2. Les transferts de la molécule aux cultures et aux produits de l'élevage

Ces axes de recherches sont d'application immédiate car ils se situent à la croisée des activités agroalimentaires de l'île et du faisceau de précautions sanitaires mis en oeuvre pour la protection des Antillais.

L'introduction, en septembre 2008, de nouvelles limites de résidus, (20 ug/kg de produits frais se substituant aux recommandations sanitaires de l'AFSSA (50 ug/kg de produits frais et 200 ug/kg pour les produits de la mer) fait peser une menace sur une partie des activités du secteur primaire des deux îles.

Les études actuellement réalisées ou en cours concernent les référentiels de mise en culture ; d'autres projets concernent l'élevage, d'autres encore devraient être envisagés pour l'aquaculture.

a- La mise au point de référentiels de mise en culture et l'approfondissement des modes de transfert de la molécule entre le sol et les plantes

Les premières études

Avant même l'adoption du « plan chlordécone », les équipes locales de l'INRA et du CIRAD ont mené des recherches sur les transferts de la molécule du sol vers les cultures.

Une première étude a consisté à quantifier cette migration de la molécule dans un légume-racine, la patate douce. Ceci en fonction de la nature des sols (andosols qui relarguent peu, nitisols qui relarguent trois fois plus de chlordécone).

Les principaux résultats de cette première étude sont résumés dans le graphique ci-après :

Source : M. Jannoyer (CIRAD)

Ainsi :

sur des andosols peu arrosés, la présence de la molécule dans la patate douce est cent fois moins forte que dans le sol ( 6mg/kg dans le sol ne donnent que 0,06 mg/kg dans le tubercule, soit 1/100ème ;

sur des andosols bien arrosés, le taux de transfert est supérieur ( 2 mg/kg dans le sol donnant 0,04 mg/kg dans le tubercule, soit 1/50) ;

et sur des nitisols (sols plus évolués) le rapport de transfert est de l'ordre d'1/25 - 1/30.

Par ailleurs, les mesures comparatives effectuées sur les épluchures et les chairs des tubercules privilégient l'hypothèse d'un transfert par contact : l'enveloppe est de 3 à 16 fois plus contaminée que la chair.

Mais cette recherche ne pouvait pas être considérée comme conclusive compte tenu du faible nombre d'échantillons.

Une autre approche a consisté a essayé d'évaluer le transfert de la molécule dans les parties aériennes, en fonction :

du type de sol,

de l'ampleur de sa contamination,

et du type de cultures.

Par exemple, des légumes comme la salade, le concombre, la courgette ou le navet semblent beaucoup plus « conducteurs » de la molécule que le haricot ou la tomate.

Au total, ces premières recherches ont abouti en 2006 à une synthèse de degré de la contamination des plantes par transfert de la chlordécone résidant dans les sols :

L'établissement d'un outil de gestion pour les agriculteurs

L'action 30 du plan prévoit l'établissement d'un référentiel pour gérer les risques de mise en culture.

Il s'agissait à l'origine d'approfondir les modèles de proportionnalité de transfert entre la teneur du sol en chlordécone fournie par les premières études et chaque type de culture afin de créer un guide des pratiques culturales sans risques sanitaires pour les consommateurs.

Du fait des coûts d'analyse qu'aurait entraîné la mise en oeuvre de cette action pour l'ensemble des cultures, il a été décidé d'étudier le transfert maximum entre le sol et les plantes les plus contaminables (les légumes racines).

Cette étude a abouti à l'établissement d'une « courbe enveloppe » qui établit que pour tout type de sol et pour tout type de culture le transfert maximum entre le sol et les plantes les plus contaminables est de 1 à 5.

Ce qui signifie, compte tenu, de la LMR - qui s'établit, rappelons-le, à 20 ug/kg de produits frais - que l'on pourra cultiver tous types de végétaux sur des sols dont la teneur en chlordécone est = 100 ug/kg. Il doit être relevé que ce rapport de transfert a été fixé sur des bases très sécurisées puisque, pour les sols qui relarguent le plus de chlordécone, le rapport moyen de transfert (affiné par rapport à l'étude préalable mentionnée ci-dessus) est de l'ordre à 1 à 10 .

Sur ces bases, et dans le cadre de l'action 25 du « plan chlordécone » qui prévoit un appui technique aux agriculteurs préalable à la mise en culture, deux listes ont été dressées :

- sur les sols contaminés à une teneur inférieure à 100 ug/kg de chlordécone, toutes les cultures alimentaires sont possibles,

- et, sur les sols moyennant ou fortement contaminés (entre 100 et 1 000 ug de chlordécone par kilo de sol) les espèces suivantes peuvent être mises en culture :

l'ananas ;

la banane ;

le chou pommé ;

les cultures fruitières arbustives et arborées (vergers) ;

la canne à sucre destinée à la transformation (en sucre et en rhum) ;

le haricot vert ;

les solanacées :

la tomate,

l'aubergine,

le piment,

le poivron,

les cultures hors-sol (substrat sain) ;

les cultures non alimentaires :

fleurs et feuillages coupés,

plantes vertes en pot

pépinières ornementales,

plantations forestières,

autres plantes industrielles ou énergétiques, non alimentaires.

L'approfondissement des connaissances sur les transferts du sol vers les plantes (Chlordexco-plant)

Cette étude, menée conjointement par l'INRA et le CIRAD, a pour but de définir les moteurs et les voies d'absorption, de transfert et de stockage de la chlordécone dans les organes et les tissus de trois familles botaniques modèles (la molinie qui est une graminée, la carotte et la courgette).

