MME COLETTE NEUVILLE, PRÉSIDENTE DE L'ASSOCIATION DE DÉFENSE DES ACTIONNAIRES MINORITAIRES M. PIERRE-HENRI LEROY, PRÉSIDENT DE PROXINVEST

Présidence de M. Patrice GÉLARD, vice-président de la commission des lois

M. Patrice GÉLARD, sénateur de la Seine-Maritime, vice-président de la commission des lois - Nous accueillons maintenant Madame Colette Neuville, présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires, et Monsieur Pierre-Henri Leroy, président de Proxinvest. Madame, je vous laisse la parole.

Mme Colette NEUVILLE, présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM) - Merci, Messieurs et Mesdames les sénateurs, Monsieur le président, de nous avoir invités à nous exprimer dans cette enceinte. Vous nous avez demandé de répondre à trois questions, la première étant notre sentiment sur la politique actuelle des sociétés en matière de rémunération des dirigeants.

Je dirais que malgré les textes, nombreux depuis 2001 - puisqu'il y a eu successivement la loi sur les nouvelles régulations économiques, la loi de sécurité financière, la loi Breton, la loi TEPA - et malgré les recommandations de l'AFEP et du MEDEF, on a l'impression que les choses n'ont pas vraiment changé. On a entendu tout à l'heure Monsieur Lebègue dire que depuis 1997 la rémunération moyenne des dirigeants avait augmenté en moyenne de 15 % par an. On voit bien que malgré tous les textes, il n'y a rien à faire, cela continue. Le problème est de savoir pourquoi. Un premier argument avancé par les parties prenantes au système actuel de rémunérations est de dire : « Il faut responsabiliser les acteurs. » On a entendu Monsieur Lebègue le dire tout à l'heure ; je n'ai pas entendu Madame Parisot mais je pense qu'elle a dû dire la même chose. Je suis tout à fait d'accord, parce que nous sommes dans une société de liberté et que la contrepartie de la liberté est la responsabilité.

Le problème est que la responsabilité dans notre système ne fonctionne pas. Il est extrêmement difficile de mettre en cause la responsabilité des administrateurs : ça coûte cher, c'est très long et généralement inefficace. Deux décisions de justice assez récentes viennent sans doute contredire cette affirmation. D'abord, une décision du tribunal de commerce de Nanterre a condamné le président du comité d'audit et le président-directeur général de Rhodia à rembourser une indemnité versée d'une manière qui a été considérée comme illégale à l'ancien président de cette société. Mais cette décision n'est pas définitive, il y a un appel et il faut attendre de voir ce que décidera la cour d'appel de Versailles. Ensuite, il y a la décision concernant les indemnités de retraite de M. Daniel Bernard à la suite de son départ de Carrefour. Peut-être y a-t-il dans ce domaine une certaine évolution du côté de la jurisprudence ; si c'est le cas, cela permettrait de rendre effective la responsabilité des administrateurs. Mais pour l'instant, je pense qu'il est un peu prématuré de compter sur cette responsabilité : de toute façon cela reste onéreux à mettre en place et c'est un système de contrôle a posteriori ; il y a donc toujours un certain décalage entre les faits et leur correction par la justice.

Une autre chose qui n'a pas changé est le discours qui consiste à dire qu'il faut s'aligner sur les patrons étrangers - il y a eu un rattrapage mais on a continué encore au-delà du rattrapage - ou encore celui qui consiste à dire que si on ne leur accorde pas des rémunérations très élevées, on n'arrivera pas à motiver les dirigeants et que certains partiront vers l'étranger. Je voudrais que l'on me cite beaucoup d'exemples de dirigeants français recrutés à l'étranger : on ne doit même pas les compter sur les doigts d'une main. D'autre part, dire qu'il faut les motiver par des rémunérations très élevées ne tient pas lorsque par exemple on compare la rémunération des banquiers centraux - je parle de Monsieur Trichet, du président de la Banque fédérale américaine ou encore de la Banque d'Angleterre, dont les rémunérations se chiffrent à peine à quelques centaines de milliers d'euros - aux rémunérations des banquiers privés et au montant de leurs rémunérations, qui atteignent plusieurs millions d'euros, avec les résultats que l'on voit en ce moment. Dire que les rémunérations très élevées sont nécessaires pour motiver les dirigeants et pour les rendre efficaces me paraît donc être une contre-vérité.

