C. UNE DÉMARCHE INACHEVÉE

1. Des sources programmatiques et de financement très nombreuses

a) Une coordination problématique

Avant la mise en place de l'ANR, la programmation de la recherche était surtout le fait, pour ce qui les concernait, des organismes de recherche et, dans une moindre mesure, de leur tutelle. La montée en puissance de l'ANR pose, avec une acuité renforcée, la question de la coordination de la programmation , qui était déjà problématique dans la configuration antérieure, notamment pour les sciences de la vie, lorsque coexistent plusieurs organismes de recherche dont les domaines interfèrent.

En outre, l'inscription dans les programmes du PCRD, de plus en plus substantiels, ajoute à la difficulté d'articuler l'ensemble des programmations dans lesquelles les laboratoires des différents organismes de recherche sont susceptibles de s'inscrire.

Certes, les récents groupes de concertation sectoriels 169 ( * ) et, depuis le début de la décennie, les contrats quadriennaux ( supra ) vont dans le sens d'une plus grande cohérence des programmations. Mais à ce jour, les contrats quadriennaux ne garantissent pas l'absence de redondances ni la bonne articulation des différents programmes de recherche. Le BIPE estime (section 3.9 du rapport annexé) que « ce mécanisme « en point à point » permet difficilement d'obtenir une visibilité globale dans le cadre d'une politique publique coordonnée.

A l'intérieur de ces contrats d'objectifs, on note également de fortes disparités au sein des organisations en ce qui concerne les unités de comptes et la segmentation des objectifs génériques. Certains organismes publics de recherche affectent des objectifs contractuellement aux différents niveaux hiérarchiques avec, le cas échéant, des indicateurs budgétaires. Dans d'autres cas, il n'est pas possible de disposer d'une vue consolidée et de garantir la cohérence des objectifs.

Cette hétérogénéité présente une difficulté en termes de politique publique : il est quasiment impossible de disposer d'une vision quantifiée des ressources pour des projets ou des technologies partagées entre plusieurs acteurs, ce qui est un cas de plus en plus fréquent de par la nature des activités de recherche ».

D'autres réformes, engagées par le Gouvernement, sont susceptibles de déboucher sur l'identification d'un « chef de file » dans différents domaines de la recherche , afin de permettre une programmation débouchant sur une meilleure articulation des travaux menés par les différents acteurs.

LA RÉFORME DU CNRS ET DE L'INSERM

Le CNRS et l'INSERM ont reçu de leurs ministères de tutelle des feuilles de route qui leur enjoignent de « repenser profondément » leur organisation interne.

S'agissant du CNRS , la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche a demandé au Centre de substituer aux six départements scientifiques 170 ( * ) actuels « une structuration en grands instituts nationaux de recherche 171 ( * ) » afin d'« améliorer la lisibilité et la prévisibilité de son action ». L'intérêt d'un institut serait de s'occuper à la fois de la gestion des laboratoires - ce que font les actuels départements scientifiques du CNRS - et de programmation de la recherche à long terme dans un secteur scientifique . Cette réforme devrait être mise en place dans le cadre d'un plan stratégique que l'établissement doit adopter avant l'été 2008.

S'agissant de l' INSERM , l'objectif majeur du gouvernement est de faire de l'Institut la plaque tournante de toute la recherche biomédicale française, afin de palier le morcellement des structures qui résulte de la tendance passée à créer une agence pour chaque nouveau programme (Sida, cancer, maladie d'Alzheimer...). L'ambition, d'après la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, est de mettre en place « un acteur puissant, capable d'orienter la stratégie et de coordonner les moyens de l'ensemble de la recherche biomédicale, avec un rôle de leader en Europe ». Le directeur général de INSERM, Monsieur André Syrota, a présenté, le 1 er avril dernier, la nouvelle organisation de l'établissement public, qui comprend désormais huit « instituts thématiques », dont on peut espérer l'émergence d'un « maping » de la recherche dans le biomédical... Selon lui, l''INSERM aura « un double rôle, opérationnel et des prospectives programmatiques . C'est d'ailleurs ce qui se passe au Royaume-Uni avec le MRC 172 ( * ) ou aux États-Unis avec les NIH 173 ( * ) . Ces organismes possèdent des unités de recherche en propre tout en finançant des actions extérieures ».

