DEUXIÈME PARTIE - ORIENTATION ET INSERTION PROFESSIONNELLE : VERS UN RÉÉQUILIBRAGE ENTRE FEMMES ET HOMMES DANS TOUS LES MÉTIERS
AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Votre délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a choisi cette année de s'intéresser plus particulièrement au thème de l'orientation et de l'insertion professionnelle, sous l'angle d'un nécessaire rééquilibrage entre femmes et hommes dans l'ensemble des métiers.

En effet, si les filles réussissent aujourd'hui dans leurs études aussi bien, voire mieux, que les garçons et sont souvent plus diplômées qu'eux, cette réussite ne trouve pas sa traduction logique dans la vie professionnelle. Les femmes restent majoritairement cantonnées dans quelques secteurs d'activité, comme le secteur social ou médical, l'enseignement, ou encore les services à la personne, où elles occupent des professions peu diversifiées et souvent peu qualifiées. A l'inverse, elles sont traditionnellement très peu présentes dans les filières scientifiques et techniques et les métiers de l'industrie et du bâtiment.

Cette ségrégation des emplois selon le genre constitue un facteur structurel d'inégalité professionnelle entre les hommes et les femmes, ainsi que l'ont notamment montré les travaux de la Conférence sociale organisée par le Gouvernement sur ce thème le 26 novembre dernier.

Or, cette ségrégation professionnelle découle largement d'une orientation stéréotypée selon le sexe et mal adaptée aux besoins du marché du travail, alors qu'il apparaît souhaitable de parvenir à un équilibre entre hommes et femmes dans les différents métiers pour favoriser tant l'égalité professionnelle que l'efficacité économique.

*

La délégation a donc souhaité rechercher quelles améliorations pourraient être apportées en matière d'orientation et d'insertion professionnelle pour parvenir à ce rééquilibrage.

Elle a mené à bien un large programme d'auditions sur ce thème, d'octobre 2007 à mai 2008. Au cours de 15 réunions, d'une durée totale de 21 heures 30, elle a entendu 52 personnes, parmi lesquelles des représentants du Centre d'analyse stratégique (CAS) et du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), du monde de l'éducation (conseillers d'orientation-psychologues, enseignants, parents d'élèves), des entreprises (Mouvement des entreprises de France [MEDEF], Confédération générale des petites et moyennes entreprises [CGPME], Fédération française du bâtiment [FFB], chambres consulaires), du monde associatif et du service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE) du ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, ainsi que diverses personnalités qualifiées, comme Mme Catherine Marry, sociologue, Mme Irène Tharin, ancienne députée, auteur d'un rapport au Gouvernement sur l'orientation, ou Mme Marie-Jeanne Philippe, recteur, présidente du Comité de pilotage de la convention pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans le système éducatif.

Elle a complété ce programme d'auditions par un déplacement sur le terrain dans la région nantaise, le 3 avril 2008, auquel ont participé Mmes Gisèle Gautier, présidente, Yolande Boyer, Christiane Kammermann et Anne-Marie Payet.

À l'occasion de ce déplacement, des représentants de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), du Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), de l'Institut catholique d'arts et métiers de Nantes (ICAM) et de la Maison de l'orientation et de l'emploi de Carquefou ont présenté aux membres de la délégation les actions menées par ces différents organismes en faveur de l'insertion professionnelle des femmes dans les métiers considérés traditionnellement comme masculins. Ce déplacement leur a également permis de rencontrer des jeunes femmes suivant ou ayant suivi des formations en vue d'une insertion dans les métiers du bâtiment ou de l'industrie, comme par exemple les métiers de « peintre en bâtiment » ou de « chaudronnière ».

*

Au terme de ces travaux, les constats et réflexions de la délégation s'articulent autour de trois axes :

- la réussite scolaire des femmes n'a pas encore eu raison de leur ségrégation professionnelle ;

- la contribution du système éducatif à l'égalité passe par une révision du système d'orientation et une complémentarité de tous les acteurs ;

- freinée par un déficit d'information, l'insertion professionnelle des femmes dans des métiers considérés traditionnellement comme masculins doit être facilitée.

