INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Voilà plus d'un an, au cours de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, M. Guy Canivet, alors premier président, soulignait la place essentielle de la formation des juges dans le fonctionnement de l'institution judiciaire.

« La formation du juge conditionne l'authenticité de la justice. Elle lui apprend non seulement à rendre des décisions conformes au droit ; bien plus, elle l'incite à réfléchir à son rôle, à sa place dans les institutions [...], à ses présupposés, à la vérité, à l'équité... Primordiale est l'initiation qui assure que les valeurs sur lesquelles les juges fondent leurs décisions sont celles du sens commun ; essentielle est la pédagogie qui leur enseigne que disposer de la vie privée, de l'honneur, de la dignité, de la fortune, de la sécurité, de la liberté d'autrui est aussi affaire de conscience ».

Cette année encore, à l'occasion de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, ce thème fut au coeur des préoccupations.

Evoquant la crise identitaire de la justice causée par l'affaire d'Outreau, le procureur général près cette haute juridiction, M. Jean-Louis Nadal, s'exprima en ces termes : « Ne nous y trompons pas, c'est une crise majeure. Elle implique de reconsidérer les fondations avant même de modifier telle ou telle disposition de procédure civile ou pénale. [...]. Par là, j'entends principalement la formation des magistrats [...]. De la formation, je dirai simplement qu'elle doit permettre aux futurs magistrats de s'ouvrir sur l'extérieur, de s'attacher, au-delà du simple respect des règles formelles, notamment en matière pénale, à l'esprit des règles garantissant les libertés fondamentales. Elle doit forger cette nécessaire humilité, cette capacité d'écoute, de compréhension et d'ouverture sans laquelle l'acte de juger risque de déboucher sur l'incompréhension ».

La commission d'enquête sur les dysfonctionnements de la justice dans l'affaire d'Outreau, constituée en janvier 2006 à l'Assemblée nationale, a dans le même temps mis en avant le rôle fondamental de la formation initiale et des modalités de leur recrutement qui constituent deux étapes primordiales de la vie professionnelle d'un magistrat et, à cet égard, déterminent la manière dont la justice sera rendue 1 ( * ) .

Dans la continuité de travaux de cette commission d'enquête, le Parlement a adopté, outre une loi adaptant la procédure pénale 2 ( * ) , la loi organique n° 2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, entrée en vigueur en juin dernier.

Votre commission s'est félicitée des avancées proposées par cette réforme tant en ce qui concerne l'ouverture du recrutement des magistrats que la modernisation du dispositif de formation -initiale et continue. Toujours attentive au bon fonctionnement de notre système judiciaire, elle a néanmoins souhaité approfondir sa réflexion, dans la mesure où le législateur avait borné son intervention à quelques points particuliers.

Les débats parlementaires au Sénat ont été l'occasion de soulever deux questions lourdes d'enjeux pour l'institution judiciaire.

Le type de recrutement et les modalités de la formation garantissent-ils que la justice sera rendue par de « bons juges », c'est-à-dire des juges qui combinent qualités intellectuelles et humaines ?

Votre commission a en effet acquis la conviction qu'une justice bien rendue doit s'appuyer sur des juges qui ne soient pas seulement brillants mais également dotés d'un solide bon sens et d'un minimum d'expérience des choses de la vie , nécessaires au développement de la faculté de discernement, condition majeure de l'acte de juger.

Il lui est aussi apparu que les juges ne devaient pas exercer leur mission dans une démarche isolée, à distance des réalités politiques, sociales, économiques et culturelles, mais au coeur de ces réalités , sans pour autant se départir de l'indépendance, qui est une autre condition de l'acte de juger.

Ainsi l'insuffisante expérience des choses de la vie et l'excès de particularisme apparaissent-ils comme les interrogations principales de sa réflexion.

Face aux critiques récentes et unanimes -émanant tant des plus hauts magistrats que des justiciables- sur le cloisonnement du corps judiciaire, son indifférence au temps et son éloignement des réalités socio-économiques, il a semblé opportun d'analyser la situation pour rechercher les moyens de garantir plus efficacement la qualification des juges. En outre, le paradoxe selon lequel le mode de gestion du corps judiciaire aboutit bien souvent à confier aux débutants les responsabilités les plus lourdes telles que juge aux affaires familiales, juge d'instruction ou juge des tutelles, n'a fait que donner plus d'acuité à cette démarche.