Les futurs instituts de l'INSERM prendraient ainsi la main sur les travaux que mènent aujourd'hui en parallèle, dans les sciences du vivant, d'autres organismes comme le CNRS, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) ou l'Institut de recherche pour le développement (IRD).

L'avenir dira si les réformes projetées rendront inutile une rationalisation des structures de recherche, régulièrement évoquée, en particulier dans le domaine du vivant. Certes, la montée en puissance de la recherche sur projet constitue un facteur structurant, dans la mesure où elle tend à éviter les redondances et les carences tout en faisant émerger les meilleures équipes. Cependant, dans le paysage institutionnel actuel, une incertitude demeure sur l'ampleur des difficultés et du coût d'arbitrage qui pourrait résulter d'un nombre anormalement élevé de projets concurrents.

Par ailleurs, une faible part de la recherche publique en Europe est coordonnée ... La relance par la Commission européenne de la construction de l'Espace européen de la recherche (EER) et en particulier l'initiative de la « Programmation Conjointe », pourrait susciter auprès des États membres qui le souhaiteraient une coordination plus étroite de leurs programmes.

b) Une charge administrative préjudiciable à la recherche

Corrélativement, les laboratoires sont confrontés à la difficulté d'un émiettement croissant des moyens . On peut, en théorie, juger souhaitable d'augmenter la part financée par les entreprises et par les contributions attribuée à la suite d'appels à projet, mais il faut veiller au danger que représente la multiplicité des sources : peuvent se superposer, notamment, les flux en provenance de l' organisme de recherche d'appartenance , de l'ANR , d' agences de financement spécialisées , du PCRD , des contrats de recherche avec l'industrie ou des fondations et organismes caritatifs, tandis que le développement des pôles de compétitivité ajoute un degré de complexité au dispositif de financement...

A cet égard, il convient de souligner que la décentralisation -nécessairement partielle en matière de recherche avec un pilotage établi au niveau central- doit être menée avec circonspection, car elle renforce la parcellisation des moyens ainsi que le risque d'incohérence des politiques ; l'exemple allemand est à cet égard édifiant, avec une traduction difficile, dans les Länders, de la politique fédérale.

Il en résulte une charge de gestion significative pour les chercheurs, susceptible de s'effectuer aux dépens de leur productivité scientifique .

Sous cet angle, le financement par projet via l'ANR se situe aujourd'hui à un niveau critique, en particulier pour les chercheurs appartenant à des unités des établissements dont la capacité propre de financement est la plus restreinte -ce qui est le cas, par exemple, du CNRS.

La ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, a dévoilé, le 21 mars dernier, les trois grandes lignes d'un projet de réforme de l'ANR : « simplifier des procédures d'obtention des crédits, améliorer le versement des financements, mieux évaluer l'agence ». On ne peut que souscrire à l'objectif d'une diminution de la charge de gestion des chercheurs. Cette démarche concerne aussi les procédures européennes, en améliorant l'articulation des appels à projets européens et français, avec le projet de qualifier automatiquement pour un financement de l'ANR les chercheurs français dont les projets auront été déclarés admissibles par l'ERC ( supra ).

c) Une prise en compte des dimensions européenne et internationale à renforcer

L'expertise internationale est absolument nécessaire à l'évaluation de la qualité de la programmation et des projets qui sont soumis.

La programmation de l'ANR, qui semble irréprochable sur ce point, repose largement sur un bilan des grandes orientations scientifiques suivies à l'étranger.

En revanche, si, au sein de l'ANR, le « comité d'évaluation » des projets de recherche se prononce sur la base d'un rapport établi par au moins deux experts, français ou étrangers, les « personnalités étrangères dans les comités d'évaluation » n'en ont représenté que 15,2 % d'après le rapport d'activité de l'Agence pour 2006. A la suite de la conférence des Agences de financement de la recherche du 21 mars 2008, l'ANR a formulé des « propositions d'action » dont une consiste à « augmenter le pourcentage d'experts internationaux intervenant dans le processus de sélection des projets financés ».

