jeunes, sur la confiance qu'il faut leur accorder et sur l'espoir qu'ils peuvent s'en sortir grâce à la perspective du CDI et des évolutions de carrière. Elle est également intéressante par sa méthode, puisqu'elle résulte du partenariat entre l'entreprise, l'éducation nationale et le conseil régional. La région détient en effet aujourd'hui un rôle très important dans l'éducation et la formation, et particulièrement la formation professionnelle.

Mme Calderolli-Lotz, vice-présidente du conseil régional d'Alsace, devait nous expliquer comment sa région participe à cette mission, notamment grâce à l'outil extrêmement important qu'est le Plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF). Alors que le PRDF permet de grandes avancées, il n'est peut-être pas assez utilisé aujourd'hui. En l'absence de Mme Calderolli-Lotz, je vais demander à Jean-François Humbert, qui a été président de la région Franche-Comté, de nous présenter sa conception du PRDF.

Le rôle des régions

M. Jean-François Humbert - Je remplace de manière impromptue notre collègue, pour rappeler rapidement certains éléments. La décentralisation a confié aux régions certaines responsabilités prioritaires, dont la formation, à travers la politique d'éducation, soit la formation initiale, et à travers leurs compétences en matière de formation professionnelle et d'apprentissage. Des lois successives ont progressivement complété la responsabilité confiée aux régions. Ainsi, les conseils régionaux ont l'obligation de mettre en oeuvre certains documents de programmation et des politiques correspondant aux attentes des entreprises, mais surtout des jeunes et de leurs parents. Certains de ces nombreux documents ont une valeur indicative, tandis que d'autres ont une force quasiment obligatoire.

Par exemple, le PRDF détermine les éléments de formation professionnelle dans chacune des régions. Il constitue un document d'orientation à moyen terme qui doit favoriser un développement cohérent de l'ensemble des filières de formation initiale, sous statut scolaire ou d'apprenti. Il doit également faciliter le retour à l'emploi. Il est adopté par les conseils régionaux tous les cinq ans environ. Il contient les souhaits des élus régionaux pour les jeunes de leur région ou pour ceux qui recherchent un emploi. Il n'a de valeur que s'il correspond à la fois aux nécessités de l'entreprise et des demandeurs d'emploi. Les conseils régionaux possèdent des moyens financiers accrus dans ce but. La difficulté consiste à adapter l'offre de formation aux besoins des candidats et aux capacités d'accueil. Il faut sans doute encore parfaire ce document, qui doit être précis, mais aussi suffisamment souple pour permettre à chacun de trouver la formation dont il a besoin.

Ce rôle est devenu essentiel dans les régions, pour les conseils régionaux « anciens » comme pour les « nouveaux ». En effet, depuis toujours, les conseils régionaux ont consacré des moyens et ont beaucoup travaillé pour se saisir de cette responsabilité résultant des lois de décentralisation. Après quelques départs hasardeux, nous constatons que les conseils régionaux sont pleinement investis dans cette mission et qu'ils prennent au sérieux la programmation dictée par les schémas tels que le PRDF. Ils sont tous animés par la volonté de proposer une offre de formation aux habitants de leur région, et parfois des régions voisines, qui coïncide le mieux possible avec les attentes des employeurs.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci. Nous sommes allés observer en Allemagne le dispositif de formation professionnelle. Comme vous le savez, l'Allemagne a développé le système dual. Avant de laisser la parole à M. Müller, responsable de l'entreprise Würth, et à l'un de ses apprentis, que nous avons tous deux rencontrés la semaine dernière dans le Bade-Würtemberg, je vais demander à notre rapporteur de nous rappeler les modalités du système dual et de nous expliquer pourquoi il est intéressant.

L'exemple étranger : l'Allemagne

M. Bernard Seillier, rapporteur - L'Allemagne utilise l'expression « système dual ». Il est important de le relever, car contrairement à ce que nous pourrions penser, le système allemand en matière d'apprentissage et d'alternance n'est pas l'équivalent d'un système français plus développé. Le mot « dual » révèle en fait une complémentarité et une association entre la formation théorique et la formation en entreprise. Il suppose une absence de dialectique de conflit entre les deux. Sa caractéristique essentielle réside dans le fait qu'il revient à l'entreprise de piloter le système de formation professionnelle. Cet enseignement n'est pas obligatoire. En effet, après une formation générale en école primaire, au collège ou en école secondaire premier cycle, les élèves peuvent poursuivre une formation théorique en lycée général pour entrer à l'université. La grande majorité d'entre eux entre cependant après cet enseignement général dans la formation duale, par l'intermédiaire de contrats de droit privé, révélant le rôle déterminant des entreprises. Ces contrats sont alignés sur le reste du code du travail, sauf pour la durée du contrat, qui varie entre trois ans et trois ans et demi, soit le temps d'acquisition du certificat de fin de formation.

Il existe un concours d'entrée pour l'apprentissage en formation professionnelle. A titre d'exemple, les deux plus grandes entreprises que nous avons visitées, Audi et Würth, offrent chacune entre 300 et 400 postes d'apprentis par an et reçoivent 2 000 à 4 000 candidatures, venant de toute l'Allemagne. Ce constat constitue un choc pour nous, qui pouvions imaginer que le système était conçu selon la logique inverse. Or cette caractéristique lui confère justement sa valeur : le nombre de places d'apprentissage proposées par les entreprises dépend en fait de leurs perspectives de recrutement. Les postes d'apprentis peuvent d'ailleurs être très variés. Par exemple, l'entreprise Würth, dont les représentants présents aujourd'hui apporteront plus de détails, dispose de formations commerciales et administratives, mais aussi de formations plus techniques. Une trentaine de métiers sont offerts par l'entreprise chaque année, mais les propositions varient selon les perspectives de recrutement. Elle peut par exemple n'offrir qu'un seul poste de dessinateur. En définitive, 80 % à 90 % des jeunes ayant suivi la formation sont recrutés par l'entreprise.

Il s'agit donc bien d'une inversion totale des perspectives, puisqu'il n'existe pas de programmation théorique de la formation et que ce sont les perspectives du marché de l'emploi qui sont déterminantes. De fait, 93 % des entreprises de plus de 500 salariés proposent une formation duale, qu'elles financent. Les sommes dépensées à ce titre par le secteur privé sont considérables, puisqu'elles représentent 35 milliards d'euros. La République fédérale et les Länder y consacrent également des moyens massifs : la totalité de l'investissement pour la formation correspond à 9 % du PIB, soit 200 milliards d'euros. Il faut cependant noter que l'entreprise n'est pas soumise à une taxe d'apprentissage. Il lui appartient donc de percevoir elle-même son intérêt à s'engager dans l'investissement dans la formation professionnelle.

L'entreprise doit toutefois respecter une loi fédérale de formation professionnelle votée en 1969, qui regroupe plusieurs initiatives de loi partielle et des pratiques instituées par les chambres de commerce et d'industrie et d'ailleurs calquées sur le modèle français. Cette loi a institué 340 codes de formation, qui définissent les professions. Celles-ci correspondent elles-mêmes à 15 000 activités. Ces activités sont réglementées sur la structure de formation, par exemple en termes de durée ou de matières enseignées. Les entreprises ajustent leurs formations sur leurs besoins de recrutement et sur ces codes. Elles demeurent sous la double tutelle, d'une part, des chambres de commerce et d'industrie qui examinent leur aptitude à s'engager dans la formation duale, d'autre part, du ministère de l'éducation qui veille au respect des règles.

Les Länder disposent d'écoles professionnelles qui associent à la formation en entreprise la formation professionnelle théorique. Les élèves passent ainsi un jour et demi en école professionnelle et trois jours et demi dans l'entreprise. La formation dure entre trois ans et trois ans et demi en général. Ainsi, les Länder, les entreprises et les chambres de commerce et d'industrie travaillent en coopération pour délivrer, à la fin de la formation, un certificat de formation théorique dans l'école professionnelle et un certificat de métier, pratique, dans l'entreprise. L'idéal consiste à parvenir, comme dans le Bade-Würtemberg, à un certificat commun. Cependant, même lorsque ce n'est pas le cas, le certificat est tout de même reconnu dans toutes les entreprises et tous les Länder, parce qu'il est très sérieusement surveillé et évalué.

Cet état d'esprit et cette organisation générale exigent de notre part un changement de perspectives assez considérable. Ce dispositif présente une grande sensibilité à la conjoncture, qui lui confère une grande valeur. En effet, lorsque la conjoncture est défavorable, le nombre de postes en formation professionnelle diminue, puisque l'avenir de l'entreprise s'obscurcit. Inversement, lorsque la conjoncture est positive, comme maintenant, les offres en apprentissage augmentent. Il est clair que les entreprises de petite taille ou à haute technicité, comme l'entreprise de produits de laboratoire que nous avons visitée, ne peuvent organiser la formation professionnelle et se permettre d'embaucher des apprentis. En effet, le contrat de formation professionnelle signé avec l'employeur place l'apprenti dans une situation d'emploi. Je me suis d'ailleurs rendu compte a posteriori que le contrat première embauche (CPE) représentait sans doute une tentative de se rapprocher du système allemand. En effet, le contrat de l'apprenti allemand constitue un premier contrat, qui n'est toutefois pas un vrai contrat de CDI, puisqu'il ne dure que le temps de la formation, assimilable à un temps d'essai.

En conclusion, je soulignerai que cette détermination de l'offre de formation par les perspectives de l'emploi et par la réalité du marché est assez impressionnante. De même, il est intéressant d'observer que les agences pour l'emploi offrent des postes de formation professionnelle aux jeunes. Il est donc clair que cette formation n'est pas simplement conçue comme une formation pratique, mais bien comme une formation en situation professionnelle totale. Vous serez sûrement impressionnés par le témoignage de cet apprenti allemand qui suit une formation très intéressante dans l'entreprise Würth. Son expérience montre que ce système représente également une formation de la personnalité. Les jeunes ne sont plus seulement apprentis, mais se trouvent déjà en situation d'emploi et possèdent des responsabilités dans l'entreprise. Ils sont d'ailleurs représentés par des délégués de jeunes en formation professionnelle. Ils sont donc complètement intégrés dans un processus qui forme la dynamique de leur personnalité, d'un point de vue technique et humain. Nos premières impressions vis-à-vis de cette expérience sont donc positives. Sa transposition française constitue une autre question.

M. Jean-Claude Carle, président - Je cite un chiffre pour compléter vos propos : l'Allemagne forme chaque année 1,6 million de jeunes apprentis, dont 41 % de femmes. Ce dispositif suit le slogan : « De l'école au travail », que nous avons retrouvé aussi bien chez Würth et Audi qu'au ministère de l'éducation du Bade-Wurtemberg. Après le témoignage de M Müller et de l'un de ses apprentis, puis le commentaire de Jacques Delors, la salle pourra poser des questions.

M. Otto Müller - Bonjour. Je vous remercie de votre invitation et de nous avoir donné l'occasion de présenter ici les expériences de notre entreprise, après un premier contact établi lors de la visite de votre délégation dans notre entreprise. Permettez-moi de donner tout d'abord quelques informations sur notre entreprise, qui propose une formation professionnelle pour les jeunes. L'entreprise Würth a été créée en 1945 en Allemagne. Elle vendait au début des vis et des produits de fixation. Aujourd'hui, nous sommes présents dans quatre-vingt-trois pays du monde. Nous possédons 100 000 références, que nous vendons essentiellement aux artisans, aux industriels et aux professionnels du bâtiment. Les 380 sociétés du groupe Würth regroupent plus de 60 000 salariés. Nous travaillons essentiellement dans le service et la distribution de ces produits dans le monde entier. Nous disposons également d'une petite division de production, mais elle ne représente que 10 % de notre activité. Notre coeur de métier est axé sur les services. Aussi, pour nous distinguer de nos concurrents, nous avons besoin d'une main-d'oeuvre extrêmement qualifiée dans ce domaine. En effet, la qualité des services détermine notre succès. Il est donc essentiel que tous les jeunes venant se former dans notre entreprise ne sachent pas seulement qu'il existe des clients, mais qu'ils soient aussi capables de travailler au quotidien avec eux.

Je vais maintenant évoquer la formation professionnelle dans notre entreprise. Vous avez déjà présenté le système d'alternance allemand ; j'évoquerai donc plutôt la partie pratique, portant sur le travail avec des clients. Nous ne montrons pas seulement en théorie aux jeunes ce que représente ce travail. Lors de leur formation, ils ont déjà la possibilité de travailler avec les clients. Le jeune en formation qui m'accompagne pourra peut-être en témoigner. Personne n'aurait l'idée de former un sportif de haut niveau souhaitant participer à un sport d'équipe seulement avec une formation théorique. Nous sommes convaincus, et l'expérience nous l'a montré, qu'une bonne formation professionnelle doit toujours réunir une partie théorique et une partie pratique. Chez nous, les jeunes ont la possibilité de voir comment se passe la vie professionnelle dans la pratique. Nous accompagnons personnellement ces jeunes, mais il importe surtout qu'ils comprennent à la fois comment fonctionne une entreprise quotidiennement, quelle est l'organisation du travail et comment ils peuvent se comporter de manière très concrète vis-à-vis de leurs collègues, de leur hiérarchie et de leurs clients. C'est pourquoi notre entreprise souhaite renforcer le principe de cette formation en alternance.

Vous avez précédemment parlé des objectifs de la formation en alternance. Les jeunes sont parfaitement conscients du fait que s'ils réussissent leur formation, la probabilité d'être embauchés par l'entreprise puis d'obtenir un contrat à durée indéterminée, est très forte. Les jeunes qui ont suivi une formation professionnelle dans notre entreprise sont toujours prioritaires lorsqu'il s'agit de recruter des jeunes. Cette politique est également dans l'intérêt de l'entreprise, car de cette manière, elle reste jeune et vivante. Ainsi, en l'an 2000, 50 % des employés du siège social de la société étaient âgés de moins de vingt-huit ans. Nous proposons presque à 100 % des jeunes réalisant leur formation professionnelle dans notre entreprise un contrat à la suite de leur formation. Ce recrutement est rendu possible par notre croissance régulière de 10 % par an. Cette perspective constitue une véritable motivation pour les jeunes. Elle les incite à nouer des contacts et à développer leurs qualités au sein de l'entreprise. La rémunération est également très importante. Sur la base de nos contrats de formation, les jeunes sont rémunérés à hauteur de 700 à 800 euros par mois. Ce montant est important pour des jeunes de 15-16 ans. Il leur offre une indépendance et une stabilité personnelle. Lorsqu'ils sont un peu plus âgés, ils ont besoin de plus d'argent. Cette rémunération est donc un critère essentiel pour eux.

Par ailleurs, nous avons constaté qu'un grand nombre de jeunes en échec scolaire dans le système de l'éducation générale, parce qu'ils n'avaient pas envie d'apprendre ou n'étaient pas intéressés, trouvent une motivation nouvelle au sein de la formation professionnelle et réussissent de cette manière. Le fait de pouvoir bénéficier de tuteurs et de contacts directs au sein de l'entreprise aide les jeunes à s'insérer dans le monde du travail. Les tuteurs jouent d'ailleurs parfois presque un rôle d'assistant social. Cette insertion ne réussit pas toujours, mais elle est efficace dans un très grand nombre de cas. Pour la société en général, ce système de formation professionnelle est également bénéfique, parce qu'il permet de corriger les erreurs de l'éducation générale. Par exemple, nous ne proposerons des places de formation professionnelle pour des informaticiens que si le besoin se présente. Dans le cas contraire, les autorités et les chambres de commerce et d'industrie doivent réfléchir ensemble à d'autres possibilités et trouver d'autres domaines dans lesquels existe un réel besoin de formation. En effet, il est inutile de disposer de décrets et de lois présentant exactement la structure d'une formation, s'il est ensuite impossible de proposer des contrats aux jeunes ayant suivi cette formation. Le système de la formation en alternance est donc aussi un facteur de correction pour le système éducatif général. Il permet d'ailleurs également aux entreprises de se moderniser.

Ce système est également très avantageux pour les entreprises. Il leur offre la possibilité d'intéresser des jeunes à leurs métiers et la possibilité de les former, pour disposer ensuite d'employés extrêmement qualifiés et capables de s'intégrer parfaitement. La formation professionnelle, qui dure entre deux et trois ans, aide les jeunes à découvrir leurs propres capacités et les domaines professionnels dans lesquels ils possèdent les meilleures aptitudes. En effet, de nombreux jeunes ne savent pas, au départ, ce qu'ils veulent devenir exactement. Leurs souhaits sont encore assez imprécis à la fin de leur scolarité, qui reste assez théorique. Pendant cette période passée au contact de la réalité professionnelle et de différents domaines, et après avoir discuté avec leurs collègues, les jeunes sont réellement conscient de ce qu'ils savent faire et de ce qu'ils aiment faire. Cela leur permet de trouver un travail dans lequel ils peuvent s'épanouir. Compte tenu de ces considérations, il est tout à fait normal que les entreprises investissent dans ce type de formation.

Je signale, pour finir, que nous réfléchissons actuellement avec d'autres instances à des possibilités d'élargissement de ce système à la formation continue. Cette initiative pourrait permettre une coopération avec des universités, par exemple, et offrir ainsi aux jeunes de nouvelles perspectives. En même temps qu'une formation continue en entreprise, ils pourraient suivre une formation de type enseignement supérieur dans une université. Enfin, grâce à cette motivation acquise au sein de l'entreprise, les jeunes sont réellement capables de s'identifier à l'entreprise, ce qui représente la meilleure condition pour acquérir une bonne qualification.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci. Il serait maintenant intéressant que M. Breuninger explique pourquoi il a fait le choix de cette voie et de cette entreprise, et comment se déroule sa formation.

M. Marcel Breuninger - J'ai commencé des études de droit à l'université de Würzburg. Je me suis alors rapidement rendu compte que l'enseignement était très théorique et que je n'apprenais rien sur la pratique. De plus, nous étions souvent 300 élèves dans des amphithéâtres très remplis et l'enseignement était très anonyme. Je poursuis maintenant mes études dans le domaine professionnel et l'avantage est très net : les groupes se limitent à vingt ou vingt-cinq personnes et nous disposons d'un accompagnement individuel. La formation théorique qui accompagne la formation professionnelle en entreprise est très orientée vers la pratique, car tous nos professeurs sont issus du monde de l'entreprise. L'autre avantage réside dans le fait que la théorie apprise est applicable trois mois plus tard dans la pratique. Enfin, la rémunération est très importante, car elle permet de se concentrer entièrement sur la formation, sans avoir besoin de trouver un petit travail à côté. Voici les raisons pour lesquelles j'ai choisi de compléter mes études par cette formation professionnelle chez Würth. Je ne peux que conseiller à chacun de suivre mon exemple.

M. Jean-Claude Carle, président - Quel est votre âge ?

M. Marcel Breuninger - J'ai vingt-trois ans.

Commentaire

M. Jean-Claude Carle, président - Merci.

Monsieur le président Delors, que vous inspirent ces différents exposés et témoignages de jeunes apprentis français et allemands ? Le CERC a commis un rapport intitulé « La France en transition de 1993 à 2005 », qui insistait sur les inégalités au sein de l'enseignement primaire et secondaire, sur les succès des filières d'enseignement supérieur et professionnel et sur le cloisonnement et les inégalités d'accès affectant le système de formation continue. Par ailleurs, en 1999, vous avez porté un jugement assez sévère, que je me permets de citer : « Depuis 1971, il y a une accumulation de lois et aucun chat ne peut y retrouver ses petits. Il faut absolument - c'est une dimension essentielle de la démocratie - savoir recréer de la simplicité. Le système est défiguré car il y a trop d'acteurs ».

M. Jacques Delors - Merci de m'avoir invité. Permettez-moi de féliciter la mission du Sénat pour son travail très sensible, ouvert et approfondi. Ce travail arrive à temps car, au cours des prochaines années, il s'agira non seulement d'informer les responsables politiques, professionnels et syndicaux sur ce sujet, mais également de sensibiliser une opinion publique dont les vues sur le système d'éducation nationale sont un peu trop simples. Les campagnes électorales n'ont d'ailleurs pas facilité le changement. Les propos que vous avez cités concernaient surtout le système de formation permanente. En effet, depuis la loi de 1971, je me sens investi d'une responsabilité de père sur ces questions. Je vais cependant maintenant revenir à la formation professionnelle et à l'apprentissage.

Nous sommes partagés entre la tentation de délivrer un diagnostic global et celle de réaliser un diagnostic plus diversifié. Cette dernière option est encouragée par des initiatives telles que celles de Veolia, de la ville de Marseille ou de certaines régions, qui représentent de nombreuses expériences réussies. Ces expériences ont pour principe de faire confiance à chaque jeune et de considérer qu'il possède en lui un trésor, qu'il importe de révéler. Elles comportent donc également une valeur éthique. Je souhaite que la passion de l'égalité formelle qui saisit actuellement les Français et leurs dirigeants ne les empêche pas de considérer qu'il est possible d'avoir plus de succès en acceptant une certaine diversité et une certaine expérimentation, que dans des systèmes académiques. Cet aspect est très encourageant.

Vous avez d'ailleurs ajouté à ces expériences un exemple allemand. Depuis que j'ai l'occasion de travailler en Allemagne, soit depuis soixante-trois ans, j'ai rencontré de nombreuses entreprises allemandes. A chaque fois qu'un directeur ou un ingénieur me recevait, il me conduisait dans un atelier ou un service où se trouvaient un chef de service, un employé qualifié ou un chef d'atelier ayant suivi le même enseignement dual que lui. Ici résident les raisons de la supériorité allemande en matière de compétitivité. Cet enseignement dual contribue en outre à modifier les rapports d'autorité et de face-à-face en France.

Le diagnostic global reste celui du CERC, sans contestation. Il a d'ailleurs été repris dans la campagne électorale. Il indique que chaque année, 90 000 à 110 000 jeunes quittent le lycée sans être capables d'affronter la vie professionnelle. Nous avions d'ailleurs proposé un chantier dédié à cette question, mais il faudrait plutôt se consacrer à la racine du problème : est-il possible d'obtenir de meilleurs résultats avec des réformes de l'enseignement ? Pour s'adresser à l'opinion publique ou aux responsables de l'éducation, il existe deux concepts éculés, auxquels je suis hostile : l'éducation tout au long de la vie et l'égalité des chances. Ces concepts pourraient toutefois être régénérés. Leur utilisation intempestive et parfois abusive a cependant créé un climat de scepticisme à l'égard du reste. C'est pourquoi il me semble qu'il faut pour l'instant les abandonner.

Le rapport de la commission Thélot contient d'ailleurs les éléments de réponse essentiels. Ainsi, 100 % des élèves doivent maîtriser les fondamentaux, avant même de passer dans la formation professionnelle. Il suffit de consulter les analyses PISA de l'OCDE pour s'en rendre compte. Sans vouloir entrer dans des considérations politiques, je rappelle que le gouvernement de Tony Blair avait défini l'éducation comme une priorité après avoir constaté que 15 % des jeunes entre treize et quinze ans ne maîtrisaient pas les quatre fondamentaux. Je ne connais pas ces chiffres pour la France, qui sont discutés, mais il me semble que cette question est essentielle. Elle rejoint l'idée du trésor caché en chaque enfant et renvoie à la question de la formation au sein de l'école.

Je pense que les différences entre l'enseignement professionnel et l'apprentissage se sont nettement atténuées, parce que l'apprentissage a progressivement trouvé ses lettres de noblesse, tandis que l'enseignement professionnel s'est débattu avec son étiquette de « réservoir » d'enfants ayant échoué dans la formation classique. Le fait de ne plus parler de formation professionnelle et d'apprentissage - dont la nuance péjorative s'estompe d'ailleurs peu à peu -, mais de disposer d'un ensemble nommé l'enseignement professionnel pourrait représenter une révolution intellectuelle envisageable.

Je souhaite par ailleurs ajouter un autre élément, souligné par la commission Thélot et beaucoup étudié par M. Thélot. Je l'avais également constaté lorsque j'ai étudié au CERC le traitement des chômeurs : leurs formations sont trois fois mieux réussies lorsqu'elles se font en alternance. Il existe des études sur ce sujet, notamment de l'INSEE. J'ai d'ailleurs été étonné que l'ANPE soit absente des exposés réalisés par la ville de Marseille et qu'elle ne fasse pas partie des partenaires cités. Ce sujet fera sans doute l'objet d'une réflexion ultérieure, puisqu'il est question de créer une nouvelle ANPE, en la fusionnant éventuellement avec l'UNEDIC.

Ma dernière remarque concerne l'enseignement dans son ensemble. D'après mon expérience personnelle, il apparaît que lorsque les parents sont reçus par les conseillers d'orientation dans les collèges et les lycées, certains sont résignés à ce que leurs enfants quittent la voie classique. Spontanément, ils sont prêts à se tourner vers l'enseignement technique. Comment remédier à cette situation ? Compte tenu des caractéristiques des quartiers difficiles, des faibles connaissances des parents et du temps limité qu'ils accordent à l'éducation de leurs enfants, je me demande si les élèves orientés dans l'enseignement professionnel ne pourraient pas revenir dans l'enseignement principal par la suite, s'ils révélaient de telles dispositions. Si cette possibilité était réalisée, nous pourrions reparler d'égalité des chances. Telles sont mes observations, que j'ai limitées à l'essentiel.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci. Je vous propose d'ouvrir maintenant la discussion.

Mme Isabelle Debré - Je crois évidemment d'abord qu'il faut cesser d'ajouter de nouveaux dispositifs à ceux qui existent. Mais surtout, depuis que nous travaillons sur la formation professionnelle, il m'apparaît essentiel de favoriser une évolution des mentalités très importante, aussi bien auprès des entrepreneurs, qu'auprès des professeurs et des parents. Nous en avons beaucoup parlé et je me suis félicitée que MM. Bouramala, Thélot et Delors l'évoquent également.

M. Jean-Claude Carle, président - Puisque personne ne souhaite plus intervenir, je voudrais vous indiquer, monsieur le président Delors, combien je partage votre point de vue sur les concepts usés et combien ils m'apparaissent dangereux. En effet, ils ne sont pas toujours bien utilisés et ils créent des phénomènes de mode.

La deuxième partie de la table ronde sera davantage centrée sur la formation continue. Celle-ci est intimement liée à la formation initiale et lui est consécutive, donc elle méritait également que nous nous y attardions. Nous l'avons intitulée « D'une vision séparée à une vision partagée », en raison du cloisonnement qui existe entre les nombreux acteurs, et qu'a signalé M. Jacques Delors.

Je vais demander à M. Gauron de nous indiquer si les sommes investies dans la formation continue sont effectivement partagées entre ceux auxquels elles sont destinées, soit ceux qui en ont le plus besoin.

D'une vision séparée à une vision partagée

Problématique globale du système de formation

M. André Gauron - Je ne suis pas certain de répondre exactement à votre question. En effet, nous avons beaucoup parlé ce matin de la formation professionnelle dans l'enseignement secondaire, mais nous ne l'avons absolument pas évoquée pour le premier niveau de l'enseignement supérieur. Je rappelle qu'aujourd'hui, 50 % des jeunes entrent dans l'enseignement supérieur et que 20 % d'entre eux ne parviennent pas à en être diplômés. Le problème en France se pose donc à la fois au niveau du secondaire et du supérieur. Dans le secondaire, l'orientation est assez largement subie. Lorsqu'elle est choisie, elle l'est sous la contrainte intégrée par les parents que leurs enfants ne seront pas aptes à suivre des études générales.

Dans le supérieur, en revanche, la formation est choisie selon le niveau scolaire. L'enseignement professionnel dans le supérieur est entièrement sélectif. Les BTS, les IUT, les écoles ou la médecine répondent à une sélection sur dossier ou sur concours. Le droit reste encore assez ouvert, même si dès la deuxième année, la sélection s'opère encore assez largement. La situation est donc paradoxale : les personnes ayant le niveau scolaire le plus faible, comme par exemple les bacheliers sans mention, n'ont pas accès à l'enseignement professionnel auquel ils pourraient aspirer. Par défaut, ils intègrent donc l'université où ils échouent largement lorsqu'ils possèdent un Bac technologique ou professionnel. De même, les jeunes qui intègrent des qualifications de niveau Bac ne correspondent pas à ceux qui ont choisi des voies menant directement à l'emploi, comme le Bac pro, mais aux jeunes du niveau 4, qui ont tenté l'université pendant un ou deux ans et ont échoué. Cette question se trouve au coeur de la formation initiale, mais aussi de la réflexion sur ce que peuvent apporter l'alternance et la formation continue.

Premièrement, contrairement aux entreprises allemandes, les entreprises françaises ont tendance à intégrer des jeunes avec un niveau de qualification de plus en plus élevé, et non à organiser la promotion professionnelle en développant les niveaux de qualification. La dernière étude du CEREQ sur la métallurgie montre que les intégrations se produisent au moins au niveau du Bac, sinon du BTS. Ce secteur ne se préoccupe pas de recruter des jeunes sans qualification pour les transformer en ouvriers qualifiés. Ainsi, la formation continue consiste de plus en plus en une adaptation aux évolutions écologiques, comme l'indiquent les études de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) ou de l'INSEE. Ce type de formation est donc essentiellement horizontal et ne trace pas des parcours ascendants dans les entreprises.

Deuxièmement, le système français se caractérise par une absence de continuité dans la formation professionnelle entre le secondaire et le supérieur. A partir du Bac, les acquis fondamentaux représentent donc l'un des enjeux de la formation professionnelle. En effet, le socle de la formation générale permet d'accéder à la formation professionnelle supérieure. La mission pourrait donc demander dans son rapport pourquoi la formation professionnelle ne revient pas sur les lacunes des jeunes les moins formés dans le niveau initial. Elle pourrait souligner le fait que la formation continue est majoritairement technique, et insuffisamment axée sur la formation générale. Certes, comme l'évoquait le président Delors, il existe des expériences positives. Par exemple, des entreprises d'Anjou ont mis en place des formations continues généralistes. Cependant, le diagnostic général reste plus pessimiste.

Troisièmement, nous sommes confrontés au problème complexe des cartes de formation au niveau des régions : la formation au pays ne représente pas la solution convenable. Elle entre d'abord en contradiction avec le dynamisme variable de la région. Ainsi, la formation en Ile-de-France est très profitable, parce que la région est extrêmement dynamique. En revanche, les régions en périphérie de l'Ile-de-France, insuffisamment attractives, trop rurales et dont la modernisation technologique est trop faible, proposent aux jeunes des formations adaptées aux besoins de la région et les enferment ainsi dans des impasses. En effet, elles n'offrent pas la possibilité d'acquérir des formations d'un autre type et recréent ainsi les inégalités. Elles ne permettent pas de trouver dans d'autres régions des emplois plus attractifs. Il faut donc que les régions soient capables de dépasser leurs propres besoins. Elles doivent être capables de se placer dans une perspective prospective, plutôt que dans une vision malthusienne d'adaptation aux besoins. Ces régions déplorent souvent le fait que leurs bacheliers recherchent des études ou des emplois en dehors de la région, mais il importe qu'elles acceptent la mobilité. De même, dans un monde de plus en plus ouvert, il est nécessaire de prendre en compte les qualifications et les diplômes européens dans les PRDF pour offrir aux jeunes les moyens de leur mobilité et d'évoluer dans leurs qualifications. C'est en intégrant ces aspects que le concept de qualification tout au long de la vie sera pertinent.

De plus, aujourd'hui encore, malgré les efforts déployés par les régions, les rapports de force entre la région et le rectorat restent trop inégaux. En effet, même s'il existe un PRDF, l'offre de formation relève essentiellement du rectorat. Pour introduire de la flexibilité, il faudrait parvenir à rééquilibrer ce rapport de force, en plaçant dans les régions des interlocuteurs dotés de la compétence et de l'appui politique nécessaires pour pouvoir résister aux recteurs. Ces derniers, chargés de gérer l'offre et les moyens humains, ont en effet tendance à vouloir maintenir des classes ou à les fermer indépendamment des besoins régionaux.

Enfin, je ne peux terminer cette introduction sans revenir à une question qui devrait nous occuper dans les mois ou les années à venir : l'échec universitaire dans le premier cycle. Il ne tient pas à un problème d'orientation mais de niveau scolaire. Il faut avoir le courage d'affirmer qu'il est lié au fait que 22 % des jeunes entrant à l'université auraient préféré suivre d'autres études, mais n'en possédaient pas les moyens scolaires. Ils n'avaient pas, par exemple, obtenu une mention suffisante pour accéder aux classes préparatoires ou avaient été bloqués, pour la majorité d'entre eux, par la sélection à l'entrée du BTS ou de l'IUT. La solution ne réside ni dans la réorientation au bout de quelques mois, ni dans une professionnalisation du premier cycle. Nous ne pourrons éviter de nous interroger sur la réforme des BTS et sur le développement des BTS en alternance, et non uniquement dans le système actuel. Les BTS ont en effet été créés, il y a quarante ans, dans les conditions très particulières de l'époque. Peut-être faut-il maintenant répondre aux souhaits des jeunes désirant quitter le lycée après le Bac et imaginer que les BTS peuvent être préparés en-dehors des établissements scolaires. Je pense qu'il serait utile que le Sénat pose cette question, car personne ne s'y intéresse.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci. Il est vrai que le rapport de force entre le recteur et le conseil régional est encore un peu trop inégal. Il ne tient qu'aux élus régionaux, indépendamment de leur tendance politique, d'essayer d'infléchir ce rapport, comme le permet la loi. Nous devrons certainement aborder cette proposition, notamment à travers le PRDF.

Monsieur de Ficquelmont, les entreprises se satisfont-elles de ce système marqué par la complexité et le cloisonnement ? Les personnels souhaitant recevoir une formation y ont-ils accès facilement ou cette démarche s'apparente-t-elle encore à un « parcours du combattant » ? Tel est plutôt le cas des grandes entreprises, mais encore plus des PME ou des TPE.

La position des entreprises

M. Éric de Ficquelmont - Au cours de la première partie de la table ronde précédente, j'ai été assez frappé par le fait que la France dispose de tous les éléments nécessaires pour imiter le système allemand, mais que la mauvaise utilisation de son dispositif, complexe, l'en empêche. Comme l'a souligné le président Delors, un grand scepticisme se manifeste à la fois parmi les jeunes, qui sont le reflet des professeurs et des parents ; les parents, qui considèrent certaines voies comme une mauvaise approche professionnelle ; les professeurs, en raison de la déconnexion considérable entre l'éducation nationale et les entreprises, qui s'en partagent la responsabilité ; enfin les entreprises, du fait du système unique en Europe qui a été mis en place, et qui les déresponsabilise. L'inscription de l'apprentissage dans le livre 1 du code du travail en 1946 et l'obligation pour les entreprises de verser 0,5 % de la masse salariale pour le financer, ont été oubliées. Les premières lois de 1970 n'ont pas pris en compte cette participation préexistante de l'entreprise et lui ont imposé de verser un autre pourcentage, qui correspond actuellement à 1,6 %, suite aux lois successives. Aujourd'hui, une entreprise verse au minimum 2,1 % de sa masse salariale. En réalité, elle ne dépense pas la totalité de cette somme, car une grande partie est dirigée vers les chambres de commerce et d'industrie, qui les répartissent entre différentes structures. Cette partie n'est souvent consacrée ni à la formation, ni à l'apprentissage, mais aux frais de gestion de ces structures. Certains chefs d'entreprise s'interrogent donc sur l'usage de leur taxe d'apprentissage.

De plus, ce chiffre se divise en 0,3 % et 0,2 %, eux-mêmes divisés en différentes parties, donc il est très difficile de comprendre sa répartition. De fait, il a été décidé qu'une partie du pourcentage de 1,6 % pour la formation continue, soit 0,5 %, serait destinée à l'apprentissage, appelé l'alternance. Suite aux discussions paritaires, fort utiles au demeurant, il a été choisi de mutualiser ces sommes. Il faut donc être spécialiste pour comprendre la répartition de ce chiffre. La loi de 2004 a établi que le pourcentage de 0,5 % ne serait plus seulement consacré aux jeunes, mais personne ne comprend le fonctionnement de ce système. Le congé individuel de formation (CIF), correspondant à 1,2 %, est également mutualisé, tout comme le plan de formation, s'élevant à 0,9 %. La création du droit individuel à la formation (DIF), accordant au salarié vingt heures de formation chaque année, a encore compliqué le système.

Le système français est donc assimilable à un grand ensemble confus qui mobilise des sommes considérables et qui, de manière unique en Europe, déresponsabilise les entreprises. En effet, la contribution des entreprises ne représente pas un investissement mais une taxe, pour la plupart d'entre elles. Cette idée est pourtant excellente, mais il faut simplifier au maximum le dispositif pour le rendre compréhensible. Ainsi, les entreprises pourront l'utiliser pour leurs collaborateurs, qu'ils soient jeunes ou moins jeunes, en formation initiale ou en formation continue. Il faut également cesser d'ajouter aux accords paritaires des lois plus ou moins paritaires pour chaque cas particulier.

Concernant mon avis sur l'utilisation de ces fonds, je sais qu'il existe un immense besoin de formation, comme l'ont indiqué tous les intervenants, et que la compétitivité des entreprises françaises et étrangères s'appuie sur la formation de leurs collaborateurs. Nous avons eu l'intelligence d'imaginer que les entreprises pourraient cotiser pour ces formations, mais il faut absolument simplifier le système. Il faut permettre aux entreprises d'utiliser le système selon les objectifs pour lesquels il a été conçu, et non pour former des technocrates et des apparatchiks des systèmes de formation. L'utilisation de ces sommes doit être conforme à la vocation initiale du système de formation professionnelle et considérée comme un investissement. Dans le rapport Proglio, du nom du président du groupe Veolia Environnement, je m'étais même risqué à proposer de supprimer cette taxe et d'opter pour des crédits d'impôts, pour responsabiliser les entreprises, au lieu d'alimenter des fonds qui ne sont pas destinés à la formation professionnelle. J'ai été contesté, notamment par le MEDEF, qui a indiqué qu'il convenait de respecter les structures existantes. Je comprends cet argument, mais pour responsabiliser les entreprises en France et leur faire prendre conscience qu'elles ont besoin de collaborateurs formés, en formation initiale et continue, il faut se doter des moyens nécessaires. Certains exemples remarquables ont d'ailleurs été donnés, qu'il s'agisse des collectivités locales ou des entreprises.

Les grandes entreprises, effectivement, parviennent mieux que les autres à comprendre le système, car elles placent certains collaborateurs dans les structures concernées, et notamment les commissions paritaires nationales de l'emploi (CPNE), et en deviennent les trésoriers. Mais les moyennes et petites entreprises abandonnent, car le système est beaucoup trop compliqué. Ayant fait partie d'une moyenne entreprise, je sais que lorsque les commissaires au compte demandent aux PME comment elles ont provisionné le DIF, elles répondent qu'elles ne savent pas effectuer l'opération. De fait, elles s'endettent. L'entreprise que j'ai rejointe sera ainsi probablement en faillite dans quelques années parce qu'elle devra payer le DIF accumulé, que les salariés n'auront pourtant pas utilisé, faute de comprendre son fonctionnement. Cessons donc de complexifier un système qui doit être compréhensible par tous, pour répondre véritablement aux objectifs définis.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci pour ces propos engagés, et merci d'avoir essayé de nous éclairer dans un domaine effectivement très difficile à comprendre. Vous avez indiqué que certaines entreprises considèrent leur contribution davantage comme une taxe qu'un investissement. Cet aspect, qui constitue l'objet d'une de nos réflexions, est véritablement problématique. Considérant la formation professionnelle comme un investissement, et non comme une dépense, j'estime qu'il faut sortir de cette logique de moyens pour adopter une logique de résultats. Nous avons demandé à des jeunes en formation d'essayer de nous guider dans cette complexité et ce cloisonnement, en leur commandant une enquête sur les difficultés rencontrées par les clients, personnes physiques ou morales, pour obtenir satisfaction dans ce domaine.

La réalité des difficultés d'accès à la formation

M. François Aumont - Nous avons répondu avec plaisir à l'invitation de la mission d'information pour vous présenter nos conclusions sur la façon dont est perçue, sur le terrain, la formation professionnelle. Nous nous sommes attachés à vous transmettre leur témoignage de la façon la plus directe possible. Notre enquête n'a pas vocation à être une étude statistique représentative. Il s'agissait pour nous d'être le relais des préoccupations et des attentes des acteurs de la formation professionnelle. Les réponses que nous avons obtenues dévoilent que le point de vue des acteurs de la formation professionnelle est bien différent lorsqu'il s'agit d'un salarié, d'un chômeur ou d'un employeur. Nous présenterons donc ces avis à trois voix.

- L'avis des salariés

Les salariés qui ont répondu à nos questions sont pour la plupart titulaires au moins d'un baccalauréat et ont suivi, ou sont en train de suivre, une formation professionnelle. Je voudrais simplement relayer trois grands messages.

- La relative solitude du salarié souhaitant suivre une formation professionnelle

Le désir de formation représente une démarche très, voire trop, personnelle. Ainsi, un salarié explique : « J'ai suivi une formation parce que j'en avais besoin, pour moi-même. Si j'avais dû attendre qu'on me le suggère, je n'aurais jamais rien fait. ». Le salarié est donc trop rarement sollicité pour suivre une formation. Il doit souvent entreprendre les démarches seul. Ainsi, 85 % des salariés interrogés sont à l'initiative de leur propre parcours de formation professionnelle. L'accord de l'employeur, la recherche de financement et le choix de l'organisme de formation relèvent du parcours du combattant. De fait, seuls les plus motivés y parviennent.

- La difficulté d'identifier la formation la plus profitable parmi la nébuleuse d'organismes de formation

Les questions sur ce thème sont les suivantes : « Par où commencer ? » et « Quels sont mes droits ? ». En effet, 78 % des personnes interrogées ne connaissent pas leurs droits en matière de formation. Ainsi, beaucoup de salariés expriment des envies, mais sont découragés par la complexité et le manque d'information sur la formation professionnelle. Cet aspect est très frustrant pour eux, car ils sont conscients de l'importance de l'actualisation de leurs compétences, pour eux-mêmes et pour la nation tout entière. Ils sont nombreux à regretter que cette question ne se situe pas au centre du débat politique actuel, notamment pendant la période électorale que nous vivons.

- Une formation profitable mais pas assez reconnue

95 % des salariés interrogés se déclarent satisfaits de leur formation. Ils ressentent l'impression d'avoir véritablement progressé et de pouvoir offrir à leurs employeurs de nouvelles compétences et une plus grande compréhension de leur environnement. Cependant, une salariée indique : « La formation professionnelle que j'ai suivie m'a beaucoup apporté, mais je ne parviens pas à la mettre en valeur auprès de mes employeurs. » Nous constatons donc une certaine frustration des salariés qui ont le sentiment que leurs compétences ne sont pas reconnues à leur juste valeur. Beaucoup proposent de sortir de la logique de diplômes afin de s'orienter vers la reconnaissance des compétences.

M. Abdelmadjid Mahcene - L'avis des chômeurs.

Pour ma part, je me suis intéressé aux demandeurs d'emplois qui ont reçu une formation continue, qu'il s'agisse de l'EM Lyon ou d'autres organismes de formation. Il est apparu que les chômeurs sont confrontés à trois types de difficultés.

- Une démarche très personnelle

Si la situation du salarié et du chômeur est très différente, nous remarquons que la décision de ce dernier d'entreprendre une formation continue est également très personnelle. Après plusieurs candidatures infructueuses et parfois plusieurs années, se produit une démarche de prise de conscience : le chômeur se demande réellement ce qu'il sait faire et ce qu'il peut faire. Il effectue alors une recherche d'organismes de formation, puis commence sa formation continue.

- L'accès à l'information sur la formation continue

Nous pourrions penser qu'en France, les chômeurs sont peu renseignés, mais en réalité, comme l'a précisé un chômeur : « L'information existe et elle est claire, il suffit d'aller la chercher. » Ce sentiment m'a souvent été transmis. Il s'agit donc également d'une question de volonté. De plus, l'information est justement parfois trop dense. Il ne faut donc pas multiplier les sources d'information, mais plutôt les rationaliser, notamment grâce à des outils de comparaison. Il est apparu que les chômeurs aimeraient en effet pouvoir évaluer les différents organismes, notamment sur la qualité et le coût.

- Un accès inégal selon le type de demandeurs d'emploi

Il existe un fossé clair entre les demandeurs d'emploi des professions supérieures et les demandeurs d'emploi non qualifiés ou possédant une qualification Bac+2, comme le BTS. Les demandeurs d'emploi cadres possèdent une culture du réseau et n'hésitent pas à utiliser leurs relations. Les demandeurs d'emploi non qualifiés, ou issus de professions intermédiaires, eux, se sentent plus désorientés, d'autant plus que selon eux, l'ANPE, qu'ils fréquentent régulièrement, les informe très mal. Nous constatons même chez certains une autocensure : « Une formation continue, ce n'est pas pour moi, c'est pour les cadres. ». Ceux-ci ont l'impression qu'ils ne peuvent pas accéder à une formation, et décident dès lors de continuer leur recherche d'emploi dans le même domaine.

Enfin, j'aimerais revenir sur les propos de M. de Ficquelmont. Au cours de mes recherches, j'ai rencontré le CORAS, qui est une fédération de 450 entreprises aidant les chômeurs à s'insérer. J'ai alors observé les mêmes réactions que celles évoquées par M. de Ficquelmont, notamment concernant le DIF et la destination inconnue des contributions de 0,2 % et de 0,3 %.

M. Jean-Baptiste Paccoud - L'avis des chefs d'entreprise.

Notre recherche est basée sur une proportion quasiment équivalente de grandes entreprises, de PME et de TPE. Les réflexions sont évidemment différentes selon la taille de l'entreprise. Nous avons balayé un nombre de secteurs assez large : automobile, santé, tourisme, distribution, biens d'équipement.

Les réponses ont d'abord montré que dans 70 % des cas, les entreprises pensent détenir les moyens de déterminer leurs besoins en formation et que 65 % d'entre elles n'ont pas recours à une aide extérieure. Il est très souvent apparu que les employeurs jugent la formation continue très utile et importante. Ils indiquent d'ailleurs leur préférence pour l'alternance, la formation sur mesure et l'apprentissage. Les motifs du choix de ces formations sont l'adaptation ou le changement d'emploi et la qualification ou la valorisation des acquis.

Nous nous sommes ensuite demandés à qui profitait le plus la formation continue. Une personne d'une TPE dans le conseil en ressources humaines a expliqué : « Je pense que la formation devrait profiter en priorité aux personnes peu qualifiées afin de leur permettre une évolution et des opportunités de changement. Dans les faits, je pense qu'aujourd'hui ce n'est pas le cas. Ce sont plutôt les salariés déjà diplômés qui bénéficient le plus de la formation. ». Cette affirmation a été amplement confirmée, puisque 95 % des sondés pensent que les plus grands bénéficiaires de la formation continue sont les cadres et les cadres supérieurs, et les moins grands bénéficiaires les ouvriers et les employés. Nous relevons donc un réel problème.

Concernant le DIF, qui est assez récent, nous observons un manque d'information évident. Beaucoup d'employeurs ne savent pas ce dont il s'agit. Les employeurs sont également assez mal renseignés sur la transférabilité. Certaines entreprises, notamment les grandes, sont en mesure d'expliquer le fonctionnement du DIF et de donner leur avis, mais dans la plupart des cas, les PME et TPE n'ont pas l'occasion de s'y intéresser et de le comprendre.

S'agissant de l'évaluation, 60 % des employeurs jugent essentiel d'évaluer les salariés au retour de leur formation. A noter que 55 % d'entre eux considèrent que les formations sont de qualité. Ils estiment qu'elles entraînent les effets positifs suivants : motivation, valorisation des acquis, nouvelles compétences, fidélisation à l'entreprise et confiance en soi. Ces thèmes sont effectivement améliorés et désormais bien abordés dans la formation continue.

Je terminerai par le financement, sans toutefois répéter les propos de M. de Ficquelmont. Pour les PME et les TPE, le système apparaît comme beaucoup trop complexe. Elles le trouvent pertinent dans son principe, mais pensent que la communication est insuffisante. En effet, elles ignorent souvent comment est réparti l'argent. Elles ont le sentiment que les organismes collecteurs ou les prestataires prélèvent leur commission sur cette somme en facturant leurs services à des tarifs exorbitants. Elles estiment donc nécessaire de clarifier la situation pour permettre aux entreprises de comprendre les dispositifs qu'elles peuvent utiliser.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie pour cette enquête et cette présentation très claire, dont nous vous félicitons. Elle nous servira dans les prochains jours pour commettre notre rapport. Suite à votre point sur le financement, nous allons maintenant aborder le thème de l'argent de la formation. Je vais demander à Jean-François Humbert de rappeler rapidement les sommes dépensées - qui sont en réalité, je le répète, un investissement - et leur provenance. Nous solliciterons ensuite Claude Thélot pour savoir si ces sommes sont destinées à un « tonneau des Danaïdes » ou si elles sont utilisées à bon escient, conformément à la vocation du système de formation continue. Nous demanderons ensuite aux partenaires sociaux, qui gèrent de façon paritaire l'argent de la formation, de nous donner leur point de vue.

L'argent de la formation

M. Jean-François Humbert - Les sommes investies dans la formation correspondent à 24 milliards d'euros. Ce chiffre couramment évoqué est correct, puisqu'il est inscrit dans le jaune budgétaire qui accompagne le projet de loi de finances pour 2007. Ce montant correspond notamment à 3 milliards dépensés par l'État pour la formation de ses agents, environ - ce terme est étonnant pour un tel montant - 10 milliards d'euros utilisés par les entreprises pour la formation de leurs salariés, conformément à une obligation légale - dont la mise en oeuvre pose des problèmes très différents de ceux liés à la formation des agents de l'État -, environ 4 milliards d'euros consacrés à l'apprentissage, soit la formation professionnelle initiale, et 3 milliards d'euros dépensés par les régions, essentiellement pour les jeunes et les demandeurs d'emploi.

Il existe une grande différence de nature entre les financements à destination des demandeurs d'emploi, provenant de l'État, des régions et de l'UNEDIC, et les financements à destination des salariés, issus essentiellement des entreprises. Il faut également tenir compte du fait qu'une importante partie des 24 milliards d'euros de la formation professionnelle, enregistrée comme provenant de l'État, consiste en des compensations d'exonérations de charges sociales de stagiaires et d'apprentis. Or, ces compensations sont très différentes des autres contributions de l'État.

En conclusion, le chiffre de 24 milliards d'euros est difficile à manier en bloc en termes d'efficacité et de retour sur investissement.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci. Nous nous adressons maintenant à M. Thélot qui, je le rappelle, a commis un rapport assez sévère à l'égard de la répartition du financement de la formation continue. Il va maintenant nous éclairer sur ce point.

M. Claude Thélot - Il est assez difficile de parler de la politique de formation professionnelle continue devant le président Delors. De plus, il paraît insuffisant et anormal d'en parler sous le seul angle du financement. Les interventions précédentes ont pointé un élément important : le sens de ces financements, et peut-être leur complexité et leur ampleur, posent question parce que le contexte même dans lequel ils prennent place est un peu incertain. Aussi, avant de parler du financement stricto sensu, je voudrais insister sur deux points qui apparaissent à la Cour des comptes dans ses publications à la fois passées et prévues en 2008 sur ce sujet.

Premièrement, il apparaît que la politique de formation professionnelle, au niveau global et dans les entreprises, est peu régulée par des objectifs explicites. Il est difficile de comprendre son but. Consiste-t-elle à compenser les manques de la formation initiale, déplorés précédemment par André Gauron, à hausser le niveau de qualification des salariés et à les adapter aux évolutions techniques ? S'agit-il de mettre en oeuvre ce système dans les entreprises qui sont compétentes sur ce thème ou dans toutes les entreprises, ce qui suppose une certaine mutualisation ? Faut-il l'instaurer dans les différents secteurs et pour tous les salariés ? Devons-nous mettre l'accent sur les salariés peu qualifiés ou favoriser les salariés qualifiés, comme l'exigerait la compétitivité ? Cette politique ne fixe pas d'objectifs clairs. Cet aspect pose un grave problème pour comprendre la vocation et l'articulation des financements.

Deuxièmement, l'ensemble des partenaires devrait davantage définir collectivement les objectifs à atteindre et arbitrer entre les différents usages possibles de la politique de formation professionnelle continue. Je ne détaillerai pas ce point, mais je pense qu'il pourrait constituer un des appels à la réflexion de votre rapport. Peut-être est-il présent dans le conseil de M. Dominique Balmary, car il ne revient pas seulement à l'État de fixer ces buts.

Par ailleurs, avant de revenir aux financements eux-mêmes, il faut noter que le fait d'avoir créé une politique où les acteurs sont infiniment nombreux explique notre interrogation sur la nature et la pertinence de ces financements. Depuis, cette politique est très largement décentralisée. Le président Delors a indiqué de façon très pertinente tout à l'heure dans sa synthèse, que « le système est défiguré car il y a trop d'acteurs ». Nous pourrions au moins exiger que cette multiplicité d'acteurs, qui pose un problème en soi, les incite à une coordination plus efficace qu'aujourd'hui. Il existe en effet une profusion de prestataires, de prescripteurs, de bénéficiaires et d'organismes potentiels d'évaluation, qui travaillent de manière très peu coordonnée, en raison de l'absence d'objectifs clairs, mais aussi parce que chacun donne son avis sur cette politique. L'État fournit d'ailleurs un mauvais exemple : non seulement il n'a pas indiqué ce qu'il attendait de cette politique, mais en plus, il ne favorise pas réellement la coordination des différents acteurs.

