B. L'INCOORDINATION DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES, UN OBSTACLE INFRANCHISSABLE POUR LES AMBITIONS EUROPÉENNES DE CROISSANCE

L' absence de coordination des politiques économiques en Europe affecte le dynamisme économique de la zone , et réduit les capacités de financement des projets identifiés dans le cadre de la « Stratégie de Lisbonne » comme nécessaires à l'augmentation du rythme de la croissance potentielle.

Ainsi, la mauvaise coordination des politiques économiques en Europe se paie, à court terme, par un déficit de croissance et, plus structurellement, par la remise en cause des ambitions de l'Union européenne .

L'absence de coordination des politiques économiques en Europe débouche sur une « coordination de fait » qui toujours plus poussée accroît les problèmes de l'Europe, zone de croissance molle, d'innovation faible, de chômage élevé et de pouvoir d'achat languissant.

Le défaut de coordination est le principal responsable des choix de certains pays de politiques de désinflation compétitive et des conséquences déflationnistes de ces choix. Il entretient une incitation permanente à l'imitation de telles stratégies, à la généralisation de la concurrence fiscale et salariale.

Cette contagion, à mesure qu'elle prend de l'ampleur, aggrave encore la situation de l'Europe.

1. L'incoordination contre la croissance

De cette mécanique de déclin, abondamment exposée dans le présent rapport, on peut citer un exemple particulièrement « parlant ».

LE COUPLE FRANCO-ALLEMAND 2001-2005

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Au cours de la période 2001-2005, l'Allemagne a enregistré une croissance annuelle de 0,5 % en moyenne. Au cours de ces mêmes cinq années, la politique de désinflation compétitive de l'Allemagne a amputé la croissance française de 0,4 points de PIB par an .

Ce montant correspond aux pertes de croissance subies par la France du fait de l'évolution comparée des coûts salariaux unitaires en France et en Allemagne. Ces pertes, rappelons-le, passent par le canal de la compétitivité et de l'écart de dynamisme des demandes domestiques des deux pays.

Le rapprochement est éclairant : les politiques antagonistes à l'oeuvre en Europe sont à la source des pertes immédiates de bien-être, qui se cumulent .

Plus encore, dans l'hypothèse où les politiques les plus concurrentielles se propageraient partout en Europe, la croissance économique ne dépasserait pas 0,4 % l'an, au mieux .

Pour le comprendre, il suffit de citer l'extrait suivant d'un article récemment publié par la Revue française d'économie 23 ( * ) : « La stratégie allemande, mise en oeuvre depuis le début des années 1990, avec une forte accélération depuis 2000, vise à provoquer une baisse très forte des coûts salariaux unitaires de l'industrie par la hausse de la productivité et la compression des salaires. La hausse de la productivité et la compression des salaires. La hausse de trois points du taux de TVA au 1er janvier 2007, de charges sociales par la TVA (hausse d'un point de la TVA pour une baisse de 2 points des cotisations chômage) et le financement d'une baisse de l'impôt sur les sociétés de 25 % à 15 % par une hausse de deux points de TVA. En outre, les entreprises allemandes ont externalisé une part importante de leur production en Europe centrale afin de bénéficier des faibles coûts de main-d'oeuvre dans ces pays.

Ce faisant, l'Allemagne ne vise pas des coûts unitaires de production qui soient inférieurs à ceux des pays émergents mais à ceux des autres pays européens afin de gagner des parts de marché au détriment des autres pays de la zone euro et de regagner des parts de marché sur son marché intérieur.

Cette stratégie, menée isolément, est critiquable même du point de vue allemand, car elle a conduit à comprimer la demande intérieure ce qui explique en partie, l'Allemagne représentant le tiers du PIB de la zone euro, la faiblesse observée de la croissance de l'ensemble de la zone euro sur la période 2002-2006.

Mais cette stratégie a produit des effets puissants sur la balance commerciale allemande. La dégradation du solde de la balance commerciale de la France, de 1998 à 2005, est plus importante vis-à-vis de l'Allemagne qu'avec l'ensemble des pays émergents. C'est également vrai pour l'Italie. En sorte que l'essentiel de l'amélioration du solde de la balance commerciale allemande au cours des années 2000 s'est fait au détriment du reste de la zone euro plutôt que de l'Asie. C'est moins glorieux mais très efficace.

On peut naturellement considérer que les autres pays membres de la zone euro n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes et faire, eux aussi, de la productivité et de l'externalisation, sauf qu'à ce jeu là c'est la demande intérieure de l'ensemble de la zone euro qui serait déprimée, avec une croissance qui serait deux fois moindre que son taux actuel qui est déjà anémique ».

Vos rapporteurs partagent cette analyse 24 ( * ) . Dans l'hypothèse où chacun conduirait une politique de désinflation compétitive les gains obtenus aux dépens des partenaires, qui sont, en effet, les gains recherchés , s'annuleraient.

Ne resteraient que les gains sur le reste du Monde, faibles par hypothèse, compte tenu des écarts de coûts, et susceptibles d'être rayés d'un trait de plume par une dépréciation des devises étrangères.

* 23 « Comment améliorer la gouvernance économique européenne », de Christian Saint-Etienne. Revue française d'économie. Avril 2007.

* 24 En revanche, ils ne s'associent nullement à ses conclusions (citées ci-dessus), qui sont étonnantes par l'évidence des contradictions qu'elles manifestent avec les prémisses du raisonnement : « La solution à ce problème c'est de comprendre que les points positifs de l'approche allemande doivent être mis en oeuvre au niveau de l'ensemble de la zone euro. C'est l'ensemble des pays de la zone, et particulièrement le trinôme Allemagne-France-Italie, qui doit mettre en oeuvre la TVA sociale et réduire le taux de l'impôt sur les sociétés pour faire face à la concurrence du reste du monde... ». En effet, le remède préconisé est, en tout point, équivalent au mal conjuré, soit l'imitation d'une politique sans issue.

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