IV. L'AVENIR DES MODÈLES DÉMOCRATIQUES EUROPÉENS

Lignes directrices procédurales sur les droits et devoirs de l'opposition dans un parlement démocratique

Le projet de résolution présenté devant l'Assemblée parlementaire résulte d'échanges tenus à l'occasion d'un séminaire organisé en décembre 2004 sur le statut de l'opposition dans les Parlements nationaux. Conçu comme le reflet de bonnes pratiques, le texte présente quelques lignes directrices, excluant toute intention d'harmonisation en la matière au regard des différences notoires entre les systèmes constitutionnels des 47 États membres du Conseil.

Trois principes fondamentaux doivent régir le statut de l'opposition : le contrôle de l'action du gouvernement, la participation sur un pied d'égalité aux travaux législatifs et la possibilité de vérifier la constitutionnalité des textes adoptés. Comme le souligne le rapport, la mise en oeuvre effective de ces lignes directrices dépend également de la volonté des parlementaires concernés d'en disposer pleinement. Par ailleurs, elles se doivent d'être envisagées comme participant d'un effort d'amélioration de l'efficacité du Parlement. Elles ne peuvent, selon le rapporteur, que concourir à la mise en place d'une opposition responsable et effective.

Sans remettre en cause le bien-fondé de ce projet, adopté à l'unanimité par les parlementaires, il convient de s'interroger sur son opportunité. Loin de contester l'idée de la nécessité d'un statut de l'opposition, par ailleurs au coeur de la réforme des institutions entreprise en France, l'enceinte comme la forme choisies pour en débattre n'est pas sans susciter quelques interrogations. En soulignant d'emblée l'ambition limitée du texte, la commission du Règlement et des immunités tend à réduire sa portée à celle d'un simple catalogue de pratiques vertueuses, sans garantie de les voir pleinement appliquées. La prise en compte de ces critères par la commission pour la démocratie par le droit, dite « commission de Venise », lorsqu'elle accompagne les processus de transition démocratique, apparaîtrait à cet égard plus pertinente et efficace. L'intégration de tels standards dans les observations effectuées par la commission de suivi à l'égard des nouveaux États membres du Conseil de l'Europe serait également un moyen de conférer à cette ambition une réelle perspective d'avenir. En l'absence de précisions à ce sujet au sein de la résolution, on ne peut que craindre de voir un nouveau texte adopté par le Conseil sans réelle suite.

La coopération transfrontalière

Le renforcement de la paix, la protection des minorités ou son intérêt pour le développement de la démocratie locale motivent la réflexion du Conseil de l'Europe en matière de coopération transfrontalière depuis l'organisation, par ses soins, de la première conférence européenne sur ce sujet en 1972. Plusieurs textes ont suivi cette rencontre, qu'il s'agisse de la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, dite Convention de Madrid, adoptée en 1980 et amendée en 1995 et 1998, ou, plus récemment, des déclarations de Vilnius sur la coopération régionale et la consolidation de la stabilité démocratique dans la Grande Europe en 2002 et de Chisinau de 2003 sur la coopération transfrontalière et interterritoriale entre États dans l'Europe du sud-est. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux ou la Charte européenne de l'autonomie locale sont également des instruments au service du Conseil en faveur de la coopération transfrontalière.

Le projet de recommandation présenté à l'Assemblée s'inscrit dans cette tradition et appelle à une poursuite de la décentralisation pour pouvoir faire aboutir de tels projets. Rappelant le caractère protéiforme de ce type de collaboration, le texte invite les États membres du Conseil à la développer avec les États non membres potentiellement concernés. Il souligne, en outre, la nécessité de renforcer les dispositifs existants de type Eurorégion ou Eurodistrict (Lille, Mulhouse, Colmar et Strasbourg participent déjà à ce type de coopération), notamment sur le plan juridique.

Mme Arlette Grosskost (Haut-Rhin - UMP) a insisté sur le rôle moteur de la coopération transfrontalière en matière de construction européenne tout en appelant à un renforcement de la complémentarité entre les collectivités concernées :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de féliciter notre collègue, M. Popescu, pour son excellent rapport sur la coopération transfrontalière, qui fait un point complet sur le sujet.