Venons-en au PRDF et à son volet relatif à la formation initiale, qui été présenté précédemment. Il représente en théorie l'outil qui, dans les régions, avec son volet de formation continue, devrait favoriser une telle coordination. Les régions se l'approprient progressivement, mais il ne remplit pas exactement le rôle attendu, ne serait-ce que parce que la connaissance même des élus régionaux sur les flux de formation, les flux de prestation et les flux financiers est très faible. Ainsi, avant même qu'intervienne l'évaluation, qui est quasiment inexistante, la connaissance est limitée. Si le compte de la formation professionnelle n'existait pas, il faudrait le réclamer, mais sa simple existence ne peut suffire à une bonne connaissance par les acteurs de la politique que nous conduisons. Il se situe à un niveau tellement macro-économique que la pertinence des montants que vous avez cités est discutable. Vous avez d'ailleurs reconnu que la présentation de ces chiffres était étonnante.

Cette double difficulté de multiplicité des acteurs, peu informés, et d'absence d'objectifs explicites, a un impact sur la question des financements, qui sont trop compliqués. Ils sont également très, voire trop, importants. Pourtant, il n'est pas certain qu'ils servent aux usages prévus, d'autant plus qu'en l'absence d'objectifs, ces usages ne sont pas clairs. La Cour des comptes, dans son rôle, a précisément entrepris d'étudier la question des financements. Cependant, la somme totale est très hétérogène et chacun des flux devrait faire l'objet d'un examen séparé. Nous avons commencé à nous pencher sur le flux qui transite par les OPCA et publié il y a quelques mois une assertion de synthèse sur cette question. Une grande partie de l'effort de formation des salariés par les entreprises passe par les organismes paritaires. La Cour a pour mission d'être critique, donc notre assertion l'est également, mais pas plus que d'autres. Je crois que notre responsabilité collective consiste à nous interroger sur le financement.

Pour terminer cette intervention, je me référerai à plusieurs de nos remarques. Nous nous sommes interrogés sur la complexité excessive du réseau de collecte, c'est-à-dire du nombre d'OPCA, qui sont à la fois professionnels, interprofessionnels et possèdent des dimensions locales. Il en est d'ailleurs de même pour les organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage (OCTA). De fait, il me semble normal que les entreprises n'en comprennent pas le fonctionnement. De plus, nous avons le sentiment que la gestion de ces organismes est insuffisamment rigoureuse. En particulier, les mécanismes grâce auxquels les frais de gestion peuvent être prélevés sur les sommes collectées au titre de la formation professionnelle continue, et qui ont le mérite d'exister pour les OPCA, sont trop rigides, puisqu'ils présentent des taux plafonds constants. De fait, les frais de gestion de ce réseau sont excessifs.

Notre interrogation porte également sur la capacité du réseau collecteur à utiliser au mieux l'argent collecté, indépendamment des frais de gestion. Je pense personnellement qu'une certaine mutualisation est nécessaire, sous le couvert de cette politique. En effet, les taux d'accès à la formation professionnelle continue sont aujourd'hui extrêmement inégaux, comme nous l'ont rappelé les étudiants de Lyon. Il faudrait privilégier les salariés peu qualifiés et ceux dont l'accès à la formation continue est modéré. Ce principe requiert une forme de mutualisation. Il conviendrait que le réseau collecteur des OPCA favorise une telle mutualisation politique, qui serait plus utile pour l'élévation de la qualification globale de la main-d'oeuvre. Nous nous posons des questions sur la capacité et l'ampleur de mutualisation des OPCA des sommes reçues au profit de personnes qui, spontanément, ne penseraient pas à la formation.

Comme toujours dans nos publications, nous avons terminé par quelques recommandations, que je vais citer pour vous montrer l'état d'esprit qu'il faudrait retenir. L'État, c'est-à-dire la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), devrait se donner davantage de moyens d'exercer les pouvoirs de contrôle qui lui sont reconnus. En effet, le système n'est pas assez surveillé. De plus, les OPCA devraient pouvoir contrôler davantage l'imputabilité des dépenses de formation qu'ils financent à travers les ressources ainsi collectées. Certaines formations relèvent en effet clairement de la politique de formation continue. Elles doivent donc être financées par les taxes prélevées sur les entreprises. D'autres formations se situent davantage - ou trop ? - à la frontière.

Par ailleurs, le mode de calcul des frais de gestion, qui permettent aux OPCA de prélever une partie des fonds collectés pour vivre, ne tient pas assez compte de la très grande croissance des fonds collectés ces dernières années. Par conséquent trop rigide, ce mode de calcul donne une aisance excessive d'existence et de gestion aux OPCA. Enfin, il faut se rappeler qu'une partie des prélèvements des fonds de la formation professionnelle est destinée au fonctionnement des confédérations sociales et professionnelles, tant patronales que syndicales, et permet de faire vivre les élus des organisations de salariés des petites entreprises. Il nous semble que les modalités du financement du paritarisme sont insuffisamment précisées et suivies. Nous avons tort de laisser réguler une politique d'une telle ampleur - de l'ordre de 5 milliards d'euros sur les 24 milliards d'euros collectés par les OPCA - par les règles actuelles, trop confiantes, trop rigides ou trop inexistantes.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vous remercie, monsieur Thélot, en particulier d'avoir rappelé que le jugement sur les financements devait être modéré, dans la mesure où les objectifs ne sont pas clairement définis. Notre mission n'a pas pour seul objet de se focaliser sur les financements, même s'ils sont importants, et nous n'émettons pas un jugement a priori sur ce système. Avant de laisser la parole aux partenaires sociaux, qui gèrent une partie du financement de la formation professionnelle, M. Delors va intervenir pour réagir aux propos qui ont été tenus, car il doit bientôt nous quitter.

Commentaire

M. Jacques Delors - Je suis désolé vis-à-vis des représentants des organisations professionnelles et syndicales de devoir partir avant leur intervention, d'autant plus que mes propos seront parfois critiques envers elles. Avant de parler de la formation professionnelle continue, je crois qu'il faut porter une attention prioritaire à la première remarque de M. André Gauron : dans ce diagnostic, il ne faudrait pas oublier l'enseignement professionnel supérieur, d'autant plus que ses liens avec l'université constituent des questions très importantes en termes d'égalité des chances, mais aussi d'efficacité du système. L'enseignement professionnel supérieur constitue un large ensemble, composé notamment de l'École polytechnique et de l'École des mines, mais aussi des écoles de commerce.

Je ne sais pas si votre mission a l'intention d'en parler, mais si nous considérons que la France est avant tout confrontée à un problème de compétitivité, et notamment de positionnement de son offre, un lien apparaît entre l'enseignement supérieur et la recherche d'un côté, et le résultat en matière de compétitivité de l'autre côté, pour résoudre ce problème à moyen terme. De ce point de vue, comme l'ont évoqué le CERC ou d'autres organismes, les comparaisons avec les pays étrangers sont très importantes. Enfin, il ne faut pas croire que ce problème sera réglé sans moyens financiers. Certains considèrent qu'il manque 10 milliards à l'enseignement supérieur pour pouvoir le porter au niveau des autres pays. Certes, nous pouvons réaliser des économies par ailleurs et optimiser les fonds, mais cette question des moyens est essentielle.

Pour revenir à la formation professionnelle continue, je partage le diagnostic de M. de Ficquelmont. Je dois m'en expliquer. Dans la loi de 1971, qui était la première et sert de référence pour certains pays, j'ai voulu, en tant que président de la Commission européenne, essayer d'harmoniser les systèmes ou les inciter à travailler ensemble. Je me suis cependant par exemple heurté au refus des Allemands, dont le système est fondé sur l'initiative des entreprises et sur la négociation collective, sans intervention des pouvoirs publics, alors qu'elle est centrale en France. Nous n'avons donc pas pu progresser de ce point de vue. La loi de 1971 avait été précédée par un accord interprofessionnel. A cette époque, il était plus important qu'aujourd'hui, parce que les relations industrielles étaient quasiment nulles. Cet accord et cette loi doivent être resitués dans le contexte des années soixante, lorsque la France avait besoin de modernisation et pouvait l'assumer dans la croissance.

J'avais donc fixé cinq objectifs aux actions de formation professionnelle.

Le premier était de former les jeunes sortis de l'école sans formation et sans capacités de se défendre. Cet objectif existait donc déjà mais à l'époque, la seule orientation professionnelle des adolescents était réservée aux garçons, puisqu'il s'agissait du service militaire. Les jeunes en revenaient avec des projets d'orientation. Le service militaire était donc très important. Cette formation pour les jeunes avait généralement lieu après le service militaire.

Le deuxième objectif était la conversion interne ou externe des activités, qui s'appellerait aujourd'hui la mobilité.

Le troisième était l'entretien et le perfectionnement des connaissances. Il consiste à s'améliorer et à s'adapter à de nouvelles techniques ou de nouveaux marchés, ou à découvrir le monde des services dont a parlé M. Müller. Ce dernier point a le plus accaparé les dépenses des entreprises, qui se sont ainsi intéressées aux ouvriers qualifiés et aux agents de maîtrise. La différence est donc considérable.

Le quatrième objectif était la promotion professionnelle, des arts et métiers entre autres. Elle était à l'époque très importante, mais s'est malheureusement atténuée.

Le cinquième objectif était le développement strictement personnel des individus. Dans le cadre de cette loi, il était possible de demander un congé dans ce but, qui entretenait un lien avec la capacité à comprendre le monde et à mieux travailler.

Il existait donc des objectifs, un conseil national de la formation professionnelle, un ministère du travail et de la formation professionnelle et des discussions. Ces éléments ont aujourd'hui disparu, ce qui m'a valu de prononcer cette formule critique : « Il n'y a pas de pilote dans l'avion ». Ce point rejoint les propos de M. Thélot, notamment lorsqu'il affirme que les objectifs ne sont plus explicites et que les acteurs sont trop nombreux.

Pourquoi ce système a-t-il été financé par une taxe ? A l'époque, il était difficile d'amener toutes les entreprises françaises sur le champ de la formation continue sans leur expliquer que leur contribution pouvait être utilisée à leurs propres fins et qu'elle serait sinon dirigée vers un OPCA, de manière moins positive pour elles. Il n'existait alors que cette taxe et la taxe d'apprentissage. Depuis, ces taxes ont été divisées en plusieurs parties. Je pense que si je devais renouveler cette loi, je choisirais un autre système que cette taxe. Je demanderais cependant toujours aux salariés de cotiser, afin de constituer une épargne leur permettant de bénéficier de ce congé individuel.

Pourquoi le système s'est-il dégradé ? Vous m'excuserez de parler de manière assez directe et parfois assez critique. Ma première idée consistait à réconcilier le ministère de l'éducation nationale avec le monde des entreprises et du travail. Or le ministère de l'éducation nationale est resté inébranlable, malgré nos efforts, notamment avec les groupements d'établissements publics locaux d'enseignement (GRETA). L'évocation de la liaison entre le comité régional et les recteurs montre que la situation n'a pas évolué. Cette difficulté est d'autant plus frappante que l'implication de l'éducation nationale dans la formation continue m'apparaissait comme un élément pédagogique, lui permettant de mieux comprendre les besoins et la psychologie. Comme l'expliquait Bertrand Schwartz, qui m'a beaucoup appris, il est impossible d'éduquer un adulte comme un jeune. Or il me semble que le jeune ressemble aujourd'hui beaucoup à l'adulte, du point de vue des rapports enseignant/enseigné.

De plus, les organisations syndicales ont distingué la formation obligatoire pour les entreprises des autres formations, au lieu de s'intéresser à l'ensemble du plan de formation. Elles avaient pourtant plaidé pour le contraire, même si elles avaient finalement organisé une coalition avec le patronat pour que le paiement revienne à l'État. De fait, certains comités d'entreprise se basaient sur les recommandations et les décisions du directeur des ressources humaines. Les autres formations, étaient, elles, fonction de la participation effective.

En outre, la complexité du système s'est constamment accrûe. L'homme dont j'ai le plus appris dans la vie, M. Pierre Massé, commissaire général au plan, soutenait toujours qu'« il faut être inventeur de simplicité ». En effet, la simplicité commande l'efficacité.

Le dernier problème que je souhaite mentionner est le corporatisme. J'ai tenu le même discours, à quelques notions près, devant le comité d'orientation pour l'emploi, mais je suis rapidement parti car nous étions en désaccord. A mon sens, le système a besoin d'une totale remise à plat. Il faut réfléchir en d'autres termes et se fixer des objectifs, en se demandant par exemple si le « repêchage » des jeunes doit s'inscrire dans le cadre de la formation continue ou plutôt dans l'apprentissage.

Il ne faut plus parler d'éducation tout au long de la vie, car tous les hommes politiques que j'ai rencontrés en Europe - pas particulièrement en France qui est actuellement dans une période sensible -, pensent que ce principe consiste à additionner l'éducation première et la formation continue, alors que c'est une imbrication entre les deux, qui favorisera l'optimisation des moyens et nous permettra de gagner beaucoup d'argent en réalisant certaines économies et en apprenant mieux le contenu de la pédagogie. Il importe que les régions détiennent les moyens de cette politique, si elles continuent à s'en occuper.

Elles devront de plus être pilotées au niveau supérieur par un organisme national d'évaluation et de régulation, même si le mouvement de décentralisation se poursuit. Je suis favorable au principe de décentralisation, mais les régions ne me semblent pas capables d'assumer tous les objectifs de la formation continue, compte tenu de leur position et de leurs moyens, de l'absence de cadrage et de la multiplicité d'organismes tels que les ASSEDIC, l'ANPE ou les comités locaux de l'emploi.

Enfin, il faut créer un lien avec la sécurité sociale professionnelle. Même si ce système est compliqué, son lien avec la formation continue est évident.

A partir de tous ces éléments, il me semble possible d'intéresser chacun à ces questions. Il convient de provoquer une véritable révolution intellectuelle. Elle rencontrera des résistances, comme il a été évoqué, mais sans elle, nous perdrons les avantages que nous possédions au moment de la création de la loi de 1971. Si nous comparons les systèmes de formation continue allemand, suédois et finlandais au nôtre, il semble que notre avantage a déjà disparu. Les Suédois se sont ainsi demandé si, lorsqu'une personne désirait une seconde chance, elle devait s'adresser au monde paritaire réunissant le patronat et les syndicats ou aux collectivités locales. Il a été décidé que les secondes joueraient un rôle important pour permettre aux jeunes de poursuivre ou de reprendre les études. Il faut donc reconsidérer cet ensemble avec ses liens multiples, et notamment avec l'université. J'avais en effet espéré en 1971 que les universités auraient une responsabilité essentielle dans la formation continue. Cette formation pourrait d'ailleurs être gratuite pour certains. Il reste cependant un important travail à fournir pour créer une véritable osmose et s'opposer à la soumission de notre système d'enseignement à la vie économique et sociale.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci pour vos propos et vos propositions, qui constitueront pour nous des lignes de réflexion dans un domaine marqué par la complexité et les corporatismes. Ces derniers éléments constituent des freins à des évolutions et même à une « révolution intellectuelle », pour reprendre votre expression. Merci d'avoir passé du temps avec nous. Nous nous ferons un plaisir et un devoir de vous faire part de nos conclusions et de nos propositions. Les partenaires sociaux vont maintenant pouvoir s'exprimer.

Le point de vue des partenaires sociaux

M. Francis Da Costa - Il est loin d'être évident de prendre la parole après ces différentes interventions. Sans parler de caricatures, certaines étaient particulièrement virulentes.

Un premier point me semble très intéressant : si j'ai bien compris l'ensemble des intervenants présents autour de cette table, ils souhaitent manifestement réformer le code du travail. En effet, ils remettent en cause la loi sur l'apprentissage, contenue dans le titre 1 du code du travail, ainsi que les modalités de la formation professionnelle, qui se trouvent dans le livre 9 du code du travail. Le MEDEF est favorable à cette remise à plat, comme vous le savez sans doute.

Mon deuxième point concerne le tort éventuel de laisser réguler par les partenaires sociaux les 5 milliards de fonds de la formation professionnelle. La Cour des comptes a certes pour métier de souligner les défauts lorsqu'elle examine une organisation, mais reproche-t-elle systématiquement aux organisations dirigées par l'État ou les collectivités locales leur type de gestion ? Je l'ignore. Je ne sais pas non plus si, dans ce cas, elle réclame également un organisme de régulation. Il me semble nécessaire de garder la raison par rapport à ce fonctionnement.

Troisièmement, vous évoquiez les objectifs de la formation professionnelle continue. Je suis le président de la commission éducation et formation du MEDEF, mais je gère également trois petites entreprises, qui n'excèdent pas cinquante salariés. Pour moi, les objectifs de la formation professionnelle sont clairs : elle consiste à développer les compétences des salariés. Il s'agit d'adapter les collaborateurs aux postes de travail et de leur permettre d'évoluer dans l'emploi, dans l'entreprise ou ailleurs.

Mon quatrième point est relatif au nombre d'organismes. Les OCTA, les OPCA et les autres organismes de ce type sont effectivement nombreux, mais il faut savoir qu'ils sont passés de 600 à 98 depuis 1994, sachant que ce dernier chiffre comprend vingt-six FONGECIF, qui représentent en fait un seul organisme. Il ne reste donc plus que soixante-dix organismes environ. Cette multiplicité correspond à des politiques de branches, professionnelles et territoriales, et au croisement entre des politiques de branches et des territoires. En outre, vous évoquiez les frais de fonctionnement par rapport aux frais de gestion. Nous pouvons effectivement nous demander s'ils sont toujours adaptés. Par ailleurs, le système d'un taux fixe, dont vous parliez, est-il une solution adaptée ? Quels services peuvent justifier ces frais : une présence territoriale ou une assistance des salariés et des entreprises ? Existe-il au fond un véritable service ? Les partenaires sociaux ne peuvent que souscrire au fait que nous auditions ensemble ces frais. Je rappelle d'ailleurs que dans de nombreux OPCA, les plafonds ne sont pas atteints et que les organismes sont donc gérés avec des sommes inférieures aux plafonds autorisés.

Cinquièmement, vous mentionniez le principe de mutualisation, en le louant. Effectivement, les fonds non consommés sont mutualisés dans un organisme central qui les redistribue vers les entreprises qui en ont besoin pour leurs salariés. Par exemple, Veolia a mis en place une démarche exemplaire, en récupérant un fonds important pour former certains de ses collaborateurs illettrés. Cette initiative constitue un exemple typique du savoir-faire de Veolia dans ce domaine.

Enfin, vous signalez la difficulté de traçabilité de l'argent de la formation professionnelle, et notamment du pourcentage de 0,2 % du FONGECIF. Cependant, ce financement est clair pour les 70 000 salariés qui ont suivi entre un et deux ans de formation et ont ainsi changé de vie grâce au financement de leur salaire et de leur formation professionnelle par le FONGECIF. De même, la contribution de 0,5 % est comprise par les 145 000 jeunes en contrat de professionnalisation - remplaçant le contrat de qualification - et par les 150 000 bénéficiaires de DIF et les 400 000 salariés en périodes de professionnalisation, qui peuvent ainsi acquérir des qualifications professionnelles. Il faudra également demander aux 400 000 jeunes en apprentissage s'ils rencontrent des problèmes de lisibilité de la taxe d'apprentissage. Je vous concède toutefois que le lien entre l'entreprise, le collecteur et le centre de formation d'apprentis (CFA) n'est pas toujours évident, en particulier lorsqu'une entreprise essaie d'orienter sa taxe d'apprentissage vers un CFA qui lui rend des services en matière de recrutement.

Pour conclure, je rappellerai que l'argent de la formation professionnelle en France correspond à 24 milliards d'euros, alors que l'Allemagne dispose manifestement de 200 milliards d'euros. Je souhaiterais valider ce chiffre, mais de toute façon, il reste un travail considérable à effectuer.

M. Jean-Claude Carle, président - Je ne sais pas si les interventions précédentes étaient virulentes, mais elles étaient en tout cas animées par la passion. J'avais d'ailleurs demandé aux participants d'éviter le langage convenu, afin de pouvoir progresser. Pour passer d'une vision encore trop séparée à une vision partagée dans ce monde marqué par le corporatisme, et pour que le partage soit équitable et pérenne, il faut accepter certaines frictions.

M. François Fayol - Je possède trois liens avec la formation. Premièrement, je suis secrétaire général de la CFDT cadres, donc je suis particulièrement tourné vers les formations supérieures. Deuxièmement, j'ai été pour la CFDT l'un des négociateurs de l'accord interprofessionnel de 2003. Troisièmement, je suis le président d'un groupe de formations paritaires qui s'appelle le CESI et qui forme notamment 950 élèves ingénieurs par an, dont deux tiers par l'apprentissage. Il propose également quinze titres de niveaux 3, 2 et 1 en alternance, inscrits au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). J'ai donc effectué un choix clair concernant le développement de l'alternance. J'insisterai sur trois points.

Premièrement, concernant l'ensemble des dispositifs tels que nous les connaissons, ils sont sans doute trop nombreux. Il faut donc effectuer un travail important pour lever les freins qui entourent notamment la connaissance et l'utilisation de ces dispositifs. A mon avis, la « décomplexification » doit constituer une étape de ce travail. A titre personnel, je regrette que l'accord de 2003 ait accentué la complexité, alors que nous recherchions la simplification. J'en connais d'ailleurs à peu près les responsables. Je voudrais par ailleurs souligner l'importance du développement des contrats et des périodes de professionnalisation, et le renouveau de l'apprentissage. Ils sont centraux. Ayant le souci de simplifier, je m'interroge beaucoup sur la coexistence du contrat de professionnalisation et de l'apprentissage. D'ailleurs, l'entreprise Veolia ne me contredira pas, puisqu'elle oriente les jeunes de moins de vingt-six ans vers l'apprentissage et les jeunes de plus vingt-six ans vers le contrat de professionnalisation. Il s'agit dans les deux cas de pédagogie de l'alternance et des mêmes objectifs. Il faudra examiner cette question pour tenter de fusionner les deux formations. Cet aspect fait partie des incohérences du système : le contrat de professionnalisation est assimilé à tort à la formation professionnelle, et l'apprentissage à la formation continue.

J'ai signalé le surnombre des OPCA, mais en même temps, il en manque un, pour une formation en alternance durant entre dix-huit à vingt-quatre mois et permettant de retrouver la souplesse du contrat de qualification. Le contrat de professionnalisation, lui, est limité à douze mois. Il me semble que pour les entrepreneurs, une formation longue coûte trop cher. Cette idée est fausse. Je le dis franchement, et non pour défendre le compte d'exploitation de mon organisme de formation. Pour obtenir une véritable qualification, éventuellement après une réorientation, il est nécessaire de suivre une formation longue, parce qu'il faut mettre en oeuvre des compétences pratiques, mais aussi un important travail sur soi.

Deuxièmement, j'appelle de mes voeux une vision beaucoup plus partagée de la qualification des compétences et de la formation entre l'entreprise et le salarié. L'entreprise doit notamment pouvoir donner une visibilité et s'engager à moyen terme. A ce titre, nous avons cité Veolia, mais je pourrais également citer Flunch. J'appréciais beaucoup le rapport Proglio, mais il a curieusement été oublié. Je l'ai donc mis en ligne sur mon site Internet, parce qu'il était nécessaire de lui donner de la visibilité, d'autant plus que M. Proglio appliquait les directives de son rapport. Concernant la nécessité que l'entreprise s'engage davantage et la vision partagée, des outils ont été créés dans ce but dans le cadre de l'accord national interprofessionnel de 2003. L'entretien professionnel en est un exemple. Il existait pour les cadres et il a été élargi à tous les salariés. Je pense que cette vision partagée peut être réalisée grâce à la formation. Ainsi, en tant que président d'une maison de retraite, je ne rencontre aucun problème de recrutement d'aides soignants, parce que nous recrutons des auxiliaires de vie, nous les formons et ils restent. Chaque partie bénéficie de ce système de formation et de fidélisation.

Troisièmement, il est évident que des ajustements institutionnels sont nécessaires. Il faut d'abord trouver une véritable gouvernance régionale pour la formation. Nous avons évoqué l'outil du PRDF, mais nous pourrions également parler du développement de l'apprentissage, qui revient aux régions. Il importe que les partenaires sociaux parviennent à organiser une véritable coordination des différents organismes paritaires, notamment des OPCA, OPTA et ASSEDIC : il existe nécessairement des synergies. Je pense que des changements intéressants se produiront au Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. Le système comprend plusieurs pilotes, certes, mais il possède un lieu unique d'observation.

Pour terminer, je crois qu'il existe actuellement un manque grave : l'État a démissionné de la formation professionnelle sous couvert de décentralisation. En effet, à part sous forme de quelques crédits, il n'est plus présent. Comment définir alors une politique globale, même régionalisée, permettant de répondre aux objectifs de Lisbonne ? Il faut absolument retrouver une dynamique nationale en matière de développement de la formation professionnelle.

M. Joël Ruiz - Merci de nous avoir invités. Je m'exprimerai au nom des présidents nationaux de l'AGEFOS-PME présents dans la salle. L'AGEFOS-PME représente un fonds d'assurance de formation paritaire qui a été agréé comme OPCA. Son coeur de métier est centré sur la petite et la moyenne entreprise. Son ambition consiste à développer la formation pour faciliter l'information, le conseil, le service et le financement pour tous nos adhérents. J'avais prévu de parler de la réforme et du regard que nous pouvons porter sur elle aujourd'hui, des objectifs qui peuvent être assignés au système, et de la nouvelle frontière du système dans le cadre de cette thématique de vision partagée. Je souhaitais notamment évoquer le territoire dans ce dernier point. Je n'en parlerai peut-être pas seulement en ces termes, puisque des charges assez violentes ont été portées précédemment, conformément d'ailleurs à la vocation de cette table ronde. Je vais donc introduire différemment la question.

Il y a huit mois, j'ai reçu le directeur du fonds paritaire de la formation professionnelle d'Afrique du Sud. En effet, depuis son ouverture, ce pays a souhaité renforcer la démocratie sociale en investissant paritairement dans la formation professionnelle. Le paritarisme en France, y compris dans le champ de la formation, est effectivement également une expression de la démocratie sociale. Dans notre pays, la question de la place du paritarisme dans le système renvoie à notre capacité à faire cohabiter plusieurs formes de légitimité et de souveraineté : celle qui est issue des urnes, incarnée par les collectivités territoriales, celle de l'État et de sa puissance régalienne et celle des partenaires sociaux. Le pari de la formation professionnelle consiste à réussir à faire travailler ensemble ces différents porteurs de légitimité. Or, dans ce domaine, il faut fournir des efforts en termes d'amélioration. Jusqu'à présent, nous n'avons manifestement pas su, en renforçant les moyens et les forces d'intervention, travailler sur des objectifs partagés. Je rejoins à ce sujet l'observation de M. Thélot : sur quels éléments voulons-nous travailler ensemble ?

L'AGEFOS-PME définit trois grands objectifs pour un OPCA.

Il faut premièrement adapter les compétences des salariés aux besoins des entreprises. Dans le cas contraire, les entreprises quittent l'AGEFOS-PME. En effet, 70 % de nos ressources sont des versements volontaires. Il faudra alors expliquer au conseil d'administration pourquoi nous nous sommes trompés. Or, comment évaluer aujourd'hui la réponse aux besoins de compétences autrement que dans une logique de soutien de l'investissement et du capital humain ? Comment se contenter de ne regarder l'objet de formation que selon la dépense qu'il représente, au lieu de considérer également son rôle de moteur dans un projet collectif porté par l'entreprise et ses salariés ?

Le deuxième objet est consécutif à la dernière réforme : il consiste à améliorer l'employabilité des personnes, parce que nous sommes confrontés non pas tant à un problème de chômage massif, même s'il reste une « épée de Damoclès », qu'à un sentiment d'insécurité de l'emploi qui, lui, ne baisse pas, notamment sur les questions liées à la maîtrise des trajectoires professionnelles. Nous sommes tous d'accord sur ce constat. Il faut donc travailler à une approche emploi-formation et agir là où il est possible de favoriser la construction de parcours professionnels. Nous commençons à nous y employer. Nous développons notamment le DIF. Nous essayons également de monter des parcours de professionnalisation. Cette tâche est compliquée, parce qu'il faut rendre visible aux personnes les trajectoires possibles. Il faut donc être capable de prévenir les évolutions et de deviner le déroulement des trajectoires. Cette question implique celles de la qualification et du diplôme et de l'organisation de l'appareil de formation pour affronter ce formidable enjeu.

Le troisième objectif, majeur, vise à lutter contre les inégalités dans la formation. Il comprend les problèmes de la « récupération » de la formation initiale et les questions d'inégalités de genre, d'origine et de taille. Il faut par exemple se mobiliser dans les quartiers et les territoires sensibles. Nous travaillons actuellement sur sept bassins d'emploi, au titre des contrats de transition professionnelle, à la demande de M. Borloo. Nous réfléchissons sur notre éventuelle capacité à favoriser les passerelles entre le licenciement et le retour à l'emploi, afin que les systèmes d'alternance puissent fonctionner. Cette préoccupation emporte des équipes, des chefs de projet et des moyens.

Je pense que nous sommes tous conscients de porter un intérêt au système parce qu'il relève d'un intérêt général pour la nation. Cependant, je crois profondément que les moyens investis doivent répondre aux objectifs assignés par ceux qui en sont responsables. Il faut éviter de choisir par facilité une approche refusant la diversité du champ de la formation continue et un système ayant pour vocation de renforcer un dispositif « autocrate », plutôt qu'un dispositif acceptant les souverainetés partagées. Je suis direct, parce que je pense que la force du système français réside dans l'originalité du modèle que nous portons, ainsi que dans les initiatives de même nature dans les pays nordiques, aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie, en Irlande et au Québec. Ce modèle suppose de pouvoir conduire un effort d'investissement sur des projets communs et que la réunion des moyens peut permettre d'obtenir davantage d'effets leviers que lorsqu'ils sont séparés.

Pour terminer mon propos, qui n'était pas prévu dans cette tonalité, je dirai que le lieu d'action et de convergence des moyens correspond probablement à l'endroit où les personnes vivent, où les entreprises sont implantées et où s'exercent les mobilités : les territoires. Nous avons insuffisamment investi cette frontière. Si nous partons du principe qu'une grande partie des enjeux se trouve dans les PME, tout comme la guerre de l'emploi, et qu'elles constituent un observatoire des logiques de recrutement et les espaces de mobilité, je pense que nous pourrions faire converger les moyens sur des contrats d'objectifs, sur lesquels les différents acteurs conviennent ensemble des effets leviers qu'il est possible de conduire. Nous serons alors capables de mesurer les effets de retour de l'investissement et s'assurer qu'il n'existe pas de gaspillage dans le système. Je considère que la vision partagée peut se construire autour d'une action publique qui conjugue les différentes souverainetés, au lieu de les absorber. Mme Bernasconi que l'AGEFOS-PME a aidée pour monter le projet de la cité des métiers à Marseille, sait à quel point il est possible de collaborer sur des projets concrets et de trouver des structures viables répondant très précisément aux besoins d'emploi et de formation sur les territoires.

Il n'existe aucun organisme paritaire sans la confiance des entreprises, car celles-ci peuvent le quitter dans le cas contraire. Cette réaction représente le meilleur moyen pour garantir l'équilibre du système. Je suis donc convaincu qu'il faut laisser à l'acte d'adhésion à un organisme paritaire une dimension volontaire, pour permettre un minimum de libre choix, ainsi que des appuis en accompagnement, facultatifs. Nous pourrons alors plus facilement justifier les frais de gestion et les services qui leur sont associés.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci. Je crois qu'il est effectivement possible de conjuguer cohérence et diversité. Ces termes ne sont pas incompatibles. Je passe la parole à Mme Paye-Jeanneney pour évoquer une initiative du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

Une action exemplaire

Mme Laurence Paye-Jeanneney - Je vous remercie d'avoir intitulé mon intervention « une action exemplaire ». En entendant ce matin les diverses propositions de nos amis allemands et de nos partenaires français, j'ai pensé que le CNAM, qui possède une mission de formation professionnelle supérieure des adultes depuis deux siècles, avait encore un bel avenir devant lui. Je pense que tous nos efforts répondent à de nombreuses préoccupations émises aujourd'hui. Le CNAM est un établissement entièrement dédié à la formation professionnelle supérieure au sein de l'éducation nationale. Nous sommes fiers de représenter « l'université des métiers », même si parfois nous nous sentons à l'étroit au sein de l'éducation nationale, parce que notre ambition consiste à s'ouvrir entièrement sur le marché de l'emploi et sur le monde économique et social. Nous sommes également parfois en butte à certaines rigidités connues dans l'éducation nationale ainsi qu'avec certains de nos partenaires sociaux.

Notre université, qui enseigne à des professionnels et accueille 85 000 auditeurs, est présente sur tout le territoire, grâce à une organisation très originale. Celle-ci repose d'une part sur un établissement public national responsable de la conception de notre offre de production et garant de sa qualité, qu'il s'agisse de formation, de recherche ou de diffusion de la culture scientifique et technique. En effet, nous nous félicitons également d'assurer cette mission depuis l'origine, en 1794, conformément à la volonté de notre fondateur, l'abbé Grégoire, qui souhaitait « développer les sciences nobles et utiles et éclairer l'ignorance qui ne connaît pas, la pauvreté qui n'a pas les moyens de connaître et ceci, partout, sur tout le territoire ». Notre organisation s'appuie d'autre part sur des centres régionaux car la formation professionnelle relève de la compétence des régions. Ces centres fonctionnent sous forme d'associations, ce qui est également un aspect original dans le paysage universitaire. Les possibilités qu'offrent les nouvelles technologies nous permettent, plus que jamais, de toucher en tout lieu du territoire français toutes les personnes qui sont intéressées par la formation professionnelle pour évoluer dans leur métier et accroître leurs compétences. Nous sommes également présents à l'étranger et de plus en plus sollicités par les pays en voie de développement, qui ont envie que le modèle du CNAM soit exporté sur leur territoire.

Quel est notre mode de fonctionnement ? Il répond à de nombreuses préoccupations exprimées aujourd'hui. En effet, nous essayons de proposer une offre pilotée par la demande. Nous cherchons à anticiper les besoins en plaçant nos auditeurs au coeur de notre projet professionnel : « répondre à la demande de ceux qui viennent chercher de la formation professionnelle ». Il ne faut pas avoir une idée de maquette préétablie, comme le veut parfois l'éducation nationale, qui souhaite nous imposer des modèles de licences, de masters ou de doctorats parfois trop adaptés à la formation initiale. Nous devons accepter la flexibilité de l'offre et la diversité de nos formations. Il faut construire les formations en fonction des besoins de nos auditeurs, que j'appelle parfois nos clients, au risque de choquer le monde universitaire. Nous nous appuyons dans ce but sur des équipes pédagogiques adaptées. Il est illusoire de croire que les universitaires peuvent enseigner la formation professionnelle. En effet, les élèves ont besoin de savoir, mais aussi de savoir-faire. Il faut donc combiner des équipes académiques et professionnelles. Telle est la caractéristique de notre établissement. Nous disposons donc d'un corps spécifique de grandes personnalités issues prioritairement du monde professionnel, qui conçoit la formation.

Ce choix implique également des méthodes originales. Nous devons accompagner nos élèves dans leur insertion professionnelle. M. Gauron a indiqué qu'il n'existait aucun établissement offrant de la formation continue sans sélection. Or, pour intégrer le CNAM, il faut simplement avoir le niveau du baccalauréat, car nous proposons une formation professionnelle supérieure. Il importe surtout d'orienter les élèves et de bâtir avec chacun d'eux leur projet professionnel, comme l'ont réclamé plusieurs intervenants. Cette tâche est difficile et implique une grande quantité de services en amont et en aval de la formation, notamment concernant la validation des acquis. Nous avons d'ailleurs été l'un des premiers établissements à nous engager dans la VAE, avant même que la loi ne paraisse. En effet, l'enseignement dispensé à une personne bénéficiant d'une expérience professionnelle est différent de l'enseignement dispensé à un étudiant : il faut essayer de comprendre ses manques par rapport à son expérience et adapter l'offre en fonction des besoins de son entreprise.

Enfin, nous nous préoccupons de l'obligation de résultats. Celle-ci correspond à la réussite des élèves, mais également au fait qu'ils restent ou reviennent dans notre établissement. En effet, les auditeurs peuvent rechercher des compétences différentes selon leur parcours professionnel. Il n'existe pas de parcours linéaire et la durée de la formation n'a pas de sens pour nous. Cette autre originalité n'est pas toujours facile à expliquer à notre tutelle, qui souhaiterait que la période de formation soit exprimée en durée annuelle d'enseignement.

Ce système repose nécessairement sur un partenariat très fort avec l'ensemble du monde économique et social et les acteurs du marché de l'emploi. Nous recherchons donc des compétences dans les entreprises et des savoirs dans les universités, mais nous travaillons également avec les partenaires sociaux ainsi qu'avec les collectivités territoriales, qui nous financent dans les régions. Nous représentons déjà une université décentralisée. Les régions doivent s'en saisir pour développer la formation professionnelle.

Notre mission, passionnante et compliquée, répond à un réel besoin. Nous avons lancé un processus d'assises régionales pour comprendre les besoins locaux de nos élèves, qui s'inscrivent le plus souvent individuellement à nos cours, et parfois sans prévenir leur entreprise. Nous avons le sentiment de réussir notre mission lorsque nous parvenons à réconcilier la volonté individuelle avec le besoin de l'entreprise. Les assises régionales révèlent un immense intérêt pour le concept du CNAM. Ce modèle implique une grande capacité de souplesse et de proximité avec les élèves et les besoins du terrain, afin d'accompagner ceux qui ont compris que tout au long de la vie professionnelle, il est nécessaire d'évoluer dans son savoir et ses compétences. La réconciliation de ces deux dimensions constitue un formidable enjeu, qui relève également de l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci de cet exposé, où vous avez mentionné la flexibilité, l'obligation de résultats et la souplesse. Nous devrions nous inspirer de ces qualités du CNAM, qui font sans doute défaut à l'ensemble de notre système de formation. Je rappelle que si la salle ne souhaite pas intervenir maintenant, elle pourra le faire sur le site Internet dédié à cette mission, qui comportera également le compte-rendu de cette réunion. Je vous remercie d'avoir participé à cette table ronde, qui sera très bénéfique pour les propositions que nous serons amenés à émettre. Il faut notamment considérer la formation comme un investissement et non une dépense. Je conclurai par cette phrase de Kennedy, que j'ai trouvée au sein de l'entreprise Würth « Seule une chose coûte plus cher que la formation à long terme : le manque de formation ».

Audition de MM. René BAGORSKI, secrétaire technique national pour le collège des organisations syndicales, Dominique de CALAN et Bernard FALCK, secrétaires techniques nationaux pour le collège patronal, du Comité paritaire national pour la formation professionnelle(CPNFP) (29 mai 2007)

M. Jean-François Humbert, vice-président - Je vous prie de bien vouloir excuser M. Jean-Claude Carle, président de cette mission. Il a été empêché et vous prie de l'en excuser. Je présiderai donc cette mission d'information qui a commencé ses travaux au début de 2007. Elle s'est donné pour objectif d'achever ses rencontres avec les différents acteurs de la formation professionnelle dans les prochains jours. Un rapport final devrait donc être remis à la mi-juillet. Nous avons pris l'habitude de laisser nos interlocuteurs s'exprimer avant de leur soumettre nos questions. Je cède donc la parole à M. Dominique de Calan, secrétaire technique national du CPNFP.

M. Dominique de Calan - Monsieur le président, tout d'abord merci de recevoir les secrétaires techniques nationaux (STN) du CPNFP.

- Missions et fonctionnement du CPNFP

Rappelons tout d'abord qui nous sommes et comment nous fonctionnons. Depuis une vingtaine d'années, les partenaires sociaux ont régulièrement scellé des accords nationaux interprofessionnels (ANI) systématiquement repris par la loi. Le dernier en date a d'ailleurs été intégré en l'état au corpus législatif. Comme pour tout accord, les partenaires sociaux ont souhaité dès le départ mettre en place un comité paritaire de suivi jouant un rôle d'interprétation, de suivi et d'analyse de la question de la formation professionnelle, dont les modalités de fonctionnement dépendent principalement de ces accords.

Le CPNFP regroupe ainsi vingt membres titulaires : dix représentants des organisations syndicales et dix représentants des organisations patronales. Afin d'être opérationnel, ce comité dispose d'une représentation en la personne des secrétaires techniques nationaux, élus par leur collège respectif. Deux d'entre eux représentent les syndicats, deux autres, le patronat. René Bagorski (CGT) et Jean-Claude Quentin (FO) représentent ainsi le collège des salariés, Bernard Falck et moi-même ayant été désignés représentants du collège patronal. Le CPNFP se réunit au moins deux fois par trimestre, les STN se rencontrant plus régulièrement afin de préparer ces réunions et gérer les problématiques quotidiennes.

Cette présentation faite, le CPNFP dispose, pour la mise en application de ses délibérations, d'un fonds unique de péréquation (FUP) qui mêle une approche par métier de la formation professionnelle et une approche plus transversale. Le FUP attribue ainsi des gestions de fonds aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) manquant de moyens et redistribue les moyens non exécutés par d'autres OPCA. Il s'agit donc d'un organe de gestion répondant aux sollicitations, décisions et accords d'interprétation fournis par le CPNFP qui, je le rappelle, est un organe de coordination non pourvu de moyens propres.

De notre point de vue, les partenaires sociaux ne sont que l'un des acteurs de la formation professionnelle, matière complexe et diverse qu'aucun collège ne peut prétendre réglementer seul. A titre personnel, j'emploie souvent l'image du collège unique dont l'échec pousse à penser que la diversité n'est pas compatible avec ce mode de représentation. En tant que partenaires sociaux, nous avons vocation à être les interlocuteurs prioritaires de la formation professionnelle des salariés - autrefois appelée le Plan - et les organisateurs de l'insertion professionnelle des jeunes dans un cadre normal. Nous sommes à ce propos les inventeurs du contrat de qualification, qui est devenu le contrat de professionnalisation. Nous pourrons donc, si tel est votre souhait, aborder les questions de sortie en échec du système éducatif.

Sur les 25 milliards d'euros que représente la formation continue, je précise que les OPCA n'en gèrent que 5 milliards, 9 milliards étant gérés par les entreprises. Par ailleurs, bien que nous ne gérions que 20 à 25 % de l'ensemble des ressources, nous sommes régulièrement la cible de critiques. En effet, malgré une gestion dont j'espère vous convaincre de la qualité, les 5 milliards d'euros dont nous avons la gestion concentrent la plupart des attaques liées à la formation professionnelle, sans que l'on ne s'intéresse réellement aux économies qui pourraient être réalisées sur les 20 milliards d'euros restants. Je vous encourage donc, monsieur le président, monsieur le rapporteur, à distinguer les capacités d'évolution et de réaction des divers organismes.

Avec ses 5 milliards d'euros de budget et la conclusion de plus de 140 000 contrats de professionnalisation, le CPNFP s'est imposé comme un acteur essentiel dans le développement de l'alternance. Il a notamment obtenu une modification de la loi et la mise en oeuvre de toutes les formations d'apprentis d'un niveau supérieur au CAP, qui constituait le seul accès à l'apprentissage il y a encore vingt ans. Par ailleurs, la création du bac professionnel, du DUT et des BTS résulte des accords scellés par les partenaires sociaux, de même que l'alternance et les contrats de professionnalisation. Les partenaires sociaux se sont donc révélés être des moteurs dans la création et le développement de ces filières. Pour conclure cette introduction je souhaite ajouter que, contrairement aux propos tenus ici ou là, nous sommes prêts à rendre des comptes sur les modestes 20 % de budget dont nous avons la gestion. Nous revendiquons en effet une gestion transparente et, l'ensemble des OPCA disposant de commissaires aux Comptes, nos comptes sont certifiés.

Nous sommes par ailleurs dans une recherche permanente de productivité, tant au sens humain que financier. Or l'accord interprofessionnel repris par la loi définit trois priorités :

- la professionnalisation, qui sous-entend un meilleur pilotage par la demande de métiers des entreprises et du marché ;

- la personnalisation des parcours, qui recouvre la mise en place des cursus mais également leur financement ;

- la codécision, qui est à nos yeux un élément central car, en matière de formation continue, former un salarié qui n'en montre pas l'envie, n'est pas plus efficace que l'inverse.

- Un nécessaire assainissement

Nous avons été critiqués car nous avons beaucoup moralisé les usages, notamment au travers des organismes proposant des contrats de qualification au mépris du principe de personnalisation. Il est vrai que nous avons assaini la plupart de ces faux contrats de qualification - aujourd'hui appelés contrats de professionnalisation -, pour lesquels des établissements, publics ou privés, recrutaient quelques dizaines de jeunes sans savoir si la filière proposée offrait des débouchés.

Nous avons donc assaini les procédures, ce qui nous a valu nombre de reproches. Il nous a ainsi été reproché de refuser beaucoup de contrats de qualification, au point que les pouvoirs publics ont dû mettre en place une mission et que nous avons nous-mêmes dû créer un lieu de recours contre les contrats refusés de manière « anormale ». En trois ou quatre ans, ces cas ont représenté 410 dossiers sur les 140 000 contrats signés chaque année. Le refus de ces contrats était motivé par des critères légaux ou encore lorsque l'âge, la rémunération ou les perspectives de débouchés ne nous paraissaient pas convenables. Cet assainissement a fait l'objet de nombreuses critiques.

Par ailleurs, nous avons souhaité établir un coût moyen par contrat afin d'harmoniser les coûts. Le CPNFP a donc arrêté un coût moyen par contrat, s'élevant à 6 800 euros, qui n'a pas été revalorisé depuis deux ans. Compte tenu de l'inflation, cet aspect est un élément de productivité qui souligne les efforts des différents acteurs de la formation professionnelle, qui ne peuvent prétendre à la solidarité que si eux-mêmes ont concédé cet effort. Bien entendu, des lieux de dérogation existent pour les cas où les coûts seraient trop élevés, ce qui poserait problème.

Nous avons donc fait face à de vives critiques, et j'en terminerai en affirmant que la formation professionnelle continue n'est pas la reproduction de la formation initiale. Elle n'est pas un lieu de recherche d'un diplôme mais un lieu de recherche de la qualification.

Je rappellerai enfin quelques évidences. Tout d'abord, la diversité des entreprises crée des besoins de formation très variés, tant pour l'entreprise que pour ses salariés. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur la professionnalisation. De plus, les besoins en formation d'un salarié issu d'une grande entreprise et d'un salarié issu d'une petite société diffèrent. Il est donc nécessaire d'aménager la formation selon diverses modalités, telles que la mise en oeuvre ou la question du temps de travail. Cette organisation ne peut s'effectuer que de façon négociée et donc différenciée. Cette diversité peut rendre la formation professionnelle complexe à appréhender pour le néophyte mais, face à un monde complexe, nous devons fournir des réponses diverses.

Ne souhaitant pas être trop long afin que nous puissions répondre à toutes vos questions, je cède la parole à M. René Bagorski, qui pourra ainsi amender ou compléter mes propos avec l'habileté qui est la sienne.

M. René Bagorski - Les négociations qui ont débuté en 2001 ont abouti, deux ans plus tard, à un préambule affirmant la nécessité d'apporter des réponses à des besoins qui sont aussi bien collectifs qu'individuels. Les notions de professionnalisation et de personnalisation se sont donc imposées comme les clés de voûte de l'ensemble du système.

- Des systèmes complémentaires

Afin de mettre en place ce système, nous avons conclu, en 2003, un accord national interprofessionnel signé de façon unanime, ainsi que des accords de branche chargés de définir des publics et des certifications prioritaires, de mettre en place des observatoires prospectifs des métiers et qualifications et de définir leurs propres règles en matière de droit individuel à la formation (DIF). 450 négociations autour de la formation professionnelle ont ainsi eu lieu depuis 2003. A mon sens, la France n'a pas connu de telles négociations depuis les années soixante-dix. Les partenaires sociaux se sont en effet saisis de cette problématique en considérant qu'il s'agissait d'un point d'entrée important pour assurer à la fois le maintien de l'employabilité des salariés en poste, mais également pour donner des moyens d'accès au marché du travail pour les jeunes et les exclus de l'emploi. L'objectif premier de l'ensemble des partenaires est de développer les compétences collectives des entreprises, mais également les qualifications des salariés afin que l'ensemble du système économique demeure compétitif.

Aux côtés des partenaires sociaux, les OPCA gèrent 5,5 milliards d'euros de façon paritaire, ce qui signifie que représentants du collège salarié et du collège patronal mettent ensemble en oeuvre la politique déterminée par les partenaires sociaux à l'échelle de leur accord de branche. La définition politique s'effectue donc au niveau des organisations syndicales et patronales, tandis que la mise en oeuvre est confiée aux OPCA. Aujourd'hui, les OPCA ont beaucoup plus de missions car ils ne se cantonnent pas dans le rôle initial de collecteur-répartiteur qui leur avait été dévolu lors de leur création en 1993. Ils sont également au service des entreprises et accompagnent l'ensemble du système. La plupart de ces OPCA se situent aujourd'hui au carrefour des besoins sectoriels et des besoins territoriaux.

Avec 9,5 milliards d'euros provenant des entreprises et 25 milliards d'euros de dépenses en formation, les systèmes de formation professionnelle français ne sont donc pas concurrentiels mais complémentaires dans bien des cas. Par ailleurs, bien que les partenaires sociaux soient légitimes pour définir la politique dans le périmètre qui est le leur, en aucun cas ils ne se retrouvent dans une situation de mise à l'écart ou d'opposition avec d'autres politiques sectorielles. Nous nous inscrivons donc dans une réponse à des besoins sociaux.

Le procès en manque de transparence qui nous est actuellement fait est d'autant moins justifié que les OPCA sont placés sous le double contrôle des commissaires aux comptes et d'un service de contrôle de leur fonctionnement issu de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). La Cour des comptes a d'ailleurs évalué un certain nombre de points à l'occasion de ses différents audits.

Nous nous inscrivons donc dans un système en évolution, qui ne prétend pas à la perfection mais qui a été mis en place afin de répondre aux besoins collectifs et individuels du monde professionnel. Au titre du mandat qui nous a été donné, nous répondrons donc à l'ensemble de vos questions dans la plus totale des transparences.

M. Bernard Falck - Je souhaiterais revenir et compléter le propos sur la gouvernance de l'ensemble du dispositif.

- Une structure de gouvernance et de régulation

Les partenaires sociaux, au niveau interprofessionnel ou au sein de chaque branche, négocient des accords. Sur le plan financier, ceux-ci sont mis en oeuvre par les OPCA ou, dans le cadre du congé individuel de formation, dans les organismes paritaires agréés au titre du congé individuel de formation (OPACIF). Ces organismes paritaires mettent ainsi en oeuvre, dans le cadre des financements de la formation professionnelle, les dispositions ainsi prises et les ajustements sont réalisés par branche par les commissions paritaires nationales pour l'emploi (CPNE) ou, au niveau interprofessionnel régional, par les commissions paritaires interprofessionnelles régionales pour l'emploi (COPIRE). La gouvernance paritaire a donc un caractère politique, les OPCA ou les organismes paritaires au titre du congé individuel de formation (OPACIF) ayant un rôle de mise en oeuvre et de financement des politiques de formation qui ont ainsi été décidées. Comme cela a été précisé, le CPNFP a un rôle de suivi de l'ensemble des accords.

Bien que les partenaires sociaux aient été à l'origine de la plupart des dispositifs intéressant entreprises, salariés et jeunes, sachez que, tout au long de l'année, les politiques appuyées par le CPNFP ont des traductions concrètes. Il n'y aurait ainsi pas d'Olympiades des métiers sans la contribution d'1,6 million d'euros du CPNFP. Le portail de l'orientation et de la formation mis en oeuvre par le Centre INFFO n'existerait pas si les partenaires sociaux n'en étaient pas les financeurs majoritaires. Il n'y aurait pas non plus de campagne de promotion du contrat de professionnalisation, du DIF et de l'ensemble des dispositifs de l'ANI et des accords de branche sans l'implication du CPNFP, des CPNE et des OPCA.

Le CPNFP est donc une structure de gouvernance et de régulation extrêmement souple. Dominique de Calan a d'ailleurs rappelé précédemment le rôle tenu par le CPNFP dans la montée en puissance des contrats de professionnalisation. De nombreux acteurs de la formation professionnelle lui préféraient en effet la situation antérieure mais, avec 143 000 contrats de professionnalisation signés chaque année, nous pouvons affirmer qu'il s'agit d'un succès considérable. Nous avons cependant examiné au cas par cas chaque contrat non pris en charge par les OPCA pour tâcher de dégager des solutions permettant la prise en compte de ces demandes.

Nous nous intéressons également aux missions dévolues aux OPCA. A ce propos, un groupe de travail entre le CPNFP et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) sur les missions des OPCA est à l'oeuvre avec, de notre point de vue, le souhait de réviser le plan comptable et la fiscalité des OPCA, mais également un certain nombre de points comme le service apporté aux entreprises et aux salariés.

A nos yeux, l'ensemble du dispositif est piloté en concertation avec les autres acteurs. C'est ainsi que l'État est associé au CPNFP, depuis le 31 mars 2006, dans un accord visant à dégager un certain nombre de priorités dans la remontée des ressources des OPCA vers le FUP. A titre d'exemple de ces priorités, nous pouvons citer des actions de développement des contrats de professionnalisation pour les adultes et de lutte contre l'illettrisme, ainsi que diverses actions innovantes menées par les OPCA et les OPACIF.

