D. L'ATTRIBUTION DE PARTS D'IMPÔTS NATIONAUX DOIT ÊTRE LIMITÉE, DANS LA MESURE OÙ ELLE DIMINUE L'AUTONOMIE FISCALE

Lors des différentes phases de la décentralisation et des transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales, la question du financement a toujours été essentielle et en même temps le « parent pauvre » de la réforme : il s'est en effet souvent agi de simplement compenser le coût des charges transférées à l'euro près, calculé au moment du transfert et non réévalué en fonction de leur évolution intrinsèque. Ces diverses compensations ont été opérées au cas par cas, parfois par des dotations budgétaires, mais principalement par l'attribution de parts d'impôts dits nationaux. Cette dernière solution cristallise souvent les débats, alors qu'elle a été organisée de facto de la même manière que si on avait choisi la solution de la dotation.

L'affectation de parts d'impôts nationaux peut en effet s'effectuer de deux manières totalement distinctes :

- soit on fixe un montant à transférer aux collectivités et on prélève un pourcentage du produit total de l'impôt, quelle que soit l'assiette fiscale. C'est le parti qui a été choisi en France : le législateur fixe chaque année en loi de finances un taux correspondant au montant de la compensation à effectuer ;

- soit on attribue une part additionnelle d'impôt aux collectivités. C'est le choix de financement qui est largement répandu dans les pays du Nord de l'Europe, où les collectivités disposent par exemple d'une grande liberté pour la fixation du taux de l'impôt local sur le revenu des personnes physiques 139 ( * ) .

Dans les faits, l'attribution de parts d'impôts nationaux a eu pour conséquence en France la diminution de l'autonomie fiscale des collectivités , car la liberté de fixation d'un taux ou la marge d'action sur l'assiette est nulle ou extrêmement réduite. Ainsi, le large transfert, au début des années quatre-vingt, des droits de mutations et taxes assimilées a certes bénéficié aux collectivités dans certains périodes d'euphorie immobilière, mais ce dynamisme a masqué l'absence de liberté des collectivités : l'assiette ne dépend pas de l'action de la collectivité et le taux a été fixé par le législateur ou plafonné à un niveau qui fait que tous les départements sont au taux plafond.

Par ailleurs, on peut relever une certaine contradiction dans l'utilisation de la TIPP comme compensation du transfert de charges en direction des régions. Celles-ci exercent largement une compétence de transport, mais en matière ferroviaire, alors que la TIPP est liée à la consommation de carburants...

Dans le cas d'une part additionnelle d'impôt affectée aux collectivités, celles-ci bénéficient de l'évolution de l'assiette fiscale lorsqu'elle progresse ou en pâtissent, lorsqu'elle est négative ou stable.

Ce serait donc plutôt cette voie qu'il serait nécessaire de privilégier, lorsque l'assiette est localisable : elle permet aux collectivités de voter un taux additionnel et elle ne prête pas le flanc aux récriminations permanentes, notamment à l'occasion de l'examen de chaque loi de finances initiale, sur le bas niveau de la compensation opérée à destination des collectivités.

Dans cet esprit, on peut rappeler la réforme, engagée puis abandonnée, de création d'une taxe départementale sur le revenu 140 ( * ) , en substitution de la part départementale de la taxe d'habitation : en même temps qu'il adoptait une actualisation des valeurs locatives, le législateur créait, à compter du 1 er janvier 1992, une taxe départementale sur le revenu assise sur le montant net des revenus et plus-values pris en compte pour le calcul de l'impôt sur le revenu établi au titre de l'année précédente et dont les conseils généraux auraient voté chaque année le taux, dans le cadre général des règles de lien entre les taux. Annulée par la loi de finances pour 1992, cette réforme n'est jamais entrée en vigueur, car elle entraînait des transferts de charges importants entre contribuables.

Si les conditions de « basculement » de l'imposition n'ont pas permis la mise en oeuvre de cette réforme, l'idée d'asseoir une partir de la fiscalité locale sur une assiette telle que le revenu a eu des défenseurs parmi les membres de votre mission. Pratiquée par plusieurs pays européens (Belgique, Danemark, Finlande, Italie...), elle présente en effet plusieurs avantages : justice, équité et relative stabilité.

Pour autant, depuis 1990, l'impôt sur le revenu a fortement évolué, puisque, à l'instar de ce qui a été décidé pour la taxe professionnelle, son assiette a été continuellement réduite. Parallèlement, la contribution sociale généralisée (CSG) s'est affirmée comme un impôt moderne et efficace grâce à son assiette large et son prélèvement à la source : après avoir été tant décriée lors de son adoption, elle a été de plus en plus utilisée.

Ainsi, une réflexion pourrait être engagée sur l'attribution aux départements, en lien avec leurs larges compétences dans le secteur social, d'une part additionnelle à la CSG . Les départements pourraient certainement moduler ce taux, éventuellement dans une fourchette fixée par le législateur, la territorialisation de l'assiette ne posant pas de problème insurmontable .

Il est à cet égard important de rappeler la situation spécifique des départements : une grande partie de leurs dépenses sont contraintes et strictement encadrées au niveau national, si bien que diminuer leur autonomie fiscale tendrait à les transformer en services déconcentrés de l'Etat, sans marge de manoeuvre budgétaire réelle, que ce soit sur les recettes ou sur les dépenses.

Enfin et pour mémoire, dans six pays européens, principalement des Etats fédéraux, la TVA est partagée entre l'Etat et certains niveaux de collectivités territoriales. Pour cette imposition, il ne semble pas possible pour des raisons pratiques et de conformité au droit communautaire de fixer localement une part du taux, mais il est également nécessaire de rappeler que, dans ces pays, l'Etat et les collectivités partagent un pourcentage préfixé de la ressource TVA. Si la ressource était ainsi partagée en France, elle poserait cependant une série de problèmes, notamment pour les modalités de répartition du produit entre les collectivités.

Proposition de la mission

- L'attribution de parts d'impôts nationaux aux collectivités est envisageable, mais ne doit pas avoir pour conséquence une diminution de leur autonomie fiscale.

* 139 Rapport d'étape sur la réorganisation territoriale, mission temporaire sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, Sénat, mars 2009, n° 264 (2008-2009), p.142.

* 140 L'article 56 modifié de la loi n° 90-669 du 30 juillet 1990 relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux, en posait le principe.

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