3. La réforme de 1902

Il l'est d'autant plus que la dualité des baccalauréats entretient les équivoques et les frustrations : équivoque tout d'abord de la modernité de l'enseignement secondaire du même nom, qui reste largement imprégné par la culture littéraire et classique qui domine alors ; frustration ensuite, liée à l'inégale dignité des deux baccalauréats, puisque le diplôme de l'enseignement secondaire moderne n'ouvre pas automatiquement l'accès aux facultés de médecine et de droit. Il faut pour cela obtenir une dispense, accordée au cas par cas, conformément à l'esprit volontiers malthusien qui règne dans ces filières.

C'est pourquoi la réforme de 1902 ne signera pas à proprement parler la disparition des études classiques - leurs promoteurs estiment qu'ils sont parvenus à les sauver - mais tendra à réunir l'ensemble des filières au sein d'un même baccalauréat, dont l'égale dignité est par principe posée. Les humanités classiques sont donc sauves en apparence, mais un pas décisif a été accompli en reconnaissant l'existence possible d'un vrai baccalauréat sans latin.

LES CHIFFRES DU BACCALAURÉAT : LES ANNÉES 1900

En 1902, le baccalauréat de l'enseignement secondaire classique est obtenu par 5 739 candidats, dont l'immense majorité a choisi la série lettres-philosophie (4 529 reçus contre 1 210 en lettres-mathématiques). De son côté, l'enseignement secondaire moderne délivre cette année-là 1 809 diplômes, majoritairement scientifiques (530 diplômés pour la filière philosophie, 276 pour la filière sciences et 1 003 pour la filière mathématiques).

La réforme de 1902 produit ses premiers effets en 1905 : 3 573 baccalauréats de l'enseignement secondaire sont alors délivrés, alors qu'un nombre substantiel de diplômés fréquente encore les anciens cursus (2 557 bacheliers de l'enseignement secondaire classique et 1 199 bacheliers de l'enseignement secondaire moderne sont reçus à l'examen cette même année).

En 1910, le basculement d'un diplôme à l'autre s'achève enfin : il n'y a alors plus que 33 diplômés dans les anciennes filières d'enseignement. Le baccalauréat de l'enseignement secondaire, quant à lui, est alors délivré à 7 063 candidats.

A l'évidence, la réforme de 1902 n'a donc pas produit à court terme d'effet inflationniste : il y a total 7 548 bacheliers reçus en 1902 ; ils sont 7 096 en 1910.

La réforme de 1902 réorganise en effet l'enseignement secondaire autour de deux cycles. Le premier, qui court de la 6 e à la 3 e , comprend deux sections : une section A avec latin et langue vivante et une section B sans latin. Le second cycle, auquel n'accèdent pas nécessairement tous les élèves, se divise quant à lui en quatre sections correspondant à autant de séries de première partie du baccalauréat : A (latin-grec), B (latin-langues), C (latin-sciences), D (sciences-langues).

La seconde partie se prépare quant à elle dans deux classes différentes : une classe de philosophie, terme naturel des séries A et B ; une classe de mathématiques élémentaires, destinée aux élèves des séries C et D.

A la différenciation classique de la seconde partie, qui demeure inchangée, se surajoute donc une nouvelle subdivision des premières parties. Pour autant, il s'agit de séries d'un même baccalauréat. Telle est bien l'évolution décisive qui s'accomplit alors : on peut à présent entrer dans les facultés de médecine ou de droit avec un baccalauréat « moderne ». De fait, les humanités classiques vont dès lors progressivement perdre leur fonction de sélection de l'élite.

1902 ET LES DÉBUTS DE LA « SECONDARISATION » DU BACCALAURÉAT

Les années 1890 avaient vu la critique d'un baccalauréat dont le niveau était largement déconnecté de celui de l'enseignement secondaire. Les facultés se voyaient en effet reprocher d'imposer aux candidats des exigences démesurées.

La réforme de 1902 en tire également les conséquences, en autorisant les professeurs agrégés et les docteurs enseignant dans le secondaire à participer aux jurys de baccalauréat. Cet élargissement permettait tout à la fois de résoudre le problème du manque d'universitaires disponibles pour faire passer le baccalauréat et d'introduire parmi les correcteurs quelques enseignants conscients pour y enseigner tous les jours, du niveau réel du secondaire.

Une seconde étape est franchie en 1927, lorsque les enseignants des classes d'examen, quels que soient leurs titres, sont autorisés à leur tour à participer aux jurys. L'augmentation du nombre de candidats rendait en tout état de cause une telle évolution inéluctable.

Albert Thibaudet pourra donc écrire en 1936 dans son Histoire de la littérature française : « En 1902, l'enseignement secondaire, tel qu'il s'était transmis des Jésuites à l'Université du XVIII e siècle et de celle-ci à l'Université du XIX e siècle, change de caractère. Le latin et surtout le grec sont plus ou moins déclassés, et les langues anciennes, la formation humaniste ne constituent plus la marque nécessaire et éminente de la culture. La démocratie coule à pleins bords dans les cadres pédagogiques. L'expression d'humanités modernes entre en faveur ». 5 ( * )

* 5 Cité par Antoine Compagnon, « Atelier de théorie littéraire : Barrès contre les Aliborons », texte publié sur le site fabula.org.

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