- Une concertation permanente

Nous nous inscrivons donc dans une logique de concertation permanente avec l'État, et les STN rencontraient ce matin encore la DGEFP pour évoquer certains projets. Cette concertation permanente est également menée avec les conseils régionaux dans le cadre du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), tout en veillant à l'affirmation des domaines de compétences des partenaires sociaux. Une convention a ainsi été signée avec l'AFPA pour permettre de préparer les publics éloignés des contrats d'alternance aux dispositifs promus par les partenaires sociaux. Plus récemment, une convention passée avec l'UNEDIC permet de promouvoir les contrats de professionnalisation pour adultes dans le cadre d'une action concertée entre l'UNEDIC, l'ANPE et les partenaires sociaux, tant au plan national, régional qu'au sein de chaque branche professionnelle. Tels sont des exemples d'actions concrètes que je souhaitais développer devant vous.

M. Dominique de Calan - Pour illustrer les propos qui viennent d'être tenus, voici les règles de fonctionnement du CPNFP, le code de bonne conduite des OPCA et le détail des quinze actions prioritaires menées depuis une dizaine d'années. Ayant été critiqué sur ce point, j'ajoute également le bilan précis de la procédure d'examen des refus de prise en charge telle qu'elle a été menée par le CPNFP à la demande des pouvoirs publics. Ce dernier document indique la nature des contrats traités et leur mode de traitement.

Même si le système fonctionne dans son ensemble, nous accusons cependant une légère déception : les contrats de professionnalisation pour adultes n'ont pas « démarré » aussi rapidement que nous le souhaitions. Nous sommes en effet persuadés que l'alternance est un moyen efficace de retour vers l'emploi des chômeurs de longue durée. Nous voyons trois raisons à ce retard :

- les contrats de qualification et les contrats de professionnalisation ayant pendant quinze ans été limités aux moins de vingt-six ans, nombre d'entreprises ont encore en tête que ces contrats sont cantonnés à cette tranche d'âge. La communication est donc primordiale sur ce point ;

- par habitude et méconnaissance du contrat de professionnalisation adulte, l'ANPE et l'UNEDIC ne le prescrivent pas, d'où l'intérêt de passer des conventions avec ces acteurs et de les former aux spécificités de ce contrat ;

- enfin, le recours à la qualification professionnelle plutôt qu'à des stages « diplômants » pour les adultes n'est pas dans les habitudes, et les habitudes prennent toujours du temps pour changer.

Notre réaction s'est donc traduite par la conclusion d'un accord avec l'UNEDIC et l'ANPE qui a notamment permis la formation active des intermédiaires, qu'ils soient guichetiers de l'UNEDIC ou de l'ANPE ou développeurs pour le CPNFP. Il faut en effet savoir que le coût du contrat de professionnalisation adulte est généralement plus élevé pour les PME-PMI qui ne connaissent pas les aides de l'UNEDIC. Nous avons donc dû faire tomber la barrière de l'âge et faire comprendre que ces aides doivent être prescrites. Dans un pays où les acteurs mettent du temps pour intégrer des mesures les favorisant, il s'agit d'un travail important.

M. Jean-François Humbert - Merci. Permettez que je vous fasse part de mes premières réactions : n'étant pas un spécialiste de la formation professionnelle, je vous ai écouté attentivement. J'ai été surpris. En effet, je vous ai entendu parler d'assainissement, de procès pour manque de transparence et de pilotage du dispositif. Je me demande pourquoi avoir orienté votre introduction sur ces thèmes quelque peu connotés, qui laissent le sentiment d'avoir affaire à un vrai problème. Pourriez-vous nous en dire plus ?

M. Dominique de Calan - Certainement, monsieur le président. Je lis la presse et l'on fait dire à cette mission, dans certains comptes rendus d'auditions, qu'elle s'étonne de l'absence de pilotage et de transparence en matière de formation professionnelle. Hier encore, une pleine page du Figaro allait dans ce sens. Nous avons connu des attaques, parfois personnelles, affirmant que nous protégions un système, que les organisations syndicales s'engraissaient sur l'argent de la formation ou encore que le patronat se montrait satisfait de disposer ainsi d'une main-d'oeuvre moins onéreuse. Nous avons entendu beaucoup de propos sceptiques et avons fait le dos rond. Après deux ans d'attaques, nous avons la fierté de présenter un programme qui, avec 140 000 contrats de professionnalisation signés et un excellent taux d'insertion, est assez unique en Europe. Nous savons que nous sommes l'objet de critiques et votre question n'a rien de naïf, monsieur le Président.

En outre, nous avons piloté le financement de manière rigoureuse. Notre objectif est d'atteindre les 200 000 contrats à l'horizon 2008-2009. Nous avons donc déterminé un coût moyen par contrat de 6 800 euros qui permet, grâce aux 0,5 % (professionnalisant), de financer cet objectif. Face à la montée en puissance régulière des contrats de professionnalisation, nous avons donc fait preuve de prévoyance et économisé de l'argent. Cet excédent, pourtant issu d'une saine gestion, a été perçu comme anormal et, à deux reprises, l'État est venu le ponctionner. Nous n'avons donc pas affaire à une gabegie ou à un manque de données. En revanche, nos structures fonctionnent dans un esprit de prévoyance. Je rappellerai, d'ailleurs, que l'alternance, quelle que soit sa forme, fait aujourd'hui l'objet d'un consensus politique. Nous estimons, en l'état actuel de notre trésorerie et du système de pilotage, que ce dispositif permet de prendre en charge environ 500 000 apprentis et 200 000 contrats de professionnalisation.

Pour ce faire, nous avons dû assainir le fonctionnement des dispositifs. Dans les précédentes formules, où la formation continue ressemblait à la formation initiale, les contrats de professionnalisation duraient pour la plupart deux ans. Ce délai était trop long. Nous avons donc ramené le contrat normal à un an et nous nous sommes heurtés à l'inertie d'un système déjà en place. Nous avons cependant démontré que, non seulement le taux d'insertion de ces contrats n'était pas inférieur, mais qu'il était plutôt supérieur. En effet, demander à une petite entreprise de se projeter en recrutant un contrat de professionnalisation qui ne sera opérationnel que deux ans plus tard est une gageure. Nous avons donc souhaité raccourcir ce délai sans pour autant amoindrir la qualité de la formation. Par conséquent, nous avons dû bouleverser l'ensemble du système et l'offre de formation dans ce pays. Nous sommes plutôt fiers d'avoir pu dégager des excédents, bien que ces économies aient été perçues comme des refus de contrats.

Enfin, le monde de la formation professionnelle fait souvent l'objet d'attaques par voie de presse. Il s'avère en effet que certaines formations, pourtant financées par les OPCA, n'ont jamais eu lieu. Nous avons donc pris le parti, dans ce type de cas, de porter systématiquement plainte contre X. Nous n'avons pas vocation à défendre ces quelques abus, qu'ils soient du fait du patron, du salarié ou de l'organisme formateur. Malheureusement, la presse a souvent mis ces dérives en exergue. C'est la raison pour laquelle nous sommes confiants envers cette mission. J'attire également votre attention sur l'emphase mise dans les titres de presse, souvent sans rapport avec le contenu de l'article. Ainsi lorsqu'un OPCA lance une action, celle-ci est généralisée, au moins dans le titre, à l'ensemble des OPCA. Le dernier article d'Ouest-France titrait à ce propos « Le rapport de la Cour des comptes épingle les OPCA ». A la lecture de l'article, la réalité est bien différente. L'article attire cependant l'attention sur un point : lorsqu'un OPCA est en relation avec de nombreuses entreprises de moins de dix salariés, il est vrai que les frais moyens de gestion par contrat sont plus importants. Cette situation n'a rien d'anormal mais, une dérogation du ministère du travail étant nécessaire, le CPNFP a soutenu les OPCA concernés en cas de nécessité. Nous sommes dans un pays très normatif qui n'apprécie rien tant que les moyennes et le collège unique. Or, la réalité est faite de diversités. L'ensemble de ces éléments nous rendent sensibles mais nous coopérerons à toute opération de contrôle que vous pourriez juger utile.

M. Jean-François Humbert - Ma naïveté n'avait rien de feinte. Je ne suis pas un spécialiste de la question et je trouvais simplement curieux que vous ayez tous trois immédiatement ciblé vos interventions liminaires, par ailleurs très complémentaires, sur des problèmes constatés dans la presse ou ailleurs. En tant que mission d'information, notre rôle est de comprendre ce qui va bien et moins bien afin de formuler des propositions pertinentes en faveur des personnes ayant recours à la formation professionnelle.

M. Dominique de Calan - Les débats de ce matin, lors de la table ronde que la mission a organisée, expliquent peut-être cette introduction.

M. René Bagorski - Depuis quelques mois, des articles incriminent la gestion de la formation professionnelle, et notamment la place et le rôle des partenaires sociaux, parfois soupçonnés de procédés fort peu légaux. Nous comptons une centaine d'OPCA en France, gérés par quelque 2 000 administrateurs qui sont bénévoles. La plupart du temps, les représentants syndicaux prennent du temps sur leur délégation syndicale, d'autres sur leur temps de travail. Cette situation engendre des difficultés au sein des entreprises qui sont en désaccord car l'OPCA concernée n'est pas l'OPCA de référence de l'entreprise. Il s'agit là d'un véritable problème : quand on parle de dialogue social et de paritarisme, il faut également penser à tous ces bénévoles qui gèrent ces organismes et qui sont formés tous les ans par l'ensemble des organisations syndicales, qu'elles soient salariales ou patronales. C'est la raison pour laquelle nous disposons de fonds nous permettant de former en continu l'ensemble de nos administrateurs aux évolutions permanentes de la formation professionnelle, qui est une matière complexe. Nous disposons donc de personnes compétentes pour administrer et gérer les OPCA. Au-delà de ces administrateurs, nous disposons de personnes chargées des négociations. Celles-ci conduisent les négociations en fonction de leurs connaissances, qui ne s'arrêtent pas à la seule loi de 1971 ou à l'accord de 1970. J'ai, à ce propos, cru comprendre qu'un Premier ministre avait oublié l'existence de l'accord de 2003, transposé par la loi en 2004.

La mise en place du contrat de qualification en 1983 a été longue à trouver son rythme. Or, aujourd'hui, un peu plus de trois ans après la création du contrat de professionnalisation, 145 000 jeunes y ont recours. Nous sommes donc globalement satisfaits de l'évolution de la situation bien que nous ayons dû moraliser le système afin d'éviter que certains organismes disposent d'une rente en affichant pendant deux ans des effectifs en leur sein. Pour ce faire, nous avons affirmé le double principe de personnalisation et de professionnalisation qui, s'il a un coût, permet de donner des objectifs clairs à ces formations et de privilégier la qualité. Ainsi, des moyens spécifiques sont alloués à la poursuite de finalités bien définies.

En l'état actuel, ce système n'est pas totalement finalisé, si bien que certaines personnes - nous l'avons vu à la lecture des comptes rendus des précédentes auditions de cette mission - prônent un retour à l'ancien système. Avant d'en arriver à ce stade, il semble nécessaire de s'interroger sur la philosophie du système actuel et de se donner les moyens de devenir des acteurs de ce nouveau système au lieu de demander le rétablissement de la situation antérieure, dont le mode de fonctionnement correspondait purement et simplement à de la formation initiale bis. Le système que nous avons mis en place a le mérite d'exister et commence à porter ses fruits.

Bernard Falck a précédemment évoqué une convention entre le CPNFP et l'État. Celle-ci définit un certain nombre de priorités à développer parmi lesquelles :

- 78 millions d'euros sont consacrés aux bilans de compétences et à la validation des acquis de l'expérience (VAE) ;

- 117 millions d'euros sont attribués aux contrats de professionnalisation pour les personnes privées d'emploi, qu'elles soient jeunes ou moins jeunes, indemnisées ou non ;

- 30 millions d'euros sont dédiés à des actions innovantes ;

- 20 millions d'euros sont dépensés pour la lutte contre l'illettrisme.

Ces actions engagées en concertation avec l'État ne visent pas à dépenser inconsidérément les fonds. Elles ont pour objectif de porter l'effort vers les personnes les plus exclues du marché du travail, afin de leur prodiguer, par le biais d'un accompagnement, d'un parcours sécurisé et d'une information appropriée, les moyens de retourner vers l'emploi. Après trois ans de pratique, il n'est pas possible de dire que ce système ne fonctionne pas. Il est certes perfectible, mais lorsque nous avons signé l'accord voici trois ans, nous ne pensions pas sincèrement que la situation évoluerait aussi rapidement. Les incessantes critiques dont nous sommes l'objet sont donc lassantes et ne nous aident pas à être considérés comme des acteurs responsables visant le développement de la formation professionnelle et l'accès à l'emploi pour tous.

M. Bernard Falck - Pour compléter ces propos, les 5 milliards d'euros gérés par les OPCA font l'objet de contrôles réguliers de la part des commissaires aux comptes et de la DGEFP. En outre, le FUP est désormais soumis au contrôle économique et financier. Il n'est donc pas exagéré de dire que peu d'organismes dans ce pays sont aussi contrôlés que les organismes paritaires de financement de la formation professionnelle. Nous souhaiterions que les 16 milliards d'euros gérés par d'autres acteurs de la formation professionnelle soient examinés et contrôlés aussi attentivement. Ceci me semble être un point tout à fait essentiel.

M. Jean-François Humbert - Pour vous répondre sur ce dernier élément, les sommes engagées par les conseils régionaux sont contrôlées régulièrement par les chambres régionales des comptes. Je crois d'ailleurs savoir que, à la demande de la Cour des comptes, les derniers contrôles effectués dans les régions portaient sur la politique d'éducation et de formation professionnelle.

M. Bernard Falck - Ces fonds proviennent pour la plupart de la fiscalité des entreprises et, pour ce qui est de l'apprentissage, du fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage.

M. Jean-François Humbert - Je ne suis pas choqué d'apprendre que des contrôles existent.

M. Dominique de Calan - Bien au contraire, nous sommes demandeurs de tels contrôles. Cependant, deux types de contrôles existent : le contrôle financier, dont vous parliez, mais également le contrôle d'insertion, de qualification, de productivité et de qualité. Nous avons la conviction que l'alternance a montré, globalement, qu'elle était le meilleur système d'insertion. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous l'avons transposée aux adultes, avec un peu moins d'efficacité, je le concède. Nous souhaitons d'ailleurs disposer de la priorité absolue de l'ANPE et de l'UNEDIC pour poursuivre dans cette voie car, pour les quelques contrats signés jusqu'ici, l'insertion excède les 80 %, soit trois à quatre fois plus que dans le schéma classique stage puis emploi.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Voyez-vous une évolution à l'avenir de ce CPNFP ? Pourrait-il enrichir ses compétences en absorbant, par exemple, les attributions d'autres organismes ? En effet, je suis frappé par la complexité et le nombre de réunions auxquelles vous devez être soumis. A titre de référence, j'ai été nommé, dans le cadre de ma responsabilité de conseiller national en matière de politique de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, membre d'un comité de suivi et d'une agence nationale relatifs à loi de cohésion sociale. Ayant des difficultés à gérer un tel agenda de réunions, j'en viens à me demander s'il l'on ne pourrait pas rassembler ces organismes. Selon votre expérience, certaines simplifications ne seraient-elles pas de nature à améliorer la gouvernance à partir du CPNFP ?

M. René Bagorski - Comme l'a rappelé Dominique de Calan, le CPNFP est le lieu d'analyse, de définition et d'interprétation d'un certain nombre de règles édictées par les ANI. Les organisations signataires sont les garantes du fonctionnement et de la mise en oeuvre de leur ANI. Il existe certes d'autres instances comme le CNFPTLV, mais qui regroupent l'État, les conseils régionaux et les partenaires sociaux, ce qui souligne la complexité du système. Les 24 milliards d'euros de budget sont donc répartis entre les dépenses de l'État et des régions et des entreprises. Le CPNFPTLV est, par conséquent, un lieu unique où l'ensemble des acteurs est représenté, tandis que d'autres lieux, comme le CPNFP, sont dédiés à l'interprétation des accords propres aux partenaires sociaux. Il me semble donc difficile à l'heure actuelle de faire évoluer ses compétences, ce qui signifierait qu'il dispose d'un droit de regard sur des politiques ne relevant pas des partenaires sociaux. Cette interprétation me semble quelque peu dangereuse. Le CPNFP a cependant un rôle très important de garant du système. Depuis 2003, nous nous attachons à le faire fonctionner dans une logique de partenariat entre des univers qui ne sont pas indépendants mais complémentaires, dont celui des partenaires sociaux qui relève de la négociation. Le CPNFP est donc bien un lieu d'interprétation et de mise en oeuvre de ce système.

M. Dominique de Calan - Je voudrais vous proposer trois notions qui, à mes yeux, sont synonymes de meilleure gouvernance : répartition des tâches, contractualisation et subsidiarité.

Tout d'abord, nous sommes les champions de l'alternance. Lorsque quelqu'un souhaite agir en la matière, pourquoi ne nous confie-t-il pas la gestion de l'alternance, quitte à nous demander des comptes par le biais d'un contrat ? Ainsi, l'AFPA s'est fait une spécialité de la préformation. Donnons-lui des moyens afin de renforcer cet aspect. En effet, par le biais de la contractualisation et de la subsidiarité, nous nous donnons les moyens de progresser. Les différentes conventions que nous avons pu passer depuis deux ans sont ainsi une voie à renforcer. René Bagorski l'a réaffirmé : seuls les signataires peuvent interpréter un accord qu'ils ont conclu. Faire entrer un acteur supplémentaire, c'est donc remettre en cause les fondements du dialogue social. Ayant été conseiller régional pendant un temps, je conçois mal qu'un tiers s'invite aux délibérations du conseil. Ceci signifie que nous sommes des acteurs aux attributions différentes, et que chacun devrait se concentrer sur ses compétences propres au lieu de vouloir tout faire. La contractualisation et la subsidiarité permettraient de régler nombre de problèmes. Par exemple, la notion de territoire diffère profondément selon le secteur d'activité : une entreprise du bâtiment s'appuiera volontiers sur une logique territoriale alors qu'une industrie adoptera une approche par métiers. La contractualisation et la subsidiarité permettraient donc à chacun des acteurs de se recentrer sur son coeur de métier au lieu de prétendre tout faire. En revanche, être capable, dès l'accueil, d'orienter efficacement et rapidement les publics vers les acteurs les plus pertinents me semble judicieux.

Nous avons conclu avec l'AFPA un accord très innovant. D'une part, une dizaine de secteurs et de territoires se plaignaient de ne pas trouver certaines compétences. D'autre part, le service public de l'emploi nous indiquait l'existence de demandeurs d'emploi très éloignés du marché du travail. Nous avons donc analysé la situation et conclu avec l'AFPA un accord de remise à niveau avant que ces personnes ne concluent un contrat de professionnalisation pris en charge par l'OPCA. Ce procédé présente le double avantage d'offrir un contrat de travail au demandeur d'emploi et de simplifier les questions de statut rendues très complexes en raison de la multiplicité des payeurs. Par la contractualisation et la spécialisation, nous trouverons donc les moyens d'améliorer le système et le CPNFP se tient prêt à contractualiser avec tout acteur le souhaitant.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Ma question n'était pas tant de faire entrer au CPNFP des acteurs ne répondant pas aux critères de parité. Je souhaitais me placer au-dessus de la question de la formation professionnelle. Il est certes vrai que ce comité est la conséquence directe d'un accord professionnel. Toutefois, créerons-nous des comités paritaires nationaux chaque fois qu'un accord professionnel spécifique sera conclu ? Cela me paraît difficile. Ma question était donc plutôt de savoir si nous pouvions déceler dans ce comité l'embryon d'une institution paritaire nationale permanente appelée à superviser l'ensemble des accords paritaires nationaux. J'admets cependant votre réponse.

De plus, a contrario de la réponse de M. de Calan, je me demande toutefois s'il existe une nécessité de créer des comités paritaires régionaux qui soient plus proches du terrain. Ce qu'il est possible de simplifier par le haut peut en effet, en termes de subsidiarité, être rapproché du terrain, et donc de la région.

M. Dominique de Calan - Nous avons un système complexe constitué de deux comités territoriaux, de comités de branche nommés commissions paritaires territoriales de l'emploi qui dépendent des conventions collectives et des CPNE. De plus, les partenaires sociaux ont souhaité, dès 1993, créer les COPIRE, organismes permettant de croiser des approches métiers et territoires. Nous disposons donc de deux organismes territoriaux, les COPIRE, composés de huit représentants territoriaux en lien très proche avec les conseils régionaux, et les CPTE, ou CPRE, dont l'appellation varie selon que l'on se situe à un échelon régional ou infra régional. Vous n'êtes en effet pas sans savoir que, selon la profession exercée, les bassins d'emploi ne correspondent pas toujours au découpage administratif. Je pense notamment à la CPTE qui se constitue actuellement autour des métiers de l'atome, pour lequel le bassin d'emploi s'étend de Lyon à Marseille. Je complèterai en précisant que, dans les contrats de branche régionaux, la plupart des branches ont conclu des accords croisant métiers et territoires.

M. René Bagorski - Les COPIRE et les CPNEFP existent depuis la loi « Sécurité de l'emploi » de février 1969. Cette loi s'inscrivait alors en amont de l'accord sur la formation professionnelle. Il est vrai que les COPIRE ont été laissés en déshérence pendant quelque temps, mais l'accord de 2003 leur attribue un rôle bien spécifique, notamment en lien avec les OPCA interprofessionnels présents sur le territoire, et qui ont la responsabilité de se situer au carrefour des besoins sectoriels et territoriaux.

Les entreprises de la métallurgie, par exemple, ont besoin d'être concurrentielles sur un marché mondial. Lorsque ces entreprises viennent à disparaître sur un territoire donné, il est toutefois évident que les répercussions sociales sont conséquentes. Dès lors que l'on se situe dans un besoin à la fois sectoriel et territorial, il faut en permanence garder à l'esprit la nécessité d'un maillage territorial permettant le déploiement des moyens financiers existants, au profit de la pérennité et de la compétitivité du territoire et non d'une entreprise.

Dominique de Calan l'a souligné, des contractualisations existent d'ores et déjà, notamment les engagements de développement emploi compétence (EDEC) passés entre l'État et les organisations professionnelles. A ce titre, permettez-moi d'ajouter que je trouve regrettable, en tant que syndicaliste, que, dans un décret, les organisations syndicales de salariés ne soient pas au même niveau que les organisations patronales.

Par ailleurs, des contrats d'objectifs territoriaux existent à l'échelon des régions et regroupent l'État, la région et, de plus en plus, l'ensemble des partenaires sociaux. Nous sommes donc bien dans un système de contractualisation permanente, et chacune des structures existantes, qui peuvent sembler très nombreuses, y tient un rôle bien particulier qui s'inscrit dans la complémentarité d'une autre instance. Le système peut certainement évoluer mais on peut également redéfinir le rôle de l'ensemble des acteurs. Au travers des accords interprofessionnels et des accords de branche, les partenaires sociaux disposent d'un rôle spécifique. La région a vu, depuis la loi d'août 2004, son périmètre d'action sur la formation élargi. Enfin, l'État conserve un large périmètre d'action. La question est donc de savoir si nous remettons en cause ces acquis en question, ou si nous tâchons de faire vivre l'existant et de s'inscrire dans la complémentarité des systèmes.

M. Jean-François Humbert - Quelles sont les propositions qui vous semblent urgentes, nécessaires ou dispensables ?

M. Bernard Falck - La simplification a été analysée dans tous les domaines. Ainsi, le CNFPTLV est-il la résultante de la fusion entre la commission permanente et le comité de coordination des programmes régionaux d'apprentissage et de formation professionnelle. Le CPNFP a compétence sur la mise en oeuvre des dispositions concernant l'ANI. Par conséquent, il a un rôle d'appui dans la mise en oeuvre de ces dispositions au niveau interprofessionnel. Il est donc amené à traiter de questions relevant d'un périmètre qui confirme sa vocation interprofessionnelle et interbranches. Nous sommes aussi passés de 255 organismes et 600 agréments à une grosse cinquantaine d'organismes collecteurs actuellement, si l'on considère le réseau FONGECIF comme un seul réseau. La démarche de rationalisation est donc largement entamée.

M. Dominique de Calan - J'exprimerai trois besoins, à commencer par celui de la stabilité. La loi est de 2004, les accords de 2005 ; le contrat de professionnalisation commence à peine à se développer. Je souhaite donc qu'il ne soit pas modifié mais approfondi.

Par ailleurs, j'aborderai la question de la confiance et de la responsabilité, sur laquelle nous sommes prêts à sanctionner tout abus relevant de notre compétence. Enfin, je souhaite évoquer la réactivité : lorsqu'un cas comme celui d'Airbus est connu, cela souligne la nécessité de coordination, tant au point de vue des métiers que des territoires. Je vous citerai l'exemple du comité automobile, crée par le gouvernement et les régions. Parallèlement, ces acteurs continuent de conduire des actions sur les territoires concernés. Cela pose la question de savoir si l'on souhaite réellement coordonner ou non. De fait, nous sommes donc dans une situation où confiance, stabilité et responsabilité font défaut. En tant que chef d'orchestre, je dois donc diriger un ensemble où chacun joue sa partition. Cela peut vite devenir cacophonique.

De plus, nous assistons aujourd'hui à un paradoxe. Je citerai à nouveau le secteur de la métallurgie, que je connais bien. Nous avons à la fois une réactivité très importante pour les nouvelles technologies, domaine dans lequel nous devons agir très vite. Dans le même temps, la question de la sous-traitance, de l'externalisation et donc de la reconversion se pose. Nous devrons donc dégager deux types de solutions pour une même crise. La première est verticale, privilégiant les métiers, la qualification et les nouvelles technologies. La seconde doit privilégier des accords territoriaux afin de favoriser la reconversion des sous-traitants qui seront écartés. La réponse que nous pouvons apporter ne peut donc pas être unique ou programmée. Or aujourd'hui, nous souffrons d'un manque de réactivité.

Mme Isabelle Debré - Je souhaite faire part d'un sentiment personnel. Depuis quatre mois, nous travaillons sur la formation professionnelle et nous sommes parvenus à mieux en comprendre les mécanismes. Toutefois, je vous avoue avoir encore du mal à saisir tous les tenants et aboutissants. La loi se doit d'être compréhensible de tous, mais tel n'est pas le cas aujourd'hui. Comment voulez-vous que nos concitoyens n'aient pas peur des dérapages lorsqu'ils ne comprennent pas ? L'homme, et en particulier le Français, a peur de ce qu'il ne comprend pas. Si, aujourd'hui, vous demandiez aux salariés ce qu'ils savent de la formation professionnelle, vous seriez catastrophés de leurs réponses.

La formation professionnelle souffre donc, à mes yeux, d'un énorme déficit de communication, et tant que les Français ne comprendront pas leurs droits, d'où vient l'argent et où il va, les critiques persisteront. Tant que l'ensemble des acteurs ne feront pas cet effort de communication, les propos que vous semblez dénoncer seront encore présents dans un an ou deux.

M. Dominique de Calan - En 1988, nous avions formulé deux demandes, la première étant que l'orientation soit partie intégrante de la formation initiale. En effet, il n'est pas de meilleur endroit que l'école pour apprendre la formation continue et une réforme dans ce sens serait souhaitable. De plus, lorsque vous sondez la population, vous vous apercevez que l'approche est totalement différente en fonction des métiers. Ainsi, un ouvrier du bâtiment ou un métallurgiste savent à peu près comment fonctionne la formation professionnelle. En revanche, ce n'est pas le cas de tous ceux à qui l'école n'a pas appris à choisir l'information, la rechercher et la piloter. Aidez-nous à faire en sorte que toutes les personnes scolarisées, mêmes celles qui échouent, connaissent leurs droits à la formation.

Mme Isabelle Debré - Vous rejoignez tout à fait ma pensée. Je discutais dernièrement avec le président de l'AGEFOS-PME et je lui soutenais qu'éducation et communication sur ces questions devaient avoir lieu bien avant la terminale. Lorsque je parle de changer les mentalités, celles des parents notamment, où le faire mieux qu'à l'école primaire ?

M. Dominique de Calan - Nous avions créé la télé de l'emploi qui, faute de crédits suffisants, a cessé ses émissions au bout d'une semaine, mais ces questions se trouvaient au coeur de ces préoccupations.

M. René Bagorski - Vous éveillez ma fibre d'enseignant. Ce que vous dites me semble juste mais à amender. La question repose sur ce que l'on demande à l'école et les moyens dont elle dispose pour mettre en oeuvre ces programmes. Par exemple, en tant qu'enseignant d'histoire-géographie, j'enseigne aussi l'éducation civique qui fait partie des connaissances que doit avoir tout citoyen. Malheureusement, cet aspect de mon enseignement s'est réduit à peau de chagrin, y compris pour ce qui concerne les cours sur les droits des salariés dans les entreprises, qui disparaissent progressivement. Pourquoi ne pas y intégrer une section sur la formation continue qui expliquerait comment la formation continue est un outil de promotion sociale ? La formation continue n'a pas simplement vocation à maintenir l'employabilité d'un salarié sur un poste donné. Valoriser son rôle d'outil de promotion sociale pourrait permettre de redonner du sens à la notion de travail. Nombre de salariés se plaignent ainsi, après avoir suivi une formation, de revenir à leur poste de travail sans que leur qualification nouvellement acquise ne soit reconnue d'une manière ou d'une autre. Au-delà du nombre d'heures de formation dispensé chaque année, il me paraît donc important de valoriser la formation en favorisant la reconnaissance des qualifications acquises.

Les organisations syndicales délivrent des renseignements à ce sujet car une vraie demande d'information existe. Ainsi la CGT a tiré et épuisé 500 000 exemplaires de son guide « Ma formation de poche ». Or, les OPCA n'informent pour la plupart que les employeurs. Nous devons encore construire des solutions pour que l'ensemble de l'entreprise dispose du même niveau d'information car en matière de formation professionnelle, nous restons dans une logique de contrat de travail, et donc de subordination. Il faut faire connaître la formation, son utilité collective pour l'entreprise, mais également son intérêt pour le salarié, qui pourra faire valoir ses compétences nouvellement acquises pour évoluer vers un autre poste dans ou à l'extérieur de l'entreprise. Nous manquons de perspective et de lisibilité en la matière.

M. Dominique de Calan - Pour être très concret, la métallurgie connaît une pénurie de candidats aux métiers techniques. Pourtant, 600 000 personnes évoluent aujourd'hui dans des entreprises de moins de cinquante salariés. Les chefs d'entreprise ont donc très peur de former leurs salariés, de crainte de voir ces compétences passer à la concurrence, particulièrement dans de grosses entreprises. La formation professionnelle se traduit donc, particulièrement dans les PMI, par une forme de peur. La codécision est d'autant plus centrale que, je le rappelle, 80 % des patrons de ma génération ont une qualification de niveau inférieur ou égal au CAP. De vraies évolutions de mentalité par rapport à la formation sont nécessaires et nous avons confondu, lors de la définition de l'objectif des 80 % d'une classe d'âge au niveau baccalauréat, niveau général d'une population et qualification professionnelle. Tout un travail reste donc à effectuer pour distinguer savoir et savoir-faire. Si nous souhaitons faire évoluer les mentalités, ayons le courage de la diversité, et donc de la complexité. Dans les faits, cela doit se traduire par l'instauration d'un contrôle a posteriori très rigoureux. Sur ce point, vous pourrez toujours compter sur notre soutien.

Audition de M. Bernard BRUNHES, vice-président du Groupe BPI (30 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous avons le plaisir d'accueillir Bernard Brunhes qui est consultant et anime une société de conseil en management. Il a commis un rapport, en 2000, à l'initiative de la Fédération de la formation professionnelle, étude destinée à mieux connaître et comprendre le rôle et les pratiques des OPCA dans le secteur de la formation. Or, nous savons combien le financement joue un rôle majeur dans ce domaine. Nous vous remercions donc d'avoir répondu à l'invitation de notre mission et nous sommes impatients de vous entendre. Je vous laisse immédiatement la parole. Vous connaissez l'objet de cette mission qui est de rendre un rapport vers la moitié du mois de juillet et de faire en sorte que ce rapport ne vienne pas seulement enrichir les rayons de la bibliothèque du Sénat, mais puisse également être suivi d'effets. Personnellement, j'ai dépassé l'âge de faire des rapports pour faire des rapports et je serai, avec mes collègues, particulièrement attentif au service après vente. Nous vous laissons la parole et ne manquerons pas de vous poser un certain nombre de questions.

M. Bernard Brunhes - Je vous remercie. Je crois que je n'ai pas passé l'âge de faire des rapports pour des rapports puisque j'en ai élaboré beaucoup dans ma vie et continue à le faire. Pour situer rapidement les raisons pour lesquelles je m'adresse, aujourd'hui, à cette mission, je vous rappelle une loi établie en 1971 et que je trouve très belle. Elle est d'autant plus intéressante qu'elle a résulté d'un accord interprofessionnel passé, en 1970, entre le CNPF et les organisations syndicales. L'idée selon laquelle il est nécessaire de faire travailler les organisations syndicales avant de légiférer ne date donc pas d'aujourd'hui. Cela se faisait même nettement mieux au début des années 1970 que cela ne se fait aujourd'hui. J'ai eu l'honneur de diriger le service des affaires sociales du commissariat général du plan dans la seconde partie des années 1970 et c'était alors un moment formidable. En effet, cette loi Delors ou Chaban-Delmas commençait à entrer en vigueur et, dans les pays étrangers, on nous disait toujours que nous étions les meilleurs en matière de formation continue. Nous avions la meilleure articulation, celle-ci étant basée sur une organisation professionnelle et interprofessionnelle.

Lorsque j'ai créé ma propre entreprise de consultants, en 1987, nous avons, dès le début, travaillé sur ces sujets. Nous sommes beaucoup intervenus, dans les entreprises ou pour l'État, non pas sur la formation elle-même, mais sur l'ingénierie et l'organisation de la formation. Je me souviens, par exemple, d'un rapport assez important, rédigé au début des années 1990 et traitant de l'évaluation de la formation professionnelle. Je crois, sans être trop prétentieux, qu'il a été un élément important dans les années qui ont suivi. Pour terminer, je ne suis plus le patron de mon entreprise que j'ai cédée et qui est désormais intégrée à une entreprise plus importante : BPI. Je suis vice-président de cette structure qui emploie 1 000 consultants, dont 600 en France et 400 à l'étranger. J'effectue cette précision pour expliquer que ma vie quotidienne ne se déroule pas uniquement en France, ce qui me permet de pouvoir comparer notre dispositif avec ce qui se passe dans les pays voisins.

Avant d'entrer dans une partie plus concrète, je voudrais faire une remarque générale. Depuis l'accord interprofessionnel de 1970 et la loi de 1971, il ne s'est pas passé de choses très importantes. Périodiquement, les partenaires sociaux ou l'État ont décidé des modifications qui, la décentralisation mise à part, ont été souvent jugées comme importantes, mais qui ne l'étaient pas vraiment. Je pense, par exemple, au dernier accord interprofessionnel qui a créé le DIF. Cet accord a, certes, été important, mais il reste sans commune mesure avec l'élément fondateur attendu par de nombreux acteurs de la formation. Nous nous situons donc, depuis 1971, sur un texte fondateur très important, maintenant dépassé et qui a fait l'objet de multiples modifications sans vision globale. Mes propos ne sont pas partisans puisque tous les gouvernements, de quelque bord qu'ils soient, ont fait plus de bruit que de réalité. C'est pourquoi je plaiderai volontiers pour une vraie grande réforme. On ne peut pas se contenter de poser du sparadrap et, comme nous nous trouvons au début d'un nouveau quinquennat, c'est le moment opportun pour exprimer ce genre de point de vue.

Je voudrais faire une deuxième remarque. Ce qui est frappant et constitue, peut-être, un obstacle important dans l'efficacité du système de formation est sa complexité. Qu'il s'agisse de la formation professionnelle initiale, de la formation professionnelle en direction des demandeurs d'emploi ou de la formation professionnelle interne aux entreprises, nous avons construit, dans tous les cas, des systèmes très compliqués, tant en termes de financement que d'organisation, et comportant une certaine opacité. Beaucoup des rapports que vous évoquez effectuent ce constat sur la formation professionnelle et, de manière générale, sur tout ce qui touche au marché du travail. Tout est très compliqué. Or, dans le domaine social, tout ce qui n'est pas compris ou n'est pas lisible ne fonctionne pas. Tous les ministres qui se sont succédé ont été conscients de cet état de fait. Ils ont donc essayé de simplifier le dispositif, mais les législations établies dans le souci d'une simplification ont souvent abouti à un résultat inverse.

Cela étant dit, il faut distinguer trois étages en matière de formation professionnelle : la formation professionnelle initiale, la formation à l'intérieur des entreprises et la formation en direction des demandeurs d'emploi. Ces trois systèmes sont, au fond, assez séparés et correspondent à des règles distinctes. De manière générale, les problèmes rencontrés ne sont pas liés à la pédagogie ou à la qualité des enseignants, même si nous avons encore du retard en e-learning par rapport à beaucoup de pays voisins. Le sujet que vous abordez est clairement associé à l'organisation du système.

- Formation initiale

Sur ce sujet, de mon point de vue, la difficulté vient quand même de l'éducation nationale et des difficultés que nous rencontrons, au niveau secondaire ou universitaire, pour faire travailler ensemble les entreprises et le système éducatif. Dans ce domaine, il ne s'agit pas d'identifier un fautif, mais de constater que nous n'avons pas réussi à faire collaborer ces différents acteurs. Ce point est très frappant lorsque l'on se rend dans les pays scandinaves, en Allemagne ou en Angleterre. Les enseignants continuent à avoir peur de la manière avec laquelle les entreprises vont exploiter leurs étudiants et élèves. Ils estiment qu'ils sont là pour former des citoyens, et pas uniquement des employés. D'un autre côté, les chefs d'entreprise demandent, de façon excessive, qu'on leur fournisse des salariés prêts à l'emploi, soit des salariés immédiatement utilisables, sans besoin de formation complémentaire. Ce phénomène est franco-français et se traduit, très concrètement, par le fait qu'il est très difficile de prendre comme enseignants des cadres d'entreprise et de prendre des enseignants en stage dans l'entreprise. Ceci est certainement dû à des phénomènes culturels, mais également à des phénomènes juridiques. Des problèmes de rémunération, de protection sociale ou de carrière se posent. Je pense donc que nous avons beaucoup à faire sur ce sujet.

Depuis une vingtaine d'années, nous avons considérablement multiplié les possibilités d'alternance, depuis l'apprentissage jusqu'au contrat de professionnalisation. A mon sens, il existe même trop de systèmes d'alternance ou de contrats aidés. Des progrès importants sont donc constatés, mais ils restent insuffisants car cette forme de méfiance rend les choses difficiles. Si j'avais des suggestions à faire, je proposerais donc de développer l'apprentissage, plutôt que de continuer à inventer, à chaque changement de ministre du travail, de nouveaux contrats. Il faut un système simple, lisible, compréhensible. Par ailleurs, il faudrait essayer, à défaut de régler les problèmes culturels, de régler les problèmes juridiques que pose la possibilité, pour des enseignants, d'être cadres et, pour des cadres, d'être enseignants. Par ailleurs, l'insuffisance du système d'orientation à l'éducation nationale est réellement angoissante. Si quelqu'un prenait le temps d'expliquer, à un jeune de troisième, qu'il vaut mieux qu'il essaie d'être plombier, plutôt qu'anthropologue, ce serait bien. L'absence d'un véritable système d'orientation est très claire lorsqu'on se compare à ce qui se passe dans les pays du nord.

- Formation en direction des demandeurs d'emploi

Ce sujet est plus large que la formation professionnelle et rejoint la question de notre gestion du marché du travail. Ce thème est, d'ailleurs, à l'ordre du jour puisque le Président de la République en a parlé à plusieurs occasions. L'éclatement du système, avec l'ANPE, l'UNEDIC, l'AFPA, les missions locales, les directions départementales du travail, l'inspection du travail et d'autres encore, engendre une certaine inefficacité. Il ne s'agit pas simplement d'une question de fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC, mais d'une réflexion plus globale sur le marché du travail. Toute personne en situation de chômage devrait pouvoir être reçue et suivie par quelqu'un qui s'occupe de son orientation et peut faire appel, dans ce cadre, à des organismes de formation adaptés. Beaucoup de rapports ont présenté des conclusions assez négatives sur la réalité de l'efficacité de ce fonctionnement.

Pour fournir un exemple, en Suède, l'équivalent de l'ANPE - l'AMS - recouvre l'ensemble des rôles du service public de l'emploi. Cette structure s'occupe d'orientation à l'égard de tous les demandeurs d'emploi. Elle dispose, en plus, des budgets permettant de commander des formations. Les organismes de formation, publics ou privés, répondent à des systèmes de label et la structuration est, au final, assez simple. La personne, chargée d'aider le chômeur à s'orienter, va également chercher l'organisme de formation, avec une obligation de résultat. Nous sommes très loin de cela. Je fais attention à mes propos puisque j'appartiens à une entreprise qui offre ce type de prestations. Je ne prétends pas défendre le privé face au public. J'indique simplement que le système actuel n'est pas capable de recevoir les demandeurs d'emploi et d'adapter leurs formations aux besoins. Face à cela, il faut un système clair de labels. Or, les services publics qui envoient vers les organismes de formation ne sont pas assez transparents sur ce sujet.

La problématique est identique au niveau des régions, sachant, en plus, que leur intervention rajoute de la complexité. En soi, le système reste néanmoins positif et la répartition des tâches n'est pas trop mauvaise. Mais, de nouveau, le dispositif est insuffisamment transparent et clair. J'ai vu que vous aviez reçu le président de la région Limousin qui a un peu évoqué ces sujets et je crois partager sa façon de présenter les choses. Évidemment, les structures administratives, qu'elles soient régionales ou nationales, ne doivent pas décider de tout, mais il faut un système de labellisation et les organismes de formation doivent avoir une obligation de résultats.

- Formation dans l'entreprise

Dans ce domaine, c'est le caractère très inégalitaire du système qui frappe. Nous avons réalisé une étude, il y a quelques années, sur la formation dans les PME et on retrouve les mêmes conclusions dans toutes les enquêtes effectuées depuis. La formation est très faible dans les PME. Souvent, on ne va même pas jusqu'aux obligations légales, même s'il faut se méfier de ce genre de statistiques puisque la formation sur le tas n'est pas mesurée. La formation est également très inégale en fonction de la qualification. Une étude de la DARES montre que, en 2004, 9 % des chômeurs sans qualification avaient reçu une formation contre 15 % des chômeurs de niveau Bac et 23 % des chômeurs diplômés. Le constat est identique dans les entreprises. Il existe beaucoup plus de formations pour les personnes déjà formées, que pour les personnes non formées. Les titulaires de contrat à durée indéterminée se forment bien davantage que les titulaires de contrats courts. Les sociétés de haute technologie entretiennent naturellement plus les compétences de leurs collaborateurs. A expérience sur le marché donnée, les salariés les plus anciens dans l'entreprise se forment plus que les salariés les plus récents, à l'exception des seniors. En d'autres termes, les entreprises utilisent la formation pour améliorer leurs performances, mais cette démarche est contreproductive en termes d'employabilité. Or, l'employabilité est un sujet important de nos jours.

C'est également, au niveau plus spécifique des entreprises, que le problème des OPCA intervient. A mon avis, le vrai avantage du plan de formation repose sur le fait qu'il offre, aux partenaires sociaux, une occasion de travailler, dans l'entreprise sans se disputer. Au moins, la formation professionnelle n'est pas conflictuelle. S'il ne faut pas supprimer les règles du code du travail concernant le plan de formation car cette démarche est très positive pour le dialogue social, il n'est pas certain qu'elle soit très efficace en matière de choix de formation. En ce qui concerne le droit individuel à la formation, le dispositif, très récent, ne fonctionne pas. Mais, je ne sais pas si ceci est lié à son caractère récent ou s'il ne fonctionnera jamais. Le droit individuel à la formation est probablement perçu comme un élément très individuel et, à ce titre, n'intéresse pas beaucoup les directeurs des ressources humaines. Ceux-ci ont tendance à le percevoir comme un moyen, pour le salarié, de passer un bon moment. Nous n'avons donc pas trouvé un bon équilibre dans ce domaine. Cependant, j'estime qu'il faut laisser vivre le texte, même si celui-ci ne me convient pas réellement. Ensuite, on trouve toute une législation sur les congés individuels de formation, congés de bilan de compétence, congés de validation des acquis de l'expérience, périodes de professionnalisation dont la nécessité, aux vues de la complexité, n'est pas complètement évidente.

Par ailleurs, la question des OPCA illustre bien le fait que nous continuons à vivre avec la loi de 1971 et l'accord de 1970, mais que les choses ont tellement changé que cela ne peut plus être pareil. Nous n'avons jamais remis la loi de 1971 sur le métier. En revanche, nous avons essayé de faire vivre le système par diverses transformations. Le problème que nous avions analysé, à l'époque de notre rapport, reposait sur le caractère un peu ambigu des OPCA. Celui-ci se traduit par un manque de transparence. Ces organismes ont, en principe, pour métier de collecter les fonds de la formation professionnelle auprès des entreprises, les mutualiser et les redistribuer au profit des salariés de ces mêmes entreprises. Or, le métier de collecteur et redistributeur n'existe pas s'il n'est pas associé à d'autres activités. Les OPCA font donc du conseil en formation, de l'achat de formation et des plans de formation. Leur rôle est donc ambigu. Par exemple, quand les OPCA font du conseil en formation, ils rentrent directement en concurrence avec des organismes dont c'est le métier. Lorsqu'ils achètent des formations, les règles qu'ils utilisent ne sont pas claires. Ils inventent, chacun, leur propre label.

Je pourrais vous en dire plus sur ce rapport si vous le souhaitez. Toutefois, depuis, la situation s'est à la fois améliorée et complexifiée. D'un côté, on a abouti à une certaine transparence et à la suppression de certains actes bureaucratiques. On a donc simplifié le dispositif et les OPCA ont accepté de rentrer dans un jeu de plus grande transparence. Le système reste néanmoins tordu. Les règles ne sont toujours pas claires et la loi a accentué la complexification en distinguant différents versements. En d'autres termes, ce qui était relativement simple et consistait à demander aux entreprises de chaque branche de contribuer à la formation de la branche s'est compliqué d'éléments transversaux.

Certains prétendent qu'il faut supprimer ce dispositif. Personnellement, je ne suis pas de cet avis. Mais le système doit être plus structuré, plus simple et plus transparent. En particulier, il faut absolument labelliser les formations et les évaluer. Il n'est pas idiot que les choix soient effectués par un organisme professionnel paritaire, comme un OPCA, mais il faut que les formations soient de bonne qualité et cette qualité ne repose pas simplement sur la qualité des formateurs, mais également sur l'évaluation des résultats. Les labels existent, mais sont tout à fait insuffisants. La labellisation ou la certification, si vous préférez utiliser ce terme, constitue un réel progrès.

M. Jean-Claude Carle, président - Vous avez parlé du climat de méfiance, pour ne pas dire de défiance, entre l'entreprise et le monde éducatif. Comment pouvons-nous améliorer encore ces relations ? En ce qui concerne les logiques de branche qui animent les OPCA, comment ces logiques peuvent-elles être conciliées avec les logiques de territoire ? Ceci peut-il passer par une forme de mutualisation ? Vous avez notamment évoqué la question du DIF et je pense effectivement qu'il faut laisser vivre le dispositif avant de porter, sur celui-ci, un jugement péremptoire. Enfin, notre système souffre bien d'un manque d'évaluation. Comment voyez-vous les choses dans ce domaine ? Qui peut évaluer ? Comment évaluer les actions et les résultats ?

M. Bernard Brunhes - Si je regarde ce qui se fait à l'étranger, la première question passe notamment par un problème de gouvernance, soit l'intervention des employeurs dans les systèmes de gouvernance de l'éducation nationale et inversement. Dans les équivalents britanniques de nos collèges et lycées, on trouve toujours des chefs d'entreprise au sein des conseils d'administration. Il faudrait également qu'on ne juge pas idiot de trouver, dans un conseil d'administration d'une entreprise du secteur de la mécanique, un professeur de mécanique. Pour un chef d'entreprise, il peut être très important d'avoir des relations quotidiennes et de qualité avec le proviseur du lycée technique du coin. Il se trouve que ce rapport n'est pas naturel. Il peut, toutefois, évoluer par des systèmes de gouvernance.

Pour les universités, c'est bien une plus grande autonomie qui est nécessaire. On sait bien que, pour la plupart des universités, les entreprises qui travaillent dans le même domaine de recherche ou emploient, ensuite, les étudiants ne sont pas assez présentes dans le système de gouvernance. Je n'oserai pas faire plus de trois pas dans cette direction-là, mais je veux quand même vous fournir un exemple qui m'a beaucoup frappé. J'ai fait partie, pendant quelques années, du conseil d'administration de l'université de Dauphine. On m'a demandé, dans ce cadre, d'aider les professeurs à élaborer un document destiné à expliquer aux entreprises ce qu'était Dauphine. Je n'y suis pas parvenu car les professeurs se refusaient à l'idée de parler d'autres choses que de l'enseignement apporté aux élèves. Or, pour moi, il fallait pouvoir expliquer aux directeurs des ressources humaines que nous savions former des commerciaux capables de travailler à l'étranger ou des informaticiens. Les enseignants étaient profondément heurtés par l'idée de présenter leurs étudiants comme des produits utilisables. Ils ont donc élaboré un document qui consistait à décrire le contenu des enseignements. Cette information ne peut pas parler à un directeur des ressources humaines. Je crois donc à ces évolutions car, pour moi, c'est par les hommes que nous établirons le lien, et non en inventant de nouveaux systèmes.

Par ailleurs, nous avons raison d'être assez satisfaits des efforts réalisés en matière d'alternance depuis une vingtaine d'années. Mais, il existe, malgré tout, une somme de systèmes inventés, au fil des années, par nos ministres respectifs qui ont, d'ailleurs, oublié d'effacer ce qui existait auparavant. Il faut donc rendre l'ensemble plus lisible. Ce dernier doit être géré simultanément par les enseignants, l'éducation nationale et les représentants des entreprises. En tout cas, je ne conseillerais pas à des parlementaires de rédiger des lois dans ce domaine, mais plutôt de pousser au rapprochement de deux populations qui se comprennent mal.

En ce qui concerne la logique de branche et de territoire, vous avez parfaitement raison. L'une des difficultés en matière d'application de la loi de 1971 repose sur le fait que la mutualisation par branche est insuffisante. Dans l'organisation actuelle de la décentralisation, ces questions se situent au niveau du conseil régional. C'est à lui d'essayer de développer ces points et certaines régions commencent à faire des choses en liaison avec les collectivités territoriales de l'étage inférieur, notamment en matière de gestion prévisionnelle des compétences. Ces sujets impliquent un travail des chefs d'entreprise entre eux, mais avec un chef d'orchestre qui ne peut être qu'un élu.

M. Jean-Claude Carle, président - Le bassin d'emploi ne constituerait-il pas le bon niveau d'action ? Il pourrait permettre d'éviter les structures administratives.

M. Bernard Brunhes - C'est exactement là où je rêve de la Suède. Les collectivités territoriales ont été complètement recomposées, en Suède, dans les années 1950. Le maire possède toutes les compétences que, de notre côté, nous répartissons entre plusieurs organismes. A la demande de la communauté européenne, j'ai été envoyé en mission en Suède pour suivre une grosse restructuration industrielle impliquant la fermeture d'une usine aéronautique. J'ai vu l'ampleur de la différence. Autour de la table, on trouvait, outre le patron et le syndicat unitaire, un seul représentant de l'État, en la personne du représentant de l'AMS, et un seul représentant des collectivités territoriales, en la personne du représentant du maire. Le système est très simple. Donc, si vous voulez m'expliquer que le bassin d'emploi est la meilleure échelle, j'en suis certain, mais il faut reconnaître - et j'ai quelque expérience en la matière - qu'il est difficile de mettre autour d'une table tous les acteurs d'un bassin d'emploi.

Enfin, la question du manque d'évaluation ne me semble pas un problème difficile. Les organisations professionnelles assurent déjà ce suivi. La fédération de la formation professionnelle dispose bien d'un système d'évaluation, mais ceci ne suffit pas. S'il revient bien aux pairs d'être à l'origine de ces dispositifs, une intervention des pouvoirs publics est également nécessaire.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je vais vous exposer rapidement les quelques questions de détail que nous souhaitions vous poser. Existe-t-il une taille critique pour les OPCA ? Faudrait-il instituer un plancher de collecte ? Par ailleurs, nous entendons souvent des critiques sur les priorités et critères fixés par les OCPA pour la prise en charge des formations. Je crois que cette remarque rejoint votre observation et que vous avez déjà apporté une réponse partielle sur ce point. On nous signale également que certaines entreprises versent, aux OPCA, des sommes excédant les obligations légales. Dans ce cas, pensent-elles bénéficier ultérieurement d'un droit de tirage à due concurrence ? Peut-on se passer de l'obligation légale du fait des efforts consentis par certaines entreprises ? Le centre Inffo a-t-il contribué à une meilleure connaissance de la formation ? La flexibilité de l'offre de formation est-elle suffisamment importante ? Le paritarisme, à travers l'obligation légale, constitue-t-il un obstacle à une évolution en matière de formation ? Enfin, peut-on souhaiter un élargissement des compétences des OPCA, pour la formation des jeunes et des chômeurs, en mobilisant d'autres financements ?

M. Bernard Brunhes - Je ne vois pas l'intérêt de fixer un plancher aux OPCA. Parfois, les petits OPCA fonctionnent très bien. Il faut peut-être plus s'interroger sur l'existence d'OPCA professionnels ou interprofessionnels. Dans de nombreux cas, il serait effectivement préférable que ces organismes soient interprofessionnels. Mis à part certains secteurs ayant besoin d'une formation professionnelle très pointue, on trouve souvent des métiers relativement banals (logistique, communication, informatique, etc.) La taille ne constitue donc pas vraiment un problème. Il faut surtout déterminer si le champ est bien choisi.