Pourquoi les conseils d'administration et les comités de rémunérations continuent-ils à considérer qu'il faut des rémunérations aussi élevées pour avoir de bons dirigeants ? Une raison a été avancée tout à l'heure ; les comités de rémunérations ne sont probablement pas aussi indépendants que l'on voudrait bien le dire, ils vivent dans des cercles relativement fermés. J'en parle d'autant plus facilement que j'ai moi-même plusieurs expériences d'administrateurs de sociétés cotées. Il est très difficile d'obtenir qu'une indemnité de départ ne soit pas versée, même quand apparemment elle n'est pas due et il est très difficile de discuter la rémunération au sein des conseils d'administration. Un administrateur qui n'est pas d'accord est vite considéré comme ne connaissant pas les bonnes règles, et il y a un soupir de soulagement quand il quitte le conseil. C'est en tout cas le sentiment que j'ai eu. Les conseils d'administration et les administrateurs ne sont pas au diapason du sentiment des actionnaires et des salariés. En ce qui concerne les actionnaires, il y a deux sensibilités : les actionnaires individuels que l'on entend dans les assemblées générales et qui ont une sensibilité qui ressemble plus à celle de l'opinion publique ; puis les plus grands actionnaires -les institutionnels, les étrangers-, qui se rapprochent davantage de la sensibilité des dirigeants. Il y a donc manifestement une scission à l'intérieur des actionnaires. Et comme les grands actionnaires pèsent plus lourd que les actionnaires individuels, généralement, les rémunérations soumises aux les conventions réglementées sont votées. Elles sont votées avec des majorités qui certes, peuvent diminuer un peu d'année en année, mais qui passent sans difficulté.

En ce qui concerne la transparence, bien sûr, il faut de la transparence, c'est absolument nécessaire, mais elle a eu aussi des effets pervers. Le fait de publier les rémunérations a entraîné des alignements d'un secteur à l'autre, ainsi que d'une société à l'autre. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas de transparence, mais que la transparence doit être accompagnée de la responsabilité, sinon elle a un effet inflationniste. Il en est de même de la pratique consistant à consulter des conseils en rémunérations : ces entreprises de conseils en rémunérations sont fréquemment appelées à l'aide par les comités de rémunérations qui ne veulent pas prendre la responsabilité de fixer des rémunérations élevées. Ces comités se déchargent finalement de leur tâche sur des consultants en rémunérations, qui se contentent souvent de faire du benchmarking par rapport aux pays étrangers et par rapport aux autres sociétés, avec un effet d'inflation assuré : le système ne peut marcher qu'à la hausse, il ne peut jamais fonctionner à la baisse. Je pense qu'il serait temps que les comités de rémunérations - qui peuvent certes faire appel à des consultants s'ils veulent avoir des points de comparaison - conservent leur liberté de jugement par rapport à ces entreprises et éventuellement, n'acceptent pas telles quelles les échelles de rémunération qui leur sont fournies.

Je voudrais en venir à votre seconde interrogation : les effets des recommandations AFEP-MEDEF semblent-ils d'ores et déjà mesurables ? Mesurables, ils le sont certainement, puisque l'on sait déjà qu'au 31 décembre 2008, date fixée par l'AMF, la quasi-totalité des entreprises du CAC 40 avaient publié un communiqué indiquant qu'elles se réfèreraient aux recommandations AFEP-MEDEF dans leur prochain rapport annuel. Mais se référer aux recommandations ne veut pas dire qu'elles vont les appliquer. Cela veut dire qu'elles vont expliquer pourquoi elles les appliquent ou pourquoi elles ne les appliquent pas, puisqu'il est possible de ne pas appliquer ces recommandations à condition d'expliquer pourquoi : c'est le fameux principe anglais « comply or explain ». Le fait que toutes les entreprises du CAC 40 -à l'exception de STMicroelectronics, je crois, parce que c'est une entreprise hollandaise- aient publié un communiqué disant qu'elles allaient se référer aux recommandations AFEP-MEDEF, signifie simplement qu'elles acceptent d'expliquer si elles vont les suivre ou non. Nous verrons donc à l'issue de la période de transition, c'est-à-dire à l'expiration des mandats en cours, si la règle de non-cumul, la limitation des parachutes dorés, la soumission de ces parachutes dorés et des stock-options à des conditions de performance, ont été suivies et dans quelle mesure certaines entreprises auront décidé de ne pas les suivre et pour quelles raisons.