Une autre question, plus ponctuelle, mais néanmoins emblématique, s'est également posée sur le niveau de connaissances juridiques que doivent posséder les magistrats.

La technicité croissante du droit dans un contexte d'augmentation des contentieux n'impose-t-elle pas de réserver les fonctions juridictionnelles à des juristes dûment qualifiés, du moins lorsque ceux qui entrent dans la magistrature n'ont pas d'expérience professionnelle préalable ?

Ces interrogations ont conduit votre commission à créer, le 28 février 2007, une mission d'information sur le recrutement et la formation initiale des magistrats de carrière confiée conjointement à deux de ses membres, issus de la majorité et de l'opposition, respectivement MM. Pierre Fauchon et Charles Gautier .

Cette mission a pour objet de prolonger et d'actualiser des réflexions que votre commission avait engagées à l'occasion de travaux antérieurs sur le fonctionnement des juridictions et le devenir des acteurs sur lesquelles elles s'appuient 3 ( * ) .

Les rapporteurs, auxquels se sont joints d'autres membres de votre commission, ont procédé à de nombreuses auditions de magistrats -de tout grade, en poste dans les juridictions comme au ministère de la justice- et d'auditeurs de justice 4 ( * ) . Leurs témoignages ont apporté une contribution précieuse à la réflexion de la mission.

Trois déplacements ont en outre été effectués. A Bordeaux , à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), en mai dernier, la mission a rencontré le directeur de cet établissement, plusieurs enseignants permanents chargés de la formation initiale et des auditeurs de justice. A l' étranger -en Allemagne (en avril dernier) et en Espagne (en juin dernier)- elle a souhaité s'informer sur les systèmes de recrutement et de formation des magistrats mis en place dans ces pays. Elle s'est également intéressée à l'Italie et à la Grande-Bretagne sans pour autant s'y rendre. A cet égard, la mission d'information souhaite remercier les magistrats de liaison qui, par leur concours précieux, ont permis d'organiser les déplacements et de rassembler d'utiles informations sur les spécificités de chaque pays.

Sur la base des observations recueillies au cours des travaux de la mission, votre commission a pu constater que les principes actuels régissant le recrutement et la formation des magistrats pouvaient être conservés , à condition d'en corriger certaines imperfections par des réformes d'incidences diverses :

- elles sont, pour la plupart, techniques , de nature réglementaire, et donc susceptibles d'être rapidement concrétisées ;

- d'autres sont, pour quelques-unes, plus novatrices et ambitieuses , impliquant l'intervention du législateur et un débat public ;

- certaines, enfin, supposent une évolution des pratiques et de la philosophie du ministère de la justice et seront, peut-être pour cette raison, les plus difficiles à mettre en oeuvre.

En vue de garantir une justice de qualité et de restaurer la confiance des citoyens à son égard, votre commission des lois a adopté le 11 juillet 2007 20 recommandations visant à assurer un recrutement diversifié et de haut niveau et une formation initiale efficace et ouverte sur le monde .

* 1 « Au nom du peuple français - Juger après Outreau » - Rapport n° 3125 (Assemblée nationale, Douzième législature), juin 2006, de M. Philippe Houillon, rapporteur au nom de la commission d'enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, présidée par M. André Vallini.

* 2 Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale.

* 3 « Quels moyens pour quelle justice ? » Rapport n° 49 de M. Pierre Fauchon (Sénat, session 1996-1997) au nom de la mission d'information sur les moyens de la justice, présidée par M. Charles Jolibois ; « Quels métiers pour quelle justice ? » Rapport n° 345 de M. Christian Cointat (Sénat, session 2001-2002) au nom de la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice, présidée par M. Jean-Jacques Hyest ( http://www.senat.fr/noticerap/2001/r01-345-notice.html ) ; avis budgétaire n° 83 de MM. Yves Détraigne et Simon Sutour au nom de la commission des lois - Tome III (Sénat, session 2006-2007) ( http://www.senat.fr/rap/a06-083-3/a06-083-3.html )

* 4 Voir en annexe 2 la liste des personnes entendues par la mission.

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