Pour les critères, j'ai effectivement répondu dans mon intervention initiale. Il ne faut pas laisser les OPCA décider seuls. Il faut passer par un système de classification ou privilégier une très grande transparence. Par ailleurs, je ne savais pas qu'il existait des structures qui versaient des sommes supérieures aux obligations légales. Je suppose que, si elles procèdent ainsi, elles en attendent un retour. Pour ma part, en tant que chef d'entreprise, j'utilise l'OPCA du secteur des consultants et bureaux d'études et j'ai toujours tiré beaucoup plus que ce que j'ai versé. Il existe donc des entités qui paient et ne reçoivent rien.

M. Jean-Claude Carle, président - De nombreuses entreprises, en particulier de grandes entreprises, vont effectivement au-delà de l'obligation légale, mais elles reçoivent l'équivalent des sommes versées.

M. Bernard Brunhes - Ceci ne constitue pas un problème. L'OPCA est un intermédiaire utile entre l'entreprise et les organismes de formation. Vous pouvez parfaitement le payer pour qu'il vous rende un service.

M. Jean-Claude Carle, président - Je vais donc inverser la question. Que pensez-vous de l'obligation légale ?

M. Bernard Brunhes - Je pense qu'il est préférable d'avoir une obligation légale.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous évoquons bien l'obligation de faire cotiser les entreprises pour de la formation, dans le cas où elle n'assure pas cette formation elle-même, et de prévoir, derrière, des retombées pour l'entreprise ou pour ses salariés.

M. Bernard Brunhes - Je sais que certains critiquent ce dispositif. Pour ma part, il ne me choque pas.

Mme Isabelle Debré - Cependant, comment peut-on évaluer la formation qu'une entreprise réalise par elle-même ?

M. Bernard Brunhes - C'est effectivement une difficulté qui existait déjà dans la loi de 1971. Si vous faites de la formation sur le tas, on peut être amené à considérer que vous ne faites pas de formation. Des ambiguïtés demeurent sur ce point. De manière générale, les grandes entreprises se situent, de toute façon, au-delà de leurs obligations légales. Le problème se pose au niveau des petites structures, de 100 à 200 salariés, qui ne font probablement pas suffisamment de formation et ont une activité de formation sur le tas. Néanmoins, le minimum de prélèvement n'est pas très élevé. En conséquence, on ne court pas de risques tout en obligeant les petites entreprises à faire quelque chose. Le système n'est donc pas idéal, mais il semble assez efficace. En revanche, je ne comprends pas la décision prise, il y a deux ans, d'affecter une partie des sommes à la professionnalisation. J'ai toujours trouvé que les décisions de cette nature constituaient une mauvaise action de l'État car elles ne favorisent pas la transparence. Il ne me semble pas correct de faire payer une entreprise pour un domaine précis et de lui expliquer, derrière, qu'une partie des sommes sera mise de côté pour autre chose.

Par ailleurs, le centre Inffo est une bonne maison et ne pose aucun problème. On trouve tout ce qu'il faut sur son site. Pour la flexibilité de l'offre, celle-ci existe. Au cours des vingt dernières années, à chaque fois qu'un gouvernement a mis en place un nouveau système de rémunération de la formation professionnelle pour les chômeurs, des organismes de formation, plus ou moins raisonnables, se sont précipités dans cette faille. Comme on n'avait pas toujours les moyens de vérifier ces formations et que les gouvernements voulaient que les dispositifs fonctionnent, on a plutôt facilité le développement de structures qui n'ont pas duré. Je pense donc, par expérience, que le système comprend tout ce qu'il faut et, comme je l'ai indiqué précédemment, nous n'avons pas de problème au niveau de la pédagogie. Les questions se posent bien au niveau de l'organisation. Enfin, concernant le paritarisme, on peut se demander si l'utilisation des fonds de la formation professionnelle par des organisations professionnelles n'ayant pas beaucoup d'argent, se passe bien. En tout cas, nous savons bien que le financement du paritarisme peut poser quelques petits problèmes. En matière d'élargissement des compétences, je n'ai pas bien compris votre question.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Il s'agirait de rendre les OPCA capables de financer, par exemple, des formations d'insertion pour les jeunes.

M. Bernard Brunhes - Franchement, je suis opposé à cette idée. Trois domaines sont assez bien séparés : la formation initiale, la formation des chômeurs et la formation continue. Chacun est complexe. Si, en plus, nous créons des interrelations, nous risquons de ne plus retrouver nos petits.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je peux poser la question différemment. Derrière les sommes dépensées pour la formation professionnelle et en tenant compte des différentes strates citées, pouvons-nous réorganiser le financement global ?

M. Bernard Brunhes - La question, posée sous cet angle, devient plus large et plus complexe. Mais, je trouve que vous avez raison de la soulever. Les différents travaux effectués ont démontré que nous sommes l'un des pays qui dépensent le plus en formation professionnelle. Nous nous situons au niveau des pays scandinaves et de l'Allemagne et tous les autres pays européens dépensent des sommes inférieures. Or, on ne peut pas dire que nos résultats sont très convaincants. En particulier, ils ne le sont pas au niveau du chômage. Je ne sais pas si la formation professionnelle est la cause du chômage, mais, dans tous les cas, elle ne doit pas jouer un rôle positif dans ce domaine. De plus, elle n'est probablement pas efficace sur le plan des entreprises puisque nous enregistrons un retard sur les technologies depuis quelques années. Le système est donc très coûteux, avec des résultats peu convaincants. Ce constat reste, toutefois, un peu général et nous pouvons toujours nous demander si nous devons nous focaliser moins sur les chômeurs et plus sur les grandes entreprises. Ma réponse n'est pas celle-ci. Pour ma part, je suis favorable à essayer de rendre efficace le dispositif existant. Notre système de gestion du marché du travail est inefficace, tant en matière d'orientation que de professionnalisation. Nous savons très bien que, dans certains métiers comme le bâtiment ou l'informatique, nous ne trouvons pas les personnels dont nous avons besoin. Le problème ne se situe pas au niveau des entreprises, mais au niveau du sas entre l'éducation nationale et l'entreprise et dans l'orientation des chômeurs.

Mme Isabelle Debré - Quand vous évoquez la nécessité d'une vraie grande réforme, vous me faites très peur. Cette remarque mise à part, je voudrais signaler que, plus nous avançons dans ces auditions, plus nous constatons un manque de communication, de transparence, de lisibilité et de compréhension du dispositif de formation professionnelle par les citoyens. Un de nos interlocuteurs a fait une intervention qui résume parfaitement cet état de fait. Il a indiqué que beaucoup de chefs d'entreprise ne considéraient plus la formation professionnelle comme un investissement, mais comme une taxe. Ce point m'a beaucoup frappé. Si c'est réellement leur conception, je crois que tout est raté. Aujourd'hui, comment rendre le dispositif compréhensible par tous ? Nous auditionnons, depuis plusieurs mois, des intervenants très intelligents et compétents dans ce domaine et nous ne pouvons que constater la complexité du système. Comment faire pour le rendre compréhensible et accessible à tous, notamment dans les PME ?

M. Bernard Brunhes - Le système est trop complexe. En revanche, je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce qu'on vous a dit. Un des inconvénients réels de la loi de 1971 a été l'institution du 1 %. Mais, je pense qu'un chef d'entreprise qui a besoin d'augmenter la capacité et la qualification de son salarié sait que ceci constitue un investissement. La question est donc légèrement différente. Si j'ai besoin d'un personnel plus qualifié, vais-je former mes salariés ou vais-je les licencier pour en embaucher des plus qualifiés ? Les Britanniques ont beaucoup vécu, pendant quinze ans, sur cette idée simple qui consiste à aller chercher, à l'extérieur, des collaborateurs formés par d'autres entreprises ou par de bonnes universités plutôt que d'assurer cette formation - le « poaching » ou braconnage. Ceci peut causer un problème dans une période de chômage et soulève également la question de l'employabilité : tout chef d'entreprise devrait s'interroger sur l'avenir de ses salariés lorsqu'il n'aura plus besoin de leurs compétences. Ces sujets devraient entrer dans ses responsabilités. Un chef d'entreprise doit se sentir responsable de la vie des personnes qui sont dans l'entreprise et ce point est, à mon sens, insuffisamment présent dans les mentalités.

Mme Isabelle Debré - Encore faut-il que le chef d'entreprise puisse faire évoluer son personnel. Comme on nous le signalait hier, si un salarié ayant reçu une formation n'évolue pas dans son poste, ceci n'a d'intérêt ni pour l'un, ni pour l'autre.

M. Bernard Brunhes - C'est pourquoi cette réflexion ne se résume pas à la formation, mais concerne la gestion du capital humain. Les grandes entreprises du secteur automobile, même celles qui, comme PSA, sont conduites à des réductions d'effectif, ont, depuis longtemps, une volonté réelle d'assurer cette gestion. Toutes les grandes entreprises témoignent, en général, de cette même volonté. Pour les petites, la problématique est plus difficile à gérer.

Mme Valérie Létard - Je voudrais revenir sur la question de Bernard Seillier que je trouve intéressante. Votre réponse m'interroge un peu. Cette question concerne les OPCA qui pourraient éventuellement prendre en compte une partie des publics demandeurs d'emploi et élargir leurs compétences. Vous indiquez -et je partage votre point de vue- qu'on ne peut juger les entreprises responsables de la difficulté à former, aujourd'hui, nos populations. Mais, face à la problématique de division de la formation en formation initiale, formation des demandeurs d'emploi et formation continue, ne peut-on essayer de créer des passerelles ? Ceci permettrait de faire en sorte qu'un demandeur d'emploi, qui ne trouve pas toujours les moyens et les financements pour se former, puisse se tourner vers un OPCA de branche. Celui-ci trouverait, de ce fait, des personnes qualifiées dans le bon domaine de compétences et formées par des organismes de formation labellisés. On voit bien, aujourd'hui, qu'il existe des zones d'ombre, des espaces dans lesquels les OPCA disposent de moyens plus importants que les besoins, des espaces où l'argent est insuffisant pour couvrir l'ensemble des formations et des espaces où il n'y a pas du tout de financement pour la formation professionnelle. Dans ce cadre, une réflexion sur l'organisation de passerelles à l'échelon des bassins d'emploi ou des régions peut-elle être menée pour faire en sorte qu'on ne se retrouve pas bloqués par des réalités complémentaires, mais juxtaposées et sans lien ? On peut penser, par exemple, à l'absence de connexion entre une personne sans emploi, ayant besoin de se qualifier, et des entreprises qui ont besoin de personnel qualifié et disposent d'argent pour la formation.

M. Bernard Brunhes - Si vous présentez la question comme cela, vous avez raison. Cependant, trop souvent, les employeurs ne sont pas prêts à faire l'effort financier pour qu'on forme, pour eux, des personnes venant de l'extérieur. Par ailleurs, en principe, l'argent destiné à former leur propre personnel ne devrait pas être suffisant. Vous signalez que certains OPCA ont beaucoup d'argent. C'est possible, mais, dans le cas que vous mentionnez, il faut que les employeurs concernés demandent à l'OPCA de procéder de la sorte. A mon avis, ces cas doivent quand même rester exceptionnels car, dans votre proposition, vous cherchez à financer la formation de personnes extérieures à l'entreprise sur le budget de formation de ceux qui sont déjà dans l'entreprise.

Mme Valérie Létard - Je cherche un moyen d'optimiser l'enveloppe globale disponible pour la formation de personnes qui, à un moment donné, ont besoin d'une qualification pour être salariées. On peut parler de mutualisation de moyens. Je sais qu'il est difficile qu'une entreprise accepte d'aller financer des publics qui ne travaillent pas pour elle et qui ne travailleront peut-être jamais pour elle.

M. Bernard Brunhes - Franchement, je trouve votre proposition trop intelligente et j'ai peur qu'elle n'alourdisse le système.

Mme Valérie Létard - Entre partenaires du secteur de la formation, vous travaillez et échangez. Quelle piste peut-on trouver pour avancer sur ce sujet ?

Mme Isabelle Debré - Comme l'indique notre président, cette proposition pourrait correspondre à une bonne utilisation du FUP.

M. Jean-Claude Carle, président - Effectivement, il existe bien un fonds de mutualisation.

M. Bernard Brunhes - Si j'étais certain que, sans mettre en place un système trop complexe, les publics financés entrent dans les entreprises mutualisées au travers du dispositif, ce serait possible. Mais, tel que le marché du travail fonctionne actuellement, je crains que ce ne soit encore de l'argent qui parte on ne sait pas où. Dans le cas évoqué, il faudrait simplement que les décisions prises par les OPCA soient claires et correspondent à un besoin explicité par les entreprises. Or, dans le schéma existant aujourd'hui, l'OPCA, organisme paritaire souvent un peu éloigné des employeurs, peut avoir la tentation de faire un peu n'importe quoi. Pour éviter ces excès, des verrous vont donc être installés et nous allons nous retrouver avec une certaine bureaucratie. Voilà pourquoi je reste hésitant face à ce type de propositions.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Pour faire une analogie avec la santé, la question que nous soulevons est similaire à celle qui s'est posée pour la CMU. Il s'agit de savoir si nous pouvons utiliser le financement d'un champ pour financer un autre domaine. Nous évoquons donc, en fait, le problème du financement global de la formation en France.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci. Nous sommes obligés de mettre un terme à cet entretien. Si vous souhaitez aborder des points particuliers que nous n'avons pas traités aujourd'hui, n'hésitez pas à nous faire part de vos remarques. Elles seront les bienvenues. Comme je l'ai indiqué, nous nous préoccupons qu'elles ne restent pas lettre morte et essayons de faire modestement avancer la situation.

Audition de MM. Philippe ROSAY, président, Gérard LENOIR, vice-président, et Joël RUIZ, directeur général, de l'AGEFOS-PME (30 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous avons le plaisir d'accueillir l'AGEFOS-PME et d'auditionner un certain nombre de ses responsables : son président, Philippe Rosay, son vice-président, Gérard Lenoir et son directeur général, Joël Ruiz qui a participé à la table ronde d'hier. Je ne vais pas vous rappeler l'objet de cette mission. Vous le connaissez. Nous allons donc immédiatement vous laisser la parole.

M. Philippe Rosay - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous vous remercions d'avoir invité à cette audition l'AGEFOS-PME qui, vous le savez, est le premier OPCA de France avec ses 300 000 entreprises adhérentes et ses cinq millions de salariés.

Nous avons suivi, avec beaucoup d'intérêt, les travaux de votre commission, en particulier grâce à la mise à disposition des comptes rendus de vos débats sur le site du Sénat. La rapidité de circulation de l'information et la transparence intégrale contribuent, nous semble-t-il, à la qualité du débat. La table ronde à laquelle vous nous avez invités, hier, en atteste.

L'AGEFOS-PME apprécie votre décision de dresser l'état des lieux de la formation professionnelle en France et de l'utilisation de ces fameux 24 milliards d'euros dont nous avons beaucoup entendu parler. Avec 700 millions d'euros, l'AGEFOS-PME ne représente que 3 % de ces sommes. C'est à la fois peu et beaucoup. Cela justifie de vous rendre compte de notre activité, de nos résultats et de nos réflexions prospectives.

Nous interviendrons en binôme. C'est une tradition dans le cadre d'un véritable paritarisme voulu par la CGPME et les cinq organisations syndicales de salariés constitutives de notre fond. Gérard Lenoir, notre vice-président, m'accompagnera dans les propositions que nous allons vous faire. L'objectif de notre présentation est de vous démontrer que notre métier vise à contribuer « à construire et à financer les projets de formation au plus près des territoires pour pérenniser l'emploi dans les entreprises et assurer les parcours professionnels de nos salariés ». Vous le voyez, c'est un programme ambitieux !

Notre intervention s'articule en trois temps.

Dans un premier temps, je vous présenterai les enjeux de la formation, dans le contexte économique et social actuel, et les grandes priorités définies par nos instances paritaires, au niveau national, pour y faire face. Elles sont déclinées, dans les territoires, avec, bien sûr, de nécessaires adaptations liées aux spécificités économiques et sociales de nos instances paritaires régionales.

Dans un deuxième temps, le vice-président, Gérard Lenoir, vous présentera les moyens que l'AGEFOS-PME a mis en oeuvre pour atteindre les objectifs prioritaires fixés par notre accord national interprofessionnel. Par la même occasion, nous vous présenterons un certain nombre d'actions innovantes que l'AGEFOS-PME a mis en place pour vous démontrer ce que nous pensons être la véritable valeur ajoutée de notre fond.

Dans un troisième temps, nous vous proposerons, avec le soutien de notre directeur général, Joël Ruiz, à partir de notre expérience de trente-six ans au service des entreprises et de leurs salariés, quelques pistes de réflexion pour optimiser encore plus l'investissement formation dans le capital humain.

Nous avons conscience que plusieurs rapports, fort médiatisés, ont tenté de jeter la suspicion sur la pertinence des mesures prévues par la loi sur la formation tout au long de la vie et sur la gestion, par les partenaires sociaux, de la formation professionnelle. Ces derniers ont eu l'occasion de vous présenter leur point de vue lors des auditions que vous avez menées.

Notre contribution est la réponse de l'AGEFOS-PME à ces critiques. Elle sera accompagnée de seize propositions concrètes.

La formation professionnelle : quels enjeux, quelles priorités pour notre AGEFOS-PME ?

Quelle est notre analyse des enjeux de la formation professionnelle ?

Ces enjeux sont directement liés à un contexte économique et social en pleine mutation qui génère trois types de défis.

- Premier défi : les mutations économiques

Sans revenir sur l'analyse de la mondialisation et de ses conséquences sur les entreprises et leurs salariés, il faut rappeler que les évolutions technologiques se traduisent par une tertiarisation de nos entreprises. Ces mutations génèrent de nouveaux modèles d'organisation et de nouveaux types de métiers. Elles impliquent des adaptations des systèmes productifs et, en premier lieu, des compétences des salariés et donc de leur formation.

Ces mutations économiques sont aussi sociétales. Elles impliquent de profonds bouleversements managériaux. Comment accompagner les PME et les TPE dans la mise en place de recrutement, de management et de formation qui répondent aux nouveaux comportements et attentes des salariés ? Nous vous les présenterons dans la suite de notre exposé.

- Deuxième défi : les mutations démographiques

Avec le renouvellement des générations du baby boom, 15 % des dirigeants des PME et TPE devraient prendre leur retraite d'ici à cinq ans. Comment assurer leur succession ? Comment faire face à cette perte de compétences clés et à l'éventuelle fuite vers les grandes entreprises ? Comment accompagner les entreprises dans cette transition démographique sans précédent ?

- Troisième défi : les mutations territoriales

Paradoxalement, la mondialisation a remis le territoire local au centre des réflexions, en particulier du fait des délocalisations. Le maillage du bassin d'emploi, ses ressources en compétences, ses infrastructures et son environnement redeviennent autant d'atouts et d'enjeux pour la réussite économique de la France.

Ce bref éclairage du contexte économique implique d'apporter les réponses adéquates quant à la formation professionnelle. Celle-ci joue, en effet, un rôle incontournable dans la nécessaire adaptation des compétences des salariés et la pérennisation de leurs emplois et de leurs entreprises. Nous souhaitions faire ce propos général sur l'économie, telle que nous la ressentons, car nous voulions insister sur le fait que nous ne sommes pas qu'un outil.

Face à ces enjeux, quelles sont les réponses prioritaires apportées par l'AGEFOS-PME ?

En préalable, l'AGEFOS-PME rappelle que la liberté de choix des entreprises est un facteur clé de succès. L'AGEFOS-PME a choisi de répondre aux besoins des salariés et de leur entreprise dans les territoires. Cela exige de les responsabiliser dans le respect des textes législatifs et conventionnels. C'est un principe fondateur.

La réforme de 2004 a mis en avant la nécessité de rendre les salariés acteurs de leurs parcours professionnels faisant le constat de leur manque d'appétence à la formation. Ainsi, la formation doit être négociée entre l'employeur et son salarié à travers diverses mesures comme l'entretien professionnel, le DIF ou la période de professionnalisation et le choix de la formation pendant ou hors temps de travail.

L'AGEFOS-PME considère donc que les acteurs doivent rester maîtres de leurs décisions et prendre toutes leurs responsabilités.

Le chef d'entreprise, attaché à la conception de son plan de formation au service de son projet économique : l'AGEFOS-PME lui assure un soutien méthodologique et logistique en particulier pour toutes les PME et les TPE qui n'ont pas de service de ressources humaines.

Les salariés, dans le cadre de l'appropriation et de l'élaboration de leur parcours professionnel : L'AGEFOS-PME répond à la demande avec des dispositifs comme la VAE ou le DIF.

Ainsi, pour l'AGEFOS-PME, le développement de la formation doit d'abord partir du projet de l'entreprise et respecter :

- le libre choix quant à l'opérateur qui gère les fonds de la formation et assure le conseil ;

- le libre choix en ce qui concerne les organismes de formations ;

- le libre choix des branches professionnelles qui adhérent à notre fond.

Celles-ci sont, aujourd'hui, au nombre de trente-huit. Elles décident de leurs priorités et de leurs projets de formation. L'AGEFOS-PME leur apporte des services de gestion, de méthodologie, de logistique et de conseil.

Notre première proposition vise donc à développer le modèle économique. Je ne suis à la tête de cette maison que depuis un an et demi et je ne suis pas un homme du secteur de la formation. Je peux donc porter le témoignage de quelqu'un qui a découvert le système. Auparavant, j'avais occupé des fonctions de président de fédérations de bâtiment et de président de chambre de commerce. J'avais une vision territoriale et le monde de la formation m'a toujours paru assez compliqué. Je défends l'AGEFOS-PME avec autant de force que je crois au modèle économique que j'ai découvert. Il s'agit donc de développer le modèle économique interprofessionnel et interbranche qui permet la mise en commun de moyens, tout en assurant un service de proximité sur l'ensemble du territoire. Il faut responsabiliser les entreprises et leur laisser leur liberté de choix. Cette liberté constitue bien la première valeur. En conséquence, il ne faut pas étatiser le système.

- Première priorité : optimiser les fonds de la formation professionnelle

Après le rappel de ce principe de libre choix, l'AGEFOS-PME doit contribuer à définir et répondre aux besoins de l'entreprise en cherchant à optimiser l'affectation des fonds de la formation de l'entreprise.

Pour cela, l'AGEFOS-PME met en oeuvre, grâce à 500 conseillers formation qui sont en contact permanent et quotidien avec les chefs d'entreprise et 80 000 visites annuelles, l'expertise de son réseau au service des entreprises qui lui font confiance pour :

- analyser les besoins et les projets de l'entreprise ;

- proposer des organismes de formation ;

- gérer les dépenses de formation ;

- construire et accompagner le plan de formation ;

- favoriser l'insertion professionnelle.

Notre deuxième proposition vise à intégrer, dans les textes sur les missions des OPCA, le conseil et l'ingénierie qui nous semblent indispensables pour les PME et les TPE qui n'ont pas de service de ressources humaines.

- Deuxième priorité : garantir un service individualisé de proximité

L'accompagnement individualisé est la contrepartie du caractère volontaire des contributions versées par l'entreprise à l'AGEFOS-PME. C'est un deuxième principe fondateur réaffirmé dans l'ANI PME.

Deux données confirment l'intérêt des entreprises pour ce modèle économique que nous développons.

Par le service que nous apportons aux PME, nous obtenons 50 % de versement en plus pour accompagner les projets d'entreprise et de formation. C'est bien, en 2006, le versement complémentaire et volontaire reçu des entreprises de dix salariés et plus pour financer leur plan de formation. Ce taux est de 16 % pour les entreprises de moins de dix salariés.

71 % des entreprises de plus de dix salariés, adhérentes par obligation à un autre OPCA, ont choisi l'AGEFOS-PME pour ses services de proximité.

Nous essayons de gérer l'AGEFOS-PME comme une entreprise privée apportant du service. Si les clients ne sont pas contents, ils s'en iront. Notre troisième proposition concerne le service individualisé et de proximité qui nous semble indispensable pour l'adaptation des entreprises aux défis économiques d'aujourd'hui. Il doit être prioritaire.

- Les moyens de notre politique pour faire face à ces défis

L'AGEFOS-PME propose aux entreprises une offre de service globale.

M. Gérard Lenoir - L'AGEFOS-PME propose, aux entreprises, une offre de services globale qui est définie dans notre projet stratégique Horizon 2010, adopté par le conseil d'administration en janvier 2007. Au-delà de la gestion traditionnelle des contributions des entreprises, notre fond propose quatre services supplémentaires.

- Premier service : rendre accessible l'offre de formation aux PME et TPE

Les PME et les TPE, ainsi que leurs salariés, connaissent une véritable inégalité d'accès à la formation. L'AGEFOS-PME s'est donné pour priorité de permettre un accès équitable pour tous. Parmi les freins à cet accès, nous avons relevé :

- le coût élevé des stages ;

- le manque de disponibilité des salariés du fait de leur activité professionnelle ;

- la complexité des démarches administratives ;

- la méconnaissance des centres d'information et d'orientation au plan local ;

- la difficulté des TPE et PME à gérer les absences des salariés partis en formation.

Pour pallier ces handicaps, le réseau AGEFOS-PME propose des projets collectifs de formation et la dématérialisation des procédures administratives. Il faut, malgré tout, faire le constat que la participation des salariés des TPE reste toujours inférieure à la moyenne de l'ensemble des départs en formation et que l'information et le conseil des TPE impliquent d'importants moyens humains et logistiques de proximité. Si nous voulons rendre un service aux entreprises, ce service a un coût et ce coût doit respecter le plafond de frais de gestion imposé par la loi, ce qui n'est pas toujours simple.

En conséquence, nous faisons les propositions suivantes :

- simplifier les procédures administratives et comptables ;

- créer un service d'information et d'orientation régional ;

- aider au remplacement des salariés en formation.

- Deuxième service : la gestion des compétences

D'après nous, les entreprises, et particulièrement les PME et TPE que nous représentons, manquent d'anticipation sur leurs besoins en matière d'emploi et de compétences. La gestion prévisionnelle des âges, par exemple, n'est pas une priorité ainsi que la lutte contre l'illettrisme ou l'inégalité professionnelle entre les hommes et les femmes. De plus, des besoins spécifiques existent dans les bassins en difficultés et les pôles de compétitivité.

Pour répondre aux problèmes des différentes structures, l'AGEFOS-PME propose de :

- les accompagner dans la définition de leurs besoins ;

- les aider à anticiper leurs besoins de main d'oeuvre ;

- les sensibiliser sur des actions spécifiques en direction des publics fragilisés ;

- les engager dans une démarche de GPEC et des projets de formation.

Notre septième proposition est donc la suivante : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est un outil indispensable à mettre en place, en partenariat, dans les territoires. L'AGEFOS-PME, en facilitant la formation, est prête à mettre ses compétences à disposition des PME en région.

- Troisième service : l'accompagnement financier

L'obligation légale reste, pour nous, la meilleure garantie d'assurer un investissement formation constant. Celui-ci joue un véritable effet de levier. Aujourd'hui, la mutualisation nous permet difficilement de dégager des excédents pour abonder les capacités financières des PME et des TPE qui ont des besoins supplémentaires à leur propre contribution. En effet, toutes les entreprises augmentent actuellement leurs dépenses de formation. Il faut, alors, convaincre la structure de verser des contributions complémentaires dont le retour sur investissement est toujours difficile à quantifier. Les entreprises sont réticentes sur ce point.

Face aux besoins croissants de formation des entreprises, l'obligation légale et la mutualisation ne suffisent plus. Il faut donc impliquer davantage les entreprises et susciter de nouvelles sources de financement. Nos conseillers sur le terrain vont en permanence chercher, avec le FSE et en concertation avec la région, des compléments de financement pour permettre aux entreprises de s'adapter quand elles rencontrent des difficultés.

- Quatrième service : la fonction de veille et d'innovation sur la formation

Dès 1980, les partenaires sociaux fondateurs de l'AGEFOS-PME ont fait le choix de mettre en place une commission nationale de formation et des commissions régionales de formation. Nous avons effectivement toujours eu le souci de la régionalisation et de la présence au plus près du terrain. Leur mission fondamentale est une fonction d'études et de recherches. La commission nationale de formation assure aussi la fonction d'analyse de l'emploi et des formations au niveau local, régional, voire national. Ces travaux ont permis de nombreuses expérimentations telles que les programmes intégrés territoriaux (PIT). Ils sont également à l'origine de la conception d'un dispositif de formation destiné aux tuteurs de jeunes en contrats d'alternance ou la création d'outils de gestion de compétences collectives et individuelles dans les PME.

Notre neuvième remarque nous permet donc de signaler que les études et recherches en formation sont indispensables pour adapter les projets de formation. Il faut en préserver le financement.

Voilà un certain nombre de services rendus par l'AGEFOS-PME qui vont bien au-delà de la seule collecte et gestion administrative, mais qui assurent aux PME, aux TPE et à leurs salariés un soutien logistique indispensable dans le contexte de compétitivité et de mutations socioculturelles de notre XXI e siècle.

Territoire et proximité : l'autre priorité de l'AGEFOS-PME.

1 000 représentants paritaires se mobilisent pour définir des priorités de financement au regard des spécificités territoriales. Autrement dit, nous disposons de règles générales qui sont définies au niveau national et ajustées au niveau régional et local en fonction des réalités. Les lois sur la décentralisation, qui délèguent la compétence de formation aux régions, confirment la justesse des choix de l'AGEFOS-PME qui a largement anticipé le rôle essentiel accordé au territoire et à la proximité dans ce domaine.

- Le territoire : coopération et synergie

Le territoire est un espace d'observation, de partenariats et d'actions concertées dans le champ de l'emploi et de la formation. Agir au niveau du territoire permet d'assurer l'interface entre tous les acteurs : branches professionnelles, secteurs d'activité, OPCA de branche, groupes d'entreprises, État et collectivités territoriales, autres acteurs institutionnels, réseaux économiques de la région ou du bassin d'emploi, etc.

Dans notre dixième proposition, nous constatons que, pour anticiper les difficultés rencontrées par les PME et les TPE, et notamment l'éternel problème des délocalisations et de l'adaptation technologique, le lien entre la réforme de la formation et la décentralisation de 2004 est insuffisant. Nous proposons de mettre en place, dans les textes, une réelle politique contractuelle en région à travers des contrats d'objectifs territoriaux.

- Le territoire : actions et résultats

Cette réflexion est fondée sur plus de cinquante diagnostics territoriaux pour lesquels l'action de l'AGEFOS-PME a permis d'optimiser la réponse aux besoins de formation. Comment fait-on ? Nous analysons les besoins et les compétences en partenariat actif avec les OREF et ASSEDIC. Les plates-formes Emploi-PME, en Aquitaine et en Bourgogne, aident les entreprises à formuler des fiches de poste et nous relayons ces informations au service public de l'emploi, au conseil régional. Nous aidons, avec nos autres partenaires, à articuler les dispositifs existants. Nous proposons désormais ce type de partenariats aux maisons de l'emploi. Enfin, nous permettons la mobilisation de ressources financières. Après avoir assuré l'assistance technique FSE du ministère de l'emploi sur la période 1998-2001, chaque AGEFOS-PME a été partenaire de l'État et des régions, notamment sur les programmes en faveur des salariés des plus petites entreprises. Enfin, nous avons largement contribué au lancement du contrat de transition professionnelle qui sera présenté dans la dernière partie de notre rapport.

Ainsi, l'AGEFOS-PME, OPCA interprofessionnel et interbranche, estime que le niveau pertinent d'intervention est le territoire ou le bassin d'emploi. Nous disposons d'un réseau décentralisé et, dans certaines régions comme en Rhône-Alpes, la décentralisation est encore plus forte.

- Des politiques sectorielles de proximité

Depuis 1995, notre réseau garantit aux branches professionnelles, aux groupes d'entreprises et aux grandes entreprises :

- une cohérence dans la mise en oeuvre de leur politique de formation ;

- un accompagnement de proximité régional.

Ainsi, trente-huit branches professionnelles ont choisi d'adhérer chez nous. Nous sommes capables d'apporter méthodologie, outils transversaux emploi/formation/compétences et de décliner la politique de la branche au plan territorial.

Dans notre onzième proposition, nous suggérons, pour les branches professionnelles peu représentées en région, l'accueil et l'adhésion de ces nouvelles branches sans créer un OPCA spécialisé supplémentaire pour réaliser des économies d'échelle en garantissant tous les services de la formation et un véritable service de proximité.

M. Joël Ruiz - Jusqu'à la proposition 11, nous avançons des propositions d'amélioration. Celles qui vont suivre sont des propositions nouvelles.

- Des pistes pour demain

- Pour un développement du contrat de transition professionnelle

Nous pensons qu'il convient d'engager un développement du dispositif expérimental, dit contrat de transition professionnelle, qui s'adresse, aujourd'hui, aux salariés licenciés pour motifs économiques dans les entreprises. L'expérimentation se déroule sur deux ans autour de sept sites présentant des risques économiques. L'AGEFOS-PME est présente sur ces bassins d'emploi aux côtés de l'AFPA et de sa filiale, Tansitio CTP, ainsi que du service public de l'emploi. Nous avons été avec l'AFPA un moteur de la réussite de cette expérimentation. Nous tenons, d'ailleurs, à la disposition de la commission le rapport fourni par l'IGAS qui pilote le suivi et l'évaluation de ce dispositif public.

La réflexion autour du CTP est l'opportunité de réaffirmer :

- le lien entre l'interprofession et le territoire ;

- la pertinence de la transversalité pour sécuriser les parcours ;

- l'utilisation des différents dispositifs de la réforme de la formation professionnelle dans le cadre des parcours.

Nous avons suffisamment de dispositifs. La vraie question vise à les agencer. Dans cette optique, on doit pouvoir se lancer dans une généralisation du dispositif. Mais il faudra faire une analyse un peu fine des actions qui ont été engagées et peser l'impact en termes de coût et de moyens. Quoi qu'il en soit, nous avons engagé une première réflexion sur cette question avec l'État.

Notre proposition vise donc à développer le contrat de transition professionnelle. L'AGEFOS-PME s'engage, avec les partenaires publics, à mettre ses compétences à disposition de cette initiative.

- Développer l'offre de service sur le droit individuel à la formation (DIF)

La CGPME et les organisations syndicales signataires d'un avenant, concernant notre périmètre et daté du 21 mars 2005, nous ont demandé de mettre en oeuvre un contrat de prestations complémentaires DIF (CPCDIF). En effet, dès le début, nous avons considéré que ce dispositif pouvait apparaître comme compliqué pour les entreprises et les salariés et qu'il était indispensable de venir les soutenir. Nous proposons donc l'adhésion des PME à un contrat de prestations complémentaires et volontaires, en dehors de toute obligation légale, pour une programmation, sur trois ans, d'un plan prévisionnel du droit individuel à la formation.

L'AGEFOS-PME, sur la base des deux articles qui ont été négociés par nos partenaires sociaux, développe une offre de service qui vise à simplifier la gestion liée au DIF en complément du plan de formation, soit :

- un diagnostic annuel ;

- la couverture des financements sur une période de trois ans ;

- un dispositif d'outils de services pour les patrons de PME qui souhaitent développer le programme en lien avec notre système d'information ;

- un site d'information réservé aux salariés pour faire leurs demandes de DIF et consulter, à tout moment, leur compteur DIF mis à jour.

Nous proposons que ce type de contrats de prestations complémentaires, pour développer le DIF, puisse être assuré au titre d'un nouveau service d'investissement formation qui, d'ailleurs, doit concourir à favoriser le dialogue social dans l'entreprise.

- Promouvoir les qualifications transverses

La CGPME et les cinq organisations syndicales signataires de l'ANI PME ont souhaité mettre l'accent sur le développement des qualifications et compétences transverses. Nous pensons que les qualifications transversales permettent de conjuguer compétitivité, mobilité professionnelle, évolution professionnelle, reclassement, voire sécurité des parcours. Il nous semble important que ces domaines transversaux ne restent pas une exclusivité des branches professionnelles dans lesquelles le salarié resterait confiné et restreint dans sa mobilité professionnelle, d'autant que ces branches se consacrent d'abord à leur coeur de métier. Actuellement, par exemple, nous allons engager un chantier sur le domaine des métiers de la logistique qui est en pleine évolution et représente, en soi, un enjeu transversal dans la mesure où de nombreuses PME et PMI de secteurs très différents peuvent être impliquées sur ces questions.

Notre proposition vise à développer un partenariat entre les branches et l'interprofession pour assurer la reconnaissance des qualifications transverses au service des PME, des TPE et de leurs salariés qui sont confrontés à des problèmes d'adaptabilité de leurs compétences.

- L'évolution des métiers et des qualifications : un service de prospective sur mesure

La réforme de la formation instaure, pour chaque branche professionnelle, la création d'un observatoire prospectif des métiers et des qualifications. En ce qui concerne l'AGEFOS-PME, on nous a confié douze observatoires des métiers et des qualifications. Nous avons donc dû élaborer une offre de service spécifique pour accompagner ces branches professionnelles dans la mise en oeuvre opérationnelle de ces observatoires. Nous voulons démontrer, par là, que nous sommes en capacité, tout en nous positionnant sur un ancrage territorial interprofessionnel, de pouvoir accompagner des demandes sur mesure au titre d'une prospective des métiers et des qualifications. Surtout, nous souhaitons pouvoir décliner ces travaux avec les acteurs qui font de l'analyse et de la prospective, notamment au niveau territorial (OREF, CCI, autres OPCA, etc.), et travailler sur des sources externes. Nous sommes convaincus que c'est par le maillage de l'évolution des métiers et des qualifications dans les branches et par ce qu'il se passe, en termes de mobilité, dans les territoires que nous pourrons gagner autour de la prospective.

Sur ces bases, notre quinzième proposition vise à contribuer, en partenariat, aux politiques régionales d'emploi et de formation grâce aux travaux des observatoires de nos branches professionnelles.

- Coopérations européennes et internationales

Enfin, depuis plusieurs années, nous avons pris des engagements européens parce que nous pouvons apprendre de nos voisins et nos voisins peuvent apprendre de nous. Nous en avons eu une très belle illustration hier en entendant le témoignage de nos amis allemands. Dans le cadre de programmes de recherche qui ont été supportés par l'union européenne, nous avons engagé une série d'opérations sur les référentiels de formation, les pratiques RH des entreprises ou la veille en matière de pratiques sociétales (par exemple autour de la gestion des temps ou de la parité et de l'égalité professionnelle). Nous avons également entamé des missions de veille stratégique auprès de réseaux paritaires qui existent dans le cadre de l'Union européenne.

Enfin, à l'international, l'Algérie est en train d'engager une opération importante au titre du fond national de développement de l'apprentissage et de la formation continue et nous avons formé quarante conseillers algériens. Leur préoccupation vise à aider au maillage de leurs propres PME dans le pays. Nous pouvons également citer la Polynésie française qui vient de nous solliciter pour la mise en place d'un fond interprofessionnel de la formation professionnelle. De manière générale, l'expertise et le savoir-faire de notre fond d'assurance formation sont sollicités pour de nombreux projets de développement de fonds de gestion de la formation en Europe et dans le monde. Pour cela, le conseil d'administration a ouvert une dimension internationale à notre activité dans notre projet stratégique pour les années qui viennent et nous faisons une proposition. Nous sommes convaincus d'être porteurs d'un modèle. Nous proposons donc de promouvoir une politique d'échange et de coopération, au niveau européen et international, sur ces questions.

- Conclusion : doit-on remettre à nouveau tout le système de formation à plat ?

M. Philippe Rosay - Vous avez bien compris que, globalement, nous essayons d'exprimer le fonctionnement de notre outil. Nous ne nous situons par sur le champ des grandes décisions politiques, mais sur celui du quotidien afin d'aider les PME à se sortir de situations difficiles. C'est pourquoi, par rapport à notre prédécesseur, nous ne devons pas nous trouver dans les mêmes niveaux de réflexion et nous excusons de revenir sur des éléments très terre-à-terre.

Pour conclure très rapidement, il faut peut-être remettre le système de formation à plat, mais il ne faut certainement pas le remettre en cause. Nous avons inventé, en France, un système de gestion, partagé entre l'État, les régions et les partenaires sociaux, qui respecte le rôle et le champ de compétences de chacun. Ce système suscite d'ailleurs l'intérêt de nombreux pays étrangers. Je tiens quand même à insister sur ce point. Nous estimons que le dispositif ne fonctionne pas en France et nous allons voir ce qui se passe ailleurs. Or, les étrangers viennent régulièrement nous voir pour nous interroger sur le fonctionnement de notre système.

Nous avons essayé, aujourd'hui, de vous démontrer que l'AGEFOS-PME, par son action quotidienne et les projets qu'elle porte, contribue au développement de l'investissement de formation des entreprises pour assurer leur pérennité et celle de leurs emplois dans un contexte économique difficile. Nos seize propositions vont dans ce sens.

En conclusion, nous pensons qu'une politique contractuelle rénovée dans les régions et des contrats d'objectifs territoriaux, dans le respect de chacun (État, région, partenaires sociaux), est indispensable pour servir l'intérêt général, en particulier celui de nos entreprises et de nos salariés.

M. Jean-Claude Carle, président - Merci, monsieur le président, pour ces propositions qui, d'ailleurs, ne manquent pas d'intérêt. Avant de laisser la parole à notre rapporteur, je souhaiterais vous poser deux questions. D'une part, le contrat de transition professionnelle représenterait un contrat supplémentaire situé entre le contrat d'apprentissage et le contrat de professionnalisation. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet car le système est déjà dénoncé pour sa complexité ? D'autre part, les entreprises de moins de dix salariés sont soumises à l'obligation légale. Quel retour en tirent-elles sachant que ce sont les entreprises qui, aujourd'hui, créent de l'emploi ? Ces structures souscrivent-elles à l'obligation légale et, un peu comme pour la cotisation AGEFIP dans le domaine du handicap, en restent là ? Ou la cotisation vise-t-elle réellement à former leurs salariés ?

M. Philippe Rosay - Le contrat de transition professionnelle a encore été rappelé, ce matin, dans les lignes de projet de M. le ministre Borloo. Cela vaut donc le coup qu'on s'y arrête. En ce qui concerne les actions engagées au niveau des TPE, nous avons pris un certain nombre de dispositions récentes en conseil d'administration pour soutenir, ne serait-ce qu'à travers le salaire, les PME et les TPE. En effet, pendant qu'un salarié est en formation, il n'est pas au travail, ce qui peut poser des difficultés pour ces petites structures.

M. Jean-Claude Carle, président - Dans le monde agricole, quand un salarié ou un chef d'entreprise souhaite prendre quelques jours de formation ou de congés, il fait appel à un service de remplacement. Peut-on envisager un système de cette nature ?

M. Philippe Rosay - Nous allons vous apporter une série de réponses sur ce sujet.

M. Gérard Lenoir - Je voudrais, préalablement, faire une courte intervention sur ces questions, et notamment par rapport à ce qui s'est dit hier. Le contrat de transition professionnelle est ciblé sur des publics particuliers. Par ailleurs, les entreprises de moins de dix salariés ne sont pas homogènes. Vous allez trouver des entreprises dont les besoins de financement sont énormes, par exemple dans les nouvelles technologies, et d'autres dont les besoins sont nettement moins importants. En conséquence, si nous demandons une simplification, nous ne pensons pas que le simplisme puisse résoudre les problèmes. Les réponses à apporter sont souvent des réponses d'expertise. Nous ne souhaitons pas que la simplicité que nous demandons conduise à ne pas tenir compte de la technicité des sujets à traiter. Ce point est très important pour les deux thèmes que vous abordez.

M. Joël Ruiz - Ceci nous renvoie à notre ardente obligation d'être une grille de lecture et de rendre le dispositif intelligible. Pour le contrat de transition professionnelle, on peut effectivement s'étonner de voir apparaître un nouveau contrat. Mais, au-delà de ce contrat, se trouve un statut. Je pense que nous disposons de beaucoup de dispositifs et modes de financement, mais nous pêchons sur la question du statut des bénéficiaires dès lors que ceux-ci ne sont pas en contrat à durée indéterminée. Dans ce cas, en particulier, il s'agissait de toucher les personnes licenciées pour motifs économiques afin qu'elles puissent, pendant une période donnée, alterner des petits boulots, des contrats à durée déterminée, du travail temporaire, des périodes de formation et des périodes de chômage. La proposition Borloo vise donc à donner un statut à ces bénéficiaires. On a appelé celui-ci contrat de transition professionnelle. Il est clair que, si les statuts étaient unifiés et si nous avions un statut d'actif, nous n'aurions pas à créer ce dispositif spécifique. Celui-ci vise bien des demandeurs d'emploi alors que le contrat de professionnalisation ne concerne que des personnes titulaires d'un contrat de travail. Nous avons accepté de nous mobiliser sur le dispositif en prenant le pari que les publics concernés iraient vers l'emploi. Nous avons donc tiré les frontières des dispositifs existant pour englober ce type de situations, mais il fallait donner un statut à ces bénéficiaires. La difficulté se trouve bien à ce niveau : la multiplicité de statuts implique une multiplicité de contrats.

Par ailleurs, nous avons récemment engagé un plan pour les TPE sachant que nous avons enregistré une augmentation, sans précédent, des obligations légales portant sur ce type d'entreprises au cours des dernières années. La croissance atteint 45 %, même s'il faut reconnaître que celles-ci partaient de très bas. Aujourd'hui, une PME verse en moyenne, à l'AGEFOS-PME, 11 600 euros par an pour la formation de tous ses collaborateurs. Une TPE verse, en moyenne, 260 euros et cette somme a doublé. Pour autant, nous enregistrons un taux annuel de départ en formation de 12 % pour les TPE, contre 22 % pour les PME de dix à cinquante salariés. Par ailleurs, 71 % des contrats de professionnalisation souscrits à l'AGEFOS-PME concernent des entreprises de moins de vingt salariés. Ceci signifie que le régime de l'alternance bénéficie aux plus petites entreprises et que le plan de formation, du fait de l'assiette de l'effort contributif, bénéficie plutôt aux PME de plus grande taille. Je vous rappelle, à ce titre, qu'il existe une interdiction comptable de fongibilité entre les ressources des sociétés de plus de dix salariés et celles des sociétés de moins de dix salariés. Nous ne pouvons pas réaliser des transferts de ressources car la loi nous l'interdit.

M. Jean-Claude Carle, président - Que feriez-vous si la loi vous le permettait ?

M. Gérard Lenoir - Nous le ferions. Nous procédons déjà de la sorte pour l'alternance. Dans le domaine de la professionnalisation, de grandes entreprises, comme La Poste ou EDF, ont pendant très longtemps apporté des contributions qui ont permis de multiplier le nombre de contrats de qualification, à l'époque correspondante, ou de contrats de professionnalisation, à l'heure actuelle. Cependant, nous rencontrons, en permanence, un problème. Pour l'alternance, comme pour la formation, la demande augmente très fortement et partout. Les transferts entre les grands et les petits pourraient donc devenir difficiles à réaliser en cas de forte activité économique.

M. Joël Ruiz - Je rappelle que les entreprises, dès lors qu'elles sont plus grandes, ont la possibilité de ne pas verser l'intégralité des fonds à un OPCA donné. Elles peuvent gérer ceux-ci librement ou en confier une partie à un OPCA de leur choix. Dans notre système de réglementation actuel, plus l'entreprise est petite et moins elle a de choix en la matière. En d'autres termes, la PME conserve une part de liberté de choix, alors que la TPE n'en a aucune. Elle est obligatoirement attachée à l'OPCA qui lui a été désigné par la branche professionnelle correspondante.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Dans le cas où l'entreprise gère, de manière indépendante, sa formation, elle engage des dépenses auprès d'intervenants extérieurs. Ne peut-elle pas ajouter, sur son crédit, de la formation interne ? Si ceci est possible, comment cette formation est-elle évaluée ?

M. Joël Ruiz - C'est possible et, dans ce cas, il revient à l'expert-comptable de remplir les obligations déclaratives prévues par la loi.

M. Gérard Lenoir - La formation interne, qui, auparavant, n'était pas imputable, l'est désormais. Il faut quand même signaler que les textes sont plus précis. L'entreprise, pour pouvoir organiser une formation interne, doit souscrire à un certain nombre de conditions.

M. Joël Ruiz - S'agissant de formation continue, il faut qu'elle ait un salarié considéré comme capable de transmettre des connaissances et qu'elle ait formalisé un plan de formation. Le système est donc très ouvert et laisse une liberté d'appréciation au chef d'entreprise.

M. Jean-Claude Carle, président - Aujourd'hui, ce sont les petites et les moyennes entreprises qui créent les emplois. Or, ce sont également celles qui rencontrent le plus de difficulté à recruter et à former. Comment peut-on améliorer leur situation et tenter de rendre plus lisible ce parcours du combattant ? De nouveau, des sociétés, comme Veolia, ne vont pas poser de problème. Elles possèdent toutes les structures pour pouvoir décoder ce parcours. Les grands groupes sont souvent les gourous de la formation, alors qu'ils ne créent aucun emploi. Aujourd'hui, nous nous intéressons donc aux petites et moyennes entreprises. Ce sont elles qui créent des emplois, ont besoin de personnel qualifié et doivent pouvoir faire évoluer ce personnel. Êtes-vous capables de leur apporter une forme d'ingénierie ?

M. Joël Ruiz - Pour être très direct et clair, l'entreprise doit déjà être autorisée à adhérer à l'AGEFOS-PME, c'est-à-dire ne pas être rattachée à un OPCA de branche.

M. Philippe Rosay - Nous pouvons, par exemple, citer les secteurs du bâtiment, des transports ou de la métallurgie qui représentent les tuyaux d'orgue ayant construit les grandes organisations de la formation en France. Dans mon cas, je suis obligé de passer par l'OPCA du bâtiment.

Mme Isabelle Debré - Combien de tuyaux d'orgue existe-t-il ?

M. Joël Ruiz - 240 conventions collectives ont actuellement prévu un accord de formation qui désigne les différents OPCA.

M. Philippe Rosay - Sur ces 240 tuyaux d'orgue, trente-huit adhèrent à l'AGEFOS-PME.

M. Joël Ruiz - Vous imaginez comment une TPE va s'arracher les cheveux pour essayer de comprendre de quelle structure elle doit se rapprocher. En tout cas, pour nous, toute demande de formation émanant d'une entreprise doit trouver sa réponse, dès lors que celle-ci est autorisée à adhérer à l'AGEFOS-PME. C'est notre engagement de qualité. Nous avons même considéré que cette disposition était insuffisante car nous estimons que le taux de 12 % de départs doit s'améliorer. Nous avons donc pris une deuxième décision qui concerne le remboursement des salaires, sur la base du SMIC afin de ne pas avoir à gérer de justificatifs. Enfin, nous avons conclu des séries d'accords avec des groupements d'employeurs pour essayer de partager les moyens et avons signé des accords cadres avec les chambres de commerce et les différents opérateurs de formation pour monter des opérations collectives visant à toucher ces TPE.

M. Jean-Claude Carle, président - Dans ces conditions, mettons-nous à la place d'un chef d'entreprise dont le rôle n'est pas de comprendre le dispositif, mais de produire et vendre. Prenons l'exemple d'un boulanger.

M. Joël Ruiz - Il n'a pas droit d'adhérer à l'AGEFOS-PME.

M. Jean-Claude Carle, président - C'est déjà la première question. Il adhère donc à l'OPCA qui correspond à son activité et veut former son salarié. Si cette formation a lieu en dehors du temps de travail, ceci ne soulève pas de problème. En revanche, si le collaborateur est formé pendant son temps de travail, il ne peut pas produire de petits pains ou de gâteaux. Vous essayez donc, par le biais d'un groupement d'employeurs, d'assurer le remplacement. Tous les organismes ont-il recours à ce procédé qui paraît excellent ?

M. Joël Ruiz - Cette solution ne peut être mise en place que si vous êtes présents localement.

M. Jean-Claude Carle, président - Par ailleurs, la loi ne vous oblige pas à procéder de la sorte.

M. Joël Ruiz - Ces pratiques sont même exceptionnelles.

M. Jean-Claude Carle, président - Dans ce cas, sur quel budget prenez-vous l'argent ?

M. Joël Ruiz - Nous le prenons sur nos propres fonds de formation.

Mme Valérie Létard - La loi autorise-t-elle les groupements d'employeurs ?

M. Joël Ruiz - La loi ne les interdit pas. Le plus difficile n'est pas tant d'accompagner la formation de grands groupes organisés, mais d'aller voir les plus petites entreprises et d'intervenir là où le montage d'opérations est le plus compliqué du fait des contraintes de production et d'effectif. Si on ne déploie pas plus d'efforts, de moyens et d'intelligence pour tenter d'accompagner ces structures, il ne faut pas s'étonner que tout paraisse bien compliqué. De nouveau, pour nous, aucun refus ne doit intervenir. Outre ce premier niveau de réponse, nous devons aller au-devant des entreprises et essayer d'impliquer plus amplement celles qui sont passives. Cette démarche dépasse le simple cadre de la formation professionnelle puisqu'il faut pouvoir accompagner le départ et le retour du salarié en termes de compétences. Elle est donc nettement plus complexe et lourde en ingénierie. D'ailleurs, l'État nous accompagne sur les projets de cette nature.

Mme Valérie Létard - Quand vous indiquez, dans un de vos encadrés, que vous souhaitez obtenir des financements de l'ingénierie pour accompagner, par exemple, le DIF, ceci laisse-t-il entendre que le cadre ne le permet pas ou que vos moyens ne le permettent pas ?

