TITRE III - L'ÉCOLE NE JOUE PAS SON RÔLE DANS LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ ET DANS LA PRÉVENTION DE L'EXCLUSION SOCIALE

La mission d'information, tout au long de ses travaux, a tenté de comprendre comment les gens « tombent » dans la grande pauvreté et la précarité. Elle n'a pu que constater qu'une grande part des adultes pauvres sont en fait nés pauvres. Trop souvent, on naît pauvre, on le reste, on ne le devient que plus rarement .

Force est donc de s'interroger sur le faible rôle de notre système éducatif, de l'école primaire jusqu'à l'enseignement supérieur, pour sortir de situations initiales de pauvreté, voire sur une certaine faillite de l'école pour s'adresser à des publics pauvres.

Si aux États-Unis, près de la moitié des enfants nés de parents pauvres deviennent ainsi des adultes pauvres 121 ( * ) , 50% des jeunes Français sortis de l'école à 17 ans sans diplôme vivent dans 20% des ménages les plus pauvres.

La mission considère qu'il s'agit d'un échec majeur de notre système scolaire alors que l'école républicaine est censée permettre aux jeunes issus de milieux défavorisés de trouver une autre place dans la société, conforme à leurs aspirations, à leurs capacités et à leur mérite. Dès lors qu'elle ne garantit plus l'égalité des chances et que les inégalités scolaires ne sont plus seulement le fruit d'une histoire personnelle mais obéissent à des déterminants sociaux, ses fondements sont remis en cause, ce qui appelle des mesures spécifiques en faveur des élèves pauvres.

Ces inégalités ne s'ajoutent pas seulement aux inégalités devant l'emploi, le logement, la santé, elles tendent aussi à les reproduire. Elles en sont, comme l'a souligné Mme Marie Duru-Bellat, « la courroie de reproduction ».

Si les conditions de vie des enfants de pauvres 122 ( * ) sont difficiles, leur capacité à les améliorer l'est encore davantage.

Considérant que la question de l'échec scolaire constitue un enjeu prioritaire, la mission a souhaité en analyser les causes, les effets, et proposer quelques pistes de réforme.

Elle s'est tout d'abord attachée à établir un état des lieux des inégalités à l'école, afin de déterminer à quelles étapes de la vie scolaire la pauvreté constituait un handicap et quelles en étaient les causes.

La mission a ensuite analysé les faiblesses des politiques scolaires centralisées menées depuis une vingtaine d'années, notamment en matière d'éducation prioritaire et d'orientation.

Estimant nécessaire d'encourager les initiatives innovantes, notamment locales, la mission a recensé les bonnes pratiques scolaires et formulera des propositions concrètes visant à ce que les enfants pauvres aient les mêmes chances que les autres.

I. L'ÉCOLE, REPRODUCTRICE D'INÉGALITÉS ?

A. TROP D'IMPASSES SCOLAIRES POUR LES ENFANTS PAUVRES

1. Le diplôme, passeport pour sortir de la précarité et de l'exclusion sociale

Selon les critères européens, 17 % des jeunes français de 20 à 24 ans n'ont aucune qualification , c'est-à-dire ne possèdent aucun diplôme du cycle secondaire tel que brevet d'études professionnelles (BEP), certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou baccalauréat 123 ( * ) . Si la proportion de jeunes âgés de 18 à 24 ans sortis du système scolaire prématurément a connu une baisse de deux points entre 1996 et 2000, puis s'est stabilisée aux alentours de 13 %, elle ne diminue plus aujourd'hui.

Le fait que la France se situe en position favorable au sein de l'Union européenne, avec un taux inférieur de quatre points à la moyenne européenne (en 2006, cet indicateur indiquait 30 % en Espagne, 40 % au Portugal, mais 8 % en Finlande et 9,6 % en Autriche) ne doit pas empêcher de renforcer les moyens de prévenir l'échec scolaire.

En effet, chaque année environ 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification et éprouvent les plus grandes difficultés à trouver un emploi.

A la différence d'autres pays, le niveau scolaire en France est un facteur essentiel justifiant la position sociale ou le salaire.

La probabilité d'être sans emploi est ainsi nettement plus importante pour les personnes sans diplôme : selon le rapport 2007-2008 de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES), « quatre ans après la fin de leur formation, si 70 % des jeunes non diplômés disposent d'un emploi, 20 % d'entre eux sont au chômage (contre 9 % des jeunes sortis de formation la même année) et 10 % sont inactifs. En outre, un jeune sur huit est confronté à un temps partiel subi ».

EMPLOI, CHÔMAGE ET INACTIVITÉ SELON LE DIPLÔME (25-64 ANS)

Emploi

Chômage

Inactif

Taux de chômage

Sans diplôme

57

8

35

12,8

CAP/BEP

77

6

17

6,7

Baccalauréat

78

6

16

7

Sources : enquête emploi de mars 2002, calculs CERC

Le niveau de rémunération est également plus faible . La prime salariale associée à l'obtention d'un niveau CAP/BEP par rapport à une sortie sans qualification est de l'ordre de 12 % environ, tandis qu'elle est de l'ordre de 20 % pour un bac professionnel.

Quant aux jeunes peu qualifiés, quatre ans après la fin de leur formation, ils sont deux fois plus souvent au chômage que la moyenne des jeunes. Selon l'enquête Génération du Céreq, qui a suivi une cohorte de jeunes sortis de l'école en 1998, 73 % d'entre eux occupent un emploi à durée indéterminée et 13 % un emploi à durée déterminée sept ans après la fin de leur formation.

Cette question du diplôme est donc particulièrement importante lorsqu'on évoque la question de la pauvreté car une insertion professionnelle difficile a des conséquences à long terme sur les trajectoires des jeunes concernés, en dégradant leur « capital humain » et en les enfermant durablement dans une situation de précarité ou de pauvreté. A cet égard, il convient de rappeler que l'amélioration de la réussite scolaire des pauvres, loin de se faire au détriment de catégories sociales plus favorisées bénéficierait bien à l'ensemble de la société, et tendrait à réduire le coût économique et social de la pauvreté et de l'échec scolaire.

La mission insiste, en outre, sur le fait que les enfants pauvres ayant subi un échec scolaire sont nettement plus exposés que les autres enfants au risque de pauvreté une fois devenus adultes et entrés dans la vie active. En effet, les faibles perspectives d'emploi et de salaire, attachées à l'absence ou à l'insuffisance de formation scolaire, sont renforcées par le faible niveau de capital social que leur transmettent les parents.

Force est malheureusement de constater que les enfants de pauvres ne sont pas seulement défavorisés sur le marché du travail, mais aussi pendant toute leur scolarité.

* 121 Miles Corak, Les enfants pauvres deviennent-ils des adultes pauvres ? Les enseignements pour les politiques publiques d'une comparaison internationale, Colloque, « Le devenir des enfants de familles défavorisées en France », 1 er avril 2004.

* 122 Les enfants pauvres sont une catégorie difficile à isoler. La seule source disponible permettant d'approcher la population des enfants pauvres est la tranche haute des boursiers de collèges et lycées qui correspond au plafond de ressources le plus faible. Mais les enquêtes plus qualitatives estiment que la moyenne nationale de 5 % de boursiers est particulièrement éloignée de la réalité des collèges les plus précarisés. La mission a donc choisi la plupart du temps de parler des enfants issus de familles pauvres.

* 123 Audition du 19 février 2008 de Mme Marie-Véronique Samama-Patte, chef du bureau de la formation professionnelle initiale, de l'apprentissage et de l'insertion à Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO).

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