III. LES DROITS DE L'HOMME EN EUROPE ET DANS LE MONDE

A. LA MISE EN oeUVRE PAR L'ARMÉNIE DES RÉSOLUTIONS 1609 (2008) ET 1620 (2008) DE L'ASSEMBLÉE

La résolution 1609 (2008) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Arménie, adoptée en avril 2008, prévoyait la possibilité de suspendre le droit de vote de la délégation arménienne au sein de l'Assemblée, si Erevan ne répondait pas à quatre conditions susceptibles de surmonter la crise politique :

• l'abrogation, conformément aux recommandations de la Commission de Venise, des restrictions à la liberté de réunion introduites par les amendements apportés le 17 mars 2008 à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations. Ces modifications avaient été introduites dans un pays alors en plein état d'urgence ;

• l'ouverture d'une enquête indépendante sur les événements du 1 er mars 2008. Une manifestation de l'opposition à Erevan dispersée dans l'après-midi avait alors conduit à de nombreuse arrestations et à l'instauration de l'état d'urgence pour 20 jours, marqué de nombreuses campagnes d'intimidation de la population ;

• la libération immédiate des personnes détenues arbitrairement pour raisons politiques ;

• l'ouverture d'un dialogue entre toutes les forces politiques en présence en vue de réformer le système politique et judiciaire arménien pour garantir les libertés fondamentales.

L'examen du respect de ces critères était prévu à l'ouverture de la troisième partie de session 2008. Le rapport de la commission de suivi, rédigé par MM. Georges Colombier (Isère - UMP) et John Prescott (Royaume-Uni - SOC), avait alors permis de dessiner un premier bilan. Il soulignait les progrès législatifs enregistrés concernant la liberté de réunion et demandait qu'ils se traduisent désormais dans la pratique. La manifestation de l'opposition, organisée le 20 juin dernier sans grande difficulté, apparaissait, à cet égard, comme un signal positif.

La création d'une commission d'enquête parlementaire sur les événements du 1 er mars 2008, même tardive, témoignait également de la bonne volonté des autorités, sans toutefois présenter les gages d'impartialité et d'indépendance que le Conseil de l'Europe est en droit d'attendre.

Les rapporteurs étaient néanmoins plus réservés sur la question des détentions arbitraires de prisonniers politiques, tant les progrès enregistrés ne répondent que partiellement aux demandes formulées par l'Assemblée parlementaire. La résolution 1620 (2008) invitait, en conséquence, l'Assemblée nationale arménienne à adopter une loi d'amnistie générale relative aux événements du 1 er mars 2008.

Compte tenu des réserves exprimées par les rapporteurs, mais aussi du court laps de temps compris entre l'adoption de la résolution 1609 (2008) en avril dernier et l'étude de la commission de suivi, la résolution 1620 (2008) invitait l'Assemblée à se réunir à nouveau en janvier 2009 en vue d'examiner l'étendue du respect des critères précités.

A l'occasion d'une visite en Arménie, le 15 janvier dernier, les rapporteurs n'avaient pas relevé de progrès majeurs, mais souligné, au contraire, un certain manque de transparence sur les affrontements de mars 2008. L'absence d'évolution sur la question des prisonniers politiques devait même conduire la commission de suivi à proposer la suspension des pouvoirs de la délégation arménienne.

Comme l'a souligné M. Georges Colombier (Isère - UMP), cette menace s'est traduite par une évolution majeure de l'État arménien au sujet des personnes arrêtées :

« A la demande de la commission de suivi, avec John Prescott, nous nous sommes rendus, le 15 janvier 2009, en Arménie pour y rencontrer les autorités. L'objectif de notre visite était d'évaluer les éventuels progrès réalisés et d'inviter fermement les autorités à prendre des mesures concrètes à ce sujet afin d'éviter l'application de sanctions envers la délégation arménienne. Nous tenons d'ailleurs à exprimer nos remerciements à l'Assemblée nationale d'Arménie pour le soutien logistique accordé à notre visite.

Lors de nos entretiens avec les autorités, nous avons souligné les préoccupations de la commission de suivi quant aux accusations portées en vertu de l'article 300 du code pénal arménien, qui traite de l'usurpation de pouvoir, et de l'article 225 relatif à l'incitation à l'émeute.

Dans toutes nos rencontres avec les autorités, nous avons souligné que l'insistance à prononcer des inculpations au titre des articles 300 et 225-3, et le recours systématique à des chefs d'accusation aggravés au lieu de charges moins sévères sont pour nous le signe évident que les accusations et les condamnations de ces personnes sont politiquement motivées.

Tous les responsables du gouvernement que nous avons rencontrés, y compris le président de la République, ont souligné l'intention des autorités de régler la question des personnes privées de leur liberté. Le président a indiqué avoir gracié, au jour de notre visite, douze personnes inculpées dans le cadre de ces événements, et qui en avaient fait la demande. Il a également exprimé sa ferme intention d'examiner favorablement toutes les demandes de grâce à cet égard. Aujourd'hui, vingt-huit personnes ont été graciées et d'autres dossiers sont en cours d'examen

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Nous avons vivement suggéré au président d'envisager la possibilité d'une amnistie, notamment eu égard aux articles 300 et 225. Le président a indiqué ne pas exclure la possibilité d'une déclaration ultérieure d'amnistie, mais nous avons le sentiment que le président juge inapproprié d'examiner l'éventualité d'une amnistie tant que les sept leaders de l'opposition continueront à faire obstruction au bon déroulement du procès.

Le président de l'Assemblée nationale, lorsque nous l'avons rencontré, a reconnu certaines insuffisances eu égard aux articles 300 et 225, qui permettent au parquet une interprétation très large. Ces insuffisances sont à l'origine de nos préoccupations quant à la motivation politique des accusations.

A la suite de notre visite, dans un courrier daté du 22 janvier 2009, le président de l'Assemblée nationale nous a informés qu'il avait signé un décret instituant un groupe de travail spécial au sein de l'Assemblée, chargé de l'élaboration, dans un délai d'un mois et en coopération avec les organes compétents du Conseil de l'Europe, d'amendements aux articles 225 et 300 du code pénal de l'Arménie. Ces amendements devront remédier aux insuffisances juridiques de ces articles et les mettre en conformité avec les normes du Conseil de l'Europe. Ils seront adoptés par l'Assemblée et transmis au président pour promulgation dans un délai approximatif d'un mois après achèvement des travaux du groupe de travail. Ce groupe est présidé par M. Davit Harutyunyan, le président de la délégation arménienne dans notre Assemblée.