M. Joël Ruiz - Le régime juridique, qui encadre les OPCA, est issu du milieu des années 1990 et part du principe que nous devons être une caisse aspirante et refoulante de financement. Nous devons également intervenir en respectant les priorités fixées par les accords collectifs de branche. L'AGEFOS-PME a été créée, en 1972, en tant que fond d'assurance formation. Dès nos débuts, nous avons eu pour doctrine de développer la formation, et non pas seulement d'encaisser ou de décaisser des fonds. Nous estimons que cette histoire et cette vision de notre métier doivent perdurer. C'est pourquoi nous avons fait évoluer notre propre représentation du métier. Nous continuons, aujourd'hui, à le faire en indiquant que le développement de la formation et l'investissement de formation ne sont pas suffisants sans ingénierie et en utilisant nos ressources de gestion. Ceci explique, d'ailleurs, une part importante des taux de frais de gestion de l'AGEFOS-PME. En effet, il n'existe pas d'autres moyens d'assurer cette activité. Nous pouvons, certes, sélectionner des cabinets de consultant, par appel d'offres, et les faire intervenir. Mais, ces démarches sont compliquées en TPE car le consultant s'adresse souvent à un marché de grosses entreprises et, sans la confiance du patron, il ne rentrera pas dans l'entreprise. Or, nos conseillers parviennent à rentrer dans ces structures et nous pouvons, de plus, procéder à des regroupements. Ceci soulève toutefois un problème de moyens car, quand la contribution moyenne atteint 260 euros, le simple déplacement d'un conseiller sur un début de mission d'ingénierie avale la contribution annuelle. Sans système de mutualisation et de regroupement des moyens, il est donc impossible de fonctionner.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Nous avons bien compris l'existence de tuyaux d'orgue et la complexité du dispositif des organismes collecteurs et financeurs. L'idée peut venir spontanément de rechercher des rapprochements entre l'AGEFOS-PME, l'OPCAREG ou le FONGECIF pour dégager des gains de productivité ou trouver une meilleure organisation. C'est, d'ailleurs, la conclusion d'un rapport établi, en 2006, par la DGEFP. Quelles sont les raisons objectives qui militent, selon vous, contre ce regroupement ? Par ailleurs, vous avez développé des services nouveaux et des mécanismes séduisants. Ceux-ci peuvent-ils être payants ? Pourriez-vous fournir ces prestations en dehors de votre financement habituel ? Le droit de la concurrence vous opposerait-il des limites dans ce domaine ? Sans même invoquer le droit de la concurrence, vous avez indiqué être un ancien Président de chambre de commerce. L'activité d'assistance aux entreprises pourrait-elle poser des problèmes dans les relations amicales avec les réseaux des chambres de commerce ? Cette question est parfaitement subsidiaire et ne témoigne que d'une curiosité de ma part. Enfin, il apparaît, au fil de nos auditions, que les cloisonnements financiers entre les outils et les publics de la formation continue sont souvent remis en cause, dans la réalité quotidienne, du fait de conditions peu connues et lisibles. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur ce processus ? Qu'implique-t-il au niveau de l'évolution du système ? En d'autres termes, où se trouvent les limites de la souplesse ?

M. Philippe Rosay - Concernant les fusions entre l'OPCAREG et l'AGEFOS-PME, je me dois de faire une première remarque. Vous avez reçu mon président, Jean-François Roubaud. En tant que représentant de la CGPME, je ne suis élu que par sa qualité et vous répondrai donc la même chose que lui. Au-delà de ce point, nos organisations professionnelles ont fait un choix très affirmé allant dans le sens de la coexistence des deux réseaux. En aparté, on peut s'interroger sur les résultats que cette fusion apporterait. Renforcerait-elle le service ? Engendrerait-t-elle des économies ? Rendrait-elle le système plus lisible ? En matière de réforme du service, vous avez compris que la liberté représentait une de nos valeurs fondamentales. A partir du moment où vous ne disposez plus que d'un seul service à la disposition des entreprises, vous n'avez plus de service et plus d'émulation. Je crois donc sincèrement que, si nous bloquons le système, les entreprises n'auront plus le choix et, en termes de management, nous aurons plus de mal à motiver nos troupes. Sur la question des économies, je vous rappelle qu'en général, les fusions entre organisations posent quelques problèmes, notamment d'ordre culturel. Ces opérations ne rencontrent donc pas toujours un franc succès. De plus, nous avons deux cultures différentes : la représentation des grands groupes et la représentation des PME. Je pense que nous ne nous situons pas dans le même monde. Enfin, le système serait-il plus lisible ? En région, les deux structures sont connues et plutôt visibles et l'IPMC assure une certaine coordination entre elles. Je suis donc favorable à la liberté.

M. Gérard Lenoir - Pour ma part, je me situe du côté des organisations syndicales et suis mandaté par la CFDT. Vous avez auditionné Annie Thomas et je pense que ses propos ont été clairs. Les partenaires sociaux, au cours de la négociation de 2004, ont souhaité qu'il n'y ait qu'un seul organisme. Les patronats ne l'ont pas souhaité. En ce qui concerne le FONGECIF, il faut rappeler que, parmi les différents éléments créés, on trouve les points relatifs au plan de formation dans l'entreprise (années 1970) et ceux relatifs à l'alternance (années 1984-1985). Le congé individuel de formation a, quant à lui, était mis en place vers 1976. Si le plan de formation dépend de l'employeur, le salarié choisit en matière de CIF. Le FONGECIF a donc pour mission de répondre aux demandes individuelles des salariés et celles-ci, le plus souvent, concernent des formations longues. Nous nous situons donc sur un autre service puisque le FONGECIF fournit une orientation et un financement au salarié, et non à l'entreprise.

M. Bernard Seillier, rapporteur - En améliorant les qualités du paritarisme dans les réseaux et tout en renonçant à la fusion entre l'AGEFOS-PME et l'OPCAREG, ne peut-on envisager que le FONGECIF se rapproche de ces structures ?

M. Gérard Lenoir - En Guyane et en Corse, l'AGEFOS-PME, seule structure présente sur la zone, abrite les FONGECIF. En revanche, sauf erreur de ma part, l'OPCAREG accueille le FONGECIF en Martinique.

M. Joël Ruiz - Je souhaite apporter une précision essentielle. Quand vous offrez un service à l'entreprise et vous inscrivez, en conséquence, dans une activité de BtoB, vous ne développez pas les mêmes types de compétences, de conseillers ou de moyens d'action que pour le service aux particuliers ou activité de BtoC. Dans les situations où nous devons gérer ces deux activités, nous les isolons et leur attribuons des ressources humaines différentes. Ce ne sont pas les mêmes métiers. Le rapprochement entre l'OPCAREG et l'AGEFOS-PME, qui font le même métier, même si la sensibilité et le mode d'actions portés diffèrent, peut faire discussion. Mais, le métier du FONGECIF consiste à recevoir des particuliers et à répondre à leurs demandes. L'AGEFOS-PME, à aucun moment, ne reçoit les entreprises. Lorsque la structure souhaite accompagner un employeur, elle lui rend visite sur son lieu de production, diagnostique les projets avec lui et cherche des réponses en termes de financement. Nous sommes donc spécialisés pour accompagner les entreprises et leur projet collectif.

M. Gérard Lenoir - Sur l'ingénierie, vous évoquez une vraie difficulté. En effet, les petites entreprises n'ont pas les moyens financiers de se payer une ingénierie de formation, par exemple au travers une démarche de GPEC. Nous réalisons donc des prédiagnostics et, s'il est nécessaire d'approfondir le dossier, nous allons chercher des consultants extérieurs. Notre objectif vise à inciter les AGEFOS, dans les régions, à passer des partenariats avec les conseils régionaux pour accompagner l'effort financier des PME. Il me semble que des projets sont en cours, en Rhône-Alpes ou en Auvergne, sur ces problématiques d'accompagnement. Mais, nous rencontrons bien des difficultés dans ce domaine, d'autant plus que les cabinets de consultants regardent de près ces affaires et ne veulent pas que nous leur prenions des parts de marché.

M. Jean-Claude Carle, président - Le CIF est-il très utilisé ?

M. Gérard Lenoir - Un chiffre a été annoncé hier et il n'est pas bon. Environ 40 000 salariés partent annuellement dans le cadre de ce dispositif, ce qui représenterait une durée de 120 ans si nous voulions en faire bénéficier toute la population salariée concernée. En revanche, il faut insister sur le fait que le CIF représente un moyen fondamental, pour un salarié qui souhaite changer de métier, d'avoir une deuxième chance de réussite. Il n'existe pas d'autres solutions.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous sommes obligés de clore ce débat, mais n'hésitez pas à nous adresser un complément d'information. Nous avons bien compris l'importance de la notion de territorialité et de proximité. Nous vous remercions.

Audition de MM. Jean-Pierre DOUILLET, président, Luc TASSERA, vice-président, David MAZURELLE, directeur général, du FONGECIF - Ile-de-France (30 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Je vais vous céder immédiatement la parole pour essayer de rattraper le temps que nous avons perdu. Nous allons tâcher d'aborder un certain nombre de problèmes dans les trois quarts d'heures qui nous sont dévolus, sachant que vous aurez toujours la possibilité, au cours des prochains quinze jours, de nous faire part de remarques ou précisions complémentaires. Celles-ci seront, bien sûr, étudiées et portées au rapport.

M. Jean-Pierre Douillet - Nous vous remercions de nous donner l'occasion de parler du congé individuel de formation et, plus exactement, du FONGECIF Ile-de-France. En effet, nous avons remarqué, dans les divers rapports que nous avons pu lire et dans les échanges qui ont eu lieu, depuis un certain temps, sur la formation professionnelle, que l'on parlait très peu du congé individuel de formation. Les OPCA, le plan, la professionnalisation sont des sujets nettement plus traités. Nous souhaitons donc vous apporter un témoignage sur ce qu'un FONGECIF peut faire dans une région donnée. Que peut-il apporter en plus ? Comment utilise-t-il les moyens qui lui sont accordés ?

Le congé individuel de formation, qui est, d'ailleurs, mal nommé puisqu'il ne concerne pas que la formation et n'est pas qu'un congé, est financé par 0,2 % de la masse salariale. Ces sommes représentent 700 millions d'euros, au niveau national, et 200 millions d'euros, au niveau de l'Île-de-France. Le CIF est la troisième possibilité de formation, d'après l'accord national interprofessionnel et la loi sur la formation professionnelle. A côté des dispositifs à l'initiative de l'employeur et des dispositifs à l'initiative conjointe du salarié et de l'employeur, il est à la disposition et à l'initiative du salarié, ce qui est important en matière de responsabilisation de ce dernier.

Nous n'allons faire ni une description détaillée du dispositif, ni une évaluation de celui-ci sur un plan général. Nous ne cherchons, encore une fois, qu'à porter un témoignage, celui du FONGECIF Ile-de-France, sachant que la région représente 30 % de l'activité économique et de la masse salariale française. Pour résumer, nous avons un coeur de métier : nous devons aider le salarié à anticiper afin de sécuriser son parcours professionnel. Pour cela, nous disposons de deux leviers : l'accompagnement du salarié et le financement d'un certain nombre de moyens permettant de sécuriser le parcours.

Nous sommes parfaitement prêts à répondre à vos questions, mais nous vous proposons une présentation regroupée en trois thématiques.

Le FONGECIF Île-de-France, lieu de référence des salariés pour leur évolution professionnelle.

M. Luc Tassera - Pour nous, le FONGECIF est un lieu régional, quasiment unique pour les salariés en dehors de l'entreprise. Nous partons d'un dossier pour aboutir à un projet élaboré par le salarié pour la poursuite de son parcours professionnel.

M. Jean-Pierre Douillet - Effectivement, le FONGECIF avait l'image d'une structure traitant des dossiers de demande de formation. Progressivement, nous avons évolué vers le projet professionnel, c'est-à-dire que nous avons rencontré le salarié de façon à monter, avec lui, un projet professionnel. Désormais, nous en sommes à une troisième étape de notre développement, celle qui consiste à aider le salarié à construire son parcours professionnel. Nous ne sommes évidemment pas le seul moyen pour le faire, mais nous avons la particularité d'être situé en dehors de l'entreprise.

M. David Mazurelle - Les FONGECIF ne bénéficient pas d'une notoriété spontanée. Nous avons, néanmoins, constaté une très forte croissance de la demande des salariés qui se rendent, d'eux mêmes, à notre espace Projet. Cet espace est un lieu gratuit, librement accessible du lundi au vendredi. Il a reçu, l'an dernier, 69 500 visites pour l'Ile-de-France, soit entre 400 et 500 personnes par jour. Ces personnes viennent nous exposer leurs questionnements professionnels, de façon relativement simple et spontanée, en toute indépendance et confidentialité. L'espace se trouve à côté de la Place de la République. Nous étions, auparavant, situés au sommet de la Tour Montparnasse et nous recevions 25 000 personnes. On nous soupçonnait, à l'époque, de mobiliser ce public par la vue. C'était faux puisque, au rez-de-chaussée du boulevard Saint-Martin, nous sommes parvenus à tripler le volume de visites. L'esprit de la loi correspond donc à la sensibilité du corps social. Quand nous nous rendons sur les salons de la formation professionnelle, nous constatons bien que de nombreux salariés se posent des questions de fond.

Notre ambition est, en fait, d'être les DRH des salariés qui n'en n'ont pas. Quand vous travaillez dans une grande entreprise, on se préoccupe de votre avenir professionnel et de votre mobilité. On évalue vos compétences et on vous sollicite pour que vous vous formiez. Mais, les millions de collaborateurs des très petites et moyennes entreprises, malgré la sensibilité managériale des chefs d'entreprise que je ne conteste pas, n'ont pas d'interlocuteur compétent. Ils font surtout face à un interlocuteur partisan qui risque de perdre une personne clé pour son entreprise.

Alors, que proposons-nous à nos 70 000 visiteurs ? Ceux-ci ont la possibilité d'assister à une réunion d'information collective sur tous les dispositifs de formation. Avec un document Powerpoint, nous démontons ce qui vous a souvent été présenté comme une tuyauterie et nous les interrogeons. Ont-ils pensé au plan de formation ? Ont-ils pensé à la professionnalisation ? Nous ne vendons absolument pas le dispositif. En effet, un demandeur sur deux ne peut pas être financé et, surtout, nous pensons que le CIF ne peut survenir, dans le meilleur des cas, qu'une seule fois dans la vie d'un salarié. C'est pourquoi, nous invitons les personnes à réfléchir à leur projet et à leur parcours professionnel. Il faut noter que le coût moyen d'un CIF, en Ile-de-France, représente 25 000 euros dont 70 % d'indemnisation de l'entreprise (compensation du salaire) et 30 % de coûts pédagogiques. Pour les très petites entreprises, nous avons même mis en place un système d'avance de fonds. Je prends toujours l'exemple d'une vieille dame employant une femme de ménage qui a besoin de faire un CIF car elle sait qu'elle ne pourra pas rester dans cet emploi éternellement. Cette vieille dame est, évidemment, incapable d'assumer l'avance de salaire. Ces problématiques de gestion doivent donc être traitées.

Par ailleurs, les demandeurs peuvent avoir accès à un conseiller en parcours professionnel et, lorsqu'ils n'ont pas de projets précis, nous les invitons à réaliser un bilan de compétences. Enfin, nous recevons 200 000 appels par an sur notre plateforme téléphonique. Nous envoyons de la documentation, à la demande et gratuitement, de façon à ce que les salariés puissent engager une réflexion rationnelle sur leur parcours. Nous sommes donc réellement une structure en libre service avec une fréquentation spontanée. Nous verrons, d'ailleurs, comment nous essayons de modifier les flux pour essayer de toucher les salariés prioritaires.

M.Jean-Claude Carle, président - Comment est financé le FONGECIF ?

M. Jean-Pierre Douillet - Il est financé par 0,2 % de la masse salariale des entreprises du champ, sachant que celles-ci emploient 3,5 millions de salariés en Ile-de-France.

M. David Mazurelle - Techniquement, nous envoyons 100 000 bordereaux au mois de janvier et, le 2 mars, nous récupérons 70 000 plis que nous traitons. 48 000 entreprises d'Ile-de-France nous versent des sommes variant de 150 euros à plusieurs millions d'euros.

M. Jean-Pierre Douillet - La loi nous donne l'obligation de procéder à cette collecte.

M.Jean-Claude Carle, président - Que se passe-t-il pour les entreprises qui ne versent rien ?

M. Jean-Pierre Douillet - Il s'agit là d'une excellente question que nous nous posons souvent. En effet, ce versement constitue bien une obligation, mais nous n'avons aucun pouvoir de police. Seuls les inspecteurs du travail et des impôts peuvent vérifier, dans les comptes de l'entreprise, que le montant correspondant au congé individuel de formation a bien été versé.

M. David Mazurelle - Nous n'avons pas l'exclusivité du dispositif. Il existe également plusieurs OPACIF. Pour notre part, nous couvrons 85 % à 90 % de la population salariée du secteur privé.

M. Jean-Pierre Douillet - La loi a, effectivement, prévu des exceptions pour un certain nombre de branches.

M.Jean-Claude Carle, président - Pourquoi ?

M. Jean-Pierre Douillet - Monsieur le président, nous ne sommes pas maîtres sur ce type de sujets.

M. David Mazurelle - 11 % à 12 % de la population salariée dispose d'un OPACIF propre.

Mme Valérie Létard - Quels sont les autres OPACIF ?

M. David Mazurelle - Il en existe une vingtaine. Je peux citer les AGECIF dédiées au secteur agricole, à EDF-GDF, à la SNCF, à la RATP, aux entreprises de l'économie sociale ou aux sociétés de personnes.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Depuis quand les FONGECIF existent-ils ?

M. Jean-Pierre Douillet - Ils existent depuis 1983.

M. David Mazurelle - Il faut noter, à ce propos, qu'il a fallu un certain temps pour installer le dispositif dans le paysage. Aujourd'hui, il est connu des entreprises. Mais, il faut beaucoup d'humilité lorsqu'on créé un système. Avant qu'il soit reconnu, il faut lutter contre une inertie considérable des individus et des entreprises. A chaque changement, on sait donc qu'il y aura une sorte de trou noir, le temps que les personnes arrivent à se repérer à nouveau.

Mme Valérie Létard - Expliquez moi comment un salarié ou l'entrepreneur d'une petite entreprise peut s'y retrouver entre l'accès au droit individuel à la formation et le congé individuel à la formation ? Comment les orientez-vous vers l'un ou l'autre ? Comment l'ensemble s'organise-t-il ?

M. Jean-Pierre Douillet - Ces deux champs sont complètement différents. Le DIF est un crédit de 20 heures de formation, mis à disposition du salarié, mais avec l'accord de l'entreprise. Ce crédit est annuel et cumulable, pendant six ans, jusqu'à 120 heures. Il s'agit de formation de courte durée. En revanche, au niveau du congé individuel de formation, nous proposons des formations longues, si possible diplômantes et certainement qualifiantes. Le dispositif permet donc d'accéder à un nouveau métier ou de développer son propre métier.

Mme Valérie Létard - Justement, comment l'information circule-t-elle ? Comment les salariés sont-ils informés de ces dispositifs ? Comment peut-on mettre en place une passerelle entre ces différents types de formation au sein d'une petite entreprise ?

M. David Mazurelle - Il existe deux vecteurs. Le premier est le salarié qui se pose des questions et vient nous voir, indépendamment du champ auquel il appartient. Nous ne rentrons pas dans ce genre de considérations, comme vous vous en doutez. Le salarié n'ayant pas à être victime de la complexité du dispositif, nous le recevons, lui apportons des réponses et l'orientons vers les structures qui comptent pour lui. D'autre part, en ce qui concerne les moyens pour répondre à un besoin professionnel, nous ramenons toujours le salarié sur la finalité de sa démarche. Que veut-il faire ? Quelle est sa formation initiale, ses centres d'intérêt, ses capacités ? A partir de là, il revient aux professionnels de l'ingénierie de formation de trouver la bonne solution. Je crains qu'un discours sur la simplicité future d'un système cache l'énorme complexité des parcours recommencés après trente-cinq ans. Je rappelle que nous nous adressons à des salariés en poste, et non à des demandeurs d'emploi. Il s'agit donc de personnes qui s'emparent de leur avenir et décident, par exemple, de passer d'une carrière d'ingénieur marketing à un métier d'artisan ou de cuisinier.

Mme Valérie Létard - La plupart des gens que vous recevez souhaitent donc changer complètement de métier.

M. David Mazurelle - Nous recevons également de nombreuses demandes de perfectionnement, mais je pense que nous devons vous donner quelques éléments sur ce sujet.

Le FONGECIF-Ile-de-France, outil d'évolution face aux mutations économiques.

M. Jean-Pierre Douillet - C'était justement un des thèmes de notre deuxième partie. Souvent, lorsque nous recevons un salarié, celui-ci ne sait pas très bien ce qu'il veut et connaît mal le système. Ceci est, comme vous le dites, d'autant plus valable que le salarié est issu d'une petite entreprise. Nous commençons donc par comprendre sa situation et l'orienter. En particulier, nous déterminons s'il doit demander un CIF ou un DIF. Autrement dit, nous avons, de plus en plus, une activité d'orienteur dans le cadre de la formation professionnelle continue et nous nous positionnons en généraliste. Nous n'avons pas forcément la réponse à la question de la personne, mais nous sommes en mesure de l'orienter vers les bons dispositifs. Si le salarié est concerné par un CIF, nous essayons d'aller plus loin avec lui et de monter un projet professionnel. Celui-ci va se concrétiser par le financement de trois dispositifs possibles :

- le bilan de compétences : il peut être le point de départ d'une conversion ou d'un changement. Nous en financerons 6 000 cette année ;

- la validation des acquis de l'expérience : ce n'est pas la peine de faire une formation pour obtenir un BTS d'artisan du bâtiment, par exemple, si on est resté dans cette fonction suffisamment longtemps pour pouvoir le faire reconnaître par les autorités délivrant le diplôme. Ce dispositif ne se développe pas aussi rapidement que nous le souhaiterions. Nous en avons réalisé 500 l'année dernière et pensons en faire un peu plus cette année ;

- la formation longue : la moyenne de durée de formation atteint 904 heures dans notre dispositif.

M. Jean-Claude Carle, président - L'entreprise a-t-elle l'obligation de réintégrer un salarié qui réalise un CIF et ne donne pas suite à son projet ?

M. David Mazurelle - Le projet ne doit pas forcément entraîner une rupture avec l'entreprise. Selon la taille de l'entreprise, nous n'allons, d'ailleurs, pas apprécier le projet de la même façon. Par exemple, nous pouvons envisager le cas d'une secrétaire comptable d'une société de quinze salariés dont la responsable comptable va partir à la retraite. Elle va pouvoir suivre un CIF pour prétendre occuper le poste de son ancienne responsable. Nous nous situons, dans ce cas de figure, au niveau de la promotion professionnelle et de la mutualisation. Nous pouvons également évoquer un ingénieur méthode, chez PSA, qui souhaite passer un master et qui pourra postuler en interne, car la taille du groupe le permet, et faire valoir, avec son diplôme, des compétences complémentaires. Nous rencontrons toutes sortes de cas de figure. Je peux toutefois vous fournir quelques chiffres. 74 % des ouvriers non qualifiés, ayant changé de qualification, sont employés ou agents de maîtrise. 42 % des bénéficiaires de CIF ont changé de catégorie socioprofessionnelle. 84 % des bénéficiaires de CIF estiment avoir atteint leurs objectifs.

M. Jean-Claude Carle, président - Ont-ils changé d'entreprise ?

M. David Mazurelle - 50 % d'entre eux ont changé d'entreprise.

M. Jean-Claude Carle, président - Pourquoi, de ce fait, ne pas avoir utilisé un DIF ?

M. Jean-Pierre Douillet - Le DIF n'a pas du tout le même objectif. Il s'agit d'une formation d'adaptation ou d'un complément de formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Le CIF est à l'initiative du salarié qui veut évoluer et, éventuellement, changer d'orientation. Par exemple, vous avez évoqué le cas d'un ingénieur souhaitant devenir restaurateur. Mais, pour un salarié qui veut évoluer en interne, ce projet doit aussi correspondre à un poste existant dans l'entreprise. Il serait donc plus logique qu'il rentre dans le cadre du DIF.

M. Jean-Pierre Douillet - Lorsque nous examinons les projets de développement dans une fonction donnée, nous sommes très attentifs au dossier, notamment lorsque la fonction correspond à l'activité de l'entreprise. Chaque fois que nous le pouvons, nous renvoyons la responsabilité vers celle-ci. Nous indiquons au salarié que nous ne pouvons pas retenir son dossier car le projet entre dans le plan de formation de son employeur. Mais, il n'est pas toujours facile d'établir une distinction en la matière, surtout pour les petites entreprises.

M. David Mazurelle - Il faut aussi tenir compte de la mutualisation. Un salarié qui part un an en formation demande un effort insoutenable pour la majorité des entreprises de moins de 1 000 salariés. En effet, il faut une contribution correspondant à 1 100 salariés pour financer le coût d'un CIF en Ile-de-France. De plus, ce type de projets représente une prise de risque et de responsabilité pour le salarié. Ce n'est pas son employeur qui lui demande de partir, pendant un an, réaliser un master, de travailler le soir ou de réaliser des exposés, à quarante ans, devant un amphithéâtre. C'est bien lui qui prend ce risque et cherche à le valoriser, même si cette démarche peut rencontrer l'intérêt de l'entreprise. C'est à cet endroit que les commissions paritaires doivent évaluer s'il y a transfert de charge. Nous n'avons naturellement pas à financer la formation des ingénieurs à potentiel de tel grand groupe industriel et essayons de ne pas jouer à cache-cache avec les demandes de cette nature.

Mme Valérie Létard - En même temps, que faites-vous dans le cas d'une formation qui correspond à la valorisation du potentiel d'un salarié et que l'entreprise ne veut pas prendre en charge ?

M. Jean-Pierre Douillet - Nous avons un vrai débat sur ce sujet. Il n'existe pas de réponse absolue. Dans un certain nombre de cas, et notamment pour des petites entreprises, nous sommes conduits à financer ces programmes.

Mme Valérie Létard - Il existe donc un risque que le salarié quitte l'entreprise et parte ailleurs par la suite.

M. David Mazurelle - Tout à fait. Mais, la mobilité professionnelle n'est pas un risque. Elle correspond à la réalité du marché du travail.

M. Jean-Claude Carle, président - C'est même la finalité recherchée. Le risque serait plutôt que le salarié reste à l'intérieur de l'entreprise.

M. David Mazurelle - Effectivement, si le salarié n'a pas valorisé sa formation dans les six à huit mois qui suivent celle-ci, nous considérons qu'il existe un risque de perte de l'investissement collectif qui a été réalisé et, pour le salarié, un risque de sentiment d'échec redoutable. En conséquence, nous invitons même les personnes à prendre le risque de négocier leur départ pour se mettre sur le marché du travail. La mobilité professionnelle représente, avant tout, des salariés qui bougent, et non des chômeurs qui trouvent un emploi. Nous, nous activons la machine de la mobilité professionnelle, c'est-à-dire de la mobilité choisie, par opposition à la mobilité subie.

Mme Valérie Létard - Que se passe-t-il pour les 50 % de salariés restant ?

M. David Mazurelle - 16 % sont en recherche d'emploi six mois après. Ces personnes vont passer par la case de l'indemnisation publique car elles cherchent du travail ou vont créer leur entreprise. En fait, elles revendiquent un poste au retour du congé. Leur employeur n'a pas de poste à leur proposer et, dans ce cas, ils se séparent à l'amiable. En tout cas, il y a bien une prise de risque et il faut remarquer que ce taux de 16 % représente le double du taux de demandeurs d'emploi en Ile-de-France. Sur ce total, 85 % indiquent qu'ils ne regrettent rien. Vous savez, d'ailleurs, que 50 % des salariés en rupture d'emploi font un passage bref dans le système. Le problème de notre pays est lié à ceux qui y restent longtemps. La transition professionnelle est, aujourd'hui, admise. Passer trois mois aux ASSEDIC quand on rebondit professionnellement n'apparaît pas comme un échec infâmant. Cela fait partie de la vie professionnelle, y compris de celle des cadres supérieurs. Cette situation n'est donc pas mal vécue et ne correspond pas à un effet pervers du système. Ces personnes prennent simplement le risque de chercher un emploi et ceci peut faire partie d'un comportement complètement rationnel de mobilité.

Par ailleurs, une autre partie des 50 % de salariés restants a effectué un changement au sein de l'entreprise. Au total, le taux de réussite globale atteint 80 %. 20 % des bénéficiaires ne font rien de la démarche. Ces résultats sont à rapprocher du taux de 84 % de réussite que nous enregistrons à la certification. Je rappelle que cette certification est souvent exigeante et que les personnes visent des niveaux relativement élevés.

M. Jean-Pierre Douillet - Sur ces sujets, je souhaite rajouter que, pour être un outil d'évolution par rapport aux mutations économiques, il faut déjà connaître ces mutations et les métiers dans lesquels il existe des débouchés. Nous menons donc une action qui consiste à bien maîtriser ces domaines et à construire, avec les salariés, des parcours qui les mènent vers des métiers opportuns. Nous sommes donc éloignés de l'image qui courrait, il y a encore quelques années, sur ces dispositifs. En particulier, l'image du stage de macramé était souvent utilisée. Nous sommes réellement loin de cela. Nous conseillons les salariés vers des fonctions et des métiers en tension (le bâtiment, la restauration et l'hôtellerie, les métiers sociaux, etc.) Nous jouons donc un rôle d'entraînement et d'orientation vers ces métiers. Par ailleurs, nous nous préoccupons beaucoup de la qualité de la formation. Même si nous n'achetons pas directement la formation et si c'est au salarié de choisir son organisme de formation, nous pouvons l'orienter vers des structures qui nous semblent plus efficaces que d'autres. Nous réalisons donc un travail considérable pour évaluer la qualité de la formation et je peux vous assurer que nous trouvons de tout dans ce domaine.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Justement, vous avez évoqué des certifications finales. Par qui sont-elles délivrées ?

M. David Mazurelle - Elles ne sont pas délivrées par nous. Nous sommes très sensibles au progrès considérable que représente l'adoption, par la France, du répertoire national de certification professionnelle. Celui-ci ouvre la possibilité, pour tout organisme de formation professionnelle compétent, de se faire certifié, ce qui constitue, aux yeux des entreprises, un signe tangible de qualification. Pour notre part, nous avons les moyens techniques de connaître le coût horaire, la durée et la réussite des formations. Nous pouvons rapprocher ces éléments de nos enquêtes qualitatives dans lesquelles les bénéficiaires indiquent s'ils ont retrouvé du travail. De ce fait, nous pouvons nous retrouver à signaler, à un organisme de formation, qu'il présente un coût horaire inférieur de 20 % aux autres, mais une durée supérieure de 40 % et des indicateurs d'évaluation peu satisfaisants. Ces éléments sont mentionnés dans notre base de données et nous avertissons les salariés qui ont choisi des organismes de formation ayant un taux de réussite aux examens dérisoires. Parfois, nous sommes même plus coercitifs et pouvons refuser une prise en charge du parcours au motif que la structure retenue n'est pas pertinente. Par exemple, elle n'a pas déposé de dossier au RNCP ou elle ne délivre pas la formation qui correspond au métier cible. Nous essayons donc de remettre un peu d'objectivité dans les dossiers et sommes en passe de demander, au salarié, d'avoir expertisé au moins deux offres de formation. En tout état de cause, nous disposons d'exemples précis. Par exemple, pour devenir chauffeur de taxi, vous pouvez dépenser du simple au triple avec des chances de réussite à l'examen inversement proportionnelles.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Lorsque vous évoquez un taux de réussite de 84 %, cela n'est pas nécessairement synonyme de débouchés.

M. David Mazurelle - Tout à fait. Il s'agit d'une condition nécessaire, mais non suffisante.

M. Jean-Pierre Douillet - Deux aspects différents doivent bien être pris en compte. Une formation doit normalement conduire à un métier dans lequel il existe des débouchés. Par ailleurs, il y a le moyen de formation et c'est sur ce sujet que nous pouvons avoir un jugement à porter. Nous allons même plus loin que ce jugement, puisque nous avons passé des conventions avec un certain nombre d'organismes importants. Cette démarche nous permet de nous assurer de l'adéquation entre le besoin individuel du salarié et la formation qui lui est dispensée.

M. David Mazurelle - Je précise que nous ne faisons pas cela tout seuls et nous appuyons sur des outils pertinents. Par exemple, le groupement des ASSEDIC de la région parisienne nous donne les statistiques des besoins en main-d'oeuvre. Le CARIF et l'OREF nous fournissent un certain nombre d'études. Nos documentalistes ne sont pas là pour reconstruire ou rechercher ce qui existe déjà. Elles sont là pour recréer un lien entre une demande, incapable de circuler dans cette masse d'information, et l'offre de formation. En effet, la qualité des informations disponibles sur les métiers est considérable, mais les gens ne savent pas trouver ces informations. Nos documentalistes offrent donc un medium entre cette demande et cette offre.

M. Jean-Claude Carle, président - Tout en respectant une certaine confidentialité, pourriez-vous nous donner des statistiques sur les organismes de formation ? Il y en a donc des bons, des moins bons et des mauvais. Par ailleurs, que pouvons-nous faire pour prévenir et agir en amont dans ce domaine ?

M. Jean-Pierre Douillet - Il est difficile d'établir les statistiques que vous demandez, mais nous devrions pouvoir trouver un moyen de préciser ces éléments.

M. David Mazurelle - Vous devez garder en mémoire que la durée moyenne de nos parcours est supérieure à 900 heures et que nous nous situons souvent sur des formations de 1 200 heures délivrées par des organismes de formation très structurés et pouvant déboucher sur des CAP, des bacs professionnels ou des licences professionnelles. Nous allons donc très rapidement tomber sur l'évaluation comparée des universités franciliennes ou sur la qualité comparée des centres de l'AFPA. Pour cette dernière, d'ailleurs, nous délivrons régulièrement des informations à la direction régionale de l'AFPA. Nous sommes donc capables de travailler avec ces grands acteurs. En Île-de-France, il existe 20 000 organismes de formation, ce chiffre tombant à 11 000 structures en enlevant les auto-écoles. Sur ce total, nous pouvons potentiellement travailler avec 4 000 à 4 500 organismes puisque nous n'enregistrons, dans notre fichier, que les formations supérieures à 100 heures. Nous nous situons donc, déjà, sur un pan particulier de l'offre de formation. En particulier, nous ne gérons pas les formations de 20 heures ou 40 heures délivrées par des organismes de formation que l'entreprise a la responsabilité d'évaluer.

M. Jean-Pierre Douillet - Il faut retenir le fait que le FONGECIF ne se contente pas de financer une demande de formation d'un salarié. D'une part, la structure accompagne ce dernier dans sa démarche. D'autre part, elle est très attentive à la qualité de la prestation qui va être délivrée. Compte tenu des résultats obtenus aux diplômes et des suites données au congé individuel de formation, je crois que nous accomplissons plutôt bien cette mission.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous sommes malheureusement obligés d'écourter cet entretien. En revanche, n'hésitez pas à nous faire part de compléments d'information sur des points que nous n'avons pas abordés.

Le FONGECIF-Ile-de-France, vecteur d'égalité des chances

M. Jean-Pierre Douillet - Je voulais simplement insister, en matière d'égalité des chances, sur la véritable mutualisation des fonds que nous mettons en oeuvre. Nous effectuons une collecte de 200 millions d'euros. Mais, il n'existe aucun fléchage vers l'entreprise qui a versé les fonds. Nous avons nos propres priorités et ces priorités portent, notamment, sur les petites entreprises dans lesquelles les besoins sont les plus importants et les salariés ont le plus de mal à se former. De plus, nous donnons une priorité aux moins qualifiés. En effet, nous recevons beaucoup de demandes de personnes qui sont déjà au niveau Bac+5, mais la priorité est laissée aux niveaux inférieurs à celui-ci.

M. Jean-Claude Carle, président - Avez-vous la possibilité de refuser une demande, par exemple au motif qu'il n'y a pas de débouché dans la filière ?

M. Jean-Pierre Douillet - Nous avons parfaitement la possibilité de refuser. Nous pouvons notamment évoquer une absence de cohérence du projet.

M. David Mazurelle - Nous nous organisons même pour avoir à refuser des dossiers. Ainsi, le conseil d'administration a accepté le principe de ne pas accorder plus de 70 % de crédits à une commission paritaire afin de maintenir une sélectivité des projets. La commission est donc obligée de choisir et dispose de plusieurs outils pour le faire, dont une répartition budgétaire sur l'âge, la taille et le niveau initial. En effet, nous sommes le vecteur de la deuxième chance, ce qui est fondamental au plan de l'égalité des chances. Nous avons également un système d'indexation des dossiers qui permet de les classer selon certains critères comme la CSP. Enfin, nous examinons la qualité intrinsèque du projet. Donc, sur la base de ces trois indicateurs, nous nous organisons pour mettre de côté 30 % des dossiers et rester volontairement sélectifs. Le CIF reste un droit relatif.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous vous remercions de cette intervention.

Audition de MM. Gérard ASCHIERI, secrétaire général, Jean-Marie CANU et René PASINI, secrétaires nationaux de la Fédération syndicale unitaire (FSU) (30 mai 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous vous prions de nous excuser pour le retard que nous avons pris. Je vous présente également mes excuses car je ne vais pas pouvoir rester à votre audition pour des questions de problèmes de transport. Mais, vous pourrez échanger avec notre rapporteur. Vous connaissez l'objet de notre mission. Je vais donc vous laisser la parole sans plus tarder. Nous souhaitons connaître votre sentiment sur la formation professionnelle.

M. Gérard Aschieri - Je vous présente mes deux camarades. Jean-Marie Canu et René Pasini sont impliqués dans les questions de formation professionnelle, le premier à l'université où il s'occupe plus particulièrement de formation professionnelle continue et le second en tant qu'enseignant en lycée professionnel et secrétaire général de notre syndicat de l'enseignement professionnel. La FSU s'exprime, ici, en tant qu'organisation représentative des personnels qui s'occupent de la formation professionnelle, aussi bien initiale que continue, et en tant qu'organisation syndicale de salariés.

Je veux évoquer, avec vous, un certain nombre d'éléments. Premièrement, il existe une tendance à considérer la formation professionnelle, notamment la formation professionnelle continue, comme s'opposant à la formation initiale et à la formation générale. Nous contestons cette démarche pour plusieurs raisons. D'une part, la formation continue profite plus à ceux qui ont une formation initiale solide. Ceci correspond à l'expérience générale : on ne peut pas substituer une formation professionnelle continue à une carence de formation initiale, même s'il ne faut pas tirer un trait sur les expériences d'écoles de la seconde chance qui se multiplient. D'autre part, il nous semble que la formation professionnelle ne peut pas être séparée des autres aspects de la formation. A ce niveau, il ne s'agit pas que d'une formation à l'emploi, mais aussi d'une formation de l'individu et du citoyen. Dans ma jeunesse, on disait : « former l'homme, le citoyen et le travailleur ». Ce triptyque avec, peut-être, d'autres termes est toujours valable pour nous et c'est dans cette perspective que nous nous plaçons. En effet, autant il est important d'entrer dans les problèmes de la formation en ayant en tête l'emploi et le développement économique, autant cette démarche ne peut pas se séparer des autres aspects de la formation. Nous devons être clairs car il peut exister des malentendus sur ce point, y compris dans la demande des jeunes, des familles et des entreprises. J'enseigne une discipline générale en classe de BTS et je me rends compte que ce que j'enseigne a des retombées professionnelles, de la même manière que certains aspects de la formation professionnelle, notamment le stage, rejaillissent positivement sur le comportement scolaire de mes élèves. J'ouvre cette parenthèse pour bien souligner combien ces éléments s'articulent et sont liés.

Nous pensons également que la formation professionnelle initiale doit être prioritairement effectuée en milieu scolaire et sous statut scolaire. Un débat constant existe autour de la classe d'apprentissage. Si je ne souhaite pas diaboliser telles ou telles formes de formation, il me semble bien que la priorité doit être portée à la formation sous statut scolaire. D'une part, la meilleure protection contre le chômage est la possession d'un diplôme acquis par la voie scolaire. D'autre part, s'il existe des possibilités de formation par l'apprentissage à tous les niveaux, aucune filière ne permet de franchir tous ces niveaux par l'apprentissage. Or, en théorie, la formation sous statut scolaire le permet. Enfin, le discours selon lequel l'apprentissage constitue la meilleure garantie pour l'emploi est contredit par les études dont nous disposons. Il vaut sans doute plus pour les formations post-baccalauréat que pour les formations de niveaux inférieurs, mais, surtout, cet état de fait est très variable selon les branches professionnelles. Certaines utilisent l'apprentissage comme une forme de prérecrutement, ce qui a donc des répercussions positives pour l'emploi, mais d'autres ont une politique nettement moins évidente en la matière. Nous plaidons donc très fortement pour une politique consciente et assumée de valorisation des enseignements professionnels et technologiques, avec le maintien d'une distinction entre ces catégories.

Par ailleurs, nous pensons que la formation professionnelle, qu'elle soit initiale ou continue, doit être qualifiante et diplômante. Le diplôme, garantie pour le futur salarié d'une reconnaissance de sa qualification, offre également une garantie à l'employeur. Cette remarque est d'autant plus valable qu'il existe une vraie tradition de construction des diplômes professionnels par un travail entre représentants de la formation et de l'éducation et représentants des branches professionnelles. Ce travail est, en général, satisfaisant et ce modèle fonctionne. L'avantage repose aussi sur le fait que nous constatons, de ce fait, une cohérence de formation dans l'espace et dans le temps, et non simplement une accumulation de compétences juxtaposées.

La formation continue doit également être diplômante et doit constituer un élément essentiel d'une sécurité sociale professionnelle. En d'autres termes, les métiers évoluent à une vitesse variable, mais souvent extrêmement rapide. Ceci justifie la nécessité d'une formation initiale de haut niveau, incluant une bonne part de formation générale, et le recours à la formation professionnelle continue comme composante de la sécurité sociale professionnelle. Nous plaidons pour un droit à la formation continue qui ne se limite pas à une adaptation aux évolutions du poste de travail. Ces propos sont un peu caricaturaux. Néanmoins, lorsqu'on analyse la formation continue, celle-ci se concentre beaucoup sur ces aspects. Or, nous avons besoin de plus d'ambition et le droit à la formation doit aussi renvoyer à un droit à la formation individuelle. Celui-ci est, d'une certaine manière, acté par le DIF, mais il reste extrêmement réduit. Ce droit pour le salarié implique bien, réciproquement, une obligation pour l'employeur.

Par ailleurs, il faut relever le caractère peu lisible des dispositifs de formation professionnelle continue. On peut parler de pagaille, de millefeuilles, d'empilement et de croisement de responsabilités. L'État, les régions, les branches professionnelles ont un rôle à jouer et tout ceci s'entrecroise sans que l'on sache bien qui fait quoi et avec quelles responsabilités. Même si la région a été identifiée comme pilote, le pilotage de l'ensemble reste fort peu lisible.

M. Bernard Seillier, rapporteur - C'est pourquoi nous avons institué cette mission.

M. Gérard Aschieri - Il m'a effectivement semblé que j'obtiendrais une oreille attentive pour ces propos. J'ajoute que l'opacité est encore plus grande en matière de financement, avec des organismes paritaires de collecte qui sont multiples et peu transparents. Or, la masse financière en jeu est énorme. Elle atteint un total de 24 milliards d'euros, dont 5 milliards transitent par les OPCA. Ce volume d'argent circulant dans des conditions peu claires est loin d'être négligeable ! Par ailleurs, nous enregistrons une multiplicité d'opérateurs, avec une domination très forte des opérateurs privés et des différences très importantes entre ces derniers. Les formations les plus qualifiantes appartiennent plutôt au domaine privé tandis que les organismes publics assurent plutôt les formations de plus bas niveau. Il faut également mentionner le secteur associatif qui remplit des missions d'intérêt général, ce qui ne va pas sans compliquer la situation. Cette multiplicité et cette opacité empêchent donc la mise en oeuvre d'une réelle politique cohérente de la formation professionnelle continue. La problématique de la VAE relève des mêmes données. A ce niveau également, on constate un problème de cohérence en matière de ligne politique. Nous pensons donc que le moment est venu d'une urgente remise à plat, d'une redéfinition des responsabilités et d'une transparence des modes de financement.

Évidemment, tout ceci est plus facile à dire qu'à faire et je dois reconnaître que notre réflexion en la matière n'est pas complètement achevée. Toutefois, il nous semble que le service public national doit jouer un rôle de pilote et de colonne vertébrale du dispositif, ce qui n'exclut évidemment pas les autres instances de formation. Même si, idéologiquement, nous pourrions considérer qu'une nationalisation et recentralisation de tout le dispositif vers un service public d'État de la formation continue seraient idéales, nous sommes obligés de regarder la réalité en face. Par exemple, la question de la place des régions et du bon niveau de définition des politiques est une vraie question. Le niveau régional peut apparaître pertinent. Parallèlement, nous nous interrogeons sur les problèmes posés par la taille et la configuration des régions françaises dans le cadre de cette problématique. Il nous semble, au minimum, que le service public doit continuer à être opérateur. Cependant, ceci pose la question du respect des règles du marché et des règles européennes en la matière. En d'autres termes, il nous semble que la France devrait défendre des dérogations aux règles du marché en ce qui concerne la formation professionnelle et le rôle particulier d'un service public de la formation professionnelle.

Par ailleurs, nous plaidons pour la disparition des organismes collecteurs, une collecte relevant des services fiscaux et une redistribution nationale assurant une péréquation. Nous souhaitons également que le service public garantisse des diplômes nationaux, comme élément de structuration, et propose de l'ingénierie de formation afin de peser sur les pratiques et leur donner un peu plus de cohérence. Je pense, en particulier, au domaine de la VAE.

Je voudrais conclure en indiquant que la formation professionnelle, qu'elle soit initiale ou continue, est avant tout une responsabilité du service public. Encore une fois, je ne défends pas un dispositif qui serait entièrement basé sur ce service public, mais nous avons besoin de revaloriser et de réinstituer son rôle dans ce domaine.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Même si votre réflexion, comme vous l'indiquez, n'est pas aboutie, elle est suffisamment orientée vers un souci, d'ailleurs partagé, de cohérence, de clarification, de transparence et de plus grande responsabilité publique. Je crois effectivement qu'il ne peut pas être question d'un désengagement au niveau de l'État ou de la responsabilité publique, mais il faut déterminer le champ de cette responsabilité. Ceci étant dit, je souhaiterais vous poser une question car je milite pour la réinstauration d'une formation dont j'ai bénéficié au lycée Champollion, à Grenoble, dans les années 1950. J'ai eu la chance, à cette époque, d'entrer dans une classe pilote, qu'on dirait, aujourd'hui, élitiste, mais qui permettait, en fait, l'accès de tous à une formation intellectuelle et technique. Le programme comprenait, notamment, des cours de français, latin, mathématiques et des séances d'atelier. J'avais, comme camarade, un fils de cordonnier qui est entré dans les trois premiers à l'École normale supérieure et cette classe de sixième a compté plusieurs majors d'écoles scientifiques ou littéraires. Évidemment, je cite là un cas particulier, mais je regrette que cet apport d'une formation manuelle complète et d'une formation intellectuelle, qui, en plus, compense les insuffisances des uns et des autres, n'ait pas été conservé. Cela me permet de vous rejoindre sur la distinction entre la formation professionnelle et la formation initiale. Pour moi, il est évident qu'il ne faut pas les séparer. Pourquoi, au niveau de l'éducation nationale, les concepts de cette nature ne sont-ils pas réintroduits ?

M. Gérard Aschieri - Aujourd'hui, il existe un enseignement de la technologie et nous militons pour que celui-ci soit réévalué et placé au même niveau que les disciplines dites nobles. Il doit faire partie de la culture commune d'un élève de collège. Ceci peut également éviter, dans un certain nombre de cas, des orientations par défaut vers l'enseignement technologique ou professionnel. Nous militons également pour qu'il existe des passerelles de l'enseignement professionnel vers l'enseignement technologique et pour que les lycées professionnels n'apparaissent pas comme des culs-de-sac sans avenir. Vous prêchez donc un convaincu, même s'il ne faut pas cacher le fait que ces dispositifs représentent un surcoût. Je souhaiterais même citer la création, en troisième, de l'option de découverte professionnelle. Nous pensons que tous les élèves devraient en bénéficier. Or, aujourd'hui, cette option est conçue comme l'antichambre d'un accès, pour les moins bons élèves, vers les LEP ou l'apprentissage. De la même manière, pourquoi la voie scientifique est-elle la voie la plus recherchée, y compris par des non scientifiques ? C'est celle qui permet, aujourd'hui, de choisir son orientation le plus tard possible. Si nous voulons faire évoluer cette situation, nous devons faire en sorte que les autres voies, y compris les voies professionnelles, permettent des changements d'orientation. Ce point est assez central. Il correspond à des surcoûts, mais il peut se résoudre par l'ouverture de l'enseignement supérieur des lycées aux élèves des voies professionnelles. La situation s'est un peu améliorée, au cours des dernières années, en ce qui concerne l'accès au BTS. Une des rares mesures que le conseil de l'éducation a votée, parmi les mesures d'application de la loi Fillon, permet aux élèves qui ont obtenu une mention bien ou très bien à un baccalauréat professionnel d'accéder, de droit, à un BTS. Nous étions opposés à la loi Fillon, mais nous avons voté pour cette mesure car nous la considérons comme positive. Nous militons donc dans le sens que vous mentionnez.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je pense, d'ailleurs, que nous commettons des erreurs inverses, par exemple en plaçant trop tôt des enfants devant des ordinateurs. J'ai réalisé des stages en informatique, chez Bull dans les années 1960, à l'époque où nous faisions de la programmation sur cartes perforées. Cette activité demandait de développer un mécanisme mental et logique. Aujourd'hui, nous utilisons des logiciels qui ne sont aucunement formateurs pour l'esprit, ce qui n'est pas le cas du contact avec le travail manuel ou du fait, par exemple, que certaines erreurs ne sont pas permises dans ces domaines. Il faudrait donc réellement revisiter cette approche dans la formation initiale. Par ailleurs, en ce qui concerne le lien avec l'entreprise, celle-ci connaît, aujourd'hui, le drame d'une financiarisation et d'une perte de contact avec l'objet fabriqué et la production. Or, dans les lycées professionnels, à l'origine, on trouvait des contremaîtres issus d'entreprises. Un contact tout naturel se créait par la pratique et le respect de ce qui constituait le coeur du métier. J'ai l'impression qu'il faudrait poursuivre une réflexion sur ces points et, même s'ils ne rentrent pas dans l'objet de la mission, je serais assez tenté d'intégrer quelques conseils ou préconisations sur ceux-ci.

Effectivement, il me semble que la responsabilité de l'État se situe au niveau du pilotage des concepts de la formation. J'ai récemment effectué, en Inde, une mission sur des questions d'organisation du travail et de législation sociale. Dans ce pays, qui fournit 50 % des informaticiens du monde, les enfants en école primaire ne posent pas la main sur un ordinateur. On apprend très facilement, par la suite, à utiliser cet équipement. Il me semble donc qu'une erreur peut être commise à cet endroit. L'informatique est un écran par rapport à la vraie technologie et à la vraie connaissance des métiers. On peut également signaler qu'en Chine, l'apprentissage du calcul se fait toujours avec des bouliers. Il ne s'agit pas là d'une pratique rétrograde, mais d'une question de formation de l'esprit de l'enfant à la logique et aux mécanismes associatifs.

M. René Pasini - Votre remarque soulève une interrogation. En effet, le débat ne porte que sur le niveau auquel vous placez la barre. Aujourd'hui, tous les systèmes professionnels sont pilotés par informatique. Il est inévitable de former l'élève car il aura à piloter ces outils. Il doit bien avoir acquis une certaine technicité au départ.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Effectivement, tout dépend de l'âge. De la même manière, essayez de faire un artisan d'art en commençant à le former à dix-huit ans ! Une main doit être éduquée assez tôt dans l'existence. Je pense donc qu'il faudrait retrouver les principes fondamentaux de l'éducation et de la formation professionnelle et ceux-ci ne me semblent pas reposer forcément sur des contacts précoces avec l'entreprise, dans laquelle on trouve des états déjà très développés de la technologie.

M. Gérard Aschieri - En théorie, l'enseignement de la technologie, tel qu'il est conçu au collège, doit permettre aux élèves d'appréhender le processus de fabrication d'un objet concret en faisant intervenir des pratiques manuelles, l'informatique, mais aussi des questions financières. Le dispositif ne fonctionne malheureusement pas si bien que cela, d'autant plus que cet enseignement est conçu comme un lieu de relégation pour les élèves qui ne réussissent pas bien dans les disciplines générales. A cet endroit, il y aurait bien quelque chose à gagner et, par rapport à une formation professionnelle, ce point est effectivement important. En ce qui concerne l'âge d'introduction à l'informatique, je n'ai pas de réponse directe à apporter. Je sais simplement que, désormais, les enfants ont parfois accès à un ordinateur avant même d'entrer à l'école. Nous devons tenir compte de cette réalité.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je profite simplement de votre présence pour évoquer ces éléments. Mais, ceux-ci n'entrent pas dans ma spécialité puisque j'appartiens à la commission des affaires sociales. Il m'est donc impossible d'approfondir ce débat avec vous. Pour revenir au sujet de la mission, une question a été sporadiquement évoquée à l'occasion de ces auditions. Elle concerne la coupure entre les milieux professionnels de l'entreprise et l'éducation nationale. Il serait assez bénéfique que des stages de cadres d'entreprise dans les établissements scolaires puissent être organisés, sans, évidemment, de responsabilités éducatives, et que des contacts réciproques existent.

