2. La formation des jeunes, un enjeu capital

Le système éducatif a connu des progrès considérables dans les DOM au cours des cinquante dernières années : des structures toujours plus nombreuses, des effectifs scolarisés et un nombre de diplômés en hausse...

L'école reste très valorisée et constitue un vecteur incontestable d'ascension sociale.

Il n'est pas inutile de rappeler également que l'éducation dans les DOM fait face à un défi considérable découlant directement de la situation démographique précédemment décrite.

Les effectifs ont progressé globalement d'environ 3,5 % sur les cinq dernières années, alors que l'on enregistrait sur cette même période une stagnation, voire une diminution des effectifs scolaires d'environ 1,3 % en métropole.

Cette progression globale spectaculaire n'est cependant pas uniforme d'un DOM à l'autre et recouvre, en fait, des réalités contrastées :

- la pression démographique en Guyane, avec environ 20 % d'élèves étrangers dans le premier degré et 25 % dans le second degré, se traduit par une progression de 15 % sur cette période, marquée par un fort taux de natalité cumulé à un solde migratoire élevé ;

- en revanche, la tendance à la baisse des effectifs scolaires se confirme depuis quelques années en Guadeloupe et en Martinique;

- dans une situation intermédiaire, l'augmentation des effectifs à La Réunion s'effectue dans des proportions considérées comme « maîtrisables » par le ministère de l'éducation nationale.

À la rentrée 2007-2008, l'ensemble du secteur public et du secteur privé des DOM comptait près de 550 000 élèves et étudiants : soit 271 600 dans le premier degré, 227 900 dans le second degré et 36 900 dans l'enseignement supérieur.

Pourtant, la situation actuelle de la formation, au sens large, appelle un jugement sévère : la plupart des indicateurs de réussite restent en retrait par rapport à ceux de la métropole, mettant en échec l'objectif d'égalité des chances pour les jeunes d'outre-mer.

a) Une formation initiale en décalage

Comme l'a observé Mme Reynier, rectrice de l'académie de Martinique, devant les membres de la mission en déplacement dans ce département, l'école est en quelque sorte « un indicateur de la santé sociale ».

Si la formation initiale, dispensée dans le premier et le second degrés, a incontestablement progressé, au point par exemple d'amener des classes d'âge de plus en plus importantes au niveau du bac, elle se caractérise aussi par des retards et certains échecs, particulièrement lourds de conséquences au plan local.

(1) Des écarts de résultats importants avec les niveaux métropolitains

Les résultats obtenus par chaque académie sont encore loin d'être équivalents à ceux constatés en métropole.

Ainsi les résultats aux évaluations nationales des acquis en français et maths des élèves de CM2, effectuées en janvier 2009, font apparaître, pour les quatre académies concernées, des scores nettement inférieurs à ceux de la moyenne nationale :

- en français, 40 % des élèves n'atteignent pas la moyenne dans les académies de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion ; 73 % des élèves guyanais échouent aux mêmes évaluations, contre 25 % au plan national ;

- en mathématiques, 55 % des élèves des académies des Antilles et de La Réunion n'obtiennent pas la moyenne ; ils sont 82 % en Guyane, contre 35 % au plan national.

Ces évaluations révèlent un écart « sensible » entre le niveau général et le niveau en Martinique, Guadeloupe et à La Réunion et un « fossé » avec la Guyane.

Résultats des départements d'outre-mer (en pourcentages d'élèves) :

En français

Martinique

Guadeloupe

Guyane

Réunion

France

A

34

33

11

32

45

B

28

27

16

28

30

C

24

23

23

24

18

D

14

17

50

16

7

En mathématiques

Martinique

Guadeloupe

Guyane

Réunion

France

A

20

21

7

23

35

B

24

24

11

24

30

C

25

23

18

23

20

D

31

32

64

30

15

A : acquis très solides

B : bons acquis - seront développés dans les mois à venir

C : acquis encore fragiles - devront être consolidés

D : acquis insuffisants

Pour l'ensemble des DOM, la proportion d'élèves en retard d'au moins deux ans à l'entrée du collège (sixième) est passée d'une moyenne de 15 % à 10 % en six ans et de 25 % à 16,5 % à l'entrée du lycée (troisième) sur la même période. Cette évolution positive a laissé subsister un écart avec la métropole de 7 et 10 points. Le retard de la Guyane est beaucoup plus sévère puisque celle-ci conserve un différentiel de 23 et de 29 points avec la métropole.

Les résultats du diplôme national du brevet reflètent cette amélioration de la situation puisqu'on est passé de 67 % d'élèves reçus en moyenne dans les DOM à 75 % en six ans et l'écart avec la métropole, même s'il demeure, s'est réduit de 11 à 7 points sur cette période. La Martinique, qui a les résultats les moins bons, conserve sur cette période un différentiel de 5 points avec l'académie qui obtient les résultats les plus faibles de la métropole.