Troisième question : y a-t-il lieu, selon nous, de légiférer à nouveau dans un domaine qui relève en premier lieu de la responsabilité des actionnaires ? Je dirais qu'il ne me semble pas nécessaire de légiférer à nouveau, notamment pour fixer des plafonds ou imposer des contraintes complémentaires. Mais je pense qu'étant donné qu'on ne peut pas faire confiance aux conseils d'administration - l'expérience le montre - il faudrait donner davantage de pouvoir aux actionnaires pour encadrer davantage la rémunération des dirigeants. Il ne s'agit certes pas de discuter en assemblée générale de la rémunération des dirigeants : cela conduirait sur le plan technique à des solutions inadéquates et donnerait lieu à des débats forcément démagogiques. Mais il y a d'autres moyens pour encadrer les rémunérations. La législation serait nécessairement rigide car elle imposerait les mêmes règles, quels que soient les secteurs d'entreprise. Or, on conçoit bien que les règles de rémunération n'ont pas à être les mêmes dans le secteur de la sidérurgie, dans le secteur des services informatiques ou dans la grande distribution. On conçoit également que les règles de rémunération n'aient pas à être les mêmes dans une société qui démarre -une petite start-up- et dans une société mature du CAC 40 ou une grande multinationale. Donc pour laisser à la fois de la souplesse entre les secteurs économiques et de la souplesse à l'intérieur des entreprises, il serait possible d'imaginer un système dans lequel chaque société fixerait dans ses statuts des règles - non pas des montants mais des règles. Par exemple, le fait que la rémunération maximale ne pourrait pas être plus de « x fois » supérieure au salaire minimum ou au salaire moyen. Il resterait à chaque société de définir l'échelle des salaires ou des rémunérations qui lui paraît le mieux convenir à son activité. Ce système aurait l'avantage de pouvoir être modifié à l'intérieur de la vie de la société : il suffirait de réunir une assemblée générale extraordinaire statuant à la majorité des deux tiers, ce qui garantirait que ce système ne pourrait pas être modifié tous les ans.

Peut-être faudrait-il aussi améliorer, en dehors des règles qui seraient fixées par les statuts, les critères de performance auxquels sont liées la rémunération variable, l'attribution des stock-options et l'attribution des indemnités de départ. Ces critères de performance sont l'élément qui déclenche la rémunération et qui va déterminer son montant. Or les critères de performance que l'on a utilisé jusqu'à maintenant me paraissent souvent très dangereux, je dirais même « pousse au crime ». L'EBITDA, par exemple, c'est-à-dire l'excédent brut d'exploitation retenu comme critère de performance dans les sociétés pousse les banques à augmenter leur chiffre d'affaires, c'est-à-dire le volume des créances distribuées, sans tenir compte du fait que ces créances pourraient peut-être ne jamais être remboursées. Autrement dit, les critères de performance devraient être tels qu'ils ne poussent pas les dirigeants à prendre des risques avec l'argent des autres. Il est trop facile de prendre des risques avec l'argent des autres ; or c'est précisément ce que l'on a fait et que l'on fait de plus en plus. Plus on a développé des systèmes basés sur des critères de performance, plus on a vu les dirigeants prendre des risques avec l'argent des autres. C'est le cas pour les stock-options, c'est le cas pour les rémunérations variables, avec en plus des systèmes d'indemnités de départ qui font que finalement, ceux qui ont pris trop de risques et qui ont fini par se faire révoquer, ont une indemnité plus que confortable pour partir. Je pense donc que les critères de performance devraient obligatoirement inclure un critère qui tienne compte des risques que l'on fait prendre à l'entreprise.