Le décret du président de l'Assemblée nationale pouvant avoir un impact favorable sur la situation des personnes accusées et condamnées, nous estimons que cette initiative est un signal indiquant que les autorités arméniennes sont prêtes à apporter un début de réponse aux préoccupations de l'Assemblée. C'est pourquoi nous considérons que l'initiative de l'Assemblée nationale de réviser les articles 225 et 300 du code pénal et de les mettre en conformité avec les normes du Conseil de l'Europe, le nombre de grâces accordées à ce jour - vingt-huit -, ainsi que les mesures positives prises pour l'ouverture d'une enquête indépendante, transparente et crédible, doivent être considérés comme l'indication que les autorités arméniennes sont disposées à donner suite aux demandes formulées par l'Assemblée dans les dernières Résolutions 1609 et 1620.

Au stade actuel, nous recommandons donc à l'Assemblée de ne pas suspendre les droits de vote des membres de la délégation parlementaire arménienne.

Toutefois, nous restons insatisfaits et préoccupés par la situation des personnes privées de leur liberté, notamment de celles accusées sur la base des seuls témoignages de la police. C'est pourquoi nous recommandons à l'Assemblée de rester saisie de cette affaire et d'inviter sa commission de suivi à examiner les progrès réalisés par les autorités arméniennes dans la mise en oeuvre des résolutions. »

Une telle inflexion des autorités arméniennes a donc conduit les co-rapporteurs à modifier en substance le projet initial de résolution en vue de poursuivre le dialogue avec l'Arménie. Cette révision a été saluée par M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC), intervenant au nom du Groupe socialiste :

« Chacun mesure la difficulté de la tâche des rapporteurs et je leur rends hommage pour la clarté de leur travail, leur analyse de la situation et pour les termes retenus dans leurs récents développements, qui montrent une volonté commune d'apaisement compte tenu des efforts des autorités arméniennes. Les conclusions positives retenues dans l'amendement n° 6 constituent en outre des signes de confiance et de bienveillance de notre Assemblée à l'égard de l'Arménie, qui seront, j'en suis persuadé, de nouveaux encouragements à poursuivre sur la voie démocratique qu'elle s'est tracée.

Sur ce chemin difficile, nous sommes nombreux à pouvoir ici témoigner que l'Arménie n'a pas démérité depuis son indépendance, voilà dix-sept ans. Certes, nul ne conteste que beaucoup de chemin reste à parcourir après les événements des 1 er et 2 mars, et particulièrement du point de vue des préoccupations exprimées par l'Assemblée, mais la crédibilité de l'Arménie en tant que membre du Conseil de l'Europe ne saurait être remise en cause aux yeux du Groupe socialiste. Je me félicite donc des propos de bon sens qui ont jalonné l'examen du rapport et plus encore de la nouvelle proposition de rédaction du paragraphe n° 9, qui écarte la suspension du droit de vote de la délégation arménienne.

J'en profite pour saluer les membres de cette délégation, qui ont mené de nombreuses et déterminantes démarches auprès des plus hautes autorités de leur pays pour avancer vers l'application des résolutions du Conseil de l'Europe. Je me félicite également de l'action positive du président de l'Assemblée nationale arménienne, Hovik Abrahamian, que j'ai rencontré avec François Rochebloine à l'occasion du vingtième anniversaire du tremblement de terre du 7 décembre 1988.

Je ne reviendrai pas sur l'ensemble du rapport et des amendements. Je souhaite retenir les avancées d'ores et déjà accomplies par les autorités arméniennes pour donner suite aux demandes de notre Assemblée. A nos yeux, le nombre de grâces déjà prononcées par le Président Sarkissian, la création de la commission destinée à amender les articles 225 et 300 du code pénal afin de permettre de nouvelles libérations de détenus et l'espoir de création d'une enquête indépendante contribuent à l'apaisement de la situation.

Je vous invite donc à adopter les amendements proposés par la Commission dans l'addendum ; ils constitueront, n'en doutons pas, un encouragement supplémentaire pour le Président Sarkissian et les pouvoirs publics arméniens à avancer de façon significative, dans le cadre du dialogue démocratique que nous appelons de nos voeux, compte tenu de la mission qu'ils se sont fixée d'assurer la sécurité, la paix, l'intégrité du territoire et le développement économique de l'Arménie. »

M. François Rochebloine (Loire - NC) a souhaité mettre en avant les risques de radicalisation que pouvaient comporter une éventuelle suspension des pouvoirs :

« Le débat que nous avons ce matin ne doit pas se circonscrire à une controverse de procédure interne. La question de la suspension du droit de vote de la délégation arménienne est l'aboutissement d'une interrogation beaucoup plus large sur la capacité de la société politique de ce pays à surmonter les événements des 1er et 2 mars 2008 et à entreprendre un travail de reconstruction démocratique. Je souhaite vivement qu'elle le fasse. Il en va d'ailleurs de l'intérêt de tous.

C'est en premier lieu l'intérêt de la communauté internationale et plus particulièrement de celle des droits de l'homme que symbolise notre Assemblée. Les pays qui spéculent sur les conséquences de mars 2008 pour l'Arménie font un mauvais calcul. Personne n'a intérêt au maintien de l'incertitude politique et sociale dans un des États de la région, quel qu'il soit.

L'intérêt de la nation arménienne est également en jeu. Pour ma part, je me refuserai toujours à m'immiscer dans les affaires politiques intérieures de ce pays. Mais, en tant qu'ami fidèle du peuple arménien, je souligne l'urgence pour toutes les parties en présence, sans exception, à adopter une solution équitable. Je comprends que les autorités arméniennes, dans un souci d'apaisement, oeuvrent pour créer les meilleures conditions possibles de sécurité juridique. C'est ainsi que j'interprète la solution qu'elles envisagent : une requalification des faits qui fondent les poursuites actuelles, puis une large amnistie. Mais l'intérêt collectif de l'Arménie impose une mise en oeuvre la plus rapide possible de ce processus.

Il est possible, et même probable, que la violence du conflit passé empêche le compromis par un dialogue direct entre les forces politiques en présence. Il est plus facile de consentir des engagements à un tiers bien disposé qu'à l'adversaire d'hier. C'est pourquoi je salue le ton modéré et équilibré du rapport qui nous a été présenté. C'est la raison pour laquelle, après une analyse objective, je suis opposé à une suspension du droit de vote de la délégation arménienne. Sans l'interdire totalement en droit, cette suspension rendrait plus difficile la mission du Conseil de l'Europe en Arménie. Les nouvelles que nous recevons des responsables de ce pays, à commencer par le président de la République ou celui de l'Assemblée nationale, montrent que cette suspension serait en outre accaparée unilatéralement par l'une des forces en présence et manquerait dès lors son but.

