TROISIÈME PARTIE - DANS LES COULISSES DU BACCALAURÉAT, UNE MACHINERIE IMPRESSIONNANTE

Il y a quelques jours à peine, le ministre de l'éducation nationale, M. Xavier Darcos, présentait à la presse la session 2008 du baccalauréat. Ce fut pour lui l'occasion de rappeler quelques chiffres, qui suffisent à faire percevoir l'ampleur de la machine administrative et pédagogique qui se met ainsi en branle chaque année.

Dans les jours qui viennent, ce sont en effet 615 625 élèves de Terminale et 482 939 élèves de Première qui passeront les épreuves écrites du baccalauréat. Ils composeront sur près de 4 800 sujets dans environ 3 800 centres d'examen et à l'issue des épreuves, ce sont 4 millions de copies qui seront corrigées par 150 000 enseignants mobilisés pour l'occasion.

L'organisation du baccalauréat est ainsi de nature à donner le vertige. Tous les personnels administratifs rencontrés par votre groupe du travail le lui ont d'ailleurs confirmé : la tâche est d'une complexité peu imaginable et requiert des trésors de rigueur, d'anticipation et d'imagination.

C'est pourquoi nombreux sont ceux qui mettent aujourd'hui en cause cette complexité, en y voyant un coût inutile pour la collectivité. Leur raisonnement est le suivant : puisque l'immense majorité des candidats obtient le baccalauréat, l'existence même de l'examen ne se justifie plus.

Votre groupe de travail souhaite le rappeler d'emblée, il ne partage absolument pas cette analyse. Comme votre rapporteur a eu l'occasion de le souligner, tous les élèves ne parviennent pas au baccalauréat et ceux qui y parviennent sont loin de l'obtenir à la première tentative. Chaque année, plus de 100 000 candidats échouent. Il apparaît dès lors bien difficile d'y voir une simple formalité coûteuse.

Au surplus, une certaine confusion règne parfois quant à la nature du baccalauréat. Ce dernier est un examen, non un concours et son efficacité doit se mesurer non à la qualité de la sélection qu'il opère, mais à sa capacité à attester de la possession d'un certain niveau de connaissances et de compétences. Dès lors, il n'y a rien d'anormal à ce que le baccalauréat puisse être décerné à plus de 80 % des candidats, sauf à faire de la sélectivité la seule source de valeur d'un examen, ce qui aux yeux de votre groupe de travail n'aurait que peu de pertinence.

Le baccalauréat prend donc sens par rapport à sa triple fonction de certification de fin d'études secondaires, de premier grade de l'enseignement supérieur et de qualification professionnelle. C'est pourquoi votre groupe de travail a consacré une large partie de ses travaux aux perspectives universitaires et professionnelles ouvertes par le baccalauréat. La deuxième partie du présent rapport en témoigne.

Pour autant, il est loin d'être inutile de se pencher sur les conditions d'organisation du baccalauréat et sur son coût. Au-delà du titre universitaire, il y a en effet l'examen dans sa matérialité, qui peut être envisagé d'une triple manière :

- du point de vue de la pertinence de l'évaluation ainsi opérée, tout d'abord. Le baccalauréat consiste essentiellement en des épreuves terminales, organisées selon les principes républicains d'anonymat et de correction par des examinateurs extérieurs. Le choix de ce mode d'évaluation permet-il d'apprécier avec justesse les capacités des candidats et de rendre justice à leur travail ?

- du point de vue de l'efficacité de l'examen, ensuite. La définition des programmes et des sujets d'une part et les exigences des correcteurs d'autre part sont-elles en phase avec les finalités essentielles du baccalauréat ?

- du point de vue du coût, enfin. Le ministère de l'éducation nationale l'évaluait pour la session 2006 à 38 millions d'euros. Ce chiffre est sans doute très largement sous-évalué, comme le font apparaître les coûts associés à la reconquête du mois de juin. L'organisation du baccalauréat est-elle efficiente du point de vue du coût pour les finances publiques ?

Aux yeux de votre groupe de travail, ces questions sont toutes trois fondamentales, mais elles doivent être hiérarchisées : la recherche d'un examen juste et efficace doit commander les choix budgétaires et la rationalisation ne peut s'opérer que sur la base d'un examen dont la justice et l'efficacité ne font pas de doutes. C'est dans cet esprit qu'il a souhaité aborder l'analyse de l'examen.

