2. Une diplomatie énergétique

Si l'énergie est à l'intérieur l'instrument privilégié de contrôle du Kremlin sur l'économie, elle constitue à l'extérieur un vecteur important de la politique étrangère russe. En effet, aujourd'hui, les hydrocarbures jouent, dans une très large mesure, le rôle de l'armée et de la puissance nucléaire à l'époque soviétique.

Cette diplomatie énergétique s'articule autour de trois principaux objectifs.

Le premier objectif consiste à sécuriser les voies d'exportation .

La disparition de l'URSS et l'apparition de nouveaux États indépendants eux-mêmes producteurs de pétrole ou de gaz (Kazakhstan et Azerbaïdjan pour le pétrole, Turkménistan pour le gaz) ou jouant un rôle essentiel en matière de transit (Ukraine et Biélorussie notamment) ont alimenté en Russie un sentiment de vulnérabilité croissant face au risque politique lié au transit des hydrocarbures vers les marchés ouest-européens. Dès lors, la Russie cherche à prendre le contrôle des infrastructures de transport des hydrocarbures, de manière à préserver son rôle central dans ce domaine.

Ainsi, la Russie s'est assurée le contrôle d'une grande partie des ressources et de la totalité du réseau de transport des hydrocarbures dans les républiques d'Asie centrale. Gazprom a ainsi conclu un accord avec le Turkmenistan en novembre 2007, qui lui assure de fait le monopole de l'exportation de gaz en provenance de ce pays. Le projet de gazoduc « North Stream » entre l'Allemagne et la Russie, qui vise à contourner les pays de transit, comme l'Ukraine et la Pologne, participe également de cette stratégie.

Le projet de gazoduc Nord européen

Le 8 septembre 2005, le Président russe Vladimir Poutine et le chancelier allemand Gerhard Schröder ont signé à Berlin un accord sur la construction d'un gazoduc de 1200 km de long sous la Mer Baltique permettant de relier directement la Russie à l'Allemagne : le « North European Gas Pipeline » ou « North Stream ».

Basé sur un consortium, contrôlé à 51 % par Gazprom et à 49 % par des compagnies allemandes (BASF et E.ON) et à la tête duquel a été nommé Gerhard Schröder après sa démission du poste de chancelier, ce gazoduc devrait entrer en fonction en 2010 et acheminer environ 27,5 milliards de m 3 de gaz par an, soit le quart de la consommation annuelle de l'Allemagne en 2006. Il pourrait être complété par un second tube, permettant de doubler ses capacités, et par des extensions vers la péninsule scandinave, l'enclave russe de Kaliningrad, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

Étant donné que son tracé permet de contourner la Pologne, l'Ukraine et les Pays Baltes, pays de transit des hydrocarbures russes et jugés hostiles par Moscou, il a suscité des critiques dans ces pays. Le ministre polonais M. Radek Sikorski a même comparé ce projet au pacte germano-soviétique du 23 août 1939. Ce projet a également soulevé des inquiétudes en Finlande, en raison de son impact environnemental, et en Suède, où l'on craint qu'il ne serve de centre d'observation et d'espionnage.

Face à la volonté des Européens de diversifier leurs fournisseurs et d'accéder aux ressources des pays producteurs d'Asie centrale par la construction du gazoduc Nabucco, dont le tracé, à travers le territoire de la Turquie, contournerait celui de la Russie, celle-ci a réagi en lançant un projet concurrent de gazoduc sous la Mer noire, baptisé « South Stream », qui permettrait d'acheminer du gaz en Europe à partir de son territoire. Semant la confusion sur le projet Nabucco, la Russie s'est assurée le soutien de plusieurs pays européens, comme l'Italie, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, la Grèce et l'Autriche.

L'acquisition d'actifs à l'étranger , notamment dans l'Union européenne, constitue le deuxième objectif de la diplomatie énergétique russe. Ainsi, soucieux de préserver ses positions dominantes en Europe orientale, Gazprom a pris des participations dans plusieurs sociétés de distribution des pays importateurs, notamment en Slovaquie, en Hongrie ou dans les pays baltes.

Enfin, le troisième objectif vise à diversifier les débouchés en direction des États-Unis ou de l'Asie et de nouer des alliances avec les autres pays producteurs .

Depuis déjà plusieurs années, les dirigeants russes expriment leur volonté de réorienter les exportations de gaz de l'Europe vers les États-Unis ou vers l'Asie (Chine, Japon, Corée du Sud). En septembre 2007, Vladimir Poutine avait annoncé que la Russie exporterait 30 % de ses hydrocarbures vers l'Asie d'ici dix ou quinze ans, contre seulement 3 % aujourd'hui. C'est ainsi que, à l'occasion de la visite de Vladimir Poutine en Chine, les 21 et 22 mars 2006, a été annoncé le lancement de projets de construction d'oléoducs et de gazoducs vers la Chine, notamment le gazoduc Altai, dont le coût est estimé à 14 milliards de dollars et qui devrait permettre d'acheminer, à partir de 2011, 30 milliards de mètres cubes de gaz par an vers la Chine.

Enfin, Vladimir Poutine a multiplié les déplacements dans les autres pays fournisseurs d'énergie, notamment dans le Golfe, et il a plusieurs fois exprimé son intérêt pour un renforcement du partenariat avec les autres pays producteurs, voire un cartel des pays producteurs, une sorte d'  « OPEP du gaz ». Toutefois, si elle a suscité l'intérêt de certains pays, comme l'Iran ou le Venezuela, elle s'est heurtée aux réticences des pays du Golfe et de l'Égypte. Ainsi, le vice-ministre des affaires étrangères du Qatar, Mohammed Al-Roumaihi, a déclaré : « L'idée d'une OPEP du gaz est avant tout politique. Elle a été suggérée par le Président Poutine, dont le pays a des objectifs stratégiques précis » .

Bien que les autorités russes affirment que cette diplomatie énergétique est uniquement guidée par des motifs économiques, les liens étroits existant entre le Kremlin et Gazprom jettent le soupçon d'une utilisation par la Russie de l'arme énergétique à des fins politiques. Ainsi, la Russie n'a pas hésité à couper l'approvisionnement en gaz à destination de l'Ukraine à l'hiver 2005, peu après l'arrivée au pouvoir de Viktor Iouchtchenko à la faveur de la « révolution orange ».

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