I. LA RÉUSSITE SCOLAIRE DES FILLES N'A PAS ENCORE EU RAISON DE LA SÉGRÉGATION PROFESSIONNELLE

Depuis sa création, la délégation sénatoriale aux droits des femmes a mis en évidence, à de nombreuses reprises, un paradoxe : la réussite incontestable des filles dans leurs études ne trouve pas complètement sa traduction dans la vie professionnelle, puisque leurs carrières et leurs rémunérations restent en retrait par rapport à celles des hommes.

Le constat, ces dernières années, de l'essoufflement de la réduction des écarts de salaires, qui reste encore au voisinage de 20 %, a notamment justifié l'adoption de la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Approuvant les mesures notamment destinées à renforcer l'arsenal juridique relatif à la négociation sociale, votre délégation avait cependant souligné l'importance des facteurs structurels qui expliquent cette inertie.

Deux années plus tard, le moment lui a paru particulièrement propice à cibler l'enjeu essentiel que constitue la lutte contre la ségrégation sexuée de l'emploi dans notre pays, ce qui implique, en particulier de remédier aux anomalies de l'orientation.

Depuis deux ans, la réussite scolaire et universitaire des jeunes femmes s'est poursuivie : leur taux de succès au baccalauréat est par exemple de 4 % supérieur à celui des garçons. Pourtant, les « bastions » d'emplois masculins, ainsi que les écarts de rémunération, ne se réduisent pas sensiblement, en France comme dans la plupart des pays de l'Union européenne.

Cette situation comporte le risque de dissuader les jeunes diplômées d'intensifier leur contribution à la production de biens et services à un moment de notre histoire économique où les besoins immédiats et prévisibles de main-d'oeuvre sont croissants. Dans ce contexte où les entreprises sont conduites à se livrer à une véritable « guerre des talents », un certain nombre de représentants de branches professionnelles et d'entreprises entendus par la délégation se sont d'ores et déjà mobilisés pour améliorer la mixité et l'harmonie de leur recrutement.

Votre délégation appelle à une généralisation de ce sursaut en faveur du rééquilibrage des genres dans le monde du travail. Elle estime qu'un des défis majeurs de notre pays est de promouvoir une orientation des élèves et un recrutement des personnes gouvernés par leurs aptitudes plus que par les préjugés sexistes.

A. L'INCONTESTABLE RÉUSSITE SCOLAIRE ET UNIVERSITAIRE DES FILLES

Depuis le début du XX e siècle, l'allongement général des études est le facteur central de l'évolution des destinées scolaires. Dans ce contexte, Mme Catherine Marry, sociologue et directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a souligné, lors de son audition par la délégation, le « fait social majeur » que constitue le renversement historique de la réussite scolaire et universitaire au profit des filles.

1. Le constat en France

« Les filles réussissent mieux scolairement que les garçons et ce quel que soit le niveau d'enseignement et quelle que soit la filière ou discipline considérée » ; tel est le diagnostic récurrent dressé depuis plusieurs années par la direction de l'évaluation et de la prospective du ministère en charge de l'Education nationale. Cette réussite s'est propagée dans l'enseignement supérieur et débouche sur le constat d'une main d'oeuvre féminine plus diplômée que la moyenne.

a) Les meilleurs taux de succès au baccalauréat

À travers les batteries d'indicateurs, l'un des plus pertinents demeure le taux de réussite au baccalauréat. À cet égard, et comme l'a rappelé la délégation dans son rapport d'information n° 210 (2002-2003) présenté par Mme Gisèle Gautier, présidente, et consacré aux inégalités salariales entre les hommes et les femmes, c'est à partir des générations nées au début des années 1950 que la proportion de bachelières a dépassé régulièrement la proportion de bacheliers et à partir des générations nées en 1955 que les jeunes filles ont commencé à sortir plus fréquemment diplômées de l'enseignement supérieur que les jeunes hommes.

