D. INTERVENTION DE M. ABDULLAH GÜL, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE TURQUIE

Délégué pendant neuf ans auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, M. Abdullah Gül, nouveau président de la République de Turquie, a été invité à présenter les réformes entreprises par son pays en matière de droits de l'Homme depuis l'accession au pouvoir de sa formation politique, en novembre 2002. M. Gül a insisté à cet égard sur les mesures prises en matière de lutte contre la torture, inspirées directement des recommandations du Conseil de l'Europe. Chef d'un État membre fondateur du Conseil de l'Europe, le Président turc a appelé de ses voeux une entrée en vigueur rapide du protocole n°14 à la Convention européenne des droits de l'Homme et permettre ainsi le désengorgement de la Cour. Il a également milité pour une adhésion de l'Union européenne à la Convention.

Rappelant le caractère laïc de la démocratie turque, M. Gül a souligné la nécessité de promouvoir un dialogue entre les cultures et les religions destiné à combattre toute forme de discrimination ou d'intolérance. Le Président turc a cité à titre d'exemple l'initiative prise par son pays et l'Espagne de créer en 2004 une Alliance des civilisations, groupe de travail placé sous l'égide des Nations unies.

M. Gül a également souhaité saluer la présence de délégués de la République turque de Chypre-Nord au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, y décelant une volonté de rompre l'isolement de cette partie de Chypre. Il a néanmoins rappelé son souhait de voir la question chypriote résolue sous les auspices des Nations unies.

Sur le plan international, M. Gül s'est montré préoccupé par la situation actuelle en Irak, estimant que la sécurité de la Turquie était directement menacée par la présence du PKK kurde derrière la frontière irako-turque.

Interrogé sur la laïcité lors des débats qui ont suivi son intervention, le Président turc a avancé l'idée d'aménagements au principe de séparation de l'Église et de l'État, sans que l'essence laïque de la Turquie ne soit remise en cause. Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a souhaité, à cet égard, que le Président turc lui précise ses intentions :

« Je salue l'ancien collègue. Je félicite le Président, qui est le symbole de la République, de la laïcité et du kémalisme.

Une inquiétude sourde s'exprime. Chez vous, vos concitoyens défilent par milliers pour défendre la laïcité. Est-elle en danger ? En Europe, l'inquiétude gagne. Vous avez bien fait de rappeler que la Turquie est l'un des pays fondateurs du Conseil de l'Europe. On note des inquiétudes chez les femmes qui ont peur de perdre leurs droits qui remontent à quatre-vingts ans. Comment expliquez-vous la montée de cette inquiétude profonde et réelle ?

Vous avez évoqué une modification de la Constitution sans l'expliquer. Pouvez-vous la préciser ? »

Sans étayer ses premiers propos, M. Gül a réfuté toute tentative de retour en arrière en matière de droits des femmes en indiquant que « le dispositif législatif relatif aux femmes n'a connu aucun retour en arrière et est au contraire en progrès constant et il rappelle que les femmes ont le droit de vote et peuvent être élues depuis 1934. Les inégalités entre les sexes ont été éliminées dans la législation turque. A l'Assemblée nationale, la proportion de femmes a augmenté. Les femmes occupent des positions actives dans la société et il n'y a pas lieu de s'inquiéter quant à leur avenir. Certes, cette situation fait l'objet de critiques mais c'est là le signe du bon fonctionnement de la démocratie turque. Une nouvelle Constitution doit être rédigée. Elle le sera sur la base d'un consensus entre les différents partis politiques qui représentent l'ensemble de la société civile ».

Plusieurs questions de délégués ont porté sur la question kurde et l'application des résolutions de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur ce sujet (4 ( * )) . Le Président turc a insisté sur l'impact des dernières réformes en matière de diversité culturelle, revenant notamment sur le développement de la langue kurde dans son pays. M. Gül a, néanmoins, rappelé la fermeté des autorités à l'égard de toute entreprise terroriste se réclamant de l'identité kurde. Il a tenu à préciser que cette fermeté ne dérogeait pas aux grands principes de la Convention européenne des droits de l'Homme, citant ainsi l'arrêt récent de la Cour européenne des droits de l'Homme sur le régime pénitentiaire de M. Abdullah Öcalan, chef du PKK arrêté en février 1999.

M. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) a, pour sa part, interrogé le Président turc sur l'augmentation des violences politiques et les difficultés de la Turquie à se retourner sur son passé :

« Dans votre pays, en 2006, Monsieur le Président de la République, un très haut magistrat a été pris pour cible par un avocat qui lui reprochait ses prises de position en faveur de la laïcité. Au début de 2007, un journaliste, Hran Dink, est tombé sous les balles d'un jeune influencé par la propagande extrémiste. Nous connaissons les aspirations européennes de la Turquie. Nous savons surtout les très importantes réformes entreprises par les gouvernements auxquels vous avez appartenu. Pouvez-vous nous laisser espérer une rupture nette avec des propos négationnistes quant à l'histoire de la Turquie et la poursuite résolue des enquêtes policières sur les assassinats qui nous ont tous bouleversés ? »

M. Gül a condamné le meurtre de M. Dink, regrettant « ce malheureux incident » . « L'assassin du journaliste Hran Dink a été appréhendé immédiatement après le meurtre. La population turque a protesté de manière significative à la suite de cet assassinat. »

Revenant sur le devoir de mémoire, le chef de l'État a souhaité apporter son éclairage : « En 1915, la Turquie était en guerre sur quatre fronts et une partie de la population était provoquée par un voisin. Certains se rebellaient contre l'autorité turque. Des événements tragiques se sont déroulés à cette époque. Nombre de citoyens ont souffert mais les églises arméniennes sont restées ouvertes sur le territoire de la Turquie. Il y avait des ministres et des juges arméniens dans la période ottomane. Si les Turcs s'étaient vraiment rendus coupables d'un « génocide » à l'égard des Arméniens, de tels faits n'auraient pu être tolérés » .

Le Président turc a dénoncé le fait que « ces événements soient utilisés comme arme de propagande et nourrissent des rumeurs. La Turquie a ouvert les archives les plus secrètes et a proposé de créer un comité conjoint d'historiens pour étudier [le génocide]. Les autorités se rangeront aux conclusions de ce comité auquel M. Branger est invité de se joindre s'il le souhaite. Le Président de la République pense que tous les pays devraient faire preuve d'autant d'esprit d'ouverture » .

* (4) On citera notamment la résolution 1519 sur la situation culturelle des Kurdes, adoptée le 4 octobre 2006.

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