E. MIGRATIONS, RÉFUGIÉS ET POPULATION

Discussion commune autour des questions de migrations

Précédée d'une intervention de M. Brunson McKinley, Directeur général de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), la discussion commune organisée à l'occasion de l'ouverture des travaux de la quatrième session portait sur trois projets de textes de la commission des migrations, des réfugiés et de la population concernant les programmes de régularisation des migrants en situation irrégulière, les centres de transit et de traitement des migrants et des demandeurs d'asile et les activités de l'OIM.

Prenant appui sur le programme de régularisation adopté en 2005 par le Gouvernement espagnol, le projet de résolution présenté par la commission sur le sujet invite les États membres à limiter le nombre de migrants en situation irrégulière par l'intermédiaire de mesures de reconduite dans les pays d'origine mais aussi de programmes de régularisation. Ceux-ci doivent prendre en compte des critères humanitaires et politiques, mais également évaluer l'impact économique que pourrait représenter une régularisation pour certains secteurs en mal de main d'oeuvre. Une simplification des formalités administratives en la matière et une meilleure information autour des programmes apparaît, selon la commission, également nécessaire. La résolution rappelle enfin l'existence d'un socle de droits minimaux pour les immigrés en situation irrégulière, tels que définis par la résolution 1509 (2006) , adoptée le 27 juin 2006, sur les droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière.

S'interrogeant sur la création d'un nouveau statut pour les migrants en situation irrégulière, M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC-UDF) a tenu à insister sur la nécessité de mettre en oeuvre des politiques de co-développement comme préalable à toute réflexion sur d'éventuelles régularisations :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier et à féliciter nos rapporteurs et à manifester mon accord sur deux points clefs du projet de résolution.

Le premier concerne l'indispensable coordination des programmes de régularisation des États. Un État de l'espace Schengen ne peut, en effet, procéder à une régularisation large sans en mesurer toutes les conséquences pour ses partenaires adhérant à la Convention. C'est pourquoi la politique migratoire est déjà partiellement « communautarisée ». Il convient de progresser encore sur le chemin d'une « coordination » qui pourrait un jour - est-ce un rêve ? - s'étendre même à nos 47 États.

Le second point, sur lequel je rejoins nos rapporteurs, a trait à la répression sans faiblesse de toute forme d'exploitation des candidats à l'émigration. Nous avons affaire ici à de véritables criminels. Je regrette donc que la politique des passeurs ne figure que dans le projet de résolution et non dans le projet de recommandation.

Bien entendu, je partage aussi avec notre collègue Greenway le sentiment qu'il faut défendre de manière intransigeante la dignité de la personne des migrants. J'aurais aimé que le rapport mentionne explicitement que la Convention européenne des droits de l'Homme, notre texte fondamental, s'applique à toute personne présente sur le territoire de l'un des 47 États du Conseil de l'Europe, quelle que soit sa situation. Il est à rappeler que les garanties de cette convention doivent protéger, bien sûr, nos concitoyens, mais aussi les migrants et, parmi eux, ceux qui sont en situation irrégulière.

J'en viens à quelques divergences avec le rapport.

Je veux d'abord insister sur l'effet mécanique d'une reconnaissance d'un « statut » du migrant en situation irrégulière : tout droit supplémentaire concédé à des personnes qui ont, qu'on le veuille ou non, fraudé nos lois pénalise ceux qui se sont donné la peine de les respecter. Le projet de recommandation comme le projet de résolution ne me semblent pas correspondre tout à fait à l'équilibre politique dont nous sommes et devons rester les garants.

Nous devons demeurer attentifs à la situation des migrants, chassés de leur terre par la misère, les guerres ou les totalitarismes. Mais, dans l'intérêt de tous, accueillis et accueillants, nous devons veiller à l'intégration des migrants dans les sociétés d'accueil. Donner un signal de régularisation facile aux migrants en situation irrégulière ne sert pas cet équilibre.

Enfin, la référence aux politiques de co-développement destinées à stabiliser les populations actuellement poussées à l'émigration me paraît trop légère. Sauf cas particulier de personnes animées par un goût exceptionnel de la découverte et de l'initiative ou par un esprit pionnier hors du commun, c'est en général un drame de quitter son pays, sa famille et ses racines. C'est donc poussé par une forte nécessité que l'on s'y résout.

Cela dit, il faut réfléchir à ce qui a été appelé l'immigration « choisie » et poser la question : « Choisie » par qui ? De même que nous, Européens, n'aimons pas voir les plus capables des nôtres attirés, par exemple, aux États-Unis, comprenons que les pays moins favorisés n'apprécient pas non plus de voir leurs élites rejoindre l'Europe.