Me prononcer pour le maintien du droit de vote de la délégation arménienne n'est le signe de ma part d'aucune préoccupation liée à la politique intérieure arménienne. J'exprime le désir de voir l'Arménie poursuivre rapidement la modernisation de sa législation pénale et son adaptation aux principes fondamentaux qui sont chers à notre Assemblée. J'exprime également le voeu que, dans l'intérêt du peuple arménien, toutes les forces politiques en présence s'unissent dans le souci de bâtir un avenir stable, le seul de nature à asseoir la position de l'Arménie dans un environnement que les circonstances extérieures, indépendantes de sa volonté, suffisent amplement à rendre délicat. Et je souhaite enfin que notre Assemblée continue d'apporter sa contribution à une évolution qui me paraît correspondre à l'intérêt essentiel du peuple arménien. »

M. Roland Blum (Bouches-du-Rhône - UMP) a également tenu à souligner les progrès accomplis récemment par les autorités arméniennes :

« S'il faut déplorer et condamner, c'est normal, la violence qui a suivi les élections présidentielles en Arménie en mars 2008 et qui a malheureusement engendré de nombreuses victimes, des arrestations dont on peut se poser la question de savoir si elles sont arbitraires - les rapporteurs ont bien fait de le souligner --, il convient d'insister sur tout ce qui peut constituer une amélioration de la démocratie et tout ce qui s'inscrit dans le sens d'une meilleure administration de la justice en Arménie. A cet égard, des points sont assez éclairants. Tout d'abord, la création d'une commission d'enquête parlementaire par le Président de l'Assemblée nationale, composée tout à la fois de membres de la majorité et de l'opposition ; ensuite, un comité d'experts indépendants enquêtera sur les événements ; ajoutons la grâce présidentielle accordée à de nombreux participants à ces actions ; enfin et surtout, la révision des articles 225 et 300 du code pénal visant à se rapprocher des normes de la plupart des démocraties qui siègent au sein du Conseil de l'Europe.

Pour l'ensemble de ces raisons, les rapporteurs ont bien fait de ne pas conclure à la suspension du droit de vote de nos collègues de la délégation arménienne, ce qui aurait été, selon moi, particulièrement injuste. »

La résolution telle qu'adoptée, salue, en conséquence, les initiatives des autorités arméniennes. Elle rappelle néanmoins l'insatisfaction de l'Assemblée au regard de la situation des prisonniers politiques et invite la commission de suivi à se réunir à nouveau sur cette question avant la prochaine partie de session.

B. COOPÉRATION AVEC LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE (CPI) ET UNIVERSALITÉ DE CETTE INSTANCE

Créée en 1998, entrée en fonction le 1 er juillet 2002, la Cour pénale internationale constitue une avancée indéniable en matière de justice internationale. Première juridiction pénale permanente et à vocation universelle à voir le jour sur la scène internationale, elle succède aux tribunaux pénaux internationaux, dont les mandats étaient limités à certaines régions du globe.

L'organisation d'un débat au sein de l'Assemblée sur l'avenir de cette institution à l'occasion de cette partie de session coïncidait judicieusement avec l'ouverture du premier procès devant la Cour, le 26 janvier. Invité à intervenir devant l'Assemblée, M. Philippe Kirsch, Président de cette juridiction, a rappelé l'origine des quatre cas renvoyés devant la Cour. Trois l'ont été à l'initiative des États (Congo, Ouganda, République centrafricaine), le dernier, consacré au Darfour, résultant de la saisine par la Cour du Conseil de sécurité des Nations unies. Le rôle des États apparaît, à cet égard, primordial. Comme l'a souligné son Président, la Cour, juridiction de dernier ressort, demeure tributaire de l'implication des États dans les enquêtes. L'impact de son action dépend, en outre, de l'étendue de la ratification du Statut de Rome qui constitue le fondement de la Cour. La compétence de la Cour se limite en effet aux ressortissants et aux territoires des États signataires dudit statut. 108 États ont d'ores et déjà ratifié le statut, principalement en Europe, en Afrique et en Amérique du Sud. Les États-Unis, la Chine, la Russie ou le Brésil n'en sont pas parties prenantes.

Mme Gisèle Gautier (Loire-Atlantique - UMP) a tenu à rappeler la complémentarité entre les juridictions nationales et la Cour en vue de garantir l'efficacité de son action :

« Je tiens d'abord à saluer la présence dans l'assemblée des droits de l'Homme du Président de la Cour pénale internationale, M. Philippe Kirsch, qui vient de s'exprimer. Monsieur Kirsch, votre vaste expérience en matière de droit international humanitaire et de droit pénal international vous prédisposait naturellement à exercer ces fonctions.

Je tiens également à souligner la qualité du rapport de notre collègue Mme Däubler-Gmelin qui a parfaitement rappelé la portée et l'originalité de la CPI. Le concours des justices nationales est indispensable à la mise en place d'un système pénal international efficace. Il permet également aux États parties de mieux accepter l'atteinte portée par le Statut de Rome de 1998 « aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale », selon l'expression du Conseil constitutionnel français dans sa décision du 22 janvier 1999, la ratification de ce statut ayant nécessité, en France, une révision de la Constitution.

La Cour ne se substitue pas aux mécanismes nationaux. Au contraire, les États l'ont créée pour compléter leurs propres systèmes judiciaires nationaux. On notera d'ailleurs que, bien que le Statut de Rome lui en donne la possibilité, le procureur de la CPI ne s'est encore jamais saisi lui-même d'une affaire, déférée soit par les États parties, soit par le Conseil de sécurité de l'Onu.

L'idée d'une justice pénale internationale compétente pour les crimes les plus graves, en effet, n'est pas nouvelle. Mais il a fallu attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que soient créées les premières juridictions pénales internationales, avec les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo. Face aux critiques émises par ce que d'aucuns considéraient comme une « justice des vainqueurs », l'assemblée générale de l'Onu élabora, en 1953, un projet de statut pour l'établissement d'une cour pénale internationale, que le contexte de guerre froide fit toutefois échouer.

Dans ces conditions, la création par le conseil de sécurité de l'Onu de deux tribunaux pénaux internationaux, pour l'ex-Yougoslavie, en 1993, et pour le Rwanda, l'année suivante, dont l'existence est provisoire et les compétences limitées, a contribué à accélérer les réflexions et les négociations sur la création de la CPI.

Certes, l'activité de la Cour est demeurée jusqu'à présent modeste, eu égard à l'ampleur de la tâche. Les affaires en cours devant la CPI ne concernent pour l'instant que des crimes commis dans quatre États : la République démocratique du Congo, la République centrafricaine, l'Ouganda et le Soudan. Le continent africain est donc pour l'instant le seul concerné, mais le procureur a publiquement indiqué qu'il s'intéressait à des événements concernant la Colombie, la Géorgie ou encore l'Afghanistan.

Il me semble que la Cour a su faire preuve d'indépendance et éviter l'écueil de la politisation de ses décisions. Son procureur, M. Luis Moreno-Ocampo, n'a pas hésité, l'été dernier, à demander la délivrance d'un mandat d'arrêt à l'encontre du président soudanais, M. Omar al-Bashir, à propos des crimes commis au Darfour.

La ratification universelle du Statut de Rome, dont la nécessité est au centre du projet de résolution proposé par notre rapporteure, confortera la légitimité de la Cour. Pour autant, elle est encore loin d'être garantie.

