2. La difficile construction des partenariats des départements avec les acteurs de la lutte contre la pauvreté

S'étant ainsi dotés d'orientations stratégiques, les conseils généraux ont du, pour les mettre en oeuvre, faire évoluer ou créer des partenariats avec les autres acteurs de l'insertion.

a) Les relations avec les CAF et avec les CCAS
(1) Les partenariats avec les CAF

La loi de 2003 portant décentralisation du RMI a confirmé les CAF et les caisses de la MSA comme organismes payeurs du RMI, en redéfinissant leur position : elles n'interviennent désormais plus pour le compte et sous la tutelle de l'État, mais dans le cadre d'une convention établie avec le département , qui précise leurs attributions respectives ainsi que l'étendue des compétences qui leur sont déléguées.

Pour établir ces conventions, les CAF pouvaient s'appuyer sur une convention-type conçue par la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) et sur un certain nombre de repères établis par celle-ci avec l'ADF.

Selon une étude réalisée entre 2005 et 2006 par la CNAF 215 ( * ) , les conventions se sont appuyées sur le contenu du partenariat qui existait déjà entre les CAF et l'État avant 2003, mais ont marqué une extension du champ de délégation de compétences accordées aux CAF par le département . Les conseils généraux, confronté à l'importance des tâches qui leur incombaient depuis janvier 2004, ont en effet souhaité s'appuyer au maximum sur l'expertise gestionnaire des CAF.

Les nouvelles délégations de compétences non prises en charge par les CAF avant la décentralisation concernent notamment les avances, acomptes et remises de dette de l'allocation, les dérogations à destination des indépendants et des étudiants, l'évaluation des revenus des membres des associations communautaires.

La CNAF comme l'ADF soulignent que les relations entre les départements et les CAF ont ainsi été établies sur des bases globalement satisfaisantes pour les deux partenaires lors de la décentralisation du RMI. Néanmoins, deux points de tension sont apparus, concernant la question les contrôles et celle des indus . M. Michel Mercier, président du conseil général du Rhône, a confirmé ces difficultés lors du déplacement de la mission dans ce département.

Les contrôles effectués par les CAF

Les départements reprochent aux CAF de ne pas leur fournir suffisamment d'éléments pour justifier les dépenses engagées.

L'article L. 262-33 du code de l'action sociale et des familles permet aux CAF et aux caisses de MSA de vérifier, dans l'exercice de leur mission, les déclarations des bénéficiaires, et, à cette fin, de demander toutes les informations nécessaires aux administrations publiques, à condition que ces informations soient « limitées aux données nécessaires à l'identification de la situation du demandeur en vue de l'attribution de l'allocation (...) ainsi que de la conduite des actions d'insertion ». Les informations recueillies par les personnels des CAF ou des caisses de MSA ne peuvent être communiquées qu'au président du conseil général et au président de la commission locale d'insertion.

Le président du conseil général peut donc avoir accès à ces informations, mais il ne s'agit en aucun cas d'une obligation.

Dans son rapport de synthèse sur la gestion du revenu minimum d'insertion 216 ( * ) , l'IGAS relève également que la communication entre les systèmes des CAF et des conseils généraux présente, dans l'ensemble des départements rencontrés, des difficultés persistantes, la dispersion de l'information ne permettant pas de répondre complètement aux besoins de pilotage exprimés par les conseils généraux.

Les conseils généraux sont certes, selon la CNAF, destinataires d'un tableau de bord mensuel, d'éléments statistiques établis trimestriellement, de même que de résultats annuels présentant la situation du département au 31 décembre de l'année écoulée. Par ailleurs, les agents des conseils généraux ont également accès à un service spécifique, intitulé « CAFPRO », qui leur permet d'accéder, pour chaque allocataire désigné nominativement, aux informations relatives à son droit au RMI, à sa situation familiale, à sa situation financière ainsi qu'à ses droits à d'autres prestations.

Les informations ainsi fournies par les CAF ne sont cependant, semble-t-il, pas facilement exploitables, ou sont insuffisantes pour permettre aux départements d'effectuer un réel contrôle sur la dépense.

La question des indus

Le RMI génère de nombreux indus. En effet, la présomption de droit au RMI dès lors qu'il est demandé, implique que l'essentiel des contrôles ne soient menés qu'a posteriori, ce qui permet difficilement de limiter le montant des indus versés. Cette charge n'a pas été prise en compte au moment de la décentralisation du RMI 217 ( * ) . Or, ces indus représenteraient environ 335 millions d'euros par an, dont la moitié est annulée et environ le quart seulement récupéré.

