III. QUELLES PERSPECTIVES ?

1. Les limites de la différenciation

Mon propos n'est pas de présenter les coopérations spécialisées comme un remède à toutes les difficultés de la construction européenne. Elles peuvent constituer un moyen de dynamiser et de compléter la construction européenne, et dans certains cas une alternative à celle-ci, dans leur domaine quelquefois limité et quelquefois très étendu.

Cependant, la voie des coopérations spécialisées ne peut être empruntée dans certains domaines. Elles ne sont pas faites pour intervenir dans le fonctionnement même du marché unique : il est difficile de concevoir une politique de la concurrence, une politique commerciale, ou encore une politique agricole commune qui seraient « à géométrie variable ».

Par ailleurs, certaines coopérations spécialisées théoriquement concevables, compatibles avec les traités, paraissent difficilement envisageables en pratique car elles pourraient entraîner des effets pervers. Si certains États membres s'accordaient par exemple pour définir des standards sociaux plus élevés, ou adopter des taux d'imposition minimaux pour éviter entre eux une concurrence fiscale, le risque serait grand que les autres États membres n'en tirent profit pour renforcer leur attractivité auprès des investisseurs. Des coopérations spécialisées dans de tels domaines ne peuvent donc être envisagées qu'avec prudence.

Dans d'autres cas, une marge peut être laissée aux coopérations entre États membres mais sur la base de règles ou de principes communs.

Par exemple, le pacte européen sur l'immigration et l'asile adopté sous la présidence française ouvre la voie à des coopérations plus étroites entre pays voisins, mais sur la base de principes arrêtés en commun et traduits, dans certains cas, dans des textes législatifs européens (« carte bleue » pour les travailleurs hautement qualifiés, textes précisant les conditions d'octroi de l'asile et des visas, législation contre l'emploi clandestin...).

Un autre exemple de ce type est celui des équipes communes d'enquête, qui sont une forme de coopération entre États membres prévue par le droit européen : issues de la Convention de Bruxelles de mai 2000 sur l'entraide judiciaire en matière pénale, et d'une décision-cadre prise par le Conseil en juin 2002, elles prennent la forme, en pratique, de coopérations bilatérales. Associant des magistrats et des enquêteurs de deux pays dans une affaire présentant un intérêt pénal commun, elles permettent d'échanger des renseignements, de mener des investigations conjointes et de coordonner des poursuites pénales. Elles ne peuvent être mises en place que dans le cadre d'une procédure judiciaire préexistante et disparaissent avec celle-ci. En juin 2008, la France avait participé à quinze équipes communes d'enquête avec six différents pays membres.

Ainsi, bien que les coopérations spécialisées, sous leurs diverses formes, soient un instrument parfois indispensable et souvent utile à la construction de l'Europe, c'est aussi un instrument à promouvoir en restant conscient de ses limites et de la nécessité de l'inscrire dans une cohérence d'ensemble.

Mon propos n'est donc pas de dire que les progrès possibles dans le cadre de l'Union sont épuisés et que c'est désormais seulement par la voie des coopérations spécialisées que l'on peut espérer de nouveaux progrès.

Il est plutôt de dire que, dans l'Europe élargie, même réformée par le traité de Lisbonne, les progrès sont d'ores et déjà et seront difficiles et qu'en conséquence, il ne faudra pas hésiter à recourir aux coopérations spécialisées chaque fois que nécessaire ; pour paraphraser une formule célèbre : « approche communautaire autant que possible, coopérations spécialisées autant que nécessaire ».

C'est dans cet esprit qu'il convient, me semble-t-il, d'aborder les perspectives des diverses formes de coopérations spécialisées.

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