N° 416

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 juin 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission en Russie effectuée du 21 au 25 avril 2008 par une délégation chargée d'étudier la situation intérieure , ainsi que le rôle et la place de la Russie sur la scène internationale ,

Par M. Josselin de ROHAN, Mme Josette DURRIEU, MM. Jean-Pierre FOURCADE, Robert HUE, Yves POZZO di BORGO et Roger ROMANI,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, André Boyer, Robert Hue , vice-présidents ; MM. Jacques Peyrat, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, André Rouvière, André Trillard , secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. Christian Cambon, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Hubert Haenel, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, M. André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Du 21 au 25 avril 2008, une délégation de votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées s'est rendue en Russie afin de mieux évaluer la situation politique intérieure de ce pays à la veille de la passation de pouvoir entre Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev et d'analyser les grandes évolutions de la politique étrangère russe.

Conduite par M. Josselin de Rohan, président de la commission, cette délégation était également composée de Mme Josette Durrieu et de MM. Jean-Pierre Fourcade, Robert Hue, Yves Pozzo di Borgo et Roger Romani.

Précédé de plusieurs auditions préparatoires, ce déplacement a été marqué par de nombreux entretiens politiques, avec notamment 1 ( * ) :

- les présidents et des parlementaires membres des commissions compétentes en matière d'affaires étrangères et de défense de la Douma et du Conseil de la Fédération du Parlement russe ;

- le conseiller spécial pour les affaires européennes du Président de la Fédération de Russie, M. Serguei Iastrjembski ;

- le vice-ministre des Affaires étrangères, M. Alexandre Grouchko, des responsables du Conseil de sécurité et du ministère de la défense ;

- des experts, des universitaires et des chercheurs.

Ces entretiens ont été complétés par des rencontres avec des représentants de l'opposition, de la société civile, et des principales organisations de défense des droits de l'homme présentes en Russie.

Enfin, tout au long de cette visite, la délégation a bénéficié de l'assistance et des éclairages très précieux de l'Ambassadeur de France à Moscou, Son Exc. M. Stanislas de Laboulaye, et de ses collaborateurs, auxquels elle tient à exprimer ici sa plus vive gratitude.

Ce déplacement marque l'intérêt constant de la commission des affaires étrangères et de la défense pour ce grand partenaire qu'est la Russie. Elle avait déjà effectué une mission en Russie en avril 2004, juste après la réélection de Vladimir Poutine pour un second mandat à la tête de la Fédération de Russie, qui avait donné lieu à un excellent rapport de nos collègues MM. André Boyer, Claude Estier, Jean Puech et Xavier de Villepin 2 ( * ) .

*

* *

Ce début d'année 2008 constituait à bien des égards un moment particulièrement opportun pour réaliser une nouvelle mission d'information en Russie.

Avec la victoire du parti « Russie unie » aux élections législatives de décembre 2007, puis celle de Dmitri Medvedev aux élections présidentielles de mars 2008, la Russie a connu une transition inédite.

En effet, le 7 mai dernier, après avoir exercé la fonction de Président de la Fédération de Russie pendant plus de huit années, Vladimir Poutine a laissé la place à Dmitri Medvedev, son ancien Vice Premier ministre et l'un de ses proches les plus fidèles, qui l'a désigné peu après comme chef de son gouvernement.

Le tandem Dmitri Medvedev/Vladimir Poutine sera-t-il marqué par une continuité avec la politique menée par Vladimir Poutine ou bien assistera-t-on à des tensions entre le nouveau président de la Russie et son Premier ministre, voire à une dyarchie à la tête de l'Etat ?

