III. LA NÉCESSITÉ DE RESTER ATTENTIF AUX PARAMÈTRES DE FINANCEMENT DU LOGEMENT SOCIAL

A. LES FACTEURS DE HAUSSE DES COÛTS DE CONSTRUCTION

1. Le coût croissant des matières premières

a) L'isolement relatif de l'outre-mer explique un coût particulièrement élevé des matières premières

Outre le problème de la rareté du foncier disponible, l'augmentation du coût des matières premières constitue un obstacle au développement du secteur de la construction de logements en outre-mer .

Si les prix des matières premières connaissent actuellement une hausse mondiale, qui résulte notamment de l'émergence de pays très peuplés comme l'Inde ou la Chine, les collectivités territoriales ultramarines souffrent davantage encore que la métropole de cette hausse. En effet, ces collectivités se trouvent dans une situation où presque toutes les matières premières doivent être importées puisque leurs économies n'en sont pas productrices. Le coût de l'importation est élevé pour ces collectivités puisqu'il augmente au rythme de la hausse du coût du transport maritime, elle-même étroitement corrélée à celle du pétrole.

Par ailleurs, votre rapporteur spécial a pu constater qu'à La Réunion, dans des secteurs fondamentaux de la construction, la concurrence est très insuffisante et ne permet par une baisse des prix des matières premières . Ainsi, seuls deux opérateurs interviennent sur l'île dans l'importation et la distribution de ciment et d'acier. Cette faiblesse s'explique essentiellement par des coûts d'entrée sur le marché très élevés.

Ainsi, on constate notamment à La Réunion une augmentation des prix des matières premières très forte sur les cinq dernières années . L'indice des matériaux de construction établi par la direction départementale de l'équipement de La Réunion permet de constater que le prix du ciment en sac a augmenté de 32 % entre 2002 et 2007. L'index travaux publics 49 ( * ) , établi par la même direction, permet quand à lui de constater que le coût général des travaux publics a augmenté de 33 % au cours de la même période.

b) La constitution de stocks de réserves serait un élément de solution aux ruptures d'approvisionnement

Votre rapporteur spécial regrette vivement le manque de concurrence qui explique en grande partie le niveau des prix des matériaux en outre-mer et notamment à La Réunion. Toutefois, il s'explique par des caractéristiques incontournables de l'économie réunionnaise : la relative étroitesse du marché et les coûts d'approche de ce marché particulièrement élevé.

Un des inconvénients majeurs de la faiblesse de la concurrence est la difficulté, pour un concurrent, de se substituer à une entreprise qui fait défaut et ne parvient plus à livrer ses clients. Cette situation peut avoir des conséquences très préjudiciables puisqu'elle bloque temporairement les activités de construction. Le seul élément de solution qui pourrait être envisagé pour prévenir ce risque serait l'incitation à la constitution , par exemple par la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion, de stocks de matières premières, qui pourraient utilement servir de réserves tampons lorsque les approvisionnements en matière première sont suspendus .

2. L'impact moindre des coûts salariaux

a) Le rattrapage du niveau du SMIC a alourdi les coûts salariaux

Le niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) dans les départements d'outre-mer a été progressivement aligné sur celui de la métropole pour lui devenir identique au 1 er janvier 1996.

Pendant la période précédant l'alignement définitif du SMIC ultramarin sur le SMIC métropolitain ont eu lieu des hausses du SMIC ultramarin importantes, respectivement + 6,85 % au 1 er juillet 1995 et + 6,75 % au 1 er janvier 1996. Cette hausse du SMIC a eu des effets très négatifs sur les coûts salariaux et a constitué un frein pour les entreprises ultramarines, notamment dans le secteur du bâtiment, à forte utilisation de main d'oeuvre.

b) Les coûts salariaux ne constituent plus, aujourd'hui, le principal facteur de hausse des coûts de construction
(1) L'effet du SMIC sur les productions qui peuvent être délocalisées

Depuis le 1 er janvier 1996, le niveau du SMIC dans les DOM évolue au même rythme qu'en métropole. Le rattrapage étant achevé, les hausses du SMIC sont plus modérées et ne pénalisent donc plus spécifiquement l'économie des DOM par rapport à l'économie métropolitaine.

