B. LES RÉPONSES DE LA COMMISSION

1. La forme

La Commission européenne s'est incontestablement prêtée au dialogue : les observations de la délégation ne sont pas restées sans réponse. Si le nombre des réponses est inférieur à celui des observations, c'est parce qu'un certain nombre de celles-ci n'en appelaient pas : au début de la procédure, la délégation informait également la Commission des cas où, après débat, elle avait conclu à la conformité du texte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ; ensuite, elle a décidé de ne saisir la Commission que des cas où, au minimum, des demandes d'explications supplémentaires étaient formulées. Les seuls cas litigieux sont ceux des communications de la Commission sur « les régions, actrices du changement économique » et sur les « systèmes de garantie des dépôts » ainsi que sur le projet de programme européen de protection des infrastructures critiques : la délégation les avait certes estimés conformes aux principes de subsidiarité et de proportionnalité, mais à la condition de respecter certaines conditions. Ces réserves n'ont pas reçu de réponse.

Le délai de réponse de la Commission, en revanche, ne peut être jugé satisfaisant. Le délai de trois mois qu'elle s'était fixé pouvait paraître généreux, puisqu'il est le double de celui dont disposent les assemblées pour formuler leurs observations. Cependant, ce délai est loin d'avoir toujours été respecté : le délai de réponse moyen s'établit en effet à trois mois et demi. Si quelques réponses ont été relativement rapides, d'autres n'ont été fournies qu'après un délai de cinq à six mois.

Or, passé un certain délai, le dialogue n'a plus guère de sens, le processus de décision étant de toute manière trop avancé pour que les questions de subsidiarité et de proportionnalité aient une chance d'être prises en compte.

2. Le fond

Force est de constater que la qualité du dialogue est parfois inégale .

- Certaines réponses apparaissent satisfaisantes.

Dans certains cas, la Commission a admis la nécessité de motiver davantage sa proposition et a fourni des justifications supplémentaires que la délégation a jugées suffisantes. Le dialogue a atteint alors son objectif : fournir des précisions ou des clarifications sur les motivations ou sur les intentions de la Commission et, par là même, répondre à des interrogations, voire à des inquiétudes.

Le dialogue qui s'est déroulé à propos de la notion de « compétence exclusive » a ainsi permis d'aboutir à une utile clarification.

Dans plusieurs propositions transmises à la délégation, la Commission européenne estimait inutile de justifier l'action envisagée au regard du principe de subsidiarité, car l'on se trouvait dans un domaine de « compétence exclusive » de l'Union. Il est vrai que le principe de subsidiarité ne s'applique pas dans le cas d'une « compétence exclusive » de l'Union. Cette précision, qui figure à l'article 5 du traité instituant la Communauté européenne, ne fait que rappeler une évidence : si l'Union est exclusivement compétente, le problème du partage optimal des responsabilités entre l'Union et les États membres ne se pose pas.

Tout le problème était que la Commission appliquait cette notion de « compétence exclusive » à des domaines qui n'en relevaient pas : l'harmonisation de règles et de procédures dans le domaine de l'aviation civile, le régime de TVA applicable aux services de radiodiffusion et de télévision, la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux...

En réalité, il n'y a compétence exclusive de l'Union que lorsque celle-ci ne peut agir qu'en dessaisissant complètement les États membres. Les domaines concernés sont d'ailleurs énumérés dans un nouvel article introduit par le traité de Lisbonne.


Les compétences exclusives d'après le traité de Lisbonne

« L'Union dispose d'une compétence exclusive dans les domaines suivants :

a) l'Union douanière ;

b) l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ;

c) la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l'euro ;

d) la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche ;

e) la politique commerciale commune.

L'Union dispose également d'une compétence exclusive pour la conclusion d'un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l'Union, ou est nécessaire pour lui permettre d'exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée. »

Les domaines où l'Union dispose d'une compétence exclusive sont donc peu nombreux et ne doivent pas être confondus avec ceux où l'Union a exercé une compétence partagée. Dans les domaines de compétence partagée, dès lors que l'Union a pris des mesures, les États membres ne peuvent plus légiférer dans le champ de ces mesures, mais l'Union n'en a pas pour autant une compétence exclusive et ses interventions restent soumises au principe de subsidiarité (le principe de proportionnalité s'appliquant d'ailleurs, quant à lui, que l'on soit ou non en présence d'une compétence exclusive de l'Union).

Dans ses réponses aux observations de la délégation, la Commission a reconnu avoir utilisé le terme de « compétence exclusive » à mauvais escient. Ainsi, s'agissant du texte relatif à l'harmonisation de règles et de procédures dans le domaine de l'aviation civile, la Commission a expliqué que le terme de « compétence exclusive » ne faisait pas référence à la politique des transports, laquelle est une compétence partagée avec les États membres, mais à la compétence de mettre en oeuvre des procédures interinstitutionnelles - en l'espèce, l'adaptation aux nouvelles règles en matière de comitologie - qui ne peut être exercée que par l'Union européenne.

La Commission a développé une argumentation similaire en ce qui concerne la proposition de directive relative au régime de TVA applicable aux services de radiodiffusion et de télévision et à certains services fournis par voie électronique. Elle a reconnu que la fiscalité indirecte « ne constitue pas un domaine qui relève d'emblée de la compétence exclusive de la Communauté au sens de l'article 5 CE » . Elle a toutefois fait observer que l'exercice par les États membres de leurs compétences concurrentes en matière de taxes sur le chiffre d'affaires était strictement encadré et limité par les mesures d'harmonisation des législations nationales adoptées par le Conseil. Surtout, elle a expliqué que la « compétence exclusive » de la Communauté à laquelle elle avait fait référence dans l'exposé des motifs « se fondait dès lors sur le fait que [la] proposition visait uniquement à prolonger la période d'application d'un acte communautaire » .

