3. La nécessité d'un profond remaniement structurel

Au-delà des améliorations qu'apportera l'actuelle réforme de l'organisation du SPE, s'impose une révision en profondeur de ses logiques et de ses modes d'action qui tienne compte des publics les plus éloignés de l'emploi. La Cour des comptes reconnaît ainsi que si la fusion « remédiera à certaines difficultés frictionnelles », elle ne « permettra pas l'économie d'une réflexion en profondeur sur les méthodes d'accompagnement à mettre en oeuvre en vue d'un retour rapide de l'emploi ».

a) Des agences pour l'emploi mal adaptées à l'accueil d'un nombre important de chômeurs

Réparties sur l'ensemble du territoire, les agences locales pour l'emploi ont pour mission principale d'accompagner les demandeurs d'emploi dans leurs recherches et de mettre les entreprises en relation avec les candidats. Or, le caractère limité des moyens -tant humains que matériels- dont elles disposent ne leur permet pas de réaliser cette mission dans des conditions satisfaisantes.

Les responsables du MNCP ont tenu, à cet égard, des propos relativement sévères devant la mission : « Les dispositifs d'accueil de cette structure constituent aujourd'hui une véritable usine à gaz. Chaque conseiller reçoit entre 150 et 200 personnes et ne peut accorder à chacune qu'à peine cinq minutes d'entretien. Il serait opportun de mettre en place un véritable service d'accueil public, permettant de renseigner et d'accompagner les chômeurs de manière satisfaisante ».

b) Une relation de confiance entre chômeurs et agences de l'emploi entamée

L'efficacité de l'accompagnement vers l'emploi suppose qu'une relation de confiance et de loyauté s'instaure entre les personnels du SPE et les publics bénéficiaires. Or, il semble que cet équilibre ne soit pas systématiquement trouvé, notamment pour les demandeurs d'emploi les plus éloignés du marché du travail. Cette situation, outre le fait qu'elle obère le bon déroulement du parcours vers l'emploi, va jusqu'à décourager les publics les plus fragiles de faire appel aux services du SPE.

Ainsi que l'a expliqué M. Jean-Pierre Guenanten, délégué national du MNCP, « certaines personnes sont angoissées à l'idée de se rendre à l'ANPE, craignant d'y être sanctionnées. Il s'agit d'un souci majeur. Car il n'est pas possible d'offrir un accueil de qualité quand les conseillers de l'ANPE sont à la fois juge et partie et qu'il n'existe plus de relation de confiance entre eux et les chômeurs. C'est pourquoi de plus en plus de demandeurs d'emplois deviennent invisibles. Ils sont tellement angoissés à l'idée de se rendre à l'ANPE qu'ils préfèrent ne pas y aller, d'autant plus quand ils ne savent pas utiliser les outils informatiques présents partout dans les agences ; d'où la nécessité de mettre en place des accompagnements en leur direction ».

c) Une procédure de sanction des chômeurs propre à les stigmatiser

Afin de sanctionner les chômeurs ne participant pas activement au processus de recherche d'emploi, le délégué départemental de l'ANPE peut les radier de la liste des demandeurs d'emploi. Or, sans doute du fait de la multiplication des convocations exigée par la mise en place d'un plan d'accompagnement personnalisé des chômeurs, le nombre de radiations tend à augmenter sans qu'elles soient toujours totalement justifiées.

Ainsi, les responsables du MNCP ont estimé que les radiations étaient « souvent signifiées pour des raisons abusives et sans être accompagnées d'une quelconque explication ». Estimant que « la présomption d'innocence n'est pas suffisamment respectée », ils ont regretté que « les chômeurs n'(aient) accès à une commission de recours qu'après avoir été sanctionnés. Ils perdent ainsi, dans tous les cas, au moins deux mois de revenus, un manque de ressources pouvant amener leurs familles à plonger dans le surendettement ».

Ils ont rapporté avoir, au cours des six derniers mois, « accompagné 265 personnes dans leurs démarches de saisie de la commission de recours, dont 263 ont été réintégrées en raison de radiations abusives ». S'il ne s'agit pas ici de procéder à des généralisations hâtives, ces faits sont de nature à susciter des questionnements.

Ce sujet trouve un relais dans le projet de loi relatif aux droits et devoirs des demandeurs d'emploi, actuellement débattu devant le Parlement, qui tente de définir l'offre « raisonnable » à laquelle un demandeur d'emploi est tenu de répondre au risque d'être radié des listes de l'opérateur et de voir suspendue son allocation chômage. Ce texte tend à prévoir des « devoirs renforcés » à la charge du demandeur, contrebalancés par des « droits plus nombreux » tels que des démarches simplifiées, un accompagnement personnalisé ou encore une offre de service personnalisée.

d) Un service de l'emploi inadapté au traitement des problématiques sociales

La mission stricto sensu du SPE étant la mise en adéquation de l'offre et de la demande d'emploi, il ne dispose pas des compétences requises pour accueillir et réorienter les publics les plus défavorisés qui, du fait de leurs handicaps, ne sont pas à même de s'orienter immédiatement vers un parcours professionnel.