M. René Pasini - Pardonnez-moi, mais ce constat constitue, de nos jours et trop souvent, un cliché. Toutes les formations initiales comprennent désormais des périodes de formation en milieu professionnel. Je ne parle pas de stage de découverte, mais de périodes au cours desquelles le sujet formé est réellement intégré à l'entreprise. En revanche, les entreprises sont moins réceptives que par le passé pour accueillir et exercer un acte de formation complémentaire. Vu la conjoncture économique, elles n'ont effectivement pas les moyens de dégager une personne à temps plein ou à temps partiel pour former. Ceci constitue un véritable problème. Pour nous, dans le cadre de diplômes comme le baccalauréat professionnel, ce n'est pas la durée de la période de formation en milieu professionnel qui compte, mais ce que l'on fait au cours de cette mission et ce que l'on apprend. Placer un jeune en entreprise sans véritable contrôle des acquisitions de connaissances n'apporte pas forcément grand chose. Nous plaidons donc pour une présence, peut-être moins longue, mais avec un contrôle, une pertinence, un cahier des charges. En conséquence, il ne faut pas parler de séparation, même si la mobilisation est effectivement insuffisante, dans l'entreprise, pour s'occuper du jeune et lui apporter un véritable avenant pédagogique.

M. Jean-Marie Canu - Dès qu'on se tourne vers des niveaux de qualification inférieurs à trois, il faut se poser deux questions. Dans un premier temps, qu'est-ce que la professionnalisation ? Pour moi, la professionnalisation d'un jeune en BTS ou en licence ne peut pas se résumer à un stage en entreprise. Il faut avoir une approche globale et, plus on monte dans l'échelle académique des formations, plus cette approche peut être critique, raisonnée et reconstruite. Par ailleurs, il faut se rappeler qu'il existe d'autres mondes en dehors de l'entreprise. On peut citer, notamment, le monde associatif ou le monde administratif. Il y a, là, également une vraie question. D'autres lieux d'accueil sont possibles et c'est un mauvais défaut de langage que de toujours revenir à l'idée selon laquelle la professionnalisation est synonyme d'entreprise.

M. Gérard Aschieri - Une troisième dimension de votre question renvoie aux personnels, enseignants ou responsables d'entreprise. Des dispositifs existent dans ce domaine. Par exemple, il est possible d'accéder à des concours de recrutement pour les disciplines professionnelles ou techniques à partir d'une expérience professionnelle. En théorie, certains professeurs associés peuvent également être des professionnels recrutés, de manière temporaire, dans certaines disciplines. En revanche, il existe peu de possibilités, pour les enseignants, au titre de leur formation continue, de se rendre dans les entreprises.

M. Bernard Seillier, rapporteur - C'est justement une question que je souhaitais vous poser. Qu'en est-il de la formation professionnelle continue dans votre secteur ?

M. Gérard Aschieri - A l'éducation nationale, celle-ci est naufragée. Nous devons nous situer sur une moyenne de trois jours de formation par an pour les enseignants. La raison de cet état de fait est relativement simple : quand des difficultés budgétaires sont rencontrées, c'est, d'abord, sur les crédits de formation et les possibilités de remplacement qu'on recherche des économies. De plus, s'il existe des plans académiques, je ne suis pas convaincu qu'une réelle politique de formation soit développée. Les besoins sont donc considérables pour relancer la formation continue et, dans ce cadre, les personnels des enseignements technologiques et professionnels expriment une demande forte de pouvoir se rendre en entreprise. Je crois, malheureusement, qu'il n'y a pas de réponses à ces demandes. En particulier, elles nécessitent d'effectuer des stages relativement longs, ce qui pose immédiatement des problèmes de remplacement. Au début des années quatre-vingt, le ministre de l'éducation nationale avait essayé d'introduire, pendant la formation des stagiaires de toutes les disciplines, une obligation de se rendre six semaines en entreprise. Le dispositif a existé pendant un an et a été très vite abandonné. En particulier, on s'est très vite retrouvé face à des besoins de recrutement. Je pense également que la formation initiale n'est pas le meilleur moment pour effectuer cette démarche. Les stagiaires ont déjà suffisamment de difficultés à assumer leur classe et à s'adapter à leur poste de travail. Quoi qu'il en soit, ces périodes pourraient constituer un apport dans la formation continue d'un enseignant de filière professionnelle et technologique, comme d'un enseignant de filière générale.

M. Bernard Seillier, rapporteur - En ce qui concerne la nécessité de la qualification et de la certification par un titre, je vous rejoins entièrement. Cependant, nous revenons d'une mission en Allemagne et, dans ce pays, c'est le ministère de l'éducation nationale de l'état fédéral qui a autorité sur la définition des codes de formation professionnelle. Il en existe 350 qui préparent à 15 000 métiers identifiés et codifiés. Le ministère travaille en liaison avec des professionnels et des spécialistes des métiers, mais c'est bien lui qui fixe la codification. La formation des jeunes dans l'entreprise, à raison de 3,5 jours en entreprise et 1,5 jour en collège professionnel, est régie par ces codes et sanctionnée par la délivrance d'un certificat. Avons-nous des progrès ou modifications à réaliser dans ce domaine précis ?

M. Jean-Marie Canu - S'il y a des progrès à réaliser, ils se situent bien du côté de la codification. Ceci nécessite, toutefois, de revenir sur les questions de financement.

M. Gérard Aschieri - La codification est aussi un élément de transparence et de lisibilité pour les utilisateurs, sachant que l'absence de lisibilité est très discriminante socialement.

M. Jean-Marie Canu - Je reviens en arrière une seconde pour signaler que le fait de poursuivre des études dans les sections généralistes, le plus loin possible, constitue également un privilège de certains milieux.

M. Bernard Seillier, rapporteur - C'est pourquoi nous sommes tombés un peu sous le charme du système allemand. Nous avons même l'impression que nos voisins réalisent un mouvement inverse à celui qui apparaît en France en développant l'exigence de conceptualisation et de réflexion critique quand nous cherchons à développer notre compétence technique et pratique.

M. Gérard Aschieri - Les Allemands ont pris de plein fouet les résultats des enquêtes PISA de l'OCDE. Celles-ci ont mis en lumière les problèmes posés par leur système. Pour en avoir discuté avec les syndicats allemands de l'éducation, il y a quelques années, je sais que tout le monde, dans le pays, a très mal vécu les premières études et s'est interrogé sur l'efficacité du dispositif. Je précise que ces études permettent de mesurer les compétences académiques des élèves à quinze ans. Les Allemands se sont retrouvés en queue de peloton dans pratiquement tous les domaines, alors que la situation française était variable selon les matières. Nous occupons donc une position médiane dans le système.

M. René Pasini - Sur le principe de sécurisation des parcours professionnels pour le salarié, l'idée semble généreuse. Mais, elle pose le problème de l'articulation de politiques de formation différentes au niveau des régions. Cette situation ne doit pas se retourner, à terme, contre les salariés. En effet, la loi oblige le financement, mais n'oblige pas forcément la formation. Ceci est problématique puisqu'on finance les organismes collecteurs, mais on ne sait pas si le salarié s'y retrouve et bénéficie d'une formation réelle. La sécurisation des parcours visant à donner, à l'individu, des outils qu'il peut conserver et faire valoir toute sa vie, une interrogation importante demeure du fait de l'existence de politiques différentes dans les régions. Il y a donc besoin d'autre chose.

M. Jean-Marie Canu - Je sors du bureau du conseil national de la formation professionnelle et ces questions sont au coeur de nos débats. Nous nous interrogeons tous pour déterminer qui va piloter le dispositif. C'est pourquoi nous insistons sur cette idée : il faut un pilote. Les régions tirent dans un sens, les partenaires sociaux tirent dans l'autre. Il va donc falloir affronter frontalement cette difficile question.

M. Gérard Aschieri - Pour ma part, je m'interroge sur la répartition des compétences entre le ministère de l'économie et de l'emploi et le ministère du travail et des affaires sociales. Si j'ai bien compris les dépêches d'agences, la formation professionnelle suivra l'emploi. Une unité était auparavant assurée, au niveau local, par les directions régionales du travail. Je soulève peut-être un faux problème, mais je crains que cette nouvelle répartition ajoute une touche d'obscurité ou de désordre au dispositif.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je ne vais pas ouvrir ce débat, mais il est vrai que j'attends, avec intérêt, les décrets précisant les attributions des ministres pour comprendre comment tout cela s'articule. Par ailleurs, nous avons partiellement évoqué le jugement que vous portez sur la formation professionnelle des fonctionnaires.

M. Gérard Aschieri - Au-delà des enseignants, la formation des fonctionnaires, comme celle des salariés du privé, est caractérisée par la priorité donnée à l'adaptation à l'emploi ou aux politiques conduites et, rarement, à une formation qui voit un peu plus loin et permet une formation personnelle. Par ailleurs, trop souvent, cette formation est interne et n'utilise pas les services publics de formation, notamment l'université.

M. Jean-Marie Canu - En poussant le bouchon très loin, je dirais qu'on délivre une formation à la lecture des circulaires alors que j'ai connu le temps béni où, en tant qu'enseignant en sciences économiques et sociales, la responsabilité de choisir les sujets de formation académique à approfondir incombait à l'équipe d'enseignants à laquelle j'appartenais.

M. Gérard Aschieri - Un accord minoritaire a été signé, il y a quelques mois, et je ne pense pas qu'il modifie fondamentalement cette situation.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je poursuis mes questions. De quelle façon le système éducatif pourrait-il s'impliquer davantage dans le développement de l'apprentissage et d'une réelle formation continue des adultes ? Que pensez-vous d'une proposition, entendue lors de précédentes auditions, visant à mobiliser les ressources en locaux, équipements, expertises des lycées professionnels et des universités pour former des salariés ?

M. Gérard Aschieri - Ces points font partie des missions et nous les revendiquons. Mais, le dispositif existant, notamment le dispositif des GRETA, rencontre de très grandes difficultés financières. En effet, la formation professionnelle étant considérée comme relevant des règles du marché standard et de la concurrence non faussée, les régions sont obligées de faire des offres et d'octroyer les formations aux mieux disants. Or, le système public n'est pas concurrentiel, en particulier pour les formations qualifiées. En conséquence, des GRETA sont en déficit depuis des années et les personnels sont licenciés, ce qui entraîne une perte de potentiel.

M. Jean-Marie Canu - En ce qui concerne l'enseignement supérieur, vous allez, de toute façon, vous heurter à un mur. En effet, dans ce secteur, hors de la recherche et de l'éducation, il n'existe point de salut. Un enseignant, qui veut faire carrière, acceptera donc tout sauf de la formation continue.

M. René Pasini - Pour compléter ces propos, vous évoquez ce qui est dénommé l'utilisation des plates-formes technologiques des établissements. Aujourd'hui, nous nous situons sur un marché de la formation. Cela peut parfois faire mal au coeur à un enseignant car, dans certaines régions, on se croirait à la bourse. En conséquence, tout dépend de l'évolution du système. Il pourrait s'avérer plus rentable d'utiliser les plates-formes technologiques pour des sections rémunératrices, que d'assurer ce que nous sommes censés défendre, c'est-à-dire la formation initiale des jeunes. En d'autres termes, si les deux systèmes peuvent peut-être coexister, ils ne doivent pas s'entrechoquer. Nous avons déjà vu des établissements dans lesquels des sections porteuses n'ont pas été mises en place sous prétexte qu'une collectivité voulait implanter une formation qu'elle jugeait plus intéressante.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Une des réflexions de départ de notre mission repose sur le fait que notre système de formation professionnelle est piloté par une loi de l'offre. Ceci ne peut pas être satisfaisant. Nous devons donc faciliter l'expression et la structuration des demandes pour organiser, à partir des plates-formes de ressources, le contenu du dispositif. C'est bien l'approche sur laquelle nous réfléchissons. Par ailleurs, quelles réponses apporter aux jeunes sortant du système scolaire sans qualification ? Qui est responsable ? Faut-il développer les entreprises d'insertion, les chantiers d'insertion ou les lieux à vivre ?

M. Gérard Aschieri - Il faudrait déjà limiter, au maximum, la sortie du dispositif sans qualification. Selon les données, nous nous situons environ à 150 000 jeunes concernés. Ce chiffre n'a pas évolué depuis le milieu des années 1980. Après avoir diminué de moitié, il s'est effectivement stabilisé sur ce noyau dur. Dans un premier temps, il faut réfléchir aux actions, mises en place par le système scolaire, pour limiter ces sorties. Nous pensons qu'un travail de prévention peut être mené dès la maternelle et le primaire. De plus, au collège, il faut repérer les élèves en grandes difficultés scolaires, sachant que ceux-ci sont également, en règle générale, en grandes difficultés sociales et comportementales, et essayer de les faire suivre par des équipes pluriprofessionnelles. Il faut rechercher des solutions, au cas par cas, sans exclure aucune piste. Nous devons nous donner un objectif volontariste dans ce domaine. Celui-ci donne lieu à des expériences différentes, mais je crois qu'il existe toujours, en la matière, une responsabilité du service public. Les écoles de la seconde chance fonctionnent de temps en temps. Il faut donc examiner ces dispositifs de près, mais, encore une fois, je ne peux vous proposer aucune solution absolue. Ces cas de déscolarisation ou de désocialisation impliquent, la plupart du temps, un travail en profondeur et individualisé. Cependant, dans ce domaine aussi, certains dispositifs peuvent être concurrentiels et il faut parfois clarifier les responsabilités.

M. René Pasini - Il faut aussi mentionner la diversification de l'acquisition des savoirs, ce qui rejoint les propos que vous teniez en début de séance. Il s'agit de pouvoir assurer un passage par le concret sans éjecter l'enfant du système scolaire, soit en lui laissant la possibilité de revenir vers les savoirs fondamentaux. Par cette concrétisation, que certains appellent la pédagogie du détour, nous pensons que nous pouvons sauver quelques élèves.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Pour ma part, je suis convaincu que, quand un enfant découvre une approche qui correspond à la sensibilité de son âge et de sa personnalité propre, il devient ouvert à autre chose. Il faut donc susciter un goût pour l'apprentissage et des approches diversifiées, dans le système scolaire, peuvent permettre d'apporter le déclic nécessaire.

M. Gérard Aschieri - Toutefois, il faut distinguer le très grand échec scolaire de l'échec scolaire ordinaire.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Tout à fait. Je souhaite vous poser une dernière question. Les lycées professionnels ont-ils besoin, selon vous, d'être réformés pour bien se positionner, au sein du système d'éducation et de formation, par rapport à l'enseignement général, d'une part, et à l'alternance, d'autre part ?

M. Gérard Aschieri - Ceci rejoint la question des passerelles qui renvoie, elle-même, à celle de la place des formations générales dans les filières professionnelles.

M. René Pasini - Il faut quand même savoir que, depuis quelques années, certaines sections professionnelles ont été déprofessionnalisées. Or, aujourd'hui, du fait des moyens budgétaires, la tentation est forte de limiter les contenus dans les enseignements généraux. Elle engendre une grande crainte de notre part, car l'avenir doit plutôt passer par un renforcement des savoirs généraux de ces élèves.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Mon père était professeur de lettres dans un établissement un peu particulier, l'école des pupilles de l'Air. Il a fait partie de l'équipe qui a institué, en France, la promotion supérieure du travail dans les années cinquante. Il avait adapté son enseignement à cette formation et les salariés qui participaient à ces cours du soir manifestaient une réelle volonté. Ceci démontre que, quand on met un minimum de moyens à disposition de personnes prêtes à faire un effort, le dispositif fonctionne. Aucun de nos interlocuteurs n'a mis en cause le personnel éducatif au cours de ces auditions. Au contraire, nous avons le sentiment de disposer d'une ressource humaine extraordinaire et, dans ce cadre, je retiens l'adjectif « naufragé » que vous avez utilisé et qui, d'après moi, sera repris dans notre rapport. Je vous remercie de votre intervention.

Audition de M. Louis MOSCHETTI, proviseur du lycée Jules Haag de Besançon (Doubs) (6 juin 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Monsieur Moschetti, nous sommes très heureux de vous accueillir. Vous êtes au coeur de la formation professionnelle. En tant que proviseur d'un lycée professionnel, vous connaissez parfaitement le secteur de la formation initiale. En outre, vous travaillez dans le domaine de la formation continue puisque vous présidez un GRETA (groupement d'établissements publics locaux d'enseignement) rattaché à votre établissement. Les GRETA sont des acteurs incontournables de la formation professionnelle. Cependant, ils rencontrent aujourd'hui un problème, en particulier sur le plan juridique. Nous souhaitons recueillir vos sentiments sur la situation de la formation professionnelle dans son ensemble.

M. Louis Moschetti - La question de la formation professionnelle est devenue aujourd'hui un problème aigu, aussi bien sur le plan de la formation initiale que sur celui de la formation professionnelle permanente des adultes. Le domaine de la formation s'avère plus difficile d'accès qu'auparavant. Dans le passé, les formations dont nous disposions étaient simples et connues. Lorsque nous formions des microtechniciens ou des soudeurs, ces cursus d'enseignement étaient bien cernés et délimités.

De nos jours, nous observons l'apparition de métiers plus complexes et surtout connaissant une évolution constante. Cette évolution permanente conduit à la nécessité d'assurer aux adultes une formation régulière. En tant que proviseur d'un lycée professionnel, je suis en lien avec le monde de l'entreprise. Je constate ainsi que les métiers changent environ tous les cinq ans. Au niveau de la formation initiale, nous devons préparer les élèves à ce parcours, parfois difficile, en leur trouvant des diplômes adaptés au monde du travail. Pour les personnes déjà insérées dans l'entreprise, en particulier dans le monde de l'industrie que je connais bien n'ayant jamais officié dans le secteur tertiaire, nous devons mettre en place les formations permanentes nécessaires à leur adaptabilité.

Les baccalauréats STI sont en pleine reformation. Ces baccalauréats sciences et techniques industrielles deviennent des baccalauréats sciences et techniques de l'ingénieur. Cette réforme illustre bien l'évolution que nous entamons. Les établissements scolaires d'enseignement professionnel vont passer de moins en moins de temps à assurer une formation technique d'atelier, pour évoluer, selon les inspecteurs généraux, vers une formation à la technicité. Nous cherchons donc moins, à travers nos formations, à approcher l'objet. Maintenant, nous voulons former à l'approche de la conception de l'objet. Par conséquent, les travaux en atelier ne se terminent plus par la production d'une pièce, mais aboutissent à la réalisation d'un projet. La pièce est le plus souvent fabriquée en prototypage rapide.

La formation permanente, elle aussi, a connu une évolution majeure sur les dix dernières années. Les formations étaient souvent longues et faciles à mettre en place par les GRETA. Les formations deviennent courtes, environ quarante heures, et incorporées dans des processus de production, réclamant une forte réactivité aux établissements de formation, situation nouvelle pour eux. D'autre part, les structures scolaires et de formation dont nous disposons montrent manifestement leur obsolescence. Nous ne pouvons plus travailler avec des structures mises en place dans les années quatre-vingt pour les établissements de formation initiale et vers 1974 pour les GRETA. Nous sommes confrontés aujourd'hui à des évolutions fortes, rapides et malheureusement mal maîtrisées. Nous rencontrons des difficultés pour permettre l'évolution des professeurs d'un enseignement technique à un enseignement à la technicité, et pour accompagner les GRETA d'un travail de fond sur des formations de 1 200 heures, à des formations de 40 heures. Ce travail est complexe et demande une grande adaptabilité aux personnes officiant dans ce secteur.

Concernant la formation professionnelle, les GRETA, datant de 1973-1974, présentent une structure totalement dépassée, car ils restent attachés à un établissement scolaire, considéré comme établissement support, alors qu'ils doivent affronter une concurrence féroce. Les GRETA ne disposent ni des éléments financiers, ni des éléments techniques pour répondre aux besoins imposés par cette concurrence. La nature même des personnels travaillant dans les GRETA entraîne une opposition forte à toute évolution. Dans certains GRETA, sur Paris ou dans le sud de la France, le personnel finit par être littéralement abandonné, car ces structures préfèrent externaliser leurs activités de recherche de formation.

En outre, la question de la rémunération des personnels enseignants des GRETA est délicate. Seule une loi datant de 1993 fournit un élément pour fixer la rémunération des formateurs. Elle indique que la rémunération doit suivre le niveau de la formation proposée. Le niveau 5 correspond au BEP, le 4 au Baccalauréat et le niveau 3 au BTS. En revanche, aucun prix n'a été clairement déterminé. Les GRETA s'alignent par habitude sur ce que nous avons appelé le barème de Montpellier. Ce barème n'apparaît dans aucun texte, ni décret, ni circulaire. Il conduit à payer trois à quatre fois plus cher les formateurs que les autres centres de formation. Les établissements privés proposent des rémunérations nettes de 15 euros de l'heure pour des formations de niveau BTS, alors que les GRETA rémunèrent leurs formateurs à hauteur de 25 euros pour les formations de niveau BEP et jusqu'à 42 euros pour les formations de BTS. Cet écart rend nos appels d'offres peu concurrentiels, car nous devons rentabiliser le coût du formateur. Aujourd'hui, un GRETA peut difficilement assumer des recettes inférieures à 85 euros.

Les chefs d'établissement qui dirigent des établissements support de GRETA se retrouvent président du GRETA sans nécessairement posséder les compétences pour gérer les personnels commerciaux, affronter la concurrence et mener une véritable action commerciale. Une petite trentaine de GRETA en France disposent d'une certification de qualité, dont le GRETA de Besançon. La recherche d'une politique qualité permet d'approcher le management du GRETA. Cependant, cette situation demeure difficile pour certains personnels qui ne sont pas des gestionnaires d'organisme commercial et se contentent de signer les recettes et les dépenses. Les chefs d'établissement ne sont pas formés à ce travail. Lorsque les budgets n'arrivent pas en début d'exercice, ils finissent par ignorer le montant de leurs dépenses et de leurs recettes. Certains GRETA se portent mal aujourd'hui, en particulier dans le Nord et dans l'Ouest de la France. Les difficultés concernant les rémunérations des formateurs s'ajoutent à celles liées à la gestion du budget provocant des situations quasiment insurmontables.

M. Jean-Claude Carle, président - Face à la mutation des métiers tous les cinq ans, les inspecteurs généraux estiment qu'il est indispensable de faire évoluer l'enseignement, d'un enseignement technique vers un enseignement de la technicité. Cependant, sur quelles bases les inspecteurs généraux appuient-ils leurs affirmations ? Détiennent-ils une connaissance suffisante du monde économique et de ses besoins pour tirer ces conclusions ?

Aujourd'hui, un acteur essentiel de la formation et de l'orientation est le conseiller d'orientation psychologue (COPsy). Quelle perception avez-vous de ces conseillers ? Comment définiriez-vous leur rôle ? Les COPsy disposent-ils des compétences nécessaires pour assurer correctement leur mission ? Nous attendons de votre part des réponses franches et sans ambigüité.

Par ailleurs, les GRETA fonctionnent dans un vide juridique. Les budgets des GRETA sont adoptés par les conseils d'administration des lycées. En tant qu'élu, je fais partie de certains conseils d'administration et je constate que nous votons le budget sur les seules bonnes paroles du proviseur de l'établissement support dont ils dépendent. Quelles réformes vous paraissent indispensables à apporter au statut de ces organismes de formation ?

M. Louis Moschetti - Je ne me permettrai pas de remettre en cause la compétence des inspecteurs généraux. L'éducation à la technicité présente un double enjeu. D'une part, nous souhaitons permettre aux élèves de mener une réflexion sur la conception du produit plutôt que sur sa réalisation ; la réalisation est destinée à être effectuée par les élèves de BEP. D'autre part, le développement de la technicité permet aux établissements d'alléger leur budget d'investissement. Il est plus facile d'acheter un ordinateur à 1 000 euros qu'une machine à commande numérique qui peut atteindre facilement 100 000 à 120 000 euros. L'enseignement technique que nous avons connu et qui tend à disparaître coûtait très cher. Par exemple, pour un établissement comme celui que je dirige, la mise aux normes actuelles de l'ensemble des machines entraînerait une dépense de l'ordre de 10 millions d'euros. La conception assistée sur ordinateur et le prototypage rapide reviennent nettement moins chers.

Au-delà de cet aspect matériel, les relations que nous entretenons avec le monde industriel nous montrent qu'il a plus besoin de personnel formé à la conception que de personnes qui réalisent. C'est pourquoi la demande de diplômés de baccalauréat professionnel explose. Les employeurs considèrent que ces diplômés sont capables de remplir un poste de technicien supérieur, anciennement pourvu par les personnes détenant un BTS, grâce à leur formation dans le domaine de la conception. Aujourd'hui, les élèves doivent privilégier le maniement de la technique au détriment de la réalisation du produit.

Au niveau de l'orientation professionnelle, les COPsy jouent certes un rôle important, mais ce sont surtout les parents qui guident l'orientation de leurs enfants. En Franche-Comté, nous disposons d'une tradition industrielle forte et ancienne en microtechnique, en horlogerie et dans d'autres domaines industriels. Pourtant, les parents de cette région excluent les formations industrielles pour leur progéniture. Ils préfèrent privilégier la communication, l'infographie, le tourisme, des travaux qu'ils considèrent nobles. Ils ne souhaitent pas sentir sur leurs enfants l'odeur de l'huile des machines. Ils craignent surtout les délocalisations et les pertes d'emploi.

En outre, le baccalauréat scientifique reste toujours la voie royale. Dans mon établissement, nous avons 400 élèves de seconde cette année ; 200 d'entre eux demandent une entrée en première S, avec une volonté manifeste de poursuivre des études dans le supérieur. Ces jeunes ne désirent pas s'arrêter au niveau des baccalauréats professionnels ou des BTS. Il y a sept ans, les élèves se battaient pour entrer dans les BTS microtechniques. Aujourd'hui, nous cherchons des élèves pour remplir nos classes de BTS. L'opposition à l'orientation est très forte de la part des parents, qui pour la plupart sont issus du monde du travail technique. Les COPsy rencontrent des difficultés pour expliquer à ces familles que ces diplômes techniques débouchent sur des emplois sûrs, dans lesquels une belle carrière est possible avec un niveau de vie tout à fait confortable.

A propos du vide juridique sur les GRETA, les modifications souhaitables ne sont pas si importantes pour que ces organismes arrivent à fonctionner correctement. Nous avons connu, dans notre secteur, la création des groupements d'intérêt public (GIP), avec les GIP FCIP (formation continue et insertion professionnelle) et les GIP ITT (innovation et transfert de technologies). Il a été question à une époque de mettre en place des GIP GRETA. Cependant, malgré le vide juridique qui les entoure, il ne me semble pas souhaitable de sortir les GRETA des établissements scolaires. Ce choix les couperait de la volonté de certains chefs d'établissement de participer à la formation professionnelle continue. En outre, la présence des GRETA au sein des établissements scolaires permet de s'appuyer à la fois sur le matériel existant dans les lycées, et ainsi de faire des économies d'échelle, et de bénéficier des compétences du personnel des lycées, souvent intéressant et imaginatif dans l'enseignement technique.

En revanche, les GRETA sont dépendants des appels d'offres des régions. En Franche-Comté, le tiers de nos budgets annuels provient du résultat des appels d'offre de la région. De plus, aujourd'hui, les formations initiales et continues représentent un ensemble unique. La direction de la DAFCO (Délégation académique à la formation continue) est encore pilotée par les rectorats.

Les GRETA souhaitent que les pouvoirs publics leur donnent les moyens de se battre. Leur rattachement à un lycée n'est pas un handicap en soi, mais le vide juridique portant sur leur absence de personnalité doit être comblé. Par exemple, des conseillers en formation continue (CFC) compétents dans l'action commerciale et l'ingénierie pédagogique nommés à la DAFCO, sont mis à la disposition du GRETA. Cependant, à défaut d'une vigilance permanente du directeur du GRETA, ces conseillers n'ont pas un engagement total sur le terrain. La DAFCO les appelle pour des opérations dites académiques, des travaux sur des projets d'ingénierie pédagogique. Ainsi, le GRETA bénéficie finalement peu de leurs compétences en matière d'action commerciale et ces CFC finissent par revendiquer une certaine indépendance vis-à-vis du GRETA. Cette situation aboutit au refus de la part des GRETA de travailler avec les CFC. Les GRETA privilégient alors, soit une embauche de commerciaux contractuels, soit une externationalisation du travail commercial.

De plus, une réflexion sur la question des rémunérations des formateurs doit être réalisée. Les GRETA du sud de la France, ainsi que ceux de Metz et Nancy, ont entamé ce processus. Il paraît inévitable que la rémunération horaire des formateurs, qu'ils soient vacataires purs ou personnel de l'éducation nationale employé en vacation, soit en adéquation avec les possibilités financières des organismes. Par exemple, lorsque nous répondons à un appel d'offre de la région Franche-Comté sur un produit relatif aux énergies nouvelles et aux produits recyclables, la région nous donne 5,32 euros par stagiaire. Notre GRETA a besoin de 85 euros pour rentabiliser ses formations. Par conséquent, il nous faudra un bon nombre de stagiaires pour nous assurer un équilibre budgétaire. Un organisme de formation privé qui rémunère son formateur 15 euros de l'heure doit recruter entre quatre et cinq stagiaires pour parvenir à l'équilibre financier. Nous connaissons donc un handicap. Nos rémunérations sont trop lourdes à supporter et ne sont pas en adéquation avec le travail effectué. Lorsqu'un professeur de BTS, habitué à des classes de vingt-huit élèves, retraduit, lors d'un stage d'apprentissage au sein du GRETA, son enseignement auprès d'une douzaine d'élèves maximum, il n'a pas vraiment de cours à préparer. Il enseigne dans les mêmes ateliers ; il n'a donc pas non plus de préparation d'atelier à réaliser. Les rémunérations très élevées que nous offrons pour un travail nécessitant peu de temps de préparation assurent aux formateurs des salaires vraiment confortables. Certaines fiches de paie de formateurs dépassent les salaires ministériels.

M. Jean-François Humbert - Ces établissements connaissent-ils un déficit chronique affirmé ?

M. Louis Moschetti - Certains GRETA, notamment dans l'académie de Besançon, sont en déficit. Ils enregistrent des pertes d'environ 250 000 euros pour un chiffre d'affaires de 900 000 euros. Il a donc fallu remettre de l'argent en mutualisant les établissements. Le GRETA que je préside réalise un bénéfice de 50 000 à 60 000 euros annuels grâce à une politique constante et journalière de surveillance budgétaire. Certains GRETA, gérés avec difficulté, fournissent des rémunérations trop lourdes par rapport à leur capacité financière et vivent dans un déficit chronique. Un rapport des inspecteurs généraux de décembre 2006 souligne ce problème des GRETA.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je suis impressionné par votre compétence et votre analyse lucide de la situation des GRETA. Je souhaiterais comprendre la manière dont se calcule le taux horaire de rémunération des formateurs. Comment se fait-il que nous connaissions une telle distorsion entre les 15 euros proposés par les organismes privés et les 42 euros offerts par les GRETA ?

M. Louis Moschetti - Il y a vingt ans, les rémunérations entre les GRETA étaient profondément diverses. Les comptables des établissements supports avaient du mal à répondre aux demandes des formateurs qui soulignaient les différences de rémunération entre les GRETA. En outre, les formateurs ne comprenaient pas qu'une heure de formation en GRETA soit moins bien payée qu'une heure supplémentaire d'enseignement en lycée. A cette époque, le GRETA de Montpellier a établi un barème qui est devenu une sorte de référence. Cependant, cette règle commune sur laquelle se sont alignés les autres GRETA n'apparaît dans aucun décret, ni aucune circulaire, ni même dans la loi de 1993. Pourtant, l'ensemble des GRETA se sont mis à payer selon le barème de Montpellier. A cette époque, les GRETA fournissaient des formations de 1 200 heures et ne rencontraient quasiment pas de concurrence avec des organismes privés. Aujourd'hui, dans une ville comme Besançon qui compte 120 000 habitants, nous disposons de quarante-deux organismes de formation. Par ailleurs, le barème de Montpellier a planifié une augmentation administrative régulière des tarifs. En effet, au départ, les rémunérations proposées étaient cohérentes avec le marché. Aujourd'hui, les rémunérations des formateurs ont explosé et ne sont plus du tout concurrentielles. Nous sommes au dessus de l'heure supplémentaire exceptionnelle (HSE), nous ne sommes pas loin de l'heure supplémentaire année (HSA) que perçoivent les professeurs. Par exemple, la faculté de Besançon paye ses professeurs 23 euros par heure de formation. Notre GRETA rémunère les formateurs du niveau BEP 25 euros. Nous avons donc pris la décision de payer l'ensemble des formateurs, qu'ils soient de BEP, de baccalauréat professionnel ou de BTS au niveau 5, c'est-à-dire 25 euros. Nous avons fait voter cette résolution en conseil d'administration. Néanmoins, sur certaines formations pointues accueillant un nombre de stagiaires suffisant, nous montons d'un cran voire de deux ; sans cela en effet, nous rencontrons des difficultés pour trouver des formateurs compétents. Idéalement, nous devrions payer 15 euros comme les organismes privés. Cependant, comme les prix sont élevés, les formateurs ne veulent pas travailler en dessous du tarif de 25 euros.

Mme Isabelle Debré - Disposez-vous d'une réelle liberté pour fixer ces rémunérations ?

M. Louis Moschetti - Il n'existe pas de règle officielle. Nous payons par niveau. En revanche, nous déterminons le niveau des stages. Par conséquent, nous pouvons décider qu'une formation « gestion du stress » que nous avons proposée récemment à la Banque de France pour 250 stagiaires soit qualifiée de niveau 5, afin de proposer une rémunération de 25 euros au formateur.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui a décidé de réaliser un module « gestion du stress » à la Banque de France ?

M. Louis Moschetti - Nous avons répondu à une demande de la Banque de France.

M. Jean-Claude Carle, président - Dans cet exemple, nous ne sommes pas en présence d'une offre de formation mais d'une demande de formation.

M. Louis Moschetti - Nous proposons également des formations « gestion du temps » ou même « gestion de la vie familiale », portant sur les relations entre parents et enfants en vue d'une bonne intégration dans le milieu scolaire.

Mme Isabelle Debré - Par ces exemples, nous constatons qu'il existe un réel problème. Ces types de formation sont vraiment aberrants. Une formation « gestion de la vie familiale » ne concerne en rien la formation professionnelle.

M. Jean-Claude Carle, président - Néanmoins, ces exemples sont intéressants. Ils expriment la loi de l'offre et la demande.

M. Louis Moschetti - Le plus grave est que nous répondions à ces demandes. Vous rencontrez des familles qui n'arrivent plus à comprendre le comportement de leur enfant en classe de cinquième au collège.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui vous a demandé ce module ?

M. Louis Moschetti - Un collège nous a fait cette demande suite à une réunion générale de parents d'élèves. Les familles ont financé la formation.

Mme Isabelle Debré - Pensez-vous que proposer ce type de formation soit de la compétence de l'éducation nationale ?

M. Louis Moschetti - Non, ce n'est effectivement pas notre rôle. Néanmoins, ce type de formation nous permet d'assurer notre équilibre financier. Il n'existe pas de texte encadrant notre zone d'intervention. Nous proposons des cours au sein de notre établissement scolaire qui sont bien sûr du ressort de la formation professionnelle, comme cuisine, restauration ou hôtellerie. Parallèlement, nous répondons à des demandes de particuliers par exemple en cuisine. Les gens viennent le mercredi après-midi apprendre à cuisiner le foie-gras. Ces personnes payent pour cet enseignement. Cela nous permet de gagner de l'argent. Les formations individuelles, gestion du stress, cuisine, macramé et autres, répondent à des demandes de particuliers. Nous avons choisi d'y souscrire pour faire entrer des recettes. La loi ne déterminant pas la zone d'intervention des GRETA, nous sommes libres de développer ce type d'activités. Ces formations sont généralement bénéficiaires.

Mme Isabelle Debré - Quel personnel assure des formations comme gestion du stress ?

M. Louis Moschetti - Notre établissement fait appel à du personnel formé et qualifié ISO. La compétence des formateurs est reconnue. Ils possèdent, le plus souvent, des diplômes en psychologie.

M. Bernard Seillier, rapporteur - La gestion du stress est un véritable enjeu. Le président des médecins du travail a écrit un livre sur le stress des cadres dans l'entreprise.

Vous avez évoqué le sujet du prototypage rapide. J'avais imaginé dans ma région Midi-Pyrénées mettre en réseau tous les centres de formation, les établissements de formation professionnelle, les laboratoires. Nous souhaitons mettre en place un centre de ressources en prototypage rapide. La plupart des PME ne disposent pas de ces outils et sont handicapées pour produire des prototypes en réponse à des appels d'offre. Si votre établissement est équipé des machines technologiques de prototypage rapide, vous pouvez également développer un marché pour répondre aux besoins des entreprises dans votre région. Avez-vous exploré cette piste ?

M. Louis Moschetti - Nous possédons une plate-forme technologique entre Besançon et Morteau. Nous avons constitué un GIP qui gère les travaux de prototypage rapide.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je souhaite revenir sur la question de l'orientation. Nous avons parlé du rôle des parents, mais nous n'avons pas évoqué les conseillers d'orientation. Par rapport à l'évolution rapide des métiers, les personnes responsables de l'orientation au sein des établissements scolaires réussissent-elles à suivre et à sentir ces changements ? Le système de l'orientation est-il bien organisé pour répondre aux besoins ?

M. Louis Moschetti - Ce point est terriblement sensible. Les membres de l'éducation nationale sont souvent en désaccord sur leurs analyses de cette question. Il y a vingt-cinq ans, 20 % des élèves passaient de troisième en seconde ; 40 % allaient dans les CET, car à l'époque les lycées techniques n'existaient pas, et le reste entraient dans la vie active directement ou par formation par apprentissage. Aujourd'hui, 95 % des élèves poursuivent leurs études dans une classe de seconde. Progressivement, les professeurs ont naturellement baissé leurs exigences puisque les pouvoirs publics nous imposent des quotas et nous interdit de faire redoubler les élèves. Au niveau du baccalauréat, certaines académies connaissent des situations dramatiques. L'année dernière, des épreuves au baccalauréat section S ont été notées sur 27 points au lieu de 20 afin de relever les résultats.

M. Jean-Claude Carle, président - Qui prend une telle décision ?

M. Louis Moschetti - Il n'existe pas d'autorisation officielle. Rien n'est écrit. Par exemple, suite à la crise du CPE, les élèves des grandes villes n'avaient pas eu le temps de finir le programme. Des consignes officieuses de clémence, d'amicales pressions, ont été données. Du coup, dans les petites villes comme Besançon qui n'avaient pas connu de troubles liés au CPE, nous avons eu huit élèves sur vingt-sept qui ont obtenu 20 sur 20 à une épreuve du bac STI. Cette décision de relever le barème à une notation sur 27 est prise par le jury, c'est-à-dire tout le monde et personne en même temps.

Par conséquent, je ne pense pas que l'augmentation du nombre de jeunes poursuivant leurs études en seconde de 20 % à 95 % soit la conséquence d'une amélioration de l'intelligence française sur les vingt-cinq dernières années. Cette hausse spectaculaire est le résultat d'une modification dans le mode d'évaluation des compétences et des connaissances des élèves. L'enseignement technique pourrait être une solution pour beaucoup d'élèves. Les professeurs qui y exercent sont, dans leur grande majorité, dévoués, compétents, mais malheureusement peu récompensés de leurs efforts. Néanmoins, ce système permet de limiter la casse.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Existe-t-il une coordination satisfaisante en matière de formation entre les objectifs et les actions des régions et du rectorat ?

Tenez-vous compte des offres d'emploi pour établir le programme des formations ? Répondez-vous aux besoins spécifiques des bassins d'emploi de votre région ?

M. Louis Moschetti - Il nous est très difficile de faire une approche de la situation locale au niveau de l'emploi. Les évolutions sont rapides. Cependant, ce n'est pas parce que cela est difficile que nous ne le faisons pas. Parfois, il existe aussi une volonté de ne pas le faire.

Concernant la coordination entre les actions de formation de la région et du rectorat, l'efficacité de ce travail dépend grandement des personnes. Lorsque les relations sont bonnes, la coordination est efficace.

M. Bernard Seillier, rapporteur - L'évolution des formations vers un apprentissage de la technicité devrait accroître la polyvalence des personnes formées.

M. Louis Moschetti - En effet, les personnels futurs devraient être plus polyvalents et plus adaptables. Cet objectif constitue clairement une volonté de l'éducation nationale.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Comment se porte l'alternance en matière de formation professionnelle initiale ?

M. Louis Moschetti - Aujourd'hui, les contrats d'apprentissage ou de professionnalisation s'avèrent essentiels. Ils répondent à la volonté d'indépendance des jeunes sur le plan financier et aux besoins de nombreuses familles. L'apprentissage est une solution financière. Cet enseignement a de l'avenir car il répond aux demandes des élèves qui auraient dû se diriger vers l'enseignement professionnel. Cependant, une synergie doit être réalisée entre l'apprentissage, la formation initiale et la formation continue, afin d'obtenir une vue clarifiée de la situation.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Comment se déroule l'articulation entre les Centres de formation d'apprentis (CFA) et les lycées professionnels ? Nous entendons souvent qu'ils connaissent des difficultés à coopérer.

M. Louis Moschetti - Depuis 2002, dans notre région, un CFA académique a été créé. Il fonctionne bien et nous permet de disposer d'une vue de l'apprentissage au niveau des lycées beaucoup plus claire.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Quelles solutions préconisez-vous pour renforcer le suivi éducatif des jeunes sortis du système scolaire sans formation ni diplôme ? Avez-vous des idées pour favoriser l'insertion des jeunes sur le marché de l'emploi ?

M. Louis Moschetti - Les causes conduisant les jeunes à sortir du système scolaire sans formation ni diplôme sont multiples. La première cause est bien sûr l'échec scolaire. Une autre raison que nous rencontrons fréquemment est la barrière de la majorité. A Besançon, nous disposons de cinq lycées généraux et trois lycées professionnels. Chaque année, une centaine de jeunes quittent le lycée le jour de leurs dix-huit ans. L'échec scolaire n'est pas en cause. Parmi ces élèves qui abandonnent leur formation, un bon nombre ont les capacités nécessaires pour obtenir un diplôme, sont travailleurs et ne constituent pas des cas sociaux. Leur volonté d'indépendance s'associe souvent à une forte opposition à la famille. Une grande partie de notre travail aujourd'hui est donc d'assurer un travail social.

Une autre cause à l'abandon de la scolarité réside dans une volonté d'interrompre les études pour quelques années afin de gagner sa vie, avec l'idée de reprendre une formation plus tard. Nous recevons fréquemment des jeunes qui reviennent dans notre établissement deux ans après l'avoir quitté pour reprendre des études. Nous avons également des élèves qui reviennent de la faculté où ils ont échoué en première année et qui souhaitent entamer un BTS. Je vous rappelle que les échecs en première année d'université s'échelonnent de 25 % à 60 % selon les filières. De ce côté-ci, il existe aussi un réel dysfonctionnement.

L'insertion de ces élèves, qui reviennent chez nous après une expérience de vie professionnelle, n'est pas aisée. Nous devons leur proposer des formations adaptées et hors des établissements scolaires. Cette situation nous demande un important travail. Nous accueillons aussi des personnes qui prennent conscience, au bout de plusieurs années de travail et une fois les problèmes de la jeunesse évacués, qu'ils ont besoin de formation professionnelle pour évoluer sur le marché du travail. Ils constatent que leur manque de formation initiale reste un frein. Face à ce public, nous devons disposer de personnel capable d'agencer les parcours. Il ne suffit pas de leur proposer une formation pour obtenir un métier. Nous devons planifier leur parcours, effectuer un point sur leurs acquis de l'expérience, sur leur situation psychologique, identifier leurs faiblesses, afin de permettre à ces stagiaires de se sentir bien et de se diriger vers la voie qui leur convient. J'estime que la réinsertion dans le milieu de la formation professionnelle des personnes qui ont quitté le système scolaire sans aucun diplôme est un travail fort complexe.

M. Jean-Claude Carle, président - Les témoignages que vous nous apportez sont vraiment enrichissants car ils viennent de l'expérience de terrain. Notre système ne souffre-t-il pas d'un déficit de partenariat entre les différents acteurs de ce domaine, les directeurs d'établissement, les enseignants, les élèves, les parents et le monde professionnel ? Le plus souvent, les élèves quittent le système scolaire parce qu'une entreprise leur offre un travail pour démarrer. Cette entreprise profite d'une certaine manière de la situation. Pouvons-nous envisager des partenariats avec ces entreprises ?

Concernant les GRETA, nous devons garder le lien qui unit ces structures à l'éducation nationale. Cependant, il n'est pas souhaitable que les GRETA demeurent dans ce vide juridique dangereux pour leur équilibre financier. Nous pourrions imaginer de faire entrer au sein du conseil d'administration des GRETA des représentants du monde professionnel et économique. Ces professionnels sont les destinataires des formations que les GRETA proposent et assurent.

A propos des équipements disponibles dans les établissements, il n'est pas acceptable que des machines coûteuses ne soient bien souvent utilisées qu'une dizaine d'heures par semaine. J'ai rencontré des dirigeants d'entreprise envieux face aux équipements détenus par les établissements de l'éducation nationale, qu'ils n'auraient absolument pas les moyens de se payer. Pourrions-nous envisager des partenariats avec les entreprises de proximité afin de rentabiliser ces machines et de créer des liens avec le milieu professionnel local ? En retour de leur utilisation des machines, les entreprises pourraient apporter leur savoir-faire ou accueillir des jeunes ?

M. Louis Moschetti - Le partenariat relatif à l'utilisation des machines avec les entreprises locales s'avère totalement nécessaire. Cependant, hors du monde de l'enseignement technique, nous rencontrons une forte opposition de la part du personnel de l'éducation nationale. L'école n'est pas prête à mettre en place des partenariats avec le monde extérieur. Le monde de l'éducation nationale demeure un monde clos au sein duquel est dispensé un enseignement de la culture généraliste, et pour lequel il n'est pas question de perdre son art. Néanmoins, une synergie doit être trouvée puisque l'enseignement technique coûte cher, beaucoup trop cher. La question de la rentabilité des machines acquises par l'éducation nationale se pose fortement. Cependant, les mentalités doivent profondément évoluer. Néanmoins, les jeunes professeurs sont plus ouverts que leurs aînés. Chaque année, lors de nos journées portes-ouvertes, environ soixante-dix chefs d'entreprise viennent dans notre établissement. Nous leur présentons des expériences de prototypage rapide. Nous avons des échanges avec eux. Ils accueillent également des stagiaires au sein de leur entreprise.

Concernant le statut des GRETA, il a déjà connu une petite évolution. Le conseil d'administration comprend bien sûr les représentants des collectivités territoriales, mais aussi des représentants des stagiaires qui nous apportent un éclairage sur les attentes des personnes formées au sein des GRETA. Cependant, nous devons repenser la structure des GRETA en définissant le rôle de chacun et la manière dont les activités sont dirigées. Les GRETA de l'académie de Besançon ont mis en place des indicateurs financiers, issus de la comptabilité générale et de la comptabilité publique. Nous aboutissons à l'obtention d'un vrai modèle de gestion. Nous disposons d'indices d'alerte, véritables clignotants en cas de danger. Par conséquent, dans la nouvelle comptabilité publique, nous pouvons enfin disposer d'un outil s'approchant d'un modèle de gestion. Par ailleurs, nous devons définir nos limites commerciales. Quel est le rôle d'un GRETA ? Que doit-on y enseigner ? Les formations comme « la gestion du stress » que nous avons évoquées tout à l'heure devraient être assurées par la région, qui est proche du monde de l'entreprise, et non par une structure de l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle, président - Le déficit de partenariat est lié aux corporatismes qui demeurent en effet très forts. Il est difficile de faire évoluer le système.

M. Louis Moschetti - Il n'y a jamais eu d'audit réel et sérieux sur ce sujet au sein de l'éducation nationale.

Audition de Mmes Édith ARNOULT-BRILL et Claude AZEMA, membres du Conseil économique et social (6 juin 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous accueillons Mmes Edith Arnoult-Brill, rapporteur de la mission sur la sécurisation des parcours professionnels, et Claude Azéma, membre de la section des affaires sociales, du Conseil économique et social.

Mme Edith Arnoult-Brill - En réponse à vos interrogations, je focaliserai mon exposé sur les points de notre étude portant sur la sécurisation des parcours professionnels liés à la formation. Au Conseil économique et social, nous nous situons souvent sur des positions de principe plutôt que sur des mesures opérationnelles. Néanmoins, concernant un certain nombre d'objets relatifs à la formation professionnelle, nous présentons des recommandations qui méritent d'être approfondies et peuvent être utiles à votre réflexion. Notre conception de la sécurisation des parcours professionnels s'affranchit de la seule gestion des ruptures de travail. Notre approche ambitieuse cherche davantage à s'attacher à l'ensemble des situations professionnelles. Nous considérons que le parcours professionnel constitue un élément de la trajectoire de vie. Par conséquent, le dispositif actuel de la formation professionnelle n'est pas adapté à notre vision de la sécurisation des parcours professionnels. Il mérite de connaître un accroissement de son efficacité.

Nous présentons des propositions en suivant l'idée d'une continuité de vie devant offrir une meilleure gestion des ruptures. Pour les salariés en activité, nous nous situons dans une démarche de maîtrise de parcours et d'anticipation des phénomènes de mobilité, afin que les changements deviennent plus choisis que subis. Aujourd'hui, la mobilité constitue un nouvel élément essentiel du monde du travail. Cependant, nous constatons un recul de la mobilité choisie au profit de celle qui est subie.

Notre première suggestion pour accroître l'efficacité de la formation professionnelle s'attache à la garantie de la continuité des droits. Ce premier principe mis en évidence par nos travaux indique que les droits ne doivent plus être attachés au contrat de travail mais à la personne. Les droits liés à la qualification professionnelle, quel que soit son mode d'acquisition, doivent devenir des droits transférables. Nous observons que la réforme de la formation professionnelle de 2003-2004 favorise largement la construction du parcours de formation. Néanmoins, des freins subsistent, empêchant d'apporter une véritable sécurisation des parcours professionnels. Nous constatons que, malgré les améliorations, le parcours de formation continue à se vivre au sein de l'entreprise.

Nous recommandons que le Droit individuel à la formation (DIF) devienne également un droit transférable. Aujourd'hui, des expérimentations existent dans les branches. Nous devons favoriser les négociations collectives et le dialogue social avant toute initiative de transposition des décisions dans la loi. Le DIF peut être un droit réellement transférable. Nous avons effectué un état des lieux de l'expérimentation dans les branches professionnelles. Nous souhaitons dépasser le stade de l'expérimentation pour aboutir à une normalisation de cette démarche afin de la rendre pérenne. Nous pouvons envisager des approches interprofessionnelles permettant le portage par les personnes de ce droit individuel à la formation d'une branche à l'autre, d'une entreprise à l'autre et d'un secteur à l'autre.

Le deuxième point porte sur la gestion des ruptures. Nos travaux se sont principalement intéressés à la gestion des périodes de chômage. Néanmoins, nous n'ignorons pas que certaines ruptures au niveau du travail sont liées à la vie sociale et personnelle. En nous canalisant sur les salariés en rupture de contrat de travail pénétrant dans le champ du chômage, nous soulignons la nécessité de promouvoir l'idée que cette période ne doit pas être uniquement tournée vers la recherche d'un emploi. Puisque la qualification et la formation sont des atouts pour le retour à l'emploi, nous estimons que la période de chômage doit contenir des modules de formation afin de faciliter le retour à l'emploi. La formation permet une meilleure gestion de la période d'inactivité, ainsi qu'une anticipation des ruptures à venir. Nous devons disposer d'une offre de formation adaptée à ce public. En outre, nous proposons une utilisation différente du temps de chômage pour le demandeur d'emploi à travers un nouveau rapport aux services publics. Ces nouvelles relations centrées sur la confiance et l'accompagnement doivent permettre d'entamer un bilan de compétences ou de s'inscrire dans un dispositif de VAE.

Notre rapport préconise la réalisation d'une expertise sur la question de l'extension du principe du plan d'action établi avec le demandeur d'emploi. Ces plans d'action existent aujourd'hui dans le cadre des conventions de reclassement personnalisé et dans les contrats de transition professionnelle. Nous estimons que ces dispositifs, aujourd'hui mis en place par les services publics uniquement dans le cadre des licenciements économiques, devraient être étendus, afin de bénéficier aux personnes les plus éloignées de l'emploi et les moins qualifiées.

Un de nos principaux objectifs est d'anticiper et de maîtriser la vie professionnelle. Nous développons une approche ambitieuse de la sécurisation des parcours professionnels. Nous partons du principe qu'un niveau élevé de formation accroît les possibilités de mobilité maîtrisée. Nous nous situons donc dans une autre facette de la sécurisation des parcours. Ainsi, le développement de la formation professionnelle devient un outil essentiel de cette maîtrise du parcours professionnel. Nous constatons une forte inégalité d'accès à la formation tout au long de la vie. Cette inégalité est liée au niveau de la formation initiale. Les personnes bénéficiant d'un niveau élevée de formation initiale sont inscrites dans les dispositifs de formation continue tout au long de la vie. Le sexe, l'âge et la taille des entreprises constituent également des facteurs forts d'inégalité d'accès à la formation.

Par conséquent, nous devons nous préoccuper des personnes entrant dans le monde du travail avec un niveau limité de formation initiale. Dans ce domaine, l'information devient primordiale. Nous devons donner de nouveaux moyens aux dispositifs de formation professionnelle afin de mettre en place des actions qui s'adressent à l'ensemble des salariés, en tenant compte particulièrement des personnes possédant une formation initiale courte, ainsi que des jeunes et des séniors.

