III. LES DROITS DE L'HOMME EN EUROPE

Observation des élections en Russie

Les réserves exprimées par le rapport de M. Luc van den Brande (Belgique - PPE/DC) sur le scrutin de décembre dernier n'ont pas suscité de position unanime de l'Assemblée. Certains membres du groupe GDE, principalement composé de parlementaires issus du parti « Russie Unie » du président Vladimir Poutine, se sont en effet contentés d'appeler à quelques améliorations tout en dénonçant une assimilation entre irrégularités et défaite de l'opposition, légitimant de facto les dérogations aux valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe. Cette politisation de l'enjeu reste toutefois l'expression d'une minorité. Elle justifie a posteriori la démarche entreprise par les groupes d'écarter la candidature de M. Mikhail Margelov, président russe du groupe GDE, à la présidence de l'Assemblée parlementaire.

M. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) a souhaité rappeler, dans son intervention, les principales conclusions du rapport de la commission ad hoc et relativiser les justifications trouvées aux écarts constatés avec les principes fondamentaux du Conseil :

« La Fédération de Russie a procédé à des élections législatives, le 2 décembre dernier, avant d'élire son président, en mars prochain. Ce cycle électoral intervient dans un pays en profonde mutation. Alors que la Russie avait été confrontée, dans les années 1990, à une situation anarchique marquée par la déliquescence de l'État et l'effondrement de l'économie, elle connaît, depuis le début du siècle, un important et indéniable redressement, caractérisé par un taux de croissance vigoureux, un excédent budgétaire, un quasi plein emploi et une hausse sensible du niveau de vie, tandis que l'autorité de l'État a été restaurée.

Les Russes, qui aspiraient à ce retour à la stabilité, soutiennent très largement leurs dirigeants. Le Président Poutine serait ainsi crédité de 80 % d'opinions favorables, et le parti Russie Unie, qui soutient la politique gouvernementale, avec 64,3 % des suffrages, a obtenu 315 sièges sur 450 à la Douma lors des élections législatives du 2 décembre 2007.

Pourtant, la lecture du rapport de notre collègue Luc Van den Brande ne peut manquer de nous laisser dubitatifs sur la sincérité de ces élections et de leurs résultats au regard des valeurs et des principes du Conseil de l'Europe. Du reste, la tâche de notre Assemblée n'a pas été facilitée par les autorités russes, qui avaient décidé de limiter de manière drastique le nombre d'observateurs électoraux étrangers, « ce qui ne s'était jamais vu » selon le rapport, à tel point que le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'Homme de l'OSCE a dû renoncer à assurer une mission d'observation de longue durée sur place.

Les conclusions du rapport de notre collègue ne sont pas bonnes pour la Russie : « Si on peut dire que les législatives de 2007 ont été en grande partie libres du point de vue des options de vote, elles n'ont absolument pas été loyales » .

En effet, ces élections n'ont pas été équitables ni conformes aux engagements et normes fixés par le Conseil de l'Europe :

- dans une véritable démocratie, l'État doit rester impartial au cours du processus électoral ; or, l'organisation des élections législatives russes, délibérément transformées en plébiscite sur le chef de l'État et sa politique, a illustré la confusion de l'État et d'un parti politique, rappelant l'époque et les pratiques du PCUS. Il est troublant de constater que le parti victorieux a bénéficié de la mobilisation des ressources administratives ;

- les médias, les chaînes de télévision en particulier, ont fait campagne pour le parti au pouvoir ; les partis d'opposition n'ont pas pu faire connaître leur programme ou ont été dénigrés ;

- le code électoral a été modifié depuis les précédentes élections de 2003 dans un sens favorable au parti au pouvoir, de telle sorte que l'émergence et la représentation parlementaire de nouveaux partis politiques, confrontés par ailleurs à de multiples tracasseries administratives, sont quasiment impossibles ;

- les partis d'opposition et leurs responsables ont été harcelés : le rapport et ses annexes fournissent de nombreux exemples de ces méthodes inacceptables dans un État de droit : rassemblements réprimés, détentions arbitraires, menaces, ...

Dans ces conditions, la grande majorité des électeurs russes pouvait-elle faire autrement que voter pour le parti du pouvoir ?

Ces pratiques ne sont pas admissibles de la part d'un État membre du Conseil de l'Europe. Elles ne sont d'ailleurs guère compréhensibles, puisque le respect de pratiques électorales plus loyales n'aurait assurément pas empêché la victoire du parti soutenant le gouvernement.