Le fond du problème, la seule manière qui nous permettra de réduire à terme des migrations mal vécues par tous, c'est l'engagement d'une politique globale de co-développement, sans commune mesure avec tout ce que nous avons pu faire jusqu'ici. Ce serait l'honneur de l'Europe de le dire et de tout faire pour l'engager.

Ce serait aussi la seule vraie manière de lutter contre les délocalisations d'activités vers les pays n'offrant pas les mêmes conditions de protection sociale ou de la nature. Ce serait surtout la seule manière d'aller vers un monde de paix !

N'oublions jamais que nous sommes réunis ici d'abord pour servir les droits de l'homme et la paix. »

M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP), Président de la délégation, a souhaité rappeler l'incertitude quant aux résultats des programmes de régularisation récents et refuser toute vision simpliste des enjeux :

« La question des migrations est effectivement l'un des principaux défis du XXIe siècle. Par conséquent, je me réjouis que notre Assemblée y travaille de manière constante.

Je relève avec satisfaction l'accent mis sur la nécessité d'aider les pays d'origine des migrants afin qu'ils puissent lutter contre les facteurs d'incitation à l'immigration clandestine. Il va de soi que c'est en luttant contre les causes du phénomène que nous serons à même de l'endiguer.

Toutefois, en prenant parti pour le projet de résolution et de recommandation qui nous est proposé, j'ai bien peur que nous cédions à une trop grande naïveté.

Je n'ignore pas la situation souvent malheureuse des sans-papiers et l'exploitation dont ils sont souvent les victimes. Néanmoins pouvons-nous prendre la responsabilité d'une régularisation massive ? N'oublions pas que notre responsabilité politique consiste à satisfaire l'intérêt général et non des intérêts particuliers ou des principes idéologiques.

On nous explique que nous n'avons pas assez de recul, que nous ne disposons pas de mise en commun des expériences au niveau européen, que l'application des programmes de régularisation est extrêmement controversée, que « selon l'Assemblée, davantage d'études devraient être menées » et, dans le même temps, on nous recommande de procéder à des régularisations massives.

Il est aussi largement fait recours à l'exemple du programme de régularisations espagnol de 2005. Mais que prouve-t-il ? Comment être sûr de ses conséquences deux ans à peine après le début de sa mise en oeuvre ? Ne sommes-nous pas tout simplement en train de sacrifier le long terme aux mesures immédiates et non contrôlées ?

Dans le rapport, il est aussi proposé aux États de « veiller à ce qu'il y ait le moins possible de formalités administratives à remplir ». Et pourquoi ne pas supprimer tout simplement toutes les formalités administratives ? Nous n'aurions alors plus à nous préoccuper de la régularité ou de l'irrégularité des migrants, puisque tous seraient ainsi, de fait, réguliers. Notre tâche serait vraiment simplifiée. Cette proposition ne me semble pas sérieuse !

Par contre ce qui me semble très sérieux, comme cela a été longuement expliqué par mon collègue Denis Badré, c'est l'effort que nous devrions fournir pour le co-développement comme indiqué aux articles 20.4, 20.5 et 20.6 du rapport. Faire preuve de plus de courage nous honorerait, et tout autant de regarder en face tout ce qui reste à faire pour le co-développement, source de l'immigration ».

L'augmentation du nombre de migrants illégaux ces dernières années (500 000 migrants par an, 5,5 millions de personnes en situation irrégulière en Europe) ont conduit les États à adopter de nouvelles réponses pour endiguer ce phénomène, mais également faire face aux flux de demandeurs d'asile. Interrogé par l'Union européenne, le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (HCR) a récemment proposé de traiter les demandes d'asile au sein de centres situés à l'extérieur des frontières de l'Union européenne, sur le continent ou en Afrique du Nord. Sans s'opposer formellement à cette initiative, la résolution portant sur l'évaluation de centres de transit et de traitement en tant que réponse aux flux de migrants et de demandeurs d'asile relaye les inquiétudes sur les buts réels de ce type de centres et sur leur gestion à terme. Elle invite les États membres à ne pas négliger les autres pans des politiques d'immigration et à considérer ces organismes comme de simples mesures transitoires. Le texte de la commission insiste particulièrement sur le nécessaire respect des droits de l'homme qui doit y régner et la situation spécifique des demandeurs d'asile.