Il paraît également indispensable de dissiper les malentendus sur la nature juridique de la CPI et de lui donner une meilleure visibilité. De ce point de vue, on peut se réjouir de l'adoption par la Cour d'une stratégie intégrée en matière de relations extérieures, d'information et de sensibilisation. Enfin, la CPI doit se garder de reproduire les mêmes défauts que ceux généralement attribués aux tribunaux pénaux internationaux, en particulier la longueur excessive des procès et l'accumulation des difficultés procédurales. Je souhaite que ce ne soit pas un voeu pieu et que notre vote aboutisse à des résultats concrets. »

Cette nécessaire coopération a également été mise en avant par Mme Claude Greff (Indre-et-Loire - UMP) :

« L'élaboration d'une base juridique pénale internationale s'est faite en réaction aux massacres commis au cours du XX e siècle et plus particulièrement lors de la deuxième guerre mondiale et depuis cette date. Les conflits en ex-Yougoslavie et la guerre au Rwanda en sont hélas les épisodes les plus marquants.

La création en 1998 de la Cour pénale internationale est l'aboutissement de tentatives visant à mettre en place une juridiction permanente habilitée à juger les auteurs des crimes les plus graves. Jusqu'à cette date, c'est au coup par coup que des tribunaux ad hoc ont été constitués.

Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, entré en vigueur le 1 er juillet 2002, est donc l'une des avancées majeures dans le développement du droit international, puisqu'il porte création de la première institution judiciaire indépendante et permanente habilitée à juger des personnes physiques accusées de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. Dans ce cadre, les accusés pourront de moins en moins échapper au jugement de par leur qualité de personnage officiel.

Le Statut de Rome est également novateur puisqu'il criminalise certains actes comme le montrent les dispositions relatives aux crimes sexistes. C'est en effet la première fois que des actes de violence sexiste sont définis comme des crimes internationaux. Le Statut de Rome contient ainsi la première codification des crimes de prostitution forcée et d'esclavage sexuel au niveau international.

Rappelons que ce sont les États eux-mêmes qui ont créé la Cour pénale internationale au moyen d'un traité international et que 108 États l'ont déjà ratifié.

Il n'y a pourtant pas de consensus complet sur cette nouvelle structure, les États-Unis notamment n'ayant pas ratifié le Statut, et cela illustre sans doute les hésitations quant à l'établissement d'un nouvel ordre international. Les premières décisions du nouveau Président américain, M. Obama, relatives à la fermeture de Guantanamo laissent penser qu'une évolution ultérieure des États-Unis sur ce dossier majeur reste possible.

C'est important, car la création de la Cour repose sur le rôle des Etats qui se voient accorder un rôle important dans ce système de justice pénale internationale.

Le système mis en place est original :

La Cour dispose d'une compétence qui est complémentaire des juridictions nationales. Son rôle est subsidiaire par rapport aux juridictions pénales nationales. Elle n'intervient que lorsque les juridictions nationales refusent ou sont dans l'impossibilité de sanctionner les crimes les plus graves: le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, le crime d'agression.

L'ensemble du système de la Cour pénale internationale repose sur la coopération puisque les États parties sont appelés à coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence. Faute de cette coopération des États, la Cour aurait en quelque sorte les mains liées.

C'est pourquoi la ratification universelle de son Statut est nécessaire pour avoir une portée réellement mondiale dans la lutte contre l'impunité. Le Conseil de l'Europe doit user de toute son influence pour atteindre cet objectif.

Il est de même fondamental que soit ratifié par l'ensemble des États l'Accord sur les privilèges et immunités de la Cour pénale internationale, car sa mise en oeuvre est essentielle pour la réalisation de ses objectifs.

M. Benjamin Ferencz, ancien procureur au tribunal de Nuremberg, considérait «qu'il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de justice sans loi, ni de loi digne de ce nom sans un tribunal chargé de décider ce qui est juste et légal dans des circonstances données».

Parce que ceci reste vrai plus que jamais en ce début de XXIe siècle, il est urgent que la communauté internationale parvienne à un consensus sur le système de justice pénale internationale qui doit s'insérer dans le nouvel ordre international exigé par les difficultés économiques et financières autant qu'environnementales actuelles ».

M. Laurent Béteille (Essonne - UMP) a tenu, pour sa part, à souligner les première difficultés observables dans le fonctionnement de la Cour, proposant d'ores et déjà des pistes de réforme de son fonctionnement :

« Lorsqu'elle est entrée en fonction le 1 er juillet 2002, la Cour pénale internationale est apparue comme une avancée majeure en vue de juger les crimes les plus graves, qu'il s'agisse des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre ou des génocides. Elle venait concrétiser les efforts entrepris depuis 1945 en faveur d'un droit international en la matière, tel qu'esquissé à Nuremberg, puis mis progressivement en oeuvre à travers l'action des tribunaux pénaux internationaux.

Notre Assemblée ne peut qu'appuyer l'action d'une telle institution tant elle participe de la consolidation des droits de l'homme à l'échelle de la planète. Il convient néanmoins d'émettre quelques réserves quant à son efficacité, tant celle-ci dépend du nombre d'États signataires de la Convention de Rome l'instituant. Le cas du Soudan vient illustrer cet état de fait : les mandats d'arrêts émis contre des anciens ministres se heurtent au refus des autorités locales de reconnaître la compétence de la Cour et de lui livrer, en conséquence, les personnes visées. La Cour souffre, en fait, d'un défaut originel : l'absence de compétence universelle. Son autorité ne s'impose qu'aux États parties, à savoir cent-huit pays principalement issus d'Europe, d'Amérique du Sud et d'Afrique. Des puissances majeures telles que les États-Unis, la Russie, la Chine ou l'Inde n'ont pas ratifié le Statut de Rome et n'appuient pas l'action des Nations-Unies en faveur du respect des décisions de la Cour. On peut d'ailleurs se demander si certaines d'entre elles n'agissent pas ainsi parce qu'elles craignent des enquêtes les concernant. C'est donc un double message négatif qu'elles envoient au monde, par la non-ratification du Statut de Rome et par la crainte d'enquêtes internationales.

A cette difficulté s'ajoute la subordination de la Cour au principe de complémentarité, en vertu duquel elle n'intervient que lorsque les juridictions nationales concernées refusent ou se trouvent dans l'incapacité de sanctionner les crimes. De fait, censée relayer plus efficacement les tribunaux pénaux internationaux ad hoc, appelés à disparaître, la Cour se voit doter de moins de moyens juridiques, les compétences des TPI n'étant en effet limitées que dans le temps et l'espace. Il convient également de rappeler que la Cour ne peut juger que les crimes commis après son entrée en fonction, soit le 1 er juillet 2002.

