3. Quelle déclinaison nationale d'une politique budgétaire expansive ?

Le plan de relance budgétaire français, présenté le 4 décembre 2008, semble privilégier l'investissement plutôt que la consommation , au motif qu'un euro d'investissement public aurait un plus grand effet d'entraînement sur la croissance qu'un euro d'aide à la consommation.

LE PLAN DE RELANCE FRANÇAIS 51 ( * )

Le total des dépenses annoncées du plan de relance français est de 26,1 milliards d'euros en 2009 et 2010, soit 1,3 % du PIB .

Le plan s'appuie essentiellement :

- à hauteur de 10,5 milliards d'euros , sur les investissements publics .

L'Etat devrait dépenser 4,1 milliards d'euros pour anticiper les programmes militaires à venir, accélérer la construction de lignes TGV, l'entretien des routes, la création de crèches ou de prisons. Les investissements locaux seraient renforcés de 2,5 milliards d'euros. Enfin, les grandes entreprises nationales chargées de services publics (principalement EDF, La Poste et la RATP) sont concernées par le plan à hauteur de 4 milliards d'euros - à noter que leurs dépenses d'investissement n'affectent pas directement les comptes publics ;

- à hauteur de 11,4 milliards d'euros , sur le versement anticipé aux entreprises de créances, dont 9,2 milliards de créances fiscales (crédit d'impôt recherche, TVA, impôt sur les sociétés) ; 0,7 milliard d'euros est consacré à une accélération de l'amortissement des investissements afin de soutenir ceux des entreprises.

Le plan comprend également :

- à hauteur de 2,2 milliards d'euros , des aides sectorielles concernant principalement le logement (1,8 milliard d'euros) et accessoirement la prime à la casse (0,2 milliard d'euros) ainsi que l'aide aux PME (0,2 milliard d'euros) ;

- environ 2 milliards d'euros de dépenses en faveur de l'emploi et de la solidarité (prime à l'embauche, accompagnement et prime de solidarité active).

De fait, hormis les primes versées aux plus démunis, dont la finalité n'est pas présentée comme économique, le plan ne subventionne pas directement la consommation 52 ( * ) .

Comment qualifier cette stratégie de relance ?

a) Une relance française à court terme qui préfère l'investissement à la consommation ...

La primauté accordée à l'investissement , susceptible de relancer rapidement une demande qui, en retour, exige de nouveaux investissements pour être satisfaite, bénéficie de soubassements théoriques bien connus .

L'INVESTISSEMENT AU CoeUR DU CIRCUIT ÉCONOMIQUE ET DE LA CROISSANCE

Le mécanisme du multiplicateur keynésien prend en compte ce processus : une vague initiale d' investissement -il s'agira typiquement d'investissement financé par la dépense publique- entraîne, via la distribution du revenu engendré par son financement, une première vague de demande du même montant, diminué cependant de la partie de ce revenu destinée à l'épargne et de celle ayant servi à acquérir des biens ou services importés 53 ( * ) . Cette première vague de demande entraîne une nouvelle distribution de revenu, qui alimente une deuxième vague de demande nationale, d'une ampleur à nouveau atténuée par les fuites que représentent l'épargne et les importations, et ainsi de suite. Au total, l'investissement initial démultiplie la production selon un facteur dont la théorie économique donne le calcul 54 ( * ) .

Réciproquement, le mécanisme de l' accélérateur 55 ( * ) décrit l'influence de la demande sur l'investissement. En vertu de ce mécanisme, toute variation de la demande entraîne mécaniquement une variation de la FBCF 56 ( * ) qui lui est supérieure, à condition qu'il n'existe pas de capacité de production inemployée. Cette modélisation permet d'expliquer la « nervosité » de l'investissement en réaction aux variations de l'activité. Cette relation entre demande et investissement est vérifiée empiriquement.

Pour l'économiste américain Paul Samuelson, les effets d'accélération et de multiplicateur se combinent pour accélérer la croissance, mais le processus s'inverse lorsque se rencontre un goulet d'étranglement, investissement et demande ne repartant à la hausse que lorsque les capacités de production deviennent insuffisantes ; la reproduction de cette séquence aboutit au mécanisme dit de l' oscillateur .

NB : A plus long terme, il est admis que l'investissement est déterminant pour l'augmentation de la croissance potentielle. Ainsi que le rappelle le rapport du Conseil d'analyse économique intitulé « Les leviers de la croissance française », « le ressort principal de la progression du PIB par habitant, autrement dit du niveau de vie économique moyen, est la croissance de la productivité des facteurs de production (capital et travail) via le progrès technique et l'innovation » . Un investissement soutenu qui peut être immatériel (éducation, recherche, innovation) ou matériel (équipements collectifs, machines) est donc indispensable pour préparer la croissance de demain, aussi bien en termes de capacités de production que de gains de productivité, notamment dans le contexte stratégique d'une économie de la connaissance.

Mais au cours de ces trente dernières années, l'impact macroéconomique de la politique budgétaire est devenu très controversé . Aux « fuites » traditionnellement reconnues par la théorie keynésienne se seraient ajoutés d'autres obstacles décrits par les théoriciens néoclassiques. Ceux-ci estiment que les multiplicateurs keynésiens se seraient affaiblis car les ménages anticiperaient davantage les conséquences futures des déficits nouveaux (fuite par l'épargne) et parce qu'avec la libéralisation financière et des possibilités d'emprunt accrues, les ménages seraient plus enclins à lisser leur consommation au cours du temps.