Il s'agit de comprendre comment les flux de chlordécone qui accompagnent les montées de sève se diffusent dans les plantes.

Par exemple, on sait que ces montées de chlordécone sont arrêtées lorsqu'elles rencontrent des tissus hydrophobes (c'est par exemple le cas de la canne à sucre pour laquelle les transferts de chlordécone se limitent à la base de la plante ou du bananier plantain dans lequel, au-delà d'un mètre, on ne retrouve plus la molécule).

Il s'agit, aussi, de comprendre pourquoi certaines montées de sève porteuses de chlordécone se concentrent dans le feuillage et non dans le fruit (exemple de la tomate) ou l'inverse (exemple du concombre).

L'analyse fine de ces mécanismes de diffusion permettra d'identifier la nature des tissus qui jouent un rôle de filtre et, grâce à l'acquis sur l'histologie des végétaux, de cartographier plus précisément, par espèces, les risques de mises en culture.

b- L'étude de la bioaccumulation de la chlordécone chez les animaux d'élevage

Ce projet de recherches est prévu pour l'action 30 du « plan chlordécone ». Il sera mené par l'INRA.

Jusqu'ici, aucune étude n'a été menée sur les milieux pâturants - alors que les déprises bananières ou les mises en jachère de soles bananières - peuvent être utilisées pour l'élevage.

Par exemple, en Guadeloupe, ces surfaces en pâturage sur des sols potentiellement contaminés représentent 750 ha.

La contamination peut résulter, alors, d'une double source : teneur en chlordécone des fourrages et contact avec la terre des herbes piétinées par les troupeaux et ultérieurement ingérées.

Le projet a pour but d'évaluer la contamination potentielle des animaux d'élevage, mais aussi d'en étudier les possibilités de décontamination dans un contexte d'exploitation réaliste.

Les modèles animaux ont été choisis parmi les ruminants (ovins et caprins) et non ruminants (porcs et volailles).

L'étude sur les ruminants sera progressive afin de mesurer les possibilités de bioaccumulation de la molécule en cours de croissance.

c- La nécessité de mener une action de recherche sur la contamination des élevages aquacoles

Les actions 32 à 34 du « plan chlordécone » ont pour but :

- d'assurer la conformité de la production piscicole,

- d'identifier les sites où l'eau n'est pas contaminée afin de permettre la réinstallation des exploitations aquacoles touchées,

- et, en cas d'impossibilité de poursuivre l'exploitation, d'examiner une reconversion vers d'autres activités.

Aucune action spécifique de recherche n'est prévue.

Il se trouve que l'introduction des nouvelles LMR (20 ug/kg de produits frais) menace les élevages aquacoles des îles et notamment, les élevages de crevettes d'eau douce (ouassous en Guadeloupe, z'habitants en Martinique).

En Guadeloupe, sur une dizaine d'élevages, un seul avait subi un contrôle positif en 2005 (LMR supérieure à 50 ug/kg).

En 2008, les prélèvements de quatre élevages ont révélé des taux de chlordécone autour de 30 ug/kg de produit, un seul d'entre eux se situait dans la marge d'incertitudes de 35 % (entre 13 ug et 27 ug). Les trois autres élevages ont été fermés.

Certains des résultats enregistrés, ont semblé surprenants car les taux d'analyses de l'eau, à l'entrée et à la sortie des bassins et du sol, faisaient apparaître des teneurs très faibles en chlordécone.

Une homogénéisation des prélèvements, en coopération avec les producteurs, pourrait contribuer à lever les doutes sur leur validité 52 ( * ) .

Vos rapporteurs estiment, de plus, qu'un programme de recherche 53 ( * ) devrait être mis en place, visant notamment :

- à mettre en évidence les différences de concentrations entre la tête et la queue des écrevisses. La tête étant, en principe, plus contaminée (les graisses s'y accumulent et des particules de sols contaminés peuvent se concentrer dans les ouïes). Actuellement, tout l'animal est broyé en vue des analyses.

Mettre en place ces analyses différentielles pourrait permettre aux producteurs de commercialiser les queues.

- à étudier les effets du jeûne sur les concentrations en chlordécone dans les animaux ;

- à comparer les taux de chlordécone en fonction de l'âge des animaux ;

- et à analyser les conséquences de méthodes d'élevage sans contact direct avec les sols (élevage en cage, isolation du fond des bassins).

Le lancement de ces études est urgent parce que sur 10 producteurs guadeloupéens, 3 sont fermés définitivement et deux proches de la fermeture. La situation est analogue en Martinique.

Cette réduction de la capacité de production menace également indirectement l'élevage de larves installé en milieu marin à Pointe-Noire.

Or, les Antillais sont symboliquement attachés à cette production d'autant plus que les ouassous sauvages se raréfient et sont contaminés.

Et, à l'heure où les événements ont mis en évidence les problèmes d'autoapprovisionnement des îles, la fin de ces exploitations serait très mal venue.

D'ores et déjà, plus de 600 tonnes d'ouassous élevés dans des conditions sanitaires contestables (nourriture à la fiente de poulet, forte charge en antibiotiques) sont importés de Thaïlande.

* 52 La conséquence de prélèvements qui donnent des taux de chlordécone supérieurs à 27 ug/kg est un arrêté de fermeture de l'exploitation. Il serait souhaitable que les arrêtés, quand ils sont prononcés, le soient à titre provisoire. Car, en cas de fermeture définitive, les processus administratifs de réouverture sont très lourds.

* 53 Ce programme ferait suite à une étude du CEMAGREF sur les poissons d'élevage qui a mis en évidence que les temps de décontamination des espèces dans des bassins de décantations sont longs.

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