Il faut pondérer la performance par les risques. N'importe quel investisseur a pour objectif de trouver un équilibre entre son objectif de rentabilité et les risques qu'il accepte de prendre. Il est à mon avis totalement aberrant de pousser un dirigeant à prendre des risques alors que ce n'est pas lui qui va supporter les conséquences, mais les actionnaires et les salariés de son entreprise. Je pense qu'il y a une espèce de révolution à faire qui nous ramènerait d'ailleurs aux fondamentaux du capitalisme. Le profit est la rémunération du risque : il en résulte qu'un dirigeant ne devrait pas pouvoir tirer profit de décisions qui ne mettent pas en risque son propre patrimoine mais uniquement le patrimoine des autres. Il y a donc une réforme à faire. Je ne saurais pas vous dire aujourd'hui comment pratiquement prendre le risque en compte dans les critères de performance mais cela me paraît être une condition absolument nécessaire pour que l'on ne voit pas le capitalisme poursuivre le chemin qu'il a pris depuis les dix ou quinze dernières années, c'est-à-dire une prise de risques effrénée sans aucune conséquence pour ceux qui les prennent et uniquement pour l'argent des autres. Voilà les quelques remarques que je voulais faire. Bien sûr, il y a beaucoup d'autres choses à dire, mais je pense qu'il faut que je laisse du temps à Pierre-Henri Leroy pour qu'il puisse exposer ses idées, il en a beaucoup.

M. Patrice GÉLARD - Bien. Nous poserons les questions après l'intervention des deux intervenants. Monsieur Leroy, vous avez la parole.

M. Pierre-Henri LEROY, président de Proxinvest - Merci, Messieurs et Mesdames les sénateurs de cet accueil. Merci, d'abord, parce que vous m'honorez beaucoup de me recevoir aux côtés de Colette Neuville : c'est toujours pour moi un très grand honneur que d'être auprès d'elle, dont je partage pratiquement toutes les positions - pas toutes bien sûr, parce que les bons couples ont parfois des désaccords. Mais sur le fond, j'ai une telle estime, depuis quinze ans, pour le travail de Colette Neuville, que j'ai toujours un extrême bonheur à l'entendre, car je me retrouve dans beaucoup de choses de ce qu'elle dit. Vous allez donc entendre un point de vue différent, mais qui rejoint, sur l'essentiel, tout ce que vient d'être dit.

Proxinvest est une société de conseil à la décision dans les assemblées générales des grandes sociétés de gestion - parce que ce sont les seules qui peuvent payer, mais nous travaillons dans l'intérêt de tous les actionnaires, petits ou grands, il n'y a aucune distinction pour nous, c'est exactement la même chose : une action égale une voix, l'intérêt des gros actionnaires doit être traité exactement comme l'intérêt des petits. Nous avons, sur les trois questions que vous nous avez posées, des réponses qui sont très proches de celles de Colette Neuville, en tout cas sur l'analyse de fond. L'analyse de fond, c'est que nous avons là un phénomène d'échelle de perroquet. C'est un phénomène mondial que nous avons expliqué depuis une dizaine d'années parce que nous sentions nous-mêmes qu'il y avait des difficultés de fonctionnement dans les assemblées générales.

Je signale que je suis un entrepreneur qui a quand même multiplié l'emploi par neuf ou dix ans et qui a toujours payé ses dividendes. Donc je me permets, vis-à-vis des personnes précédemment entendues par la commission qui représentent plutôt le patronat classique, de rappeler que je suis un patron. Je suis un membre de l'ANSA et je m'en flatte, mais je ne suis pas du tout invité par l'AFEP ou le MEDEF à discuter des questions traitées aujourd'hui, parce qu'effectivement, il y a un syndicat des patrons un peu plus patronal, si vous me permettez, dans lequel je ne mets pas l'ANSA, qui a une réflexion de fond sur le droit des sociétés qui me réjouit toujours. Sur le fond, notre problématique a toujours été de travailler dans l'intérêt de tous les actionnaires et nous nous sommes rendu compte que nous étions très faibles. Nous étions très faibles pour une raison très simple : grâce à la banque universelle, qui a été adoptée par la loi Debré de 1965 puis l'abandon du Glass-Steagall Act dans les années 1990, le système de banque universelle -qui est à l'origine de la grande crise que nous traversons- est en réalité un système de cumuls de conflits d'intérêts absolument formidables, qui paralyse l'ensemble du système financier - puisque, évidemment, les grandes gestions françaises sont dans les mains des grandes banques en termes d'émissions. La carrière du patron de l'asset management de la BNP, de la Société Générale ou du Crédit Agricole est orientée sur une chose : devenir patron du corporate. Il ne va tout de même pas commencer à voter contre la rémunération de « Monsieur X » ou de « Monsieur Y » qui pourrait lui donner des mandats demain. La carrière d'un banquier aujourd'hui est une carrière de sale size, c'est-à-dire qu'il faut aller vendre du papier et aller chercher des mandats. Par conséquent, l'activité asset management est une activité vassalisée. Comme le crédit et le dépôt étaient totalement vassalisés depuis dix ans, comme votre carte de crédit n'a pas fait de progrès depuis vingt ans, fondamentalement, l'activité de crédits et de dépôts a été vassalisée dans le monde entier par l'activité de front and action. Excusez-moi, c'est une introduction générale, mais je crois que Colette Neuville est totalement d'accord avec moi sur ce sujet et par conséquent, je me réjouis de vous faire part de ce bon accord.