Après cet échange, la délégation n'a plus constaté de cas dans lequel la Commission recourait abusivement à l'argument de la « compétence exclusive » . Toutefois, lors de l'examen de la proposition de règlement réformant l'organisation commune des marchés des fruits et des légumes, il est apparu que la Commission ne fournissait aucune motivation au regard de la subsidiarité, laissant ainsi à penser que l'Union pourrait disposer en ce domaine d'une compétence exclusive. C'est pourquoi la délégation a rappelé, dans ses observations, que la politique agricole commune n'était pas une compétence exclusive de l'Union. En réponse, la Commission a reconnu la nécessité de motiver cette proposition au regard du principe de subsidiarité.

Ainsi, le dialogue engagé par le Sénat avec la Commission a amené celle-ci à réagir contre une dérive qui l'amènerait à élargir inconsidérément la catégorie des « compétences exclusives » qui échappent au contrôle de subsidiarité.

- D'autres réponses paraissent moins satisfaisantes.

Mais dans d'autres cas, la Commission s'est bornée à reprendre les justifications figurant dans l'exposé des motifs ou les considérants de la proposition : or, si la délégation avait formulé une observation, c'était au minimum pour obtenir une justification plus complète.

Il est même arrivé que la Commission réponde en termes d'opportunité à des observations portant sur la subsidiarité. Ainsi, dans ses observations concernant la proposition de réforme de l'OCM vitivinicole, la délégation avait estimé que, pour être pleinement conforme au principe de subsidiarité, ce texte devrait accorder une plus grande latitude aux États membres quant aux mesures susceptibles d'être financées dans le cadre des « enveloppes nationales » qu'il était prévu d'accorder. Dans sa réponse, la Commission se borne à indiquer qu'elle n'est « pas favorable » aux mesures citées en exemple par la délégation « à cause de leurs nombreux inconvénients » . Or, la question était seulement de savoir si le principe de subsidiarité devait conduire, en l'occurrence, à laisser une plus grande latitude aux États membres ; à supposer qu'il en soit ainsi, c'était à ceux-ci d'évaluer les avantages et inconvénients des mesures possibles, sous réserve du contrôle de la Commission sur d'éventuelles distorsions de concurrence.

- Enfin, la Commission a, pour certaines de ses réponses, recouru à des arguments extrêmement discutables .

L'existence de différences de situation entre les États membres

Il en est ainsi lorsque la Commission, dans l'exposé des motifs d'une proposition, fonde son argumentation en matière de subsidiarité sur l'existence de différences de situation entre les États membres.

Ainsi, pour justifier sa proposition sur la question des infrastructures routières, la Commission met en avant la diversité des mesures et l'inégalité des performances selon les États membres.

De même, pour justifier une proposition concernant les incitations fiscales en faveur de la recherche-développement, elle souligne que le régime des fondations est caractérisé par une très grande diversité en matière d'organisation, de gestion administrative, de conditions de fonctionnement, de statut juridique et de traitement fiscal.

De telles justifications sont préoccupantes. Si l'existence de différences de situation entre les États membres peut tenir lieu de justification au regard du principe de subsidiarité, alors autant rayer ce principe des traités, car il n'existe pas de secteur d'action possible de l'Union où cet argument ne pourrait être employé. Un tel raisonnement revient, en réalité, à priver l'énoncé du principe de subsidiarité de tout effet utile.

L'existence d'un financement par l'Union européenne

Tout aussi critiquable est l'argument employé par la Commission, en réponse aux observations de la délégation, qui justifie au regard de la subsidiarité la proposition de directive sur la sécurité des infrastructures routières par le fait que les infrastructures routières sont souvent cofinancées par les fonds structurels ou le fonds de cohésion. Là également, entrer dans une telle logique reviendrait à neutraliser le principe de subsidiarité, tant les réalisations financées par les fonds européens sont variées et touchent à des domaines divers.


• Ainsi, le bilan du dialogue avec la Commission se ramène à un plus grand effort de justification de ses propositions , en recourant à des arguments qui peuvent paraître de valeur inégale, certains emportant l'approbation, d'autres suscitant l'étonnement.

La minceur de ce résultat peut d'autant plus décevoir que les préoccupations exprimées par la délégation, au moins dans certains cas, n'étaient manifestement pas sans fondement, puisque certains des textes en cause ont suscité un débat sur la subsidiarité au sein du Parlement européen ou du Conseil.

Les débats du Conseil ont ainsi accordé une place à l'exigence de subsidiarité dans des domaines comme les capacités aéroportuaires, la protection des sols, la sécurité des infrastructures routières, la réforme de l'OCM « fruits et légumes », la gestion des risques d'inondation ; il en a été de même, dans le cas du Parlement européen, pour les textes relatifs aux infrastructures critiques, à la protection des sols, à la réforme de l'OCM vitivinicole, à la gestion des risques d'inondation...

L'existence de tels débats montre que la problématique de la subsidiarité est désormais prise davantage au sérieux par le législateur de l'Union ; cela suggère qu'il aurait été utile, pour la Commission, de l'aborder plus à fond au stade plus précoce du dialogue avec les parlements nationaux.

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