C. L'EXPÉRIENCE RISQUÉE DE L'AIDE BUDGÉTAIRE

1. Un instrument d'aide dont la réussite dépend de conditions strictes

La mise en oeuvre du 5 e PRSC ( Poverty reduction support credit ) par la Banque mondiale, selon les indications données par certains interlocuteurs de votre rapporteur spécial, illustre les contraintes et limites de l'aide budgétaire telle qu'elle a tendance à être pratiquée. Cette orientation de l'APD est « à la mode », mais n'a pas, dans les conditions actuelles, toutes les vertus que l'on veut lui prêter. En particulier, on souligne souvent que l'aide projet n'a pas réussi depuis 30 ans... ses résultats étant perçus comme décevants. Sans doute, au-delà des défauts qui lui sont propres, faut-il aussi y voir le fait que cette aide peut être évaluée aisément et en détail, ce qui n'est pas possible pour l'aide budgétaire, surtout dans sa forme actuelle.

L'aide budgétaire semble d'autant plus intéressante qu'elle permet d'orienter des réformes et d'inciter à leur réalisation , dans la mesure où c'est l'Etat bénéficiaire qui dispose librement des fonds, sans conditionnalité puisque l'on utilise des « déclencheurs » (indicateurs cibles). Aucun réel contrôle de gestion des fonds n'est cependant réalisé, y compris sur le volume des frais de gestion.

On souligne souvent le fait qu'elle permet de répondre plus étroitement aux besoins des récipiendaires , puisqu'ils en déterminent librement l'affectation. Toutefois, cela n'est possible que si les conditions suivantes sont réunies :

- il existe des capacités administratives suffisantes pour mettre en oeuvre les réformes ;

- le niveau de corruption est limité et les capacités, sans parler de la volonté, de la combattre, existent ;

- les déclencheurs triggers ») sont sélectionnés avec soin , c'est-à-dire qu'ils sont techniquement réalisables et correspondent aux objectifs affichés (problématique récurrente du choix des indicateurs) ;

- l'évaluation des réformes est faite sérieusement et sans concessions sur le plan technique, sur la base de déclencheurs fixés a priori (la nécessaire appréciation politique n'intervenant que dans un second temps) ;

- la gestion de l'aide reçue n'est pas trop coûteuse ;

- le coût de la ressource doit présenter un équilibre entre un financement aux conditions du marché (trop onéreux, y compris pour le Vietnam qui est sans doute plus riche qu'il ne l'admet) et du don (qui aboutit, en particulier au Vietnam, le plus souvent à des gaspillages, car l'utilisation des fonds ne donne pas toujours lieu à des analyses préalables rigoureuses et à une gestion sérieuse).

Pour mémoire, la France a proposé au Vietnam de participer au à hauteur de 1 million d'euros en don et 9 millions d'euros de prêt au taux Euribor minoré de 200 points de base (soit environ 2,1 % fin juin 2007). Les autorités vietnamiennes ont refusé ce prêt, exigeant de bénéficier exclusivement d'un don ou, à défaut, d'un prêt très concessionnel.

2. Des conditions qui sont loin d'être réunies au Vietnam

La mise en oeuvre du PRSC montre qu'à peu près aucune des conditions précitées n'est totalement respectée :

- les capacités administratives vietnamiennes, y compris de la Banque d'Etat du Vietnam (BEV) qui pilote l'exercice côté vietnamien, pour non négligeables qu'elles soient, restent insuffisantes. En outre, il n'est pas prévu, dans le cadre du PRSC ou directement en liaison avec lui, de les renforcer par des programmes d'assistance technique ou de formation (qui seraient alors en don) ;

- le niveau de corruption est élevé et, si les discours changent en réaction aux sollicitations des bailleurs de fonds, la situation sur le terrain ne semble guère s'améliorer. La volonté apparente d'y remédier ne se traduit pas encore dans les faits, faute aussi de capacités techniques 128 ( * ) ;