Les bassins de vie transfrontaliers sont à la fois lieux de convergence et d'échange des politiques nationales et creuset de la citoyenneté européenne, constituant un enjeu national de cohésion sociale. Ils sont également un atout pour le développement économique des régions transfrontalières, mais ils doivent pour cela être mieux intégrés dans les politiques nationales d'aménagement du territoire.

Les territoires transfrontaliers sont devenus, au fil de la dernière décennie, de véritables laboratoires de la construction européenne, en cela confortés par des dispositions juridiques qui ont permis la mise en oeuvre de nouveaux instruments tels que le groupe européen de coopération territoriale.

Les espaces aux frontières entrent dans une logique de coopération, voire d'intégration transfrontalière, à la faveur de développement des actions conjointes, mais également d'une réalité économique et sociale. Ainsi, les frontières françaises sont traversées chaque jour par près de 300 000 personnes qui vont travailler dans un pays voisin tout en résidant en France, ou inversement. Ces flux quotidiens illustrent l'existence de bassins de vie transfrontaliers interdépendants sur le plan économique, mais également dans d'autres domaines : urbanisme, habitat, environnement, santé, commerce, culture, loisirs, etc.

Ces bassins de vie correspondent de plus en plus aux limites du territoire administratif comme aux exigences de la vie quotidienne des habitants. Cela est particulièrement marqué sur les points tels que l'incontrôlable hausse des cours de l'immobilier et du foncier de part et d'autre de la frontière. Il existe un véritable marché en conséquence.

D'où la dégradation des paysages périurbains frontaliers, la saturation croissante des infrastructures routières, les discordances administratives et l'emboîtement des compétences entre collectivités locales sans financement propre, sans financement pérenne, sans fiscalité propre.

Vous l'aurez compris, il s'agit de mettre en place des partenariats réels pour passer d'une logique de concurrence entre les territoires à une logique de complémentarité, à l'instar de ce qui a été mis en place en Alsace - en tant qu'Alsacienne vous me permettrez de le relever - région aux trois frontières, avec la mise en place du Conseil rhénan.

Cet organisme fonctionne en totale concertation politique rassemblant en son sein tous les niveaux d'élus français, allemands et suisses, lesquels activent leurs gouvernements respectifs pour oeuvrer dans le cadre des réformes communautaires en cours à la mise en place de moyens financiers au profit d'une véritable politique de réseaux ferroviaires transfrontalière. Il en est ainsi, je me permets de le rappeler, pour le TGV Rhin-Rhône où, naturellement, l'Allemagne dans le cadre du Conseil rhénan se concerte actuellement avec les élus français pour permettre la connexion des deux TGV. »

M. Roland Ries (Bas-Rhin - SOC), intervenant au nom du groupe socialiste, a souhaité, quant à lui, mettre en avant l'extrême variété des coopérations transfrontalières et leur rôle important en matière de paix :

« Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Président, de cette introduction, mais je ne voudrais pas transposer le débat des élections municipales dans notre enceinte. Il est d'autres lieux pour s'exprimer à ce sujet.

Monsieur le Président, mes chers collègues, pour les représentants des collectivités locales dont je fais partie, l'un des principaux apports de l'intégration européenne reste le développement des coopérations transfrontalières. La multiplication des accords en la matière depuis le début des années 70 souligne à quel point cette formule est désormais entrée dans les habitudes des collectivités ou autorités territoriales. Il existe même, en France, une mission opérationnelle transfrontalière, la MOT, comme on l'appelle, que j'ai présidée à l'époque où j'étais maire de cette ville, et qui est destinée à faciliter les échanges d'expérience en la matière et à promouvoir cette coopération.

J'en profite également pour dire aussi à notre collègue que, si les liaisons entre Strasbourg et l'autre côté du Rhin, en particulier la ville de Kehl, ne sont pas aujourd'hui totalement satisfaisantes - et encore moins avec Baden-Baden - elles devraient s'améliorer avec la construction du nouveau pont sur le Rhin qui permettra au TGV d'être véritablement un axe, non pas simplement entre Paris et Strasbourg, mais bien entre Paris, Strasbourg, d'un côté, et Stuttgart, Munich et Budapest de l'autre. Mais il nous faut reconstruire un pont sur le Rhin qui soit à la hauteur de cette ambition.