La recommandation sur les activités de l'OIM, telle qu'adoptée par l'Assemblée, souhaite que soit portée une attention particulière aux droits fondamentaux des migrants et en particulier des populations dites vulnérables (enfants, femmes, personnes âgées). Elle promeut leur intégration au processus démocratique, sans que soient pour autant précisées les modalités de celle-ci, suscitant par là même quelques interrogations. Elle appelle enfin de ses voeux au développement d'une véritable politique de coopération entre pays d'accueil, pays de transit et pays d'origine dans le cadre des migrations de main d'oeuvre. Aucune allusion n'est faite à la question du co-développement.

Crise humanitaire au Darfour

L'Assemblée parlementaire a organisé, en avril 2007, un débat d'actualité sur le Soudan et la région du Darfour à l'issue duquel il a été convenu d'adopter à terme une résolution. Celle-ci, présentée à l'occasion de cette partie de session par la commission des migrations, des réfugiés et de la population, incite le gouvernement soudanais à respecter les résolutions du conseil de sécurité des Nations unies afin que soit mis fin le plus rapidement possible aux hostilités. Elle appelle les mêmes autorités à soutenir le travail des organisations humanitaires et demande que soit prise en compte la situation particulièrement difficile des enfants soldats et des femmes, quel que soit leur âge. La résolution invite également la communauté internationale à poursuivre ses efforts afin de relancer les négociations. Elle insiste expressément sur le rôle de la Chine, de l'Inde et de la Russie, pays qui disposent de liens étroits avec le Soudan, pour parvenir à un règlement du conflit.

M. Jacques Legendre (Nord - UMP), intervenant au titre du groupe PPE, a souligné la nécessité pour le Conseil de l'Europe d'intervenir sur un tel thème :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, quand la liberté est bafouée quelque part dans le monde, que les droits de l'Homme sont foulés au pied, l'Europe est concernée et le Conseil de l'Europe doit s'exprimer.

L'Europe est concernée parce qu'elle ne tarde pas à en voir les conséquences sur son propre sol ; l'immigration ne tarde guère à se manifester. Surtout elle est concernée car ce sont les valeurs auxquelles elle est attachée qui sont en cause : le respect des femmes, des enfants est une exigence que nous formulons pour les nôtres mais aussi pour tous les autres.

Voilà pourquoi le groupe PPE, comme tous les groupes de cette Assemblée, est profondément choqué par la situation en Birmanie où la démocratie est niée en permanence. Voilà pourquoi nous attendons aussi au Darfour que l'on passe de la dénonciation à l'action. Les choses sont avérées : 85 000 personnes tuées, 200 000 morts de maladies ou de faim depuis quatre ans, 2 millions de personnes installées dans des camps, 230 000 réfugiés au Tchad. Et il faudrait encore que nous attendions !

La population est victime de violences perpétrées par les rebelles et par le camp gouvernemental, mais il est particulièrement choquant de constater que le gouvernement du Soudan laisse agir, voire arme des milices qui terrorisent la population du Darfour, c'est-à-dire une partie de ses propres nationaux, et entrave par ailleurs l'action internationale quand celle-ci tente d'agir.

Certes, un gros effort d'aide humanitaire est en cours au Darfour, avec la présence de 14 000 travailleurs humanitaires, qu'il faut saluer ici, mais il s'agit là de porter remède aux conséquences du drame. Nous devons maintenant soutenir toute action permettant de mettre un terme au drame lui-même.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a voté des résolutions qui doivent impérativement être respectées par toutes les parties en cause, en particulier par le Gouvernement soudanais : la résolution 1769 du 31 juillet 2007 qui prévoit la mise en place d'une opération hybride de l'Onu et du l'Union africaine - 26 000 militaires et policiers doivent être en place d'ici fin 2007 - et qu'à la fin de ce mois, les co-médiateurs de l'Onu et de l'Union africaine doivent pouvoir engager une nouvelle phase de négociations de paix en Libye ; la résolution 1778 du Conseil de sécurité, adoptée à l'unanimité le 25 septembre, qui décide du déploiement d'une force civile de l'Onu et autorise celui d'une force militaire de l'Union européenne dans l'est du Tchad et au nord-est du Centre Afrique doit pouvoir se concrétiser dans les meilleurs délais, car si nous n'intervenons pas au Tchad et en Centre Afrique, ces pays risquent aussi de s'embraser et de s'effondrer.

Il semble que de nombreux pays européens annoncent ou envisagent leur participation. Il faut s'en réjouir et souhaiter que la volonté d'agir se concrétise au plus vite.

