C. AMÉLIORER LA LISIBILITÉ DE L'ACTION LOCALE ET L'IDENTIFICATION DES RESPONSABILITÉS

Si la complexité de l'organisation territoriale française et l'enchevêtrement des compétences, dont le constat a été dressé précédemment, n'avaient d'impact que sur les administrations elles-mêmes, ils ne porteraient à conséquence qu'en raison des pertes d'efficacité qu'ils sont susceptibles de générer. Mais une autre raison rend encore plus urgent d'apporter une réponse à cette confusion croissante, c'est que l'un des objectifs premiers de la décentralisation se trouve ainsi mis en péril.

La décentralisation vise en effet à placer le citoyen au coeur de l'action publique, de deux manières différentes : en lui permettant de disposer, au niveau le plus proche, de l'ensemble des services dont il peut avoir besoin, et en lui permettant, par l'exercice du vote, comme par sa participation à la démocratie locale, de peser sur les décisions adoptées au sein des collectivités territoriales.

Or, aujourd'hui, en dépit de la remarquable implication des élus locaux et de leurs services administratifs, l'illisibilité de l'organisation locale brouille le lien qui relie les citoyens et les collectivités territoriales.

Les auditions menées par la mission l'ont montré à maintes reprises, et les rapports successifs l'ont souvent dénoncé. Comme le rappelaient récemment MM. Jean-Luc Warsmann, Didier Quentin et Jean-Jacques Urvoas, la décentralisation est aujourd'hui devenue inintelligible pour le citoyen : « le cours [qu'elle a pris], qui, depuis une trentaine d'années tend progressivement à devenir une affaire de spécialistes, n'a pas seulement des conséquences négatives pour les administrations et entreprises françaises ; il éloigne également des réalités politiques locales les citoyens, désemparés face à la complexité des normes applicables et à l'éclatement des responsabilités entre une multitude d'acteurs » 56 ( * ) .

Il leur importe de lutter contre ce mouvement si contraire à l'attachement que marquent par ailleurs nos concitoyens à leurs communes, leur département et leur région. C'est là un des enjeux majeurs de la réforme qui se dessine.

Il ressort des travaux de la mission que l'illisibilité et la complexité de l'administration locale jouent à deux niveaux.


• C'est tout d'abord l'accès de l'usager ou de l'administré, particulier comme entreprise, aux services ou aux prestations proposés par les collectivités territoriales , qui est ainsi rendu plus difficile. La question qui se pose en la matière est moins celle de l'attributaire réel de la compétence concernée que celle de l'existence ou non pour le citoyen d'un interlocuteur unique et référent, clairement identifié , qui soit en mesure de l'informer correctement sur l'ensemble des services auxquels il peut avoir accès et qui sache, aussi, à quelle administration transmettre la demande qui lui a été le cas échéant présentée.

Les auditions ont montré que de nombreuses collectivités s'étaient engagées sur ce point, notamment dans les domaines social ou économique, et qu'elles avaient mis en place de manière concertée des structures (maison des services publics, portail internet, guichet unique...) qui facilitent l'accès des citoyens aux services locaux, sans qu'ils aient besoin, pour ce faire, de se familiariser avec les méandres de la répartition des compétences entre les différents niveaux communaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux.

Il convient dans cette perspective de s'interroger sur les moyens de favoriser de telles initiatives, mais surtout, plus radicalement, de garantir, à travers une meilleure répartition des compétences et la définition d'une coordination plus aboutie des actions menées par chaque niveau, un accès plus direct des administrés et des usagers aux services proposés par les collectivités territoriales .


• La deuxième raison pour laquelle la question de l'illisibilité de l'action publique locale constitue un enjeu crucial de la décentralisation, c'est qu'elle nuit à l'identification des responsabilités et, partant, qu'elle perturbe le mécanisme régulateur de la démocratie locale . Comme l'a noté M. John Loughlin, lors de son audition, en se plaçant dans une perspective comparatiste, la complexité de l'organisation administrative d'un pays est problématique pour le bon fonctionnement de la démocratie dans la mesure où elle diminue la transparence du système et rend plus difficile l'exercice de la responsabilité politique. Elle porte ainsi atteinte à la légitimité des institutions ou des acteurs politiques et administratifs.

Ainsi, la pratique des cofinancements comme celle des actions communes ne permettent pas au citoyen non averti des subtilités de la répartition des compétences entre chaque niveau de collectivité, d'attribuer à chacun, à due proportion de sa participation, le mérite ou les défauts de la politique menée. La responsabilité des décideurs locaux sur leur gestion s'en trouve fragilisée, et le crédit de la démocratie locale partiellement entamé.

De la même manière, comme l'a souligné M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France, lors de son audition, les effets d'une telle confusion apparaissent particulièrement en matière fiscale en raison du partage entre plusieurs niveaux de collectivités des mêmes impositions.

La responsabilité des acteurs se diluant, le système local risque de perdre dans le même temps l'un de ses meilleurs mécanismes de régulation , réducteur dans la mesure où la qualité de la gestion est un des éléments déterminants du débat électoral.

Pour toutes ces raisons, la réforme de l'organisation territoriale ne peut faire l'économie d'une réflexion approfondie sur les voies et moyens de mettre un terme à cette dilution de la responsabilité politique et fiscale des décideurs locaux vis-à-vis de leurs électeurs. L'action en la matière passe nécessairement par une clarification des compétences, préalable à toute clarification des responsabilités.

* 56 Rapport d'information n° 1153 AN précité.

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