L'excellent rapport de notre collègue Ivan Popescu met en avant l'extrême variété des cadres juridiques dont disposent les pouvoirs locaux pour mettre en oeuvre ce type de coopération. J'attends beaucoup, comme la plupart de mes collègues, des réflexions en cours entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe quant à la création de groupes eurorégionaux de coopération, qui permettraient de faire travailler ensemble collectivités et pouvoirs centraux des États membres de l'Union et de leurs voisins.

À cet égard, la coopération transfrontalière me paraît être à la croisée des chemins. Initialement conçue comme un instrument de mise en commun d'infrastructures, elle a progressivement acquis une autre dimension dépassant le simple cadre économique. Son volet culturel en est aujourd'hui un des éléments les plus séduisants : les projets montés dans le cadre de l'Eixo atlantico, initiative hispano-portugaise, ou de la grande région réunissant la France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, en sont des exemples manifestes.

Elle doit aujourd'hui s'affirmer dans le champ du développement durable - cela a été excellemment dit par ma collègue Mme Grosskost - tant le concept de frontière étanche m'apparaît plus que relatif dans ce domaine. De l'échange de bonnes pratiques à la stratégie commune en matière de lutte contre la pollution, la coopération transfrontalière m'apparaît le cadre idéal pour mettre en oeuvre des politiques efficaces et adaptées à l'environnement géographique.

La coopération transfrontalière doit, en outre, renouer avec la mission première qui lui a été assignée, autour du Rhin notamment : dépasser les antagonismes historiques, tourner la page des conflits au travers de politiques et d'actions concrètes communes. Cet aspect est essentiel. Lorsque des difficultés existent au niveau interétatique, c'est bien souvent au niveau local que l'on peut prendre le relais pour les surmonter.

Je me souviens d'une époque où j'avais lancé en matière de transports publics un réseau de villes européennes auxquelles nous avions associé la ville de Tel Aviv et la ville de Gaza. Dans le cadre de ce réseau de coopération entre collectivités locales, c'était la première fois qu'un responsable, premier adjoint de la ville de Tel Aviv, venait à Gaza rencontrer d'ailleurs à l'époque le Président Yasser Arafat. On voit bien, même si cela n'a pas débouché sur des solutions concrètes, que la coopération au niveau local peut avoir des incidences positives pour les relations entre les États.

Pour toutes ces raisons, je pense qu'il est important de développer les coopérations entre collectivités locales transfrontalières, mais plus généralement entre les collectivités locales. Il existe un aspect fort de reconstitution de liens entre États à partir de la coopération locale. C'est la raison pour laquelle j'y suis particulièrement attaché. »

La France a toujours eu certaines réticences à l'égard de la démarche du Conseil de l'Europe sur la question des collectivités locales. La Charte européenne de l'autonomie locale adoptée en 1985 par le Comité des ministres n'a ainsi été ratifiée qu'en 2006. Les difficultés juridiques qu'elle a longtemps posées n'ont pu être levées qu'avec la poursuite de la décentralisation et l'adjonction au texte de trois déclarations interprétatives du gouvernement, précisant sa portée. La France ne participe pas, par ailleurs, aux eurorégions vantées par la recommandation. Il convient, enfin, de rappeler les objections relevées par la délégation française sur la recommandation de l'Assemblée sur la régionalisation en Europe, adoptée en octobre dernier. La reconnaissance, sans nuance, du mouvement régionaliste ou la critique implicite de l'État central, jugé incapable de garantir les droits fondamentaux des minorités, apparaissaient en complet décalage avec notre tradition institutionnelle.

Si le texte sur la coopération transfrontalière, tel qu'adopté, ne souffre pas des mêmes défauts, on regrettera cependant qu'il ne mentionne pas explicitement les risques de noyautage des projets par les revendications régionalistes, dont le message parfois radical et abstrait ne semble pas en phase avec le principe de réalité contenu dans toute forme de coopération.

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