Mes chers collègues, le drame du Darfour nous concerne tous. L'Union africaine doit pouvoir y démontrer sa capacité nouvelle à contribuer au premier chef au règlement des problèmes du continent. Néanmoins l'Europe ne peut pas se désintéresser du continent africain. L'Union européenne, et, plus généralement, l'ensemble des pays européens doivent se montrer solidaires, engagés, actifs. Le Soudan, le Tchad, le Centre Afrique doivent être poussés vers la voie d'une réconciliation durable. Quant aux criminels de guerre, ils doivent savoir que leur destin est d'être traduits devant la Cour pénale internationale.

C'est en soutenant avec vigueur les actions en cours que l'Assemblée du Conseil de l'Europe démontrera sa volonté de défendre partout les valeurs qui nous rassemblent. »

M. François Rochebloine (Loire - NC) a, pour sa part, invité l'Assemblée à replacer la crise humanitaire dans un contexte géopolitique global et pointé le déficit de crédibilité de l'ONU dans ce dossier :

« Je remercie notre rapporteure, Mme Vermot-Mangold, pour son excellent travail, de plus, très clair. La précision de son analyse rend encore plus sensibles les dangers encourus par les malheureuses populations de cette région martyre, même si, une fois de plus, les mots ne peuvent être à la mesure des détresses. Je ne peux que souscrire, de manière générale, à ses conclusions et joindre ma voix à toutes celles qui réclament la fin de cet abominable conflit.

S'agit-il seulement d'une crise humanitaire ? Devons-nous arrêter notre réflexion à cet aspect ? Certainement pas ! En effet, tout le monde le sait, l'obstination du Gouvernement soudanais dans son attitude de persécution des populations civiles, d'entrave à l'aide humanitaire, se nourrit de la solidarité politique de certaines grandes puissances, que le rapport cite au détour d'une phrase. Les habitants et les réfugiés du Darfour sont les otages, et le Gouvernement soudanais l'instrument, d'une stratégie géopolitique qui les dépasse.

Alors, bien sûr, nous devons espérer et souhaiter que l'aide humanitaire ne cesse pas. Il nous faut continuer de faire pression sur les autorités et les forces qui les affrontent pour qu'elles laissent cette aide parvenir dans des conditions normales à ses bénéficiaires, pour que les secours d'urgence puissent se déployer sans que les personnes qui les mettent en oeuvre craignent à tout instant pour leur sécurité et même pour leur vie.

Toutefois on peut s'interroger sur le sens que peuvent avoir le rappel - nécessaire - des résolutions internationales, l'invocation des droits sacrés de la personne humaine, pour un régime qui ne donne à ces mots aucun contenu ? Que faire contre un gouvernement qui, comme les terroristes, compte pour rien la mort de l'innocent ?

D'abord, il nous faut amplifier la protestation, développer l'information de l'opinion publique en Europe, accentuer les pressions diplomatiques directes sur le Gouvernement soudanais. Le rapport en parle amplement ; permettez-moi, à cette occasion, d'accorder une mention spéciale aux actions de déminage, auxquelles mon engagement en faveur de l'interdiction des mines anti-personnel me rend particulièrement sensible. Je n'oublie pas les sous-munitions qui, alors qu'elles produisent les mêmes effets que les mines anti-personnel, ne sont pas pour autant reconnues comme telles par la Convention d'Ottawa.

Ensuite, les États ont le devoir et la responsabilité de mettre en oeuvre effectivement les mesures prévues par les résolutions internationales déjà adoptées, notamment le déploiement de forces de maintien de la paix. Malheureusement, la crise du Darfour pose une nouvelle fois le problème de la crédibilité de l'Onu comme instrument de prévention des conflits et de sécurité collective.

Enfin, il nous faut largement dénoncer le soutien accordé par de grandes puissances comme la Chine ou l'Inde au Gouvernement soudanais, de sorte que ce soutien devienne politiquement coûteux pour ces puissances, que d'autres considérations pourraient rendre à terme plus soucieuses de leur image internationale.

Sous le bénéfice de ces observations, je voterai naturellement le projet de résolution ».

