V. L'IMPÉRATIF ÉDUCATIF

L'outil médiatique le moins utilisé par les professeurs dans leur enseignement est la télévision. La raison en est que la peur et la compétition ont trop longtemps gouverné les rapports entre l'école et la télévision. Cette dernière a été longtemps considérée comme un repoussoir pour l'école : elle conduisait les jeunes élèves à la passivité, la communication de masse sur laquelle elle repose nuisait à la diffusion de la culture classique et l'immédiateté de l'information menaçait la lecture et la capacité critique qui y est associée. Ce sentiment partagé par l'éducation nationale et une large partie de la population de l'école a interdit à l'école de s'emparer de l'imaginaire audiovisuel et l'a de facto éloigné de certains élèves, amoureux de l'image mais fâchés avec l'écrit.

La peur a en fait constitué le sentiment dominant qui a empêché l'école d'adopter un discours apaisé sur la télévision. Un rapport récent de l'inspection générale de l'éducation nationale a ainsi fait le constat suivant : « certes, il y a longtemps que l'institution scolaire a pris la mesure des changements entraînés par une fréquentation assidue des médias, et notamment de la télévision, par les jeunes. Mais elle l'avait fait au départ (dans les années soixante) sur le mode de la mise en garde et de la défiance plutôt que sur celui d'une réflexion constructive sur les moyens de préparer les enfants à une réception et une utilisation intelligentes des messages médiatiques » .

Votre rapporteur estime que l'éducation nationale ne doit pas répéter cette erreur avec les nouveaux médias.

Dans son intérêt, et au vu de l'importance prise par les nouveaux médias dans notre société, l'école doit donc se fixer pour objectif d'accompagner l'utilisation des nouveaux médias, en s'en servant comme outil technique, en les intégrant dans l'enseignement comme support pédagogique, et en fournissant un cadre adapté à leur analyse critique. Comme l'a souligné M. Bertrand Labasse devant les documentalistes réunis en Congrès 94 ( * ) , « si l'école vise à apprendre, elle a assez à faire et n'a certes pas besoin de se préoccuper des médias. Si elle vise à enseigner vraiment, ils y ont leur place. Et si elle vise à éduquer, ils sont pour elle une question centrale ».

Alors que l'enseignement est l'art, au sens propre, de « faire connaître par les signes », il paraît normal que l'éducation nationale se penche sur les médias, qui sont aujourd'hui la principale source de signes et d'images.

Par ailleurs, l'école ne peut et ne doit pas être le seul endroit où un discours critique sur les médias doit être diffusé. D'une part, parce qu'elle risquerait de s'éloigner des élèves qui sont de fervents consommateurs des médias et, d'autre part, parce que c'est la société dans son ensemble qui doit prendre conscience de l'impact des images sur la jeunesse et du rôle de distanciation qu'elle a à jouer. L'État, la famille, mais aussi les médias sont des acteurs qui doivent être concernés par cet impératif d'éducation aux médias.

A. DONNER À L'ÉDUCATION AUX MÉDIAS UNE PLACE À L'ÉCOLE

L'éducation selon le modèle de Jules Ferry a pour support privilégié voire unique le livre imprimé. Ce média a inspiré l'ensemble de l'enseignement français qui repose sur l'écrit, et le décryptage de ses formes et codes. Cet enseignement de l'analyse critique des textes est, au demeurant, selon votre rapporteur, la force majeure de l'école laïque et républicaine. Les enseignants d'hier comme ceux d'aujourd'hui ont donc baigné dans une atmosphère livresque qui a forcément façonné leurs méthodes d'enseignement.

Il est par conséquent logique que le flot d'informations contemporain, qui est déversé par de multiples canaux, sous de multiples formes (écrite, sonore ou imagée) et sur une très grande variété de supports (livres, radios, télévision, Internet avec des blogs, des vlogs, des sites institutionnels, des web radios...) pose des problèmes aux enseignants et à l'éducation nationale.

La question qui se pose dès lors est de savoir si l'esprit critique développé par l'analyse de texte peut s'exercer sur les nouveaux médias.

Votre rapporteur ne le pense pas. Convaincu de l'intérêt d'un enseignement spécifique à la compréhension des médias contemporains, il a établi un état des lieux de l'éducation aux médias puis dégagé quelques pistes de modernisation.

1. L'école, nécessaire média des médias

a) Un impératif démocratique

Jamais l'école n'a peut-être été interpellée de manière aussi forte que depuis le développement d'Internet. La révolution numérique 95 ( * ) a remis en cause le rapport de la jeunesse à la connaissance et à l'apprentissage. Comme le souligne M. Jean-François Cerisier, « de l'enfant éduqué au sein d'une communauté fermée dans une logique d'héritage culturel et de tradition orale, nous sommes passés à l'enfant surexposé à l'information fragmentée accessible à travers des moyens technologiques » 96 ( * ) .

Ce que M. Philippe Meirieu appelle le « grand écart mental » entre l'école et la vie est donc en train de se creuser avec pour conséquence le risque d'un affaiblissement des valeurs républicaines, mais surtout l'impossibilité pour l'école de transmettre la connaissance de manière satisfaisante.

Alors que la fracture numérique ne se creuse plus en raison notamment d'un effort important des collectivités territoriales en matière d'équipement , c'est une double fracture culturelle dans un premier temps, puis intellectuelle qui menace les enfants.