Il est à noter que, depuis 2007, l'ANR préfère que les dossiers scientifiques des réponses aux appels à projets soient rédigés en anglais, le comité de sélection pouvant exiger des candidats une traduction de leur projet.

Par ailleurs, lors de la conférence précitée, il a été constaté que toutes les agences souhaitent développer leurs programmes bilatéraux de coopération internationale et qu'en pratique, le programme blanc ( infra ) de l'ANR et ses équivalents dans les autres agences sont particulièrement bien adaptés à cette démarche. Parmi ses « propositions d'action », l'ANR suggère d'« augmenter le nombre de programmes bilatéraux internationaux notamment avec les pays européens ». Une telle démarche est susceptible d'accompagner le « processus de Ljubljana » ( supra ), qui soutient la coordination des programmations en Europe.

2. Un équilibre instable

La qualité, le poids, l'orientation et l'organisation de la recherche sur projet suscitent aujourd'hui de nombreuses interrogations . Concernant l'ANR, l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche 174 ( * ) estime que « le processus de programmation repose actuellement sur peu d'éléments de stratégie en amont, sinon le recueil des décisions circonstancielles prises à haut niveau sur tel ou tel secteur de la recherche ou des programmes interministériels incluant un volet recherche (...) » - ce qui rejoint le constat dressé supra sur l'évanescence de la programmation stratégique nationale- « en conséquence, le processus de programmation de l'ANR devrait tirer bénéfice de la définition systématique par la DGRI des orientations nationales de la politique de recherche et d'innovation » .

Pour sa part, M. Jean-Claude Petit, Directeur des programmes du CEA, observe que « la recherche partenariale avec l'industrie ne bénéficie pas de l'attention et des financements nécessaires à de véritables développements stratégiques s'appuyant sur des « road maps » à long terme. De plus, la « recherche académique » (universités + CNRS) émarge pour environ 45 % du budget de l'ANR, et le CEA pour environ 6 %. Certes, plus de la moitié de l'activité du CEA n'entre pas dans le champ de l'ANR, en particulier l'intégralité du domaine nucléaire.

Des inquiétudes se font jour car l'ANR semble évoluer progressivement vers « une machine à financer le monde académique » , en quelque sorte un « programme blanc » 175 ( * ) de facto généralisé. Cette évolution ne serait pas nécessairement critiquable, dans la mesure où elle correspondrait à un choix politique délibéré, mais il faudrait alors trouver d'autres modalités plus pertinentes de financement de la recherche technologique et d'une recherche partenariale avec les entreprises vraiment ambitieuse ».

Mais à l'inverse, la direction du CNRS avait souhaité que les appels « blancs » représentent 50 % du budget de l'ANR, alors qu'ils demeurent fixés à 30 % 176 ( * ) ...

Le schéma institutionnel de la recherche sur projet est également susceptible d'évolutions .

Selon FutuRIS, un schéma optimal reposerait sur des agences sectorielles, qui disposeraient de moyens évoluant conformément aux grandes orientations stratégiques de la recherche, définies au niveau ministériel. En application des priorités qu'elles identifieraient, les agences alloueraient leurs ressources :

- sous forme de dotations aux opérateurs de recherche actifs dans le domaine de l'agence ;

- en procédant par appel d'offre auprès des différents opérateurs de recherche.

Le Président de la République privilégie un schéma dans lequel les organismes de recherche se recentreraient sur le rôle d'agence de moyens aux côtés d'une ANR renforcée, avec une implication accrue des Universités dans la conduite de la recherche.

DISCOURS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA RECHERCHE
LORS DE LA CÉRÉMONIE RENDUE EN L'HONNEUR DU PROFESSEUR ALBERT FERT,
LE 28 JANVIER 2008
(extrait)

(...) Alors, en contrepartie de cela il y aura la réforme. La réforme, cela va impliquer d'abord une chose très difficile qui est de redéfinir les missions des organismes. Ce n'est pas le plus simple. Déchargés du poids d'une partie de la gestion administrative et financière, bientôt confiée aux Universités, déchargés de l'évaluation, confiée à l'Agence pour l'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, les organismes devenus agences de moyens davantage qu'opérateurs, mettront en oeuvre la politique scientifique qu'au nom des français, le Gouvernement et le Parlement leur aura confiée.