Se référant, en matière de réussite à la session 2004 du baccalauréat , aux chiffres publiés dans l'édition 2005 de la brochure « Repères et références statistiques » sur les enseignements, la formation et la recherche publiée par le ministère de l'Éducation nationale, Mme Catherine Marry a rappelé à la délégation, que toutes séries confondues et dans la grande majorité d'entre elles, les filles réussissaient mieux que les garçons (81,8 % contre 77,4 %).

L'écart des taux de réussite entre les sexes s'amenuise : 4,4 points en 2004 contre 5,2 en 2002. Selon les derniers chiffres publiés par l'INSEE en novembre 2007, 83,7 % des filles candidates au baccalauréat à la session 2006 ont réussi l'examen contre 80,2 % des garçons, soit un écart moyen de 3,5 %. Le taux de succès des filles est supérieur à celui des garçons dans toutes les filières : + 3,2 % au baccalauréat professionnel, + 4,9 % au baccalauréat technologique, et + 1,1 % au baccalauréat général.

La délégation note que, contrairement à une idée reçue, dans la filière générale, la réussite des filles dépasse celle des garçons non seulement dans les disciplines littéraires ou en sciences économiques et sociales, mais également dans les matières scientifiques avec 90,6 % de taux de succès pour les filles et 88 % pour les garçons. De façon encore plus détaillée, les données publiées par l'INSEE chiffrent l'avance des filles à 1,5 % en mathématiques, à 6 % en sciences de la vie et de la Terre et à 2,3 % en physique-chimie.

Résultats au baccalauréat par série

Session 2006

Session 2007 *

Session 1995

Présentés

Taux de réussite en pourcentage

Total

Filles

Ensemble

Garçons

Filles

Ensemble

Ensemble

Baccalauréat général

326 674

57,6

86,6

85,9

87,0

87,6

75,1

Littéraires

60 998

80,9

83,3

80,6

83,9

84,3

71,3

Sciences économiques et sociales

101 861

63,3

84,4

82,8

85,3

88,3

73,0

Scientifiques

163 815

45,4

89,1

88,0

90,6

88,4

78,5

dont

mathématiques

37 123

38,3

93,5

92,9

94,4

-

-

sciences de la vie et de la Terre

57 179

57,6

85,4

81,9

87,9

-

-

physique-chimie

57 008

44,1

90,9

89,9

92,2

-

-

Baccalauréat technologique

181 950

50,9

77,3

74,8

79,7

79,5

75,5

Baccalauréat professionnel

130 037

41,2

77,3

76,0

79,2

77,9

72,7

Ensemble

638 661

52,4

82,1

80,2

83,7

83,3

74,9

* Données provisoires France métropolitaine et Dom.

Source : ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Depp.

Aucun intervenant entendu par la délégation n'a tiré argument de ces écarts statistiques, finalement limités, pour préconiser des mesures générales de soutien scolaire en faveur des garçons. En revanche, l'un des indicateurs utilisé en application de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 (LOLF), est la « proportion de filles en classes terminales des filières scientifiques et techniques » (indicateur n° 10, objectif 1, programme 2), tandis que le rapport annexé à la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école fixe à l'Éducation nationale l'objectif suivant : « la proportion de jeunes filles dans les séries scientifiques générales et technologiques augmentera de 20 % » . Il est souhaitable que cet engagement solennel inspiré par les recommandations de l'Union européenne soit respecté : concrètement, il s'agit de passer de 39 % de filles en terminale scientifique et technique aujourd'hui à 45 % en 2010.

Toutefois, ces chiffres ne doivent pas faire oublier, comme l'ont signalé plusieurs personnes auditionnées par la délégation, deux phénomènes inquiétants et persistants depuis plusieurs années : celui de l'échec scolaire qui frappe tout particulièrement les garçons issus des minorités visibles , en amont du baccalauréat, et le recul en termes de mixité et d'égalité entre femmes et hommes qui menace de s'aggraver pour certaines jeunes filles des « quartiers » .

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