Pour répondre à votre première question, la politique actuelle des sociétés, n'est pas terrible. Nous avons publié quelques chiffres sur les augmentations de 2007. N'oubliez pas qu'en 2007, on a tout de même payé deux indemnités de départ record. Je vous signale que Patricia Russo est une extrêmement médiocre dirigeante, il faut le dire. C'est quelqu'un de catastrophique qui a été mauvaise dès le départ et jusqu'à l'arrivée. Monsieur Tchuruk a été mauvais depuis dix ans chez Alcatel-Lucent, nous l'avons critiqué pendant dix ans, mais il a fallu douze ans pour qu'il finisse par quitter cette société, ce qui est dramatique car les conditions financières actuelles de ce groupe sont critiques. Même chose pour Thomson où on a payé non pas 8 millions de dollars mais 2 millions d'euros à Monsieur Franck Dangeard, dont la société, comme vous le savez, est aujourd'hui au bord du dépôt de bilan. C'est un scandale total ! Voilà des situations absolument scandaleuses et qui ont été approuvées, je le reconnais, en assemblée générale, comme les golden parachutes de cette année, approuvés avec 96 % de taux moyen d'approbation. Ceci prouve ce que nous avons dit d'entrée de jeu : le problème est en amont. Les actionnaires ne peuvent pas non plus complètement bien faire leur boulot, puisque par définition une très grande partie de l'actionnariat est malheureusement dans la main du système bancaire. C'est vraiment la problématique de réforme du système bancaire qui réformera l'échelle de perroquet.

En attendant, on doit pouvoir faire de belles choses, mais sachez qu'en 2007, nous avons des chiffres qui sont toujours à la hausse alors qu'on est en période difficile. Ces bonus ont été fixés en début d'année 2008, et l'on savait déjà que l'on était en crise. Les hausses que vous avez vues sont donc des hausses très coupables. Ajoutons à cela que les présidents non exécutifs des grandes sociétés du CAC 40 se sont payés une moyenne de 2 millions d'euros, et que -cela est scandaleux- ils l'ont fait sans aucune autorisation de l'assemblée générale, alors qu'ils n'ont pas de fonctions exécutives - et que je crois savoir qu'il y a un principe de rémunération des dirigeants dit de compétence exclusive : ça, c'est une mauvaise jurisprudence de province.

Il y a une compétence du conseil d'administration que nous n'avons jamais niée : celle de fixer la rémunération des dirigeants ; mais l'Assemblée générale est souveraine. Et la règle en la matière, l'article 101 de la loi de 1966, devenu l'article L. 225-38 du code de commerce, le dit : il est de la compétence de l'assemblée de censurer, éventuellement, ces rémunérations abusives. Or les présidents de sociétés, à commencer par Monsieur Pébereau - vous savez, chez Proxinvest, on lâche, on donne des noms, on balance, parce qu'après tout, nous sommes dans un Etat de droit et nous vous en remercions - ces grands dirigeants des grandes sociétés françaises du CAC 40, à commencer par les plus nobles, se payent grassement et considèrent comme normal de ne rendre compte ni au titre des jetons de présence, ni au titre des conventions réglementées. Il y a des actions actuelles d'actionnaires courageux à l'égard que Jean-François Dehecq, patron de Sanofi-Aventis, par exemple -qui s'offre 3 millions d'euros en rémunération globale 2007, alors qu'il est non exécutif c'est-à-dire sans aucune responsabilité. Il gagne 3 millions d'euros et considère que c'est normal de ne pas mettre cela ni dans les jetons de présence, ni dans les conventions réglementées ; il y a donc un projet de résolution sur ce sujet. Selon Proxinvest, il s'agit d'un abus généralisé, fondé à l'origine sur les abus des rémunérations financières. Je vais vous donner une anecdote : j'ai accompagné des patrons français en visite à Wall Street. Quand vous aviez un grand patron français qui dirigeait 100 000 personnes et qui arrivait à Wall Street cornaqué par un jeune de Goldman Sachs de 27 ans lui laissant entendre qu'il avait eu un bonus d'un million de dollars, le patron français se disait : « Je suis sous-payé, avec 100 000 personnes à gérer et un bonus ridicule. Voilà un petit gamin qui n'a pas de poil aux pattes et qui touche déjà plus que moi. » Donc ce système de la banque universelle, ce système centralisé de banques avec la protection de l'Etat et le privilège de l'effet levier - car n'oublions pas que les banques ont le privilège de l'effet levier et qu'avec ce privilège, elles ont le droit de tout faire (le premier promoteur de l'immobilier français est une banque, le premier loueur de voitures français est une banque)- ce système est profondément injuste et générateur d'iniquité ; par définition, vous le retrouvez au niveau des sociétés.