Les organismes pourront ainsi, en étroite concertation avec l'Agence nationale de la Recherche (l'ANR), se consacrer pleinement à leur véritable mission, le pilotage des recherches menées dans les universités, qu'il s'agisse de la sélection, de l'animation ou de la coordination des meilleurs projets. A terme, les organismes ne devraient conserver en propre que les activités qui gagnent à être organisées et coordonnées au niveau national. Je pense aux grands moyens de calcul, aux bases de données, aux grands équipements et aux grandes plateformes technologiques, mais aussi aux programmes qui requièrent un regroupement de nos forces et une coordination nationale, comme le font déjà certains instituts au sein des organismes de recherche, je pense notamment à ce que fait le CNRS. Toutes les autres activités ont vocation à se développer dans les laboratoires universitaires, dans un esprit de loyale et fructueuse compétition. La compétition ce n'est pas un mal, ça peut même stimuler. (...)

Je souhaite qu'à cette nouvelle génération soit inculqué non plus le réflexe du financement récurrent mais la culture du financement sur projets, la culture de l'excellence, la culture de l'évaluation. Il faut trouver le juste équilibre entre les financements à court terme et les financements à plus long terme pour des projets plus risqués. Mais les uns comme les autres doivent être financés sur la base de leur seule qualité, dans les universités comme dans les organismes, et n'ont pas vocation à être indéfiniment reconduits sans évaluation. Je souhaite voir se développer davantage encore les financements de l'Agence Nationale de la Recherche (l'ANR), y compris les programmes blancs, grâce auxquels de nouvelles équipes, de nouveaux sujets de recherche peuvent émerger. Vous voyez que notre conversation a servi à quelque chose.

Selon FutuRIS, « le chantier de la transition d'un schéma d'organisation à l'autre est vraiment lancé ; tous les espoirs sont permis, mais rien n'est acquis ». La Cour des comptes 177 ( * ) ne dit pas autre chose : « La loi de programme du 18 avril 2006 pour la recherche et les textes réformant l'administration centrale du ministère délégué à la recherche pourraient en effet constituer une chance pour recentrer la politique de recherche sur ses priorités et l'installer dans la durée »...

3. Jusqu'où ne pas aller : préserver la capacité d'initiative de la recherche, y compris pour les projets à long terme

Le conseil de la modernisation des politiques publiques (CMPP) du 4 avril 2008 a confirmé l'orientation vers une « augmentation de la recherche publique financée sur projet », mouvement susceptible de compromettre l'autonomie et la capacité d'invention de la recherche.

a) Liberté et priorités de la recherche

En matière d'organisation, on oppose volontiers la démarche « top-down » , hiérarchique et directive, à la démarche « bottom-up » , où l'initiative de la base est déterminante pour le fonctionnement d'un système. En réalité, le gouvernement d'un système de recherche ne peut être qu'un mixte de ces deux logiques, logique « amont » et logique « aval » :

D'une part, lorsque des thématiques prioritaires sont dégagées, il doit toujours demeurer un espace de liberté pour les chercheurs au sein de ces thématiques. Le degré de liberté de la recherche dépend ici de la finesse de leur découpage. En outre, la détermination de ces thématiques se construit, elle-même, dans un processus faisant souvent appel à l'expertise des chercheurs et des laboratoires, réintroduisant l'expertise de l'« aval » dans une stratégie, le cas échéant, essentiellement « amont » -ce qui est le cas, par exemple, à l'ANR avec les comités sectoriels (voir encadré supra ).

D'autre part, il est généralement réservé un espace de liberté à coté des programmes prioritaires afin de préserver l'opportunité de découvertes majeures dans des champs nouveaux ou inattendus, ce qui est naturellement essentiel pour la recherche fondamentale.