(2) Le partenariat avec les CCAS et les communes

Les CCAS instruisent une partie importante des dossiers de demande de RMI. L'Union nationale des CCAS (UNCCAS) a par ailleurs créé des unions départementales de CCAS pour offrir un interlocuteur élu au président du Conseil général.

En effet, comme le souligne M. Daniel Zielinski, délégué général de l'UNCCAS : « Jusqu'à présent, nous étions confrontés parfois à des situations difficiles, avec des CCAS réunis par le Conseil général et où un chef de service expliquait ce que devait accomplir chacune des collectivités locales. Dès lors, il nous fallait être doté, nous aussi, des outils pour pouvoir apporter une réponse politique, et ces outils sont aujourd'hui les unions départementales qui favorisent le travail commun par l'intermédiaire de conventions signées entre les Conseils généraux et les collectivités locales ».

Par ailleurs, la loi de 2005 sur la cohésion sociale a permis la création des centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) . Les CCAS et les CIAS vont ainsi souvent, quoique de manière très inégale selon les territoires, au-delà de la simple instruction des dossiers des demandeurs de RMI, par exemple en aidant les conseils généraux à élaborer le PDI, grâce à leur connaissance du terrain, formalisée dans l'analyse des besoins sociaux (ABS) déjà évoquée.

Plus généralement, les communes ont développé au fil des années de nombreuses interventions dans le domaine de l'insertion, comme l'élaboration d'un PLIE, souvent au niveau intercommunal, ou le suivi des jeunes aÌ travers les missions locales. Les CCAS distribuent enfin aux personnes en difficulté des aides extra-légales très variées, qui sont mal connues mais représentent probablement une aide non négligeable pour ces publics 218 ( * ) . Or, l'articulation de ces initiatives avec les politiques du département est insuffisante, « l'acte II » de la décentralisation n'ayant pas permis de clarifier sur ce point les relations entre départements et villes.

Ainsi, selon une enquête de l'ODAS 219 ( * ) , 71% des villes estiment insuffisante l'articulation entre la politique d'insertion communale, intercommunale et départementale , et 60% souhaiteraient intégrer le PLIE (plan local pour l'insertion et l'emploi) au PDI.

Un rapprochement semble s'être néanmoins opéré récemment entre les départements, les communes et EPCI dans ce domaine, notamment avec l'élaboration croisée des documents de stratégie et d'animation (PDI et CUCS). Enfin, la participation des communes au sein des CLI rénovées est de plus en plus forte, en cohérence avec un redécoupage fréquent des zones de compétence de celles-ci visant à mieux adhérer au bassin d'emploi, souvent proche du territoire communal ou intercommunal.

b) Le partenariat avec le service public de l'emploi et avec le conseil régional

De manière cohérente avec leur objectif principal d'insertion professionnelle des allocataires du RMI, les conseils généraux ont tenté depuis la loi de 2003 d'améliorer et de formaliser davantage leurs relations avec le service public de l'emploi et avec les régions.

(1) L'élaboration des conventions avec l'ANPE

Les bénéficiaires du RMI peuvent s'inscrire aux Assedic et à l'ANPE même sans avoir droit à l'indemnisation chômage et bénéficier ainsi du suivi offert par l'agence. Bien que l'ANPE ne soit pas elle-même dispensatrice de formations, elle propose aux demandeurs d'emploi inscrits le catalogue de formations du programme de formation régionale (les formations de ce programme pouvant être payantes), les formations de l'AFPA ou bien, de manière croissante, les formations ASSEDIC, orientées vers les secteurs en tension, gratuites pour les chômeurs indemnisés et faisant l'objet d'appels d'offres.

En revanche, les allocataires du RMI non inscrits peuvent certes bénéficier de certains services de l'ANPE (consultation des offres, entretiens avec des conseillers), mais ils ne sont pas véritablement suivis , ne bénéficient pas de l'entretien mensuel obligatoire, et ne seront pas contactés par l'ANPE en cas d'offre correspondant à leur profil. Ils ne peuvent pas non plus bénéficier des formations proposées par l'ANPE.

Or, beaucoup d'allocataires sont considérés par les services sociaux des départements, ainsi que par l'ANPE, comme trop éloignés de l'emploi pour être inscrits en tant que demandeurs d'emploi. Ces institutions ne les incitent donc pas à effectuer leur inscription.

Afin d'obtenir une prise en charge spécifique des bénéficiaires du RMI, les conseils généraux ont ainsi du mettre en place des partenariats avec l'ANPE . La négociation ayant essentiellement porté sur le financement de postes de conseillers ANPE chargés de prendre en charge les allocataires, les tarifs proposés par l'agence ont d'abord été considérés comme excessifs par les conseils généraux. Ainsi, selon l'ADF, les tarifs proposés allaient jusqu'à 93 000 € par poste de conseiller et par an. Plusieurs conseils généraux se sont alors orientés vers le recours à des prestataires privés.