Sur ce constat négatif, je passe à la deuxième question sur l'impact des recommandations de l'AFEP et du MEDEF. Je vais être gentil : je ne mets pas du tout en cause les démarches de Madame Parisot, de Monsieur Lebègue ou de Monsieur Baconnier. Ce sont trois personnes loyales vis-à-vis des gens qui les nomment, les patrons d'entreprises : la logique veut donc qu'ils soient très compréhensifs vis-à-vis de ces patrons. Ça n'est pas ma loyauté, puisque par définition, nous travaillons pour les investisseurs, et nous pouvons avoir un langage beaucoup plus vert -si vous me permettez- sur les abus que nous observons, et en même temps constater qu'il n'est pas non plus normal qu'en matière de gouvernance, nous soyons encore en train de nous cramponner autour du rapport Bouton ou du rapport Viénot qui ont surtout incidemment organisé, sous certains aspects des choses, une soigneuse dissimulation du sujet. N'oublions pas que MM. Bouton et Viénot ont dit pendant longtemps que la question de la rémunération, il valait mieux ne pas en parler. Donc sur le fond, je ne suis pas très optimiste sur les effets de ces recommandations AFEP-MEDEF, mais ce n'est pas grave, parce que finalement c'est de l'ordre de l'incantation sympathique de gens bien inspirés mais qui ne peuvent pas faire grand-chose. Tous les membres du conseil de l'AFEP-MEDEF ont des golden parachutes ; alors leur demander de dire que les golden parachutes n'est pas bien, c'est tout de même un peu difficile. Quelque part, tout cela est extrêmement malsain, on ne peut pas travailler contre sa nature.

Troisième question : faut-il légiférer ? Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous avez beaucoup trop légiféré. Nous avions un droit des sociétés magnifique ; les droits des actionnaires n'ont pas été trop abîmés en France, notamment dans la logique de l'article 101, logique qui devrait être appliquée mais qui n'est pas respectée. Elle n'est pas respectée par beaucoup de sociétés, elle n'est pas respectée par les présidents non exécutifs que j'ai cités tout à l'heure et par conséquent, c'est dans la direction d'un vote annuel sur la politique des rémunérations qu'il faut aller ; faisons simple : regroupons tout cela. Chez Proxinvest, nous avons toujours dit que ce qui était intéressant, c'était de voir le total du paquet. On a une bonne transparence maintenant, c'est vrai que je préfère la responsabilité à la transparence, mais comment voulez-vous exercer des droits de contrôle si vous n'avez pas l'information. On est donc arrivé à un niveau d'information très riche, inspiré par des gens de bonne foi, qui cherchent à améliorer les choses que ce soit au niveau de l'AFEP, de l'ANSA ou du MEDEF. On a donc une bonne transparence. Peut-être l'idée d'un vote annuel sur la rémunération serait-elle bonne.