On observera que, dans une approche d'optimisation des moyens, une logique essentiellement « amont » paraît plus appropriée pour la recherche appliquée que pour la recherche fondamentale.

b) Réflexion sur la méthode et clarification des enjeux

La portée de la logique de projet et l'impact des programmations stratégiques ne doivent pas être surévalués : bien souvent, les initiatives publiques ne constituent qu'un « réservoir » dans lequel les scientifiques vont puiser. Que le gouvernement, par exemple, mette en place un « plan Alzheimer » ne permet pas de placer instantanément la recherche française au premier plan dans ce domaine.

Réciproquement, il arrive que des pistes s'ouvrent mais se referment vite, faute de trouver les relais publics nécessaires. Ainsi, il ne faudrait pas qu'une programmation invasive aboutisse à décourager les bonnes idées , surtout pour la recherche fondamentale. Par exemple, le physicien Albert Fert a déclaré qu'il n'aurait pu obtenir le prix Nobel s'il n'y avait eu qu'un financement sur projet 178 ( * ) . Existe-t-il une contre-indication à une montée en puissance de l'ANR et, d'une façon générale, à un renforcement de la recherche sur appel à projet 179 ( * ) , parce qu'elle véhiculerait un conformisme faisant obstacle aux recherches les plus risqués mais aussi les plus susceptibles de déboucher sur des découvertes majeures ?

D'une part, afin de soutenir tous les projets d'excellence, susceptibles d'émerger dans n'importe quel domaine, une proportion importante de « programmes blancs » peut être financée par appel à projet (par l'ANR dans la configuration institutionnelle actuelle) tandis que la recherche sur projet, qui concerne ceux de court-moyen terme, n'est pas appelée à se substituer aux financements récurrents , qui autorisent des projets à plus long terme.

D'autre part, même s'il est admis qu'il faut, outre une proportion importante de programmes blancs, une politique très volontariste pour promouvoir la prise de risque scientifique et produire un nombre important d'innovations de rupture, on indiquera que la National Science Foundation (NSF), s'étant faite une spécialité du financement des projets risqués, a pris en charge les travaux de 150 prix Nobels depuis sa création. Pour ancrer cette politique, il serait envisageable qu'à terme, l'Europe programme une montée en puissance du Conseil européen pour la recherche, nouvelle agence de moyen communautaire ( supra ) dont l'intervention est centrée sur la recherche fondamentale d'excellence, qui pourrait, dans une certaine mesure, se spécialiser dans la « recherche frontière » la plus risquée à coté d'agences nationales dont les choix demeureraient généralement plus conventionnels.

En premier lieu, il faut donc réfléchir à l'équilibre entre financements sur projet et financements récurrents , dans la mesure où tous les projets ne peuvent être financés à un horizon de trois ou quatre ans (celui de l'ANR). D'aucuns estiment qu'un objectif raisonnable, à relativement court terme, pourrait consister à faire transiter par l'ANR environ 30 % du financement de la recherche. Quoiqu'il en soit, l'aboutissement d'une réflexion sur ce sujet, particulièrement sensible, est suspendu à la mise en place d'une comptabilité analytique -dont la généralisation apparaît encore relativement lointaine ( supra )- et à une prise en charge en coûts complets -dont le principe n'est pas davantage acté. En attendant, le mécanisme du « préciput » permet de faire progresser la recherche sur projet en ménageant une certaine cohérence.

INTÉRÊT ET PORTÉE DU PRÉCIPUT

Le « préciput » est un complément de financement versé par l'ANR aux établissements et universités pour compenser les dépenses induites par les projets de recherche financés par l'Agence au sein des laboratoires qui les hébergent.

Ce mécanisme peut être présenté comme un simple défraiement forfaitaire au titre de certaines des charges fixes supportées par les organismes. Il est aujourd'hui susceptible d'être compris comme un mécanisme tentant d'exprimer approximativement un « coût complet », hors charges de rémunérations des fonctionnaires chercheurs compte tenu des taux pratiqués.

Mais à mesure que son taux augmenterait -et si, par ailleurs, les financements récurrents diminuaient- il pourrait démultiplier l'incitation des organismes et des universités à pousser leurs équipes à solliciter les crédits de l'ANR 180 ( * ) .