Selon moi, l'indulgence pour les méthodes d'un pays longtemps dépourvu de traditions démocratiques n'est pas bonne conseillère en matière électorale. Certes, la Russie a connu un régime autocratique pendant des siècles, puis une dictature communiste pendant sept décennies, alors que les États démocratiques ne se sont évidemment pas construits du jour au lendemain. Mais la recherche légitime de la stabilité politique et économique ne saurait justifier une remise en cause des principes démocratiques les plus élémentaires, parmi lesquels figure la tenue d'élections libres, loyales et pluralistes. Alors que la démocratisation d'un pays se mesure à des avancées progressives, les élections législatives russes du 2 décembre 2007 n'ont malheureusement permis de constater, de ce point de vue, qu'un retour en arrière. »

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe n'entend pas pratiquer l'exclusion ou l'isolement de ses États membres. Elle souhaite avant tout accompagner les procédures de modernisation des systèmes électoraux afin que les droits fondamentaux puissent être garantis et respectés. Aussi dures soient les conclusions du rapport ad hoc , elles doivent avant tout être envisagées comme des pistes de réflexion pour le scrutin présidentiel de mars 2008. Celui-ci nécessitera une vigilance accrue de l'Assemblée. L'absence d'amélioration tangible serait un coup porté à la portée de son message et au-delà, à la respectabilité même du Conseil de l'Europe. Une réaction adaptée devra alors être trouvée. Il convient de rappeler, à cet effet, que l'Assemblée parlementaire ne répond pas à la logique diplomatique du Comité des ministres et peut réaffirmer sans complaisance les valeurs du Conseil. Il en va de sa crédibilité.

Développements concernant le statut futur du Kosovo

Présenté comme un des événements majeurs de cette partie de session, le débat sur le rapport de Lord Russell-Johnston (Royaume-Uni - ADLE) n'a pas, logiquement, permis de dégager une position consensuelle au sein de l'Assemblée parlementaire quant à l'avenir du Kosovo. En reprenant à son compte les préconisations du plan Ahtisaari, le projet de résolution ne pouvait que susciter l'hostilité d'un certain nombre de parlementaires, issus notamment des délégations serbe et russe, mais aussi tchèque ou azérie. Un tel clivage était déjà apparu en octobre 2006, à l'occasion d'un précédent rapport sur le même sujet, écarté sous la pression du groupe GDE.

Le projet de résolution écarte toute solution alternative à l'indépendance du Kosovo en condamnant tout statu quo et en n'abordant pas les propositions serbes d'autonomie substantielle. Ce parti pris est doublé d'un appel à l'Union européenne d'adopter une position coordonnée sur le sujet, la Serbie devant par ailleurs choisir la voie européenne. Reflet de l'échec des négociations menées sous l'égide des Nations unies, le rapport tel que présenté aux parlementaires contient un addendum résumant la position serbe sur l'avenir du Kosovo, en contradiction avec les principaux arguments du rapporteur.

Sans remettre en cause ceux-ci, qui sont d'ailleurs partagés par la France, M. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) s'est interrogé sur les conséquences d'un tel débat sur l'image du Conseil de l'Europe et de l'efficacité concomitante de son intervention sur une question relevant principalement des Nations unies :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, l'excellent rapport de notre collègue Lord Russell-Johnston présente de façon claire et extrêmement précise les incertitudes qui subsistent sur l'avenir du Kosovo à l'issue du processus de négociation de Vienne. Au-delà de la qualité du travail effectué, je m'interroge néanmoins quant à l'opportunité pour l'Assemblée parlementaire de se prononcer sur le futur statut de la province, qui ne recueille ni l'unanimité du Conseil de sécurité des Nations unies ni celle des vingt-sept États membres de l'Union européenne.

Soyons clairs, je ne vois pas d'autre alternative pour le Kosovo que l'indépendance, encadrée cependant par un certain nombre de principes au sein desquels le maintien d'une protection internationale des minorités fait figure de priorité. Il me semble que la position de notre rapporteur rejoint également ce point de vue. Une telle option doit cependant recueillir un consensus de la communauté internationale, impossible à l'heure actuelle, comme en témoignent les débats dans cet hémicycle. Que souhaitons-nous : ajouter à la division de l'Onu et de l'Union européenne sur cette question celle du Conseil de l'Europe ?