Ma dernière réserve tient à la procédure elle-même. Les critiques à l'encontre des TPI se fondaient sur les mêmes raisons : une procédure trop longue, complexe et trop éloignée des victimes. L'établissement des faits comme la procédure accusatoire de type anglo-saxonne ralentissent l'action de la Cour et conduisent inévitablement à un désintérêt tant de la part des victimes que de l'opinion publique. Notre Assemblée doit saluer les efforts entrepris par la Cour, son souhait d'affirmer constamment son indépendance. Il est cependant nécessaire d'envisager d'ores et déjà des pistes de réforme afin qu'elle réponde le plus possible aux espérances initiales. Sa crédibilité, et par conséquent son avenir, en dépendent. »

La question de la ratification universelle du statut de la Cour demeure, pour l'instant, un voeu pieux. Comme le souligne la résolution adoptée par l'Assemblée parlementaire, huit États membres du Conseil de l'Europe ne sont pas signataires du Statut de Rome (Arménie, Azerbaïdjan, Moldavie, Monaco, République Tchèque, Russie, Turquie et Ukraine), quatorze États n'ayant pas non plus ratifié l'Accord sur les privilèges et immunités de la Cour, pourtant indispensable à son fonctionnement. Le texte invite ces États à effectuer cette démarche et appelle l'ensemble des États membres à coopérer efficacement avec la Cour.

C. LES ENQUÊTES SUR LES CRIMES QUI AURAIENT ÉTÉ COMMIS PAR DE HAUTS RESPONSABLES SOUS LE RÉGIME KOUTCHMA EN UKRAINE - L'AFFAIRE GONGADZE : UN EXEMPLE EMBLÉMATIQUE

Le rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme constitue un rappel judicieux des missions premières du Conseil de l'Europe, qui au-delà de l'aide technique apportée aux États dans la modernisation de leurs régimes politiques, se doit également de mettre en lumière les dérives observables à l'encontre de toutes les professions engagées dans le combat pour le respect des droits de l'Homme.

Premier ministre puis Président de la République entre 1992 et 2004, M. Leonid Koutchma a progressivement fait évoluer la démocratie ukrainienne vers un régime autoritaire, marqué par la mise sur écoute et la disparition d'un certain nombre de journalistes, l'assassinat de plusieurs personnalités de l'opposition et le suicide maquillé d'un ministre.

La disparition, à l'automne 2000, de Georgy Gongadze, journaliste d'investigation utilisant Internet comme moyen de diffusion de reportages portant sur la corruption apparaît, à cet égard, comme un symbole, tant elle concerne l'ensemble de l'appareil d'un État pourtant membre du Conseil de l'Europe depuis 1995. La récente condamnation de trois policiers dans cette affaire ne saurait constituer un résultat totalement satisfaisant tant que les commanditaires du crime ne seront pas appréhendés.

La résolution, telle qu'adoptée par l'Assemblée, invite les autorités ukrainiennes à poursuivre leurs investigations, préconisant notamment l'authentification des enregistrements réalisés dans le bureau du Président Koutchma - enregistrements Melnytchenko - afin de pouvoir, le cas échéant les utiliser. Le texte invite également l'Uktraine à enquêter sur les décès d'un député, d'un journaliste et d'un criminel stipendié par le ministère de l'intérieur ukrainien avant 2004.

Comme l'a souligné le débat en séance, au-delà du cas ukrainien, l'organisation d'un tel débat a valeur de symbole, dans un contexte marqué par une recrudescence des meurtres politiques, à l'image des assassinats des journalistes Anna Politovskaïa et Anastasia Baburova et de l'avocat Stanislav Markelov, en Russie.

D. LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE ENTRE LA GÉORGIE ET LA RUSSIE

La résolution 1633 (2008) relative aux conséquences du conflit entre la Géorgie et la Russie adoptée le 2 octobre dernier par l'Assemblée, prévoyait un certain nombre d'obligations à respecter par les deux belligérants, parmi lesquelles l'obligation de coopérer avec l'OSCE et l'Union européenne en vue de déployer leurs observateurs, la coopération à la mise en oeuvre d'une enquête internationale sur le déclenchement du conflit et l'aide aux missions humanitaires. La résolution enjoint également la Russie à revenir sur sa reconnaissance des indépendances de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. La Russie et les autorités d'Ossétie du sud devraient particulièrement mettre un terme à l'état de non-droit et fournir sans délai au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) un accès sans entraves aux régions touchées par le conflit. Les pourparlers de paix prévus à Genève le 15 octobre devaient, à cet égard, servir de première étape en vue de restaurer un dialogue concret entre les deux parties.

La mise en oeuvre, le 2 décembre dernier, d'une mission d'enquête internationale sur le conflit en Géorgie répond clairement à la volonté de l'Assemblée parlementaire de faire la lumière sur les raisons de l'escalade militaire, préalable nécessaire à toute reprise du dialogue entre les parties. L'accord de la Géorgie et de la Russie à l'ouverture de cette enquête représente un signe positif. Le déroulement convenable des pourparlers à Genève est également de bon augure, une représentation des autorités de fait d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud devant néanmoins être assurée sans pour autant légitimer une quelconque atteinte à l'intégrité territoriale de la Géorgie.

Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - Soc) juge à cet égard intangible ce principe et relativise les concessions affichées comme telles par la Russie :

« Le Conseil de l'Europe est un espace unique au monde, où l'on défend à la fois la paix, la démocratie et les droits - droit des États et les droits de l'Homme - et, comme le disait notre collègue albanais, nous n'avons ni armes ni argent. Nous n'avons que le débat politique et la force des mots : nous devons avoir ce débat ! Et avoir beaucoup de courage et d'exigence.

Si je fais le constat que vous avez tous fait en essayant d'apporter quelque chose d'original, je dirai que nous n'avons pas réussi à empêcher la guerre entre deux États. C'est assez consternant pour nous tous. Et maintenant, on cherche la vérité sur qui a tiré le premier ! J'ai bien envie de vous demander, chers amis : ne savez-vous pas tous ce qu'est cette vérité ? Avons-nous vraiment besoin d'une étude, d'une enquête ou d'un audit pour le savoir ? J'ai aussi envie de vous dire qu'en politique comme en histoire, il faut toujours distinguer les causes immédiates des causes profondes. J'espère qu'ici, personne n'ignore les causes profondes de cette situation.

Dans ce constat, il y a eu un instant l'ambigüité du cessez-le-feu, à l'initiative du président de l'Union européenne de l'époque, qui était français. Le mot « intégrité » n'y figurait pas... et la porte était ouverte ! Je regrette comme vous ce qui s'est passé, mais je pense que l'une des choses les plus inattendues et probablement l'erreur la plus profonde commise par la Russie est d'avoir déclaré l'indépendance unilatérale de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, ce que jamais elle n'avait fait pour un territoire sécessionniste et qu'une grande puissance puisse modifier unilatéralement les frontières d'un État ne s'est jamais vu. Quand on nous dit aujourd'hui que c'est fait et que c'est irréversible, on accroît le dommage de la faute.