Pour surmonter ce désaccord, une négociation s'est engagée au niveau national entre l'ADF et la direction générale de l'ANPE. Un accord-cadre national a finalement pu être signé le 6 décembre 2005 , formalisant le partenariat entre les conseils généraux et l'ANPE pour le suivi professionnel des bénéficiaires du RMI.

Les départements considèrent aujourd'hui globalement que leur relation avec l'ANPE est satisfaisante. Cependant, la fusion ANPE/UNEDIC appellera sans doute un réajustement des conventions, notamment afin de faire davantage bénéficier les allocataires du RMI des formations organisées par l'UNEDIC.

Les accords signés par les conseil généraux et l'ANPE

Alors qu'en 2005, seulement 30 % des départements avaient signé des conventions avec l'ANPE, ce taux s'élevait à 82 % en 2007. Dans huit départements sur 10, l'un des accords conclus avec l'ANPE porte sur le financement de postes. En moyenne, chaque département finance huit postes ANPE. Ces postes se situent soit dans les structures ANPE (agences locales, direction départementale, etc.), soit dans le service d'insertion du département. Exceptionnellement, ils se situent dans des structures partenariales telles que les maisons de l'emploi.

En outre, 70 % des départements ont passé un accord avec l'ANPE sur le financement de prestations spécifiques pour les bénéficiaires du RMI telles que des prestations d'accompagnement ou de diagnostic, ainsi qu'une participation à la commission locale d'insertion. Dans 20 % des cas seulement, les conseils généraux adoptent, de façon novatrice, un financement sur résultat .

En outre, l'ANPE contribue de façon importante à la réorientation de la politique d'insertion du département vers les contrats aidés : 80 % des conventions confient à l'établissement public le rôle de négociation de ces emplois.

Par ailleurs, les conseils généraux ont recours à des concurrents de l'établissement public pour le suivi professionnel et pour la prospection de l'offre. Les organismes de formation et de reclassement (Aidelor, AMOFOPE) effectuent ainsi souvent des missions de suivi professionnel pour le compte des conseils généraux. Un quart des départements font également appel à des entreprises privées de placement (Manpower, Ingeus).

Enfin, le partenariat avec l'association pour la formation professionnelle des adultes s'est également renforcé, 40 % environ des conseils généraux ayant passé au moins un accord avec l'AFPA à la fin de l'année 2006 220 ( * ) .

c) Un partenariat insuffisamment développé avec les conseils régionaux
(1) Une collaboration non prévue par les textes

Une des principales causes de complexité du secteur de l'insertion résulte du cloisonnement entre ses dimensions professionnelle et sociale , reflétée au premier chef par l'attribution des compétences correspondantes à deux collectivités différentes, le département et la région . Cette séparation est d'autant plus dommageable que les départements ont fait de l'insertion professionnelle des bénéficiaires du RMI une priorité. De nombreuses personnalités auditionnées par la mission ont ainsi souligné le défaut de cohérence de cette organisation.

Si la loi de 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a en effet rendu les régions compétentes en matière de formation professionnelle des demandeurs d'emploi ainsi que pour les jeunes de moins de 26 ans rencontrant des difficultés d'insertion professionnelle, les personnes en insertion âgées de plus de 26 ans et titulaires du RMI ne relèvent pas spécifiquement de leur responsabilité .

Ainsi, selon Mme Marie-Laure Meyer, conseillère régionale d'Ile-de-France et membre de la commission formation professionnelle et apprentissage de l'Association des Régions de France (ARF), « la position ambiguë des Régions sur les problématiques d'exclusion et de pauvreté s'explique aussi par le fait que les lois de décentralisation leur ont confié la formation professionnelle des demandeurs d'emplois, mais sans préciser la façon dont celle-ci s'articule avec la formation professionnelle des bénéficiaires du RMI, laquelle relève de la responsabilité des départements, et la formation professionnelle des demandeurs d'emplois financée par d'autres acteurs que les Régions comme les Assedic .».

Les régions n'ont aucune obligation de prévoir au sein de leur plan régional de développement de la formation professionnelle (PRDFP) des mesures à l'intention des publics en insertion de plus de 26 ans. Ceux-ci peuvent néanmoins être concernés par cet instrument, mais dans les faits, c'est le statut de demandeur d'emploi inscrit à l'ANPE qui déclenche la prise en charge de la région . Or, seuls 30 à 40% des bénéficiaires du RMI sont inscrits à l'ANPE.