C'est à ce défi que doit répondre l'école, qui a le devoir de donner aux élèves les moyens d'adopter une posture critique vis-à-vis des nouveaux médias, de l'information, de la publicité, et des contenus qu'ils diffusent. L'école doit démontrer que les médias ne sont pas les seuls transmetteurs d'un savoir indiscutable mais que la médiation est humaine, multiple et doit pouvoir être discutée et contestée.

L'éducation aux médias devient dans cette optique, non plus seulement une discipline supplémentaire mais bien, selon l'expression de M. Laurent Gervereau, un « impératif démocratique ».

b) Un rôle de prévention

Comme votre rapporteur l'a montré précédemment, Internet et les nouveaux médias comportent des risques réels et sont susceptibles de nuire au développement équilibré des jeunes. Or peu de moyens techniques existent pour mettre un frein aux dérives potentielles et le rôle préventif de l'école s'avère donc essentiel.

Si l'ouverture de l'école par le moyen d'Internet comporte des risques, qui mieux que les enseignants peut mettre en garde les élèves contre les dangers qu'il recèle ? Qui fera cette éducation au média Internet si l'école n'assume pas cette responsabilité ?

Votre rapporteur est convaincu qu'il ne faut pas laisser s'installer des pratiques cybernétiques trop divergentes entre les élèves et l'école. Cette dernière doit donc prendre en considération les pratiques des élèves et développer un discours à leur égard.

Le premier enseignement qu'en tire votre rapporteur est que l'éducation aux médias doit partir des pratiques des élèves.

Il remarque au demeurant que de nombreux problèmes de discipline sont désormais liés aux nouveaux outils médiatiques, baladeurs mp3, portables, et bientôt télévision mobile personnelle qui pourra être visionnée depuis un appareil miniature dans la classe. La triche lors des examens par l'utilisation des moyens de communication constitue également une menace à court ou moyen terme. Il en conclut que l'école sera forcément amenée à traiter de ces questions et que leur intégration dans le cadre d'un enseignement s'avérera rapidement nécessaire.

c) Le renforcement des compétences de l'élève

De nombreux chercheurs soulignent les incidences favorables de l'utilisation des médias, notamment d'Internet sur l'attitude générale des élèves.

Le rapport précité de l'IGEN souligne, par exemple, les effets très positifs de l'utilisation des NTIC sur les motivations des élèves dans les réseaux ambition réussite, où l'on peut considérer que le fossé entre l'Éducation nationale et les élèves est le plus creusé. Il constate que « le fait que les élèves soient mis en situation de fabriquer eux-mêmes des contenus sur des supports médiatiques leur permet de comprendre les véritables finalités des médias et l'intérêt de ce qu'ils apprennent, leur donne de l'audace et les incite à prendre des initiatives, à l'oral comme à l'écrit . La manipulation d'un matériel souvent sophistiqué les rend plus autonomes et plus rigoureux , les pousse à assumer des responsabilités, à organiser et à planifier leur travail ».

Votre rapporteur note à cet égard que le film Entre les murs de Laurent Cantet montre bien comment la mise en valeur par le professeur du travail d'un élève en difficulté, qui a réalisé un autoportrait photographique grâce à l'outil informatique, peut lui donner confiance et le rapprocher de l'école.

La liste des compétences que l'éducation aux médias permet de renforcer paraît prometteuse. M. Thierry de Smedt 97 ( * ) a fait le bilan des compétences qui sont améliorées lorsqu'un enseignement aux médias existe :

- la compétence « spectatorielle » (repérer un contexte, avoir une analyse sur la source) en sort clairement renforcée ;

- la consolidation de la compétence dans la construction de documents médiatiques dépend en grande partie de la pédagogie utilisée ;

- la meilleure appropriation des autres matières n'est pas démontrée ;

- l'engagement citoyen de l'élève semble, quant à lui, augmenter de façon spectaculaire ;

- sur la question de la motivation des élèves, l'influence de cet enseignement se manifesterait par une diminution de l'absentéisme.

S'agissant de la pédagogie utilisée, il fait par ailleurs la remarque que partir de cas particuliers qui intéressent les élèves, pour aborder des questions plus générales, constitue en général une solution intéressante afin d'améliorer l'efficacité de l'éducation aux médias.

En conclusion, votre rapporteur estime que le nombre d'éléments plaidant pour le renforcement de l'éducation aux médias sont trop nombreux pour pouvoir être ignorés.

Afin de répondre aux bouleversements de la révolution technologique et informationnelle, il considère qu'il est fondamental que l'école devienne un média des médias. La seule question pertinente est la suivante : pourquoi n'est-ce pas encore le cas ?

* 94 Les médias : sources ou objets pédagogiques ? , Actes du congrès de la FABDEN.

* 95 Voir, pour sa définition la première partie du présent rapport.

* 96 Jean-François Cerisier, « A la modernité des médias doit répondre celle de l'éducation », dans La maîtrise de l'information, « Les dossiers de l'ingénierie éducative », n° 57, avril 2007.

* 97 Thierry de Smedt, 7e congrès de la Fabden, Quels sont les effets induits par l'éducation aux médias ? Bilan d'une longue observation.

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