De plus, la Russie a voté contre le renouvellement du mandat de l'OSCE. Je précise, cher collègue russe Fedorov, qu'il n'y a pas de retrait mais une occupation qui dure et j'espère que dans les amendements que vous avez introduits, on a levé toutes les confusions sur les statuts. Il n'est même pas pensable que comparer la façon dont pourrait être réglé le problème de l'Abkhazie avec le Kosovo ait pu effleurer l'esprit de quelques uns.

Introduire cette notion de flexibilité. Que signifie cette histoire de flexibilité ? Je pense que l'on a aussi gommé cette histoire de droit de sécession légale. Attention ! Ce sont là des embardées que je qualifierai de dérives. Pas ici !

Que veut la Russie ? Jusqu'où peut-on la laisser aller trop loin ?

Que veut l'Europe ? Que peut l'Europe ? En l'état rien, si nous ne la poussons pas plus avant en termes politiques et aussi en termes de défense, entre l'Otan d'un côté et cette Russie qui redeviendra une puissance dont nous voulons faire un partenaire. »

La commission de suivi considère que la feuille de route dressée par la résolution 1633 (2008) n'est pas totalement respectée, qu'il s'agisse de l'accès des observateurs de l'OSCE et de l'Union européenne dans les Républiques sécessionnistes, du laissez-faire russe à l'égard des tentatives de nettoyage ethnique observables en Ossétie du Sud (district d'Akhalgori) ou des tensions décelables le long des frontières administratives abkhaze et ossète. L'absence d'ouverture d'enquête par la Russie concernant d'éventuelles violations des droits de l'Homme par ses troupes traduit également un net recul par rapport aux engagements initiaux. L'absence de garantie effective des droits de l'Homme pour les personnes résidant dans les deux Républiques sécessionnistes suscite également l'inquiétude de la commission.

La résolution telle qu'adoptée par l'Assemblée appelle une nouvelle fois à un renforcement du dialogue entre les parties, doublé d'une réelle présence du Conseil de l'Europe sur le terrain, ainsi qu'elle le demandait déjà dans le texte adopté en octobre dernier. La demande de création d'une commission ad hoc au sein de l'Assemblée, déjà demandée en octobre, chargée de jeter les bases d'un dialogue entre les parties est, à cet égard, réitérée. L'ouverture d'un accès sans entrave et sans condition aux organisations humanitaires fait, également, toujours figure de priorité.

La spécificité du volet humanitaire du conflit a également été abordée au sein de l'hémicycle au travers du débat sur les conséquences du conflit en la matière. 200 000 personnes ont en effet dû quitter leurs foyers à l'occasion du conflit. 100 000 d'entre elles ont pu réintégrer leurs domiciles, 23 000 ne devraient pas pouvoir en faire de même, alors que l'hiver s'est installé dans la région. Le retour aux abords des frontières administratives s'avère, à cet égard, extrêmement délicat face aux incidents observés dans ces zones : kidnappings, tireurs embusqués, présence de milices. Le gouvernement géorgien se retrouve obligé de mettre en oeuvre, dans un contexte économique difficile, un plan d'action à destination des réfugiés présents sur son territoire.

Comme l'a souligné M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP), président de la délégation française, le conflit entre la Géorgie et la Russie, deux États membres du Conseil de l'Europe constitue une véritable tragédie quotidienne pour les habitants des zones concernées par la guerre, à rebours des idéaux défendus par le Conseil :

« Oui ou non, nos amis russes et géorgiens ont-ils l'intention de dialoguer enfin et de mettre un terme à ce conflit qui est d'un autre temps ? Oui ou non, avez-vous pensé à ces femmes, à ces hommes qui, au quotidien, vivent un véritable cauchemar, à ces enfants traumatisés du fait de la bêtise des hommes qui ne sont pas capables de s'entendre et de faire la paix dans leur propre pays ?

Allez-vous respecter les engagements que vous avez contractés puisque vous avez décidé librement de nous rejoindre ici dans cet hémicycle du Conseil de l'Europe, dans cette Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dans ce Conseil de l'Europe qui est la Maison des droits de l'Homme ?

Relisez les discours des pères fondateurs du Conseil de l'Europe ! Relisez les discours de Sir Winston Churchill ! Respectez vos engagements ! Bien sûr, il ne s'agit que d'une résolution prise par des femmes et des hommes qui, eux aussi, ont choisi de venir siéger librement dans cette enceinte. Ne croyez-pas qu'il va encore y en avoir deux ou trois autres et qu'à chaque fois, nous allons nous réunir pour faire le constat de carences que nous sommes obligés de dresser aujourd'hui.

Vous devez respecter vos engagements, vous devez respecter ces femmes et ces hommes qui ont le courage d'aller sur le terrain au nom de l'Union européenne, de l'OSCE, des Nations Unies, du Conseil de l'Europe. A ce propos, je salue le travail accompli par le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe. Cela mérite le respect. Faites en sorte que vous aussi méritiez le respect. Alors que nous sommes assis confortablement ici dans cet hémicycle, je ne peux pas ne pas penser à ceux que j'ai cités, à ces femmes, à ces enfants, à ces hommes qui vivent une véritable tragédie.

En 1949, le Conseil de l'Europe a été créé pour que plus jamais nous ne puissions connaître ce que nous avions connu. Personnellement, je ne l'ai pas connu, puisque je suis né après la guerre. Nos prédécesseurs, eux, ne savaient pas ce qui se passait, mais nous le voyons puisque les télévisions du monde entier diffusent les images de ce qui se passe sur le terrain.

Je vous en conjure. Cessez ! Arrêtez ! Conduisez-vous en hommes et en femmes responsables ! Mettez une bonne fois pour toutes un terme à ce conflit ! »

M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a tenu, quant à lui, à souligner la prise en otage des populations civiles observables dans les régions sécessionnistes et les risques d'épuration ethnique qui y sont en germe :

« La guerre entre la Géorgie et la Russie, en août dernier, n'a duré que cinq jours, mais a causé des dommages humanitaires profonds et durables. Pour autant, le bilan humanitaire définitif de cette guerre reste à établir, tant les incertitudes demeurent nombreuses. Sans doute du temps supplémentaire est-il nécessaire pour le dresser.

Comme toutes les guerres, celle entre la Géorgie et la Russie a engendré son lot de désolations en tout genre : morts, blessés, destructions, déplacements de populations, vies brisées... « La guerre n'est pas une aventure, la guerre est une maladie », disait Saint-Exupéry. La convalescence sera indéniablement longue et douloureuse.

La situation sécuritaire demeure instable sur le terrain. La situation est tendue et les incidents courants, notamment en Ossétie du Sud. Des accrochages policiers, des tirs de snipers, des enlèvements, des vols sont apparemment fréquents. Ils rendent difficiles les conditions de vie des personnes rentrées dans leurs foyers et constituent une menace permanente pour les populations qui, faute d'assurance sur la sûreté de leur environnement quotidien, sont susceptibles, à chaque instant, de reprendre le chemin de l'exode.