M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC-UDF) a insisté sur la responsabilité de l'Europe dans le règlement du conflit et par delà, dans le développement du continent africain :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, la réponse de notre Assemblée à la terrible crise humanitaire que vit le Darfour était si nécessaire que certains la jugeront tardive au regard du drame quotidien que connaissent plus de deux millions de personnes depuis quatre ans et demi. Je salue donc le rapport de notre commission des migrations, des réfugiés et de la population et ses recommandations puisqu'elles vont dans le sens d'un renforcement de l'intervention humanitaire sur place. Je soutiens également les amendements proposés par la commission des questions sociales, de la santé et de la famille qui invitent à prendre en compte la situation des enfants engagés de force au sein des milices.

Je m'interroge simplement sur la portée de nos prises de positions. Je pense que nous ne devrions pas nous satisfaire de n'intervenir que sur les conséquences, il conviendrait d'aborder directement la question des causes de tels conflits, que ces causes soient religieuses, ethniques, économiques ou géopolitiques. Au-delà d'une réflexion globale sur l'action humanitaire dans un conflit de nature complètement inédite, peut-on aujourd'hui faire l'économie d'un vrai débat sur l'avenir du continent africain et sur le devenir de ses nouveaux rapports avec les États-Unis, la Chine et, bien sûr, le continent européen ?

Oui, la question du Darfour est bien aussi une question européenne. Notre responsabilité est engagée. Elle l'est bien sûr déjà sur le plan militaire, avec l'envoi d'une force de l'Union européenne destinée à faciliter le déploiement de l'aide humanitaire, mais elle est engagée aussi sur le plan politique : cette crise devrait au moins offrir à l'Europe une occasion de montrer son unité, face à l'insupportable, ce qui rendrait plus crédibles nos stratégies de développement pour l'Afrique. Nous ne pouvons plus rester enfermés dans nos traditions diplomatiques nationales, pour ne pas dire plus, quand il s'agit de l'Afrique. Une vision commune doit se dégager, qui permette d'ouvrir des perspectives concrètes, au-delà du succès de la mission de maintien de la paix à laquelle nous participons.

Cette vision ne saurait être seulement commune aux vingt-sept membres de l'Union européenne - ce qui n'est malheureusement déjà pas toujours le cas - mais bien concerner tous les États représentés aujourd'hui au sein de notre Assemblée. En plus d'un soutien économique et social, c'est bien en effet d'une philosophie politique fondée sur l'idée de liberté qu'il doit s'agir.

L'Europe a sa place aux côtés des peuples d'Afrique. Non pas tant en raison de passés communs, mais bien au nom de l'avenir, tant la jeunesse et la vitalité de l'Afrique doivent être valorisées au bénéfice de tous ses peuples, tant elles devraient aussi nous amener à donner un nouveau souffle à l'héritage démocratique européen. L'Afrique, en particulier le Darfour, ne peuvent plus être tributaires d'enjeux économiques ou énergétiques et rester ainsi éternellement les victimes du cynisme des grandes puissances. Nous devons opposer à une arrogance polyforme, aveugle et meurtrière, la générosité d'idées simples fondées sur la liberté et la dignité de l'être humain, principes fondamentaux qui sont au coeur de la Convention européenne des droits de l'Homme.

Je rappelle ici, en conclusion, cette très belle formule du Président Vaclav Havel : « Notre histoire, à nous Européens, a connu des heures de gloire mais aussi beaucoup d'heures de misères. Nous ne devons pas dire à ceux qui s'enfoncent aujourd'hui dans des conflits apparemment sans issue : « Faites comme nous » . Nous devons simplement leur envoyer un message d'espérance : « Au XXe siècle, l'Europe a touché le fond de l'horreur. Et nous nous en sommes sortis » . Mais ce que nous avons fait n'est pas transposable. A chaque conflit sa solution. Sachons simplement tous qu'une vraie solution est toujours affaire de générosité, de courage et de volonté politique » . La volonté politique devrait concerner chacun d'entre nous.

Au Darfour, tous les droits de l'Homme sont bafoués. Notre Assemblée est elle-même institutionnellement, évidemment, concernée ! »

Pour M. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP), la crise du Darfour souligne l'urgente nécessité pour l'Afrique de faire le choix de la démocratie et de la laïcité et pour le Conseil de l'Europe d'adopter une position ferme sur les exactions commises :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, la guerre du Darfour est un conflit totalement nouveau. Aucune ligne clairement identifiée, absence de réel enjeu territorial, pas d'opposition tranchée entre guérilla rurale et villes tenues par le gouvernement, juste un affrontement larvé entre deux mouvements qui s'épient, s'agressent sans s'éliminer totalement. La principale victime est un peuple, dénué de toute possibilité de résistance, n'ayant d'ambition que celle du retour à la paix et du respect de ses croyances ancestrales. Comme le dit le proverbe africain : « Quand les éléphants se battent, seule l'herbe souffre. »

En lieu et place de divisions blindées anéanties, d'armes prises, la chronique du conflit ne peut qu'égrainer le nombre de jarres de mil ou de sorgho détruites, les tonnes de céréales brûlées par fanatisme, les troupeaux volés. Elle trace aussi les contours de saisons en enfer où les enfants sont arrachés des bras de leur mère pour être immolés, où les femmes sont violées puis éventrées, où les hommes sont abattus mécaniquement. N'en doutons pas, si l'on cherche les damnés de la terre, ils sont au Darfour.

