M. ROBERT BACONNIER, PRÉSIDENT, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES SOCIÉTÉS PAR ACTIONS

M. Jean-Jacques HYEST - Monsieur le président, l'Association nationale des sociétés par actions (ANSA) constitue une référence en matière de droit des sociétés. L'un de ses objets statutaires est d'apporter des réponses, c'est-à-dire des solutions concrètes, y compris des résolutions-types de conseil d'administration ou d'assemblée, aux problèmes juridiques soulevés par les sociétés qui y adhèrent à propos de textes existants ou nouveaux - et dans le domaine des textes nouveaux, on ne peut d'ailleurs pas dire que le législateur ait été absent en la matière. Il a même été très présent, contrairement à ce que certains disent avec environ un texte par an. En tout cas, depuis que je suis parlementaire, j'ai l'impression que l'on a beaucoup légiféré dans ce domaine.

Dans ce cadre, je sais que votre association a déjà été amenée par le passé à s'intéresser à la question du statut et de la rémunération des dirigeants sociaux. C'est pourquoi nous souhaiterions vous entendre sur les difficultés actuelles en la matière, les apports des recommandations AFEP-MEDEF et leur application concrète par les sociétés. Vous m'avez dit en arrivant que vous aviez des points de convergence importants avec l'IFA, dont vous êtes d'ailleurs membre.

M. Robert BACONNIER, président, délégué général de l'Association nationale des sociétés par actions - Absolument.

M. Jean-Jacques HYEST - Peut-être pouvez-vous concentrer votre propos...

M. Robert BACONNIER - ...sur les désaccords ?

M. Jean-Jacques HYEST - Sur les désaccords, si vous voulez, ou en insistant sur les sujets sur lesquels l'ANSA a une approche différente.

M. Robert BACONNIER - Merci, Monsieur le président, de m'avoir invité à participer à cette matinée d'échanges. Je ne ferai pas un exposé de la longueur mais de l'intérêt de celui de Daniel Lebègue. L'ANSA est effectivement membre de l'IFA et, à titre personnel, je préside des groupes de travail de l'IFA, dont l'un sur les comités d'audit, qui est un sujet aussi très actuel. L'ANSA a été créée dans les années 1930 par un certain nombre de grandes entreprises, ayant un actionnariat individuel important. Elle représentait donc les émetteurs. Mais progressivement, son champ d'action s'est étendu de la représentation et la défense des émetteurs à la défense et la promotion d'un actionnariat stable. Tout ceci pour dire que nous avons dans notre organisation le souci du long terme. Les errements que l'on a pu constater dans un certain nombre de cas n'ont donc jamais été acceptés par l'ANSA et je peux témoigner qu'au sein de son conseil d'administration, composé d'un certain nombre de grands patrons ou d'anciens grands patrons, ces comportements ont toujours été fortement dénoncés.

L'ANSA s'est également intéressée à la gouvernance des sociétés - mais sans doute moins que l'IFA dont c'est la vocation première. Mon prédécesseur à l'ANSA, Philippe Bissara, avait d'ailleurs fait paraître l'an dernier sous le timbre de notre association un livre de référence en ce qui concerne la gouvernance des sociétés cotées.

Sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, c'est-à-dire les rémunérations des dirigeants, permettez-moi d'évoquer le fond, la forme et le vecteur. Sur le fond, l'ANSA pas été pas associée à ces dernières recommandations, mais nous avions en revanche été associés à un premier jeu de recommandations qui datait de 2005. Bien sûr, nous avons beaucoup discuté des modalités d'application de ces recommandations avec l'AFEP et le MEDEF. Globalement, nous sommes d'accord avec ces recommandations, que nous trouvons pertinentes. Il y a cependant un point délicat, qui a accroché beaucoup chez nos adhérents, qui a déjà donné lieu à beaucoup de réunions : c'est le problème du cumul du mandat social et du contrat de travail. Daniel Lebègue en a parlé longuement. C'est clairement, le point qui, dès le départ, a accroché parfois chez certains sur un plan général, mais pour la majorité de nos membres, sur la situation -exposée par Daniel Lebègue- de la promotion interne au sein de l'entreprise où un cadre supérieur devient un jour mandataire social. Ce jour-là, comme vous l'avez dit, Monsieur le président, doit-on faire table rase de tout le passé ? En réalité, il y a beaucoup plus qu'on ne le croit, en France, dans les sociétés du CAC 40, de dirigeants qui ont fait toute leur carrière dans la société.

M. Jean-Jacques HYEST - Dans certaines sociétés, c'est même la règle.

M. Robert BACONNIER - Dans certaines sociétés, c'est effectivement la règle, je le confirme. Je rappelle que l'Institut Montaigne, qui est également d'origine patronale, avait publié une brochure en 2007 sur les dirigeants et proposait également cette interdiction du cumul entre mandat social et contrat de travail. Il en tirait toutes les conséquences, de manière presque provocante, en prévoyant que lorsque l'ancien cadre supérieur devient mandataire, il faut l'indemniser. Ce n'est sans doute pas très facile à faire comprendre à l'opinion publique : on vous promeut mais en même temps, on va vous indemniser pour la perte des droits que vous aviez acquis.