La mise en place d'une comptabilité analytique permettrait d'aboutir encore plus sûrement au même résultat, dès lors que les financements de l'ANR couvriraient l'intégralité du coût des projets de recherche sélectionnés, rémunération des chercheurs comprise, car les organismes et les universités ne seraient plus fondés à recevoir des dotations couvrant l'intégralité de leurs frais de personnel. Cependant, le préciput pourrait « survivre » à la mise en place d'un financement en coût complet afin de participer au financement de recherches de long terme, voire s'effectuant dans certains domaines (dont l'intérêt ne serait pas relayé par une agence de moyens) de prédilection d'organismes de recherche ou d'universités.

Par ailleurs, le mécanisme du préciput pose avec acuité le problème de la gestion partagée entre les universités et les organismes de recherche des unités mixtes de recherche (UMR) 181 ( * ) , dont la complexité 182 ( * ) ne faciliterait pas la détermination des parts respectives du préciput.

La ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche a annoncé 183 ( * ) que le taux du préciput serait porté de 5 % en 2007 des aides attribuées par l'ANR à 11 % en 2008 184 ( * ) , puis elle souhaite aller « vers un optimum qui se situerait (...) au-delà de 15 % » 185 ( * ) . Il est à noter que la plupart des agences étrangères financent un préciput. Son montant, qui peut atteindre 30 % des dépenses de projet, est très variable d'un pays à l'autre et dépend de l'importance des financements récurrents.

A terme, il est donc possible que la question soit moins celle de la proportion de financements récurrents que celle, plus générale, de la proportion globale de financements libres d'emploi pour les organismes de recherche et les universités .

En second lieu, il convient de s'interroger, concernant les financements sur projet, à la part réservée aux projets libres (le « programme blanc » de l'ANR), a priori plus favorables à la qualité de la recherche que les financements récurrents.

La présidente du CNRS, observe qu'aux États-Unis, la National Science Foundation attribue 70 % de ses subventions à des projets « blancs », c'est-à-dire libres, et 30 % seulement à des projets finalisés, proportion inverse de celle retenue par l'ANR, ce qui, selon elle, « mérite réflexion ». Lors de la conférence des Agences de Financement de la Recherche du 21 mars 2008 ( supra ), il a été constaté que « les programmes blancs (ou non thématiques) sont plébiscités et chacun souhaite en augmenter le financement. Ils sont notamment destinés à inciter les chercheurs à aller vers des recherches plus audacieuses repoussant fortement les frontières de la connaissance ».

*

En conclusion, la recherche sur projet est un puissant facteur de soutien à l'excellence des projets et, pourvu qu'elle soit adéquatement organisée, les inconvénients qu'on lui prête volontiers -atteinte à la liberté de la recherche, « court-termisme »- semblent pouvoir être contournés : les programmes blancs permettent de réserver une place importante aux projets libres, tandis que le mécanisme du préciput est susceptible de procurer aux grands organismes un complément de ressources pour alimenter les projets de plus long terme.

SCHÉMA DE TRANSITION DU FINANCEMENT DES DIFFÉRENTES CATÉGORIES
DE PROJETS DE RECHERCHE

Recherche sur projet

Appels à projet orientés

(ANR et organismes de recherche)

Programmes blancs
(ANR)

Financements récurrents

ou

préciput

(Organismes de recherche
et universités)

Projets suscités par un appel à projet ou projets susceptibles de s'y inscrire

Projets de court terme non susceptibles de s'inscrire dans un appel à projet orienté

Projets de long terme

Source : Sénat

NB : Les flèches en pointillé désignent les financements qui auraient tendance à se raréfier au profit de ceux représentés par une flèche pleine dans le cadre d'une montée en puissance de la recherche sur projet. Les flèches verticales désignent la tendance : hausse (?) ou baisse ( ?).