Cette répartition des compétences est à l'origine d'une situation dénoncée par plusieurs intervenants lors des auditions de la mission comme caractéristique d'un système fondé sur une prise en charge en fonction du statut , et non, comme cela devrait être le cas, en fonction des besoins des personnes concernées. Deux personnes dans une situation identique auront en effet des droits à la formation différents si l'une est inscrite à l'ANPE et l'autre non. Ainsi, selon Mme Nicole Maestracci, présidente de la fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), « on constate pour le moment un ciblage des politiques sur les chômeurs indemnisés mais une attention insuffisante portée aux personnes non indemnisées ». Ces difficultés ont été notamment mises en exergue par le président du conseil général de Seine Saint-Denis lors du déplacement de la mission dans ce département.

En outre, l'insuffisance de coordination entre les départements et les régions en matière de publics en insertion isole ceux-ci par rapport aux acteurs économiques. Selon Marie-Laure Meyer : « cela confine les rmistes dans un bassin d'emploi restreint, ce qui exclut les partenaires sociaux et les entreprises de la réflexion sur la formation des personnes les plus en difficulté » .

Enfin, les autres organismes de la politique de l'emploi (PLIE, IAE, missions locales, maisons de l'emploi...) sont amenés à passer d'un système à un autre en fonction des opportunités. Selon Mme Marie-Laure Meyer, « au niveau de certains territoires, les prescripteurs (ANPE, plans locaux pour l'insertion et maisons de l'emploi) glissent d'un type de schéma vers l'autre (des dispositifs du département vers ceux de la régions et vice-versa) quand ils ont besoin de proposer une formation adaptée à une personne. »

(2) Un rapprochement progressif

Cependant, si aucun cadre n'oblige les conseils régionaux à discuter des problématiques d'insertion avec les conseils généraux, certains efforts ont été accomplis récemment par les régions pour prendre en compte la problématique des publics de plus de 26 ans en insertion .

Ainsi, dans l'enquête réalisée par l'ODAS en 2007, 12 des 22 régions indiquent avoir construit des programmes de formation spécifiques pour les bénéficiaires du RMI titulaires de contrats aidés . Ces formations visent essentiellement la conclusion de contrats d'avenir mais aussi de contrats d'accompagnement dans l'emploi (CAE) et de CI-RMA. La moitié des départements interrogés indiquent quant à eux être concernés par la mise en place de ces dispositifs spécifiques.

En outre, plusieurs régions prévoient dans leur PRDFP l'instauration d'une conférence des financeurs réunissant les départements, afin de définir les engagements réciproques au titre de la formation des bénéficiaires du RMI titulaires d'un contrat aidé.

Certaines régions et certains départements apportent des innovation dans le domaine de l'articulation des formations régionales avec les parcours d'insertion des bénéficiaires du RMI. Ainsi la mission a-t-elle pu auditionner le Président du conseil général de la Meurthe-et-Moselle, M. Michel Dinet, qui a fait part de sa collaboration avec la Région Lorraine sur le volet formation professionnelle du contrat « TTEM » (Travailler et transmettre en Meurthe et Moselle) créé en fonction des besoins des bénéficiaires du RMI.

d) Les partenariats avec les autres acteurs de l'insertion

Au-delà du noyau de ces partenariats de base, indispensables à la mise en oeuvre de leurs nouvelles compétences, les départements déploient des relations plus ciblées avec de multiples organismes et associations qui animent les politiques locales d'insertion, par exemple dans le domaine de la santé. Cependant, dans la majorité des cas, les accords relatifs à l'insertion sociale prennent la forme de simples subventions versées par le département.

Par ailleurs, la plupart des départements cofinancent le fonctionnement des structures d'insertion par l'activité économique (IAE). Ainsi, la plupart participent au financement des ateliers ou chantiers d'insertion, des entreprises d'insertion, des associations intermédiaires, et, dans une moindre mesure, des entreprises de travail temporaire d'insertion.

* 215 La décentralisation du RMI trois ans après, enquête auprès des CAF », Cyprien Avenel et Stéphane Donné, CNAF, octobre 2007.

* 216 Evaluation de la loi n°2003-1200 du 18 décembre 2003 décentralisant le RMI et créant le RMA », rapport RM 2006-173P, novembre 2006

* 217 « Le RMI, d'un transfert de gestion à un transfert de responsabilité », rapport d'information N°216 de M. Mercier fait au nom de l'observatoire de la décentralisation, 2005.

* 218 « Minima sociaux : concilier équité et reprise d'activité », Rapport n° 334 de Mme Valérie Letard fait au nom de la commission des affaires sociales, mai 2005.

* 219 « Les maires et le vivre ensemble », la lettre de l'ODAS, avril 2007.

* 220 « RMI et insertion professionnelle : force et faiblesses des partenariats », La lettre de l'ODAS, décembre 2007.

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