- les déclencheurs ne sont pas sélectionnés très précisément, aboutissant à leur remise en cause a posteriori . C'est le cas lorsqu'ils ne sont pas réalisables dans les délais (contraintes constitutionnelles ou législatives) ou lorsque les autorités vietnamiennes ne souhaitent plus les respecter. Dans ce dernier cas, la Banque mondiale cède d'autant plus volontiers que le Vietnam est son 3 e client. De plus, cet exercice est un projet pilote, qui joue un rôle d'affichage et se doit de réussir et de décaisser rapidement pour que la Banque puisse lancer d'autres programmes de même nature ;

- l'évaluation des réformes est faite trop rapidement, au cours d'une procédure essentiellement orale . Les réunions par thèmes durent entre une et trois heures, sans que les Vietnamiens fournissent toujours spontanément un document de synthèse ni les textes adoptés afférents aux réformes. De plus, ces réunions ne sont pas toujours organisées par une personne suffisamment expérimentée de la Banque à Hanoi pour conduire efficacement les travaux ;

- la Banque d'Etat du Vietnam - chargée de gérer cette aide - affiche 7 % de frais de gestion, ce qui représente environ 15 millions de dollars. En se référant à un salaire de fonctionnaire vietnamien moyen de 200 dollars charges comprises, on comprend que cette somme pourrait financer 6.250 personnes pendant un an... Pour mémoire, la BEV compte - y compris dans ses représentations dans les 64 villes et provinces vietnamiennes - environ 6.000 employés. Compte tenu du niveau des salaires, des coûts d'équipement et de fonctionnement au Vietnam, ces frais de gestion apparaissent excessifs ;

- la ressource accordée dans le cadre du PRSC est gratuite ou presque (prêt de l'AID pour les 100 millions de dollars octroyés par la Banque mondiale et dons des bailleurs bilatéraux pour un montant légèrement supérieur), ce qui n'incite guère à faire preuve de rigueur dans son utilisation.

Dans ces conditions, l'aide budgétaire ne permet pas d'atteindre les objectifs principaux qui lui sont attribués : favoriser le développement, en permettant une appropriation par ses bénéficiaires et en favorisant les réformes et projets les plus efficaces. En revanche, les bailleurs peuvent trouver leur intérêt dans ces opérations car elles reportent la gestion de l'APD sur les bénéficiaires, permettent d'atteindre plus aisément les objectifs de décaissement de l'APD et sont, à court terme au moins, jugées plus efficaces (l'évaluation de l'utilisation de l'aide étant moins précise et l'effet d'aubaine qu'elle entraîne n'étant pas quantifié).

Un plus grand recours à cette forme d'APD n'est cependant pas nécessairement à exclure, sous réserve du respect de quelques principes de base :

- procéder à des évaluations sérieuses, que ce soit a priori (objectifs et déclencheurs) comme a posteriori (évaluations technique puis politique) ;

- accompagner cette aide d'un renforcement coordonné des capacités administratives , ce qui signifie le maintien de l'aide-projet (en la concentrant et en la professionnalisant, le recrutement des AT étant encore trop artisanal pour la gestion des projets du FSP) ;

- privilégier, dans la mesure du possible, une aide budgétaire sectorielle ;

- accorder des ressources ayant un coût minimum , c'est-à-dire de concessionnalité modérée, pour favoriser une gestion rigoureuse et une bonne allocation des fonds.

* 128 Ainsi, la coopération bilatérale française entre l'Inspection des finances et le Trésor d'Etat (comptabilité publique) montre l'absence de capacité à contrôler le bon usage des fonds publics , que ce soit pour le fonctionnement ou pour les investissements, y compris les plus importants. L'affaire de la PMU 18, révélée en mai 2006 à la veille du tenu du Congrès du Parti, est également symptomatique : détournement de plusieurs millions de dollars de l'aide britannique, de la Banque mondiale et japonaise , avec l'implication de plusieurs dirigeants et hauts fonctionnaires de la police.

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