Il reste un sujet sur lequel vous, sénateurs, pouvez agir, parce que là, les actionnaires ne peuvent rien faire : celui que j'appellerais les rémunérations occultes. -c'est un point de vue de l'AMF et un point de vues de membre des commissions consultatives de l'AMF sur l'épargne- c'est-à-dire la question des options et action gratuites et l'exercice des options et actions gratuites par les dirigeants. J'ai beaucoup de sympathie pour Monsieur Balladur, mais je trouve la disposition introduite dans la loi à son initiative ridicule puisqu'elle consiste à dire : « le conseil d'administration peut faire quelque chose ou rien. » Cette mesure prévoit que le conseil d'administration dit si les administrateurs doivent garder des options ou pas. Très honnêtement, un texte qui dit au citoyen : « Tu fais ça ou tu fais le contraire » n'est pas un texte utile. Donc c'est une critique, excusez-moi, du législateur qui parfois est payé à ne rien faire. Mais sur le fond, je pense qu'il est de votre rôle de penser à la problématique de l'exercice des options et de l'utilisation des actions par les initiés. Les dirigeants sont des initiés par nature. C'est tout à fait normal. Et ces gens-là doivent pouvoir exercer librement leurs options sans être soupçonnés d'opérations scandaleuses. Donc la solution, elle est très simple, c'est l'abonnement. Il suffit simplement de dire : « Vous avez des options, vous avez des actions gratuites, Monsieur le président ; la loi exige que vous les vendiez par un système d'abonnement. Vous voulez refaire le toit de votre maison, vous voulez marier votre fille, c'est tout à fait légitime et par conséquent vous donnez un ordre qui est étalé sur douze semaines. » Ou un chiffre, n'importe lequel, -là-dessus, il n'y a pas de vérité ; je pense que c'est une question de bon sens. N'oubliez pas que cela devrait s'appliquer aux grands actionnaires. L'affaire Porsche, c'est le scandale d'un gros actionnaire qui augmente sa position de façon occulte et qui fiche en l'air le marché -Volkswagen- de façon occulte sur son propre titre ; ce sont des opérations que je qualifie d'opérations d'initiés, sans dire qu'elles sont nécessairement crapuleuses, mais ce sont des opérations d'initiés. Il faut que les initiés soient contraints à un système d'abonnement des transactions. C'est une solution très simple et je ne comprends pas que l'AMF et l'AFEP, à qui j'en ai parlé pendant des années, n'aient jamais pris le temps de faire attention à ce genre de solution qui est protectrice pour les dirigeants, car l'objectif n'est pas de dire que les dirigeants sont tous crapuleux, loin de là. C'est une solution qui, elle, est de votre compétence car les actionnaires ne pourront rien faire dans ce domaine.

Enfin, je rejoins totalement le propos de Colette Neuville : nous sommes en manque en matière de système de sanctions et de réparations collectives. Je me plains de l'AMF depuis des années sur le fait qu'elle était en posture, sans créer de textes nouveaux, de créer des fenêtres permettant aux actionnaires d'organiser leurs plaintes autour de personnes estimables comme Colette Neuville. Et je pense que là, il y a une action à avoir. Le Président de la République avait juré qu'il y aurait une class action à la française, mais en réalité c'était un rideau de fumée, il ne voulait rien faire. Il faut un système de réparations collectives ; il n'est pas normal que les petits épargnants se fassent flouer régulièrement par de grandes banques dans des opérations et qu'ensuite, on règle cela par la médiation. La médiation c'est sympa, mais pendant ce temps-là, la veuve et l'orphelin ont perdu leur argent sans le savoir et on ne les a pas indemnisés. Donc sur le fond, je dis que là il faut que la loi vienne réveiller les gens qui sont chargés de protéger l'épargne et je rejoins totalement Colette Neuville qui sur ce sujet est infiniment plus compétente que moi.

M. Patrice GÉLARD - Merci, Monsieur Leroy. Madame Bricq, vous avez peut-être une question ?

Mme Nicole BRICQ - Oui, très rapidement. Pour ce qui est des actions de groupe, mon collègue Richard Yung de la commission des lois et moi-même à la commission des finances, avions déposé il y a plus de deux ans une proposition de loi et Monsieur Luc Chatel, -à l'époque député-, avait déposé une proposition de loi encore plus extrême que la nôtre - on a été à l'époque qualifiés de « modérés ». Ces propositions sont encore dans les tiroirs à l'Assemblée et au Sénat.

Je voulais poser une question très rapide : que pensez-vous du système de « bonus-malus » ? C'est-à-dire qu'il faut à la fois un encouragement à la performance mais également une sanction à la performance, je veux parler de sanctions financières. L'autre question concerne la période de transition dont Madame Neuville a parlé à propos du code de bonne conduite : je n'ai trouvé cette référence nulle part.

Mme Colette NEUVILLE - En ce qui concerne les recommandations AFEP-MEDEF, la limite est, pour chaque société, le terme des contrats en cours. Le cumul du contrat de travail et du mandat social peut être maintenu jusqu'à la fin des mandats actuels. Or les mandats sont de durée différente selon les sociétés. Il n'y a pas de durée uniforme.