I. UN EXAMEN ENCORE ORGANISÉ SELON LES PRINCIPES DE L'ÉQUITÉ RÉPUBLICAINE

A. LE PRINCIPE D'UNE ÉVALUATION TERMINALE, ANONYME ET EXTÉRIEURE APPARAÎT COMME UNE GARANTIE FONDAMENTALE DE LA VALEUR DE L'EXAMEN

La première vertu du contrôle continu est son faible coût : l'évaluation étant organisée tout au long de l'année dans le cadre de la classe, elle ne génère aucune dépense supplémentaire. Les travaux de correction des enseignants ne sont en effet pas rémunérés de manière particulière, les sujets sont conçus par les professeurs eux-mêmes et les épreuves ont lieu dans le temps scolaire normal. Le contrôle continu est donc économique. Pour l'heure, il n'est pas utilisé au baccalauréat.

Le contrôle en cours de formation (CCF) n'est en lui-même qu'une modalité du contrôle continu, pratiqué sous une forme harmonisée. Par nature, il suppose en effet que des référentiels d'évaluation aient été constitués et qu'ils fournissent un appui solide aux examinateurs. Il offre enfin une certaine souplesse, en évaluant l'acquisition des connaissances et des compétences tout au long du processus d'apprentissage.

Cette forme d'évaluation occupe une place croissante pour le baccalauréat. Les référentiels du baccalauréat professionnel lui reconnaissent ainsi une place de choix. Il se développe également pour les évaluations de langue dans les baccalauréats technologiques. Enfin, les épreuves d'éducation physique et sportive sont organisées sous cette forme dans tous les baccalauréats.

LE CONTRÔLE EN COURS DE FORMATION (CCF)

« Le CCF est une modalité d'évaluation certificative, c'est-à-dire une évaluation réalisée en vue de la délivrance d'un diplôme. Le CCF porte sur les compétences, les connaissances et les attitudes dites "terminales" qui sont définies dans l'arrêté de création de chaque diplôme professionnel et qui sont regroupées au sein d'unités.

L'évaluation par CCF est réalisée par sondage sur les lieux où se déroule la formation (établissement et milieu professionnel), par les formateurs eux-mêmes (enseignants et/ou tuteurs ou maîtres d'apprentissage), au moment où les candidats ont atteint le niveau requis ou ont bénéficié des apprentissages nécessaires et suffisants pour aborder une évaluation sommative et certificative.

Le CCF s'intègre naturellement dans le processus de la formation. Le formateur évalue, quand c'est possible et sans interrompre ce processus, ceux qui sont réputés avoir atteint les compétences et connaissances visées par la situation d'évaluation.

Les objectifs du CCF

Adapter l'évaluation à la diversité des situations de formation

Par définition, le CCF s'effectue dans le cadre même de la formation, en établissement et en milieu professionnel. Les activités et les supports d'évaluation prennent donc en compte la diversité des équipements utilisés pour la formation et les spécificités du contexte local. Le CCF autorise ainsi une grande diversité des mises en situation d'évaluation (problématiques professionnelles, démarches expérimentales, activités des entreprises locales...).

Rapprocher l'évaluation de l'acte de formation

Parce qu'il se déroule pendant la formation et non à l'issue de celle-ci, le CCF permet de rétroagir sur la formation. Les situations d'évaluation peuvent donner lieu à des synthèses qui aident le candidat à se situer dans sa formation et constituent pour lui un élément de motivation.

Les principes pédagogiques du CCF

L'homogénéité de l'évaluation

Le CCF évalue les mêmes compétences et connaissances terminales, mises en oeuvre dans les mêmes types d'activités et avec les mêmes données, que les épreuves ponctuelles.

C'est en ce sens que l'on peut parler d'une homogénéité de l'évaluation : si les modalités de contrôle sont différentes selon qu'il s'agit de CCF ou d'épreuves ponctuelles terminales, elles portent bien sur des compétences et des connaissances identiques.

L'approche globale de l'évaluation

L'évaluation par CCF ne consiste pas à évaluer successivement chacune des compétences et connaissances constitutives du diplôme. Elle requiert une approche globale qui conduit également à ne pas la réduire à une variante de l'épreuve ponctuelle : le CCF ne consiste pas à fractionner l'activité prévue pour l'épreuve ponctuelle, à l'étaler dans le temps ou à la bâtir sur une succession de problématiques qui seraient des sous-ensembles de cette épreuve ponctuelle.

Des situations d'évaluation en nombre limité

Les compétences constitutives d'une unité sont évaluées dans des situations d'évaluation dont le nombre, limité, est fixé par le règlement d'examen figurant dans l'arrêté de création du diplôme.

