CONCLUSION

La pêche est la dernière activité de chasse-cueillette à grande échelle. Elle continue de jouer un rôle essentiel pour l'alimentation humaine à qui elle fournit 20 % des protéines animales et en est la principale source pour 1 milliard d'hommes.

La demande en produits halieutiques est chaque année plus importante. Elle croît plus vite que la population et accompagne l'augmentation du niveau de vie.

Mais l'appétit croissant pour le poisson fait peser une pression toujours plus forte sur les ressources sauvages et pose la question de la durabilité de cette exploitation et de l'éventuel passage à l'aquaculture comme les hommes ont abandonné la chasse et la cueillette pour l'élevage et la culture.

Sur une planète dont la surface est occupée à 70 % par les océans, toucher les limites de l'exploitation halieutique, c'est atteindre les frontières du système Terre lui-même.

Cette limite est très certainement atteinte aujourd'hui .

La question de l'avenir de la pêche et des ressources halieutiques est donc bien une dimension essentielle du développement durable et du legs qui sera laissé aux générations futures.

Or, les océans sont de plus en plus altérés par l'activité humaine . En dehors des pôles, il n'y a plus d'océan vierge. Au contraire, 40 % sont soumis à une pression anthropique extrêmement forte. Selon l'expression de Paul Crutzen, les océans sont bien entrés dans l'ère de « l'anthropocène ».

Le changement climatique provoque acidification, désertification et déplacement des espèces. Les mers souffrent d'une pollution croissante pour l'essentiel venue des continents, qui menace la vie marine ou la capacité de l'homme à s'en nourrir.

Parmi ces perturbations, la pêche occupe désormais une place prépondérante. Il y a peu de zones maritimes où elle n'exerce pas une influence qui dépasse tous les facteurs naturels.

Gérer la pêche, gérer les ressources halieutiques est un défi scientifique croissant . Depuis le XIX e siècle, les chercheurs s'attellent à ce problème. Ils ont forgé l'idée selon laquelle l'homme pourrait maximiser durablement sont exploitation des océans. Mais cette vision positiviste de l'homme dans la nature est de plus en plus confrontée aux limites des connaissances et des capacités effectives de gestion.

Par le passé, l'homme n'a pas su modérer son exploitation ou gérer les ressources afin d'éviter un nombre toujours plus important d'effondrements de stocks. Cela conduit à prendre conscience de l'extrême complexité et de la fragilité d'écosystèmes marins qui restent méconnus.

Il ne suffit pas toujours d'arrêter la pêche pour retrouver l'abondance d'autrefois, bien souvent, un changement de régime irréversible se produit dans l'écosystème, sans que l'homme puisse revenir en arrière. Plus encore, cet effondrement peut survenir de manière inattendue. L'hypothèse de la disparition des pêcheries n'est plus seulement une hypothèse d'école .

De fait, la situation mondiale et européenne de la pêche est grave . Les captures maritimes stagnent depuis une vingtaine d'année malgré un effort de pêche toujours plus important . De nombreux indices tendraient même à montrer qu'elles auraient commencé à décliner. La pêche s'est étendue géographiquement à tous les océans, elle cible presque toutes les espèces, de plus en plus bas dans l'échelle trophique, de plus en plus profond, de plus en plus loin des côtes. Il n'y a plus de stock vierge pouvant soutenir une nouvelle croissance des captures, au contraire, ce sont les stocks surexploités qui sont de plus en plus nombreux.

Captures stagnantes ou déclinantes, effort de pêche croissant, voilà l'équation fondamentale d'un secteur économique confronté à une crise profonde . La surcapacité est à la fois le moteur de la surexploitation et le fruit d'une « course au poisson » qu'on ne parvient pas à stopper. Au niveau mondial, 51 milliards de dollars seraient perdus chaque année, pour 85 milliards de chiffre d'affaires.

Au niveau européen , la Commission estime, elle-même, que la Politique commune des pêches est un échec n'ayant pas été capable de gérer les stocks de manière durable, d'éviter la surcapacité de la flotte et d'assurer une meilleure rentabilité économique du secteur. Le progrès technique est plus rapide que les réductions de capacités. Les TAC et quotas sont presque toujours supérieurs à ceux préconisés par les scientifiques. Les contrôles sont défaillants.