M. Jean-Jacques HYEST - Cela se rapproche d'une situation de licenciement. On vous licencie puisque vous devenez mandataire ; on va donc vous donner des indemnités comme si on vous licenciait.

M. Robert BACONNIER - C'est cela. Ce n'est pas un golden parachute, ce n'est pas vraiment un golden hello , c'est une situation intermédiaire mais assez logique sous l'angle des droits qui ont été acquis par le salarié et qui ont été rappelés tout à l'heure par Daniel Lebègue. Je pense que les choses peuvent être effectivement extrêmement délicates dans la pratique.

Pour l'ANSA et ses adhérents - puisqu'on a eu, je vous le disais, beaucoup de réunions sur ce point-là - c'est là que cela accroche. Bien entendu, certains gagnent un peu de temps, puisque vous savez que seuls les mandats confiés à compter d'octobre 2008 sont concernés et que pour un certain nombre de directeurs généraux il n'y a pas de limite de mandats, ce qui peut permettre a priori de biaiser un peu avec la recommandation. Mais le problème de fond demeure.

J'anticipe sur ce que je dirai à la fin sur le vecteur, c'est-à-dire le fait que ces règles de rémunérations soient des recommandations et n'aient pas valeur législative, que les recommandations s'insèrent dans un code de gouvernement d'entreprise, auquel les entreprises peuvent se référer mais ont également le droit d'expliquer pourquoi elles ne s'y réfèrent pas. On a vu une société, Essilor, qui a expliqué que compte tenu de sa pratique de promotion interne des cadres dirigeants, cette recommandation ne pouvait s'appliquer et qui maintenait le contrat de travail de ses dirigeants en appliquant la règle de la suspension. Le fait d'avoir un texte qui permette tout de même l'explication - en vertu, je le rappelle de la loi du 3 juillet 2008, transposant une directive de 2006, qui a posé la règle « comply or explain » - permet de coller davantage à la réalité des situations qu'une règle absolue. C'est un problème essentiel, pas tant pour les indemnités de départ que pour des problèmes de retraites supplémentaires. Nous avons passé beaucoup de temps sur ces problèmes de retraites supplémentaires.

En effet, le mandataire peut avoir une indemnité, ce qui ne pose pas de problème en soi ; ce qu'il faut éviter ici c'est le cumul. S'il n'y a pas de cumul, le mandataire a une indemnité de départ, qui en plus, en vertu des recommandations, tout en étant plafonnée, tient compte de la performance : tout ceci est extrêmement sain. Mais ce sont les retraites supplémentaires qui posent problème : si les dirigeants perdent tout leur régime de retraite, c'est extrêmement difficile. Nous ne sommes pas dans une impossibilité absolue, parce que l'on peut faire bénéficier le mandataire d'un système de retraite supplémentaire, mais il faut voir comment cela se passe dans l'entreprise. Est-ce que l'on avait un régime collectif qui autorisait l'entrée des mandataires sociaux ou qui était limité aux salariés ? Si on avait un régime collectif qui admettait les mandataires sociaux, à ce moment-là c'est plutôt un problème de conventions individuelles. Prenons l'exemple d'un dirigeant en place. En général, ce dirigeant a adhéré à ce régime tout en étant devenu mandataire ; il y avait intérêt en tant que salarié. Du jour où le contrat est résilié, ce n'est plus possible : il faut alors modifier la convention individuelle pour qu'il puisse adhérer en tant que mandataire. Cela peut se faire, c'est une convention réglementée. Ceci étant, cela peut, dans certains cas, être beaucoup plus difficile. En tout cas, clairement, c'est ce problème qui est le plus délicat dans ces recommandations.

Pour le reste, sur les stock-options et autres, je pense qu'il y avait déjà beaucoup de textes. Je rappelle ce que l'on oublie un peu : les stock-options sont très lourdement taxées en France, puisque selon les hypothèses, on peut monter à 52,1 % d'imposition sur l'avantage d'acquisition, c'est-à-dire la différence entre le prix de l'option et le cours de l'action au jour de l'exercice de l'option. La fiscalité est donc déjà relativement lourde en France, et je ne suis pas sûr qu'il y ait une marge de manoeuvre infinie dans ce domaine.

M. Jean-Jacques HYEST - Et que pensez-vous de l'obligation de conserver une partie des actions ?

M. Robert BACONNIER - C'est la loi. Il ne faut cependant pas aller trop loin. Je suis un peu en désaccord avec Daniel Lebègue, sur ce point, qui incite à conserver 50 % des actions : cela me paraît trop élevé. D'abord parce que pour lever des options, il faut sortir de l'argent. Il faudrait donc pour le moins que l'intéressé ait le droit de revendre une partie des actions pour couvrir les frais d'acquisition, sinon cela devient une véritable pénalisation. Selon les entreprises, il y a des pratiques diverses : quelquefois c'est simplement un pourcentage de la rémunération, fixe ou variable ou totale ; dans d'autres cas, c'est une proportion des actions. Dans d'autres cas encore, c'est en intégrant le coût d'acquisition : une fois le coût d'acquisition déduit, on retient, selon les hypothèses, entre la moitié ou le tiers des actions autres que celles dont la vente a servi à financer.