L'avenir du Kosovo peut se passer de la position de principe de notre Assemblée sur son futur mandat. En effet, sans remettre en cause le poids de notre institution, elle ne me semble pas la plus à même d'influer sur ce dossier. Pouvons-nous enjoindre l'Union européenne à adopter une position unanime alors que nous ne pouvons l'atteindre ici même ?

Évitons l'incantation et privilégions une réflexion sur le développement d'un projet politique, économique et social ambitieux pour le Kosovo, apte à répondre aux urgences qui se font depuis trop longtemps jour sur ce territoire. Le Conseil de l'Europe n'aura-t-il pas, en effet, un rôle plus important à jouer après l'adoption du nouveau statut, quand il s'agira d'accompagner les nouvelles autorités kosovares sur la voie de la garantie effective des droits de l'Homme ?

N'en doutons pas, notre aide sera plus pertinente et efficace tant elle contribuera à la mise en place d'un projet commun, apte à rallier des minorités, qu'il s'agisse des Serbes bien évidemment, mais aussi des Roms, des Ashkalis, des Égyptiens, des Goranis, des Turcs, des Croates ou des Bosniaques, vivant tous sur le territoire du Kosovo. Le vouloir vivre ensemble doit être au coeur de ce programme. Le philosophe français Ernest Renan disait de la nation qu'elle devait être un plébiscite de tous les jours. Le Kosovo ne saura trouver sa légitimité internationale que s'il parvient à faire de cette maxime sa devise.

Nous devons dès aujourd'hui réfléchir à l'émergence d'un nouveau contrat social au Kosovo, garantissant à chacun l'exercice de ses libertés fondamentales et la sécurité légitime à laquelle il a droit. Cette double exigence apparaît en effet comme la charpente nécessaire à la solidité du futur statut du Kosovo. »

Le projet de recommandation répond à une telle ambition en insistant sur le rôle des institutions provisoires d'auto-administration dans l'application des normes garantissant les libertés fondamentales. Il appelle également le Kosovo à devenir un espace multiethnique sûr, reconnaissant les droits des minorités. Le texte invite par conséquent le Comité des ministres à accompagner les autorités kosovares en matière de protection des droits de l'homme et des minorités, de décentralisation, de protection du patrimoine culturel et religieux. L'indépendance et l'efficacité de la justice, la lutte contre la corruption et la criminalité organisée apparaissent également comme des priorités de travail.

Le texte ne dissipe pas pour autant l'impression d'échec de la communauté internationale sur ce dossier, sentiment partagé par plusieurs parlementaires au cours des débats. Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a souhaité, pour sa part, souligner la corrélation entre exacerbation des revendications des minorités ethniques et absence de grand dessein européen :

« Certains disent que le Kosovo est «la dernière pièce du puzzle» . Une phrase du rapport sonne comme un glas : «Toutes les possibilités de parvenir à un compromis ont été épuisées.» On a envie de dire : encore les Balkans! Je suis historienne et, en tant que telle, je ne peux m'empêcher de dérouler le fil à nouveau.

La solution serait imposée par la communauté internationale. Nous savons déjà qu'elle ne sera pas la bonne. Nous avons échoué au niveau des protectorats et des statu quo. Ce noeud, avons-nous l'impression, ne peut être dénoué. Nous avons échoué - et c'est plus grave -, en termes de logique et de cohérence politiques. Vous avez fait référence à la guerre intervenue voilà huit ans. Nous nous y sommes engagés, parce que nous refusions un État ethnique serbe et que nous voulions un Kosovo multiethnique. Et nous allons finir par sanctuariser un État ethnique albanais ! À l'évidence, nous sommes dans une incohérence absolue, dans une situation intellectuelle et politique ingérable.

Aujourd'hui, un élément vient s'ajouter : le Kosovo est devenu un enjeu majeur. De nouvelles tensions internationales continuent de s'exercer entre les deux grands. Une nouvelle menace se dessine au niveau de la région et de l'Europe. Le Kosovo ou les Balkans seraient de nouveau pris en otage. Personnellement, je dis non !

Incontestablement, la Serbie est le grand perdant. Le spectre ethnique hante l'Europe. C'est terrible. Nous sommes tous membres d'une ethnicité. Nous avons tous vécu ces problèmes dans nos pays, essayé de changer les États-nations et tenté d'éviter le nationalisme. Hier, au cours d'un débat que j'ai beaucoup apprécié, quelqu'un a mis en garde contre ce "monde tribal" que nous mettons en place. Nous sommes dans l'impasse. Prenons garde au concept de "minorité". La théorie des minorités s'est inversée en Belgique, elle s'est inversée au Kosovo. Personnellement, je vais me retrancher derrière mes fondamentaux qui sont les valeurs supérieures universelles : l'Homme. Je défendrai l'Homme, quel qu'il soit, quelles que soient sa valeur, son origine, qu'il soit majoritaire ou minoritaire, car demain sera différent. Je défendrai l'Homme universel.