Le taux de réussite global au baccalauréat était en 2008 de 74,8 % dans les DOM contre 82 % en métropole. Ce taux n'est cependant pas totalement significatif car il peut varier d'une année sur l'autre.

Le taux de bacheliers en proportion d'une génération, qui est jugé par le ministère de l'éducation nationale plus révélateur de l'évolution de la situation, est actuellement de 56,2 % dans les DOM, contre 64,3 % en métropole, soit un écart de 8 points environ.

Si on analyse chaque académie, on constate des profils assez proches entre les académies antillaises et de La Réunion. En revanche, la Guyane semble cumuler les handicaps et les retards.

En Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, la maîtrise de la langue française, qui reste encore le vecteur privilégié de la réussite scolaire, est un savoir à consolider pour près de 40 % des enfants en fin de primaire, cette proportion passant à 73 % en Guyane.

Au delà, comme le rappelle le ministère de l'éducation nationale, il faut rechercher dans le contexte géographique, socio-économique, démographique et culturel propre à chaque DOM l'origine des résultats, encore insatisfaisants, obtenus par les élèves.

Lors de chacun de ses déplacements, la mission a tenu à rencontrer les recteurs afin de mieux cerner ces particularités.

En Guadeloupe , une des difficultés particulières est liée au caractère archipélagique du département qui constitue une source de dysfonctionnements (difficultés de remplacement des professeurs absents, par exemple) et génère des contraintes de déplacement très insuffisamment prises en compte par les services centraux de l'Éducation nationale.

Le rectorat déplore également le manque de formateurs dans l'enseignement professionnel, le déficit récurrent d'enseignants pour le français et la philosophie et la pénurie d'équipements informatiques dans les écoles primaires, ce qui a conduit l'académie à équiper elle-même les directeurs d'établissement et à mettre au point un système de recyclage des ordinateurs d'entreprises privées.

En Martinique , le panorama est plus contrasté. Le taux d'encadrement a progressé en raison d'une baisse d'effectifs consécutive au déclin de la natalité que connaît le département : avec dans un avenir proche des effectifs passant en dessous de la barre symbolique des 100 000 élèves, la Martinique détient le meilleur taux d'encadrement de France dans le premier degré et le second degré, avec 6 professeurs pour 100 élèves dans le premier cas, et en moyenne 23 élèves par classe dans le second cas.

Ceci constitue un atout appréciable. D'ailleurs, la Martinique décroche le plus de mentions « très bien » au baccalauréat dans l'ensemble des DOM, un taux de réussite de 75 % pour les classes préparatoires scientifiques et de presque 100 % pour les classes préparatoires des écoles de commerce.

Mais ces « performances » ne doivent pas occulter le fait qu'en classe de sixième 22 % des enfants sont déjà considérés comme en retard par rapport aux tests nationaux et sont ensuite, le plus souvent, orientés vers l'enseignement professionnel, particulièrement développé dans ce département.

Outre un handicap initial, l'académie souligne les perturbations liées aux aléas climatiques ou sociaux, rappelant que, récemment encore et dès les premiers jours de grève, les cours avaient été suspendus. Depuis dix ans, il n'y a pas eu d'année complète en raison de la survenance, chaque année, de ce type d'aléas, qui occasionne des perturbations d'une durée généralement supérieure à quatre semaines.

Elle relève aussi que chaque réforme de l'éducation s'est accompagnée d'une phase de recul des résultats, notamment au bac, et d'un délai d'adaptation de quelques années, ce qui a conduit le rectorat à impliquer davantage ses inspecteurs généraux dans l'information et la formation des enseignants.

Il faut souligner qu'à La Réunion , l'ampleur de l'illettrisme est considérable, de même que l'insuffisance et la vétusté des « structures d'accueil », ce qui nuit fortement à la qualité de l'enseignement.

Mais c'est en Guyane que la situation s'avère particulièrement préoccupante.

Interrogé sur le retard constaté, le ministère met en avant plusieurs facteurs propres à ce département, tels que la forte croissance démographique générale et celle de la population scolaire, en particulier dans le premier degré où elle a doublé en dix ans.