Nous devons être capables de proposer des stratégies en matière de formation professionnelle qui prennent en compte les évolutions technologiques, y compris au sein de l'entreprise, quelle que soit la nature de son activité. Nous abordons alors le problème de la responsabilité des entreprises en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Nous nous apercevons que seules 40 % des entreprises possèdent un plan de formation. Par conséquent, malgré les dispositifs attachés aux droits, nous ne disposons pas de dynamisme suffisant au coeur même de l'entreprise pour être à la fois dans la satisfaction des aspirations des salariés et assurer, avec une vision prospective, l'amélioration de la compétence des salariés pour accroître la performance de la société.

Nous avons longuement débattu sur l'importance de faire émerger un nouveau droit, celui d'une formation obligatoire tous les trois ans. Après des discussions animées, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait instaurer une obligation de formation au minimum tous les cinq ans. Pour les syndicats de salariés, l'installation de ce nouveau droit peut apparaître comme une contrainte, peu mobilisatrice. En revanche, les entreprises privées ont saisi cette suggestion et ont proposé que ce nouveau droit soit partagé, c'est-à-dire que l'obligation de formation pèse aussi sur l'employeur. Cette idée d'une obligation de formation nous est venue suite au constat que les salariés au sein des entreprises ne sont jamais proches des dispositifs de formation. Les salariés les plus bas dans l'échelle de l'emploi ont le moins facilement accès à la formation. Nous estimons donc que le dispositif d'information des salariés sur les possibilités de formation doit être renforcé. En outre, un accompagnement pour soutenir le départ en formation doit exister afin de lutter contre les résistances psychologiques. Par ailleurs, nous devons renforcer l'offre de proximité afin de faciliter l'accès à la pratique de la formation.

Nous avons étudié les différents dispositifs de formation, CIF, DIF et VAE. Nous jugeons que le CIF reste peu développé et nécessite un vrai travail de développement pour rendre ce dispositif efficace. Lorsque nous analysons les statistiques, nous constatons que la demande de CIF est forte de la part des salariés, mais que de nombreuses demandes demeurent insatisfaites. Aujourd'hui, un salarié qui effectue la démarche de demander un CIF doit déposer son dossier trois années de suite avant de voir sa demande aboutir et de pouvoir intégrer le dispositif. Cette situation est donc fort décourageante. Pourtant, les chiffres nous montrent que les salariés expriment un véritable intérêt pour le CIF. Il est donc urgent de faciliter l'accès à ce dispositif.

Concernant la validation des acquis de l'expérience, nous estimons ce dispositif essentiel car il est ouvert à tous les citoyens en dehors du contexte pur du travail. La VAE peut ainsi répondre aux aspirations des personnes qui ne sont pas dans l'emploi. En 2004, deux tiers des postulants à la VAE visaient un diplôme de niveau CAP, BEP ou baccalauréat professionnel. Par conséquent, la VAE peut répondre aux exigences de qualification des personnes les moins diplômées. Cette voie demandée produit des résultats positifs. Néanmoins, une série de problèmes pratiques dans son application apparaît. Ce dispositif reste perçu comme complexe. Des mesures d'accompagnement doivent être envisagées. Des moyens supplémentaires sont nécessaires car la VAE demande du temps dans son exécution, ce qui risque de la rendre dissuasive. Le processus d'accès à la certification professionnelle reconnue doit être simplifié et surtout ne pas être interrompu. En effet, dans la perspective de la sécurisation du parcours professionnel, la VAE doit pouvoir se poursuivre quelle que soit la situation du demandeur. Un salarié s'étant engagé dans la voie de la VAE doit pouvoir continuer ce processus même s'il devient demandeur d'emploi. Le dernier point relatif à la VAE qui nous tient à coeur porte sur la fonction de transition de la VAE entre formation initiale et continue. La validation des acquis de l'expérience doit s'adapter à l'expérience des jeunes connaissant des difficultés pour entrer sur le marché du travail. Cette catégorie de population est douée d'une forte capacité d'engagement, en particulier dans le milieu associatif. Cet investissement bénévole mérite de révéler des compétences, d'être reconnu et pris en compte afin de valoriser le curriculum vitae.

A propos de l'intégration du service de l'orientation au service de la formation professionnelle, nous aboutissons à l'idée de la mise en place d'un système nouveau à partir d'un dialogue social approfondi. Nous devons proposer un ensemble plus cohérent de services. Aujourd'hui, le service public de l'emploi éprouve des difficultés pour prendre en compte l'usager dans sa globalité. Il fournit des réponses atomisées, traitant les dossiers au cas par cas, que ce soit dans le domaine de la formation, de l'orientation ou de l'emploi. Nous proposons un système de formation plus efficace, et un service de l'orientation intégrant davantage l'éducation nationale, afin de mieux articuler la formation initiale et la formation continue. Ce service de l'orientation doit unifier à la fois l'éducation nationale et l'environnement économique.

Le système de formation professionnelle demeure complexe et mal connu. Nous devons gommer cette distinction rigide entre formation initiale et formation continue. Les régions ont un rôle à jouer pour articuler efficacement ces deux types de formation, en mettant en adéquation les besoins de formation et la situation de l'emploi. Cependant, nous ne proposons pas que toutes les décisions se prennent au niveau régional. Les régions par essence ne sont pas les mieux placées pour satisfaire les questions de mobilité choisie. En revanche, suite à la loi de mai et août 2004, la région peut assurer un renforcement de la cohérence de tous les acteurs en matière de formation professionnelle, d'emploi et d'orientation sur le territoire régional. Une dynamique de concertation et de coopération entre les partenaires sociaux, l'État régalien et la région, à la fois assemblée politique et administration territoriale, est indispensable pour permettre la réussite de ces missions.

Nous tenons à souligner l'absence de rapport entre le service public de l'emploi et la formation professionnelle. Les acteurs de la formation professionnelle, les branches professionnelles, l'OPCA, l'assurance chômage, l'État et la région semblent très éloignés des attentes des demandeurs d'emploi en matière de formation et d'orientation vers une formation adaptée au retour à l'emploi. Une clarification des responsabilités de chacun de ces organismes s'impose. Malgré le renforcement du rôle des branches professionnelles, une révision des mécanismes de collecte des fonds et de financement paraît souhaitable. Malheureusement, le Conseil économique et social n'a pas pu développer ce sujet pour vous fournir des suggestions sur ce qu'il conviendrait de mettre en place. Nous avons étudié la réforme proposée par le service de l'emploi et de la formation. Cependant, nous rencontrons des difficultés pour trouver un consensus sur ce sujet et nous n'avons pas poursuivi nos travaux en ce sens. Néanmoins, aujourd'hui, le volume de fonds destiné à la formation professionnelle nous paraît suffisant. En revanche, une certaine opacité demeure. Ce constat ne porte pas un jugement sur les acteurs qui gèrent ces fonds. Nous estimons qu'une mutualisation serait positive, avec l'accord des partenaires sociaux.

Mme Claude Azéma - Mon exposé porte sur la professionnalisation des emplois de services. Ces emplois représentent 1,5 million d'employés de maison et d'aides à la petite enfance, comprenant 250 000 gardes d'enfant, 1 million de femmes de ménage gré à gré et 200 000 salariés dans les associations. A l'intérieur de ces emplois de services, de fortes disparités existent car les dispositifs conventionnels restent très hétérogènes. Le secteur des services à la personne à but lucratif ne dispose pas d'une convention collective. Aucune convention n'est applicable dans les domaines de la garde d'enfant, du soutien scolaire ou des cours à domicile.

En outre, les services à la personne font coexister deux branches professionnelles. Ces services recouvrent des activités infiniment complexes, variées, allant de fonctions ne requérant qu'un minimum de qualification à d'autres réclamant de fortes compétences. Les services à la personne vont des tâches d'entretien ménager, ne demandant pas vraiment de qualification, puisque ce travail s'effectue au sein des foyers en général par les femmes, à l'assistance aux personnes âgées très dépendantes nécessitant des compétences qui confinent pratiquement aux professions règlementées. Le panorama de ces postes s'avère donc extrêmement vaste.

De plus, ces services heurtent différents secteurs de l'économie. Par exemple, une personne travaillant auprès d'une personne âgée s'occupe de la coiffer. Cette tâche simple reste quotidienne. En revanche, si l'employé lui coupe les cheveux, cette tâche relève de l'artisanat. Nous entrons alors dans un conflit de professionnels. Le problème est équivalent en ce qui concerne les tâches relevant de la prévention des escarres, travail partagé par les aides soignantes et les infirmières. Cette difficulté pour qualifier les fonctions donne matière à réflexion. Par ailleurs, le statut des intervenants est très différent selon la nature de l'activité, bénévole ou salariée.

En conclusion, nous constatons que 85 % des personnes travaillant dans les services à la personne ne sont pas diplômées. De nombreux diplômes existent émanant de l'éducation nationale, des ministères de la santé, du travail, de l'agriculture, ainsi que de la branche de la Fédération nationale des particuliers employeurs qui a constitué un certificat de qualification professionnelle (CQP).

Par conséquent, les dispositifs se superposent sans fournir un ensemble cohérent. J'ai lu les comptes rendus de vos auditions précédentes qui font ressortir des interrogations récurrentes sur le fonctionnement interministériel et l'hégémonie de l'éducation nationale. Dans ce secteur professionnel, nous sommes également confrontés à ces difficultés. Face à ce personnel très hétérogène, devons-nous réclamer à une personne, assurant des tâches ménagères et gardant des enfants chez un particulier, à la fois la possession d'un CAP de technicien de surface pour balayer, et d'un CAP d'aide à la petite enfance pour s'occuper des petits ?

Nous estimons nécessaire d'assurer une qualification à ces personnes. Puisqu'elles ne sont pas diplômées, nous devons partir de leurs compétences. Nous réfléchissons donc, avec les partenaires sociaux et les ministères, à l'élaboration d'un coeur de compétences pour les travaux d'aide à domicile. Ce bloc peut comprendre des qualités relationnelles, des qualités d'accompagnement, des qualités de communication, des notions d'hygiène et de sécurité. A partir de ce bloc de compétences, nous pourrons proposer des formations modulaires en fonction de l'orientation et de la spécialité choisie. Cette formule nous paraît préférable à celle de la création d'un nouveau diplôme. En effet, le principal défaut de l'éducation nationale est sa tendance naturelle à une création à outrance de diplômes, en cherchant à suivre au plus près toutes les technologies et les innovations de la formation professionnelle. Par conséquent, nous disposons aujourd'hui de près de 15 000 titres ou diplômes homologués. Néanmoins, l'éducation nationale, à travers les commissions professionnelles consultatives (CPC), envisage maintenant de compresser cette profusion de diplômes, en gardant un coeur de métier sur les BEP et en proposant des spécialisations annexes. Actuellement, nous connaissons un développement du principe du tronc commun fonctionnant avec des modules.

M. Jean-Claude Carle, président - Les 15 000 diplômes homologués comprennent-ils tous les niveaux du CAP à la licence professionnelle ou au master ?

Mme Claude Azéma - Les 15 000 titres ou diplômes homologués couvrent tous les niveaux et tous les secteurs. Ce système est peu lisible pour le public.

Mme Isabelle Debré - En outre, certains de ces diplômes ne servent strictement à rien. Ils n'aboutissent pas à un emploi.

Mme Claude Azéma - Le système fonctionne sur un emboîtement des diplômes. Un élève commence par obtenir un BEP, qui en effet ne sert à rien, puis il poursuit vers un baccalauréat professionnel qui mène vers l'emploi. Nous réclamons depuis de nombreuses années une possibilité de réduction du nombre d'années de formation en fonction des compétences de chaque individu. Cependant, une telle suggestion perturbe fortement notre système de formation initiale qui demeure très tubulaire et cloisonné. Les passerelles théoriquement possibles ne sont pas réellement organisées sur le terrain. Nous ne devons pas oublier que l'éducation nationale est la deuxième entreprise mondiale après les chemins de fer indiens en nombre de salariés. Par conséquent, le système est lourd et difficile à faire bouger.

M. Jean-Claude Carle, président - Ma remarque peut vous paraître provocante, mais ne pensez-vous pas que le BEP est un diplôme inutile ?

Mme Claude Azéma - L'utilité du BEP varie en fonction du secteur et de la spécialité. Les BEP de mécanique et d'électronique permettent encore, avec difficulté, de trouver un emploi de niveau 5. En revanche, les BEP secrétariat n'aboutissent pas à l'emploi.

M. Jean-Claude Carle, président - Le BEP est coincé entre le CAP et le baccalauréat professionnel. A quoi sert-il ?

Mme Claude Azéma - Nous pourrions évidemment envisager un baccalauréat professionnel en trois ans, comme le cycle du lycée général. L'enseignement pourrait être décloisonné, car certains élèves ont aujourd'hui un niveau dans les matières générales largement supérieur à ce qui est nécessaire. En revanche, les enseignements techniques pourraient être augmentés. Ce problème renvoie aux lacunes du collège, au manque de culture technologique et professionnelle. Ce constat, mis en avant par la commission Thélot, est partagé par l'ensemble de la population. Nous le retrouvons dans tous les rapports. Il est vraiment universel. Pourtant, l'application de réponses adéquates n'émerge pas.

Pour revenir aux métiers de l'aide à la personne, je tiens à souligner que le ministère de la santé campe sur ses diplômes et refuse la reconnaissance de ceux de l'éducation nationale. Les représentants de ce ministère considèrent que les élèves sortant des BEP sanitaires et sociaux ne valent rien. La CFDT, dont je suis membre, mène une réflexion sur ce sujet depuis plusieurs années afin d'harmoniser les secteurs de l'éducation et de la santé et lever ainsi les blocages existants entre le ministère de la santé et celui de l'éducation nationale.

A propos des personnes exerçant dans le secteur des services à la personne, nous recommandons le recours plus fréquent à l'alternance sous statut de salarié. Ces personnes sont déjà dans l'emploi. Elles possèdent donc des compétences professionnelles. Nous souhaitons un développement de l'apprentissage ou du contrat de qualification. Si nous arrivions à organiser ces mesures à l'intérieur de l'éducation nationale, un progrès considérable serait accompli. En outre, nous devons utiliser le dispositif de la VAE dans ce secteur. En effet, les personnes détiennent les compétences avant que nous leur en faisions prendre conscience, un peu comme un enfant qui apprend à parler sans s'en rendre compte. Cependant, la VAE réclame un effort de la part de ces personnes, en particulier en ce qui concerne la formation générale. Finalement, ces travailleurs possèdent les compétences pratiques, mais il leur est difficile d'expliquer et de transmettre aux autres leur expérience. Le passage par l'écrit s'avère également complexe. J'ai rencontré une ATSEM travaillant dans une collectivité territoriale qui effectuait une demande de validation des acquis de l'expérience pour obtenir le CAP. Le jury lui a demandé si elle employait des produits fongicides ou bactéricides. Cette personne n'a pas pu fournir la réponse attendue et a indiqué les produits que lui donnait la mairie. Malheureusement, elle n'a pas obtenu sa VAE. Le jury a considéré qu'en matière d'hygiène et de sécurité, elle se devait de maîtriser ces termes.

Les prestataires ou les mandataires de services encadrant les intervenants doivent également bénéficier d'une professionnalisation. En outre, nous devons soutenir les efforts de professionnalisation des structures d'insertion. Un de nos principaux soucis porte sur les personnes ne possédant aucune qualification. Nous estimons indispensable de les amener à acquérir une première qualification. Des études nous montrent qu'une personne détenant une première qualification peut réussir à acquérir un niveau de technicien supérieur. En revanche, les personnes ne disposant d'aucune qualification n'obtiennent en général pas de diplôme et ne suivent jamais de formation continue. En effet, ces personnes gardent de très mauvais souvenirs de l'école. Elles assimilent tout ce qui se rapproche de la formation professionnelle au milieu scolaire et refusent d'intégrer ces dispositifs.

Les élèves qui sortent de l'éducation nationale sans aucun diplôme, c'est-à-dire qui quittent la classe de troisième sans obtenir le brevet, constituent le noyau dur de l'exclusion. Cette situation concerne au moins 60 000 élèves chaque année. Ce chiffre reste stable depuis 1993. Face à ce problème, nous préconisons la mise en place d'un droit à une formation différée. Selon le principe de solidarité, nous pensons que la nation peut consacrer autant de moyens financiers à ces exclus du système qu'à ceux qui suivent deux années de classes préparatoires aux grandes écoles. Les pouvoirs publics donnent 6 000 euros par an et par enfant au niveau du collège et 12 000 euros en classe préparatoire. Nous disposons ici d'une petite marge de manoeuvre pour donner à chaque individu les mêmes moyens de réussir mais à des moments différents en fonction du parcours de chacun.

Les formations professionnelles destinées à insérer des personnes sans aucune qualification doivent être liées à la région et aux pratiques territoriales. Les collectivités territoriales participent fortement au financement, en particulier des structures d'insertion.

En outre, si nous voulons améliorer la formation professionnelle dans le secteur des emplois de services, il est indispensable de permettre aux gens de travailler à temps complet. En effet, l'emploi à temps partiel ne donne pas accès au droit commun, à la protection sociale et à la formation professionnelle. La solution de ce problème passe par la création d'entreprises mandataires et prestataires de services se chargeant d'employer les personnes à temps complet pour leur assurer l'accès à la protection sociale et à la formation. Dans cette optique, nous pouvons espérer l'apparition d'une série de véritables métiers qui pourront attirer les garçons. Le rapport du Centre d'analyses stratégiques indique qu'une forte proportion d'emplois de cadres va être créée ainsi que des emplois peu qualifiés. Les emplois pas qualifiés du tout tendront à disparaître. Ce rapport annonce une disparition de 180 000 emplois non qualifiés dans ce secteur. L'apparition d'emplois qualifiés dans un secteur s'accompagne toujours de l'investissement par les hommes des postes. Ainsi, à travers les emplois de services, nous arriverons peut-être à bouleverser les traditions et à changer les mentalités qui jugent les tâches ménagères réservées à la gente féminine.

M. Jean-Claude Carle, président - Je me méfie des concepts comme la formation tout au long de la vie, ou la sécurisation du parcours professionnel. Que mettons-nous derrière ces termes ? Comme l'a exprimé le président Delors au cours de son audition, l'utilisation de ces concepts n'est-elle pas une manière de ne pas répondre concrètement à la question posée par la formation ? Nous avons déjà pu constater ce phénomène avec le concept du développement durable. Il a fallu attendre une dizaine d'années entre l'apparition du terme en 1996 et le début d'une prise en compte réelle des problèmes rencontrés. Qu'entendez-vous par sécurisation des parcours professionnels ?

Mme Edith Arnoult-Brill - Le rapport du Conseil économique et social apporte dans le paysage une précision. Nous avons cherché à cerner les contours du concept de sécurisation du parcours professionnel. Aujourd'hui, ces termes sont fréquemment utilisés. Pourtant, ce concept a émergé dans le secteur de la recherche au début des années quatre-vingt-dix. Dans la sphère du travail avec les partenaires sociaux, dans la sphère de la recherche en sciences sociales et dans celle du politique, l'idée qui est mise derrière de concept de sécurité sociale professionnelle est différente. Une de nos premières tâches a été d'étudier les modèles étrangers, en particulier les pays scandinaves et l'Autriche. Nous avons pu constater lors des débats politiques pour l'élection présidentielle récente que la référence aux pays voisins est permanente. Nous observons qu'il existe autant de définitions du concept, plus ou moins ambitieuses, parfois très éloignées les unes des autres, que de personnes qui en parlent. Ainsi, il est quasiment impossible de donner une définition précise du terme de sécurisation du parcours professionnel.

C'est pourquoi le Conseil économique et social a souhaité s'emparer du sujet. Nous ne considérons pas les exemples étrangers comme des modèles car ils ne sont pas transposables. Ce qui existe dans les autres pays peut être performant, cependant il est impossible de le transposer intégralement. Ils se situent dans des bassins de population largement inférieurs au nôtre, ainsi que dans des contextes de solidarité différents. Nous prenons ces exemples comme des pratiques pertinentes à analyser au regard de leur modèle sociologique, économique et social.

J'estime que la sécurisation des parcours professionnels constitue une question de société. Cette approche conduit à l'émergence de la notion de trajectoire de vie. Ainsi, nous sortons l'approche de la sécurisation des parcours professionnels du seul champ du travail. Nous ne nous arrêtons pas au contrat de travail. Notre débat a été vif au sein du Conseil économique et social sur cette vision qui dépasse la simple sécurité de l'emploi.

Pour le Conseil économique et social, la sécurisation des parcours professionnels est une réponse collective à des besoins diversifiés apportée à tous les individus, actifs ou demandeurs d'emploi, s'appuyant sur un système de garanties permettant la réalisation de mobilité et l'accomplissement d'un projet professionnel dans un parcours de vie.

Nous estimons que le guichet unique, le dispositif d'accompagnement personnalisé, le DIF, la VAE constituent des éléments du parcours, mais ne créent pas un système. Ces mesures restent atomisées. Tous ces dispositifs seraient plus utiles et efficaces s'ils prenaient en considération l'idée qu'un parcours s'inscrit dans la continuité d'une trajectoire de vie. Aujourd'hui, la réforme laisse supporter par les personnes, en particulier les plus éloignées de l'emploi, la complexité du service public en général. L'accompagnement fonctionne dans cet univers atomisé et non dans une approche globale pourtant souhaitable. La mobilité peut être une chance dès lors que nous sécurisons le parcours, grâce à des droits et à la promotion d'une culture de mobilité.

Aujourd'hui, un salarié dispose de trente-neuf types différents de congés (maternité, sans solde...). Par conséquent, nous ne devons pas créer des nouveaux droits, mais harmoniser ce qui existe. Nous nous situons sur des strates de congés qui se sont empilées au fil du temps, créant un nouveau maquis dans lequel le salarié ne se retrouve pas toujours. Pourtant, un salarié peut désirer faire une pause par rapport à son travail. Cette pause peut être favorable à plusieurs niveaux. Elle peut offrir une opportunité d'emploi à celui qui va le remplacer. Elle peut être déterminante sur la maîtrise de son propre parcours. Aujourd'hui, nous constatons que le frein au départ du salarié en congé de formation se situe dans le retour au poste de travail qui n'est pas sécurisé.

Notre approche de la sécurisation des parcours professionnels ne relève donc pas du tout d'une idée de sécurité sociale professionnelle. La personne porte des droits transférables et son univers doit s'adapter à cette nouvelle philosophie. Nous devons admettre que la mobilité constitue une nouvelle donne du monde du travail et nous devons en faire un élément de dynamisme.

La VAE doit être placée dans une dynamique avec un regard prospectif. La VAE ne doit pas s'arrêter au constat passé d'une expérience, mais s'inscrire dans une démarche de projection vers l'avenir.

La sécurisation des parcours professionnels n'est donc pas un terme à la mode mais une vision neuve appelant à une mobilisation de tous les acteurs, publics et privés. Cette nouvelle approche demande une véritable révolution des mentalités. Dans certains pays aujourd'hui, le contrat de travail fonde la relation juridique entre l'employeur et le salarié mais ne correspond pas à l'approche fondamentale que nous y mettons en France.

Pour conclure, le Conseil économique et social ne soutient pas le choix du contrat de travail unique. Au regard des motivations données par ses promoteurs, le contrat unique n'est pas un outil de sécurisation des parcours professionnels. Sa fonction première essentielle est d'assouplir le droit du licenciement. Dans un paysage où les services publics de l'emploi, de la formation et de l'orientation n'arrivent pas à proposer un panier de mesures permettant à chacun d'avoir une trajectoire sécurisée, le contrat unique ne constitue pas une solution positive. Nous plaidons pour un retour au CDI comme contrat de référence, en maintenant une politique de contrats courts avec le CDD, afin de répondre aux besoins des entreprises touchées par des effets de saisonnalité, comme l'agriculture ou le tourisme. Cependant, la nomenclature du CDD doit bénéficier d'une clarification et d'un allégement pour lutter contre la complexité et l'illisibilité du système.

Mme Claude Azéma - La formation tout au long de la vie suppose l'existence d'un socle initial suffisant de connaissances et de compétences permettant d'évoluer dans sa vie professionnelle. La Confédération étudiante, en particulier, réclame que chaque élève soit pourvu d'un portefeuille de compétences, c'est-à-dire qu'à tous les étages de sa formation des données s'inscrivent sur son parcours en termes de compétences. Face à ceux qui considèrent que la notion de compétence n'existe que dans l'univers du travail, nous concevons la compétence comme la manière de réinvestir ses savoirs. En nous référant à l'exemple danois où les étudiants font des allers et retours entre les études et la vie active, partant travailler durant un an ou deux pour ensuite retourner à l'université, nous pouvons concevoir une ébauche de la formation tout au long de la vie.

Mme Isabelle Debré - Les trente-neuf types de congés dont vous nous avez parlé incluent-ils toutes les sortes de congés ou seulement les congés de moyen ou long terme ?

Mme Edith Arnoult-Brill - Ce sont les congés de moyen ou long terme comme les congés maternité, les congés parentaux ou les congés pour création d'entreprise.

Audition de Mmes Anne KERKHOVE, présidente, et Claudine CAUX, vice-présidente, de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) (6 juin 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous recevons Mmes Anne Kerkhove et Claudine Caux, présidente et vice-présidente de la PEEP. Les parents sont pour nous des acteurs majeurs de la formation et de l'éducation.

Mme Anne Kerkhove - Nous intervenons essentiellement au niveau de l'école et des collèges. Le constat que nous dressons est que l'orientation, d'une manière générale, n'est absolument pas construite. Le plus souvent, l'orientation est réalisée à partir des notes de l'enfant. L'élève qui obtient de bonnes notes en mathématiques, en physique, sera orienté vers une filière S. Pour les autres, la situation s'avère complètement différente. Les élèves bien notés s'en sortiront toujours. Néanmoins, pour ces élèves, il peut exister une distorsion entre leur désir et les volontés des enseignants et des parents. L'orientation peut donc être forcée même pour de bons élèves. C'est pourquoi nous estimons que l'orientation n'est pas construite, car elle n'associe pas l'enfant qui est pourtant au coeur du système.

En outre, l'orientation reste souvent effectuée par défaut, voire même par l'échec. Un élève qui obtient des notes trop justes, 7 ou 8 de moyenne, se voit presque systématiquement proposer à la fin du collège une orientation en lycée professionnel ou en CAP. Personne ne se préoccupe de son avis, ni ne lui demande quelle voie professionnelle ou quel CAP peuvent l'attirer. Ce constat demeure donc négatif.

Cependant, le système commence à évoluer. Le monde du travail, les entreprises, par le biais de nos associations, essayent de participer à l'orientation des jeunes. Nous observons donc des signes positifs qui peuvent permettre à l'orientation d'être plus efficace et cohérente.

Nous considérons que l'orientation doit commencer à se construire au niveau du collège. Ensuite, elle se précise au niveau du lycée, pour ceux qui suivent des voies générales, littéraire, économique ou scientifique. Pourtant, bien souvent, les élèves et les parents ne s'interrogent pas vraiment sur l'orientation. Les enfants poursuivent dans des voies générales traditionnelles sans détenir un objectif défini. Les élèves deviennent un peu plus acteurs de leur orientation au niveau de la classe de première, principalement dans les voies technologiques et professionnelles. Néanmoins, le sentiment que seule l'éducation nationale effectue l'orientation persiste. Cette impression est renforcée par le fait qu'elle ne semble pas tenir compte du monde extérieur, les parents, les enfants mais aussi le marché du travail. Pourquoi n'existe-t-il pas une réelle adéquation entre les filières proposées et l'offre de travail de la région ?

Mme Claudine Caux - Je suis chargée au niveau de la PEEP des questions d'orientation. La voie professionnelle laisse malheureusement encore beaucoup à désirer. De nombreux enfants ont des idées sur le secteur professionnel qui les attire mais ne réussissent pas à obtenir la formation qu'ils souhaitent. Les élèves sont parfois obligés d'aller suivre des cursus éloignés de leur domicile, entraînant pour les parents des frais supplémentaires de transports et d'internat. En outre, si au bout d'une année, la formation ne convient pas à l'enfant, la famille est confrontée à un constat d'échec. Le coût d'un élève pour l'État sur une année s'élève en moyenne à environ 8 000 euros. La difficulté réside dans le manque de connaissance et d'information pour les parents et les enfants sur le contenu réel des futurs emplois.

Par ailleurs, nous entendons souvent parler de métiers d'avenir, liés à l'évolution de la société, mais l'information sur ces professions reste insuffisante. Les régions, qui sont les principales organisatrices et responsables dans le domaine de la formation, n'associent pas suffisamment les parents dans leur travail. Les associations de parents sont parfois sollicitées sur la construction du schéma triennal des formations d'une région. Cependant, cette collaboration demeure occasionnelle. Les fédérations de parents d'élèves auraient pourtant de nombreux points de vue à apporter.

M. Jean-Claude Carle, président - L'orientation s'effectue principalement par défaut, elle reste subie. Les jeunes, comme les parents, ne disposent pas de connaissances réelles et suffisantes sur les futurs emplois. Comment pouvons-nous améliorer ces situations et faire en sorte que les familles obtiennent une meilleure information sur les métiers ?

Vous reprochez le manque d'association des fédérations au plan triennal des formations et au PRDF. Souhaitez-vous être partenaire de ce plan et comment envisagez-vous votre participation ?

Mme Anne Kerkhove - Sur le premier point, certaines expériences sont menées dans divers établissements avec les chambres des métiers et les branches professionnelles. Selon les régions, des forums des métiers sont organisés. Néanmoins, ces initiatives demeurent ponctuelles. Elles ont le mérite d'exister et devraient se répandre. Les enfants sont vraiment demandeurs, ils désirent découvrir. Pour répondre à leurs attentes, des actions suivies dans le temps sont indispensables.

Mme Claudine Caux - L'orientation se déroule de la manière suivante. Un conseiller d'orientation fait passer des tests à l'enfant. Nous n'exprimons aucune opposition à cette évaluation. Cependant, les parents ne sont jamais intégrés à ce processus. Il reste confidentiel et demeure jalousement gardé par l'éducation nationale. Puis, à la fin de l'année scolaire, les parents sont convoqués par le chef d'établissement qui les informe qu'au regard des résultats scolaires et des tests d'évaluation, l'enfant doit être orienté ou non vers une voie professionnelle. Or, certains enfants ayant de très bonnes notes peuvent souhaiter se diriger vers une voie professionnelle. Ces élèves sont obligés de se battre contre l'éducation nationale, qui estime qu'ils présentent un profil pour l'enseignement général, pour intégrer le cursus qui les intéresse. En tant que parent, nous ne pouvons pas admettre que le choix de l'avenir de nos enfants soit dicté par une administration qui ne tient aucunement compte de la volonté des principaux intéressés. Le suivi de l'orientation doit être concerté et non imposé à l'enfant et à sa famille. Nous voulons que les parents soient intégrés progressivement à cet apprentissage qui va permettre à l'enfant de se construire et de bâtir son avenir.

Mme Anne Kerkhove - Actuellement, il existe, au sein de l'éducation nationale, des modules de découverte professionnelle, appelés DP3 pour les collèges et DP6 pour les lycées professionnels. Les enfants qui choisissent de suivre ces enseignements paraissent véritablement heureux. Ils découvrent concrètement le monde professionnel. Il me semblerait souhaitable d'étendre ce dispositif à l'ensemble des élèves. Le DP6 s'adresse exclusivement aux élèves des lycées professionnels, tandis que le DP3 est proposé aux collégiens. Ils sont libres de choisir de suivre ces trois heures par semaine consacrées à la découverte de métiers.

Mme Claudine Caux - Ce libre choix signifie que les collèges ne sont pas astreints à assurer cet enseignement. Ce dispositif est mis en place selon le bon vouloir de l'équipe de l'établissement. Tous les collèges n'appliquent pas le DP3 ce que nous estimons fort dommageable.

Mme Isabelle Debré - Si un enseignant souhaite assurer cet enseignement, doit-il demander l'accord du principal du collège ?

Mme Claudine Caux - Non seulement l'accord du principal est indispensable, mais surtout celui de l'administration, car un budget doit être débloqué à cet effet. Une dotation horaire globale doit être fournie puisqu'il est nécessaire de libérer trois heures par semaine. Ensuite, une démarche vers les entreprises est instituée pour essayer de placer les enfants. Lorsque le professeur principal est efficace, ce travail est bien effectué. Cependant, l'enseignant consacre de nombreuses heures à rencontrer les responsables d'entreprise, les artisans, afin d'obtenir des places pour les élèves. L'investissement en temps pour le professeur est considérable. Un seul professeur ne peut pas l'assumer. C'est un travail d'équipe. Les enseignants doivent adapter les horaires, mettre en adéquation le système scolaire et le monde du travail. Il est totalement impossible de réaliser ce travail sans une volonté et un soutien du conseil d'administration du collège.

Mme Isabelle Debré - Sur quel créneau les trois heures par semaine consacrées au DP3 sont-elles prises ?

Mme Claudine Caux - Le DP3 fonctionne avec la dotation horaire globale, il n'y a pas de moyens supplémentaires prévus.

Mme Annie David - Ce matin, je participais à une mission portant sur la diversification de l'accès aux grandes écoles. Nous avons longuement parlé de la DP3. Un des souhaits émis dans notre rapport propose de rendre obligatoire le dispositif de DP3. Cependant, le dispositif est lourd à mettre en place sur le plan matériel. L'extension de la DP3 à l'ensemble des élèves dans un esprit de découverte du milieu professionnel permettrait qu'elle ne soit pas perçue comme une pré-orientation par défaut pour les mauvais élèves. En effet, actuellement, ce sont souvent les élèves obtenant des notes médiocres qui se voient proposer le suivi d'une DP3. Les jeunes prennent donc ce dispositif comme un module d'échec vers une orientation professionnelle. Pourtant, l'idée d'origine ne correspond pas du tout à cette optique.

Mme Anne Kerkhove - La DP3 permettrait également d'éduquer d'une certaine manière les parents à s'ouvrir au monde professionnel afin de changer les mentalités.

Mme Sylvie Desmarescaux - Au-delà de la DP3, je souhaite également aborder les problèmes que posent les stages obligatoires de trois jours pour les collégiens ou lycéens. Lorsque je reçois en mairie des jeunes qui cherchent un stage pour ces trois jours et que je les interroge sur leurs motivations, ils me répondent que l'école leur impose ce stage. Ils n'ont pas réfléchi au cadre dans lequel ils aimeraient effectuer ce stage. Ils vont au plus près de chez eux. J'estime qu'ils n'apprennent rien dans le cadre de ces stages. La découverte professionnelle me semble bien plus enrichissante que ces stages. Il serait peut-être possible de récupérer des heures sur ces stages pour les attribuer à la découverte professionnelle.

Mme Anne Kerkhove - Ces stages proviennent de mesures qui ont été prises rapidement sans prévoir de cadre d'accompagnement. En tant que parent, j'ai accompagné mes enfants qui ont eu à effectuer ces stages pour qu'ils réfléchissent à leurs désirs de découverte et à leurs motivations. Le système demande aux parents et aux enfants de trouver des stages. Aucun encadrement n'est prévu. Certains enfants peuvent passer trois jours à faire des photocopies ou à faire du café. Pourtant, lorsque les parents travaillent véritablement avec leurs enfants pour définir les domaines qu'ils ont envie de découvrir, ces stages peuvent être fort enrichissants.

Un de mes enfants a découvert l'infographie et l'autre l'industrie mécanique et le contrôle qualité. Pour le second, ce stage a été déterminant dans son choix d'orientation. Mon enfant a pu vraiment trouver le lien entre l'enseignement qu'il avait reçu au collège et celui qu'il allait suivre dans la filière qu'il choisissait avec le monde réel du travail. Pour son cas, nous pouvons considérer que le stage a été vraiment réussi. Malheureusement, cet exemple reste un cas assez rare.

Mme Claudine Caux - Le plus souvent, les parents sont confrontés à une grande difficulté pour trouver un stage à leur enfant. Cette situation est d'autant plus vraie pour les familles modestes, qui ne parlent pas bien le français. Les parents ne comprennent pas vraiment l'intérêt de ce module. En outre, les jeunes ne sont pas toujours motivés, surtout lorsque leur orientation s'est effectuée par défaut. Ils préfèrent alors traîner dans la rue plutôt que de se rendre au rendez-vous prévu avec l'entreprise. Par conséquent, les patrons de stage peuvent être déçus par des élèves pas motivés et ne souhaitent pas renouveler l'expérience. Dans le cadre des CFA, il est parfois difficile de trouver des patrons de stage, car les chefs d'entreprise ont connu des expériences malheureuses et ne veulent plus reprendre un deuxième apprenti.

Mme Sylvie Desmarescaux - Nous devons redorer l'image de l'apprentissage et de la formation auprès des parents. Pour de nombreux parents, l'orientation de leur enfant vers la voie de l'apprentissage est très mal vécue.

Mme Anne Kerkhove - Nous pouvons revaloriser l'apprentissage par le biais des formations en alternance. Nous observons que les formations en alternance postérieures au baccalauréat, comme les BTS, sont appréciées. Elles peuvent nous permettre de faire évoluer les mentalités sur l'image de l'apprentissage.

Concernant les stages de trois jours, j'estime que cette mesure favorise les parents qui sont initiés. Elle entraîne encore une éducation à deux vitesses. Les formations en alternance postérieures au baccalauréat comme les BTS permettent de revaloriser l'apprentissage. Les stages de trois jours favorisent les familles initiées, créant ainsi de la sélection.

Mme Claudine Caux - L'éducation demeure sélective dans un système qui refuse la sélection.

M. Jean-Claude Carle, président - Certaines personnes au sein de l'éducation nationale ont une responsabilité importante en matière d'orientation : ce sont les COPsy. Ces conseillers d'orientation psychologues sont-ils bien informés sur l'univers professionnel ? Ou orientent-ils selon des données mal adaptées à la réalité du monde du travail ?

En outre, vous regrettez d'être peu impliqués dans les schémas de l'offre de formation. Quelle configuration imagineriez-vous pour associer l'ensemble de la communauté éducative, c'est-à-dire les enseignants et les parents, ainsi que les élus locaux et les représentants du monde professionnel, au schéma de l'offre de formation ?

Mme Anne Kerkhove - Concernant les conseillers d'orientation, nous estimons qu'ils ne connaissent pas le monde professionnel et la réalité du monde extérieur. Ils vivent dans leur bulle et n'ont qu'une vision formatée par l'éducation nationale du monde du travail. Mes propos sont très durs, mais nous pensons que les branches des métiers doivent être associées au processus de l'orientation des jeunes.

M. Jean-Claude Carle, président - Ce constat est lourd. Cependant, les conseillers d'orientation ne sont peut-être pas totalement responsables de cette situation. Il faut aussi qu'il existe de la part du monde professionnel un travail d'information en direction de ceux qui ont pour mission d'accompagner les jeunes dans leur réflexion d'orientation.

Mme Claudine Caux - Les COPsy ont une bonne part de responsabilité. Les enfants et les parents expriment une forte volonté de s'informer sur les métiers et les filières de formation. Bien souvent, lors de mes rencontres avec des conseillers d'orientation, j'ai le sentiment de disposer d'une meilleure connaissance du monde du travail qu'eux. Cette situation me surprend toujours. En tant que responsable au sein d'une association de parents d'élèves, je m'intéresse aux dossiers sur lesquelles je travaille. Je m'implique et je suis curieuse des changements et des nouveautés. Le manque de réalisme et de lucidité de la part des COPsy sur l'univers professionnel me semble inacceptable. Mon discours peut paraître choquant, mais des stages au sein de l'entreprise seraient profondément bénéfiques et utiles pour les conseillers d'orientation afin de les confronter à la réalité du monde de l'entreprise.

Mme Sylvie Desmarescaux - Ces stages pourraient aussi être nécessaires pour les enseignants.

Mme Claudine Caux - L'éducation nationale est un cocon protecteur où ses acteurs peuvent se sentir très bien. Cependant, dans notre société qui évolue très vite, certains repères ont été perdus. Il serait souhaitable que l'éducation nationale s'ouvre de temps en temps au monde extérieur afin de permettre à nos enfants de devenir de bons citoyens.

A propos de l'élaboration du schéma de formation, nos fédérations sont modestement impliquées puisque les régions nous contactent tous les trois ans pour nous demander des propositions sur le sujet. Nous fournissons un rapport, mais cette démarche ne va pas au-delà. Nous recevons un document de la part des régions où nos propositions figurent. Cependant, nous n'obtenons pas de retour concret sur nos suggestions. Nous ignorons si elles sont jugées intéressantes, réalistes. Nous souhaiterions vivement avoir un retour sur ce travail et qu'une discussion s'établisse avec les pouvoirs publics sur le terrain. Nous dressons donc un gros constat de carence sur ce point.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je pensais que les parents s'opposaient le plus souvent lorsqu'une orientation vers une filière professionnelle était proposée pour leurs enfants. Pourtant, vous nous en avez donné un exemple contraire en évoquant le cas des enseignants cherchant à contraindre un jeune à se diriger vers l'enseignement général. Votre analyse pertinente envisage une organisation plus complète, intégrant les enseignants et les parents, afin de mieux structurer l'orientation des jeunes. Selon quelles modalités pratiques cette orientation pourrait fonctionner ? Comment permettre aux parents de détenir une information suffisante pour participer d'une manière active et intéressante à cette structure afin qu'aucun enfant ne soit plus orienté sans son consentement et celui de sa famille ? En tant que responsable de la PEEP, vous avez une bonne connaissance de système de l'orientation, mais cette situation n'est pas commune à l'ensemble des parents.

Mme Claudine Caux - Au sein de la PEEP, je suis également chargée du fonctionnement du centre de formation pour les parents d'élèves. Dans notre fédération, nous avons mis en place une structure qui envoie sur le terrain des formateurs à la demande de nos associations.

Mme Isabelle Debré - Ces formations sont-elles destinées uniquement aux délégués de parents d'élèves ?

Mme Claudine Caux - Ces formations s'adressent à l'ensemble des parents adhérents de la PEEP, et non uniquement aux parents délégués. Elles portent sur la prise de parole, la gestion des conflits, tous les thèmes possibles pour permettre aux parents d'assurer une vraie représentation au sein de la communauté éducative.

Mme Isabelle Debré - Les autres fédérations de parents d'élèves fonctionnent-elles aussi de cette manière ?

Mme Claudine Caux - Oui. Nous disposons du centre de formation le plus ancien, ce qui est logique puisque nous sommes la plus ancienne fédération de parents d'élèves. Ces formations sont assurées gratuitement par des formateurs compétents. En outre, nous proposons plusieurs niveaux de formation. Les délégués de parents d'élèves reçoivent des formations spécifiques relatives à leur mission, portant sur le déroulement des conseils de classe, des conseils d'école, ainsi que sur l'orientation.

Lorsque nous formons les parents délégués au conseil de classe, nous les préparons spécifiquement sur la question de l'orientation. Nous leur présentons les différentes voies et options existant dans le système de l'éducation nationale. Nous utilisons principalement les documents de l'ONISEP, particulièrement complets et structurés sur le sujet. Nous leur fournissons donc toutes les brochures nécessaires à leur rôle. En outre, à la PEEP, nous disposons d'un logiciel permettant d'aider à la construction du projet de formation de l'élève. Nous formons des parents à l'utilisation de ce logiciel qui est ensuite mis gratuitement à la disposition de nos adhérents.

Mme Isabelle Debré - Qui sont les formateurs ?

Mme Claudine Caux - Les formateurs sont formés au centre de formation de la PEEP. Tout se déroule en interne, permettant ainsi d'assurer la gratuité de ces services. Par ailleurs, nous organisons des réunions d'informations sur l'orientation destinées aux parents. L'objectif premier d'un représentant de parents d'élèves de la PEEP est de parvenir à aider les familles à comprendre le fonctionnement du système d'orientation et de formation existant en France.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Pouvons-nous imaginer des rencontres réunissant les parents, les enfants et les éducateurs sur le sujet de l'orientation ? Quelles modalités pratiques pouvons-nous envisager ?

Mme Anne Kerkhove - Une approche de l'orientation peut se mettre en place dès la classe de cinquième. Ce processus peut démarrer par une découverte des métiers en intégrant les parents à ce système. Une heure par semaine, un professionnel peut simplement venir parler de son métier. Ce professionnel peut être un parent d'élève. Plus nous commencerons tôt, plus nous pourrons présenter une large gamme de métiers aux enfants. Je vous donne un exemple tout simple. Parfois, les enfants ignorent comment se fabrique le pain. Ils vont au mieux l'acheter à la boulangerie, au pire au supermarché. La connaissance des métiers de proximité peut être facile à organiser. Cette connaissance peut ensuite s'élargir au plombier, à l'informaticien. Il me semble qu'une heure par semaine consacrée à cet éveil est tout à fait envisageable.

A l'école primaire où étaient scolarisés mes enfants, nous avions organisé, dans le cadre du projet d'école, une rencontre hebdomadaire entre les enfants et un des parents de la classe qui venait parler de son métier.

M. Alain Gournac - Ce type d'initiative a aussi eu lieu dans ma ville. Les parents ou un de leurs proches acceptaient de donner un peu de leur temps pour transmettre aux enfants la connaissance de leur profession. Cet éveil est vraiment intéressant.

Mme Anne Kerkhove - En outre, dans ce contexte, l'enfant sort du cadre traditionnel de l'enseignement académique. Il ne prend pas de notes ; il n'a pas de compte rendu à fournir. Il se met simplement en situation d'écoute et de réception d'information.

M. Alain Gournac -Tout à l'heure, à propos des stages de trois jours, il a été dit que les enfants ne faisaient que des photocopies et que ces expériences ne présentaient aucune utilité. Je souhaite émettre un bémol car je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette idée. Ces stages permettent une légère découverte du monde professionnel. Les jeunes observent la façon dont fonctionne une mairie par exemple. Il est certain que dans l'idéal, ces stages doivent être encadrés. Les entreprises ou les organismes qui acceptent ces jeunes doivent construire un accueil. Dans ma mairie, l'ancienne DRH s'occupe des stages. Elle organise l'accueil, la visite et construit le stage de l'élève. Bien sûr, certains enfants ne posent aucune question et ne semblent pas vraiment motivés, mais d'autres s'intéressent et profitent pleinement de cette expérience de découverte professionnelle.

Mme Anne Kerkhove - Cette approche nous montre qu'une collectivité locale peut prendre le relais et aider les établissements scolaires et les parents dans la recherche de stage. Cependant, cette expérience nous indique que le stage ne peut pas avoir lieu pour tous les élèves de la même ville au même moment.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Vos propos m'ont fait entendre que vous étiez favorables à l'alternance dans le cadre de la formation initiale. Pour les enfants qui quittent l'appareil éducatif sans diplôme et sans formation, quelles solutions préconiseriez-vous ?

Mme Anne Kerkhove - Des enfants ne se sentent pas bien dans le système existant et connaissent l'échec tout le long de leur scolarité. L'éducation nationale devrait pouvoir leur proposer, dès qu'ils sont repérés comme étant en difficulté, d'étudier autrement. Cependant, il existe de fortes contraintes, en particulier l'impossibilité de proposer des filières professionnelles avant quatorze ans. Pourtant, ces élèves auraient besoin d'un système leur permettant d'apprendre d'une autre manière. Il me paraît absurde qu'ils soient obligés d'attendre la fin de la classe de troisième, qu'ils atteignent souvent alors qu'ils ont déjà seize ans voire même dix-sept ans selon les redoublements, pour s'interroger sur leur avenir professionnel. Aujourd'hui, le constat d'échec s'effectue à la fin du cycle, ce qui est trop tardif. Nous ne pouvons pas accepter que des enfants arrivent en fin de scolarité en situation d'échec. Nous devrions avoir les moyens de leur offrir la possibilité d'apprendre autrement.

C'est pourquoi, l'apprentissage junior nous a semblé une voie possible pour ces enfants. Nous observons en Alsace, région qui s'est fortement impliquée dans ce dispositif, que l'apprentissage junior fonctionne et aboutit à des résultats encourageants. Les responsables alsaciens sont alarmés par l'annonce de la suppression du dispositif de l'apprentissage junior. Nous estimons que l'idée dominante qui doit guider nos choix est de s'assurer qu'aucun élève ne quitte le système éducatif sans formation, ni perspective. L'école de la République ne peut accepter une telle situation d'échec. C'est donc à l'école de remédier à cette difficulté, de trouver les moyens pour lutter contre ce problème, en utilisant des outils et des voies qui ne se cantonnent pas au cadre fermé de l'éducation nationale.

M. Alain Gournac - Le cloisonnement de l'éducation nationale demeure terrible. Certaines personnes continuent à rejeter les sujets ou les objets qu'ils estiment en dehors du monde scolaire. Pour ma part, ce type de propos constitue une énorme bêtise. La vie continue à l'intérieur de l'école, dans la cour de récréation et en dehors de l'école. Cette coupure de l'école vis-à-vis du monde extérieur est vraiment nuisible.

Mme Claudine Caux - Il n'existe pas d'école ouverte.

M. Alain Gournac - En effet, lors de nos auditions, nous avons pu observer que les gens ont peur que nous nous mêlions de cet univers clos. Or, notre objectif est simplement de donner le maximum de chance à chacun pour réussir.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Néanmoins, des expériences particulières peuvent être menées. L'école où mes enfants ont été scolarisés à Poitiers était une école d'application. Elle accueillait tout un univers, avec des poules et des lapins. Ce milieu était particulièrement intéressant pour les enfants.

Mme Isabelle Debré - Il existe aussi des écoles avec des potagers qui fonctionnent dans le même esprit en milieu urbain.

Mme Annie David - Je souhaite revenir sur la difficulté des conseillers d'orientation-psychologues (COPsy) à représenter les métiers. Ce matin, nous avons eu une table ronde réunissant différents services et métiers de l'éducation nationale, dont les COPsy. Le territoire français dispose de 4 200 conseillers d'orientation-psychologues. Nous sommes arrivés à la conclusion que chaque acteur a une part de responsabilité dans l'orientation, les chambres de commerce, les entreprises, les enseignants. Nous ne devons pas stigmatiser uniquement les COPsy face aux problèmes d'orientation. Il est certain que l'orientation doit s'effectuer de la manière la plus concertée possible, en associant les familles et les enfants, qui sont les premiers concernés. Une réflexion importante voit le jour sur ce problème au niveau ministériel. Notre mission devra s'intéresser aussi aux propositions qui sortiront de ces travaux.

Concernant les élèves en échec scolaire et l'apprentissage junior, je considère qu'il serait plus approprié d'éviter à ces jeunes de se retrouver en échec. Au lieu de chercher des solutions dans l'orientation, nous pourrions mettre en place, en amont, des parcours de suivi scolaire individualisé dès l'apparition des premières difficultés, afin qu'il n'y ait plus de jeunes de quatorze ans en échec scolaire. Le rôle de l'éducation nationale est d'assurer à tous les jeunes un suivi éducatif, à travers des parcours diversifiés, personnalisés. Aujourd'hui, nous laissons s'enfoncer chaque année un peu plus des enfants dans la spirale de l'échec. L'école de la République est faite pour tous nos enfants et doit leur permettre d'accéder à un niveau de connaissances de qualité. Lorsque j'entends un proviseur de lycée professionnel vanter les mérites de l'apprentissage qui permet à certains jeunes de gagner de l'argent pour aider leur famille, j'estime qu'une telle situation est injuste. Ces jeunes se retrouvent obliger d'aller vers l'apprentissage pour subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille pendant que d'autres auront leur place à Henri IV ou à Louis-le-Grand avant d'intégrer l'école polytechnique ou HEC. L'orientation doit traiter tous les jeunes sur un même pied d'égalité. Les conditions sociales des élèves ne doivent pas entrer en ligne de compte pour les conduire vers l'apprentissage junior ou l'apprentissage.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Je ne pense pas que le proviseur du lycée de Besançon préconisait l'apprentissage pour les jeunes de milieux modestes. Il nous a expliqué qu'il existait une demande forte de la part des jeunes, même bons élèves, d'accéder à une certaine indépendance financière pour échapper à leurs parents.

Mme Anne Kerkhove - Comme je l'ai dit à M. Darcos, malheureusement, des enfants arrivent au collège en situation d'échec. Ce phénomène est inacceptable. Nous devons donc travailler au niveau de l'école primaire pour s'assurer que les élèves abordent le collège avec les connaissances nécessaires pour effectuer un parcours satisfaisant. Le collège n'a pas à résoudre les problèmes non résolus au niveau de l'école primaire.

Concernant l'apprentissage junior, notre préoccupation est de donner à un enfant la possibilité de se révéler, de mettre en avant ses dispositions. Un enfant peut également s'exprimer à travers l'éducation physique et sportive ou l'éducation artistique et culturelle. L'idée est d'offrir des biais différents permettant à un jeune de révéler son potentiel et sa valeur, en dehors des matières académiques traditionnelles comme le français, les mathématiques ou l'histoire et la géographie. Nous cherchons à raccrocher ces jeunes à un parcours de réussite. L'enfant a besoin, sur le plan psychologique, de ne pas être toujours en échec. La spirale de l'échec est destructrice pour l'image de soi. L'apprentissage ou la réussite dans des matières considérées comme secondaires peuvent permettre à un enfant d'avoir de bonnes notes, puisque le principe de la notation est essentiel dans notre système scolaire d'évaluation, et ainsi lui redonner confiance en lui.

Néanmoins, tant que nous accepterons que des élèves entrent au collège en situation d'échec scolaire, nous les retrouverons à la fin du collège toujours en échec. Inévitablement, après un tel parcours, l'orientation s'avère difficile et parfois douloureuse.

Mme Claudine Caux - Nous manquons de structures dans l'éducation nationale pour faire face à ces situations.

