2. Le débat scientifique

De cet article, il n'a été souvent retenu qu'une dimension prophétique - effondrement de toutes les pêcheries commerciales en 2048 - qui n'était vraisemblablement pas dans l'intention des auteurs.

Les critiques scientifiques et techniques ont essentiellement porté sur ce point sous deux dimensions : la véracité de la prévision et la notion d'effondrement d'une pêcherie . D'autres critiques moins importantes ont également été émises.

La diffusion américaine de Science a pu faire apparaître l'article comme une accusation directe à l'encontre de l'administration en charge de la gestion des ressources halieutiques aux États-Unis : le service des pêches maritimes de la NOAA 19 ( * ) . En réponse, l'administration pointe donc que les prises sont un mauvais indicateur d'abondance et de l'état réel d'un stock car de faibles prises peuvent aussi bien résulter d'un mauvais état que de faibles prix ou de mesures restrictives de gestion. Elle s'appuie notamment sur l'exemple de Georges Bank Haddock dont le plus haut niveau de capture historique a été réalisé en 1965 (150.362 t) contre seulement 12.576 t en 2003 soit à peine 8 % du maximum. Selon les critères de Worm et al. , le stock serait effondré, pourtant la biomasse génitrice atteignait, en 2003, 91 % de celle de 1965. Ainsi, les auteurs en concluent que recourrant au plus petit commun dénominateur, Worm et al. font une approximation grossière de l'état des stocks mondiaux qu'ils auraient dû chercher à corriger.

Prenant l'exemple de la situation globale des stocks suivis par la NOAA, ils notent une légère amélioration de 2 % du nombre de stocks surpêchés entre 2003 et 2004 et indiquent qu'à ce rythme, il n'y aura plus de stock surpêché en 2018 dans les eaux sous juridiction américaine. Mais l'évolution devrait être encore plus rapide puisque le Magnuson Stevens Fishery Conservation and Management Act (MSRA) impose que toute surpêche ait disparu en 2010 parmi les 532 stocks gérés par l'administration fédérale.

Une critique plus fondamentale a sans doute été portée par Michael J. Wilberg et Thomas J. Miller ( Science , Vol. 316, 1 rst June 2007) en affirmant d'une part que la prédiction de Worm et al. était plus le résultat d'un hasard statistique lié au point de départ de l'analyse qu'une réalité analytique en raison de la définition retenue de la surexploitation, celle-ci étant définie par rapport à un maximum historique. Or, ce maximum historique n'est nullement un objectif atteignable ou désirable en matière de gestion durable des pêcheries. Bien au contraire, il peut souvent être souhaitable de s'en éloigner.

D'autres auteurs, comme John C. Briggs de l'Université de l'Oregon, ont contesté le concept de « biodiversité » utilisé mettant en avant qu'il s'agissait plus d'une diminution des populations des espèces considérées, les rendant impropres à la pêche en raison de leur faible effectif. Pour lui, les disparitions d'espèces dans le milieu marin sont au demeurant peu fréquentes et il note même l'impact potentiellement positif des espèces « invasives ».

Worm et al. ont apporté des réponses à ces critiques, tout particulièrement sur la valeur scientifique de l'utilisation des statistiques de débarquement . Reprenant l'exemple de Georges Bank Haddock, ils ont rappelé que cette pêcherie avait été victime d'un double effondrement. Le premier a eu lieu dans les années 1960 et a pu être contré par l'instauration d'une ZEE de 200 miles en 1977. Le second effondrement a eu lieu dans les années 1980 en raison d'une pêche nationale trop importante et n'a pu être contré que par la fermeture en urgence de la moitié de la pêcherie en 1994. Dans les deux cas, cela a permis une augmentation de la biomasse dans un délai de 1 à 6 ans, montrant d'ailleurs l'intérêt de zones de protection à grande échelle. Dans ces circonstances et au regard des prises (-90 %), le stock a été effondré de 1970 à 1977 et de 1983 à 2003. En prenant le critère de la biomasse, il a été effondré de 1970 à 1977 et de 1982 à 1997. Le National Marine Fisheries Service , l'a d'ailleurs considéré surpêché de 1967 à 2002 et en 2004. Ainsi, on voit que le critère des prises, quoique moins précis, reste valide pour porter un jugement global sur l'état d'un stock.

Worm et al. ont également indiqué que la perspective d'un effondrement global n'était pas un simple effet statistique. Il n'y a pas de lien de cause à effet entre la date du point de départ et la probabilité d'un effondrement, c'est même plutôt l'inverse.

En termes de population et de biodiversité, Worm et al. n'acceptent pas la distinction car les deux vont de paire. Si les extinctions sont rares dans l'océan au niveau global, elles sont fréquentes au niveau local. De même, les conséquences écosystèmiques de pertes de population ou de disparitions locales interviennent bien avant l'extinction globale et peuvent être irréversibles.

Des critiques (Hölker et al. ) ont été portées sur le choix des données en matière de réserves marines . Il y aurait une prévalence des zones tropicales et donc un biais. Pour Worm et al. la critique n'est pas pleinement fondée car les zones tempérées représentent 40 % de l'échantillon et surtout on peut y observer les mêmes tendances, c'est-à-dire un recouvrement de la biodiversité même si la variabilité temporelle se réduit plus en milieu tropical et le rendement de l'effort de pêche augmente plus en milieu tempéré. Dans tous les cas, ils se défendent d'avoir voulu les présenter comme une panacée . Au contraire, ils estiment qu'elles constituent des points de référence utiles et n'excluent nullement des mesures plus larges de gestion visant à restaurer les milieux et les populations.

Enfin, plus généralement, ils ont rejeté les critiques qui viseraient à interdire tout travail de prédiction et toute projection vers le futur à partir des données du passé. Pour eux, il ne s'agissait de toute façon pas d'arriver à une projection certaine mais tout simplement de se demander quelles seraient les conséquences de la poursuite de la tendance .

Ce questionnement est pour eux d'autant plus pertinent qu'il est démontré que les milieux marins et les pêcheries évoluent de manière graduelle mais difficile à percevoir alors même que des changements de régimes brutaux et irréversibles peuvent se produire, laissant la place à un autre type d'écosystème.

* 19 National Oceanic and Atmosphéric Administration.

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