À ces facteurs, s'ajoutent :

- les conditions géographiques ainsi que la dispersion et l'isolement des habitants : avec une superficie égale à celle du Portugal, on constate un clivage entre la côte atlantique regroupant 90 % de la population et l'intérieur du département qui reste difficilement accessible et où la densité s'élève à 2,1 habitants/km² ;

- la diversité des origines et des cultures des populations (80 nationalités sont présentes sur le territoire guyanais et on compte 15 langues usuelles) : la forte immigration, en provenance notamment du Surinam, ainsi qu'une grande mobilité des populations scolarisées, rendent problématiques l'accueil et la stabilisation des élèves dans l'enseignement du premier degré ;

- pour plus de la moitié des élèves du premier cycle, le français n'est pas la langue maternelle : si un dispositif original de médiateurs culturels bilingues intervenant en milieu non francophone a été mis en place ponctuellement à partir de 1998 le long des fleuves, celui-ci n'a répondu, selon le ministère, qu'à une partie des besoins 157 ( * ) . Or cette absence de maîtrise de la langue française par les élèves de l'école primaire hypothèque lourdement la poursuite de leurs études dans le second degré ;

- les difficultés de recrutement et de stabilisation sur leur poste des enseignants dans les zones les plus excentrées.

Lors de son audition par la mission, M. Frédéric Wacheux, recteur de l'Académie de la Guyane, n'a pas caché l'ampleur des difficultés auxquelles celle-ci se trouve confrontée et qui ont pour conséquence de lui conférer le triste privilège des « plus mauvais de résultats de France sur tous les plans ».

À ses yeux, la contrainte majeure de l'académie est d'ordre démographique, avec un taux de croissance de 4 à 5 % par an, voire de 8 % pour certains établissements, comme ceux situés à Saint-Laurent-du-Maroni. Ce facteur pesant lourdement sur les finances des collectivités territoriales, chaque année de nombreux enfants ne sont pas scolarisés faute de locaux, ou le sont dans de mauvaises conditions. La problématique est la même pour les collèges et les lycées.

Soulignant également la richesse exceptionnelle que représentent les différentes communautés, dont la valorisation culturelle est sans doute une des clés pour améliorer la réussite scolaire, le recteur a aussi précisé que l'académie était, dans la pratique, confrontée à deux types d'immigration : celle des personnes qui se sont installées illégalement et qui se sédentarisent, comme les Haïtiens, et celle des enfants qui habitent de l'autre côté de la frontière, au Brésil ou au Surinam, et qui viennent suivre leur scolarité en Guyane. Difficile à évaluer, cette dernière immigration pourrait représenter, selon le recteur, jusqu'à 75 % des enfants scolarisés sur la frontière. Ces derniers surtout cumulent les handicaps évoqués précédemment.

Le collège s'avère impuissant à compenser les insuffisances constatées s'agissant des apprentissages fondamentaux non acquis à l'école. Le pourcentage des élèves connaissant un retard dans leur cursus à l'entrée en sixième est préoccupant et le niveau des évaluations est faible, les taux de redoublement sont élevés et la poursuite d'études en enseignement général et technologique faible.

Les taux de sortie aux niveaux VI et V bis 158 ( * ) sont trois fois supérieurs à la moyenne nationale (21 % contre 6 %) et 40 % des élèves quittent le système éducatif sans diplôme.

Les taux d'accès et de réussite aux examens sont faibles : environ un tiers d'une classe d'âge accède au niveau du baccalauréat (31 % pour les garçons, 50 % pour les filles). L'enseignement professionnel occupe une place importante mais conduit les élèves vers les CAP et les BEP plutôt que vers le niveau IV.

Ces différentes observations conduisent à envisager des mesures concernant le rattrapage avant l'accès au second degré :

- en amont, par le développement de l'accueil des enfants avant l'âge de 6 ans, insuffisant dans certains DOM faute de maternelles, de cantines et d'équipes pédagogiques ;

- en permettant le regroupement des enfants par niveau , et non par classe d'âge, afin d'adapter la pédagogie et de tenir compte de la scolarisation tardive de certains enfants ;

- en mettant en place un programme adapté pour les enfants de familles non francophones : médiateurs culturels bilingues, formations adaptées pour les enseignants, outils pédagogiques spécifiques...

Proposition 69 : Adopter les moyens pour favoriser une scolarisation plus précoce des enfants, particulièrement en Guyane, et permettre leur regroupement par niveau pour combler le retard scolaire dans le primaire.

* 157 Voir aussi Marie-Françoise Crouzier « Inclusion scolaire et médiateurs culturels bilingues : l'expérience guyanaise ». Comprendre la Guyane d'aujourd'hui. Ibis Rouge Editions (2007).

* 158 Les niveaux de qualification :

Niveau VI : Sorties du 1 er cycle du second degré (6ème, 5ème, 4ème) et des formations pré professionnelles en 1 an ;

Niveau V bis : Sorties de 3ème générale, 4ème et 3ème technologique et des classes des seconds cycles courts professionnels avant l'année terminale ;

Niveau V : Sorties de l'année terminale des seconds cycles courts professionnels (CAP, BEP, mention complémentaire), abandon de la scolarité du second cycle avant la terminale ;

Niveau IV : Sorties des classes terminales du second cycle et abandon des scolarités post baccalauréat avant d'atteindre le niveau III (niveau Bac).

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