Comme l'indiquait notre collègue Anne-Marie Payet dans son rapport pour avis sur la loi de finances pour 2005 50 ( * ) , « le développement du marché du travail est limité dans les DOM par le niveau élevé des coûts salariaux outre-mer, bien supérieurs aux prix pratiqués dans les pays situés dans leur environnement géographique. On estime ainsi que les coûts salariaux à l'Ile Maurice sont en moyenne trois à quatre fois moins élevés qu'à la Réunion et qu'ils sont cinquante fois moins élevés encore à Madagascar ».

Ce constat incite les entreprises qui le peuvent à délocaliser leur production dans les pays géographiquement proches des départements d'outre-mer, où les coûts salariaux sont faibles. Les productions sont ensuite importées dans les départements d'outre-mer où, malgré une taxation à l'import souvent importante, ils restent plus compétitifs que ne le seraient des marchandises produites sur place. Ainsi, le niveau du SMIC dans les DOM rend ces territoires difficilement compétitifs dans leurs environnements géographiques.

(2) Les effets plus réduits du SMIC dans le secteur de la construction

Toutefois, en ce qui concerne plus spécifiquement le secteur de la construction, le niveau des salaires a des effets beaucoup plus réduits sur le marché du travail puisque, par nature, la construction n'est pas une activité qui peut être délocalisée dans les territoires environnants.

Par ailleurs, le secteur du bâtiment fait l'objet de dispositifs spécifiques d'exonérations de charges sociales , comme le notait notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2006 51 ( * ) : « les exonérations de charges sociales en outre-mer présentent des spécificités par rapport au droit commun, spécificités destinées à tenir compte du caractère particulier des économies ultramarines ». Ainsi relevait-il que « dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, l'exonération est de 100 % des cotisations pour les entreprises de moins de 50 salariés, dans la limite de 1,3 SMIC, et de 50 % si l'entreprise dépasse le seuil des 50 salariés ».

Si ces exonérations de charges ne peuvent rendre les économies ultramarines compétitives par rapport à leurs voisins, où les coûts salariaux sont jusqu'à cinquante fois moins élevés, elles permettent toutefois de limiter, suivant la même logique qu'en métropole, l'effet du niveau des salaires sur les coûts salariaux à la charge des entreprises.

Ainsi, les coûts élevés de construction en outre-mer semblent aujourd'hui résulter davantage de la hausse du coût des matières premières que de celle des coûts salariaux . Votre rapporteur spécial note toutefois que le fait que le SMIC évolue aujourd'hui au même rythme dans les DOM qu'en métropole ne permet pas de faire de la limitation de la hausse du SMIC un levier pour compenser, dans une certaine mesure, la forte hausse des prix des matières premières qui touche spécifiquement les collectivités territoriales d'outre-mer.

3. La question des réglementations applicables aux constructions de logements sociaux

a) Les nouvelles réglementations entraînent des hausses de coûts de production

L'ensemble des bailleurs sociaux s'est par ailleurs révélé très sensible à l'augmentation jugée trop forte des contraintes réglementaires appliquées à la construction de logements sociaux. Certains estiment, en effet, que ces nouvelles réglementations sont trop strictes et renchérissent inutilement le coût de construction des logements sociaux. La hausse des coûts liée aux nouvelles réglementations résulte de deux effets.

D'une part, ces nouvelles réglementations rendent les constructions techniquement plus complexes à réaliser ce qui nécessite potentiellement plus de temps, davantage de compétence et donc des coûts salariaux plus élevés.

D'autre part, les entreprises de construction peuvent difficilement s'approvisionner dans les territoires géographiques directement voisins des départements d'outre-mer car ceux-ci produisent rarement des matériaux dont les standards satisfont aux exigences réglementaires françaises et européennes. Ils doivent donc importer ces marchandises d'Europe continentale ce qui coûte davantage. A titre d'exemple, les bailleurs sociaux de La Réunion que votre rapporteur spécial a rencontrés ont fait référence à une nouvelle réglementation des plaques de plâtre à laquelle ne satisfaisait pas la production alors importée à La Réunion en provenance de Thaïlande par une grande entreprise européenne. Cet aléa a conduit, d'une part, à une pénurie temporaire de plaques de plâtres sur le marché réunionnais et, d'autre part, à un surcoût dû à l'origine européenne des nouvelles plaques de plâtre importées.