Sur le vecteur, vous l'avez rappelé, Monsieur le président, l'ANSA en a d'ailleurs fait le recensement, il y a eu énormément de textes législatifs depuis des années, avec une accélération depuis 2001. L'orientation générale me paraît d'ailleurs plutôt saine, puisque c'est une orientation vers toujours plus de transparence. Je prends un exemple : un certain nombre d'engagements pris par la société qui, dans la loi Breton de 2005, relevaient d'une convention réglementée globale, revêtent depuis la loi TEPA de 2007 d'une convention réglementée individuelle. Nous sommes donc allés toujours plus loin dans la transparence. D'une manière générale, on dénonce un peu l'excès de textes, je n'emploierais pas personnellement le terme « d'excès », mais je crois qu'on a déjà fait beaucoup et que les recommandations s'ajoutent à un corps de règles juridiques déjà extrêmement dense. Comme les intervenants précédents, nous sommes plutôt favorables, à l'ANSA, à la soft law ; sinon nous risquons d'aboutir à des solutions beaucoup trop rigides, sachant que l'on est dans un univers internationalisé et que si on est trop strict en France, cela risque de pénaliser l'implantation de sièges de grandes sociétés en France, puisque c'est le lieu du siège qui compte. Deuxièmement, cela risque d'amener les moins délicats à des systèmes de contournement qui passeront par l'étranger. Le fait de passer par la recommandation avec, comme je le disais, cette possibilité d'expliquer, je crois que c'est à mon avis meilleur et plus efficace. Voilà ce que je voulais vous dire, Monsieur le président.

M. Jean-Jacques HYEST - Merci infiniment, Monsieur le président, de nous faire part de votre expérience variée.

M. Robert BACONNIER - Oui, elle est variée ; elle était autre avant. Je n'ai rien contre la fiscalité, si c'est ce que vous voulez dire.

M. Jean-Jacques HYEST - Par exemple, Monsieur le président. Merci, je crois que nous avons été très éclairés. Il y a quand même un aspect qu'on ne peut négliger, celui des directives européennes, qui conduisent à une harmonisation des règles - et peut-être que ça ira plus loin d'ailleurs. Il est important, s'il y a des règles communes, que l'on ne soit pas, en France, complètement en discordance. La France est souvent en discordance avec des règles plus libérales et comme vous le disiez, la soft law n'est pas très développée dans notre pays, nous avons plutôt tendance à faire des lois pour tout régler, comme le disait déjà Montaigne. Et l'on continue joyeusement.

M. Pierre-Yves COLLOMBAT - La loi Sarbanes-Oxley n'est pas une loi française. Nous, en France, nous avons eu le rapport Bouton, qui est magnifique, certes, mais...

M. Robert BACONNIER - Je n'étais pas un spécialiste de ces questions à l'époque, mais j'ai l'impression que cette loi a changé quand même pas mal de choses. Je participe également au conseil d'administration d'une grande société et je peux l'observer.

M. Jean-Jacques HYEST - Il y a certes quelques lois aux Etats-Unis, mais elles n'ont pas empêché les énormes travers que ce pays connaît. Pour la transparence mais aussi pour le rôle entre audit et contrôle, Monsieur le président, on ne peut pas dire que les Etats-Unis soient toujours les plus efficaces. Et quand l'on s'est battu sur l'application de règles comptables américaines, françaises ou européennes, on a bien vu que nos règles étaient certainement meilleures. Il y a eu d'ailleurs moins de problèmes dans les sociétés européennes. On a découvert que les règles de contrôle et les règles d'audit n'avaient rien vu ou n'avaient rien voulu voir.

M. Robert BACONNIER. - Effectivement aux Etats-Unis, il y a eu le scandale Enron et l'on a conçu une loi extrêmement stricte en réaction. La loi Sarbanes-Oxley, je l'ai un peu vécue dans la société dont je suis administrateur, puisqu'elle était cotée à New-York. C'était une contrainte et un coût extrêmement élevés pour les sociétés, qui n'a pas empêché de nouveaux scandales ensuite, parce qu'il y avait une approche très formaliste. Néanmoins, ce qu'il faut savoir, c'est qu'un certain nombre de sociétés qui se sont retirées de la cotation américaine à cause des contraintes induites par cette loi ont tout de même gardé sur le plan interne les processus de contrôle et de certification qui étaient imposés par ce texte. Finalement, cela avait un intérêt et l'investissement ayant été fait pour appliquer ces mesures, cela valait la peine de ne pas passer par profits et pertes tout ce qui avait été fait. Je crois que ça montre qu'il faut être un peu plus nuancé sur la loi Sarbanes-Oxley. J'ai été le premier à la critiquer et à la dénoncer, mais quand je vois que les sociétés continuent à faire les contrôles - certes, sans la contrainte externe - c'est néanmoins intéressant.

M. Jean-Jacques HYEST - Merci, Monsieur le président. Je vais demander à mon collègue Patrice Gélard, vice-président de la commission, de me remplacer.

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