Comme très souvent dans les conflits armés, les populations civiles servent de cibles potentielles et sont instrumentalisées à des fins politiques. Cette « prise en otage » n'est pas acceptable. Les forces armées russes, sous couvert de venir en aide aux populations ossètes, transforment l'Ossétie du Sud en une région coupée du reste du monde. Aucune mission d'observation ne peut se rendre sur place. La prétendue indépendance de l'Ossétie du Sud, déjà illégale au regard du droit international, risque fort de n'être que la première étape d'une intégration dans la Fédération de Russie.

On doit aussi constater un risque d'épuration ethnique à l'endroit des populations géorgiennes qui sont restées dans les régions sécessionnistes, ou qui y sont revenues après la fin des opérations militaires. Que des pressions grandissantes soient exercées pour cesser d'enseigner le géorgien et pour abandonner les manuels scolaires géorgiens me paraît de très mauvais augure. S'en prendre ainsi à l'éducation et à la transmission de la culture, c'est chercher à semer la haine des autres dans l'esprit des enfants afin d'éradiquer toute trace de culture considérée comme intruse. Cela relève potentiellement des mêmes « inspirations » que celles en vigueur autrefois dans l'ex-Yougoslavie. Nous devons fermement refuser toute mesure qui chercherait à constituer des territoires ethniquement purs.

Je terminerai sur la mission de surveillance de l'Union européenne en Géorgie, l'EUMM. Notre rapporteur relaie un certain nombre de critiques relatives à son fonctionnement. Je n'ai pas d'éléments suffisants pour pouvoir apprécier ces critiques. Aussi ferai-je une proposition. Il me semblerait utile d'entendre, par exemple, le responsable de l'EUMM, le diplomate allemand Hansjörg Haber, qui est secondé par le général français Gilles Janvier. Ils nous apporteraient beaucoup d'informations fort utiles. »

La résolution telle qu'adoptée par l'Assemblée rappelle aux parties en présence la nécessité de respecter les Conventions de La Haye et de Genève et de veiller à ce que l'aide humanitaire soit la plus efficace possible. Elle vise également à garantir le droit au retour pour les personnes réfugiées ou tout au moins à faciliter leur installation au sein d'autres zones. La libération des prisonniers, la restitution des cadavres et l'arrêt des prises d'otages sont, par ailleurs, considérées comme prioritaires, comme a pu le souligner le commissaire au droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, M. Thomas Hammarberg, invité à participer au débat. Le texte souhaite, en outre, la prolongation des mandats des missions des Nations unies, de l'Union européenne et de l'OSCE.

E. LA SITUATION À GAZA

Le conflit entre Israël et la Palestine est une confrontation de multiples droits : droit à la sécurité des Israéliens et droit à vivre au sein d'un État viable pour les Palestiniens. Organisée en urgence, la tenue d'un débat sur la situation à Gaza répond à la volonté du Conseil de l'Europe de s'affirmer un peu plus sur la scène internationale, et plus particulièrement dans le bassin méditerranéen, comme l'a souligné M. François Rochebloine (Loire - UMP) :

« En abordant devant vous la question si douloureuse de la situation présente dans la bande de Gaza, j'éprouve à la fois un sentiment de nécessité et une certaine impression d'impuissance.

Depuis longtemps, en effet, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe conduit une réflexion sur l'avenir de la Méditerranée, sur le dialogue entre les États riverains ou proches, sur la confrontation et l'échange des cultures.

Nous savons donc tous très bien à quel point ce qui se passe au Moyen-Orient est essentiel pour l'équilibre du monde.

En même temps, nous enregistrons le développement d'une logique implacable d'affrontement et de mort, dont les événements de Gaza sont la dernière en date des manifestations.

Certes, les efforts diplomatiques et, au premier rang, l'intervention personnelle du Président Nicolas Sarkozy, ont permis l'établissement d'une trêve et une certaine pause dans le processus de mort. Mais personne ne l'ignore, rien n'est réglé sur le fond. Aux racines premières de l'affrontement, qui remontent à l'immédiat après-guerre, s'ajoutent aujourd'hui des facteurs aggravants.

En effet, la lassitude de l'opinion publique israélienne lui a fait apprécier positivement une offensive qui lui paraissait capable de mettre un terme aux agressions répétées et aux actes terroristes du Hamas.

Certes, je peux comprendre que le gouvernement israélien ne puisse accepter la reconnaissance d'un adversaire comme le Hamas, qui fait de l'élimination de l'État d'Israël le premier article de son programme politique.

Toutefois, c'est un fait, les Palestiniens de Gaza ont majoritairement voté pour ce mouvement car il correspond le plus exactement à leur perception de leur propre situation : pas d'avenir politique, l'incertitude concrète des lendemains, et la précarité du quotidien. On ne peut pas faire comme si ce vote n'existait pas.

Il est clair que, dans ces conditions, le dialogue direct entre Israéliens et Palestiniens est très difficile, voire impossible à court terme. Pourtant, la négociation doit s'engager. Seul un cadre international permettra la réouverture des pourparlers et la reprise de la marche vers une paix indispensable.

J'insisterai sur l'une des conditions nécessaires pour que ce processus ait une chance raisonnable de réussir : la restauration et la garantie de la capacité effective de négocier de la partie palestinienne. Cela passe, naturellement, par l'aboutissement des discussions internes entre les divers mouvements qui se partagent la population palestinienne. Cela passe aussi par la restauration des conditions d'une vie politique et matérielle plus normale en Palestine.

Comment peut-on attendre des Palestiniens qu'ils fassent preuve d'une telle capacité, alors que les conditions matérielles objectives font défaut : un territoire éclaté en deux morceaux séparés par un État hostile, une vie économique et sociale constamment dépendante de la volonté et des intentions de l'État d'Israël ?

Dans la marche vers la paix, le respect effectif de la personnalité internationale de la partie palestinienne, même dans ses limites actuelles, me paraîtrait un pas important. J'ose espérer que ce voeu sera largement partagé sur tous les bancs de notre Assemblée ».

Précédés d'une intervention de chacune des parties en présence, les débats ont uniquement permis de dégager un consensus a minima sur une nécessaire reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens et l'arrêt des violences à l'encontre des populations civiles. M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP), président de la délégation, a souhaité que le Conseil de l'Europe dépasse ce stade de la dénonciation pour mettre en oeuvre une assistance ciblée, destinée notamment à lutter contre la pauvreté, mère de tous les extrémismes :

« Parler du Proche-Orient, c'est évoquer le mythe de Sisyphe.

Condamné à rouler éternellement un rocher jusqu'en haut d'une colline d'où il lui fallait redescendre au moment même où il atteignait le sommet, Sisyphe pourrait être la figure tutélaire de toutes les négociations au Proche Orient.