Sous les deux mandats successifs de Vladimir Poutine, la Russie a connu des transformations majeures. Après la disparition de l'URSS en 1991, la Russie avait été confrontée à un effondrement de son économie et elle avait été marginalisée sur la scène internationale. Depuis 2000, grâce notamment à la forte hausse du prix des hydrocarbures, dont elle constitue l'un des principaux pays producteur et exportateur, la Russie a connu un net redressement économique, marqué par une forte croissance. Le redressement de son économie s'est toutefois accompagné d'un renforcement du pouvoir présidentiel, qui alimente, dans le monde occidental, un débat sur l'évolution du régime, entre ceux qui s'inquiètent d'un possible retour à des pratiques autoritaires et d'autres qui soulignent le besoin d'une remise en marche de l'appareil d'Etat. Mais, au-delà de ce débat, se pose la question de la capacité des autorités à engager la Russie sur la voie de la modernisation économique et sociale.

La Russie a aussi fait un retour remarqué sur la scène internationale. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Russie reste un acteur important sur les grands sujets internationaux. Elle exerce ainsi une grande influence dans les Balkans, en tant que membre du groupe de contact, au Proche Orient, où elle est membre du « Quartette », ou encore sur le dossier du nucléaire iranien. Par ailleurs, grâce notamment à l'arme énergétique, son influence s'est fortement renforcée ces dernières années, dans son « étranger proche », c'est-à-dire dans les pays de la Communauté des Etats indépendants, auxquels elle accorde une priorité marquée, bien qu'elle entretienne des relations conflictuelles avec certains pays, comme l'Ukraine ou la Géorgie.

Enfin, la Russie représente un partenaire important pour l'Union européenne. Elle constitue, en effet, son plus grand voisin, son troisième partenaire commercial et son premier fournisseur d'hydrocarbures. Or, depuis l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale en 2004, les relations avec la Russie ont connu certaines tensions, liées notamment au projet d'installation d'éléments du système de défense anti-missiles américain en Pologne et en République tchèque ou encore au sujet de l'adhésion éventuelle de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN. Au moment où l'Union européenne et la Russie doivent lancer les négociations sur un nouvel accord de partenariat, qui remplacerait l'actuel accord de partenariat et de coopération, il semble opportun de faire le point sur les relations de la Russie avec l'OTAN, l'Union européenne et la France, notamment à la veille de la présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre de l'année 2008.

Le présent rapport s'attachera à présenter brièvement les principales impressions recueillies par la délégation dans ces différents domaines et traitera successivement de la situation intérieure de la Russie à l'aube de la présidence de Dmitri Medvedev, des priorités de la politique étrangère russe, notamment à l'égard des pays de son « étranger proche », et, enfin, des relations de la Russie avec l'OTAN, l'Union européenne et la France.

I. LA SITUATION INTÉRIEURE DE LA RUSSIE À L'AUBE DE LA PRÉSIDENCE DE DMITRI MEDVEDEV

Sous les deux mandats présidentiels successifs de Vladimir Poutine, la Russie a connu un important redressement économique, grâce notamment à la forte hausse du prix des hydrocarbures, et un renforcement du pouvoir, qui donne lieu à des interprétations contradictoires entre dérive autoritaire ou restauration de l'autorité de l'Etat.

Pour autant, la Russie présente des faiblesses structurelles, qui tiennent notamment à sa démographie. Dans ce contexte, l'amélioration de la qualité de vie de la population par la mise en oeuvre de réformes de modernisation administrative et économique, devrait figurer en tête des priorités du nouveau président russe Dmitri Medvedev et de son chef de gouvernement Vladimir Poutine.

A. LE BILAN DES DEUX MANDATS DE VLADIMIR POUTINE ET LES INTERROGATIONS SOULEVÉES PAR LE TANDEM AVEC DMITRI MEDVEDEV

Après la disparition de l'URSS en 1991, la Russie avait été confrontée dans les années 1990, sous la présidence de Boris Eltsine, à une situation anarchique, à un effondrement de l'économie, à véritable « pillage » de ses ressources et à une déliquescence de l'État.

Dans ce contexte, depuis 2000, date à laquelle il a succédé à Boris Eltsine à la tête de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine s'est employé à restaurer l'autorité de l'État, tant à l'intérieur, qu'à l'extérieur, en renforçant la « verticale du pouvoir » et la « dictature de la loi ».