Comment peut-on laisser se développer une zone d'inhumanité où le non droit devient une norme ? Il est de notre responsabilité de favoriser tout à la fois le prolongement et l'intensification de l'aide humanitaire mais également de contribuer à l'établissement d'une paix durable. Il est également urgent de s'interroger sur les origines de ce type de conflit et penser à terme les modalités de nouvelles formes d'intervention. L'ère de l'image et de la rapidité de l'information ne laisse plus place à l'ignorance, elle nous interdit toute passivité ou indifférence.

Sans remettre en cause l'excellent rapport de Mme Vermot-Mangold, je m'étonne de la précaution lexicale employée, qui ne fait jamais référence aux crimes contre l'humanité, voire au génocide constaté. Par delà les affrontement politiques qui divisent le Soudan et que beaucoup s'emploient à désigner comme les seules causes de la crise actuelle, ne faut-il pas en effet s'interroger sur les réelles ambitions des janjawids, véritables cavaliers de l'apocalypse, dont les opérations meurtrières ne semblent répondre qu'à un objectif de pureté religieuse et même ethnique, sans mésestimer l'intérêt évident pour les ressources pétrolières concentrées dans la région. Doit-on employer une prudence toute diplomatique pour désigner les actes de barbarie commis, alors que les États-Unis ont qualifié ces exactions de génocide dès septembre 2004 ? L'Assemblée des droits de l'Homme, dont nous sommes membres, répondrait à sa mission fondamentale en dépassant cette inopportune timidité.

La crise du Darfour nous rappelle l'impérieux devoir de favoriser l'émergence de sociétés démocratiques et laïques en Afrique, continent porteur d'avenir mais aujourd'hui trop oublié. La résolution du conflit au Darfour sera, à ce titre, la promesse d'une aube nouvelle ».

M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP), président de la délégation, a conclu le débat en appelant le Conseil de l'Europe à dépasser le cadre de la résolution pour s'investir plus à fond dans la mobilisation internationale en faveur du Darfour :

« Je veux rebondir sur les propos tenus par mon collègue et ami Michael Hancock.

Le Conseil de l'Europe a des responsabilités. Personne ne peut oublier qu'il a été créé à la fin de la guerre après une tragédie que tout le monde connaît. Alors que nos aînés ignoraient ce qui se passait entre 1939 et 1945, aujourd'hui, le monde entier, la communauté internationale savent avec la plus grande des précisions ce qui se passe au Darfour, même si la plupart de nos concitoyens ont encore quelques difficultés à situer le Darfour sur la planète.

Le Conseil de l'Europe ne peut se contenter de voter, une fois de plus, des résolutions, de taper du poing sur la table « gentiment » comme il le fait. Il faut aller beaucoup plus loin ! Le Président de notre assemblée parlementaire et le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe doivent faire entendre très haut et très fort la voix du Conseil de l'Europe et celle des Parlements nationaux qui y siègent pour que les grands voisins ou les grandes nations, comme cela fut rappelé par Michael Hancock - que ce soit l'Inde, la Russie ou la Chine qui organisera demain, sur son sol, la plus grande manifestation sportive internationale - fassent en sorte que le Soudan respecte un certain nombre de règles, sur lesquelles nous devons rester intransigeants.

Le Conseil de l'Europe doit prendre beaucoup plus que ses responsabilités, beaucoup plus que celles qu'il a assumées par le passé. Nous devons véritablement faire entendre notre voix et indiquer que nous ne pouvons plus accepter les faits tels qu'ils se déroulent.

Naguère, il n'y avait ni télévision, ni Internet, ni médias. Aujourd'hui, nous pouvons suivre ce qui se passe au quotidien sur nos écrans. J'attends par conséquent beaucoup du Conseil de l'Europe pour qu'il contribue à mettre un terme à ce génocide ».

Le projet de résolution a été adopté à l'unanimité.

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