En France , malgré une très forte restructuration au cours des vingt dernières années, la pêche va de crise en crise , de plus en plus dépendante des subventions publiques, sans pour autant parvenir à préserver l'emploi et à retrouver des perspectives d'avenir encourageantes.

Face à la gravité de la situation économique du secteur et de l'état biologique des stocks de poisson, une prise de conscience est nécessaire. Des mesures courageuses s'imposent .

L'aquaculture est souvent trop rapidement présentée comme la solution miracle offrant une « révolution bleue » après la « révolution verte » dans l'agriculture.

Si elle fournit, dès aujourd'hui, 43 % de l'approvisionnement en poisson pour l'alimentation humaine, et si elle est incontournable pour parvenir à répondre à la demande d'ici 2030, ce ne peut être à n'importe quel prix.

A bien des égards, l'aquaculture pratiquée actuellement accroît la pression de pêche sur les espèces sauvages et contribue à la destruction des milieux naturels.

Seul un important effort de recherche permettra de dépasser ces obstacles et d'éviter que la population mondiale ne voie sa consommation de poisson diminuer.

Le développement de l'aquaculture sera une révolution alimentaire car elle conduira à manger des espèces aujourd'hui inconnues ou peu répandues et, surtout, elle deviendra majoritaire dans la nourriture d'origine halieutique.

Mais d'ici à 2030, l'aquaculture n'offrira aucune échappatoire à la nécessité de gérer enfin rigoureusement les pêches mondiales car, si elle pourra sans doute subvenir au surcroît de demande, elle ne remplacera pas les pêches sauvages .

Gérer sérieusement les pêches sauvages s'apparente aussi à un changement profond des mentalités, une sorte de révolution, car il faut abandonner l'idée d'un espace et de ressources sans fin.

Pour y contribuer, votre rapporteur propose cinq grands axes d'action :

1- Rétablir le dialogue entre les pêcheurs, les scientifiques et les décideurs politiques.

Aujourd'hui largement rompu, le dialogue est incontournable car rien n'est possible sans un certain consensus , ne serait-ce que sur les missions et les responsabilités de chacun.

Il s'agit d'une évolution des comportements qui ne se décrètera pas mais passera par de fortes incitations administratives et financières à coopérer à travers des contrats et des objectifs partagés.

2- Construire les outils de la décision politique.

Les océans restent trop méconnus et la recherche trop indispensable à la gestion des pêches pour ne pas faire de l'halieutique une véritable priorité au sein d'organismes comme l'Ifremer et l'IRD. Une part significative des solutions viendra de la science. Le défi est considérable au moment où s'impose une approche écosystémique . Mais, si un soutien idoine n'est pas apporté, elle sera un leurre rassurant et une échappatoire vers une improbable maîtrise de la nature.

Les aires marines protégées offrent une formidable opportunité pour les pêcheurs et pour les scientifiques de se retrouver et pour faire mieux respecter la mer et ceux qui en vivent. Instrument de conservation, de valorisation et de gestion, elles doivent être fortement encouragées au service de la génération présente et de celles à venir.

3- Faire des pêcheurs les premiers acteurs d'une pêche responsable.

Les pêcheurs souhaitent, peuvent et doivent devenir les premiers acteurs de la gestion des pêches . Rien n'est possible sans eux ou contre eux. Ils doivent participer, adhérer et dans une large mesure décider des mesures qui assureront la préservation des stocks et leur propre pérennité économique.

Il y a deux préalables incontournables. Le premier est la réduction des capacités . Globalement les captures ont atteint un maximum, mais la capacité de pêche augmente du seul fait du progrès technique de l'ordre de 4 % par an. Toute gestion sérieuse passe donc par la régulation importante et continue de l'effort de pêche.

Le second est l'abandon d'une culture de fraude et de passager clandestin, malheureusement trop répandue, qui incite à vouloir profiter des efforts de gestion réalisés par les autres. Une plus grande autodiscipline doit être promue.