Et je défendrai l'Europe. Nous sommes confrontés à un déficit d'Europe. Si l'Europe ouvrait de réelles perspectives aux peuples, aux régions, aux États, si l'Europe proposait à la jeunesse un grand dessein, de vastes perspectives, nous n'en serions pas là. Que faire pour éviter le pire ? Je l'ignore.

J'ai, moi aussi, des idéaux, deux dans l'immédiat : la paix et l'Europe. Je préférerais que ce soit la communauté européenne qui s'en empare ; en tout cas, je m'en remets à elle. Ma pensée a évolué. Ainsi, je pense que la situation est extrêmement compliquée et que nous n'avons pas évité le pire, dans la mesure où la sagesse n'est pas un fondement de la nature humaine. »

L'une des principales objections au rapport et à son appui indirect à une déclaration d'indépendance unilatérale consiste en ce que celle-ci créerait un précédent, favorable aux démarches sécessionnistes observables en Ossétie du sud, en Abkhazie ou en Transnistrie. M. Jean-Paul Lecoq (Seine-Maritime - GDR) a relayé cette crainte dans l'intervention qu'il a prononcée au nom du groupe GUE :

« Selon le rapport présenté, le scénario «le plus réaliste» serait une action unilatérale de déclaration d'indépendance du Kosovo, hors même le cadre multilatéral onusien, pire : contre celui-ci. Le rapport est encore plus préoccupant lorsqu'il affirme que toutes les possibilités de négociation ont été épuisées. La Gauche unie européenne ne partage pas ces conclusions hâtives, manichéennes et précipitées.

La question du statut définitif du Kosovo est une affaire délicate et sensible -  voire explosive - et doit être abordée avec la prudence et la responsabilité requises.

La situation au Kosovo n'est ni «unique» , ni «spéciale» , ni «particulière» , au contraire de ce que dit le rapport, elle est juridiquement encadrée par les Nations unies.

La Gauche unie européenne rappelle que la Résolution 1244 de 1999, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies (Onu), «garantit la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Serbie» , tout en reconnaissant la nécessité d'une large autonomie pour le Kosovo. De plus, la résolution «exige que tous les États de la région coopèrent pleinement à l'application de la présente résolution sous tous ses aspects» . Hors tout doute raisonnable, c'est dans le cadre multilatéral onusien que se trouve l'instance compétente pour se prononcer sur le statut définitif du Kosovo.

L'Union européenne, l'Otan et certains de ses États membres sont en train de jouer avec le feu car ils vont créer un précédent de scission extrêmement dangereux pour la sécurité internationale, pour les relations internationales et pour le droit international. Le choix de la solution unilatérale ne fera qu'attiser les tensions, provoquer d'autres conflits régionaux avec toutes les conséquences prévisibles, y compris les dangers d'une extension à d'autres pays européens. Est-ce vraiment de l'intérêt des peuples européens et de l'Europe de se lancer dans une telle aventure ?

Nous devons nous demander si la solution unilatérale ne répondrait pas plutôt à des intérêts particuliers, ceux des États-Unis, avec leur politique de division et de morcellement de notre continent.

Il est impératif que cette situation soit résolue par une solution juste et durable pour toutes les parties. Notre Groupe reconnaît sans aucune ambiguïté la nécessité pour le Kosovo de jouir de la plus large autonomie. Cependant, le Conseil de l'Europe ne peut se soustraire à ses obligations internationales, sous prétexte «d'urgence» ou de situation «unique» . Les négociations ne sont pas épuisées. Elles doivent se poursuivre dans le respect strict et rigoureux de la Résolution 1244. Les négociations sont la seule garantie du plein respect des droits humains et des droits des minorités, qui, en fin de compte, sont les éléments essentiels pour guider toute quête de solution.

