b) La rigidité de l'offre de formation professionnelle : le « talon d'Achille » du système scolaire français.

- L'offre de formation professionnelle est abondante, mais le choix pour chaque élève est limité . A plusieurs reprises, au cours des auditions, le nombre excessif de diplômes de l'enseignement professionnel a été souligné. Le Haut Conseil de l'éducation recense environ 215 spécialités de CAP, 50 spécialités de BEP et 63 spécialités de baccalauréats professionnels. Cette multiplication des diplômes, qui rend l'offre difficile à appréhender par les élèves et par leurs parents, s'explique en partie par les demandes des branches professionnelles. Un même niveau de diplôme peut conduire à une insertion rapide - comme dans le cas des CAP de l'artisanat, des métiers de bouche ou de l'orfèvrerie - ou, au contraire, à une insertion problématique - comme pour les BEP du tertiaire administratif.

- L'offre de formation professionnelle s'adapte difficilement aux nécessités économiques .

Pour mieux adapter l'offre de formation aux réalités locales, les lois de décentralisation ont partagé les compétences en la matière entre l'État et les régions. Celles-ci élaborent un schéma prévisionnel des formations et un plan régional de développement des formations (PRDF) en consultant de nombreux partenaires aux intérêts parfois divergents : l'éducation nationale, l'enseignement privé, les chambres de commerce, d'industrie et des métiers, les centres de formation des apprentis, l'enseignement agricole, les milieux professionnels... Même quand les besoins sont connus, les PRDF ne parviennent pas à remédier à la rigidité de l'offre de formation professionnelle .

Le Haut Conseil de l'éducation rappelle à cet égard qu'en premier lieu, les rectorats s'adaptent lentement aux variations du contexte économique en raison du temps qu'exige la mutation, la reconversion ou le recrutement des personnels enseignants . Les contraintes de l'actuel statut des enseignants s'opposent à une évolution rapide de l'offre, problème qui subsistera tant que la discipline enseignée restera unique et invariable durant toute la vie professionnelle.

En deuxième lieu, les régions sont liées par le coût du matériel dans lequel elles ont investi, particulièrement pour les spécialités industrielles , par le coût du bâti, enfin par les souhaits de proximité des élèves et de leurs familles , souhaits auxquels les élus locaux sont particulièrement sensibles.

En troisième lieu, même au niveau régional, les entreprises éprouvent des difficultés à estimer leurs besoins à long terme, particulièrement lorsqu'elles sont de petite ou moyenne taille. Seuls les grands domaines d'activité permettent des projections à long terme, mais généralement au niveau national. En conséquence, des filières de formation aux métiers de la production peuvent notamment rester nombreuses là où l'industrie est en difficulté , et les élèves sont alors dirigés vers des formations qui débouchent difficilement sur des emplois . Cette inadéquation pénalise davantage les premiers niveaux de qualification, dont les titulaires ont un taux de chômage plus élevé que la moyenne nationale. Une meilleure concordance des cartes de formation avec l'environnement économique régional doit être recherchée , conformément à la logique de la décentralisation.

- Dans la voie professionnelle courte, les formations tertiaires sont préférées à celles du secteur de la production qui offrent pourtant plus de débouchés . Sur dix diplômés au niveau du CAP ou du BEP, six le sont dans une spécialité du tertiaire et, sur les cinq groupes de spécialités de CAP-BEP qui concentrent la moitié des élèves, quatre relèvent du secteur des services (commerce-vente, comptabilité-gestion, secrétariat-bureautique et spécialités sanitaires et sociales), tandis qu'un seul groupe relève du secteur de la production (électricité-électronique). Or les CAP et les BEP tertiaires ne permettent l'accès rapide et durable à l'emploi qu'à 69 % de leurs titulaires - essentiellement en raison des difficultés d'insertion rencontrées par les titulaires d'un diplôme du tertiaire administratif de ce niveau -, et les CAP et BEP industriels le permettent à 77 % des leurs.

Pour atteindre le même taux d'accès immédiat et durable à l'emploi que les diplômés des spécialités industrielles, les diplômés en secrétariat et en comptabilité doivent être au moins titulaires d'un baccalauréat. Les postes longtemps occupés par des titulaires de CAP ou de BEP dans ces deux domaines sont aujourd'hui attribués à des titulaires de niveau de qualification supérieur. Les formations tertiaires de niveau CAP-BEP qui scolarisent actuellement le plus d'élèves, un élève de BEP sur trois environ, restent pourtant le secrétariat et la comptabilité, orientations sans perspectives d'insertion professionnelle importantes ; elles concernent essentiellement les filles, très majoritaires dans ces formations.

La position des titulaires d'un CAP ou d'un BEP s'est détériorée, surtout dans le secteur tertiaire où le taux de chômage de ces diplômés a progressé de 4 points entre la génération 2001 et la génération 2004 et atteint 22 %. En règle générale, la difficulté de s'insérer professionnellement avec un diplôme inférieur au baccalauréat est grande, sauf dans l'hôtellerie et le tourisme, le bâtiment et les travaux publics, les services aux particuliers, secteurs dans lesquels les recrutements au niveau du CAP ou du BEP, ou encore ceux de non-diplômés, restent significatifs.

- Dans ce schéma général, le cas de l'apprentissage se singularise puisqu'il assure convenablement l'adéquation des formations au marché du travail.

L'obligation d'un contrat entre un apprenti et une entreprise rend quasi impossible une formation dans une spécialité dépourvue de perspectives d'insertion. À diplôme identique, la comparaison des taux d'emploi entre les jeunes qui sortent de la voie scolaire et ceux qui sortent de l'apprentissage est favorable aux seconds. En 2006, 80 % des titulaires d'un baccalauréat professionnel obtenu par apprentissage avaient un emploi, contre 64 % pour la voie scolaire ; pour les titulaires d'un CAP-BEP, les chiffres étaient respectivement de 66 % et 43 %. L'apprentissage a évolué : il n'est plus limité au niveau CAP-BEP, même si ce niveau représente encore à peu près 60 % de l'effectif global. La part des jeunes qui ont préparé par apprentissage un diplôme de niveau égal ou supérieur au baccalauréat a augmenté : pour le baccalauréat, elle est passée de 14 à 21 % entre 1995 et 2003 ; celle des jeunes qui sont entrés en apprentissage avec au minimum un baccalauréat est passée, quant à elle, de 6 à 17 %. À cette hausse du niveau des diplômes préparés s'est ajoutée, moins visible mais bien réelle, l'élévation du capital scolaire des apprentis préparant un CAP ou un BEP : près des trois quarts d'entre eux ont suivi la voie scolaire jusqu'à la classe de troisième. Il y a trente ans, seul un quart avait atteint cette classe.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France a fait le choix d'intégrer la formation professionnelle initiale dans les établissements scolaires. Aujourd'hui, pour réduire le nombre de sorties du système éducatif sans qualification, un recours accru aux entreprises est privilégié : le développement de la formation en alternance, telle qu'elle est mise en oeuvre en général dans l'apprentissage, est susceptible de bénéficier surtout aux premiers niveaux de qualification.

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