Quoi qu'on pense, par ailleurs, de ces constructions, on est forcé de relever que le choc de demande et la contraction du crédit les rendent pour l'heure assez peu facilement mobilisables et qu'elles impliqueraient, si elles étaient suivies, d'assumer le risque d'une déflation sans précédent.

Il reste que des études récentes aboutissent au calcul d' un multiplicateur, cantonné à l'unité à l'horizon d'un an 57 ( * ) (voire sensiblement inférieur à l'unité si la politique monétaire adopte parallèlement un tour plus restrictif avec une hausse des taux d'intérêt pesant sur l'activité). Une dépense publique représentant un point de PIB (creusant d'à peu près autant le déficit public) pourrait donc aboutir à majorer la croissance d'environ un point de PIB .

Cependant, d'après l'OFCE - et la plupart des économistes partagent ce point de vue, en son principe- , le multiplicateur « passe du simple au double suivant que la relance est isolée ou qu'elle est menée à l'identique chez l'ensemble des partenaires commerciaux de la France » 58 ( * ) . De fait, le caractère concerté de la relance minimise le volume des « fuites » liées au déséquilibre du commerce extérieur. Il s'agit donc d'un enjeu majeur d'efficacité et d'optimisation de la relance.

Le coût budgétaire des gains de croissance ainsi obtenus serait acceptable s'il permettait de mettre un terme rapide aux anticipations déflationnistes des acteurs économiques et à la spirale de la récession, et d'autant plus réduit que des politiques coopératives se mettraient en place.

Mais il est probable que le règlement d'une crise aussi profonde ne puisse s'opérer par un seul soutien indirect à la demande via l'investissement .

L'urgence est requise pour que la relance produise des résultats susceptibles de contrecarrer les enchaînements et les anticipations qui approfondissent la crise actuelle. Dès lors, on peut s'interroger quant à la primauté quasi-exclusive accordée à l'investissement dans l'outillage d'une relance qui, en présence d'un choc qui semble essentiellement « de demande » , devra inéluctablement comporter un soutien plus franc de la consommation des ménages.

En l'état, la décision de préférer la relance par l'investissement à une relance par la consommation pourrait correspondre à une stratégie adaptée aux inquiétudes qu'inspire l'évolution passée de notre balance commerciale et ses perspectives si la France était la seule à stimuler sa consommation domestique. On pourrait ainsi imaginer que si des plans de relances plus ou moins généralisés intervenaient chez la plupart de nos partenaires commerciaux, une amélioration sensible de l'offre française , jointe à une demande intérieure modérément stimulée, pourrait renforcer nos exportations sans accélérer le rythme des importations... En outre, la crainte que notre pays consente des efforts budgétaires dont le coût serait supporté par nos comptes publics alors que ses effets seraient dilués est légitime.

Mais, outre que les stratégies de « passager clandestin » sont peu soutenables à long terme (les sacrifices qu'elles imposent aux agents domestiques ne peuvent être maintenus indéfiniment), les progrès réalisés sur la voie de politiques européennes plus coopératives devraient permettre que soient réunies les conditions d'une politique économique plus satisfaisante c'est-à-dire, d'une part, mieux adaptée à la nature du choc économique, de demande, à surmonter et, d'autre part, moins coûteuses budgétairement tant ex ante qu' ex post .

* 51 Plan adopté par le Conseil des ministres du 19 décembre 2008.

* 52 Selon l'Elysée (Le Monde du 4 décembre 2008), « un euro d'aide à la consommation crée 0,5 euro de croissance supplémentaire tandis qu'un euro d'investissement crée 1,1 euro de croissance en plus ». Un impact des aides à la consommation sur la croissance aussi réduit supposerait une importante érosion des multiplicateurs keynésiens, avec une aggravation des fuites par l'épargne et les importations (infra). Par ailleurs, on relèvera que le contenu en importations de l'investissement n'est pas négligeable, et qu'investir prend du temps malgré le contexte d'urgence (infra).

* 53 Les prélèvements obligatoires constituent une troisième « fuite » dans le circuit keynésien, mais ils font généralement l'objet d'une « réinjection » sous forme de redistribution ou d'investissement public.

* 54 Selon l'identité (dans un modèle simplifié où l'épargne constitue la seule « fuite » dans le circuit économique) suivante : [variation de la production] = 1/(1-c) x [variation de l'investissement], c étant la propension marginale à consommer.

* 55 Albert Aftalion (1874-1956) a montré que si la technique de production est fixe (pour produire N fois plus, il faut N fois plus d'équipements), toute variation de la demande entraîne mécaniquement une variation de la FBCF plus forte que les variations initiales de la demande de produits.

* 56 Formation brute de capital fixe, qui désigne l'investissement dans la comptabilité nationale.

* 57 Voir l'annexe 3 -étude réalisée par le CEPII (centre d'études prospectives et d'informations internationales)- du rapport d'information du Sénat n° 113, 2007-2008, de MM. Joël BOURDIN et Yvon COLLIN, au nom de la Délégation du Sénat pour la Planification, intitulé « La coordination des politiques économiques en Europe : le malaise avant la crise ? ».

* 58 Selon les simulations de l'OCFE, le multiplicateur d'investissement public serait de 0,9 la première année (lettre de l'OFCE n° 305 du 23 décembre 2008 « Comment désamorcer une déflation »), lien : http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/lettres/305.pdf .

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