La solution unilatérale n'est pas la seule envisageable. Notre Groupe ne peut que rejeter cette prétention. »

Les amendements adoptés par la commission politique au terme de la nouvelle procédure en la matière ont permis de préciser l'ambition du texte en complétant les demandes adressées aux parties en présence ou à la communauté internationale de références explicites aux missions du Conseil de l'Europe, telle que la protection des droits de l'Homme ou l'accès à la Cour européenne des droits de l'Homme. Les amendements débattus et adoptés en séance ont, quant à eux, insisté sur des objectifs essentiels du Conseil, pourtant écartés des projets de résolution et de recommandation. L'appel au renforcement des garanties entourant le droit au retour des réfugiés et des personnes déplacées a ainsi été sanctuarisé au sein de la résolution. L'intérêt particulier pour la situation des Roms au Kosovo ou la nécessité pour le TPIY d'y exercer ses missions ont également été réaffirmés. La recommandation a également été amendée dans le même sens.

Au-delà de ces précisions, l'absence de consensus sur le projet de résolution s'est révélée cruciale dans l' adoption d'un amendement revenant sur l'un des objectifs fondamentaux du texte : enjoindre les États membres du Conseil de sécurité des Nations unies à « imposer une solution » face à l'impasse des négociations. La nouvelle rédaction telle que proposée par des membres des délégations serbe, russe, britannique, espagnole, néerlandaise, chypriote, grecque écarte cette optique volontariste pour inviter lesdits États membres à « trouver le moyen de parvenir en temps utile à un compromis, seul fondement garanti de la paix et de la stabilité dans la région » .

Ce changement implicite d'orientation n'a sans doute pas été sans conséquence pour permettre à l'Assemblée d'adopter le projet de résolution, confirmant tacitement la position délicate dans laquelle se trouve le Conseil de l'Europe lorsqu'il aborde ce type de questions, qui concernent directement l'un ou plusieurs de ses États membres. Si sa légitimité dans l'accompagnement des transitions démocratiques ne peut être remise en cause, il ne saurait se substituer au Conseil de sécurité des Nations unies à l'échelle européenne.

Intervention de M. Bamir Topi, Président de l'Albanie

L'intervention de M. Bamir Topi, Président de l'Albanie, revêtait un intérêt particulier pour le Conseil de l'Europe à l'heure où son Assemblée parlementaire se penchait sur l'avenir du Kosovo. Son discours modéré et réformateur apparaît, en outre, aux yeux de l'Assemblée comme un gage de modernisation pour l'Albanie, membre du Conseil depuis 1995, sur la voie du respect plein et entier des engagements qu'elle a souscrits lors de son adhésion. La consolidation des institutions démocratiques locales passe notamment par une réforme électorale ambitieuse et la poursuite de la lutte contre le crime organisé et la corruption. La perspective d'une adhésion prochaine à l'Union européenne, en dépit des réserves exprimées par la Commission récemment, ne deviendra réelle que si ces objectifs sont remplis.

Le rôle de soutien aux jeunes démocraties de l'Est européen, assumé par le Conseil de l'Europe au début des années 90, a été mis en exergue par M. Topi, qui considère cette institution comme une véritable antichambre pour l'Union européenne. L'Albanie souhaite travailler de concert avec les deux institutions pour moderniser son système judiciaire, tout en continuant à profiter de l'aide de la Commission de Venise pour adapter sa législation électorale. Le président albanais entend, par ailleurs, rendre effective la convention-cadre pour la protection de minorités sur son territoire.

L'adhésion à l'Otan va de pair, aux yeux de M. Topi, avec l'intégration européenne. La question de la sécurité du continent européen prend toute sa signification, selon lui, au regard de l'évolution actuelle du Kosovo. L'Albanie souhaite à cet effet que la province puisse accéder à l'indépendance, sans partition, le plan Ahtisaari représentant le seul cadre possible pour lui garantir un avenir. La mise en place d'un gouvernement de coalition à Pristina est un signe tangible de l'orientation démocratique des pouvoirs locaux et ne saurait être bouleversée par le maintien du statu quo . Au-delà, l'Albanie entend jouer pleinement un rôle en matière de coopération régionale au sein des Balkans.

Rappelant son souhait de contribuer à la mise en place d'une Europe libre, débarrassée des conflits ethniques ou religieux, M. Topi a mis en avant un modèle albanais de cohabitation harmonieuse entre islam, catholicisme et orthodoxie.