Mme Marie-Laure Meyer, conseillère régionale d'Ile-de-France et membre de la commission formation professionnelle et apprentissage de l'ARF, a insisté sur ce point. « Nous avons besoin d'avoir un service public de l'emploi qui réoriente correctement les personnes incapables de rechercher un travail vers les services sociaux. Je pense notamment ici aux gens rencontrant des problèmes de drogue, d'alcool et de santé. L'ANPE n'est pas armée pour traiter de ces cas dont peuvent s'occuper uniquement des structures spécialisées. Le seul problème est de réussir à mettre l'ensemble des acteurs en charge de l'insertion en réseau, de manière à ne pas laisser les gens à leur solitude ».

e) Un rôle d'« orientateur en dernier ressort » délicat à tenir

Le SPE a normalement vocation à recevoir l'ensemble des personnes à la recherche d'un emploi, quels que soient leur secteur professionnel, leurs qualifications ou leur statut. Or, par un effet de sélection inverse, les employeurs recherchent par eux-mêmes des candidats possédant l'ensemble des qualités requises pour les postes qu'ils cherchent à pourvoir et ne font appel aux services de l'ANPE que lorsqu'ils ne trouvent pas la personne adéquate.

Dès lors, comme l'a souligné M. Jacques Freyssinet, président du conseil scientifique du Centre d'études de l'emploi, « le fonctionnement du marché du travail fait que se déversent, sur l'ANPE, des offres d'emplois que les autres intermédiaires sont incapables de satisfaire et auxquelles elle aura du mal à répondre elle-même ».

f) Un recours discuté à des prestataires extérieurs pour le placement des chômeurs

En vu de maximiser les chances d'insertion des chômeurs, la convention tripartite signée entre l'Etat, l'ANPE et l'Unedic prévoit le recours à des agences privées pour le placement des « allocataires de l'assurance-chômage rencontrant des difficultés particulières de reclassement », la rémunération de ces organismes devant dépendre de leurs résultats. Plusieurs appels d'offres et marchés publics ont donc été lancés par les agences pour l'emploi afin de recourir à des prestataires privés, lesquels peuvent être français, européens et même provenir d'Etats tiers.

Si elle se justifie par la volonté de diversifier et de renforcer les instruments de placement, cette évolution n'est pas sans susciter des interrogations . Son efficacité a pu être remise en cause, au regard des expériences étrangères autant que celles ayant déjà été menées en France. Par ailleurs, selon l'Alliance villes emploi, elle aboutirait à « détruire le travail effectué par les nombreuses petites associations dans l'ensemble de la France avec des moyens relativement faibles », ainsi qu'à « casser le savoir-faire des associations, un savoir-faire fragile, souvent pointu, ne leur permettant pas de répondre à des appels d'offres d'importance ».

L'audition par la mission de Mme Françoise Bernon, responsable du développement de l'activité de placement en France de Manpower Egalité des chances a toutefois été de nature à nuancer fortement ces inquiétudes . Travaillant en liant étroit avec les acteurs institutionnels et opérationnels de l'insertion, et plus spécifiquement les conseils généraux, l'entreprise mène des actions ciblées vers des publics particulièrement fragiles (étudiants, anciens détenus, jeunes de quartiers difficiles ...). Reconnaissant qu'elle était tenue « de rechercher une certaine efficacité » dans son activité de placement, sa représentante a indiqué qu'elle offrait aux demandeurs d'emploi un service personnalisé associant, au sein d'un contrat géré par un conseiller unique, un diagnostic suivi d'une préparation préalable à une embauche dans la durée, puis très rapidement une activité rémunérée et enfin un accompagnement pérennisé pendant une période d'au moins six mois comportant notamment un suivi qualité de son parcours.

Mme Bernon a attiré l'attention sur les problèmes rencontrés par son entreprise dans ses activités de suivi et de placement, à savoir un tri insuffisamment sélectif par les conseils généraux des personnes qui lui sont adressées, certaines relevant plus d'un traitement social que de la recherche d'emploi ; l'insuffisante durée d'attribution des marchés publics, qui ne permet pas d'acquérir suffisamment de visibilité et donc de s'investir dans un travail sur le long terme ; et enfin l'absence d'uniformité des demandes des conseils généraux en matière de reporting des publics traités.

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