Ajoutons cependant que tous les termes du débat méritent d'être posés : au delà d'un certain volume, le financement sur projet, parce qu'il s'effectue nécessairement au détriment des financements récurrents, devient incompatible avec une rémunération garantie pour un même nombre de chercheurs fonctionnaires au sein des différents organismes de recherche (et des universités). Dès lors, la réflexion sur la condition des chercheurs devient inséparable de celle concernant la recherche sur projet.

* 169 Afin de mieux assurer la cohérence nationale et l'articulation du cadre de financement étatique avec les cadres de financement communautaire et régional, la DGRI a mis en place, en 2007, des « groupes de concertation sectoriels » pour améliorer l'efficacité de la programmation de la recherche.

* 170 Mathématiques, physique, planète et Univers ; chimie ; sciences du vivant ; sciences humaines et sociales ; environnement et développement durable ; sciences et technologies de l'information et de l'ingénierie.

* 171 Le CNRS comprend déjà deux instituts nationaux (physique nucléaire et physique des particules ; sciences de l'Univers). La ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche a précisé (Le Monde du 20 mai 2008) que le réforme devrait leur adjoindre six nouveaux instituts , créés autour des disciplines dans lesquelles « le CNRS exerce un leadership et qu'il a vocation à coordonner sur le plan national : mathématiques, physique, chimie, sciences de l'ingénieur, sciences humaines et sociales, écologie et biodiversité ». En revanche, pour ce qui concerne les sciences de la vie et l'informatique, le CNRS devrait travailler dans le cadre d'un « pilotage conjoint » avec l'INSERM (santé), l'INRA (agriculture), le CEA (énergie atomique) et l'INRIA (informatique).

* 172 Medical Research Council. Le MRC pilote la recherche biomédicale au Royaume-Uni.

* 173 National Institutes of Health. Le NIH est un réseau d'instituts publics qui organisent la recherche médicale aux États-Unis.

* 174 « La contractualisation des organismes publics de recherche avec l'Etat », par François Bonaccorsi, Marc Goujon, Dominique Marchand, Nicole Pernot-Chaffort et Patrice Van Lerberghe, rapport n° 2007-012, avril 2007.

* 175 Programme non thématique de l'ANR, ayant pour seul critère l'excellence, dans une logique de soutien à la recherche fondamentale.

* 176 « La recherche » n° 416, février 2008.

* 177 Cour des comptes, rapport public thématique intitulé « La gestion de la recherche publique en sciences du vivant » de mars 2007.

* 178 Le Monde, 25 octobre 2007.

* 179 Outre la montée en puissance programmée de l'ANR, un tel renforcement pourrait être sous-tendu par certaines des réformes envisagées pour les grands organismes de recherche, notamment pour ce qui est du renforcement de leur rôle programmatique (cf. précédents encadrés)...

* 180 Dans un schéma d'une gouvernance reposant majoritairement sur la recherche sur projet, le préciput pourrait théoriquement devenir une source majeure de financement libre d'emploi pour les organismes de recherche...

* 181 Les unités mixtes de recherche (UMR) réunissent des chercheurs issus de l'Université et des grands organismes de recherche. Le CNRS et surtout l'INSERM ont mis en oeuvre une politique systématique de mixité.

* 182 Le fonctionnement des UMR devrait faire l'objet d'une simplification dans le cadre de l'application des recommandations de la commission d'Aubert sur la gestion des unités mixtes de recherche (mesure adoptée par le conseil de modernisation des politiques publiques du 4 avril 2008).

* 183 Présentation, le 21 mars 2008, des grandes lignes de son projet de réforme de l'ANR.

* 184 Charte du préciput du 17 mars 2008. Ce taux est applicable aux autorisations d'engagement attribuées à compter de 2007. Pour ce qui concerne les UMR, contrairement à 2007, le préciput versé en 2008 n'est pas réparti entre les tutelles mais versé exclusivement à celle hébergeant les équipes, ce qui aboutit à un transfert de moyens des organismes de recherche vers les universités.

* 185 Dans cette fourchette, le préciput ne saurait représenter un montant représentatif des frais de personnel (fonctionnaires chercheurs), mais uniquement des fonctions supports. Le CNRS a estimé à environ 60 % le montant d'un préciput représentatif de la totalité de frais.

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