À l'occasion des échanges avec l'hémicycle, M. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) a souhaité interroger le président albanais sur les réformes en cours destinées à respecter les standards du Conseil de l'Europe :

« Monsieur le Président, la France apprécie tout particulièrement à la fois la politique étrangère de l'Albanie et le courage dont elle fait preuve pour mener à bien l'indispensable et douloureuse réforme intérieure. Notre Assemblée, dans un passé récent, avait appelé l'attention sur le caractère trop souvent conflictuel de la vie politique albanaise marquée par les confrontations et «l'obstructionnisme». Par ailleurs, l'Albanie doit impérativement poursuivre la réforme de son système judiciaire. La réforme de la justice est sans aucun doute la plus difficile à conduire. Quelles mesures concrètes votre pays a-t-il déjà prises ou prendra-t-il pour avancer sur ces deux points cruciaux, la pacification de la vie politique et la réforme de la justice ? »

Sans préciser ses intentions en matière judiciaire, M. Topi a souhaité insister sur la modernisation de la vie politique albanaise :

« La classe politique albanaise s'est assagie au fil des ans et est aujourd'hui plus mûre. Elle se concentre sur les vraies questions comme celle de la réforme du système judiciaire. Les partis représentés au Parlement ont manifesté une réelle volonté d'aboutir à cette réforme et ils y travaillent avec les experts étrangers et ceux du Conseil de l'Europe. Je me félicite de cette coopération. C'est une grande chance pour l'Albanie de pouvoir coopérer avec les plus grandes institutions européennes. Le pays pourra ainsi se hisser au niveau des normes élevées qui sont celles de l'Europe. »

La situation en Géorgie

Le rapport d'observation de l'élection présidentielle du 5 janvier 2008, l'intervention de M. Mikheil Saakachvili, Président de la Géorgie, et l'examen du respect par Tbilissi de ses obligations et de ses engagements à l'égard du Conseil de l'Europe ont placé la Géorgie au coeur des débats de la première partie de la session 2008. Les manifestations de l'opposition et l'instauration concomitante de l'état d'urgence en novembre 2007 ont contribué à brouiller l'image de ce pays et de son gouvernement, pourtant unanimement salué lors de la « révolution des roses » quatre ans plus tôt. L'omnipotence du parti présidentiel, le MND, au Parlement géorgien se conjugue aujourd'hui avec l'affaiblissement de la presse. L'option pro-occidentale affichée par le Président Saakashvili, héros des événements de novembre 2003, ne saurait masquer un durcissement de son régime, dont les premières victimes sont aujourd'hui ses anciennes figures de proue.

Invité dans le cadre de l'examen par l'Assemblée du rapport de suivi des engagements et obligations de son pays, M. Saakashvili a rappelé sa volonté d'instaurer des institutions démocratiques solides en Géorgie, citant en exemple l'élection présidentielle du 5 janvier dernier. L'amélioration du dialogue avec l'opposition ou du régime électoral, la mise en place d'un système juridique garantissant effectivement droits de l'Homme et libertés fondamentales, comme la transparence dans les médias apparaissent à cet égard comme des priorités. Elles vont de pair avec la modernisation des structures économiques que connaît la Géorgie depuis quatre ans. Celle-ci ne saurait néanmoins occulter l'importance de la pauvreté dans le pays, et qui se trouve à la source des manifestations du 28 septembre 2007.

Sur le plan géopolitique, le président géorgien a rappelé son souhait de mettre fin aux violations des droits de l'Homme perpétrées en Abkhazie et en Ossétie, entendant par là même trouver des solutions « européennes » à ces conflits gelés. Par delà, il entend instaurer une nouvelle politique de dialogue avec la Russie et s'inscrire dans une dynamique régionale aux côtés de l'Ukraine, de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie et des républiques d'Asie centrale.

Les échanges avec l'Assemblée ont permis de mesurer la déception des parlementaires à l'égard de l'orientation de la politique du président géorgien, loin des espoirs qu'avait pu susciter la « révolution des roses ». Ce désappointement se retrouve dans la rédaction balancée du rapport de suivi des engagements et obligations. La recherche d'un équilibre en vue de ne pas totalement désavouer le pouvoir en place est, à cet égard, perceptible. L'élection présidentielle du 5 janvier, en grande partie libre et équitable, contrebalance ainsi les violations des droits de l'Homme observables en novembre 2007. Le rapport doit, de fait, servir de base de travail à l'équipe en place. Il rappelle également la nécessité de parvenir à une solution aux conflits gelés qui divisent la Géorgie. Le respect des engagements et des obligations à l'égard du Conseil de l'Europe passe par d'importantes réformes, touchant tous les domaines de la vie publique. La nécessité de celles-ci témoigne du caractère relativement fragile de la démocratie géorgienne.

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