Mme Anne Kerkhove - Nous nous confrontons au problème du collège unique. Nous en connaissons maintenant les limites puisque nous les avons atteintes. Il me semble qu'il est temps de réagir sur ce sujet. Nous défendons l'idée que chaque enfant puisse réussir dans l'école de la République. Cet objectif ne peut être obtenu que lorsque nous mettrons tous les moyens sur l'école primaire, dès le cours préparatoire. Si au bout d'un mois, un enfant présente des difficultés, il doit être immédiatement pris en charge. Nous ne devons pas attendre la fin du premier trimestre, et a fortiori la fin de l'année scolaire, pour apporter un soutien.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous vous remercions pour les éclairages que vous nous avez apportés. Ces questions sont compliquées. Qu'entendons-nous par réussite ? Un enfant qui suit une voie d'apprentissage est-il en situation d'échec ? Je ne le pense pas. Le problème dans notre société est culturel. Nous hiérarchisons les formations. Il faudra du temps et de la pédagogie pour faire évoluer les mentalités et les habitudes.

Audition de MM. Jean-Claude DAIGNEY, administrateur et président du département éducation, et Philippe SOUWEINE, de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) (6 juin 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous allons maintenant entendre MM. Jean-Claude Daigney et Philippe Souweine, de l'Union nationale des associations familiales (UNAF).

M. Jean-Claude Daigney - Nous vous remercions de votre démarche d'associer l'Union nationale des associations familiales (UNAF) à cette réflexion qui trop souvent reste limitée à une relation entre employeurs et salariés. Pourtant, la famille est le premier acteur concerné par cette question. En effet, la cellule familiale demeure l'élément central et permanent dans le domaine de l'éducation, de la formation tout au long de la vie et de l'évolution de la carrière professionnelle sur toutes les questions pouvant concernées les familles.

En premier lieu, nous exposerons notre point de vue sur l'orientation. Puis, nous analyserons l'accès aux dispositifs de formation. Ensuite, nous évoquerons la prise en compte des ruptures et le transfert des droits. Nous terminerons par la reconnaissance des acquis de l'expérience.

L'orientation, non seulement au moment de l'école mais également à d'autres époques de la vie, est le socle sur lequel se fonde toute formation professionnelle. Les différents mouvements familiaux constatent que l'orientation, aujourd'hui, est un sujet d'inquiétude. Les familles ont le sentiment de subir l'orientation, basée uniquement sur les résultats scolaires et non sur les goûts, les possibilités et les aptitudes de l'enfant. La rencontre nécessaire entre les goûts, les aptitudes, le projet de l'enfant et les personnes de nature différente pouvant le guider, à l'intérieur et en dehors de l'école, devrait être la base sur laquelle s'appuie l'orientation. En dehors de l'école, les adultes de la famille ainsi que les professionnels du monde économique ont un rôle à jouer pour éclairer le jeune au cours de sa formation.

Nous observons qu'en classe de troisième, le module de découverte professionnelle n'est proposé qu'en option. Pourtant, tous les jeunes devraient à un moment de leur scolarité, suffisamment tôt, se poser la question de leur avenir professionnel sans pour autant faire un choix. Les élèves ont besoin de s'interroger sur leurs motivations, leurs désirs, leurs possibilités. Nous devons les accompagner dans cette démarche. Les familles soulignent l'importance de la rencontre. De nombreuses informations circulent. Un travail considérable est effectué par l'ONISEP. Nous sommes, Philippe Souweine et moi-même, administrateurs de l'ONISEP. Cependant, lorsque nous interrogeons les familles sur la question de l'orientation, elles insistent sur leur manque d'information. Pourtant, le problème ne se situe pas au niveau d'un manque d'information, mais de mise en perspective de cette information. L'information n'a de sens que si elle est mise en relation avec un projet.

Les dispositifs de formation paraissent extrêmement complexes, incompréhensibles, voire même illisibles pour les non initiés. Les familles ressentent une grande confusion pour déterminer les responsabilités de chacun. Quel rôle tient la famille dans les dispositifs de formation ? Quelles sont les responsabilités de l'entreprise, de la région et de l'État ? Les transferts de compétences envers les régions obscurcissent encore davantage la situation. Pourtant, le transfert de compétence est une bonne solution car plus les décisions sont prises à proximité du terrain, plus elles s'avèrent efficaces et cohérentes. Les personnes non expertes se perdent dans les méandres du système des offres de formation.

En outre, les dispositifs de formation changent fréquemment et rapidement. Le temps de comprendre le fonctionnement et l'organisation des structures existantes, elles disparaissent pour être remplacées par d'autres. Par exemple, la modification des contrats de qualification et des contrats de professionnalisation a dérouté les familles. A peine avaient-elles commencé à comprendre le fonctionnement de ces contrats qu'ils ont été transformés. Par conséquent, il nous paraît indispensable de modifier les dispositifs avec prudence et sans précipitation.

Les associations familiales constatent qu'au fil d'une vie, les ruptures professionnelles choisies ou contraintes sont de plus en plus fréquentes. Aujourd'hui, les plus jeunes ont parfaitement intégré l'idée qu'ils n'effectueront pas l'ensemble de leur carrière dans la même activité professionnelle. Fréquemment, au bout de trois ou quatre années d'expérience, ils éprouvent le désir de changer d'activité. En outre, chacun peut être confronté à des ruptures contraintes, liées à la perte de l'emploi ou à des modifications familiales, comme les naissances ou les divorces, entraînant un changement dans la vie professionnelle. Il nous semble indispensable que ces périodes de rupture soient accompagnées. Le rôle de la formation professionnelle devient primordial dans ces situations. Par conséquent, les droits à la formation professionnelle devraient être attachés à la personne et non à l'emploi occupé.

Concernant la reconnaissance des acquis de l'expérience et la reconnaissance sociale, les familles montrent une grande aspiration de promotion sociale pour leurs enfants mais aussi pour elles-mêmes. Les statistiques de l'AFPA nous rappellent que 56 % des Français souhaitent changer d'orientation professionnelle. Malheureusement, nous constatons que la promotion sociale, mise en oeuvre il y a une trentaine d'années, reste au point mort aujourd'hui. Au fil des différents plans pour l'emploi qui se sont succédé depuis la fin des années 70, les actions de formation ont peu à peu abandonné l'objectif de la promotion sociale.

Néanmoins, une innovation importante a vu le jour ces dernières années en faveur de la promotion sociale : le processus de validation des acquis de l'expérience (VAE). Cependant, nous observons de fortes résistances dans ce domaine. Tout d'abord de la part des organismes certificateurs qui acceptent difficilement la délivrance d'un diplôme sans formation préalable ; mais également de la part des personnes elles-mêmes qui quelquefois éprouvent le sentiment de ne pas mériter la qualification du fait de leur absence de formation. En outre, nous constatons que ce sont toujours les personnes les plus qualifiées qui sont les plus à même de bénéficier de ce dispositif. Les personnes moins diplômées présentent des difficultés pour exprimer les acquis réalisés. Nous constatons donc un grand besoin d'accompagnement de la part de certaines personnes pour monter le dossier de demande de VAE.

En conclusion, nous souhaitons rappeler que si la première mission de l'UNAF est de donner des avis aux pouvoirs publics, sa deuxième mission est de représenter les familles à tous les âges de la vie. Notre rôle de représentation porte aussi bien sur les familles ayant des enfants au collège ou en période d'insertion dans le monde du travail, que sur les familles qui connaissent des ruptures au cours de la carrière professionnelle. Pourtant, la représentation familiale est pratiquement absente de toutes les instances de concertation en ce qui concerne la formation professionnelle. La loi Giraud de 1993 avait permis un mode de représentation des familles au sein des Comités régionaux de l'emploi et de la formation (COREF). Aujourd'hui, la gestion entre l'État, les collectivités régionales et les partenaires sociaux habituels, employeurs et salariés, exclut les familles qui sont pourtant les interlocuteurs qui dépassent une approche sectorielle par branches professionnelles ou par types d'emploi. La participation des familles aux organes régissant la formation professionnelle permettrait de donner une vision neuve, élargie, fortement concernée, mais non impliquée dans la gestion du dispositif.

Mon exposé s'appuie sur une réflexion collective menée au sein de l'UNAF, ainsi que sur les avis du Conseil économique et social dans le cadre de la sécurisation des parcours professionnels.

M. Philippe Souweine - Dans notre rapport, nous faisons figurer l'orientation en premier lieu. Cette organisation ne répond pas seulement à la logique. L'orientation est réellement le socle d'une vie réussie. Une bonne orientation, un bon accompagnement en amont, une aide à l'élaboration d'un projet professionnel et même d'un projet de vie est une des grandes conditions de réussite d'un enfant, au regard de son insertion dans le monde du travail. C'est pourquoi nous avons placé l'orientation au coeur de nos préoccupations, jouant le rôle de socle de la réussite d'une formation professionnelle. Ensuite, nous avons souligné la complexité des multiples dispositifs où même les professionnels éprouvent des difficultés pour s'y retrouver. Les familles, en tant que parents et en tant que salariés, ne comprennent rien à ce système. Toutes les statistiques nous montrent que la formation professionnelle aujourd'hui bénéficie aux personnes les plus formées et les plus qualifiées.

Concernant les nouvelles mesures favorisant la promotion sociale, nous tenons à souligner un aspect capital. Le dispositif de la validation des acquis de l'expérience ne prend pas seulement en compte la vie professionnelle, mais la vie de l'individu dans sa globalité. Par conséquent, la VAE doit pouvoir permettre à des mères ou des pères de famille de se réinsérer dans l'entreprise, de retrouver un emploi après une interruption de longue durée. La VAE peut assurer la reconnaissance des capacités que nécessite l'éducation d'un enfant. En élevant un enfant, une personne acquiert des qualifications pouvant aboutir à l'intégration du monde de l'entreprise.

M. Jean-Claude Carle, président - La phrase déterminante de votre exposé « L'orientation est le socle d'une vie réussie » m'interpelle fortement. Nous constatons que la formation professionnelle continue répond aux insuffisances et à l'inadaptation du système de la formation initiale. Elle est chargée d'en corriger les erreurs. En outre, la famille n'est pas associée au choix de l'orientation. Comment pouvons-nous sortir du système actuel d'une orientation subie, après des échecs successifs, et évoluer vers une orientation réussie ?

M. Philippe Souweine - Sans prétendre définir ce que devrait être une orientation réussie, nous avons néanmoins réuni un certain nombre d'éléments nous permettant de poser des conditions indispensables à une bonne orientation. Les familles, qui portent un autre regard sur l'enfant, doivent être associées au choix d'orientation des élèves.

M. Jean-Claude Carle, président - A quel niveau cette association doit-elle se faire ? Est-ce au niveau des conseils de classe qu'elle doit se réaliser ?

M. Philippe Souweine - J'ai observé une expérience intéressante menée dans un lycée lyonnais. Le proviseur rencontre conjointement les parents et l'enfant. Ils reçoivent donc ensemble le même message et sont associés à une réflexion commune. De manière plus globale, nous devons réunir l'ensemble des acteurs, les enseignants, les entreprises, les familles, pour offrir à l'enfant toutes les possibilités de réussir son insertion dans la vie active. Chaque enfant est différent. Il serait déterminant de traiter les enfants individuellement et d'assurer un accompagnement personnalisé. Les problèmes d'orientation ne doivent pas être traités de façon groupés mais individualisés.

M. Jean-Claude Daigney - L'orientation se décide essentiellement sur les résultats scolaires. Pourtant, la prise en compte des goûts et des aptitudes devrait influer fortement. Les jeunes, avec l'aide de leur famille, doivent se confronter le plus tôt possible à des situations qui leur permettre de prendre conscience de ce qu'ils aiment, de ce qu'ils réussissent et de ce qui leur déplaît. Ce travail ne peut s'effectuer uniquement dans le cadre de l'école. Il ne suffit pas de savoir que l'enfant est bon en mathématiques et mauvais en anglais. Accompagné de sa famille, le jeune doit cerner ses différentes aptitudes : l'enfant apprécie-t-il la relation avec les autres ? Aime-t-il les activités nécessitant une grande concentration ? Préfère-t-il travailler en extérieur ou en intérieur ? L'école ne permet pas de répondre pleinement à toutes ces questions. La mise en situation, les stages réalisés avec un bon accompagnement peuvent aider à fournir des réponses à ces interrogations.

En outre, la hiérarchie reste très forte, surtout dans les mentalités, entre les différentes filières. Pourtant, des efforts considérables ont été accomplis pour développer les passerelles entre les cursus. Un jeune qui, en fin de classe de troisième, rejoint un CAP ou un BEP, pourra éventuellement, si son niveau le permet, intégrer un BTS ou un IUT, cinq ou six ans plus tard. Aujourd'hui, les esprits fonctionnent encore en considérant qu'un élève qui obtient de bons résultats doit obligatoirement suivre une filière générale, même si son projet professionnel est tout autre. J'ai rencontré un jeune sortant de la filière S qui souhaitait devenir menuisier. Il me paraît dommage qu'il ne se soit pas posé la question plus tôt. A aucun moment dans son cursus, un adulte ne l'a interrogé sur ses désirs. Il présentait de bons résultats, donc il devait continuer. De nombreux jeunes se retrouvent ainsi au niveau de l'université sans disposer d'un objectif professionnel. Nous devons créer des occasions pour que des mondes différents, parents, enseignants, professionnels, discutent ensemble. En premier lieu, les parents peuvent discuter entre eux et s'apprendre mutuellement des choses, d'où le rôle des associations familiales. Par ailleurs, les familles doivent obtenir un interlocuteur au sein de l'établissement scolaire, le proviseur ou un professeur principal, afin de créer un dialogue centré sur l'enfant, sur son projet et son évolution, et non sur ses résultats scolaires. Pour finir, les professionnels de tous horizons jouent un rôle dans l'orientation. En prenant un jeune en stage, ils peuvent lui révéler ses atouts, favorisant une orientation construite sur les points forts de l'élève plutôt que sur ses points faibles. Les parents qui se plaignent des orientations subies évoquent des orientations effectuées par défaut, prenant en compte les faiblesses de l'élève et non ses points forts et ses attirances.

M. Jean-Claude Carle, président - Il me semble essentiel de favoriser la création de lieux où des mondes différents discutent ensemble.

M. Philippe Souweine - Comme nous l'avons évoqué précédemment, le transfert de compétence aux régions a apporté un élément complémentaire. Aujourd'hui, nous nous interrogeons sur le rôle de la région dans le processus de l'orientation. L'orientation doit-elle toujours se situer en milieu scolaire ? Nous pourrions imaginer une orientation relevant également de la région, afin de répondre aux besoins territoriaux du marché du travail. Au regard de leur connaissance de l'offre et des besoins des bassins d'emploi, les instances régionales pourraient être des acteurs de l'orientation professionnelle, conjointement avec le milieu scolaire et les familles.

En outre, je souhaite revenir sur l'importance d'une aide au projet. L'exemple du jeune désirant devenir menuisier me paraît emblématique. L'aide au projet doit être construite, suivie. Il est rare de rencontrer des enfants qui bâtissent un projet ex-nihilo. Les programmes pédagogiques doivent intégrer un module afin d'aider nos enfants à monter leur projet professionnel. Puis, nous devons leur offrir la possibilité d'effectuer plusieurs expériences pour trouver leur réelle voie.

M. Jean-Claude Carle, président - La loi qui a institué les comités régionaux de l'emploi et de la formation (COREF) permet aux associations familiales d'être représentées au sein des instances de la formation professionnelle.

M. Jean-Claude Daigney - Cette loi a été réformée par la loi de modernisation sociale. Depuis environ cinq ans, la représentation est exclusivement assurée par les chambres consulaires, les syndicats d'employeurs et de salariés. La représentation des familles a disparu.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette décision est une régression sociale. La loi Giraud a également instauré le PRDF. Etes-vous associé à l'élaboration au sens large, c'est-à-dire dans les grandes lignes, du PRDF ?

M. Philippe Souweine - Nous y sommes associés exclusivement par la voie des conseils économiques et sociaux régionaux.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Avez-vous réfléchi au problème que rencontre la société française lié au choix de certaines jeunes femmes de repousser les grossesses pour s'assurer une formation ? Cette situation entraîne d'autres problèmes, en particulier de santé publique.

M. Jean-Claude Daigney - Nous constatons effectivement que l'âge du premier enfant recule. Cependant, le taux de natalité en France reste élevé si nous le comparons à celui de nos voisins européens grâce à une politique familiale efficace, construite sur une longue durée. Nous n'avons pas mené de réflexion particulière sur le sujet des femmes qui repoussent leur grossesse afin de suivre une formation.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Pourrait-on imaginer une forme de valorisation au niveau de la formation professionnelle pour ne pas pénaliser les femmes qui connaissent des périodes d'interruption en cours de formation liées à une grossesse ? Quel est le statut social de la jeune femme en cours de formation universitaire ou professionnelle ?

Concernant les jeunes sortant du système éducatif sans qualification et sans diplôme, avez-vous des propositions ? Notre entretien précédent a abouti à la conclusion que le système devait évoluer pour empêcher que des jeunes se retrouvent dans de telles situations d'échec. Néanmoins, dans l'immédiat, nous sommes confrontés à ce problème crucial. Quelles réflexions avez-vous menées pour favoriser la réinsertion ?

M. Jean-Claude Daigney - Nous n'avons pas la prétention d'apporter des réponses. La commission formation de l'UNAF estime que face aux décrochages des jeunes du système scolaire, une action la plus précoce possible est indispensable. Il est plus facile d'associer une famille lorsqu'un jeune en difficulté a treize ou quatorze ans que lorsqu'il a dix-sept ou dix-huit ans.

Nous devons diversifier les parcours proposés tout en assurant aux jeunes l'acquisition d'une formation générale. Cette formation générale doit fournir aux enfants l'ensemble des outils nécessaires à la compréhension du monde dans lequel ils évoluent. Des formations générales et professionnelles, mêmes précoces, doivent exister tout en maintenant le jeune sous un statut scolaire. Nous devons réfléchir à des formules qui donnent aux jeunes qui le souhaitent la possibilité de trouver leur voie, sans décrocher. Le décrochage arrive malheureusement de plus en plus tôt. Nous devons agir dès la classe de sixième, voire même à l'école élémentaire. Il est certain qu'une action précoce permet d'éviter plus facilement les décrochages.

M. Philippe Souweine - A l'UNAF nous considérons l'alternance comme une véritable voie d'insertion ou de réinsertion pour les jeunes. Cette alternance peut prendre la forme d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation. Elle offre un réel va-et-vient entre le monde de l'entreprise et le monde éducatif. Nous constatons quotidiennement l'efficacité de ces dispositifs auprès des jeunes. Grâce à l'alternance, ils réussissent à intégrer ou à se réinsérer dans le monde du travail. Nous observons parfois des réussites inattendues pour certains jeunes qui étaient a priori plutôt mal partis.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Etes-vous favorable à une pratique systématique de l'alternance dans la cadre de la formation professionnelle ?

M. Philippe Souweine - Je suis en effet assez adepte de cette formule que nous pourrions généraliser.

M. Jean-Claude Daigney - Cependant, la formation professionnelle concerne aussi la formation tout au long de la vie. Lorsque la formation s'appuie sur une expérience antérieure, l'alternance n'est pas nécessaire. Un salarié ayant cinq ans d'expérience professionnelle et repartant en formation n'a pas besoin de suivre un cursus en alternance. En revanche, pour les jeunes, l'alternance nous paraît tout à fait essentielle. Elle peut se réaliser sous statut scolaire pour les plus jeunes. A partir de 16 ans, les jeunes peuvent ensuite bénéficier d'un contrat de travail. Par conséquent, une généralisation de l'alternance ne serait pas prudente car elle ne se justifie pas pour les personnes possédant déjà un acquis professionnel.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Ma question concernait les jeunes en formation initiale.

M. Philippe Souweine - Dans le cadre de la formation initiale, l'alternance participe au processus d'une bonne orientation. Certaines propositions ont été faites dans ce sens et pour l'instant n'ont pas été suivies d'effet. L'alternance pour l'ensemble de nos jeunes pourrait être une des solutions complémentaires à une bonne orientation et pourrait participer à la réduction de la poursuite d'études. Les jeunes pourraient s'insérer dans le monde de l'entreprise avec un certain acquis. Ensuite, au bout de quelques années, grâce à la loi de mai 2004 relative aux périodes de professionnalisation et au droit individuel à la formation, ils pourraient repartir en formation.

M. Jean-Claude Carle, président - Nous devons veiller à ne pas créer de confusion entre les termes d'alternance et d'apprentissage. L'alternance recouvre une gamme plus large que l'apprentissage. L'apprentissage est un statut et un mode d'enseignement. L'alternance peut s'effectuer sous la voie scolaire. Cependant, quel que soit le parcours de formation, des périodes d'insertion dans la vie active doivent exister. Ce dispositif serait également souhaitable dans les filières générales. Aujourd'hui, notre système réduit l'alternance à la voie de l'apprentissage qui, en outre, dans la hiérarchie des filières, est la plus mal considérée. Cette vision de l'alternance pose un véritable problème.

M. Jean-Claude Daigney - Un jeune sous contrat d'apprentissage a déjà effectué un choix. Or, l'étape préalable à ce choix est la construction du projet. C'est pourquoi une alternance sous statut scolaire peut être intéressante pour tester ses envies, pour rencontrer des situations différentes et aboutir à un choix réfléchi. A seize ou dix-huit ans, il est difficile de choisir un métier. Néanmoins, ces premières expériences peuvent permettre la construction d'un projet dans la durée.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Nous entendons souvent dire que les parents s'opposent à l'orientation de leurs enfants vers les filières professionnelles, considérées comme des voies d'échec. Sentez-vous une évolution dans ce domaine ?

M. Philippe Souweine - La situation s'améliore. Il est vrai que nous partons de très loin. L'alternance commence à être perçue comme une voie positive. Nous connaissons de plus en plus de jeunes en université qui étudient sous statut d'apprentissage. Les mentalités doivent évoluer pour parvenir à percevoir l'alternance comme une des voies privilégiées d'insertion dans le monde de l'entreprise. Les parents ne sont pas seuls en cause. La globalité du personnel éducatif a également une image de l'alternance encore peu favorable. Cependant, nous assistons à des progrès. Les familles comprennent mieux l'intérêt de l'alternance, et prennent conscience que leur enfant peut, par l'intermédiaire d'un contrat d'apprentissage, intégrer le monde de l'entreprise et acquérir parallèlement les niveaux nécessaires pour aborder un métier.

M. Jean-Claude Daigney - Les jeunes évoluent plus vite que les personnes plus âgées. L'image des formations par alternance et par apprentissage est fortement décalée entre les jeunes et les moins jeunes. Les parents et les enseignants vivent avec les références qu'ils ont connues lorsqu'ils avaient vingt-cinq ans. Les jeunes constatent que leurs amis qui ont suivi un parcours par alternance ont une sorte de prime par rapport à l'emploi. Chaque jeune connaît dans son entourage une personne qui est restée dans le système académique et qui rencontre des difficultés pour trouver un emploi, alors qu'une autre ayant choisi une formation par alternance possède une qualification reconnue, prisée sur le marché du travail. Elle trouve du travail sans problème et peut même se permettre de changer d'employeur dans les secteurs sous tension. Cette évolution rapide des jeunes sur ce sujet est un facteur d'optimisme pour la perception de l'alternance dans notre société.

Mme Annie David - Cette image idyllique de l'alternance ne concerne-t-elle pas uniquement les formations en alternance postérieures au baccalauréat, comme les BTS ? Effectivement, les jeunes ayant suivi un BTS en alternance possèdent déjà une expérience professionnelle et une qualification reconnue qui leur permettent de s'insérer assez facilement dans le monde du travail. En revanche, les jeunes ayant suivi un BEP ou un CAP par apprentissage ou par alternance ne se trouvent pas dans une situation aussi aisée par rapport au marché de l'emploi.

Je reviens sur d'autres thèmes que nous avons évoqués. L'impression du manque d'information des familles est plutôt liée à une nécessité de défrichage. Face à la masse d'informations disponibles, un travail d'accompagnement est indispensable pour parvenir à trouver la filière qui convienne. Les familles sont confrontées à deux difficultés : dans un premier temps, il leur faut trouver les informations sur les filières qui les intéressent, puis, dans un deuxième temps, elles doivent déchiffrer l'information contenue. Dans cette optique, l'académie de Nantes expérimente le concept du dossier unique. Il permet d'obtenir pour chaque filière toutes les possibilités de formation, professionnelle ou initiale, existantes. Ce type de dispositif peut-il être une réponse pour assurer une meilleure orientation des jeunes ?

Vous avez souligné que de nombreux salariés aimeraient changer de métier en utilisant les CIF ou les DIF. Cependant, les salariés hésitent sans doute à entamer un CIF. Ces dispositifs de formation réclament un investissement personnel important. Un bon support familial est indispensable pour réussir un tel projet. En outre, au retour dans l'entreprise, le salarié n'obtient pas forcément un poste correspondant à ses nouvelles compétences. Il se retrouve finalement à effectuer le même travail qu'auparavant. Pouvons-nous améliorer cette situation afin qu'un salarié s'engageant dans un CIF puisse prétendre à occuper un poste correspondant à ces nouveaux acquis et bénéficier d'une réelle promotion sociale ?

La VAE est un dispositif essentiel. Cependant, les procédures sont lourdes et complexes, a fortiori pour les personnes non salariées qui n'ont pas de soutien pour la constitution de leur dossier. Comment pourrions-nous simplifier l'accès à la VAE ?

Vous avez rapidement abordé la DP3. Je partage votre sentiment et estime que la DP3 peut être une expérience positive pour les jeunes. Considérez-vous que la DP3 devrait être généralisée ?

M. Jean-Claude Daigney - Concernant la DP3, nous estimons que le collège doit consacrer un temps pour accompagner les élèves dans une réflexion sur leur orientation. Ce travail peut s'effectuer sous la forme de la DP3 ou sous une autre forme à inventer, mais un accompagnement est indispensable.

A propos du CIF, nous observons que ce dispositif est peu utilisé. Le système finit par être élitiste car il existe de nombreuses demandes et peu d'élus. Je vous rejoins totalement sur l'importance de l'incidence familiale. Toutes les questions de promotion ou de mutation ne peuvent aboutir favorablement sans un support familial. La formation ne peut réussir qu'avec la mobilisation de l'environnement.

L'expérience du dossier unique s'avère intéressante à condition que l'accompagnement soit effectué avec un suivi dans le temps.

Sur le sujet de l'alternance, les diplômes du supérieur peuvent entraîner dans le sillage de leur image favorable les formations par alternance des autres niveaux. Nous pensons que l'ouverture des écoles d'ingénieur et d'autres formations supérieures par apprentissage a très fortement modifié, aux yeux des jeunes, la valeur de l'apprentissage. Néanmoins, je ne suis pas sûr que le problème porte sur le niveau des diplômes, mais plutôt sur la question des types de qualification. Par exemple, un élève de BTS « gestion et protection de la nature » par apprentissage ne s'insèrera pas forcément aisément dans le monde professionnel. En revanche, un apprenti en CAP menuiserie ou en BEP hôtellerie-restauration ne rencontrera aucune difficulté pour trouver du travail. L'insertion dépend plus du type d'emploi et des débouchés existants dans le secteur concerné que du niveau du diplôme. Les jeunes doivent donc disposer d'informations suffisamment solides et fiables concernant les secteurs proposant des emplois. Ils sont bien sûr ensuite libres de choisir, car ils doivent tenir compte de leur motivation, mais il faut qu'ils puissent le faire en connaissance de cause. Aujourd'hui, il existe des filières où nous savons que l'emploi est très faible, tandis que d'autres secteurs souffrent d'un manque de main-d'oeuvre.

En outre, nous constatons fréquemment que les jeunes poursuivent ensuite leurs formations, élevant leur niveau de qualification, enchaînant un BEP, un baccalauréat professionnel et un BTS. Cette possibilité n'existait pas quinze ans auparavant.

M. Jean-Claude Carle, président - Le BEP peut-il déboucher sur l'emploi ?

M. Jean-Claude Daigney - Les possibilités sont totalement différentes d'un secteur à l'autre. Dans la filière hôtellerie-restauration, les élèves de BEP trouvent du travail à l'obtention de leur diplôme.

M. Jean-Claude Carle, président - Je m'interroge sur la fonction du BEP. Ce diplôme est coincé entre le CAP et le Bac pro. Je me demande si une autre formule ne serait pas souhaitable.

M. Alain Gournac - Le BEP constitue une marche supplémentaire, source de motivation pour des enfants ayant souvent connu des échecs à répétition. Des élèves qui pensent ne pas être capables d'obtenir leur CAP et qui le réussissent, peuvent trouver la volonté pour poursuivre vers le BEP, alors que le baccalauréat professionnel leur semble inaccessible. Ensuite, la réussite au BEP peut pousser ces jeunes et les motiver pour poursuivre jusqu'au baccalauréat professionnel. Certains continuent même après vers le supérieur.

M. Jean-Claude Carle, président - Mon opinion n'est pas arrêtée. Cependant, dans certains domaines, comme celui du tertiaire et de la comptabilité, il paraît évident que le BEP ne peut pas déboucher sur l'emploi. Les élèves dans cette voie doivent obligatoirement continuer leur formation pour espérer obtenir du travail. Par conséquent, la suppression de ce type de BEP se pose.

M. Jean-Claude Daigney - Dans le secteur de la comptabilité, le CAP et le BEP ne sont que des marches vers le baccalauréat professionnel.

M. Philippe Souweine - Au niveau des premiers degrés de diplômes, si l'orientation n'est pas subie et que l'enfant est acteur de son orientation, il deviendra un excellent ambassadeur de l'apprentissage.

En ce qui concerne le sentiment de manque d'information ressenti par les parents, les régions ont un rôle à jouer. Un carrefour régional réunissant l'ensemble des acteurs de la formation doit être mis en place pour favoriser la communication. Le dossier unique peut s'avérer un outil intéressant à la condition qu'il existe une véritable coordination entre tous les partenaires pour assurer un travail commun.

A propos du souhait exprimé par les salariés de changer de métier, nous observons un besoin d'accompagnement. Votre constat relatif à la difficulté d'apporter une promotion sociale à la suite d'une formation constitue malheureusement une réalité sur le terrain. Cependant, le CIF est une démarche volontaire et personnelle du salarié, tout comme le DIF. L'entreprise ne peut donc pas garantir au salarié de retour de formation un poste correspondant à ses nouvelles qualifications. Une aide apportée au salarié dans la construction de son projet peut lui permettre d'évoluer plus facilement vers son nouveau métier, pas forcément dans le cadre de son entreprise d'origine, mais au sein d'une autre entreprise. L'accompagnement du projet est primordial.

Concernant la VAE, l'ensemble des partenaires constatent qu'effectivement les dossiers sont trop lourds et complexes à bâtir. Une simplification est indispensable. La VAE est pourtant un outil essentiel pour la formation et l'évolution professionnelle.

A propos de la DP3 et de la DP6, nous estimons que la notion de découverte professionnelle ne devrait pas être rattachée à une classe spécifique. Ce dispositif doit exister dès le début du collège, et même, pourquoi pas, en amont, au niveau de l'enseignement primaire. La rencontre avec des adultes venant parler de leur profession, échanger sur leur métier constitue toujours une source d'enrichissement.

Mme Annie David - Le problème majeur du dispositif de la DP6 est qu'il conduit à la suppression de l'enseignement de la seconde langue étrangère dans le cursus. En supprimant la seconde langue au collège, nous empêchons définitivement aux jeunes de s'orienter vers un enseignement général, puisque tous les baccalauréats des filières générales requièrent une deuxième langue vivante. En revanche, la DP3 permet de conserver l'enseignement de deux langues étrangères. C'est pourquoi je suis plus favorable à la DP3 qu'à la DP6. Nous pourrions modifier le programme et ajouter des heures d'enseignement pour éviter cette suppression que j'estime tout à fait dommageable.

M. Jean-Claude Carle, président - La DP6 est destinée aux lycées professionnels, par conséquent elle ne concerne pas le même public que la DP3. Pour conclure, nous sommes d'accord pour constater que les dispositifs de découverte professionnelle sont insuffisants dans l'enseignement actuel.

Audition de M. Pierre CHAZERANS, directeur d'organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) (6 juin 2007)

M. Jean-Claude Carle, président - Nous allons maintenant entendre notre dernier intervenant, M. Pierre Chazerans, directeur d'organisme paritaire collecteur agréé.

M. Pierre Chazerans - Mon exposé s'articulera sur les points suivants : les raisons qui m'ont conduit à prendre le poste de directeur d'un OPCA, l'importance de la réforme de la formation professionnelle, ses conséquences pour les acteurs de la formation professionnelle, les constats que j'ai pu observer sur mes seize mois d'activité à cette fonction, et les pistes de réflexions que je vous propose.

Je suis directeur d'OPCA depuis seize mois. Je ne prétends donc pas avoir réalisé le tour de la question de la formation professionnelle. En outre, mes observations ne concernent pas forcément la situation générale de tous les OPCA de France.

Mon profil est le suivant. J'ai travaillé comme DRH pendant dix-sept ans, puis en tant que consultant durant onze ans. Il y a seize mois, lorsque j'ai accepté le poste de directeur d'OPCA, l'image que j'avais de cette fonction était plus proche de celle d'un agent du Fisc que de celle d'un cabinet de conseil en ressources humaines. Cependant, j'ai découvert la réforme de la formation professionnelle. J'ai estimé que le rôle de directeur d'OPCA me permettrait de passer d'un travail de consultant en entreprise, où j'analysais des besoins et vendais des prestations pour y répondre, à une fonction où, en plus de vendre une prestation, je pourrais apporter également le financement pour la mise en oeuvre de la solution. En outre, le fonctionnement paritaire me paraissait une valeur ajoutée forte. Il me semblait que la présence conjointe des représentants patronaux et syndicaux pouvait favoriser la bonne marche du système.

Je considère que la réforme de la formation professionnelle apporte trois éléments majeurs : l'accord des partenaires sociaux en faveur de la mise en place d'un panorama d'outils de ressources humaines pour l'entreprise, l'intégration de ces outils dans le code du travail et une législation ne conduisant à aucune contrainte ni sanction.

Cette réforme entraîne des conséquences majeures. Les acteurs de la formation professionnelle deviennent de véritables professionnels de la formation. Nous évoluons d'une situation où les entreprises utilisaient leur budget, à une situation où elles optimisent leur investissement dans les ressources humaines. Les OPCA passent d'une fonction d'encaisseur-décaisseur, à un nouveau métier de conseil en gestion et financement des ressources humaines pour l'entreprise. Les acteurs publics (Union européenne, État, régions) responsables de la distribution des subventions, tiennent aujourd'hui un rôle d'incitateur à la mise en place de véritables politiques de ressources humaines dans l'entreprise. Enfin, les organismes de formation doivent s'adapter aux évolutions de la demande, en s'éloignant de leur catalogue de formation pour apprendre à travailler à la carte vis-à-vis des besoins de l'entreprise.

Dans ce contexte de professionnalisation, l'important est de privilégier l'approche RH. Par exemple, dernièrement, j'ai rencontré un chef d'entreprise pour lui proposer nos services. Je lui ai expliqué qu'avant de lui apporter un financement, il devait clarifier ses besoins en amélioration ou en acquisition de compétences. Ce travail de définition des besoins est considérable pour les entreprises, mais il est nécessaire pour être sûr de fournir les outils de formation adéquats et le financement l'accompagnant. Ce chef d'entreprise m'a interrogé sur le catalogue de formations dont nous disposons. Je lui ai répondu qu'actuellement, l'État finance des formations ADEC, en particulier des stages d'informatique. Il a alors considéré qu'un stage informatique sur Excel pouvait convenir à sa secrétaire. J'ai tenté de cerner précisément ses besoins et constaté que sa secrétaire maîtrisait les bases essentielles d'Excel. Ce patron, pour satisfaire sa secrétaire, qui lui réclamait une formation depuis longtemps, était prêt à choisir un petit peu n'importe quel stage. Par conséquent, j'ai essayé de lui faire comprendre que si nous finançons des stages, ceux-ci doivent répondre à de réels besoins de compétences pour les entreprises et les salariés. Il faut en fait définir le besoin en acquisition ou perfectionnement de compétences avant de parler financement.

A travers cet exemple, je veux souligner l'importance de l'approche RH qui devient indispensable pour notre travail. Nous passons d'un métier où jusqu'à présent nous distribuions de l'argent mutualisé avec comme objectif de remplir les stages élaborés par avance, à un système où nous devons aider l'entreprise à travailler préalablement sur ses compétences. Ce changement majeur nous demande de développer une approche centrée sur les compétences. Mon constat, au bout de seize mois d'activité à la direction d'un OPCA, fait ressortir un fort décalage des équipes par rapport à ce nouveau métier. Les équipes des OPCA ne sont pas outillées pour réaliser cette démarche RH.

M. Jean-Claude Carle, président - Estimez-vous ce constat valable pour l'ensemble des OPCA ?

M. Pierre Chazerans - Mon expérience est encore trop limitée dans le secteur pour que je puisse généraliser mes propos. Cependant, lorsque je discute avec mes collègues, nous observons que nos équipes présentent des compétences fortes en « éligibilité » et en gestion administrative des dossiers (demandes de prise en charge). En revanche, l'accompagnement des chefs d'entreprise afin de les aider à analyser leurs besoins et à les synthétiser n'est pas encore maîtrisé. Peu d'OPCA sont en mesure d'assurer cette tâche. Mon expérience personnelle de DRH et de consultant m'a aidé à comprendre ces problèmes.

En outre, les conseils d'administration connaissent des difficultés pour manager le changement. Suite à la réforme de la formation professionnelle, les conseils d'administration des OPCA ne peuvent plus gérer leurs structures comme par le passé. Ils doivent se professionnaliser.

Par ailleurs, les services de l'Union européenne, de l'État et des régions ne participent pas réellement à la mise en oeuvre de la réforme. Par exemple, pour l'année 2007, la Direction régionale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP) m'a demandé de mettre en place une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), afin de garantir que les entreprises bénéficiant des subventions aient préalablement réalisé un travail sur leur besoin en compétences. Nous avons travaillé avec la DRTEFP à des dispositifs nouveaux. Au bout de trois mois, la responsable de la DRTEFP m'a informé que ses services n'étaient pas prêts et que nous devions continuer à fonctionner comme l'année précédente. Par conséquent, pour l'instant, nous recevons les subventions et nous devons simplement nous assurer que les bénéficiaires entrent dans certains critères prédéfinis, comme, par exemple, le pourcentage de femmes ou celui de publics de premier niveau de qualification. Cette responsable m'a expliqué que la DRTEFP est outillée pour fournir des subventions, pour les suivre et les contrôler, c'est-à-dire pour assurer une gestion administrative. En revanche, le personnel n'a pas aujourd'hui la capacité d'assurer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Il ne peut pas travailler intelligemment avec un OPCA pour monter des actions afin de permettre la mise en oeuvre précise de la réforme de la formation professionnelle dans les entreprises. Ce constat ne signifie pas que ce personnel est incapable d'accomplir cette mission. Cependant, à l'heure actuelle, ces fonctionnaires n'ont pas été formés pour cette tâche et n'ont pas les compétences pour l'effectuer.

De manière globale, concernant le secteur de la formation professionnelle, le passage d'un marché de l'offre à un marché de la demande est difficile. Le poids des organismes de formation conduit à ce que ce soit eux qui décrètent ce dont les entreprises ont besoin. Nous constatons que l'organisme de formation vend ce qu'il sait faire, sans que cela corresponde forcément aux besoins réels de l'entreprise. Nous finançons donc des stages sans en connaître la valeur ajoutée pour l'entreprise.

En conclusion, je considère qu'il est primordial que nous travaillions sur l'accompagnement des chefs d'entreprise et des salariés. La gestion financière exclusive des dossiers doit passer au second plan de nos priorités. Notre activité de récolte des fonds auprès des entreprises, de perception d'un pourcentage pour assurer les frais de gestion et de reversement vers les entreprises pour la formation conduit à donner un bonus aux entreprises les plus dégourdies qui maîtrisent les méandres du système et réussissent à se faire financer des actions. L'OPCA-PACA représente 7 millions d'euros de fonds collectés, 12 millions de décaissement et 2 500 entreprises. Cependant, nous travaillons suivant la règle des 80/20 avec une faible proportion des entreprises qui cotisent à notre OPCA.

M. Jean-Claude Carle, président - Je récapitule vos observations. Seule une faible proportion des entreprises qui cotisent à votre OPCA, bénéficie des formations, qui en outre ne sont pas centrées sur leurs besoins mais sur l'offre. Quel est le profil de ces entreprises ?

M. Pierre Chazerans - Sur les 2 500 entreprises cotisantes, nous avons 2 100 entreprises de moins de dix salariés et 400 entreprises de plus de dix salariés. Nous travaillons notamment avec une grande entreprise aéronautique régionale. Cette représentation correspond au schéma général de l'économie française. Ce ne sont pas les toutes petites entreprises qui sont les moins performantes en matière de formation. Nos pratiques permettent d'abonder la mise de l'entreprise sur nos fonds mutualisés. Pour une entreprise qui apporte 100, nous pouvons ajouter 100, lui offrant ainsi la possibilité de bénéficier de 200.

M. Jean-Claude Carle, président - Le doublement de la mise dont peut bénéficier cette grande entreprise aéronautique régionale provient des petites entreprises qui elles, en revanche, ne profitent pas forcément de la formation professionnelle. Ces entreprises payent leur obligation légale mais ne bénéficient pas du système.

M. Pierre Chazerans - En effet, le fonctionnement actuel aboutit à de telles situations. Concernant cette grande entreprise aéronautique régionale, j'ai demandé à évaluer la valeur ajoutée pour l'entreprise et pour notre OPCA des 150 000 euros de notre abondement.

M. Jean-Claude Carle, président - Si ces formations sont fondées et améliorent les compétences des salariés de ces entreprises, la situation n'a rien de scandaleux. Notre interrogation porte sur le mode de financement qui s'effectue au détriment des toutes petites entreprises alors même qu'elles présentent, sans doute, des besoins de formation. Ces petites entreprises créent de l'emploi aujourd'hui en France. En outre, au sein de ces structures, les parcours professionnels sont peu sécurisés. Ces petites sociétés sont plus sensibles aux aléas économiques. Un salarié qui entre dans cette grande entreprise aéronautique régionale a plus de chance de pouvoir y rester un bon nombre d'années qu'un salarié qui démarre au sein d'une toute petite structure.

M. Pierre Chazerans - Nous connaissons aussi des toutes petites entreprises qui bénéficient de formations. Cependant, les grandes entreprises ont davantage le souci de récupérer leur investissement dans la formation professionnelle. Lorsque nous nous rendons dans ces grosses entreprises, leur première préoccupation est de déterminer la subvention que nous pouvons leur apporter. Ces chefs d'entreprise ne s'interrogent pas sur leurs réels besoins, ce qui devrait pourtant être idéalement la base de leur démarche. Nous leur expliquons qu'en formulant clairement leurs besoins en matière de formation, nous pouvons les aider à mobiliser des fonds publics et privés pour mettre en place des actions de formation ciblées. Nous ne sommes pas des banquiers. Par conséquent, nous essayons de changer leur approche de ce domaine. Le plus souvent, nous sommes à l'initiative de la démarche. Nous allons voir les entreprises pour leur proposer notre aide afin d'établir les formations qui peuvent leur être utiles.

M. Bernard Seillier, rapporteur - A quel niveau se prend la décision d'abonder le financement d'une formation pour une entreprise ?

M. Pierre Chazerans - Le principe est le suivant : nous ouvrons un compte pour chaque entreprise sur lequel les fonds qu'elle verse sont immobilisés. En fin d'année, les fonds non utilisés sont mutualisés et peuvent servir à l'abondement. La hauteur de l'abondement varie en fonction du type de formation, professionnalisation ou plan, et du niveau de cotisation de l'entreprise. Les fonds non utilisés pour la professionnalisation sont remontés au FUP. Les fonds non utilisés relevant des plans sont gérés ensuite par l'OPCA. Lors de notre bilan annuel, nous constatons que plusieurs milliers d'euros sont encore disponibles. Ces fonds sont alors mutualisés. L'année suivante, une commission paritaire décide de leur utilisation au cas par cas suivant les dossiers que nous proposons pour être abondés. Malheureusement, nous ignorons si l'utilisation qui est faite par les entreprises de ces fonds a un impact sur l'évolution de leurs compétences. Certes, ils servent à financer des opérations de formation, mais nous n'en connaissons pas vraiment les objectifs et leur efficacité.

Aujourd'hui, nous optimisons les budgets de formation. Nous disposons d'une réelle compétence dans ce domaine. Cependant, cette optimisation s'effectue indépendamment du besoin de l'entreprise en termes d'acquisition ou de perfectionnement des compétences des salariés.

En outre, notre système ne responsabilise pas les acteurs. Par exemple, le président d'un OPCA n'est responsable que d'éventuelles malversations. Il ne peut être poursuivi devant un tribunal correctionnel qu'en cas de détournement de fonds. Il n'existe donc pas de responsabilité particulière. Pourtant, nous pourrions instituer une forme de responsabilité en mettant en place un système de mesure des effets des actions menées. J'ai eu l'opportunité de travailler deux ans en Tunisie et en Algérie sur des programmes européens. L'Union européenne constitue une énorme machine à intégrer les économies nationales. Depuis trente ans, elle a mis au point un ensemble d'indicateurs lui permettant de mesurer les effets des actions politiques qu'elle mène pour l'intégration économique. Lorsque l'Union européenne décide de la construction d'une route d'une ville à une autre, elle mène au préalable une étude pour déterminer les effets de la construction de cette nouvelle infrastructure sur l'économie, la création d'emplois, et d'autres aspects.

La formation professionnelle relève de la même démarche. Nous disposons d'indicateurs de réalisation, de pertinence et d'efficience. Le site internet de la Commission européenne présente les mesures et les indicateurs mis au point depuis trente ans et servant à apprécier les actions menées. Notre OPCA dépense 12 millions d'euros dans la formation professionnelle, et nous sommes incapables d'évaluer les conséquences et l'efficacité de ces dépenses. Les entreprises qui bénéficient de nos fonds sont-elles plus performantes ? Ces subventions permettent-elles d'éviter des délocalisations ? Nous ignorons totalement les réponses à ces questions. Pour parvenir à apporter ces réponses, nous devons mettre en place en amont des indicateurs de mesures.

Aujourd'hui, le système d'évaluation dont nous disposons, outre qu'il s'effectue a posteriori, ne s'avère pas pertinent. Par exemple, nous sommes en mesure de connaître le nombre de femmes qui bénéficient de nos actions de formation. Ce chiffre s'élève à 62 %. La responsable de la DRTEFP est extrêmement satisfaite de ce résultat. Pourtant, nous devons analyser ce pourcentage au regard du nombre de femmes travaillant au sein des entreprises avec qui nous coopérons. Nos entreprises emploient plus de 80  % de femmes. Par conséquent, le taux de 62 % est faible. Nous retrouvons le même dysfonctionnement d'évaluation pour les seniors ou la VAE. Nous nous contentons d'une gestion quantitative. Une rationalisation est donc nécessaire pour mettre en place des actions dont nous puissions suivre les effets.

Lorsque j'étais DRH, nous dépensions 8 % de la masse salariale dans les actions de formation. Nous avons voulu déterminer l'utilité de cette dépense. Nous avons donc réalisé une étude pour analyser l'impact de ces formations sur les compétences des salariés de l'entreprise. Le seul domaine pour lequel nous avons mis en évidence une corrélation entre la formation professionnelle et les effets sur l'entreprise concernait les formations relatives à la sécurité. Pour mener à bien cette évaluation, nous avons repris des données sur plusieurs années et nous avons créé des modèles mathématiques. Le lien entre formation et sécurité est paru évident. Lorsque nous proposions moins de formations dans ce domaine, les accidents augmentaient. En revanche, concernant les autres indicateurs - hausse du chiffre d'affaires, rentabilité, temps de travail -, nous n'avons pas obtenu de résultats pertinents. Il est donc difficile de mesurer les effets d'une politique de ressources humaines. En outre, ces effets peuvent se révéler à long terme. Les personnels formés peuvent changer d'entreprise. Nous rencontrons de nombreux aléas.

Le système du paritarisme me paraît en soi pertinent. Nous confions à une structure intermédiaire la gestion d'un domaine qui risquerait d'être mal géré par l'Etat. Cependant, le système de la représentation syndicale est très lourd. Le Medef est obligé de désigner 2 500 représentants dans les conseils d'administration uniquement pour la région PACA. Les cinq principales organisations syndicales de salariés doivent faire de même. Nous pouvons y ajouter également les autres organisations patronales. Il faut donc mobiliser, rien que pour la région PACA, plusieurs milliers de représentants salariés et patronaux qui travaillent aussi bien dans les OPCA, qu'à la CAF, à l'ANPE, aux ASSEDIC, aux FONGECIF, etc.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Les apparatchiks syndicaux sont aussi nombreux !

M. Pierre Chazerans - Leur nombre de représentants est considérable. Dans mon conseil d'administration, nous avons dix représentants patronaux et dix représentants syndicaux. Il existe quatre-vingt-cinq OPCA en France. Nous pouvons mesurer le nombre de représentants nécessaire pour siéger dans toutes ces structures qu'elles soient nationales ou régionales. Le paritarisme, né en 1947, a été mis en place pour le fonctionnement des caisses de retraite. Il s'est ensuite étendu aux ASSEDIC et aux autres organismes. Ce système fonctionne lorsque les représentants patronaux et syndicaux sont issus du monde de l'entreprise. Or, ils sont nombreux à être à la retraite et/ou originaires de l'éducation nationale et de l'AFPA. Cela n'a plus aucun sens. Mes propos ne cherchent pas à remettre en cause la qualité des personnes qui effectuent cette tâche. Mais, avec l'implosion du syndicalisme et la surcharge de travail des chefs d'entreprise, les candidats ne sont pas légion. Cela fait qu'au sein du CA, il y a peu de vrais salariés d'entreprise et peu de vrais patrons. Cela peut poser la question de la maîtrise de la réforme par les CA ainsi constitués.

Sur les quatre-vingt-cinq OPCA en France, certains sont nationaux. L'OPCAREG et l'AGEFO ainsi que les gros organismes de la métallurgie ou du bâtiment ont des conseils d'administration nationaux et locaux. Ce constat, relatif à la moindre réflexion positive des conseils d'administration au développement et à la stratégie, concerne la majorité des OPCA. Certains conseils d'administration ne s'occupent de rien. Le directeur est laissé libre dans ses décisions et ses actions. D'autres cherchent à s'investir fortement dans la gestion. Cependant, lorsque les membres ne se réunissent qu'une fois par mois pour les décisions importantes, le fonctionnement ne peut pas être efficace.

M. Jean-Claude Carle, président - Ils assurent une gestion administrative de l'organisme plutôt qu'une gestion d'investissement des dossiers.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Est-il possible de véritablement connaître les besoins d'une entreprise ?

M. Pierre Chazerans - J'ai fait réaliser une enquête. Sur les 900 entreprises contactées, nous avons obtenu 314 réponses. Nous avons constaté que lorsque nous demandons aux entreprises de définir leurs besoins en matière de formation, elles nous fournissent des listes de stages, c'est-à-dire des solutions. Nous devons donc nous rendre au coeur de l'entreprise pour analyser les besoins réels de compétences en amont. En revanche, le chef d'entreprise qui a été accompagné par l'OPCA pour se familiariser avec cette approche par les compétences en acquiert alors la maîtrise et devient par la suite autonome. La loi relative à la réforme de la formation professionnelle doit nous servir de guide pour responsabiliser les chefs d'entreprise dans leur rôle. Malheureusement, pour l'instant, le rôle de l'OPCA qui se cantonne à récolter les fonds pour ensuite les restituer à l'entreprise offre une faible valeur ajoutée.

M. Bernard Seillier, rapporteur - Pouvons-nous imaginer un autre système en transformant profondément les OPCA ? Je commence à me demander si le problème peut être résolu. Le fonctionnement des conseils d'administration des OPCA avec des représentants qui sont à la retraite ou qui ont quitté le monde de l'entreprise, paraît profondément inadapté. Seul le directeur de l'OPCA demeure un véritable professionnel. Malheureusement, lorsque celui-ci est formé aux ressources humaines, il choisit de partir car il estime la tâche impossible. Que pouvons-nous faire ?

M. Pierre Chazerans - J'estime que la présence paritaire est vraiment intéressante. Cependant, les représentants doivent jouer leur rôle. Certains organismes sont peut-être de trop. Nous avons les OPCA, les FONGECIF et d'autres structures. Pour chaque prise de décision, nous devons obtenir l'avis de chacun. La machine est trop lourde. Il n'existe pas de complémentarité, ni de cohésion d'ensemble. Nous devons réduire le nombre de structures et le nombre de représentants. En outre, les branches professionnelles interviennent également. Connaissent-elles mieux les besoins des entreprises ? Sont-elles plus pertinentes dans les actions qu'elles montent ?

L'observation du fonctionnement des systèmes de formation dans les autres pays peut nous aider. La Tunisie, par exemple, qui est vierge de tout système dans ce domaine, dispose d'un ministère de l'éducation nationale et de la formation professionnelle. Je n'affirme pas que ce fonctionnement soit la bonne solution. Cependant, ce pays ne souffre pas de la dichotomie que connaît la France.

M. Jean-Claude Carle, président - Cette dichotomie existe à tous les niveaux, dans les ministères, au Parlement. Notre mission commune, par exemple, regroupe trois commissions du Sénat. Ensuite, nous retrouvons cette dichotomie au niveau des régions et dans bon nombre d'institutions. Malheureusement, elle ne favorise pas l'efficacité. Nous vous remercions pour votre éclairage venant du terrain sur la formation professionnelle.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page