Mme Nicole BRICQ - J'aurais peut-être dû poser ma question autrement. Monsieur Lebègue nous a parlé d'une période transitoire.

Mme Colette NEUVILLE - C'est cela, la période transitoire. Je parle sous contrôle de l'ANSA. On a une période transitoire qui dure, pour chaque société et pour chaque contrat jusqu'à la fin du mandat en cours. Cela ne se terminera pas en même temps pour tout le monde.

Mme Nicole BRICQ - Quel horizon cela laisse-t-il ? Je ne m'en rends pas compte.

Mme Colette NEUVILLE - Cela dépend de la durée des contrats, qui peuvent être de deux ans ou trois ans.

Je voudrais juste dire un mot sur les conventions réglementées, parce que c'est vrai que l'on a tendance à vouloir soumettre de plus en plus d'éléments de la rémunération des dirigeants au régime des conventions réglementées, en se disant que l'on aura ainsi à la fois l'autorisation du conseil d'administration, le rapport des commissaires aux comptes -et donc leur responsabilité- et l'approbation des actionnaires. Mais il faut savoir que si les actionnaires ne donnent pas leur approbation, la convention s'applique quand même. La convention réglementée ne règle pas le problème : le refus des actionnaires en assemblée générale va seulement ouvrir la possibilité de demander la nullité de la convention à condition de prouver qu'il en est résulté un préjudice pour la société. Cela veut donc dire que pendant ce temps-là, la convention s'applique, que les actionnaires doivent faire l'avance des frais, se procurer les experts. Avec les délais d'appel, il y en a pour plusieurs années. Quels actionnaires vont prendre à leur charge le contrôle des rémunérations dans une société ? Le retour sur investissement pour ceux qui engageraient ce genre d'actions est quasiment nul. Il faut des actionnaires extrêmement dévoués puisqu'ils vont travailler pour le bien commun mais certainement pas pour eux. Donc des investisseurs qui sont astreints à rentabilité comme les OPCVM vont tout de suite calculer le coût que cela va entraîner sur leurs performances et quant aux actionnaires individuels, ils n'ont pas les moyens d'entreprendre ce genre de choses. La conséquence est qu'on assiste pratiquement à aucun recours de ce genre. La seule vertu que l'on peut attendre d'un refus par une assemblée générale, c'est le fait que les administrateurs vont se sentir mal à l'aise et que par peur de voir leur responsabilité mise en jeu ou devant le refus des actionnaires, ils vont peut-être changer d'avis ; mais cela n'a pas d'effet automatique ni immédiat.

M. Pierre-Henri LEROY - Je vais répondre, Madame la sénatrice, à votre question sur le « bonus-malus ». Le mot est amusant puisque c'est une question à la mode, notamment au Etats-Unis où un sujet fait florès, le mot « claw back », -ce qui signifie la griffe qui récupère le pognon qui a été pris. Vous avez donc posé une question dans l'air du temps. Sur le fond, elle nous ramène en réalité à ce que vient de dire Colette Neuville. Il est assez malsain de rentrer dans le détail de ces problématiques. C'est vrai que ces systèmes de rémunérations sont extrêmement complexes, et je suis effectivement tout à fait réservé pour imaginer que l'on peut réglementer par la loi quelque chose qui est de l'ordre du vivant puisqu'il s'agit de rémunérer des dirigeants. En revanche, qu'il y ait un contrôle ultérieur sur le package total me paraît excellent. Le problème évoqué par Colette Neuville est le même que votre question sur le « bonus-malus » : on ne pourra obtenir de remboursement qu'à condition qu'on ait un système législatif de réclamations qui soit possible.

M. Patrice GÉLARD - Merci beaucoup, il est temps de conclure. Nous avons passé beaucoup de temps depuis 9 heures ce matin sur un problème tout à fait important. Ce que nous avons fait ce matin sera publié ultérieurement et vous sera adressé, Monsieur Leroy, Madame Neuville. Je tiens à vous remercier, ainsi que Monsieur Baconnier qui est encore présent, de votre participation. Je vous remercie tous de ce travail et de ce bilan sur les nouvelles pratiques des sociétés en matière de rémunérations de leurs dirigeants. Je vois qu'il y a encore beaucoup de choses à faire. Grâce à vous, nous allons progresser dans ce domaine. Merci beaucoup à vous tous.

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