Les deux mandats successifs de Vladimir Poutine se sont ainsi traduits par un net renforcement du pouvoir et du rôle de l'Etat.

Depuis la fin de l'Union soviétique, jamais un exécutif n'a disposé d'une assise aussi solide et jamais les contrepouvoirs n'ont paru aussi faibles. L'absence ou la marginalisation, dans le débat public, de formations représentant les sensibilités libérales et sociales-démocrates, laisse la totalité de l'espace politique au Président.

Cette situation nouvelle a alimenté un débat sur l'évolution du régime lui-même. Faut-il parler, comme certains commentateurs, d'une dérive plébiscitaire, voire autoritaire, ou bien d'une restauration de l'autorité de l'Etat ?

1. La double séquence électorale de 2007-2008 : un succès massif pour Vladimir Poutine

L'ascendant pris par Vladimir Poutine au fil de ses deux mandats successifs s'est concrétisé avec force lors des élections législatives du 7 décembre 2007 qui ont assuré une majorité massive à « Russie unie », le parti constitué autour du soutien à sa personne.

Lors de ces élections, le parti « Russie unie », dont Vladimir Poutine avait pris la direction, sans en être membre lui-même, est arrivé largement en tête, avec plus de 64 % des voix. Au sein de la Douma, il a obtenu 315 des 450 sièges, atteignant donc la majorité des deux tiers nécessaire pour toute révision constitutionnelle.

Si le parti communiste, avec 11,5 % des voix et 57 sièges, reste le deuxième parti représenté à la Douma, les partis libéraux, divisés, n'ont recueilli que 1,59 % pour Iabloko et 1 % pour l'Union des forces de droite, n'atteignant pas le seuil requis de 7 % pour être représentés à la Douma.

Le parti « Russie juste », dirigé par le président du Conseil de la Fédération, Serguei Mironov, est passé tout juste au dessus du seuil de 7 %, et dispose de 38 sièges de députés, alors que le parti libéral-démocrate de Vladimir Jirinovski, qui développe des thèmes nationalistes, populistes et protestataires, parvient à se maintenir, avec 8 % des voix et 40 sièges.

Ces deux derniers partis soutiennent toutefois en pratique l'action de Vladimir Poutine. De fait, le seul parti d'opposition représenté à la Douma est le parti communiste.

Intervenant trois mois après le renouvellement de la Douma, l'élection présidentielle faisait figure de formalité, en l'absence de réelle concurrence.

La Constitution russe interdisant au Président de la Fédération d'exercer plus de deux mandats consécutifs, Vladimir Poutine ne pouvait se représenter et il s'était toujours refusé à réviser la Constitution pour obtenir la possibilité de briguer un troisième mandat, bien que disposant d'une forte popularité et de la majorité qualifiée nécessaire au Parlement.

Vladimir Poutine ayant donc désigné, le 10 décembre 2007, son successeur en la personne de Dmitri Medvedev, l'un de ses proches, originaire comme lui de Saint-Pétersbourg, président du Conseil d'administration de Gazprom et premier Vice Premier ministre, ce dernier a été élu sans difficulté lors des élections du 2 mars 2008, avec plus de 70 % des voix et un niveau de participation suffisant (67,7%) pour valider cette élection dès le 1 er tour.

Dès l'annonce de sa candidature, Dmitri Medvedev avait déclaré qu'il désignerait Vladimir Poutine au poste de Premier ministre de son gouvernement, ce qui fut fait dès le lendemain de la passation de pouvoir entre les deux hommes, le 7 mai 2008.

* 1 La liste complète des personnalités rencontrées à Paris et à Moscou figure en annexe

* 2 Rapport n° 317 (2003-2004) présenté au nom de la commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat par MM. André Boyer, Claude Estier, Jean Puech et Xavier de Villepin, 19 mai 2004.

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