Enfin, pour être responsables, les pêcheurs doivent devenir propriétaires, au moins dans une certaine mesure, de leurs ressources. Le tabou des quotas individuels transférables doit tomber . Ils doivent être expérimentés ne serait-ce que comme cristallisateur d'un changement de mentalité et comme instrument d'un retour à la rentabilité économique.

4- Des pouvoirs publics qui exercent leurs prérogatives.

En France, comme dans d'autres pays, les pouvoirs publics doivent arrêter, dans l'intérêt des pêcheurs eux-mêmes, de considérer que la ressource est une question subsidiaire de l'accompagnement social de la filière de la pêche.

Les avis scientifiques ne doivent plus être ignorés .

Les pouvoirs publics devraient, par ailleurs, avoir le courage de développer une politique à long terme, malgré les difficultés d'ordre social qu'elle pourrait engendrer ponctuellement.

Les pouvoirs publics doivent également arrêter de considérer qu'ils n'ont pas une responsabilité directe dans la bonne gestion des ressources halieutiques. La responsabilité des États est majeure. Au niveau mondial, ils contrôlent grâce aux zones économiques exclusives 90 % du potentiel halieutique. La France détient le 2 e plus grand espace maritime du monde.

La responsabilité de l'État est de contrôler effectivement et de sanctionner sans faiblir. Le renoncement à l'exercice de cette prérogative régalienne est clairement à l'origine de la crise du secteur .

Le cas du thon rouge de Méditerranée n'est que l'illustration la plus visible de ce défaut : mépris de l'avis scientifique pour des bénéfices à court terme, insuffisance de contrôle et insuffisance des sanctions.

Les États devront, en outre, lutter énergiquement en mer et à terre contre la piraterie , y compris contre celle commise par leurs propres ressortissants.

Enfin, le parlement français devra être plus actif sur cette question en créant un intergroupe commun au Sénat, à l'Assemblée nationale et au Parlement européen.

5- Des citoyens mieux informés et plus responsables

Votre rapporteur propose, en dernier lieu, d'agir énergiquement à l'intention des consommateurs et des pêcheurs de loisir.

Cela passe par des démarches informatives dans le but d'indiquer aux consommateurs les produits halieutiques qu'ils devraient privilégier pour préserver les ressources. Celles-ci doivent être encouragées dans le cadre d'une coopération entre les scientifiques et la profession.

Des initiatives coopératives, sur le modèle des AMAP , pourront aussi être favorisées en partenariat avec les pêcheurs artisans pratiquant une pêche respectueuse des ressources.

Au-delà de voies éducatives et coopératives, les pouvoirs publics doivent favoriser l'émergence d'un écolabel pour la pêche qui informe et sécurise le consommateur. C'est devenu une nécessité économique et concurrentielle pour la filière. La voie franco-française n'est peut-être pas la celle qu'il conviendrait de suivre. Une francisation du label MSC d'origine anglaise et de réputation internationale, ou un label européen serait à privilégier .

Votre rapporteur juge également utile de mobiliser les citoyens en diffusant largement grâce aux médias et aux ONG et comme dans de plusieurs autres pays un « poisson mètre » . Il s'agit d'une règle graduée permettant de vérifier lors de l'achat ou de la capture pour les pêcheurs de loisir que le poisson a la taille minimale et qu'il a pu se reproduire au moins une fois.

Enfin, l'impact de la pêche récréative ne doit plus être mésestimé . Sur plusieurs espèces, elle prend une place aussi importante que la pêche professionnelle. Il n'est pas acceptable qu'elle ne soit pas aussi rigoureusement réglementée pour les stocks en danger. Une réglementation beaucoup plus stricte doit être mise en oeuvre sur les périodes, les engins, les quantités autorisés , en mer comme à pied lors des grandes marées. A terme, la création d'un permis soumis à examen s'imposera inévitablement .

*

Au terme de ce rapport, votre rapporteur a la conviction que la gravité de la situation des pêcheries et des ressources halieutiques ne doit pas tétaniser mais au contraire inciter à agir.

Si des mesures courageuses sont prises à partir d'un dialogue retrouvé entre pêcheurs, scientifiques et décideurs politiques, il est possible de garantir l'avenir des pêcheurs et l'alimentation en poissons sauvages des générations futures.

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