Depuis des décennies, les conflits dans cette région mettent en péril la sécurité du monde. Depuis le 27 décembre dernier, nous revoyons défiler pour la énième fois les chars, les roquettes, les frappes aériennes, les morts, les blessés, les destructions, les affamés, les protestations et les cris.

Devant cette déferlante, faut-il succomber au fatalisme ? Pour ma part, je ne le pense pas. Rien n'est écrit d'avance. L'homme est doté de liberté. Aux sceptiques, opposons l'évidence ! Si le Conseil de l'Europe existe, c'est précisément parce que le fatalisme de la guerre n'existe pas. Si les conflits au Proche-Orient sont anciens, les conflits en Europe ne l'étaient-ils pas ?

Mais, pour préserver ce que nous avons durement acquis, nous devons agir. Nous devons agir comme nous le faisons face aux conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie. Nous devons agir comme nous le faisons ce soir en pesant de notre poids dans le règlement du conflit au Proche-Orient.

A l'évidence, le retrait partiel des troupes israéliennes de la bande de Gaza est une excellente nouvelle. Ce résultat est en grande partie le fruit de négociations qui n'ont pas cessé depuis le début du conflit. Les initiatives européennes, en particulier celles du Président Sarkozy lors de ses deux déplacements dans la région, ont eu un effet décisif sur l'évolution de la situation.

Toutefois, si les négociations destinées à assurer un cessez-le-feu et à régler les points les plus épineux du conflit sont toujours nécessaires, celles concernant l'aide aux populations ne le sont pas moins. Inutile de rappeler le lourd tribut payé par les populations civiles. Inutile de rappeler les destructions de maisons et de services. Nous avons tous en tête les images et les chiffres des conséquences de cette guerre.

Demandons-nous plutôt comment contribuer à la reconstruction des zones sinistrées. Car le Conseil de l'Europe a une longue tradition en la matière. Depuis 1956, existe la Banque de développement du Conseil de l'Europe. Cette banque, la plus ancienne institution financière multilatérale européenne, a pour mandat de répondre à des situations d'urgence. L'aide aux réfugiés, aux migrants, aux populations victimes de catastrophes naturelles ou écologiques sont ses principales activités.

Je suis naturellement conscient que la Banque de développement du Conseil de l'Europe s'adresse prioritairement aux pays membres du Conseil de l'Europe. Mais, n'y aurait-il pas là un geste de solidarité que nous pourrions faire vis-à-vis des populations touchées par la guerre ? N'y aurait-il pas là une contribution décisive au rétablissement de la paix ?

Les extrémismes se nourrissent de la pauvreté et de l'indigence. Contribuer financièrement à l'aide internationale, dans un cadre qu'il faudrait naturellement déterminer pour ne pas assister à un détournement de l'aide, pourrait se révéler significatif pour l'apaisement des tensions au Proche Orient ».

Sans remettre en cause la nécessité de son organisation, il convient de noter que le débat n'a pu déboucher sur une position de principe unanime engageant l'Assemblée.

F. ATTITUDE À L'ÉGARD DES MONUMENTS COMMÉMORATIFS FAISANT L'OBJET DE DIFFÉRENTES INTERPRÉTATIONS HISTORIQUES DANS LES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L'EUROPE

L'héritage des régimes totalitaires au sein des États membres du Conseil de l'Europe est une question régulièrement débattue devant l'Assemblée parlementaire. Le biais culturel est cependant une première, qui trouve son origine dans le conflit entre l'Estonie et la Russie au sujet du monument dédié aux soldats russes tués pendant la Seconde Guerre mondiale - le soldat de bronze - érigé à Tallin au lendemain du conflit. Symbole de la victoire contre le nazisme et le fascisme, ce type de monument n'en est pas moins la marque de la domination d'un autre modèle totalitaire, le régime soviétique, sur ces régions.

La commission des questions politiques préconise un traitement différencié quant à ces monuments. S'agissant des tombeaux, elle enjoint les États membres à respecter les conventions internationales existantes. Avant de célébrer une nation, ces monuments saluent, avant tout, un don de sa personne. Les monuments spécifiquement dédiés à la victoire russe doivent, quant à eux, faire l'objet d'un traitement particulier. La résolution telle qu'adoptée rappelle que leur conservation relève de la compétence discrétionnaire de chaque État. La destruction ou le placement dans un musée de ces monuments ne saurait être condamné par le Conseil de l'Europe.

Le texte ne dédaigne pas pour autant la nécessité de mettre en oeuvre un processus de réconciliation entre les États opposés sur ces questions. La commission des questions politiques s'inquiète, à cet effet, de toute instrumentalisation de l'histoire. La création d'un centre européen d'expertise chargé d'aider les États membres dans leurs recherches historiographiques et archéologiques en vue de déterminer la nature et l'origine des monuments est, à cet égard, encouragée par la résolution. Ce centre pourrait, en outre, s'appuyer sur une base de données commune, fournissant une liste complète des tombes de guerre et des monuments commémoratifs présents dans les États membres du Conseil de l'Europe. Cette tâche apparaît ambitieuse au regard des 47 000 lieux où sont inhumés des soldats de la Seconde Guerre mondiale.

G. CONTESTATION POUR DES RAISONS FORMELLES DES POUVOIRS NON ENCORE RATIFIÉS DE LA DÉLÉGATION PARLEMENTARE DE L'ALBANIE

Les pouvoirs de la délégation albanaise ont été contestés au début de la partie de session, en raison du retrait de M. Aleksandër Biberaj, son président, de ladite délégation. Ce retrait aurait été effectué en violation de l'article 6.1 du Règlement de l'Assemblée, aux termes duquel les pouvoirs des représentants et des suppléants sont remis au Président de l'Assemblée parlementaire par le Président de l'assemblée locale concernée ou toute autre personne déléguée à cet effet. L'autorité compétente est notifiée par l'État au Secrétaire général de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Les membres de la délégation albanaise ont été désignés le 7 novembre 2005. Le 8 janvier dernier, M. Biberaj a été remplacé par M. Ilirjan Rusmali. Une lettre transmise, le même jour, par le Président du Parlement albanais à son homologue de l'Assemblée parlementaire venait confirmer cette modification. Cette lettre intervenait trois jours après l'envoi d'une première liste. Cette révision tardive n'est pas, cependant, de nature à poser problème.

Le fondement de la contestation se situe plus dans l'information tardive du Parlement albanais, les députés locaux étant avisés le 26 janvier, soit le premier jour de la première partie de session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Le Règlement du Parlement albanais prévoit en effet que toute modification de la liste doit être communiquée en séance avec possibilité, en cas de contestation, de procéder à un vote ouvert. Le calendrier parlementaire albanais, marqué comme au sein d'autres États membres, par une interruption au moment des fêtes, justifie, néanmoins, un tel retard. La commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles ne pouvait, en conséquence, souscrire à la demande de retrait des pouvoirs.

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