Si votre rapporteur spécial reconnaît ces conséquences parfois néfastes des nouvelles réglementations , il estime toutefois qu'elles sont en règle générale totalement justifiées et répondent à des impératifs sanitaires et environnementaux qui doivent trouver application dans les départements d'outre-mer .

b) Certaines nouvelles réglementations semblent injustifiées
(1) Les conditions de dépôt de visa par le trésorier payeur général doivent rester souples

Votre rapporteur spécial estime nécessaire que les conditions d'obtention du visa du trésorier payeur général pour les opérations de logement social auxquelles l'Etat apporte une contribution financière restent souples .

Depuis la fin de l'année 2007, le trésorier payeur général de La Réunion exige, pour viser le dossier, que le résultat de l'appel d'offres pour la construction du logement social figure au dossier à viser. Auparavant, seule l'obtention du permis de construire relatif au terrain était nécessaire. Cette obligation administrative supplémentaire a été justifiée par le constat que les autorisations d'engagements en matière de logement étaient trop souvent utilisées au dernier trimestre, voire concentrée sur le dernier mois de l'année, au risque que les opérations concernées ne soient pas réellement engagées mais relèvent davantage d'un projet éventuel.

Toutefois, cette réglementation supplémentaire, qui peut sembler utile, a, selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, réduit de près de 10 % le montant des dossiers visés à La Réunion depuis sa mise en place. Cette baisse résulte du fait que le changement de réglementation est intervenu en cours d'année, sans que les bailleurs sociaux ne puissent s'adapter. Il a donc nécessairement entraîné un décalage, évalué à un mois, dans les procédures d'obtention du visa du trésorier payeur général.

Si, tout naturellement, votre rapporteur spécial est favorable à ce que les crédits consacrés au logement social soient gérés de manière plus rigoureuse, il estime toutefois que, dans le contexte actuellement extrêmement tendu du logement social à La Réunion, la mise en place de cette nouvelle réglementation, non planifiée et non concertée avec les organismes concernés, a produit des effets particulièrement regrettables et qu' une meilleure coordination avec les bailleurs sociaux pour la redéfinition de ces procédures serait souhaitable . Il se réjouit ainsi du projet évoqué par les services du contrôle budgétaire de l'outre-mer de mettre en place des comités d'engagement. Ces comités, qui réuniraient les services de la préfecture, de la direction départementale de l'équipement, du contrôle financier et éventuellement des opérateurs de logement sociaux, devraient permettre une concertation en amont autour des projets de logement social et par conséquent un meilleur pilotage de ces opérations et de l'utilisation des crédits de la LBU qui lui sont consacrés.

(2) L'idée d'adapter les réglementations au climat

En termes de réglementation des habitations et des constructions, votre rapporteur spécial souhaiterait que soit plus finement étudiée l'adaptation des réglementations au climat des collectivités territoriales ultramarines . Il estime en effet que certaines réglementations européennes ne sont pas pertinentes. Par exemple, l'application à La Réunion de réglementations relatives à l'isolation des habitations, destinées à produire des gains énergétiques en réduisant le chauffage de ces habitations, semble peu pertinent au regard du climat réunionnais. Un gain financier pourrait ainsi être dégagé en exonérant les habitations ultramarines des contraintes qui ne s'avèreraient pas nécessaires.

4. La hausse des prix du foncier

Une des conséquences de la faiblesse des ressources foncières disponibles et de la difficulté de les mobiliser pour construire des logements est l'augmentation constatée dans tous les DOM du prix des terrains à bâtir.

A ce titre, l'exemple de La Réunion est significatif puisque de 1994 à 2004 les prix au mètre carré des terrains à bâtir se sont accrus de plus de 65 % 52 ( * ) , ce qui représente une augmentation annuelle moyenne de 5,2 % par an. Cette augmentation s'est d'ailleurs accélérée entre les années 2000 et 2004 pour atteindre plus de 10 % par an en moyenne.

La hausse des prix du foncier participe donc de la hausse des coûts que rencontrent les bailleurs sociaux lorsqu'ils doivent établir leur plan de financement pour une opération de logement social .

* 49 Index général tous travaux, TPR1, site internet de la direction départementale de l'équipement de La Réunion.

* 50 Avis n° 78 (2004-2005), de Mme Anne-Marie Payet, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 25 novembre 2004.

* 51 « Projet de loi de finances pour 2006 : les moyens des politiques publiques et les dispositions spéciales », rapport général n° 99 (2005-2006), de Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 novembre 2005.

* 52 Source : secrétariat d'Etat à l'outre-mer.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page