Des compétences évaluées en une seule fois

Afin d'éviter la surévaluation, une compétence, même si elle est mise en oeuvre dans plusieurs situations d'évaluation, n'est évaluée que dans une seule situation, sauf consignes particulières du règlement d'examen.

Une évaluation individualisée

Le CCF n'est pas une succession de plusieurs examens, identiques pour tous : les candidats en formation sont évalués dès qu'ils atteignent l'ensemble des compétences correspondant à la situation faisant l'objet du CCF. Ainsi, l'évaluation simultanée de l'ensemble des candidats en formation ne peut être envisagée que si tous sont réputés avoir atteint le niveau requis pour l'évaluation, ou ont reçu la formation correspondante en fin de période réglementaire prévue pour l'évaluation. »

Source : Ministère de l'éducation nationale

L'immense majorité des épreuves du baccalauréat restent toutefois organisées selon les principes qui commandent l'organisation de la plupart des examens en France : l'anonymat des candidats, le recours à des épreuves terminales et enfin la correction par des examinateurs extérieurs à l'établissement que fréquente l'élève sont ainsi très largement respectés.

A l'évidence, le recours à cette forme d'évaluation entraîne des coûts très significatifs, puisque les épreuves se situent par nature hors du cadre scolaire « normal » : il faut convoquer des examinateurs, confectionner des sujets et trouver des locaux, toutes choses qui entraînent d'inévitables dépenses.

Aux yeux de votre groupe de travail, ces coûts supplémentaires sont largement compensés par la valeur pratique et symbolique de ce mode d'évaluation.

Cette valeur est en premier lieu symbolique : le rituel même du baccalauréat est fondé sur l'organisation d'épreuves communes à tous les élèves qui se déroulent au même moment et selon les mêmes modalités. Il y a là une forme de rite égalitaire qui fait écho à la culture républicaine propre à notre pays. Méconnaître sa force symbolique, c'est donc bien prendre le risque de l'incompréhension, tant le baccalauréat est associé à ces images d'élèves entrant et sortant d'épreuves partout en France au même moment.

Le baccalauréat soude en effet la communauté nationale autour d'un rituel de passage éducatif. Toutes les familles qui comprennent un enfant en âge de passer l'examen vivent alors au même rythme, les proches du candidat ayant tout autant que lui le sentiment de subir les épreuves.

« Panacher » les modes d'évaluation en mêlant CCF et contrôle terminal ne permettrait en aucun cas de maintenir la force de ce rituel. La place que n'occupe plus le brevet des collèges dans l'imaginaire collectif le prouve. La force symbolique du baccalauréat tient aussi à l'enjeu qui est associé : quel que soit son niveau, le candidat qui commence les épreuves n'a aucune certitude sur leur issue. C'est là la vertu propre des examens terminaux. Sans doute y a-t-il une source de tension, voire d'angoisse, pour les candidats et leurs familles. Mais c'est elle aussi qui fait la valeur du baccalauréat.

Pour autant, si les principes républicains d'évaluation n'avaient qu'une pure force symbolique, ils demeureraient contestables. Tel n'est pas le cas, puisqu'ils apparaissent aux yeux des élèves, des professeurs et des familles comme une garantie essentielle de l'équité de l'examen.

Tant le contrôle continu que le CCF sont en effet l'oeuvre des enseignants et des formateurs habituels de l'élève. Votre rapporteur a déjà eu l'occasion de le souligner, il y a là une source potentielle de tensions et d'injustices : de tensions, parce que l'évaluateur peut être confronté aux réactions vives de celui qu'il note ; d'injustices, car quiconque a fait l'expérience de la relation d'enseignement sait bien qu'il se noue entre chaque professeur et chaque élève un rapport singulier qui n'est pas sans effet sur l'évaluation elle-même.

Ces mêmes raisons conduisent à préférer l'évaluation des élèves par des examinateurs extérieurs à l'établissement et non pas seulement par d'autres enseignants que ceux de l'élève. Un professeur du même lycée côtoie en effet tous les jours les candidats de son établissement, dont il peut connaître par ouï-dire la réputation, bonne ou mauvaise. Au surplus, dans des lycées de taille moyenne, il ne serait pas rare que les élèves soient alors évalués par des enseignants dont ils ont reçu les enseignements à un moment ou à un autre de leur scolarité.

Pour toutes ces raisons, votre groupe de travail attache une importance décisive au maintien des principes républicains d'évaluation.

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